ARRÊT DE LA COUR (première chambre)
17 octobre 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Propriété intellectuelle – Droit d’auteur et droits voisins – Protection juridique des programmes d’ordinateur – Directive 2009/24/CE – Article 1er – Champ d’application – Formes d’expression d’un programme d’ordinateur – Notion – Article 4, paragraphe 1, sous b) – Transformation d’un programme d’ordinateur – Modification du contenu des variables stockées dans la mémoire vive de l’ordinateur et utilisées pendant l’opération d’exécution du programme »
Dans l’affaire C‑159/23,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne), par décision du 23 février 2023, parvenue à la Cour le 15 mars 2023, dans la procédure
Sony Computer Entertainment Europe Ltd
contre
Datel Design and Development Ltd,
Datel Direct Ltd,
JS,
LA COUR (première chambre),
composée de M. T. von Danwitz, vice-président de la Cour, faisant fonction de président de la première chambre, M. A. Arabadjiev et Mme I. Ziemele (rapporteure), juges,
avocat général : M. M. Szpunar,
greffier : Mme N. Mundhenke, administratrice,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 janvier 2024,
considérant les observations présentées :
– pour Sony Computer Entertainment Europe Ltd, par Mes B. Arnold, C. Rohnke et J. Wergin, Rechtsanwälte,
– pour Datel Design and Development Ltd, Datel Direct Ltd et JS, par Mes W. Scheuerl, C. Triebe et T. von Plehwe, Rechtsanwälte,
– pour la Commission européenne, par Mme J. Samnadda et M. G. von Rintelen, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 25 avril 2024,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 1er, paragraphes 1 à 3, et de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive 2009/24/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur (JO 2009, L 111, p. 16).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Sony Computer Entertainment Europe Ltd (ci-après « Sony »), une société qui distribue notamment des consoles de jeux vidéos PlayStation et des jeux pour ces consoles, à Datel Design and Development Ltd et à Datel Direct Ltd (ci-après, prises ensemble, « Datel »), un groupe de sociétés qui développe, produit et distribue des logiciels, ainsi qu’à leur directeur au sujet de la prétendue atteinte, par ces derniers, au droit exclusif de
Sony d’autoriser toute transformation d’un programme d’ordinateur dont cette société est titulaire.
Le cadre juridique
Le droit international
Le traité OMPI sur le droit d’auteur
3 L’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) a adopté à Genève, le 20 décembre 1996, le traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, qui est entré en vigueur le 6 mars 2002. Ce traité a été approuvé au nom de la Communauté européenne par la décision 2000/278/CE du Conseil, du 16 mars 2000 (JO 2000, L 89, p. 6).
4 L’article 2 dudit traité dispose :
« La protection au titre du droit d’auteur s’étend aux expressions et non aux idées, procédures, méthodes de fonctionnement ou concepts mathématiques en tant que tels. »
L’accord ADPIC
5 L’accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (ci-après l’« accord ADPIC »), figurant à l’annexe 1 C de l’accord instituant l’Organisation mondiale du commerce (OMC), a été signé à Marrakech le 15 avril 1994 et approuvé par la décision 94/800/CE du Conseil, du 22 décembre 1994, relative à la conclusion au nom de la Communauté européenne, pour ce qui concerne les matières relevant de ses compétences, des accords des négociations multilatérales du cycle de
l’Uruguay (1986-1994) (JO 1994, L 336, p. 1).
6 L’article 10 de l’accord ADPIC, intitulé « Programmes d’ordinateur et compilations de données », se lit comme suit :
« 1. Les programmes d’ordinateur, qu’ils soient exprimés en code source ou en code objet, seront protégés en tant qu’œuvres littéraires en vertu de la [c]onvention de Berne [pour la protection des œuvres littéraires et artistiques, signée à Berne le 9 septembre 1886, dans sa version résultant de l’acte de Paris du 24 juillet 1971 (ci-après la “convention de Berne”)].
2. Les compilations de données ou d’autres éléments, qu’elles soient reproduites sur support exploitable par machine ou sous toute autre forme, qui, par le choix ou la disposition des matières, constituent des créations intellectuelles seront protégées comme telles. Cette protection, qui ne s’étendra pas aux données ou éléments eux-mêmes, sera sans préjudice de tout droit d’auteur subsistant pour les données ou éléments eux-mêmes. »
La convention de Berne
7 L’article 2, paragraphes 1 et 3, de la convention de Berne prévoit :
« 1) Les termes “œuvres littéraires et artistiques” comprennent toutes les productions du domaine littéraire, scientifique et artistique, quel qu’en soit le mode ou la forme d’expression, telles que : les livres, brochures et autres écrits ; les conférences, allocutions, sermons et autres œuvres de même nature ; les œuvres dramatiques ou dramatico-musicales ; les œuvres chorégraphiques et les pantomimes ; les compositions musicales avec ou sans paroles ; les œuvres cinématographiques, auxquelles
sont assimilées les œuvres exprimées par un procédé analogue à la cinématographie ; les œuvres de dessin, de peinture, d’architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie ; les œuvres photographiques, auxquelles sont assimilées les œuvres exprimées par un procédé analogue à la photographie ; les œuvres des arts appliqués ; les illustrations, les cartes géographiques ; les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l’architecture ou aux sciences.
[...]
3) Sont protégés comme des œuvres originales, sans préjudice des droits de l’auteur de l’œuvre originale, les traductions, adaptations, arrangements de musique et autres transformations d’une œuvre littéraire ou artistique. »
Le droit de l’Union
La directive 91/250
8 L’article 1er de la directive 91/250/CEE du Conseil, du 14 mai 1991, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur (JO 1991, L 122, p. 42), intitulé « Objet de la protection », disposait :
« 1. Conformément aux dispositions de la présente directive, les États membres protègent les programmes d’ordinateur par le droit d’auteur en tant qu’œuvres littéraires au sens de la [convention de Berne]. Le terme “programme d’ordinateur”, aux fins de la présente directive, comprend le matériel de conception préparatoire.
2. La protection prévue par la présente directive s’applique à toute forme d’expression d’un programme d’ordinateur. Les idées et principes qui sont à la base de quelque élément que ce soit d’un programme d’ordinateur, y compris ceux qui sont à la base de ses interfaces, ne sont pas protégés par le droit d’auteur en vertu de la présente directive.
3. Un programme d’ordinateur est protégé s’il est original, en ce sens qu’il est la création intellectuelle propre à son auteur. Aucun autre critère ne s’applique pour déterminer s’il peut bénéficier d’une protection. »
9 La directive 91/250 a été remplacée par la directive 2009/24, qui est entrée en vigueur le 25 mai 2009.
La directive 2009/24
10 Les considérants 2, 7, 10, 11 et 15 de la directive 2009/24 énoncent :
« (2) La création de programmes d’ordinateur exige la mise en œuvre de ressources humaines, techniques et financières considérables, alors qu’il est possible de les copier à un coût très inférieur à celui qu’entraîne une conception autonome.
[...]
(7) Aux fins de la présente directive, les termes “programme d’ordinateur” visent les programmes sous quelque forme que ce soit, y compris ceux qui sont incorporés au matériel. Ces termes comprennent également les travaux préparatoires de conception aboutissant au développement d’un programme, à condition qu’ils soient de nature à permettre la réalisation d’un programme d’ordinateur à un stade ultérieur.
[...]
(10) Un programme d’ordinateur est appelé à communiquer et à fonctionner avec d’autres éléments d’un système informatique et avec des utilisateurs ; à cet effet, un lien logique et, le cas échéant, physique d’interconnexion et d’interaction est nécessaire dans le but de permettre le plein fonctionnement de tous les éléments du logiciel et du matériel avec d’autres logiciels et matériels ainsi qu’avec les utilisateurs. [...]
(11) Pour éviter toute ambiguïté, il convient de préciser que seule l’expression d’un programme d’ordinateur est protégée et que les idées et les principes qui sont à la base des différents éléments d’un programme, y compris ceux qui sont à la base de ses interfaces, ne sont pas protégés par le droit d’auteur en vertu de la présente directive. En accord avec ce principe du droit d’auteur, les idées et principes qui sont à la base de la logique, des algorithmes et des langages de programmation ne
sont pas protégés en vertu de la présente directive. Conformément à la législation et à la jurisprudence des États membres ainsi qu’aux conventions internationales sur le droit d’auteur, l’expression de ces idées et principes doit être protégée par le droit d’auteur.
[...]
(15) La reproduction, la traduction, l’adaptation ou la transformation non autorisée de la forme du code sous lequel une copie de programme d’ordinateur a été fournie constituent une atteinte aux droits exclusifs de l’auteur. Toutefois, dans certaines circonstances, une reproduction du code d’un programme d’ordinateur ou une traduction de sa forme peut s’avérer indispensable pour obtenir l’information nécessaire à l’interopérabilité d’un programme créé de façon indépendante avec d’autres
programmes. Il faut donc envisager que, dans ces circonstances bien précises uniquement, l’accomplissement d’actes de reproduction et de traduction par ou au nom d’une personne ayant le droit d’utiliser une copie du programme est légitime et conforme aux bons usages, et ne doit donc pas requérir l’autorisation du titulaire du droit d’auteur. [...] »
11 L’article 1er, paragraphes 1 à 3, de cette directive dispose :
« 1. Conformément aux dispositions de la présente directive, les États membres protègent les programmes d’ordinateur par le droit d’auteur en tant qu’œuvres littéraires au sens de la [convention de Berne]. Les termes “programme d’ordinateur”, aux fins de la présente directive, comprennent le matériel de conception préparatoire.
2. La protection prévue par la présente directive s’applique à toute forme d’expression d’un programme d’ordinateur. Les idées et principes qui sont à la base de quelque élément que ce soit d’un programme d’ordinateur, y compris ceux qui sont à la base de ses interfaces, ne sont pas protégés par le droit d’auteur en vertu de la présente directive.
3. Un programme d’ordinateur est protégé s’il est original, en ce sens qu’il est la création intellectuelle propre à son auteur. Aucun autre critère ne s’applique pour déterminer s’il peut bénéficier d’une protection. »
12 L’article 4, paragraphe 1, de ladite directive prévoit :
« Sous réserve des articles 5 et 6, les droits exclusifs du titulaire au sens de l’article 2 comportent le droit de faire ou d’autoriser :
[...]
b) la traduction, l’adaptation, l’arrangement et toute autre transformation d’un programme d’ordinateur et la reproduction du programme en résultant, sans préjudice des droits de la personne qui transforme le programme d’ordinateur ;
[...] »
Le droit allemand
13 L’article 69a du Gesetz über Urheberrecht und verwandte Schutzrechte – Urheberrechtsgesetz (loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins), du 9 septembre 1965 (BGBl. 1965 I, p. 1273), tel que modifié par la loi du 23 juin 2021 (BGBl. 2021 I, p. 1858) (ci-après l’« UrhG »), dispose :
« 1. Les programmes d’ordinateur au sens de cette loi sont des programmes à chaque forme, y compris le matériel de conception préparatoire.
2. La protection accordée s’applique à toute forme d’expression d’un programme d’ordinateur. Les idées et principes qui sont à la base de quelque élément que ce soit d’un programme d’ordinateur, y compris ceux qui sont à la base de ses interfaces, ne sont pas protégés.
3. Un programme d’ordinateur est protégé s’il est original, en ce sens qu’il est la création intellectuelle propre à son auteur. Aucun autre critère, en particulier qualitatif ou esthétique, ne s’applique pour déterminer s’il peut bénéficier d’une protection. »
14 L’article 69c de l’UrhG est libellé comme suit :
« Le titulaire dispose du droit exclusif de faire ou d’autoriser :
[...]
2. la traduction, l’adaptation, l’arrangement et toute autre transformation d’un programme d’ordinateur et la reproduction du programme en résultant. Les droits des personnes qui adaptent le programme d’ordinateur restent sans préjudice. »
Le litige au principal et les questions préjudicielles
15 Sony commercialise, en tant que preneur de licence exclusive pour l’Europe, des consoles de jeux PlayStation ainsi que des jeux destinés à ces consoles. Jusqu’en 2014, Sony commercialisait notamment la console PlayStationPortable (ci-après la « console PSP ») ainsi que des jeux destinés à cette console, parmi lesquels le jeu MotorStorm : Arctic Edge (ci-après le « jeu en cause »).
16 Datel développe, produit et distribue des logiciels, notamment des produits complémentaires aux consoles de jeux de Sony, dont le logiciel Action Replay PSP ainsi qu’un appareil, le Tilt FX, accompagné d’un logiciel du même nom, permettant la commande de la console PSP par mouvement dans l’espace. Ces logiciels fonctionnent exclusivement avec les jeux originaux de Sony.
17 L’exécution du logiciel Action Replay PSP s’effectue en connectant la console PSP à un ordinateur et en introduisant dans cette console une clé USB qui charge ce logiciel. Après le redémarrage de ladite console, l’utilisateur dispose, dans l’interface, d’un onglet supplémentaire « Action Replay » offrant à l’utilisateur des options de jeu non prévues à ce stade du jeu par Sony. Sous cet onglet figurent, par exemple, s’agissant du jeu en cause, des options permettant de supprimer toute restriction
dans l’utilisation du « turbo »(booster) ou de disposer non seulement d’une partie des conducteurs, mais également de la partie d’entre eux qui, autrement, ne serait activée qu’une fois obtenu un certain nombre de points.
18 S’agissant du Tilt FX, l’utilisateur dispose d’un capteur qui est raccordé à la console PSP et qui permet la commande de cette console grâce aux mouvements de celle-ci dans l’espace. Une clé USB doit également être introduite dans ladite console afin de préparer l’intervention du capteur de mouvement, ce qui rend disponible, dans l’interface, un onglet supplémentaire faisant notamment disparaître certaines restrictions. Ainsi, pour le jeu en cause, cette fonctionnalité permet une utilisation
illimitée du turbo.
19 Dans l’affaire au principal, Sony a notamment fait valoir que, au moyen des appareils et des logiciels de Datel, les utilisateurs transforment les logiciels qui sous-tendent ce jeu de manière illicite au regard du droit d’auteur. Elle a, à cet égard, notamment demandé la cessation de la commercialisation de ces appareils et logiciels ainsi que la réparation du préjudice prétendument subi.
20 Par jugement du 24 janvier 2012, le Landgericht Hamburg (tribunal régional de Hambourg, Allemagne) a partiellement fait droit aux demandes de Sony. Ce jugement a toutefois été réformé en appel par l’Oberlandesgericht Hamburg (tribunal régional supérieur de Hambourg, Allemagne), qui a rejeté le recours de Sony dans son intégralité.
21 La juridiction de renvoi, qui est saisie d’un recours en Revision contre l’arrêt de l’Oberlandesgericht Hamburg (tribunal régional supérieur de Hambourg), relève que l’issue de ce recours dépend du point de savoir si l’utilisation des logiciels de Datel porte atteinte au droit exclusif de transformation d’un programme d’ordinateur, au sens de l’article 69c, point 2, de l’UrhG, dont Sony est titulaire. Or, l’application de cette disposition dans le litige au principal serait tributaire de
l’interprétation de l’article 1er, paragraphes 1 à 3, et de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive 2009/24.
22 Ainsi, premièrement, se poserait la question de savoir si l’utilisation des logiciels de Datel affecte le champ d’application de la protection du programme d’ordinateur lorsqu’il n’y a pas de modification du code source ou du code objet de ce programme ou de sa reproduction, mais qu’un autre programme d’ordinateur, exécuté en même temps que le programme d’ordinateur protégé, modifie le contenu de variables que le programme d’ordinateur protégé a insérées dans la mémoire vive de cet ordinateur et
qu’il utilise au cours de l’exécution de ce programme. La juridiction de renvoi se demande si le contenu de telles variables relève du champ d’application de la protection du droit d’auteur sur le programme d’ordinateur.
23 Deuxièmement, il serait nécessaire de clarifier la portée de la notion de « transformation », au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive 2009/24, en particulier afin de savoir si cette notion couvre la situation dans laquelle le code objet ou le code source d’un programme d’ordinateur ou de sa reproduction n’est pas modifié, mais dans laquelle un autre programme exécuté en même temps que le programme d’ordinateur protégé modifie le contenu de variables que le programme
d’ordinateur protégé a insérées dans la mémoire vive et qu’il utilise dans l’exécution de ce programme.
24 Dans ces conditions, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Y a-t-il une atteinte au champ d’application de la protection d’un programme d’ordinateur en vertu de l’article 1er, paragraphes 1 à 3, de la directive 2009/24 lorsque le code objet ou le code source d’un programme d’ordinateur ou [de] sa reproduction n’est pas modifié, mais qu’un autre programme fonctionnant en même temps que le programme d’ordinateur protégé modifie le contenu des variables que le programme d’ordinateur protégé a insérées dans la mémoire vive et qu’il utilise au cours de
l’exécution de ce programme ?
2) Y a-t-il une transformation, au sens de l’article 4, paragraphe 1, sous b), de la directive 2009/24, lorsque le code objet ou le code source d’un programme d’ordinateur ou [de] sa reproduction n’est pas modifié, mais qu’un autre programme fonctionnant en même temps que le programme d’ordinateur protégé modifie le contenu de variables que le programme d’ordinateur protégé a transféré dans la mémoire vive et qu’il utilise au cours de l’exécution de ce programme ? »
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
25 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphes 1 à 3, de la directive 2009/24 doit être interprété en ce sens que relève de la protection conférée par cette directive le contenu des données variables insérées par un programme d’ordinateur protégé dans la mémoire vive de cet ordinateur et utilisées par ce programme au cours de son exécution.
26 À titre liminaire, il convient de relever que, dans ses observations, la Commission européenne fait valoir que la réglementation en cause au principal doit être appréciée au regard non seulement de la directive 2009/24, mais également de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d'auteur et des droits voisins dans la société de l’information (JO 2001, L 167, p.10), et soutient, à ce titre, qu’un logiciel tel que
celui en cause au principal constitue la reproduction d’une œuvre au sens de l’article 2, sous a), de cette directive.
27 À cet égard, il convient de préciser que, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, la Cour peut extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les normes et les principes de droit de
l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige au principal, afin de reformuler les questions qui lui sont adressées et d’interpréter toutes les dispositions du droit de l’Union dont les juridictions nationales ont besoin afin de statuer sur les litiges qui leur sont soumis, même si ces dispositions ne sont pas indiquées expressément dans lesdites questions (arrêt du 19 décembre 2019, Airbnb Ireland, C‑390/18, EU:C:2019:1112, point 36 et jurisprudence citée).
28 Cependant, il appartient à la seule juridiction nationale de définir l’objet des questions qu’elle entend poser à la Cour. Ainsi, dès lors que la demande elle-même ne fait pas apparaître la nécessité d’une telle reformulation, la Cour ne saurait, à la demande de l’un des intéressés mentionnés à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, examiner des questions qui ne lui ont pas été soumises par la juridiction nationale. Si cette dernière, au vu de l’évolution du litige,
devait estimer nécessaire d’obtenir des éléments supplémentaires d’interprétation du droit de l’Union, il lui appartiendrait de saisir à nouveau la Cour (arrêt du 19 décembre 2019, Airbnb Ireland, C‑390/18, EU:C:2019:1112, point 37).
29 En l’occurrence, et à défaut de toute mention de la directive 2001/29 dans la première question préjudicielle ou de tout autre élément dans la décision de renvoi de nature à nécessiter que la Cour se penche sur l’interprétation de cette directive afin de donner une réponse utile au juge de renvoi, il n’y a pas lieu d’examiner cette question au regard de ladite directive. Il en va d’autant plus ainsi que la juridiction renvoi a expressément relevé dans sa décision de renvoi, sans se référer à
cette directive, que la question d’une éventuelle reproduction n’est pas en cause dans le litige au principal.
30 S’agissant de la réponse à la question posée, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, lors de l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte, des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie et, le cas échéant, de sa genèse (arrêt du 23 novembre 2023, Seven.One Entertainment Group, C‑260/22, EU:C:2023:900, point 22 et jurisprudence citée).
31 En premier lieu, en ce qui concerne le libellé des dispositions en cause, il convient de relever que l’article 1er de la directive 2009/24 définit, selon son intitulé, l’objet de la protection des programmes d’ordinateurs.
32 Aux termes du paragraphe 1 de cet article, les programmes d’ordinateur sont protégés par le droit d’auteur en tant qu’œuvres littéraires au sens de la convention de Berne. Le paragraphe 2 dudit article étend une telle protection à « toute forme d’expression d’un programme d’ordinateur » et précise que les idées et les principes à la base de quelque élément que ce soit d’un programme d’ordinateur, y compris ceux qui sont à la base de ses interfaces, ne sont pas protégés par le droit d’auteur en
vertu de cette directive. Le paragraphe 3 du même article dispose, par ailleurs, qu’un programme d’ordinateur est protégé s’il est original, en ce sens qu’il est la création intellectuelle propre à son auteur, tout en précisant qu’aucun autre critère ne s’applique pour déterminer si le programme peut bénéficier d’une protection.
33 Il ressort ainsi des termes de l’article 1er de la directive 2009/24, en particulier de ses paragraphes 2 et 3, que sont protégées toutes les « formes d’expression » d’un programme d’ordinateur, à l’exception des idées et principes à la base des éléments qui le composent, à la condition qu’un tel programme soit original, en ce sens qu’il est la création intellectuelle propre à son auteur.
34 Quant au contenu de cette notion, la Cour a déjà jugé, au regard de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 91/250, dont le libellé est identique à celui de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2009/24 et dont l’interprétation est, partant, transposable à cette dernière disposition, que les « formes d’expression » d’un programme d’ordinateur sont celles qui permettent de le reproduire dans différents langages informatiques, tels le code source et le code objet (arrêt du 22 décembre
2010, Bezpečnostní softwarová asociace, C‑393/09, EU:C:2010:816, point 35).
35 En revanche, la Cour a jugé que l’interface utilisateur graphique d’un programme d’ordinateur, laquelle ne permet pas de reproduire ce programme, mais constitue simplement un élément dudit programme au moyen duquel les utilisateurs exploitent les fonctionnalités dudit programme, ne constitue pas une forme d’expression d’un programme d’ordinateur au sens de cette disposition (voir, en ce sens, arrêt du 22 décembre 2010, Bezpečnostní softwarová asociace, C‑393/09, EU:C:2010:816, points 41 et 42).
36 De même, elle a considéré que ni la fonctionnalité d’un programme d’ordinateur ni le langage de programmation et le format de fichiers de données utilisés dans le cadre d’un programme d’ordinateur pour exploiter certaines de ses fonctions ne constituent une forme d’expression de ce programme, au sens de ladite disposition. En effet, admettre que la fonctionnalité d’un programme d’ordinateur puisse être protégée par le droit d’auteur reviendrait à offrir la possibilité de monopoliser les idées, au
détriment du progrès technique et du développement industriel (voir, en ce sens, arrêt du 2 mai 2012, SAS Institute, C‑406/10, EU:C:2012:259, points 39 et 40).
37 Il ressort ainsi du libellé de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2009/24, comme M. l’avocat général l’a relevé au point 37 de ses conclusions, que le code source et le code objet relèvent de la notion de « forme d’expression » d’un programme d’ordinateur, au sens de cette disposition, en tant qu’ils permettent la reproduction ou la réalisation de ce programme à un stade ultérieur, tandis que d’autres éléments de celui-ci, tels que notamment ses fonctionnalités, ne sont pas protégés par
cette directive. Ladite directive ne protège pas non plus les éléments au moyen desquels les utilisateurs exploitent de telles fonctionnalités, sans toutefois permettre une telle reproduction ou réalisation ultérieure dudit programme.
38 Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 38 et 40 de ses conclusions, la protection garantie par la directive 2009/24 se limite à la création intellectuelle telle qu’elle se reflète dans le texte du code source et du code objet et, partant, à l’expression littérale du programme d’ordinateur dans ces codes, qui constituent respectivement un ensemble d’instructions selon lesquelles l’ordinateur doit effectuer les tâches prévues par l’auteur du programme.
39 En deuxième lieu, une telle interprétation, fondée sur le libellé des dispositions en cause, est corroborée par le contexte, notamment relevant du droit international, dans lequel s’inscrivent ces dispositions.
40 À cet égard, premièrement, à l’instar de l’article 1er, paragraphe 1, de la directive 2009/24, l’article 10, paragraphe 1, de l’accord ADPIC prévoit que les programmes d’ordinateur, qu’ils soient exprimés en code source ou en code objet, seront protégés en tant qu’œuvres littéraires en vertu de la convention de Berne.
41 Or, la Cour a déjà rappelé, au regard de l’article 2, paragraphe 1, de cette convention, ainsi que de l’article 2 du traité de l’OMPI sur le droit d’auteur et de l’article 9, paragraphe 2, de l’accord ADPIC, que ce sont les expressions et non les idées, les procédures, les méthodes de fonctionnement ou les concepts mathématiques, en tant que tels, qui peuvent faire l’objet d’une protection au titre du droit d’auteur (arrêt du 13 novembre 2018, Levola Hengelo, C‑310/17, EU:C:2018:899, point 39 et
jurisprudence citée).
42 Deuxièmement, cette interprétation est également corroborée par le préambule de la directive 2009/24.
43 Tout d’abord, le considérant 7 de cette directive énonce que les termes « programme d’ordinateur » comprennent également les travaux préparatoires de conception aboutissant au développement d’un programme, à condition toutefois qu’ils soient de nature à permettre la réalisation d’un tel programme à un stade ultérieur.
44 Ensuite, il ressort du considérant 11 de ladite directive que ne sont pas protégés au titre de la même directive les idées et les principes qui sont à la base des différents éléments d’un programme, tels que les idées et principes qui sont à la base de la logique, des algorithmes et des langages de programmation, seule l’expression de ces idées et principes étant protégée par le droit d’auteur.
45 Il s’ensuit, enfin, que, selon le considérant 15 de la directive 2009/24, s’agissant des droits exclusifs du titulaire, ce sont la reproduction, la traduction, l’adaptation ou la transformation non autorisée « de la forme du code sous lequel une copie de programme d’ordinateur a été fournie », qui constituent une atteinte aux droits exclusifs de l’auteur.
46 L’interprétation visée au point 37 du présent arrêt est, en troisième lieu, conforme aux objectifs poursuivis par la protection juridique des programmes d’ordinateur au titre de la directive 2009/24.
47 À cet égard, ainsi que M. l’avocat général l’a souligné au point 41 de ses conclusions, l’objectif poursuivi par le régime de protection des programmes d’ordinateur instauré par le législateur de l’Union vise, tel que cela ressort du considérant 2 de la directive 2009/24, à protéger les auteurs des programmes contre la reproduction non autorisée de ces programmes, rendue très facile et peu onéreuse dans l’environnement numérique, ainsi que contre la distribution des copies « piratées » de
ceux-ci. En effet, ce considérant rappelle que la création de programmes d’ordinateur exige la mise en œuvre de ressources humaines, techniques et financières considérables, alors qu’il est possible de les copier à un coût très inférieur à celui qu’entraîne une conception autonome.
48 En revanche, ainsi qu’il ressort des points 3.6 et 3.12 de l’exposé des motifs de la proposition de directive du Conseil concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur, présentée le 5 janvier 1989 (JO 1989, C 91, p. 4), à l’origine de la directive 91/250, le régime juridique de la protection des programmes d’ordinateur ne confère pas un monopole qui empêche la création indépendante et n’entrave donc pas le progrès technique. En outre, les concurrents de l’auteur d’un programme
d’ordinateur, dès le moment où une analyse indépendante leur a permis de déterminer les idées, les règles ou les principes utilisés, ont toute liberté pour créer leur propre mise en œuvre afin de créer des produits compatibles. Ils peuvent, par ailleurs, exploiter la même idée, mais sans utiliser la même expression que d’autres programmes protégés.
49 Au demeurant, ainsi que l’énonce le considérant 10 de la directive 2009/24, un programme d’ordinateur est appelé à communiquer et à fonctionner avec d’autres éléments d’un système informatique et avec des utilisateurs, et, à cet effet, un lien logique et, le cas échéant, physique d’interconnexion et d’interaction est nécessaire dans le but de permettre le plein fonctionnement de tous les éléments du logiciel et du matériel avec d’autres logiciels et matériels ainsi qu’avec les utilisateurs.
50 En l’occurrence, la juridiction de renvoi fait observer que le logiciel de Datel est installé par l’utilisateur sur la console PSP et s’exécute en même temps que le logiciel de jeu. Elle ajoute que ce logiciel ne modifie ou ne reproduit ni le code objet, ni le code source, ni la structure interne et l’organisation du logiciel de Sony, utilisé sur la console PSP, mais se limite à modifier le contenu des variables temporairement insérées par les jeux de Sony dans la mémoire vive de la console PSP,
qui sont utilisées pendant l’exécution du jeu, de sorte que celui-ci s’exécute sur la base de ces variables au contenu modifié.
51 En outre, ainsi qu’il ressort des motifs de la décision de renvoi, il apparaît que le logiciel de Datel, en ce qu’il modifie uniquement le contenu des variables insérées par un programme d’ordinateur protégé dans la mémoire vive d’un ordinateur et utilisées par ce programme au cours de son exécution, ne permet pas, en tant que tel, de reproduire ce programme ni une partie de celui-ci, mais présuppose, au contraire, que ce programme soit exécuté en même temps. Ainsi que l’a souligné M. l’avocat
général, en substance, au point 48 de ses conclusions, le contenu des variables constitue donc un élément dudit programme, au moyen duquel les utilisateurs exploitent les fonctionnalités d’un tel programme, qui n’est pas protégé en tant que « forme d’expression » d’un programme d’ordinateur au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 2009/24, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
52 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 1er, paragraphes 1 à 3, de la directive 2009/24 doit être interprété en ce sens que ne relève pas de la protection conférée par cette directive le contenu des données variables insérées par un programme d’ordinateur protégé dans la mémoire vive d’un ordinateur et utilisées par ce programme au cours de son exécution, dans la mesure où ce contenu ne permet pas la reproduction ou la réalisation
ultérieure d’un tel programme.
Sur la seconde question
53 Eu égard à la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la seconde question.
Sur les dépens
54 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :
L’article 1er, paragraphes 1 à 3, de la directive 2009/24/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, concernant la protection juridique des programmes d’ordinateur,
doit être interprété en ce sens que :
ne relève pas de la protection conférée par cette directive le contenu des données variables insérées par un programme d’ordinateur protégé dans la mémoire vive d’un ordinateur et utilisées par ce programme au cours de son exécution, dans la mesure où ce contenu ne permet pas la reproduction ou la réalisation ultérieure d’un tel programme.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.