ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
4 octobre 2024 ( *1 )
« Pourvoi – Action extérieure – Accords internationaux – Accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc – Décision concernant la conclusion de cet accord et de son protocole de mise en œuvre – Allégations tenant à des violations du droit international du fait de l’applicabilité dudit l’accord aux eaux adjacentes du Sahara occidental – Recours en annulation – Recevabilité – Capacité d’ester en justice – Qualité pour agir – Condition selon
laquelle un requérant doit, dans certains cas, être directement et individuellement concerné par la mesure litigieuse – Principe de l’effet relatif des traités – Principe d’autodétermination – Territoires non autonomes – Article 73 de la charte des Nations unies – Pouvoir d’appréciation du Conseil de l’Union européenne – Droit coutumier international – Principes généraux du droit de l’Union – Consentement du peuple d’un territoire non autonome titulaire du droit à l’autodétermination en tant que
tiers à un accord international »
Dans les affaires jointes C‑778/21 P et C‑798/21 P,
ayant pour objet deux pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduits le 14 décembre 2021,
Commission européenne, représentée initialement par MM. A. Bouquet, F. Castillo de la Torre et Mme A. Stobiecka-Kuik, en qualité d’agents, puis par MM. A. Bouquet, D. Calleja Crespo et Mme A. Stobiecka-Kuik, en qualité d’agents,
partie requérante dans l’affaire C‑778/21 P,
les autres parties à la procédure étant :
Front populaire pour la libération de la Saguia-el-Hamra et du Rio de oro (Front Polisario), représenté par Me G. Devers, avocat,
partie demanderesse en première instance,
Conseil de l’Union européenne,
partie défenderesse en première instance,
Royaume d’Espagne, représenté par Mme A. Gavela Llopis, en qualité d’agent,
République française, représentée initialement par M. J.‑L. Carré, Mme A.-L. Desjonquères et M. T. Stéhelin, en qualité d’agents, puis par MM. G. Bain, B. Herbaut, M. T. Stéhelin et Mme B. Travard, en qualité d’agents,
Chambre des pêches maritimes de la Méditerranée,
Chambre des pêches maritimes de l’Atlantique Nord,
Chambre des pêches maritimes de l’Atlantique Centre,
Chambre des pêches maritimes de l’Atlantique Sud,
représentées par Mes N. Angelet, G. Forwood et A. Hublet, avocats, ainsi que M. N. Forwood, BL,
parties intervenantes en première instance,
et
Conseil de l’Union européenne, représenté initialement par MM. F. Naert et V. Piessevaux, en qualité d’agents, puis par M. F. Naert, Mme A. Nowak-Salles et M. V. Piessevaux, en qualité d’agents,
partie requérante dans l’affaire C‑798/21 P,
soutenu par :
Royaume de Belgique, représenté initialement par M. J.-C. Halleux, Mmes C. Pochet et M. Van Regemorter, en qualité d’agents, puis par Mmes C. Pochet et M. Van Regemorter, en qualité d’agents,
Hongrie, représentée par M. M. Z. Fehér et Mme K. Szíjjártó, en qualité d’agents,
République portugaise, représentée par Mmes P. Barros da Costa et A. Pimenta, en qualité d’agents,
République slovaque, représentée initialement par Mme B. Ricziová, en qualité d’agent, puis par Mme S. Ondrášiková, en qualité d’agent,
parties intervenantes au pourvoi,
les autres parties à la procédure étant :
Front populaire pour la libération de la Saguia-el-Hamra et du Rio de oro (Front Polisario), représenté par Me G. Devers, avocat,
partie demanderesse en première instance,
Royaume d’Espagne, représenté par Mme A. Gavela Llopis, en qualité d’agent,
République française, représentée initialement par M. J.‑L. Carré, Mme A.-L. Desjonquères et M. T. Stéhelin, en qualité d’agents, puis par MM. G. Bain, B. Herbaut, T. Stéhelin et Mme B. Travard, en qualité d’agents,
Commission européenne, représentée initialement par MM. A. Bouquet, F. Castillo de la Torre et Mme A. Stobiecka-Kuik, en qualité d’agents, puis par MM. A. Bouquet, D. Calleja Crespo et Mme A. Stobiecka-Kuik, en qualité d’agents,
Chambre des pêches maritimes de la Méditerranée,
Chambre des pêches maritimes de l’Atlantique Nord,
Chambre des pêches maritimes de l’Atlantique Centre,
Chambre des pêches maritimes de l’Atlantique Sud,
représentées par Mes N. Angelet, G. Forwood et A. Hublet, avocats, ainsi que M. N. Forwood, BL,
parties intervenantes en première instance,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice‑président, MM. A. Arabadjiev, C. Lycourgos, E. Regan, Z. Csehi et Mme O. Spineanu-Matei, présidents de chambre, MM. S. Rodin, I. Jarukaitis, A. Kumin, N. Jääskinen (rapporteur), Mme M. L. Arastey Sahún et M. M. Gavalec, juges,
avocat général : Mme T. Ćapeta,
greffier : M. C. Di Bella, administrateur,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience des 23 et 24 octobre 2023,
ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 21 mars 2024,
rend le présent
Arrêt
1 Par leurs pourvois respectifs, la Commission européenne (affaire C‑778/21 P) et le Conseil de l’Union européenne (affaire C‑798/21 P) demandent l’annulation partielle de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 29 septembre 2021, Front Polisario/Conseil (T‑344/19 et T‑356/19, ci-après l’ arrêt attaqué , EU:T:2021:640), par lequel celui‑ci a annulé la décision (UE) 2019/441 du Conseil, du 4 mars 2019, relative à la conclusion de l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre
l’Union européenne et le Royaume du Maroc, de son protocole de mise en œuvre ainsi que de l’échange de lettres accompagnant l’accord (JO 2019, L 77, p. 4, ci-après la « décision litigieuse »).
2 Dans l’affaire C‑798/21 P, le Conseil demande également, à titre subsidiaire, le maintien des effets de la décision litigieuse pendant une période de douze mois à compter de la date du prononcé de l’arrêt à intervenir.
Le cadre juridique
Le droit international
La charte des Nations unies
3 L’article 1er de la charte des Nations unies, signée à San Francisco le 26 juin 1945 (ci-après la « charte des Nations unies »), énonce :
« Les buts des Nations unies sont les suivants :
[...]
2. Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité de droits des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes, et prendre toutes autres mesures propres à consolider la paix du monde ;
[...] »
4 Le chapitre XI de la charte des Nations unies, intitulé « Déclaration relative aux territoires non autonomes », comprend l’article 73 de celle‑ci, qui prévoit :
« Les Membres des Nations [u]nies qui ont ou qui assument la responsabilité d’administrer des territoires dont les populations ne s’administrent pas encore complètement elles-mêmes reconnaissent le principe de la primauté des intérêts des habitants de ces territoires. Ils acceptent comme une mission sacrée l’obligation de favoriser dans toute la mesure possible leur prospérité, dans le cadre du système de paix et de sécurité internationales établi par la présente [c]harte [...]
[...] »
La convention de Vienne
5 Aux termes du dernier alinéa du préambule de la convention de Vienne sur le droit des traités, conclue à Vienne le 23 mai 1969 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 1155, p. 331, ci-après la « convention de Vienne »), les parties à cette convention « affirm[e]nt que les règles du droit international coutumier continueront à régir les questions non réglées dans les dispositions de [ladite] Convention ».
6 L’article 3 de la même convention, intitulé « Accords internationaux n’entrant pas dans le cadre de la présente convention », énonce :
« Le fait que la présente Convention ne s’applique ni aux accords internationaux conclus entre des États et d’autres sujets du droit international ou entre ces autres sujets du droit international ni aux accords internationaux qui n’ont pas été conclus par écrit ne porte pas atteinte :
[...]
b) à l’application à ces accords de toutes règles énoncées dans la présente Convention auxquelles ils seraient soumis en vertu du droit international indépendamment de ladite Convention ;
[...] »
7 L’article 29 de la convention de Vienne, intitulé « Application territoriale des traités », stipule :
« À moins qu’une intention différente ne ressorte du traité ou ne soit par ailleurs établie, un traité lie chacune des parties à l’égard de l’ensemble de son territoire. »
8 L’article 34 de cette convention, intitulé « Règle générale concernant les États tiers », énonce :
« Un traité ne crée ni obligations ni droits pour un État tiers sans son consentement. »
9 L’article 35 de ladite convention, intitulé « Traités prévoyant des obligations pour des États tiers », est libellé comme suit :
« Une obligation naît pour un État tiers d’une disposition d’un traité si les parties à ce traité entendent créer l’obligation au moyen de cette disposition et si l’État tiers accepte expressément par écrit cette obligation. »
10 Aux termes de l’article 36 de la même convention, intitulé « Traités prévoyant des droits pour des États tiers » :
« 1. Un droit naît pour un État tiers d’une disposition d’un traité si les parties à ce traité entendent, par cette disposition, conférer ce droit soit à l’État tiers ou à un groupe d’États auquel il appartient, soit à tous les États, et si l’État tiers y consent. Le consentement est présumé tant qu’il n’y a pas d’indication contraire, à moins que le traité n’en dispose autrement.
2. Un État qui exerce un droit en application du paragraphe 1 est tenu de respecter, pour l’exercice de ce droit, les conditions prévues dans le traité ou établies conformément à ses dispositions. »
La résolution III de l’acte final de la troisième conférence des Nations unies sur le droit de la mer
11 La résolution III de l’acte final de la troisième conférence des Nations unies sur le droit de la mer, du 30 avril 1982, prévoit que « dans le cas d’un territoire dont le peuple n’a pas accédé à la pleine indépendance ou à un autre régime d’autonomie reconnu par les Nations unies, ou d’un territoire sous domination coloniale, les dispositions relatives à des droits ou intérêts visés dans la [convention des Nations unies sur le droit de la mer, conclue à Montego Bay le10 décembre 1982 (ci-après la
“convention des Nations unies sur le droit de la mer”),] sont appliquées au profit du peuple de ce territoire dans le but de promouvoir sa prospérité et son développement ».
L’accord d’association
12 Le 1er mars 2000, est entré en vigueur l’accord euro-méditerranéen établissant une association entre les Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part, signé à Bruxelles le 26 février 1996 (JO 2000, L 70, p. 2, ci-après l’« accord d’association »).
13 L’article 1er, paragraphe 1, de cet accord stipule :
« Il est établi une association entre la [Communauté européenne et la Communauté européenne du charbon et de l’acier] et ses États membres, d’une part, et le Maroc, d’autre part. »
14 L’article 94 dudit accord prévoit :
« Le présent accord s’applique, d’une part, aux territoires où les traités instituant la Communauté européenne et la Communauté européenne du charbon et de l’acier sont appliqués et dans les conditions prévues par lesdits traités et, d’autre part, au territoire du Royaume du Maroc. »
L’accord de pêche de 2006
15 Le 22 mai 2006, le Conseil a adopté le règlement (CE) no 764/2006, relatif à la conclusion de l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la Communauté européenne et le Royaume du Maroc (JO 2006, L 141, p. 1). L’article 1er de ce règlement dispose :
« L’accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la Communauté européenne et le Royaume du Maroc est approuvé au nom de la Communauté. »
16 Ainsi que cela résulte de son préambule et de ses articles 1er et 3, l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la Communauté européenne et le Royaume du Maroc (JO 2006, L 141, p. 4, ci-après l’« accord de pêche de 2006 ») vise à intensifier les relations de coopération nouées par la Communauté européenne et le Royaume du Maroc, notamment dans le cadre de l’accord d’association, en instituant, dans le secteur de la pêche, un partenariat destiné à promouvoir une pêche responsable
dans les zones de pêche marocaines et à mettre en œuvre de manière efficace la politique de la pêche marocaine.
17 L’article 11 de l’accord de pêche de 2006 stipule que celui-ci s’applique, en ce qui concerne le Royaume du Maroc, « au territoire du Maroc et aux eaux sous juridiction marocaine ».
18 L’article 2, sous a), de cet accord définit la notion de « zone de pêche marocaine », aux fins dudit accord, du protocole qui l’accompagne ainsi que de son annexe, comme étant les « eaux relevant de la souveraineté ou de la juridiction du Royaume du Maroc ».
Les antécédents du litige
19 Pour les besoins de la présente procédure, les antécédents du litige, tels qu’ils figurent notamment aux points 1 à 72 de l’arrêt attaqué, peuvent être résumés comme suit.
Le contexte international
20 Le Sahara occidental est un territoire situé au nord-ouest du continent africain, qui a été colonisé par le Royaume d’Espagne à la fin du XIXe siècle avant de devenir une province espagnole. En 1963, il a été inscrit par l’Organisation des Nations unies sur la « liste préliminaire des territoires auxquels s’applique la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux [résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale des Nations unies] », en tant que territoire non autonome
administré par le Royaume d’Espagne, au sens de l’article 73 de la charte des Nations unies. Il figure encore à ce jour sur la liste des territoires non autonomes établie par le secrétaire général des Nations unies sur la base des renseignements communiqués en application de l’article 73, sous e), de cette charte.
21 Le 20 décembre 1966, lors de sa 1500e séance plénière, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la résolution 2229 (XXI) sur la question de l’Ifni et du Sahara espagnol, dans laquelle elle a « [r]éaffirm[é] le droit inaliénable d[u] peupl[e] [...] du Sahara espagnol à l’autodétermination conformément à la résolution 1514 (XV) de l’Assemblée générale [des Nations unies] » et a invité le Royaume d’Espagne, en sa qualité de puissance administrante, « à arrêter le plus tôt possible [...] les
modalités de l’organisation d’un référendum qui sera[it] tenu sous les auspices de l’Organisation des Nations unies afin de permettre à la population autochtone du territoire d’exercer librement son droit à l’autodétermination ».
22 Le 24 octobre 1970, lors de sa 1883e séance plénière, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la résolution 2625 (XXV), par laquelle elle a approuvé la « Déclaration relative aux principes du droit international touchant les relations amicales et la coopération entre les États conformément à la [c]harte des Nations unies », dont le texte est annexé à ladite résolution. Cette déclaration « proclame solennellement », en particulier, « le principe de l’égalité de droits des peuples et de
leur droit à disposer d’eux-mêmes ».
23 Le Front populaire pour la libération de la Saguia-el-Hamra et du Rio de oro (Front Polisario) est une organisation créée le 10 mai 1973 au Sahara occidental. Il se définit, à l’article 1er de ses statuts, comme un « mouvement de libération nationale » dont les membres « combat[tent] pour l’indépendance totale et pour la récupération de la souveraineté du peuple sahraoui sur la totalité du territoire de la République arabe sahraouie démocratique ».
24 Le 20 août 1974, le Royaume d’Espagne a adressé au secrétaire général des Nations unies une lettre annonçant sa décision d’organiser, sous les auspices des Nations unies, un référendum visant à permettre au peuple du Sahara occidental d’exercer son droit à l’autodétermination.
25 Le 16 octobre 1975, la Cour internationale de justice (CIJ), en sa qualité d’organe judiciaire principal des Nations unies et à la suite d’une demande présentée par l’Assemblée générale des Nations unies dans le cadre de ses travaux relatifs à la décolonisation du Sahara occidental, a rendu un avis consultatif « Sahara occidental » (CIJ Recueil 1975, p. 12, ci-après l’« avis consultatif sur le Sahara occidental »). Au paragraphe 162 de cet avis, la CIJ a considéré ce qui suit :
« Les éléments et renseignements portés à la connaissance de la [CIJ] montrent l’existence, au moment de la colonisation espagnole, de liens juridiques d’allégeance entre le sultan du Maroc et certaines des tribus vivant sur le territoire du Sahara occidental. Ils montrent également l’existence de droits, y compris certains droits relatifs à la terre, qui constituaient des liens juridiques entre l’ensemble mauritanien, au sens où la [CIJ] l’entend, et le territoire du Sahara occidental. En
revanche, la [CIJ] conclut que les éléments et renseignements portés à sa connaissance n’établissent l’existence d’aucun lien de souveraineté territoriale entre le territoire du Sahara occidental, d’une part, et le Royaume du Maroc ou l’ensemble mauritanien, d’autre part. La [CIJ] n’a donc pas constaté l’existence de liens juridiques de nature à modifier l’application de la résolution 1514 (XV) [de l’Assemblée générale des Nations unies] quant à la décolonisation du Sahara occidental et en
particulier l’application du principe d’autodétermination grâce à l’expression libre et authentique de la volonté des populations du territoire. [...] »
26 Au paragraphe 163 de l’avis consultatif sur le Sahara occidental, la CIJ a, en particulier, indiqué :
« [La CIJ est d’avis], [e]n ce qui concerne la question I, [...] que le Sahara occidental (Rio de Oro et Sakiet El Hamra) n’était pas un territoire sans maître (terra nullius) au moment de la colonisation par l’Espagne ; [...] en ce qui concerne la question II, [...] que le territoire avait, avec le Royaume du Maroc, des liens juridiques possédant les caractères indiqués au paragraphe 162 du présent avis [et] que le territoire avait, avec l’ensemble mauritanien, des liens juridiques possédant les
caractères indiqués au paragraphe 162 du présent avis. »
27 Dans un discours prononcé le jour de la publication de l’avis consultatif sur le Sahara occidental, le roi du Maroc a déclaré que « le monde entier a[vait] reconnu que le Sahara [occidental] était en [la] possession » du Royaume du Maroc et qu’il lui « incomb[ait] de récupérer pacifiquement ce territoire », appelant, à cette fin, à l’organisation d’une marche.
28 Le 6 novembre 1975, lors de sa 1854e séance, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la résolution 380 (1975) sur le Sahara occidental, dans laquelle il a « [d]éplor[é] l’exécution de la marche » annoncée et « [d]emand[é] au [Royaume du] Maroc de retirer immédiatement du territoire du Sahara occidental tous les participants à [cette] marche ».
29 Le 26 février 1976, le Royaume d’Espagne a informé le secrétaire général des Nations unies que, à compter de cette date, il mettait fin à sa présence au Sahara occidental et se considérait déchargé de toute responsabilité de caractère international relative à l’administration de ce territoire.
30 Un conflit armé a entretemps éclaté dans cette région entre le Royaume du Maroc, la République islamique de Mauritanie et le Front Polisario. Dans ce contexte, une partie de la population du Sahara occidental, majoritairement des membres du peuple sahraoui, a fui ce territoire et a trouvé refuge dans des camps situés sur le territoire algérien, à proximité de la frontière avec le Sahara occidental.
31 Le lendemain de la fin de la présence du Royaume d’Espagne au Sahara occidental, le Front Polisario a annoncé l’instauration de la République arabe sahraouie démocratique (RASD). Ni l’Union européenne ni aucun de ses États membres ne reconnaissent, à ce jour, la RASD.
32 Le 14 avril 1976, le Royaume du Maroc a conclu avec la République islamique de Mauritanie un traité de partition du territoire du Sahara occidental et a annexé la partie de ce territoire qui lui avait été attribuée par ce traité. Le 10 août 1979, la République islamique de Mauritanie a conclu un accord de paix avec le Front Polisario, en vertu duquel elle a renoncé à toute revendication territoriale sur le Sahara occidental. Postérieurement à cette conclusion, le Royaume du Maroc a pris le
contrôle du territoire évacué par les forces mauritaniennes.
33 Le 21 novembre 1979, lors de sa 75e séance plénière, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la résolution 34/37 sur la question du Sahara occidental, dans laquelle elle a « [r]éaffirm[é] le droit inaliénable du peuple du Sahara occidental à l’autodétermination et à l’indépendance, conformément à la [charte des Nations unies] [...] et aux objectifs de [s]a résolution 1514 (XV) », a « [d]éplor[é] vivement l’aggravation de la situation découlant de la persistance de l’occupation du Sahara
occidental par le Maroc », a « [d]emand[é] instamment au Maroc de s’engager lui aussi dans la dynamique de la paix et de mettre fin à l’occupation du territoire du Sahara occidental » et a « [r]ecommand[é] à cet effet que le [Front Polisario], représentant du peuple du Sahara occidental, participe pleinement à toute recherche d’une solution politique juste, durable et définitive de la question du Sahara occidental, conformément aux résolutions et déclarations de l’Organisation des Nations
[u]nies ». Cette résolution a été suivie de la résolution 35/19, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies lors de sa 56e séance plénière, qui s’est tenue le 11 novembre 1980. Au point 10 de cette résolution, l’Assemblée générale des Nations unies a « [d]emand[é] instamment [...] au Maroc et au [Front Polisario], représentant du peuple du Sahara occidental, d’engager des négociations directes en vue d’aboutir à un règlement définitif de la question du Sahara occidental ».
34 Le conflit entre le Royaume du Maroc et le Front Polisario s’est poursuivi jusqu’à ce que, le 30 août 1988, les parties acceptent, en principe, des propositions de règlement émanant notamment du secrétaire général des Nations unies et prévoyant en particulier la proclamation d’un cessez-le-feu ainsi que l’organisation d’un référendum d’autodétermination sous le contrôle des Nations unies. Faute de solution politique, les hostilités ont toutefois repris en 2020.
35 Afin, notamment, de surveiller le cessez-le-feu et d’aider à l’organisation de ce référendum, le Conseil de sécurité des Nations unies a établi, au mois d’avril 1991, la mission des Nations unies pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (Minurso), dont le mandat est prolongé chaque année et qui existe encore à ce jour. Des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies ont régulièrement réaffirmé que toute solution politique doit permettre « l’autodétermination du peuple du
Sahara occidental dans le contexte d’arrangements conformes aux buts et principes énoncés dans la charte des Nations Unies » [voir, en dernier lieu, résolution 2703 (2023) du Conseil de sécurité des Nations unies, du 30 octobre 2023, point 4].
36 L’Assemblée générale des Nations unies, lors de sa 82e séance plénière du 6 décembre 1995, a adopté la résolution 50/33, intitulée « Activités des intérêts étrangers, économiques et autres, qui font obstacle à l’application de la Déclaration sur l’octroi de l’indépendance aux pays et aux peuples coloniaux dans les territoires se trouvant sous domination coloniale », dans laquelle, notamment, elle a « [r]éaffirm[é] le droit inaliénable des peuples des territoires coloniaux ou non autonomes à
l’autodétermination, à l’indépendance et à la jouissance des ressources naturelles de leurs territoires, ainsi que leur droit de disposer de ces ressources au mieux de leurs intérêts », « [a]ffirm[é] la valeur des investissements économiques étrangers entrepris en collaboration avec les populations des territoires non autonomes et conformément à leurs vœux afin d’apporter une contribution valable au développement socio‑économique des territoires », « [d]éclar[é] de nouveau que l’exploitation
néfaste et le pillage des ressources marines et autres ressources naturelles des territoires coloniaux ou non autonomes par des intérêts économiques étrangers, en violation des résolutions pertinentes de l’Organisation des Nations unies, compromett[ai]ent l’intégrité et la prospérité de ces territoires » et « invit[é] tous les gouvernements et tous les organismes des Nations unies à veiller à ce que la souveraineté permanente des populations des territoires coloniaux ou non autonomes sur leurs
ressources naturelles soit pleinement respectée et sauvegardée ».
37 À ce jour, un tel référendum ne s’est pas encore tenu et le Royaume du Maroc contrôle la majeure partie du territoire du Sahara occidental, qu’un mur de sable édifié et surveillé par son armée sépare du reste de ce territoire, contrôlé par le Front Polisario.
L’accord d’association, l’accord de libéralisation et les différents accords de pêche conclus entre l’Union et le Royaume du Maroc ainsi que leurs conséquences juridiques
38 Dans le cadre de l’accord d’association, a été signé, le 13 décembre 2010, à Bruxelles, l’accord sous forme d’échange de lettres entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc relatif aux mesures de libéralisation réciproques en matière de produits agricoles, de produits agricoles transformés, de poissons et de produits de la pêche, au remplacement des protocoles nos 1, 2 et 3 et de leurs annexes et aux modifications de l’accord euro‑méditerranéen établissant une association entre les
Communautés européennes et leurs États membres, d’une part, et le Royaume du Maroc, d’autre part (JO 2012, L 241, p. 4, ci-après l’« accord de libéralisation »). Cet accord a été approuvé au nom de l’Union par la décision 2012/497/UE du Conseil, du 8 mars 2012 (JO 2012, L 241, p. 2).
39 En matière de pêche, la Communauté économique européenne s’était engagée, en 1985, à prendre en charge les accords de pêche existants, conclus par le Royaume d’Espagne et la République portugaise avec le Royaume du Maroc, après l’adhésion de ces deux États membres à ce qui était alors la Communauté économique européenne [voir décision 87/442/CE du Conseil, du 13 août 1987, concernant la conclusion de l’accord sous forme d’échange de lettres relatif au régime de pêche entre la Communauté
économique européenne et le Royaume du Maroc, applicable à titre préliminaire pendant la période allant du 1er août au 31 décembre 1987 (JO 1987, L 232, p. 18), et accord sous forme d’échange de lettres relatif au régime de pêche entre la Communauté économique européenne et le Royaume du Maroc, applicable à titre préliminaire pendant la période allant du 1er août au 31 décembre 1987 (JO 1987, L 232, p. 19)].
40 En 1988, en 1992 et en 2006, la Communauté économique européenne a conclu ses propres accords en matière de pêche avec le Royaume du Maroc, à savoir l’accord sur les relations en matière de pêches maritimes entre la Communauté économique européenne et le Royaume du Maroc (JO 1988, L 99, p. 49, ci-après l’« accord de 1988 »), l’accord sur les relations en matière de pêches maritimes entre la Communauté économique européenne et le Royaume du Maroc (JO 1992, L 407, p. 3, ci-après l’« accord de
1992 ») et l’accord de pêche de 2006.
41 Le champ d’application de ces accords couvrait le « territoire du Maroc et [les] eaux sous juridiction marocaine », sans clarifier précisément la limite des zones maritimes couvertes (voir, en ce sens, article 1er de l’accord de 1988 ; article 1er de l’accord de 1992, et article 11 de l’accord de pêche de 2006).
42 Le paiement de contributions financières au Royaume du Maroc, en contrepartie partielle de la délivrance, par les autorités marocaines, de licences aux navires de pêche de l’Union était un élément essentiel de l’ensemble desdits accords (voir, en ce sens, article 2, paragraphe 2, et article 6 de l’accord de 1988 ; article 2, paragraphe 2, et article 7 de l’accord de 1992, ainsi que articles 6 et 7 de l’accord de pêche de 2006).
43 Des protocoles séparés, chacun valable pour une période de quatre ans et faisant partie intégrante des mêmes accords, fixaient en outre les possibilités de pêche accordées aux navires de pêche de l’Union, leur durée et leurs conditions d’utilisation [articles 5 et 7 de l’accord de 1988 ainsi que protocole no 1 fixant les possibilités de pêche accordées par le Maroc et la contrepartie accordée par la Communauté pour la période du 1er mars 1988 au 29 février 1992 (JO 1988, L 99, p. 61) ; articles 7
et 9 de l’accord de 1992 ainsi que protocole fixant les possibilités de pêche et les montants de la contrepartie financière et des appuis financiers accordés par la Communauté (JO 1992, L 407, p. 15), et articles 5 à 7 de l’accord de pêche de 2006 ainsi que protocole fixant les possibilités de pêche et la contrepartie financière prévues par l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre la Communauté européenne et le Royaume du Maroc (JO 2006, L 141, p. 9)].
44 Selon le considérant 2 de la décision litigieuse, le dernier protocole fixant les possibilités de pêche et les contributions financières, à savoir le protocole entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc fixant les possibilités de pêche et la contrepartie financière prévues par l’accord de partenariat dans le secteur de la pêche entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc (JO 2013, L 328, p. 2, ci-après le « protocole de 2013 »), qui accompagnait l’accord de pêche de 2006, a expiré le
14 juillet 2018.
45 Le Front Polisario a, le 19 novembre 2012, introduit un recours devant le Tribunal tendant à l’annulation de la décision 2012/497, en alléguant, notamment, un certain nombre de violations, par le Conseil, de ses obligations au regard du droit international, au motif qu’il avait approuvé, par ladite décision, l’application de l’accord de libéralisation au territoire du Sahara occidental. Par l’arrêt du 10 décembre 2015, Front Polisario/Conseil (T‑512/12, EU:T:2015:953), le Tribunal a annulé la
décision 2012/497 en ce qu’elle approuvait l’application de l’accord de libéralisation au Sahara occidental, au motif que le Conseil avait manqué à son obligation d’examiner, avant l’adoption de cette décision, tous les éléments du cas d’espèce, en ne vérifiant pas si l’exploitation des produits originaires de ce territoire exportés vers l’Union ne se faisait pas au détriment de la population dudit territoire et n’impliquait pas des violations des droits fondamentaux des personnes concernées.
46 Saisie d’un pourvoi formé par le Conseil le 19 février 2016, la Cour a, par l’arrêt du 21 décembre 2016, Conseil/Front Polisario (C‑104/16 P, EU:C:2016:973), annulé l’arrêt du 10 décembre 2015, Front Polisario/Conseil (T‑512/12, EU:T:2015:953), et a rejeté comme étant irrecevable le recours du Front Polisario introduit devant le Tribunal. À cet égard, la Cour a accueilli le deuxième moyen du pourvoi, tiré de l’erreur de droit commise par le Tribunal dans l’analyse de la qualité pour agir du Front
Polisario et, plus particulièrement, le grief tiré de ce que le Tribunal avait considéré, à tort, que l’accord de libéralisation s’appliquait au Sahara occidental. La Cour a notamment considéré que, conformément au principe d’autodétermination, applicable dans les relations entre l’Union et le Royaume du Maroc, et au droit à l’autodétermination qui en découle pour le peuple du Sahara occidental, qui est un territoire non autonome, au sens de l’article 73 de la charte des Nations unies, ledit
territoire jouissait d’un statut séparé et distinct par rapport à celui de tout État, y compris par rapport à celui du Royaume du Maroc. La Cour en a conclu que les termes « territoire du Royaume du Maroc », figurant à l’article 94 de l’accord d’association, ne pouvaient pas être interprétés de sorte que le Sahara occidental soit inclus dans le champ d’application territorial de cet accord.
47 Afin d’aboutir à cette conclusion, la Cour a également pris appui, dans son arrêt du 21 décembre 2016, Conseil/Front Polisario (C‑104/16 P, EU:C:2016:973), sur la circonstance que le peuple du Sahara occidental devait être regardé comme étant un « tiers », au sens du principe de l’effet relatif des traités. En effet, le consentement de ce tiers était requis pour que la mise en œuvre de l’accord d’association puisse affecter celui-ci en cas d’inclusion du territoire du Sahara occidental dans le
champ d’application dudit accord, et ce sans qu’il soit nécessaire de déterminer si une telle mise en œuvre serait de nature à lui nuire ou, au contraire, à lui profiter. Or, la Cour a observé que l’arrêt du 10 décembre 2015, Front Polisario/Conseil (T‑512/12, EU:T:2015:953), ne faisait pas apparaître que le peuple du Sahara occidental ait manifesté un tel consentement s’agissant de l’accord d’association.
48 Dans l’arrêt du 27 février 2018, Western Sahara Campaign UK (C‑266/16, EU:C:2018:118), la Cour a notamment relevé, en premier lieu, que l’accord de pêche de 2006 s’inscrivait dans un ensemble conventionnel ayant pour cadre l’accord d’association. Compte tenu de l’existence de cet ensemble conventionnel, la Cour a considéré qu’il y avait lieu de comprendre la notion de « territoire du Maroc », figurant à l’article 11 de l’accord de pêche de 2006, de la même manière que la notion de « territoire du
Royaume du Maroc », figurant à l’article 94 de l’accord d’association et en a conclu que le territoire du Sahara occidental ne relevait pas de la notion de « territoire du Royaume du Maroc », au sens de l’article 11 de l’accord de pêche de 2006.
49 En deuxième lieu, afin d’interpréter l’expression « eaux relevant de la souveraineté ou de la juridiction du Royaume du Maroc », la Cour a constaté qu’il résultait de l’article 2, paragraphe 1, et des articles 55 et 56 de la convention des Nations unies sur le droit de la mer que les eaux sur lesquelles l’État côtier était en droit d’exercer une souveraineté ou une juridiction se limitaient aux seules eaux adjacentes à son territoire et relevant de sa mer territoriale ou de sa zone économique
exclusive (ZEE). Par voie de conséquence et compte tenu du fait que le territoire du Sahara occidental ne faisait pas partie du territoire du Royaume du Maroc, la Cour en a conclu que les eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental ne relevaient pas de la zone de pêche marocaine visée à l’article 2, sous a), de l’accord de pêche de 2006.
50 En troisième lieu, la Cour a précisé qu’il serait contraire au principe d’autodétermination et au principe de l’effet relatif des traités d’inclure dans le champ d’application de cet accord, au titre des « eaux relevant de la souveraineté [...] du Royaume du Maroc » visées à l’article 2, sous a), dudit accord de pêche, les eaux directement adjacentes à la côte du territoire du Sahara occidental.
51 En quatrième lieu, s’agissant de l’expression « eaux relevant de [...] la juridiction du Royaume du Maroc » figurant à l’article 2, sous a), de l’accord de pêche de 2006, la Cour a constaté que le Conseil et la Commission avaient, notamment, envisagé que le Royaume du Maroc puisse être considéré comme étant une « puissance administrante de facto » ou comme une puissance occupante du territoire du Sahara occidental et qu’une telle qualification aurait pu s’avérer pertinente en vue de déterminer le
champ d’application de cet accord. Or, la Cour a fait observer que, sans même qu’il soit besoin d’examiner si une éventuelle intention commune des parties audit accord de donner à cette expression un sens particulier, afin de tenir compte de telles circonstances, aurait été conforme aux règles de droit international qui lient l’Union, une telle intention commune ne pouvait, en tout état de cause, être constatée en l’occurrence, dès lors que le Royaume du Maroc avait catégoriquement exclu d’être
une puissance occupante ou une puissance administrante du territoire du Sahara occidental.
52 En cinquième lieu, s’agissant du champ d’application territorial du protocole de 2013, la Cour a constaté que l’expression « zone de pêche marocaine » était employée tant dans l’accord de pêche de 2006 que dans ce protocole, dont elle déterminait le champ d’application territorial. Elle a considéré que cette expression devait être comprise comme renvoyant aux eaux relevant de la souveraineté ou de la juridiction du Royaume du Maroc et que, par voie de conséquence, elle ne comprenait pas les eaux
adjacentes au territoire du Sahara occidental.
53 En sixième lieu, la Cour a constaté que la communication des coordonnées géographiques des lignes de base et de la zone de pêche du Royaume du Maroc, visées par les dispositions du protocole de 2013, n’était intervenue que le 16 juillet 2014. Étant donné que ce protocole était entré en vigueur le 15 juillet 2014, elle en a déduit que ces coordonnées géographiques ne faisaient pas partie du texte de celui-ci, tel que convenu par les parties. En tout état de cause, selon la Cour, même si lesdites
coordonnées géographiques avaient été communiquées antérieurement à l’entrée en vigueur dudit protocole, elles n’auraient pu, en aucune façon, remettre en cause l’interprétation de l’expression « zone de pêche marocaine » qu’elle avait retenue au point 79 de l’arrêt du 27 février 2018, Western Sahara Campaign UK (C‑266/16, EU:C:2018:118) ni étendre le champ d’application du même protocole en y incluant les eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental.
54 Dans ces conditions, la Cour a jugé que, dès lors que ni l’accord de pêche de 2006 ni le protocole de 2013 n’étaient applicables aux eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental, son examen n’avait révélé aucun élément de nature à affecter la validité des actes de conclusion de ces accords au regard de l’article 3, paragraphe 5, TUE.
L’accord litigieux et la décision litigieuse
55 À la suite de l’arrêt du 27 février 2018, Western Sahara Campaign UK (C‑266/16, EU:C:2018:118), le Conseil a, par décision du 16 avril 2018, autorisé la Commission à ouvrir des négociations, au nom de l’Union, avec le Royaume du Maroc, en vue de modifier l’accord de pêche de 2006 et, notamment, d’inclure dans le champ d’application de cet accord les eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental. Le 24 juillet 2018, à l’issue de ces négociations, ont été paraphés un nouvel accord de
partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union et le Royaume du Maroc, un nouveau protocole de mise en œuvre de cet accord, y compris l’annexe et les appendices dudit protocole, ainsi que l’échange de lettres accompagnant ledit accord.
56 Le 14 janvier 2019, l’Union et le Royaume du Maroc ont signé, à Bruxelles, l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc (JO 2019, L 77, p. 8, ci-après l’« accord de pêche »), son protocole de mise en œuvre (JO 2019, L 77, p. 18, ci-après le « protocole de mise en œuvre ») ainsi que l’échange de lettres accompagnant cet accord (JO 2019, L 77, p. 53, ci-après l’« échange de lettres ») (ci-après, dénommés ensemble, l’« accord
litigieux »).
57 En vertu de l’article 1er, sous h), de l’accord de pêche, aux fins de cet accord, il convient d’entendre par « zone de pêche », « les eaux de l’Atlantique centre-est situées entre les parallèles 35°47’18’’nord et 20°46’13’’nord, y compris les eaux adjacentes [au] Sahara occidental, couvrant l’ensemble des zones de gestion ». Il est également précisé que « cette définition n’affectera pas les négociations éventuelles relatives à la délimitation des zones maritimes des États côtiers riverains de la
zone de pêche et, en général, les droits des États tiers ».
58 L’article 5, paragraphes 1 et 2, de l’accord de pêche prévoit :
« 1. Les navires de l’Union ne peuvent exercer des activités de pêche dans la zone de pêche couverte par le présent accord que s'ils détiennent une autorisation de pêche délivrée dans le cadre du présent accord. Toute activité de pêche exercée dans la zone de pêche et ne relevant pas du présent accord est interdite.
2. Les autorités du Royaume du Maroc ne délivrent des autorisations de pêche aux navires de l'Union que dans le cadre du présent accord. La délivrance de toute autorisation de pêche aux navires de l'Union ne relevant pas du présent accord, notamment sous la forme d'une autorisation de pêche directe, est interdite. »
59 L’article 6, paragraphe 1, de l’accord de pêche stipule :
« En vue de garantir un cadre réglementaire pour une pêche durable, les navires de l’Union opérant dans la zone de pêche respectent les lois et réglementations marocaines régissant les activités de pêche dans cette zone, sauf disposition contraire du présent accord [...] »
60 Aux termes de l’article 12, paragraphes 1 à 4, de l’accord de pêche :
« 1. La contrepartie financière est définie dans le protocole.
2. La contrepartie financière visée au paragraphe 1 comprend :
a) une compensation financière octroyée par l’Union relative à l’accès des navires de l’Union à la zone de pêche ;
b) les redevances versées par les armateurs des navires de l’Union ;
c) un appui sectoriel octroyé par l’Union pour la mise en œuvre d’une politique de pêche durable et la gouvernance des océans faisant l’objet d’une programmation annuelle et pluriannuelle.
3. La contrepartie financière octroyée par l’Union est payée annuellement, conformément au protocole [de mise en œuvre].
4. Les Parties examinent la répartition géographique et sociale équitable des avantages socio-économiques découlant du présent accord, notamment en termes d’infrastructures, de services sociaux de base, de création d’entreprises, de formation professionnelle, et de projets de développement et de modernisation du secteur de la pêche, afin de s’assurer que celle-ci bénéficie aux populations concernées de façon proportionnelle aux activités de pêche. »
61 L’article 13, paragraphe 1, de l’accord de pêche prévoit :
« Une commission mixte composée de représentants des Parties est mise en place. Elle est responsable du suivi de l’application du présent accord et peut adopter des modifications au protocole [de mise en œuvre]. »
62 L’article 14 de l’accord de pêche stipule :
« Le présent accord s’applique aux territoires où s’appliquent, d’une part, le traité [UE] et le traité [FUE] et, d’autre part, les lois et réglementations visées à l’article 6, paragraphe 1, du présent accord. »
63 Aux termes de l’article 16 de l’accord de pêche :
« Le protocole [de mise en œuvre] et l’[échange de lettres] font partie intégrante du présent accord [...] »
64 L’article 6, paragraphes 1 et 2, du protocole de mise en œuvre prévoit :
« 1. La compensation financière visée à l’article 12, paragraphe 2, point a), de l’accord de pêche et les redevances visées à l’article 12, paragraphe 2, point b), de l’accord de pêche font l’objet d’une répartition géographique et sociale équitable des avantages socio‑économiques permettant de s’assurer que celle-ci bénéficie aux populations concernées, conformément à l’article 12, paragraphe 4, de l’accord de pêche.
2. Au plus tard trois mois après la date d’application du présent protocole, les autorités du Royaume du Maroc présentent la méthode conduisant à la répartition géographique et sociale visée au paragraphe 1, ainsi que la clé de répartition des montants alloués, qui doit être examinée en commission mixte. »
65 L’échange de lettres indique, à son deuxième alinéa :
« À l’issue des négociations, l’[Union] et le Royaume du Maroc ont convenu ce qui suit :
1. S’agissant de la question du Sahara occidental, les Parties réaffirment leur soutien au processus des Nations unies et leur appui aux efforts du [secrétaire général des Nations unies] pour parvenir à une solution politique définitive, conformément aux principes et objectifs de la Charte des Nations unies et sur la base des résolutions du [Conseil de sécurité des Nations unies].
2. L’accord de pêche est conclu sans préjudice des positions respectives :
– pour l’[Union], sur le statut du territoire non autonome du Sahara occidental, dont les eaux adjacentes sont couvertes par la zone de pêche telle que définie à l’article 1er, point h), de l’accord de pêche, et son droit à l’[autodétermination], la référence dans l’accord de pêche aux lois et règlements marocains ne préjugeant pas de sa position ;
– pour le Royaume du Maroc, la région du Sahara est une partie intégrante du territoire national sur laquelle il exerce la plénitude de ses attributs de souveraineté comme sur le reste du territoire national. Le Maroc considère que toute solution à ce différend régional devrait se faire sur la base de son initiative d’autonomie. »
66 Le 4 mars 2019, le Conseil a adopté la décision litigieuse. L’article 1er, premier alinéa, de cette décision dispose :
« L’accord [de pêche], [le] protocole de mise en œuvre et l’échange de lettres [...] sont approuvés au nom de l’Union. »
67 Les considérants 3 à 5 et 7 à 12 de la décision litigieuse énoncent :
« (3) Dans son arrêt rendu dans l’affaire C‑266/16, en réponse à une question préjudicielle sur la validité et l’interprétation de l’[accord de pêche de 2006] et de son protocole de mise en œuvre, la Cour a jugé que ni [cet] accord ni son protocole de mise en œuvre ne sont applicables aux eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental.
(4) L’Union ne préjuge pas de l’issue du processus politique sur le statut final du Sahara occidental qui a lieu sous l’égide des Nations unies et elle n’a cessé de réaffirmer son attachement au règlement du différend au Sahara occidental, actuellement inscrit par les Nations unies sur la liste des territoires non autonomes, et administré principalement par le Royaume du Maroc. Elle soutient pleinement les efforts déployés par le secrétaire général des Nations unies et son envoyé personnel en vue
d’aider les parties à parvenir à une solution politique juste, durable et mutuellement acceptable qui permette l’autodétermination de la population du Sahara occidental dans le cadre d’arrangements conformes aux buts et principes énoncés dans la [c]harte des Nations unies, et consacrés par les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies [...]
(5) Les flottes de l’Union devraient avoir la possibilité de poursuivre les activités de pêche qu’elles avaient exercées depuis l’entrée en vigueur de l’[accord de pêche de 2006], et le champ d’application de [cet] accord devrait être défini de manière à y inclure les eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental. En outre, la poursuite du partenariat en matière de pêche est essentielle pour que ce territoire puisse continuer à bénéficier de l’appui sectoriel fourni au titre de l’[accord de
pêche de 2006], dans le respect du droit de l’Union et du droit international, y compris des droits de l’homme, et au bénéfice des populations concernées.
[...]
(7) L’objectif de l’accord de pêche est de permettre à l’Union et au Royaume du Maroc de collaborer plus étroitement afin de promouvoir une politique de pêche durable, l’exploitation responsable des ressources halieutiques dans la zone de pêche définie dans l’accord de pêche, et de soutenir les efforts du Royaume du Maroc visant à développer le secteur de la pêche ainsi qu’une économie bleue. Il contribue de ce fait à la réalisation des objectifs poursuivis par l’Union dans le cadre de
l’article 21 [TUE].
(8) La Commission a évalué les répercussions potentielles de l’accord de pêche sur le développement durable, notamment en ce qui concerne les bénéfices pour les populations concernées et l’exploitation des ressources naturelles des territoires concernés.
(9) Conformément à cette évaluation, il est estimé que l’accord de pêche devrait être largement bénéfique aux populations concernées, du fait des retombées socio-économiques positives pour ces populations, notamment en termes d’emploi et d’investissements, et de ses incidences sur le développement du secteur de la pêche et de celui de la transformation des produits de la pêche.
(10) De même, il est estimé que l’accord de pêche représente la meilleure garantie pour une exploitation durable des ressources naturelles des eaux adjacentes au Sahara occidental, étant donné que les activités de pêche respectent les meilleurs avis et les recommandations scientifiques dans ce domaine et qu’elles sont soumises à des mesures de suivi et de contrôle appropriées.
(11) Au vu des considérations exposées dans l’arrêt [du 27 février 2018, Western Sahara Campaign UK (C‑266/16, EU:C:2018:118)], la Commission, en lien avec le Service européen pour l’action extérieure [(SEAE)], a pris toutes les mesures raisonnables et possibles dans le contexte actuel pour associer de manière appropriée les populations concernées afin de s’assurer de leur consentement. De larges consultations ont été conduites au Sahara occidental et au Royaume du Maroc, et les acteurs
socio-économiques et politiques qui ont participé aux consultations se sont prononcés clairement en faveur de la conclusion de l’accord de pêche. Toutefois, le Front Polisario et d’autres acteurs n’ont pas accepté de prendre part au processus de consultation.
(12) Ceux qui n’ont pas accepté de participer au processus ont rejeté l’application de l’accord de pêche et de son protocole de mise en œuvre aux eaux adjacentes au Sahara occidental, car ils estimaient essentiellement que ces actes entérineraient la position du Royaume du Maroc sur le territoire du Sahara occidental. Cependant, rien dans les termes de l’accord de pêche ou de son protocole de mise en œuvre n’implique qu’il reconnaîtrait la souveraineté ou les droits souverains du Royaume du Maroc
sur le Sahara occidental et les eaux adjacentes. L’Union continuera également à intensifier ses efforts visant à soutenir le processus entamé et poursuivi sous l’égide des Nations unies en vue d’une résolution pacifique du différend. »
68 Conformément à l’article 17 de l’accord de pêche, cet accord, le protocole de mise en œuvre et l’échange de lettres sont entrés en vigueur le 18 juillet 2019 (JO 2019, L 195, p. 1).
69 Le protocole de mise en œuvre, qui régit les conditions d’accès aux zones de pêche adjacentes au territoire du Sahara occidental, a expiré quatre ans après sa date d’entrée en vigueur, à savoir le 17 juillet 2023.
La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué
70 Par requêtes enregistrées au greffe du Tribunal respectivement le 10 et le 12 juin 2019, le Front Polisario a introduit deux recours tendant respectivement, dans l’affaire T‑344/19, à l’annulation de la décision litigieuse et, dans l’affaire T‑356/19, pour le cas où le Tribunal aurait considéré que le règlement (UE) 2019/440 du Conseil, du 29 novembre 2018, relatif à la répartition des possibilités de pêche au titre de l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union
européenne et le Royaume du Maroc et de son protocole de mise en œuvre (JO 2019, L 77, p. 1), constitue une mesure intermédiaire faisant obstacle à ce que le Front Polisario puisse être regardé comme étant directement concerné par la décision litigieuse, à l’annulation de ce règlement.
71 Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a notamment annulé la décision litigieuse et a jugé que les effets de cette décision seraient maintenus pendant une période ne pouvant excéder le délai visé à l’article 56, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ou, si un pourvoi était introduit dans ce délai, jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Cour statuant sur ce pourvoi.
72 En premier lieu, le Tribunal a examiné les deux fins de non-recevoir soulevées, à titre principal, contre le recours tendant à l’annulation de la décision litigieuse, par le Conseil, soutenu par le Royaume d’Espagne, par la République française, par la Commission ainsi que par la Chambre des pêches maritimes de l’Atlantique Nord, la Chambre des pêches maritimes de l’Atlantique Centre et la Chambre des pêches maritimes de l’Atlantique Sud (ci-après, dénommées ensemble, les « CPMM »), tirées, pour
l’une, du défaut de capacité du Front Polisario d’ester en justice devant les juridictions de l’Union et, pour l’autre, de son défaut de qualité pour agir contre la décision litigieuse, et les a écartées, respectivement, aux points 132 à 159 et aux points 171 à 268 de l’arrêt attaqué.
73 En second lieu, après avoir rejeté le premier moyen d’annulation invoqué par le Front Polisario à l’appui de ses conclusions, tiré de l’incompétence du Conseil pour adopter la décision litigieuse, le Tribunal a examiné, aux points 276 à 364 de l’arrêt attaqué, le troisième moyen d’annulation, tiré, en substance, de la violation, par le Conseil, de son obligation de se conformer aux exigences déduites par la Cour du principe d’autodétermination et du principe de l’effet relatif des traités, telles
que précisées dans les arrêts du 21 décembre 2016, Conseil/Front Polisario (C‑104/16 P, EU:C:2016:973), et du 27 février 2018, Western Sahara Campaign UK (C‑266/16, EU:C:2018:118). Au point 364 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a conclu que, en adoptant la décision litigieuse, le Conseil n’avait pas suffisamment pris en compte tous les éléments pertinents relatifs à la situation du Sahara occidental et avait considéré, à tort, qu’il disposait d’une marge d’appréciation pour décider s’il y avait
lieu de se conformer à l’exigence selon laquelle le peuple de ce territoire devait exprimer son consentement à l’application de l’accord litigieux à celui-ci, en tant que tiers à cet accord, conformément à l’interprétation retenue par la Cour du principe de l’effet relatif des traités en lien avec le principe d’autodétermination.
La procédure devant la Cour et les conclusions des parties
74 Par décision du président de la Cour du 15 février 2022, les affaires C‑778/21 P et C‑798/21 P ont été jointes aux fins des phases écrite et orale de la procédure ainsi que de l’arrêt.
75 Par décisions du président de la Cour du 27 mai 2022, la Hongrie, la République portugaise et la République slovaque ont été admises à intervenir au soutien des conclusions du Conseil dans l’affaire C‑798/21 P.
76 Par décision du président de la Cour du 16 juin 2022, le Royaume de Belgique a également été admis à intervenir au soutien des conclusions du Conseil dans l’affaire C‑798/21 P. Toutefois, cet État membre n’a ultérieurement pas pris part à la phase écrite de la procédure.
77 Par son pourvoi, la Commission (affaire C‑778/21 P) demande à la Cour :
– d’annuler les points 1 et 2 du dispositif de l’arrêt attaqué ;
– de rejeter le recours introduit en première instance par le Front Polisario, ou, si la Cour considère que l’affaire n’est pas en état d’être jugée, de renvoyer l’affaire au Tribunal, et
– de condamner le Front Polisario aux entiers dépens dans les deux instances, y compris à ceux de la partie requérante au pourvoi.
78 Par son pourvoi, le Conseil (affaire C‑798/21 P) demande à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué en tant qu’il annule la décision litigieuse ;
– de statuer définitivement sur les questions faisant l’objet de son pourvoi et de rejeter le recours formé par le Front Polisario dans l’affaire T‑344/19 ;
– de condamner le Front Polisario aux dépens afférents au présent pourvoi et à l’affaire T‑344/19, et
– à titre subsidiaire, de maintenir les effets de la décision litigieuse pendant une période de douze mois à compter de la date du prononcé de l’arrêt à intervenir.
79 Le Front Polisario demande à la Cour :
– de rejeter les pourvois ;
– de condamner la Commission aux entiers dépens exposés par le Front Polisario dans le cadre de la présente affaire, et
– de condamner le Conseil aux entiers dépens exposés par le Front Polisario dans le cadre de la présente affaire et devant le Tribunal en première instance.
80 La République française demande à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué en tant qu’il annule la décision litigieuse ;
– de statuer définitivement sur les questions faisant l’objet des présents pourvois et de rejeter le recours du Front Polisario, ou, si la Cour considère que l’affaire n’est pas en état d’être jugée, de renvoyer l’affaire au Tribunal, et
– à titre subsidiaire, pour les motifs invoqués par le Conseil et la Commission, de maintenir les effets de la décision litigieuse pendant une durée de dix-huit mois à compter de la date du prononcé de l’arrêt à intervenir.
81 Les CPMM demandent à la Cour :
– d’annuler l’arrêt attaqué ;
– de déclarer le recours du Front Polisario irrecevable ou, à tout le moins, non fondé, et
– de décider que le Front Polisario soit condamné aux dépens.
82 Le Royaume d’Espagne demande à la Cour d’accueillir le pourvoi de la Commission dans l’affaire C‑778/21 P ainsi que celui du Conseil dans l’affaire C‑798/21 P. Le Royaume de Belgique, la Hongrie, la République portugaise et la République slovaque demandent à la Cour d’accueillir le pourvoi du Conseil.
Sur les pourvois
83 À l’appui de leurs pourvois, la Commission, requérante au pourvoi dans l’affaire C‑778/21 P, et le Conseil, requérant au pourvoi dans l’affaire C‑798/21 P, invoquent, respectivement, cinq et quatre moyens. Les trois premiers moyens du pourvoi dans l’affaire C‑778/21 P et les deux premiers moyens du pourvoi dans l’affaire C‑798/21 P sont tirés d’erreurs de droit commises par le Tribunal en ce qui concerne la recevabilité du recours introduit devant lui par le Front Polisario, tandis que les
quatrième et cinquième moyens du pourvoi dans l’affaire C‑778/21 P ainsi que les troisième et quatrième moyens du pourvoi dans l’affaire C‑798/21 P sont tirés d’erreurs de droit commises par le Tribunal dans le cadre de son examen du bien-fondé de ce recours.
Sur le premier moyen du pourvoi dans l’affaire C‑778/21 P et le premier moyen du pourvoi dans l’affaire C‑798/21 P, tirés du défaut de capacité d’ester en justice du Front Polisario
Argumentation des parties
84 Par leurs premiers moyens respectifs, le Conseil et la Commission reprochent au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en ayant reconnu au Front Polisario, aux points 142 à 158 de l’arrêt attaqué, la capacité d’ester devant le juge de l’Union.
85 Ces deux institutions, de même que la République française et les CPMM, soutiennent notamment, en substance, que le Front Polisario ne possède la personnalité juridique ni selon le droit international ni selon le droit de l’Union. En outre, elles s’opposent à ce que le principe de protection juridictionnelle effective puisse être invoqué afin de reconnaître au Front Polisario la capacité d’introduire un recours devant le Tribunal pour défendre le droit à l’autodétermination du peuple du Sahara
occidental, au risque de rendre recevable tout recours porté devant le juge de l’Union, en tant que juge « interne », alors même qu’un tel recours porterait sur un différend international, relevant du droit international et formé par un sujet de droit international, qui ne serait pas susceptible d’être porté devant un juge international. Selon le Conseil, le droit à une protection juridictionnelle effective n’implique pas un accès universel au juge de l’Union qui ferait abstraction des conditions
de recevabilité énoncées à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.
86 En outre, selon la Commission, si le Front Polisario participe, certes, à une « solution politique » de la question du statut définitif du territoire du Sahara occidental comme indiqué aux points 143 et 144 de l’arrêt attaqué, l’importance de la résolution 34/37 de l’Assemblée générale des Nations unies, citée par le Tribunal et mentionnée au point 33 du présent arrêt, devrait être mise en perspective. Cette résolution recommanderait certes la participation du Front Polisario en qualité de
« représentant » du peuple du Sahara occidental à la solution politique du conflit relatif à ce territoire. N’ayant pas de valeur contraignante, elle serait toutefois antérieure à l’émergence d’une certaine forme de représentativité locale de la population du Sahara occidental à travers des élections au suffrage universel direct. L’Union n’aurait jamais reconnu le Front Polisario autrement que comme l’une des « parties » à un processus de paix mené au niveau des Nations unies et la proportion
précise du peuple du Sahara occidental qui s’estimerait à ce jour représentée par celui-ci demeurerait assez incertaine.
87 Le Conseil estime que le Tribunal a commis une erreur de droit en retenant une interprétation extensive de la notion de « personne morale » au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, qui ne tient pas compte des limites du rôle et de la représentativité du Front Polisario en droit international, et en rejetant, au point 155 de l’arrêt attaqué et au point 103 de l’arrêt du 29 septembre 2021, Front Polisario/Conseil (T‑279/19, EU:T:2021:639), les arguments du Conseil à cet égard. Le Tribunal
aurait jugé à tort que la représentativité du Front Polisario dans le cadre du processus de résolution politique du différend au niveau des Nations unies justifiait l’octroi à celui-ci de la qualité de « personne morale » afin de lui permettre de contester la validité d’une décision concernant la conclusion d’un accord qui n’aurait pas d’incidence sur la résolution de ce différend. Le rôle du Front Polisario au niveau international se limiterait à sa capacité de participer, en tant que
représentant du peuple du Sahara occidental, aux négociations menées sous l’égide des Nations unies concernant le statut définitif du Sahara occidental conformément à la résolution 34/37 de l’Assemblée générale des Nations unies, mentionnée au point 33 du présent arrêt. Le fait que les institutions de l’Union reconnaissent l’existence d’un différend qui fait l’objet de négociations dans le cadre des Nations unies ne signifierait nullement que l’Union ou ses institutions reconnaissent le Front
Polisario comme étant leur interlocuteur, l’Union n’étant pas partie à ces négociations.
88 Le Front Polisario réfute cette argumentation.
Appréciation de la Cour
89 Ainsi que l’a rappelé, en substance, le Tribunal aux points 135 et 136 de l’arrêt attaqué, si, aux termes du quatrième alinéa de l’article 263 TFUE, toute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas de cet article, un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures
d’exécution, la Cour a toutefois déjà reconnu la capacité d’ester en justice devant les juridictions de l’Union à des entités indépendamment de la question de leur constitution en tant que personne morale en droit interne.
90 Comme l’a constaté le Tribunal au point 137 de l’arrêt attaqué, tel a été, notamment, le cas lorsque, d’une part, l’entité en cause disposait d’une représentativité suffisante à l’égard des personnes dont elle prétendait défendre les droits tirés du droit de l’Union ainsi que de l’autonomie et de la responsabilité nécessaires pour agir dans le cadre de rapports juridiques déterminés par ce droit et que, d’autre part, elle avait été reconnue par les institutions comme une interlocutrice lors de
négociations relatives à ces droits (voir, en ce sens, arrêts du 8 octobre 1974, Union syndicale – Service public européen e.a./Conseil, 175/73, EU:C:1974:95, points 9 à 17, ainsi que du 8 octobre 1974, Syndicat général du personnel des organismes européens/Commission, 18/74, EU:C:1974:96, points 5 à 13).
91 Tel a été également le cas, ainsi que le Tribunal l’a relevé au point 138 de l’arrêt attaqué, lorsque les institutions de l’Union avaient traité cette entité comme un sujet distinct, doté de droits et d’obligations propres. En effet, la cohérence et la justice imposent de reconnaître la capacité d’ester en justice d’une telle entité pour contester les mesures restreignant ses droits ou les décisions défavorables prises à son égard par les institutions (voir, en ce sens, arrêts du 28 octobre 1982,
Groupement des Agences de voyages/Commission, 135/81, EU:C:1982:371, points 9 à 11 ; du 18 janvier 2007, PKK et KNK/Conseil, C‑229/05 P, EU:C:2007:32, points 107 à 112, ainsi que du 15 juin 2017, Al-Faqih e.a./Commission, C‑19/16 P, EU:C:2017:466, point 40).
92 Le Tribunal a d’ailleurs rappelé à juste titre, au point 139 de l’arrêt attaqué, qu’il découle de la jurisprudence de la Cour que la notion de « personne morale », au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, ne saurait recevoir une interprétation restrictive [voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2021, Venezuela/Conseil (Affectation d’un État tiers), C‑872/19 P, EU:C:2021:507, point 44].
93 En l’espèce, il y a lieu de constater, à l’instar de Mme l’avocate générale au point 82 de ses conclusions dans les affaires jointes Commission/Front Polisario et Conseil/Front Polisario (C‑779/21 P et C‑799/21 P, EU:C:2024:260), que le Front Polisario est un mouvement de libération autoproclamé qui a été créé dans le but de lutter pour un type particulier de modèle de gouvernance futur du territoire non autonome du Sahara occidental, à savoir celui de l’indépendance de ce territoire,
actuellement à l’égard du Royaume du Maroc, et de la création d’un État sahraoui souverain. Ce mouvement cherche ainsi à établir, dans le cadre de l’exercice du droit à l’autodétermination du peuple du territoire non autonome du Sahara occidental, un État indépendant.
94 Dans la mesure où ledit mouvement cherche précisément, en se fondant sur le droit à l’autodétermination du peuple du Sahara occidental, à établir un ordre juridique étatique pour ce territoire, il ne saurait être exigé, afin de lui reconnaître la capacité d’ester en justice devant les juridictions de l’Union, qu’il soit constitué en tant que personne morale conformément à un ordre juridique national particulier.
95 Par ailleurs, le Front Polisario est l’un des interlocuteurs légitimes dans le cadre du processus mené, en vue de la détermination du futur du Sahara occidental, sous l’égide du Conseil de sécurité des Nations unies, visé au point 35 du présent arrêt et dont des décisions lient tous les États membres et les institutions de l’Union, et ce en dépit du fait qu’il ne s’est jamais vu attribuer le statut de « mouvement de libération nationale » par les Nations unies ou par l’Union et ses États membres.
96 Il en résulte que le Front Polisario, qui participe également à divers forums internationaux, notamment africains, et entretient des rapports juridiques bilatéraux au niveau international, a une existence juridique suffisante pour pouvoir ester en justice devant les juridictions de l’Union.
97 Quant à la question de savoir si cette entité peut légitimement représenter les intérêts du peuple du Sahara occidental, cette question concerne sa qualité pour agir dans le cadre d’un recours en annulation dirigé contre la décision litigieuse, et non pas sa capacité d’ester devant le juge de l’Union.
98 Enfin, l’argumentation relative à l’absence de reconnaissance de la personnalité juridique du Front Polisario dans les ordres juridiques des États membres ou au fait qu’aucune juridiction d’un État membre n’a reconnu sa capacité d’ester en justice est inopérante. En effet, comme l’a relevé le Tribunal, au point 136 de l’arrêt attaqué, si la notion de « personne morale » qui figure à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE implique, en principe, l’existence de la personnalité juridique, qui doit
être vérifiée au regard du droit national en vertu duquel la personne morale en question a été constituée, elle ne coïncide pas nécessairement avec celles propres aux différents ordres juridiques des États membres. Il convient également de relever, à cet égard, que la Cour a reconnu qu’un État tiers, en tant qu’État doté de la personnalité juridique internationale, devait être considéré comme une « personne morale », au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE [voir, en ce sens, arrêt du
22 juin 2021, Venezuela/Conseil (Affectation d’un État tiers), C‑872/19 P, EU:C:2021:507, point 53].
99 Eu égard aux considérations qui précèdent, le Tribunal a pu, sans commettre d’erreur de droit, conclure que le Front Polisario avait la capacité d’ester en justice devant les juridictions de l’Union, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.
100 Par conséquent, le premier moyen du pourvoi dans l’affaire C‑778/21 P et le premier moyen du pourvoi dans l’affaire C‑798/21 P doivent être rejetés comme étant non fondés.
Sur les deuxième et troisième moyens du pourvoi dans l’affaire C‑778/21 P et le deuxième moyen du pourvoi dans l’affaire C‑798/21 P, tirés de la circonstance que le Front Polisario ne serait pas directement et individuellement concerné par la décision litigieuse
101 La Commission, par les deuxième et troisième moyens du pourvoi dans l’affaire C‑778/21 P, et le Conseil, par les première et seconde branches du deuxième moyen du pourvoi dans l’affaire C‑798/21 P, font valoir que le Tribunal a considéré à tort, au point 259 de l’arrêt attaqué, que le Front Polisario était directement concerné par la décision litigieuse, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, et, au point 268 de l’arrêt attaqué, qu’il était individuellement concerné par cette
décision, au sens de cette disposition.
Sur le deuxième moyen du pourvoi dans l’affaire C‑778/21 P et la première branche du deuxième moyen du pourvoi dans l’affaire C‑798/21 P, tirés de la circonstance que le Front Polisario ne serait pas directement concerné par la décision litigieuse
– Argumentation des parties
102 Le Conseil et la Commission soutiennent que le Tribunal a conclu à tort, au point 259 de l’arrêt attaqué, que le Front Polisario était directement concerné par la décision litigieuse.
103 La Commission soutient notamment que le Tribunal a méconnu le droit de l’Union en jugeant que certains effets de la décision litigieuse et de l’accord litigieux remplissaient les conditions permettant de constater que le Front Polisario était directement concerné par la décision litigieuse, alors que l’accord litigieux, que cette décision avait pour objet d’approuver au nom de l’Union, se limiterait à donner un accès aux eaux adjacentes au Sahara occidental en échange d’une contrepartie
financière qui comprend une compensation relative à l’accès, les redevances versées par les armateurs et un appui sectoriel tout en prenant soin de reconnaître le statut séparé de ce territoire et en laissant entièrement ouverte l’issue du processus mené au niveau des Nations unies portant sur ledit territoire non autonome.
104 Le raisonnement du Tribunal pour rejeter, aux points 197 à 235 de l’arrêt attaqué, les arguments des institutions viserait en réalité à établir non pas que le Front Polisario est directement concerné par la décision litigieuse, mais plutôt que l’accord litigieux est applicable au territoire du Sahara occidental ainsi qu’aux eaux adjacentes à celui-ci et est donc susceptible d’affecter le peuple du Sahara occidental. Le Tribunal aurait commis une erreur de droit aux points 201 à 216 de l’arrêt
attaqué, ainsi qu’aux points 255 à 258 de celui-ci, puisque, pour qu’il y ait une exploitation de ressources ou une utilisation de la contrepartie financière, certaines mesures seraient nécessaires. À défaut, aucune exploitation de ces ressources et aucune contrepartie financière ne bénéficierait au Sahara occidental. Le simple fait que les mesures de mise en œuvre de l’accord litigieux soient encadrées par celui-ci n’impliquerait pas que la position juridique du peuple du Sahara occidental soit
directement modifiée. Le point 217 de l’arrêt attaqué serait aussi entaché d’une erreur de droit, puisque les opérateurs ne seraient pas concernés directement par l’accord litigieux, sans l’adoption d’une série de mesures par les organes compétents.
105 Le Conseil ajoute notamment que la conclusion, figurant au point 196 de l’arrêt attaqué, selon laquelle, au regard de la nature d’une décision concernant la conclusion d’un accord international et de ses effets juridiques propres, l’existence d’effets directs de la décision litigieuse sur la situation juridique du Front Polisario, en raison du contenu de l’accord litigieux, ne saurait être écartée d’emblée est fondée sur des motifs entachés d’erreurs de droit.
106 Le Tribunal aurait jugé à tort, aux points 184 et 192 de l’arrêt attaqué, qu’une décision concernant la conclusion d’un accord international est un élément constitutif de cet accord et produit des effets juridiques à l’égard des autres parties « en tant qu’elle formalise l’acceptation par l’Union des engagements envers celles-ci ». La décision litigieuse ne produirait pas d’effets juridiques à l’extérieur de l’ordre juridique interne de l’Union. Par celle-ci, l’Union exprimerait son consentement
dans l’ordre juridique interne de l’Union, contrairement à ce qu’aurait considéré le Tribunal au point 192 de l’arrêt attaqué.
107 Ce serait l’acte de notification par l’Union, expressément mentionné tant à l’article 17 de l’accord de pêche et à l’article 15 du protocole de mise en œuvre qu’à l’article 2 de la décision litigieuse, que le Front Polisario aurait dû attaquer devant le Tribunal – et ce à supposer que toutes les conditions de recevabilité soient remplies. Le Conseil conteste au demeurant que ces conditions soient satisfaites en l’espèce.
108 Le Conseil conteste également la conclusion du Tribunal, au point 250 de l’arrêt attaqué, selon laquelle, dans la mesure où la conclusion de l’accord litigieux affecte le peuple du Sahara occidental et doit recueillir son consentement, la décision litigieuse produirait des effets directs sur la situation juridique du Front Polisario en tant que représentant de ce peuple.
109 La République française estime que le Tribunal a commis une première série d’erreurs de droit relatives aux effets juridiques d’une décision du Conseil portant conclusion d’un accord international. Elle souligne, à l’instar du Conseil, que, si la conclusion, figurant au point 184 de l’arrêt attaqué, selon laquelle une décision concernant la conclusion d’un accord international matérialise le consentement de l’Union à être liée par cet accord est exacte dans l’ordre juridique de l’Union, seule la
notification de l’achèvement des procédures internes à la partie concernée exprime toutefois, sur le plan international, le consentement à être lié par un accord. Par ailleurs, le Tribunal aurait commis une seconde série d’erreurs de droit en prétendant que la situation juridique du Front Polisario est modifiée directement par l’accord litigieux lui-même.
110 De même, les CPMM soutiennent, en premier lieu, les arguments du Conseil en ce qui concerne les erreurs de droit qu’aurait commises le Tribunal aux points 185 à 190 de l’arrêt attaqué, dès lors que la décision de conclure un traité n’impliquerait pas l’entrée en vigueur de celui-ci. Par ailleurs, le principe de protection juridictionnelle effective n’aurait pas vocation à étendre les droits d’action d’un requérant non européen pour défendre des droits collectifs issus du droit international. En
second lieu, en considérant que le Front Polisario était affecté « directement » par la décision litigieuse, le Tribunal aurait confondu le Front Polisario avec le peuple du Sahara occidental.
111 Le Front Polisario réfute cette argumentation.
– Appréciation de la Cour
112 Ainsi qu’il a été rappelé au point 89 du présent arrêt, aux termes du quatrième alinéa de l’article 263 TFUE, toute personne physique ou morale peut former, dans les conditions prévues aux premier et deuxième alinéas de cet article, un recours contre les actes dont elle est le destinataire ou qui la concernent directement et individuellement, ainsi que contre les actes réglementaires qui la concernent directement et qui ne comportent pas de mesures d’exécution.
113 Comme l’a rappelé le Tribunal au point 179 de l’arrêt attaqué, selon une jurisprudence constante, la condition selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par la décision faisant l’objet de son recours requiert que deux conditions soient cumulativement satisfaites, à savoir que la mesure contestée, d’une part, produise directement des effets sur la situation juridique de cette personne et, d’autre part, ne laisse aucun pouvoir d’appréciation aux destinataires
chargés de sa mise en œuvre, celle-ci ayant un caractère purement automatique et découlant de la seule réglementation de l’Union, sans application d’autres règles intermédiaires (voir, en ce sens, arrêts du 6 novembre 2018, Scuola Elementare Maria Montessori/Commission, Commission/Scuola Elementare Maria Montessori et Commission/Ferracci, C‑622/16 P à C‑624/16 P, EU:C:2018:873, point 42 et jurisprudence citée, ainsi que du 12 juillet 2022, Nord Stream 2/Parlement et Conseil, C‑348/20 P,
EU:C:2022:548, point 43 ainsi que jurisprudence citée).
114 En l’espèce, par son recours en annulation devant le Tribunal, le Front Polisario visait à faire protéger le droit à l’autodétermination du peuple du Sahara occidental, déjà reconnu par la Cour aux points 88, 91 et 105 de l’arrêt du 21 décembre 2016, Conseil/Front Polisario (C‑104/16 P, EU:C:2016:973). Or, c’est à l’aune des effets de la décision litigieuse et, partant, de l’accord litigieux sur la situation juridique de ce peuple, représenté aux fins des présentes affaires par le Front
Polisario, qu’il y a lieu d’examiner si ce dernier est directement concerné par cette décision, au sens de la jurisprudence rappelée au point précédent du présent arrêt.
115 En effet, tout en n’ayant pas été officiellement reconnu comme étant le représentant exclusif du peuple du Sahara occidental, le Front Polisario est, conformément aux résolutions des plus hautes instances des Nations unies, dont celles du Conseil de sécurité des Nations unies visées au point 35 du présent arrêt, un interlocuteur privilégié dans le cadre du processus mené sous l’égide des Nations unies, en vue de la détermination du futur statut du Sahara occidental. Il participe également à
d’autres forums internationaux afin de défendre le droit à l’autodétermination dudit peuple.
116 Ces circonstances particulières permettent de considérer que le Front Polisario peut contester devant le juge de l’Union la légalité d’un acte de l’Union qui produit directement des effets sur la situation juridique du peuple du Sahara occidental en sa qualité de titulaire du droit à l’autodétermination lorsque ledit acte concerne individuellement ce peuple ou, s’agissant d’un acte réglementaire, ne comporte pas de mesures d’exécution.
117 Dans de telles circonstances, la condition, prévue à l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, selon laquelle une personne physique ou morale doit être directement concernée par la décision faisant l’objet de son recours doit être appréciée, en tenant compte de l’article 73 de la charte des Nations unies et du principe de protection juridictionnelle effective, par rapport à la situation juridique du peuple du Sahara occidental, représenté aux fins des présentes affaires par le Front Polisario.
118 En l’espèce, la décision litigieuse et, par extension, l’accord litigieux satisfont, par l’incidence qu’ils ont sur le droit du peuple du Sahara occidental à l’autodétermination, aux conditions rappelées au point 113 du présent arrêt (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Conseil/Front Polisario, C‑104/16 P, EU:C:2016:973, point 106).
119 En effet, d’une part, cette décision a pour objet la conclusion d’un accord international dont l’application est prévue dans les eaux adjacentes à un territoire à l’égard duquel le peuple du Sahara occidental possède le droit à l’autodétermination. Elle a donc nécessairement une incidence sur des droits dont ce peuple dispose à l’égard de ce territoire, y compris celui d’exploiter les richesses naturelles de celui-ci découlant de l’article 73 de la charte des Nations unies et du principe de
droit coutumier international de souveraineté permanente sur les ressources naturelles [voir, en ce sens, CIJ, affaire des Activités armées sur le territoire du Congo (République démocratique du Congo c. Ouganda), arrêt du 19 décembre 2005, Recueil 2005, p. 168, point 244].
120 En particulier, bien que l’Union ne reconnaisse pas, par l’accord litigieux, les prétentions du Royaume du Maroc en ce qui concerne la souveraineté sur le territoire du Sahara occidental, cet accord reconnaît néanmoins des effets juridiques, en droit de l’Union, à des actes accomplis sur ce territoire non autonome par les autorités compétentes du Royaume du Maroc s’agissant de la « zone de pêche », au sens dudit accord, qui, comme l’a relevé le Tribunal au point 111 de l’arrêt attaqué, est
définie à l’article 1er, sous h), de celui-ci comme couvrant tant les eaux relevant de la souveraineté ou de la juridiction du Royaume du Maroc que les eaux adjacentes au Sahara occidental. En outre, l’instauration d’un régime conventionnel établissant un droit inconditionnel à une contrepartie financière relative à l’accès des navires de l’Union à la zone de pêche comprenant les eaux adjacentes au Sahara occidental, perçue par un sujet de droit international autre que le peuple du territoire
non autonome concerné, et non pas au nom et au profit de ce dernier, concerne directement ce peuple en ce qu’il porte atteinte à sa souveraineté sur les ressources naturelles dudit territoire.
121 En effet, le Sahara occidental étant un territoire non autonome, l’exploitation de ses richesses naturelles relève de l’article 73 de la charte des Nations unies et du principe de souveraineté permanente sur les ressources naturelles. À cet égard, la résolution III de l’acte final de la troisième conférence des Nations unies sur le droit de la mer, mentionnée au point 11 du présent arrêt, prévoit que, « dans le cas d’un territoire dont le peuple n’a pas accédé à la pleine indépendance ou à un
autre régime d’autonomie reconnu par les Nations unies, ou d’un territoire sous domination coloniale, les dispositions relatives à des droits ou intérêts visés dans la [convention des Nations unies sur le droit de la mer] sont appliquées au profit du peuple de ce territoire dans le but de promouvoir sa prospérité et son développement ». Dans ce contexte, l’exploitation de ressources naturelles d’un territoire non autonome, y compris l’exploitation halieutique des eaux adjacentes à ce territoire,
doit bénéficier à son peuple.
122 Le fait, soulevé par les CPMM, que l’accord litigieux ne lierait pas le Sahara occidental, dans l’hypothèse où celui-ci deviendrait indépendant, ou que cet accord soit, en tout état de cause, inopposable au Sahara occidental ou au Front Polisario ne remet pas en cause l’appréciation selon laquelle le peuple du Sahara occidental est directement concerné par la décision litigieuse et, par extension, par l’accord litigieux, dans la mesure où les droits des peuples des territoires non autonomes
existent, en vertu de la charte des Nations unies, de la convention des Nations unies sur le droit de la mer et du droit international coutumier, avant même l’exercice de leur droit à l’autodétermination.
123 D’autre part, après l’entrée en vigueur de l’accord litigieux, l’Union a l’obligation de reconnaître la validité des décisions sur les autorisations de pêche octroyées par les autorités marocaines s’agissant des eaux adjacentes au Sahara occidental. À cet égard, selon l’article 5 de l’accord de pêche, les navires de l’Union ne peuvent exercer des activités de pêche dans la zone de pêche couverte par cet accord que s’ils détiennent une autorisation de pêche délivrée dans le cadre de celui-ci et
les autorités du Royaume du Maroc ne délivrent des autorisations de pêche aux navires de l’Union que dans le cadre dudit accord.
124 Dans le cadre de l’accord litigieux, la procédure permettant d’obtenir une autorisation de pêche pour un navire de l’Union est définie dans le protocole de mise en œuvre, dont l’annexe prévoit que les autorités de l’Union soumettent, au département de la pêche maritime du ministère de l’Agriculture, de la Pêche maritime, du Développement rural et des Eaux et Forêts du Royaume du Maroc, les listes des navires de l’Union qui demandent à exercer leurs activités de pêche dans la zone de pêche
comprenant les eaux adjacentes du Sahara occidental.
125 Ce régime lie l’Union, sans qu’il soit besoin d’adopter un quelconque acte supplémentaire à la décision litigieuse qui impliquerait un pouvoir d’appréciation pour les autorités chargées de la mise en œuvre dudit accord, celle-ci ayant, dans cette mesure, un caractère purement automatique.
126 Dans ce contexte, il convient de rejeter l’argumentation du Conseil et de la République française, dirigée contre les points 184 et 192 de l’arrêt attaqué, selon laquelle le recours du Front Polisario devant le Tribunal aurait dû être dirigé non pas contre la décision portant sur la conclusion de l’accord litigieux, mais contre l’acte de notification par l’Union au Royaume du Maroc de l’approbation par celle-ci de cet accord.
127 En effet, la décision concernant la conclusion d’un accord international constitue un acte définitif dans l’ordre juridique interne de l’Union, exprimant la volonté de l’Union d’être liée par cet accord [voir, en ce sens, avis 2/00 (Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques), du 6 décembre 2001, EU:C:2001:664, point 5]. Cette décision constitue, selon une jurisprudence constante, un acte attaquable, la Cour n’étant pas compétente pour annuler un accord international
(voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2018, Western Sahara Campaign UK, C‑266/16, EU:C:2018:118, points 45 à 51). En revanche, la notification de l’approbation d’un tel accord à l’autre partie contractante constitue une mesure d’exécution qui, en principe, doit être considérée comme étant un acte qui n’est pas attaquable.
128 Eu égard aux considérations qui précèdent, le Tribunal a jugé à bon droit, au point 259 de l’arrêt attaqué, que le Front Polisario était directement concerné par la décision litigieuse.
129 Par conséquent, le deuxième moyen du pourvoi dans l’affaire C‑778/21 P et la première branche du deuxième moyen du pourvoi dans l’affaire C‑798/21 P doivent être rejetés comme étant non fondés.
Sur le troisième moyen du pourvoi dans l’affaire C‑778/21 P et la seconde branche du deuxième moyen du pourvoi dans l’affaire C‑798/21 P, tirés de la circonstance que le Front Polisario ne serait pas individuellement concerné par la décision litigieuse
– Argumentation des parties
130 Le Conseil et la Commission, de même que la République française et les CPMM, estiment que le Tribunal a conclu à tort, au point 268 de l’arrêt attaqué, que le Front Polisario était individuellement concerné par la décision litigieuse.
131 La Commission relève notamment que, au point 265 de l’arrêt attaqué, le Tribunal se limite à renvoyer aux développements relatifs à la condition portant sur le point de savoir si le Front Polisario était directement concerné par la décision litigieuse, lesquels, ainsi qu’elle l’a fait valoir dans le cadre du deuxième moyen du pourvoi dans l’affaire C‑779/21 P, seraient entachés d’erreurs de droit. De même, le Conseil fait valoir que le Tribunal a commis des erreurs de droit viciant également la
conclusion selon laquelle le Front Polisario est individuellement concerné par la décision litigieuse.
132 Par ailleurs, le Conseil et la Commission contestent tous deux le rejet par le Tribunal, au point 266 de l’arrêt attaqué, de la pertinence de l’arrêt du 10 avril 2003, Commission/Nederlandse Antillen (C‑142/00 P, EU:C:2003:217), dans lequel la Cour aurait considéré que l’intérêt général qu’un pays ou qu’un territoire d’outre-mer (PTOM), en tant qu’entité compétente pour les questions d’ordre économique et social sur son territoire, peut avoir à obtenir un résultat favorable pour la prospérité
économique de ce dernier ne saurait, à lui seul, suffire pour le considérer comme étant individuellement concerné, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.
133 La Commission souligne à cet égard que la différence opérée par le Tribunal entre la situation en cause dans cet arrêt et celle en cause en l’espèce est artificielle et erronée en droit, la mesure contestée dans ledit arrêt ne concernant que les PTOM, dont certains sont ou étaient des territoires non autonomes. Il ne saurait être admis que le gouvernement des Antilles néerlandaises ne soit pas recevable à attaquer un acte de l’Union qui concerne économiquement son territoire, alors que le Front
Polisario le serait, sauf à considérer que des mouvements qui visent l’indépendance d’un territoire, ou qui sont en conflit avec un État, disposeraient de plus de garanties que des gouvernements régionaux.
134 Le Conseil estime, pour sa part, que les motifs retenus par le Tribunal ne répondent pas à l’argument qu’il avait tiré de l’arrêt du 10 avril 2003, Commission/Nederlandse Antillen (C‑142/00 P, EU:C:2003:217), rappelant qu’il avait fait valoir, dans son mémoire en duplique devant le Tribunal, qu’il découlait de cet arrêt que, même en supposant que le Front Polisario soit une entité compétente pour les questions économiques concernant le Sahara occidental, quod non, cette qualité ne suffirait pas
pour qu’il puisse être considéré comme étant concerné individuellement par l’accord litigieux.
135 Le Front Polisario réfute cette argumentation.
– Appréciation de la Cour
136 Il est de jurisprudence constante que les sujets autres que les destinataires d’une décision ne peuvent prétendre être concernés individuellement, au sens de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE, que si l’acte dont l’annulation est demandée les atteint en raison de certaines qualités qui leur sont particulières ou d’une situation de fait qui les caractérise par rapport à toute autre personne et, de ce fait, les individualise d’une manière analogue à celle d’un destinataire (arrêt du 18 octobre
2018, Internacional de Productos Metálicos/Commission, C‑145/17 P, EU:C:2018:839, point 34 et jurisprudence citée).
137 Eu égard aux considérations figurant aux points 114 à 118 du présent arrêt, il convient de constater que le peuple du Sahara occidental, représenté dans les présentes affaires par le Front Polisario, est individuellement concerné par la décision litigieuse dans la mesure où une inclusion expresse du territoire du Sahara occidental dans le champ d’application de l’accord litigieux, qui lie l’Union en vertu de la décision litigieuse, modifie la situation juridique de ce peuple en raison de sa
qualité de titulaire du droit à l’autodétermination par rapport à ce territoire. En effet, cette qualité le caractérise par rapport à toute autre personne ou entité, y compris par rapport à tout autre sujet de droit international.
138 L’argumentation de la Commission et du Conseil relative à l’arrêt du 10 avril 2003, Commission/Nederlandse Antillen (C‑142/00 P, EU:C:2003:217), dans lequel la Cour a considéré que l’intérêt général qu’un PTOM, en tant qu’entité compétente pour les questions d’ordre économique et social sur son territoire, peut avoir à obtenir un résultat favorable pour la prospérité économique de ce dernier ne saurait, à lui seul, suffire pour le considérer comme étant concerné, au sens de l’article 173,
quatrième alinéa, du traité CE (devenu article 263, quatrième alinéa, TFUE), doit être écartée. En effet, le Tribunal a fondé l’appréciation selon laquelle le Front Polisario est individuellement concerné par la décision litigieuse et, par extension, par l’accord litigieux, non pas sur les effets économiques de cet accord, mais plutôt sur la circonstance que cette organisation représente le peuple du Sahara occidental en tant que titulaire du droit à l’autodétermination par rapport à ce
territoire.
139 Par conséquent, le troisième moyen du pourvoi dans l’affaire C‑778/21 P doit être rejeté comme étant non fondé. De même, il y a lieu d’écarter la seconde branche du deuxième moyen du pourvoi dans l’affaire C‑798/21 P comme étant non fondée et, partant, de rejeter ce moyen dans son intégralité.
Sur le quatrième moyen du pourvoi dans l’affaire C‑778/21 P et le quatrième moyen du pourvoi dans l’affaire C‑798/21 P, tirés d’erreurs de droit quant à la portée du contrôle juridictionnel et au consentement du peuple du Sahara occidental à l’accord litigieux
Argumentation des parties
140 Par leurs quatrièmes moyens respectifs, le Conseil et la Commission reprochent au Tribunal d’avoir commis une série d’erreurs de droit liées à une interprétation et à une application erronées du droit international, à l’étendue de la marge d’appréciation du Conseil en matière de relations extérieures, notamment en ce qui concerne l’exigence du consentement du peuple du Sahara occidental en l’espèce, à la violation de la foi due aux actes, à la dénaturation de l’argumentation du Conseil et à la
violation de l’article 36 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lu en combinaison avec l’article 53, premier alinéa, de celui-ci.
141 La Commission fait valoir que, aux points 304 à 365 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a accordé, en violation du droit de l’Union, un effet absolu et extrême au principe de l’effet relatif des traités, lu ensemble avec le droit à l’autodétermination, en interprétant de manière erronée l’arrêt du 21 décembre 2016, Conseil/Front Polisario (C‑104/16 P, EU:C:2016:973), et en méconnaissant la jurisprudence portant sur la marge d’appréciation dont dispose le Conseil en matière de relations extérieures,
en particulier concernant le droit coutumier international.
142 Selon la Commission, ces erreurs s’articulent autour de quatre griefs principaux, à savoir, premièrement, des erreurs de droit quant à la portée du contrôle juridictionnel, à la marge d’appréciation des institutions et à la nécessité d’établir l’existence d’une erreur manifeste en vue de constater l’invalidité de la décision litigieuse du fait de sa prétendue incompatibilité avec des règles du droit international, deuxièmement, des erreurs de droit tirées de l’absence, dans le contexte
particulier de l’affaire, d’une exigence d’un consentement du peuple du Sahara occidental, troisièmement, même à supposer qu’un tel consentement du peuple du Sahara occidental soit nécessaire pour confirmer la validité de la décision litigieuse, des erreurs de droit en ce que la notion de « consentement » retenue par le Tribunal est trop stricte, et, quatrièmement, des erreurs de droit tirées de l’identification du Front Polisario en tant qu’entité à laquelle il incomberait d’exprimer un tel
consentement, compte tenu de son statut et de sa représentativité limités. La Commission fait valoir, dans le cadre de ces quatre griefs, que le Tribunal n’a pas déterminé correctement le droit coutumier international, alors qu’il y était tenu dans le cadre de la présente affaire.
143 La Commission relève que toute décision portant conclusion d’un accord avec un pays tiers implique d’apprécier, dans le respect des principes et des objectifs de l’action extérieure énoncés à l’article 21 TUE, les intérêts de l’Union dans le cadre des relations avec le pays tiers concerné et d’opérer des arbitrages entre les intérêts divergents relevant de ces relations. Le Conseil disposerait d’une large marge d’appréciation pour mettre en balance l’objectif de promouvoir l’universalité et
l’indivisibilité des droits de l’homme avec les autres objectifs sur lesquels repose l’action de l’Union sur la scène internationale et les autres intérêts de l’Union. Le contrôle juridictionnel à cet égard devrait nécessairement se limiter au point de savoir si les institutions de l’Union, en adoptant l’acte en cause, ont commis des erreurs manifestes d’appréciation quant aux conditions d’application de ces principes.
144 Or, le Tribunal aurait réduit à néant la marge d’appréciation du Conseil en accordant une valeur absolue à la condition de consentement exprès du Front Polisario, dont la base en droit international public ne serait pas établie. Il aurait méconnu l’ampleur et la diversité des objectifs à prendre en considération par le Conseil dans le cadre de l’article 21 TUE, en ne faisant aucune référence à cet article. Ce faisant, le Tribunal aurait excédé la portée de son contrôle juridictionnel.
145 Le Tribunal aurait, à cet égard, mal interprété les conséquences à tirer de l’arrêt du 21 décembre 2016, Conseil/Front Polisario (C‑104/16 P, EU:C:2016:973). Il ne pourrait être déduit du droit à l’autodétermination du Sahara occidental, confirmé dans cet arrêt, une exigence de consentement exprès du peuple de ce territoire par l’unique intermédiaire du Front Polisario pour qu’un accord international, conclu par l’Union avec un État agissant sur ledit territoire en tant que puissance
administrante et ayant la compétence pour ce faire, puisse couvrir un tel territoire.
146 La notion de « peuple » et la notion de « consentement » en l’espèce devraient tenir compte du contexte juridique et factuel ayant entouré l’adoption de la décision litigieuse et la conclusion de l’accord litigieux, dont il découlerait que la solution finalement retenue est conforme à l’ensemble des règles de droit international applicables, notamment à l’article 73 de la charte des Nations unies visant à promouvoir la prospérité des habitants des territoires non autonomes, ainsi qu’à
l’article 21, paragraphe 2, sous d) et e), TUE. Si le point 310 de l’arrêt attaqué, qui se réfère aux points 311 et 312 de l’arrêt du 29 septembre 2021, Front Polisario/Conseil (T‑279/19, EU:T:2021:639), confirmerait que le droit applicable aux territoires non autonomes reste à ce jour indéterminé à certains égards, la Commission relève que, à partir de ce point de l’arrêt attaqué, le Tribunal a par la suite commis une série d’erreurs, résumées aux points 141, 142, 144 et 145 du présent arrêt.
147 Le Conseil soutient que, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal au point 364 de l’arrêt attaqué, les consultations menées par les autorités marocaines, d’une part, et par la Commission et le SEAE, d’autre part, ont permis de recueillir le consentement du peuple du Sahara occidental. Il estime que ce point, ainsi que les points 307 à 363 de l’arrêt attaqué, qui soutiennent la conclusion énoncée audit point 364, sont entachés d’erreurs de droit, dès lors que le Tribunal s’est mépris quant à la
teneur de la notion de « consentement » d’un peuple d’un territoire non autonome, voire quant à la nécessité d’obtenir ce consentement, et qu’il a, par ailleurs, violé la foi due aux écrits du Conseil ou dénaturé l’argumentation qu’il a présentée. Le Tribunal aurait également violé son obligation de motivation.
148 Le Front Polisario conclut au rejet de ces moyens.
Appréciation de la Cour
– Observations liminaires
149 Ainsi qu’il ressort du point 276 de l’arrêt attaqué, le Front Polisario a soutenu, dans le cadre du troisième moyen de son recours devant le Tribunal, que, en concluant avec le Royaume du Maroc un accord international explicitement applicable au territoire du Sahara occidental et aux eaux adjacentes à celui-ci sans son consentement, le Conseil avait méconnu l’obligation d’exécution des arrêts de la Cour qui découle de l’article 266 TFUE. La Cour aurait en effet considéré que l’inclusion
implicite de ce territoire dans le champ d’application des accords conclus entre l’Union et le Royaume du Maroc était, en vertu du principe d’autodétermination et du principe de l’effet relatif des traités, juridiquement impossible. Il s’ensuivrait que, à plus forte raison, une application explicite de tels accords audit territoire était exclue. Le Front Polisario faisait valoir, en particulier, que la conclusion de l’accord litigieux était contraire à la jurisprudence en ce qu’elle ne
respectait pas le statut séparé et distinct du Sahara occidental ainsi que l’exigence du consentement du peuple de ce territoire.
150 Ainsi que l’a constaté le Tribunal au point 295 de l’arrêt attaqué, ce moyen comportait, en substance, trois branches, tirées, la première, de l’impossibilité, pour l’Union et le Royaume du Maroc, de conclure un accord applicable au Sahara occidental, la deuxième, de la violation du statut séparé et distinct de ce territoire, en méconnaissance du principe d’autodétermination, et, la troisième, de la violation de l’exigence du consentement du peuple dudit territoire, en tant que tiers à l’accord
litigieux, au sens du principe de l’effet relatif des traités.
151 Le Tribunal a rejeté la première branche du troisième moyen, mais a accueilli la troisième branche de ce moyen. Il a ainsi estimé qu’il y avait lieu, sans qu’il soit besoin d’examiner la deuxième branche dudit moyen et les autres moyens du recours, d’annuler la décision litigieuse.
152 Le Tribunal a résumé comme suit, au point 364 de l’arrêt attaqué, son raisonnement en réponse à la troisième branche du troisième moyen du recours du Front Polisario :
« [...] en adoptant la décision [litigieuse], le Conseil n’a pas suffisamment pris en compte tous les éléments pertinents relatifs à la situation du Sahara occidental et a considéré, à tort, qu’il disposait d’une marge d’appréciation pour décider s’il y avait lieu de se conformer à l’exigence selon laquelle le peuple de ce territoire devait exprimer son consentement à l’application de l’accord litigieux à celui‑ci, en tant que tiers audit accord, conformément à l’interprétation retenue par la
Cour du principe de l’effet relatif des traités en lien avec le principe d’autodétermination. En particulier, premièrement, le Conseil a considéré erronément que la situation actuelle [dudit] territoire ne permettait pas de s’assurer de l’existence du consentement dudit peuple et, en particulier, par l’intermédiaire du [Front Polisario]. Deuxièmement, en considérant que les consultations menées par la Commission et par le SEAE avaient permis de se conformer au principe de l’effet relatif des
traités tel qu’interprété par la Cour, en particulier au point 106 de l’arrêt [du 21 décembre 2016, Conseil/Front Polisario (C‑104/16 P, EU:C:2016:973)], le Conseil s’est mépris tant sur la portée de ces consultations que sur celle de l’exigence énoncée à ce point. Troisièmement, le Conseil a considéré, à tort, qu’il pouvait substituer à cette exigence les critères prétendument énoncés par la lettre du 29 janvier 2002 du [conseiller juridique, secrétaire général adjoint aux affaires juridiques
de l’Organisation des Nations unies (ci-après la « lettre du 29 janvier 2002 du conseiller juridique de l’Organisation des Nations unies »)]. »
153 Il convient d’examiner, dans un premier temps, les griefs des parties requérantes concernant le consentement du peuple du Sahara occidental par la voie de consultations des représentants des populations du Sahara occidental ainsi que la portée du contrôle juridictionnel de la décision litigieuse et, par extension, de l’accord litigieux s’agissant dudit consentement, en ce compris leur argumentation concernant la portée de la lettre du 29 janvier 2002 du conseiller juridique de l’Organisation des
Nations unies. Dans un second temps, il y a lieu d’examiner leurs griefs concernant la nécessité d’un tel consentement et l’identification du Front Polisario comme entité à laquelle il incomberait d’exprimer ce consentement.
– Sur les griefs concernant le consentement du peuple du Sahara occidental par la voie des consultations des représentants des populations du Sahara occidental et la portée du contrôle juridictionnel de la décision litigieuse
154 Il y a lieu de rappeler que, au point 106 de l’arrêt du 21 décembre 2016, Conseil/Front Polisario (C‑104/16 P, EU:C:2016:973), la Cour a relevé, dans le contexte de l’interprétation des termes « territoire du Royaume du Maroc » figurant à l’article 94 de l’accord d’association, que le peuple du Sahara occidental devait être regardé comme étant un « tiers », au sens du principe de l’effet relatif des traités, et que, en tant que tel, ce tiers pouvait être affecté par la mise en œuvre de l’accord
d’association en cas d’inclusion du territoire du Sahara occidental dans le champ d’application dudit accord, sans qu’il ait été nécessaire de déterminer si une telle mise en œuvre serait de nature à lui nuire ou au contraire à lui profiter. Elle a en effet considéré que, dans un cas comme dans l’autre, ladite mise en œuvre devait recevoir le consentement d’un tel tiers. Or, l’arrêt attaqué dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 21 décembre 2016, Conseil/Front Polisario (C‑104/16 P,
EU:C:2016:973), ne faisait pas apparaître que le peuple du Sahara occidental ait manifesté un tel consentement.
155 En l’espèce, il y a lieu de relever que les considérants 11 et 12 de la décision litigieuse indiquent ce qui suit :
« (11) Au vu des considérations exposées dans l’arrêt [du 27 février 2018, Western Sahara Campaign UK (C‑266/16, EU:C:2018:118)], la Commission, en lien avec le [SEAE], a pris toutes les mesures raisonnables et possibles dans le contexte actuel pour associer de manière appropriée les populations concernées afin de s’assurer de leur consentement. De larges consultations ont été conduites au Sahara occidental et au Royaume du Maroc, et les acteurs socio-économiques et politiques qui ont participé
aux consultations se sont prononcés clairement en faveur de la conclusion de l’accord de pêche. Toutefois, le Front Polisario et d’autres acteurs n’ont pas accepté de prendre part au processus de consultation.
(12) Ceux qui n’ont pas accepté de participer au processus ont rejeté l’application de l’accord de pêche et de son protocole de mise en œuvre aux eaux adjacentes au Sahara occidental, car ils estimaient essentiellement que ces actes entérineraient la position du Royaume du Maroc sur le territoire du Sahara occidental. Cependant, rien dans les termes de l’accord de pêche ou de son protocole de mise en œuvre n’implique qu’il reconnaîtrait la souveraineté ou les droits souverains du Royaume du
Maroc sur le Sahara occidental et les eaux adjacentes. L’Union continuera également à intensifier ses efforts visant à soutenir le processus entamé et poursuivi sous l’égide des Nations unies en vue d’une résolution pacifique du différend. »
156 À cet égard, il convient, en premier lieu, de rappeler que, comme il a été relevé au point 30 du présent arrêt, à la suite du déclenchement du conflit armé opposant notamment le Royaume du Maroc et le Front Polisario dans les années 1970, une grande partie de la population du Sahara occidental a fui ce conflit et a trouvé refuge sur le territoire algérien. Le représentant du Front Polisario a indiqué à cet égard lors de l’audience devant la Cour, sans être contredit, que, à ce jour, sur un total
d’environ 500000 Sahraouis, approximativement 250000 vivent dans des camps de réfugiés en Algérie, un quart dans la zone du Sahara occidental sous contrôle marocain et le dernier quart environ ailleurs dans le monde.
157 Il s’ensuit que la majeure partie de la population actuelle du Sahara occidental ne fait pas partie du peuple titulaire du droit à l’autodétermination, à savoir le peuple du Sahara occidental. Or, ce dernier, en grande partie déplacé, est seul titulaire du droit à l’autodétermination par rapport au territoire du Sahara occidental. En effet, le droit à l’autodétermination appartient au peuple concerné, et non pas à la population de ce territoire en général, dont, selon les estimations fournies
lors de l’audience devant la Cour par la Commission, seuls 25 % seraient d’origine sahraouie.
158 Comme il a été relevé aux points 144 et 145 de l’arrêt de ce jour, Commission et Conseil/Front Polisario (C‑779/21 P et C‑799/21 P), il existe à cet égard une différence entre la notion de « population » d’un territoire non autonome et celle de « peuple » de ce territoire. Cette dernière renvoie en effet à une unité politique, titulaire du droit à l’autodétermination, alors que la notion de « population » vise les habitants d’un territoire.
159 En l’espèce, la Commission et le SEAE ont conduit des consultations avec les « populations concernées », qui, comme l’a constaté le Tribunal au point 329 de l’arrêt attaqué, incluent pour l’essentiel les populations qui se trouvent actuellement sur le territoire du Sahara occidental, indépendamment de leur appartenance ou non au peuple de ce territoire. Ainsi que l’a jugé à bon droit le Tribunal, en substance, au point 354 de l’arrêt attaqué, ces consultations ne sauraient donc équivaloir à
l’obtention du consentement du « peuple » du territoire non autonome du Sahara occidental.
160 En deuxième lieu, il convient de rappeler que, parmi les règles pertinentes susceptibles d’être invoquées dans le cadre des relations entre les parties à un accord entre l’Union et un pays tiers, figure le principe de droit international général de l’effet relatif des traités, selon lequel les traités ne doivent ni nuire ni profiter à des sujets tiers (pacta tertiis nec nocent nec prosunt). Ce principe de droit international général trouve une expression particulière à l’article 34 de la
convention de Vienne, en vertu duquel un traité ne crée ni d’obligations ni de droits pour un État tiers sans son consentement (arrêt du 25 février 2010, Brita, C‑386/08, EU:C:2010:91, point 44).
161 Ledit principe, également visé au point 106 de l’arrêt du 21 décembre 2016, Conseil/Front Polisario (C‑104/16 P, EU:C:2016:973), a une portée plus large que celle d’une simple règle d’interprétation des accords internationaux. En effet, même si, comme les parties requérantes l’affirment à juste titre, un accord affectant des droits ou des obligations d’un tiers reste, à défaut du consentement de ce dernier, inopposable à celui-ci en droit international conventionnel, ce tiers peut toutefois être
affecté par la mise en œuvre de cet accord en cas d’inclusion dans le champ d’application de celui-ci d’un territoire par rapport auquel ledit tiers est souverain ou titulaire du droit à l’autodétermination. Une telle mise en œuvre est, à cet égard, susceptible de violer alternativement, s’agissant d’un État, sa souveraineté sur son territoire et, s’agissant d’un peuple, son droit à l’autodétermination sur le territoire auquel se rapporte ledit droit. Ainsi, comme la Cour l’a relevé audit
point 106, la mise en œuvre d’un accord international entre l’Union et le Royaume du Maroc sur le territoire du Sahara occidental doit recevoir le consentement du peuple du Sahara occidental.
162 Il s’ensuit que l’absence de consentement de ce peuple à un tel accord, dont la mise en œuvre s’étend sur ledit territoire ou sur les eaux adjacentes à celui-ci, est susceptible d’affecter la validité de l’acte de l’Union, tel que la décision litigieuse, portant sur la conclusion de cet accord. Il convient de rappeler à cet égard que, en vertu de l’article 3, paragraphe 5, et de l’article 21, paragraphe 1, TUE, l’action de l’Union sur la scène internationale contribue, en particulier, au strict
respect et au développement du droit international, notamment au respect des principes de la charte des Nations unies.
163 Cette conclusion n’est pas affectée par la marge d’appréciation dont dispose le Conseil. En effet, comme l’a relevé le Tribunal au point 349 de l’arrêt du 29 septembre 2021, Front Polisario/Conseil (T‑279/19, EU:T:2021:639), qui est l’arrêt attaqué dans les affaires jointes C‑779/21 P et C‑799/21 P, auquel renvoie le point 335 de l’arrêt attaqué, cette marge d’appréciation est encadrée juridiquement, d’une part, par l’obligation, déduite du principe d’autodétermination, de respecter, dans le
cadre des relations entre l’Union et le Royaume du Maroc, le statut séparé et distinct du Sahara occidental et, d’autre part, par l’exigence, déduite du principe de l’effet relatif des traités, selon laquelle le peuple de ce territoire devait consentir à un accord entre l’Union et le Royaume du Maroc qui serait mis en œuvre sur ledit territoire.
164 Le Tribunal a ainsi conclu, à bon droit, audit point 335, qu’il appartenait, certes, au Conseil d’apprécier si la situation actuelle du même territoire justifiait une adaptation des modalités de l’expression de ce consentement et si les conditions étaient réunies pour considérer que le peuple du Sahara occidental avait exprimé celui-ci, mais que cette institution n’était pas libre de décider s’il pouvait être fait l’économie dudit consentement, sauf à violer l’exigence selon laquelle le peuple
de ce territoire devait consentir à un tel accord.
165 Par conséquent, il ne peut être reproché au Tribunal d’avoir outrepassé les limites du contrôle juridictionnel des actes de l’Union relevant de l’action extérieure de celle-ci à l’aune du droit coutumier international, telles qu’établies dans la jurisprudence de la Cour, quant à l’appréciation de la condition portant sur la nécessité du consentement du peuple du Sahara occidental.
166 En troisième lieu, quant à l’argumentation tirée de la portée de la lettre du 29 janvier 2002 du conseiller juridique de l’Organisation des Nations unies en ce qui concerne l’exigence du consentement du peuple du Sahara occidental, il convient de rejeter cette argumentation comme étant non fondée.
167 En effet, c’est à juste titre que le Tribunal a considéré en substance, au point 362 de l’arrêt attaqué, que cette lettre ne constitue pas une source de droit de l’Union invocable devant le juge de l’Union, dès lors qu’elle ne s’apparente, comme telle, ni à une règle du droit international conventionnel liant l’Union ni à une règle du droit coutumier international [voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2020, Commission/Hongrie (Enseignement supérieur), C‑66/18, EU:C:2020:792, point 87 et
jurisprudence citée].
168 Il convient, par ailleurs, de rejeter comme étant inopérante l’argumentation de la Commission relative au rapprochement, effectué par le Tribunal au point 330 de l’arrêt attaqué, entre les consultations en cause effectuées par la Commission et le SEAE, d’une part, et de larges consultations des parties concernées, visées à l’article 11, paragraphe 3, TUE et à l’article 2 du protocole (no 2) sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, annexé au traité UE et au traité
FUE, d’autre part. En effet, il suffit de constater à cet égard que, en tout état de cause, comme l’a indiqué en substance le Tribunal, de telles consultations, devant précéder en particulier la présentation de propositions législatives par la Commission, se distinguent fondamentalement, par leur nature et leur objet, de l’exigence, découlant du droit coutumier international, qu’un peuple titulaire du droit à l’autodétermination consente à l’application, sur le territoire auquel se rapporte
ledit droit, d’un accord international à l’égard duquel il a la qualité de tiers.
169 Partant, le Tribunal a pu conclure à bon droit, au point 364 de l’arrêt attaqué, d’une part, que le Conseil, en considérant que les consultations conduites par la Commission et par le SEAE avaient permis de se conformer au principe de l’effet relatif des traités tel qu’interprété par la Cour au point 106 de l’arrêt du 21 décembre 2016, Conseil/Front Polisario (C‑104/16 P, EU:C:2016:973), s’était mépris tant sur la portée de ces consultations que sur celle de l’exigence énoncée à ce point 106 et,
d’autre part, que c’était à tort que le Conseil avait considéré qu’il pouvait se fonder sur la lettre du 29 janvier 2002 du conseiller juridique de l’Organisation des Nations unies pour substituer à cette exigence les critères prétendument énoncés dans cette lettre.
– Sur les griefs concernant la nécessité du consentement du peuple du Sahara occidental et l’identification du Front Polisario comme entité à laquelle il incomberait d’exprimer ce consentement
170 Ainsi qu’il a été rappelé au point 152 du présent arrêt, le Tribunal a conclu, au point 364 de l’arrêt attaqué, que, en adoptant la décision litigieuse, le Conseil n’avait pas suffisamment pris en compte tous les éléments pertinents relatifs à la situation du Sahara occidental et avait considéré, à tort, qu’il disposait d’une marge d’appréciation pour décider s’il y avait lieu de se conformer à l’exigence selon laquelle le peuple de ce territoire devait exprimer son consentement à l’application
de l’accord litigieux à celui-ci, en tant que tiers audit accord, conformément à l’interprétation retenue par la Cour du principe de l’effet relatif des traités en lien avec le principe d’autodétermination. En particulier, il a estimé que c’était à tort que le Conseil et la Commission avaient considéré que la situation actuelle du territoire du Sahara occidental ne permettait pas de s’assurer de l’existence de ce consentement.
171 Plus précisément, il a relevé, au point 317 de l’arrêt attaqué, que le Royaume du Maroc n’assume pas les responsabilités et les compétences qui lui incombent en vertu de l’accord litigieux, en tant que le territoire du Sahara occidental et les eaux adjacentes sont concernés, en vue d’exercer les droits du peuple de ce territoire au profit de celui-ci. En effet, il a estimé que le Royaume du Maroc n’entend pas reconnaître à ce peuple des droits « en ce qui concerne l’exploitation des ressources
halieutiques dans ces eaux et la répartition des avantages en découlant » et que, en outre, les droits que cet accord est éventuellement susceptible de créer pour les opérateurs établis sur ledit territoire concernent des particuliers et non un sujet tiers devant consentir à celui-ci. Quant aux bénéfices pour les populations du même territoire qui peuvent en résulter, il s’agit, selon le Tribunal, « d’effets purement socio-économiques, qui plus est indirects, [...] qui ne sauraient être
assimilés à des droits ». Il a poursuivi en indiquant ce qui suit, au point 318 de l’arrêt attaqué :
« En revanche, en ce qu’il accorde à l’une des parties une compétence sur le territoire d’un tiers, qu’il n’est donc pas en droit d’exercer lui‑même ou, le cas échéant, d’en déléguer l’exercice, l’accord litigieux impose au tiers concerné, comme le requérant le souligne, une obligation, indépendamment de la circonstance, alléguée par le Conseil, qu’il ne serait pas, à ce stade, en mesure d’assumer lui-même ou par l’intermédiaire de son représentant ces compétences. Son consentement à l’accord
litigieux doit donc être explicite. »
172 Or, le raisonnement du Tribunal exposé au point 318 de l’arrêt attaqué est entaché d’une erreur de droit.
173 À cet égard, certes, comme il a été constaté aux points 161 à 164 et 169 du présent arrêt, le Tribunal a conclu à juste titre, en substance, que, sur le fondement des principes du droit à l’autodétermination et de l’effet relatif des traités, tels qu’interprétés par la Cour, le consentement du peuple du Sahara occidental pour la mise en œuvre de l’accord litigieux sur ce territoire était une condition de validité de la décision litigieuse et que les consultations effectuées par la Commission et
par le SEAE n’étaient pas susceptibles d’établir un tel consentement de ce peuple.
174 En revanche, il a erronément interprété l’accord litigieux lorsqu’il a constaté en substance, au point 318 de l’arrêt attaqué, que cet accord aurait pour effet d’imposer au peuple du Sahara occidental une obligation, en ayant accordé aux autorités du Royaume du Maroc certaines compétences dont l’exercice est prévu sur le territoire du Sahara occidental.
175 En effet, si la mise en œuvre de l’accord litigieux implique que les actes des autorités marocaines accomplis sur le territoire du Sahara occidental ont des effets juridiques tels que ceux décrits aux points 119 à 125 du présent arrêt, modifiant la situation juridique du peuple de ce territoire, la circonstance que cet accord reconnaît à ces autorités certaines compétences administratives exercées sur ledit territoire ne permet toutefois pas de considérer que ledit accord crée des obligations
juridiques pesant sur ce peuple, en tant que sujet de droit international.
176 À cet égard, ainsi qu’il est souligné dans l’échange de lettres, l’accord litigieux n’implique pas la reconnaissance par l’Union de la prétendue souveraineté du Royaume du Maroc sur le Sahara occidental. Le peuple du Sahara occidental n’est, par ailleurs, pas le destinataire des autorisations de pêche ou d’autres actes administratifs établis par les autorités marocaines dans le cadre de la mise en œuvre de cet accord, qu’il serait tenu de reconnaître, ni des mesures prises par les autorités de
l’Union et des États membres à leur égard.
177 Il s’ensuit que c’est en se fondant sur une prémisse erronée que le Tribunal a constaté, au point 318 de l’arrêt attaqué, que l’expression du consentement du peuple du Sahara occidental à l’accord litigieux devait être explicite.
178 Toutefois, il y a lieu de rappeler que, si les motifs d’une décision du Tribunal révèlent une violation du droit de l’Union, mais que le dispositif de celle-ci apparaît fondé pour d’autres motifs de droit, une telle violation n’est pas de nature à entraîner l’annulation de cette décision et il y a lieu de procéder à une substitution de motifs (arrêt du 17 janvier 2023, Espagne/Commission, C‑632/20 P, EU:C:2023:28, point 48 et jurisprudence citée).
179 Il convient dès lors de vérifier si le dispositif de l’arrêt attaqué, en ce que celui-ci a annulé la décision litigieuse, n’apparaît pas fondé pour des motifs de droit autres que ceux entachés de l’erreur identifiée aux points 174 à 177du présent arrêt.
180 À cet égard, il y a lieu de relever que le droit coutumier international ne prévoit pas de forme particulière pour l’expression du consentement d’un sujet tiers à un accord qui lui confère un droit (voir, en ce sens, arrêt de la Cour permanente de justice internationale du 7 juin 1932, affaire des « Zones Franches de la Haute-Savoie et du Pays de Gex », Recueil CPJI 1927, séries A/B, no 46, p. 148). Il s’ensuit que ce même droit n’exclut pas qu’un tel consentement puisse être accordé de manière
implicite dans certaines circonstances. Ainsi, dans la situation particulière d’un peuple d’un territoire non autonome, un consentement de ce peuple à un accord international par rapport auquel il a la qualité de tiers et dont l’application est prévue sur le territoire auquel se rapporte son droit à l’autodétermination peut être présumé pour autant que deux conditions soient satisfaites.
181 D’une part, l’accord en cause ne doit pas créer d’obligation mise à la charge dudit peuple. D’autre part, ledit accord doit prévoir que le peuple concerné lui-même, lequel peut ne pas être adéquatement représenté par la population du territoire auquel se rapporte le droit à l’autodétermination dont dispose ce peuple, perçoit un avantage précis, concret, substantiel et vérifiable découlant de l’exploitation des ressources naturelles de ce territoire, et proportionnel à l’importance de cette
exploitation. Cet avantage doit être assorti de garanties quant au fait que ladite exploitation s’opère dans des conditions conformes au principe du développement durable afin d’assurer que les ressources naturelles non renouvelables restent abondamment disponibles et que les ressources naturelles renouvelables, telles que les stocks halieutiques, se reconstituent en permanence. Enfin, l’accord en cause doit également prévoir un mécanisme de contrôle régulier permettant de vérifier la réalité de
l’avantage accordé en application de celui-ci au peuple concerné.
182 Le respect de ces conditions s’impose en vue d’assurer la compatibilité d’un tel accord avec le principe, découlant de l’article 73 de la charte des Nations unies et consacré en droit coutumier international, de primauté des intérêts des peuples des territoires non autonomes. Il contribue ainsi à ce que l’action de l’Union sur la scène internationale repose, comme le prévoit l’article 21, paragraphe 1, TUE, sur les principes de la charte des Nations unies et du droit international.
183 Dans l’hypothèse où les deux conditions exposées au point 181 du présent arrêt sont satisfaites, le consentement du peuple concerné doit être tenu pour acquis. La circonstance qu’un mouvement qui se présente comme étant le représentant légitime de ce peuple s’oppose à cet accord ne peut, en tant que telle, suffire à remettre en cause l’existence d’un tel consentement présumé.
184 Cette présomption de consentement peut néanmoins être renversée pour autant que des représentants légitimes dudit peuple établissent que le régime d’avantage conféré au même peuple par l’accord en cause, ou encore le mécanisme de contrôle régulier dont il doit être assorti, ne satisfait pas les conditions exposées au point 180 du présent arrêt. Il appartient, le cas échéant, au juge de l’Union de trancher cette question, en vue d’apprécier, en particulier, si ledit accord préserve adéquatement
le droit à l’autodétermination du peuple concerné ou la souveraineté permanente sur les ressources naturelles qui découle de ce droit ainsi que de l’article 73 de la charte des Nations unies. Il est également loisible à la Commission, au Conseil, au Parlement européen et à tout État membre de recueillir, avant même qu’un accord entre l’Union et le Royaume du Maroc prévoyant un tel régime d’avantage soit signé ou conclu, l’avis de la Cour sur la compatibilité de l’accord envisagé avec les
dispositions des traités, notamment l’article 21, paragraphe 1, TUE.
185 En l’espèce, s’agissant de la première des deux conditions énoncées au point 181 du présent arrêt, celle-ci doit être regardée comme étant satisfaite. En effet, pour les motifs exposés aux points 174 et 175 du même arrêt, l’accord litigieux, bien qu’il modifie la situation juridique du peuple du Sahara occidental en droit de l’Union au regard du droit à l’autodétermination dont il dispose sur ce territoire, ne crée pas d’obligations juridiques pesant sur ce peuple, en tant que sujet de droit
international.
186 S’agissant de la seconde condition, il y a lieu de constater qu’un avantage en faveur du peuple du Sahara occidental, répondant aux caractéristiques mentionnées au point 181 du présent arrêt, fait manifestement défaut dans l’accord litigieux.
187 En particulier, comme le Tribunal l’a, à juste titre, constaté aux points 312 à 314 de l’arrêt attaqué, l’accord litigieux n’octroie aucun droit au peuple du Sahara occidental, en tant que tiers à celui-ci. En effet, d’une part, les droits de pêche octroyés en vertu de l’accord de pêche dans les eaux adjacentes au Sahara occidental le sont au bénéfice de l’Union et des États membres. Par ailleurs, la gestion des activités de pêche dans ces eaux, notamment dans le cadre de la définition des zones
de gestion s’appliquant à ces eaux, est exercée par les autorités marocaines dans le cadre de leurs lois et réglementations nationales, conformément à l’article 6, paragraphe 1, dudit accord. D’autre part, les différentes composantes de la contrepartie financière sont versées aux autorités marocaines, ainsi qu’il ressort de l’article 4, paragraphe 4, et de l’article 8, paragraphe 3, du protocole de mise en œuvre ainsi que du point E du chapitre I de l’annexe de ce protocole.
188 À cet égard, comme l’a relevé Mme l’avocate générale aux points 145 et 147 de ses conclusions, le champ d’application de l’accord litigieux est établi par rapport à une « zone de pêche » unique définie comme couvrant, pour l’essentiel, l’intégralité des eaux adjacentes au Royaume du Maroc et des eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental. La définition de cette « zone de pêche » n’opère toutefois pas de distinction entre les eaux adjacentes au territoire du Royaume du Maroc et les eaux
adjacentes au territoire du Sahara occidental.
189 Partant, l’accord litigieux n’établit pas quelle partie des droits de pêche de l’Union correspond aux eaux adjacentes au Royaume du Maroc et quelle partie de ces droits correspond aux eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental.
190 Ainsi que l’a relevé Mme l’avocate générale aux points 161 et 162 de ses conclusions, certes, cet accord prévoit l’exigence d’une « répartition géographique et sociale équitable » des avantages socio-économiques découlant de la contrepartie financière versée par l’Union au Royaume du Maroc.
191 Toutefois, comme le Tribunal l’a constaté, en substance, au point 316 de l’arrêt attaqué, sans que cette constatation ait été remise en cause sur le fond, les stipulations de l’accord litigieux n’indiquent pas en quoi le principe de répartition géographique et sociale équitable de la contrepartie financière est mis en œuvre de manière différenciée sur le territoire du Sahara occidental et sur le territoire du Royaume du Maroc. En tout état de cause, ledit accord ne prévoit l’octroi d’aucune
contrepartie financière au bénéfice, spécifiquement, du peuple du Sahara occidental.
192 Il s’ensuit que le peuple du Sahara occidental ne saurait être présumé avoir donné son consentement à l’application de l’accord litigieux sur les eaux adjacentes à ce territoire.
193 Il y a lieu de préciser que la possibilité d’un consentement présumé conformément aux points 180 à 183 du présent arrêt ne saurait être remise en cause du fait que l’article 73 de la charte des Nations unies, relatif aux territoires non autonomes, se réfère aux « populations » et aux « habitants » de ces territoires et définit comme étant une « mission sacrée » l’obligation de favoriser dans toute la mesure du possible leur prospérité, couvrant ainsi, dans le cas du Sahara occidental, une partie
de la « population » de ce territoire qui n’est pas incluse dans le « peuple » du Sahara occidental. À cet égard, il est considéré comme étant essentiel dans la résolution 2703 (2023) du Conseil de Sécurité des Nations unies, mentionnée au point 35 du présent arrêt, que les négociations progressent pour que la qualité de vie des habitants du Sahara occidental s’améliore dans tous les domaines. Or, si un accord devait, à l’avenir, bénéficier au peuple du Sahara occidental conformément aux
exigences exposées au point 181 du présent arrêt, la possibilité que cet accord bénéficie aussi aux habitants de ce territoire en général ne serait pas susceptible d’empêcher la constatation d’un consentement présumé de ce peuple.
194 Compte tenu, par ailleurs, du constat opéré au point 172 du présent arrêt, selon lequel les consultations effectuées par la Commission et par le SEAE n’étaient pas susceptibles d’établir un tel consentement dudit peuple, la conclusion du Tribunal, au point 364 de l’arrêt attaqué, selon laquelle, en adoptant la décision litigieuse, d’une part, le Conseil n’avait pas suffisamment pris en compte tous les éléments pertinents relatifs à la situation du Sahara occidental et, d’autre part, le Conseil
et la Commission avaient considéré, à tort, que la situation actuelle de ce territoire ne permettait pas de s’assurer de l’existence d’un consentement du peuple du Sahara occidental à l’accord litigieux doit être considérée comme étant fondée.
195 Le quatrième moyen du pourvoi dans l’affaire C‑778/21 P et le quatrième moyen du pourvoi dans l’affaire C‑798/21 P doivent donc être rejetés comme étant non fondés.
Sur le cinquième moyen du pourvoi dans l’affaire C‑778/21 P et le troisième moyen du pourvoi dans l’affaire C‑798/21 P, tirés d’erreurs de droit quant à l’invocabilité du droit international
Argumentation des parties
196 La Commission, par son cinquième moyen, et le Conseil, par son troisième moyen, reprochent au Tribunal d’avoir commis des erreurs de droit en ce qui concerne l’invocabilité de normes de droit international dans le cadre d’un recours portant sur la validité d’une décision concernant la conclusion d’un accord international par l’Union. Ces moyens visent l’arrêt attaqué en tant que le Tribunal a jugé, au point 294 de celui-ci, que le Front Polisario pouvait invoquer le principe d’autodétermination
ainsi que le principe de l’effet relatif des traités et que le troisième moyen soulevé devant lui n’était donc pas inopérant.
197 Ces institutions rappellent notamment la jurisprudence selon laquelle les principes du droit international coutumier ne peuvent être invoqués par un justiciable, aux fins de l’examen par la Cour de la validité d’un acte de l’Union, que s’ils sont susceptibles de mettre en cause la compétence de l’Union pour adopter un acte et si l’acte en cause est susceptible d’affecter des droits que le justiciable tire du droit de l’Union ou de créer des obligations au regard de ce droit (voir, en ce sens,
arrêt du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a., C‑366/10, EU:C:2011:864, point 107).
198 Le Conseil souligne également que, si des règles du droit international sont invocables, le contrôle de la Cour se limite, en tout état de cause, à l’existence d’erreurs manifestes d’appréciation par les institutions quant aux conditions d’application de ces règles conformément à l’arrêt du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a. (C‑366/10, EU:C:2011:864, point 107). En l’espèce, les principes d’autodétermination et de l’effet relatif des traités ne seraient pas susceptibles
de mettre en cause la compétence de l’Union, la Cour ayant déjà indiqué implicitement que le droit international n’exclut pas qu’un traité puisse, par dérogation à la règle générale, lier un État à l’égard d’un autre territoire, ce que le Tribunal aurait confirmé explicitement en rejetant le moyen tiré de l’incompétence du Conseil pour conclure l’accord litigieux. En tout état de cause, l’effet relatif des traités concernerait non pas la validité d’un accord, mais son opposabilité.
199 La République française indique à cet égard que, même si le principe de l’effet relatif des traités pouvait être invoqué et était violé en l’espèce, une telle violation n’entraînerait pas la nullité de la décision litigieuse, dans la mesure où, en vertu dudit principe, le consentement d’un tiers ne conditionne pas la validité du traité concerné.
200 Le Front Polisario réfute cette argumentation.
Appréciation de la Cour
201 Le Tribunal a estimé, au point 290 de l’arrêt attaqué, renvoyant aux points 282 à 291 de l’arrêt du 29 septembre 2021, Front Polisario/Conseil (T‑279/19, EU:T:2021:639), que, en vue de défendre les droits que tirait le peuple du Sahara occidental du principe d’autodétermination et du principe de l’effet relatif des traités, le Front Polisario devait avoir la faculté d’invoquer la violation des obligations claires, précises et inconditionnelles, s’imposant dans le cadre des relations de l’Union
avec le Royaume du Maroc et déduites par la Cour, dans l’arrêt du 21 décembre 2016, Conseil/Front Polisario (C‑104/16 P, EU:C:2016:973), de l’interprétation de l’accord d’association à la lumière des principes d’autodétermination et de l’effet relatif des traités, contre la décision qui était attaquée dans l’affaire ayant donné lieu à ce premier arrêt, dans la mesure où une telle violation alléguée était susceptible d’affecter ledit peuple, en tant que tiers à un accord conclu entre l’Union et
le Royaume du Maroc.
202 Le Tribunal a en outre rappelé qu’il avait considéré dans ledit arrêt que la jurisprudence relative à l’invocabilité des principes du droit international coutumier, énoncée aux points 107 à 109 de l’arrêt du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a. (C‑366/10, EU:C:2011:864), ne s’opposait pas à cette conclusion. En effet, selon le Tribunal, les considérations figurant à ces points reposaient sur une appréciation des circonstances particulières de l’espèce relatives à la nature
des principes du droit international invoqués et de l’acte contesté ainsi qu’à la situation juridique des parties requérantes dans l’affaire au principal qui n’étaient pas comparables à celles de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 29 septembre 2021, Front Polisario/Conseil (T‑279/19, EU:T:2021:639).
203 Le Tribunal a notamment estimé que ces considérations étaient applicables à l’invocabilité contre la décision litigieuse du principe d’autodétermination et du principe de l’effet relatif des traités à l’encontre de la décision litigieuse, eu égard à l’applicabilité desdits principes dans le cadre d’un accord de pêche conclu entre l’Union et le Royaume du Maroc, constatée par la Cour aux points 63 à 72 de l’arrêt du 27 février 2018, Western Sahara Campaign UK (C‑266/16, EU:C:2018:118).
204 Ce raisonnement n’est pas entaché d’erreurs de droit.
205 En effet, l’Union est tenue, conformément à une jurisprudence constante, d’exercer ses compétences dans le respect du droit international dans son ensemble, en ce compris les règles et les principes du droit international général et coutumier, ainsi que les dispositions des conventions internationales qui la lient (voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2018, Western Sahara Campaign UK, C‑266/16, EU:C:2018:118, point 47 et jurisprudence citée).
206 Il s’ensuit que la Cour est compétente, dans le cadre d’un recours en annulation, pour apprécier si un accord international conclu par l’Union est compatible avec les règles de droit international qui, conformément aux traités, lient l’Union. Le contrôle de validité que la Cour peut être conduite à opérer à l’égard de l’acte par lequel l’Union a conclu un tel accord international est susceptible de porter sur la légalité de cet acte au regard du contenu même de l’accord international en cause
(voir, en ce sens, arrêt du 27 février 2018, Western Sahara Campaign UK, C‑266/16, EU:C:2018:118, points 48 à 51 et jurisprudence citée).
207 Ainsi, le Tribunal a pu, à juste titre, considérer que le principe d’autodétermination et le principe de l’effet relatif des traités étaient invocables dans le cadre du contrôle de validité de la décision litigieuse.
208 Partant, l’argument de la Commission et du Conseil selon lequel il devrait être déduit de l’arrêt du 21 décembre 2011, Air Transport Association of America e.a. (C‑366/10, EU:C:2011:864), que ces principes ne sont pas invocables dans le cadre du contrôle de la validité de la décision litigieuse ne saurait prospérer.
209 Quant au grief avancé par le Conseil selon lequel le contrôle, par le juge de l’Union, de la conformité d’un acte de l’Union à de telles règles du droit international devrait se limiter à des erreurs manifestes d’appréciation, il se confond, en substance, avec celui, avancé dans le cadre des quatrièmes moyens des pourvois, tiré d’une méconnaissance par le Tribunal de la marge d’appréciation dont dispose le Conseil en matière de relations extérieures. Il doit dès lors être rejeté pour les mêmes
motifs que ceux exposés au point 162 du présent arrêt.
210 Par conséquent, le cinquième moyen du pourvoi dans l’affaire C‑778/21 P et le troisième moyen du pourvoi dans l’affaire C‑798/21 P doivent être rejetés comme étant non fondés.
211 Aucun des moyens soulevés par la Commission et par le Conseil à l’appui des pourvois dans les affaires C‑778/21 P et C‑798/21 P n’ayant été accueilli, il y a lieu de rejeter ceux-ci dans leur intégralité.
Sur les demandes présentées à titre subsidiaire par le Conseil et la Commission
Argumentation des parties
212 À titre subsidiaire, le Conseil, soulignant le risque, en cas d’annulation de la décision litigieuse, de conséquences négatives graves sur l’action extérieure de l’Union et de remise en cause de la sécurité juridique des engagements internationaux auxquels elle a consenti et qui lient les institutions et les États membres, estime nécessaire, dans l’hypothèse où la Cour rejetterait le pourvoi dirigé contre l’arrêt attaqué, qu’elle ordonne le maintien des effets de cette décision pendant une
période de douze mois.
213 La Commission estime, quant à elle, qu’il serait souhaitable de maintenir les effets de la décision litigieuse pendant un an et demi, dans l’hypothèse où la Cour conclurait que l’annulation de cette décision se justifie pour d’autres motifs que ceux indiqués dans l’arrêt attaqué et où il serait possible de déduire des constatations de la Cour une possibilité réaliste qu’un accord couvrant le Sahara occidental puisse néanmoins être conclu avec le Royaume du Maroc, pour permettre les négociations
nécessaires à l’adoption des décisions du Conseil sur la signature et la conclusion d’un tel accord.
214 Le Front Polisario s’oppose à ces demandes.
Appréciation de la Cour
215 Selon les termes de l’article 264, second alinéa, TFUE, la Cour peut, si elle l’estime nécessaire, indiquer ceux des effets d’un acte annulé qui doivent être considérés comme étant définitifs.
216 À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, eu égard à des motifs ayant trait à la sécurité juridique, les effets d’un tel acte peuvent être maintenus notamment lorsque les effets immédiats de son annulation entraîneraient des conséquences négatives graves pour les parties concernées [arrêt du 1er mars 2022, Commission/Conseil (Accord avec la République de Corée), C‑275/20, EU:C:2022:142, point 54 et jurisprudence citée].
217 En l’espèce, en vertu du point 369 de l’arrêt attaqué, qui n’a pas été contesté par la voie d’un pourvoi incident, les effets de la décision litigieuse ont été maintenus jusqu’au prononcé du présent arrêt. Or, ainsi qu’il ressort du point 69 du présent arrêt, le protocole de mise en œuvre a expiré le 17 juillet 2023. Sans protocole en vigueur, l’accord de pêche n’autorise pas l’accès des navires de l’Union à la « zone de pêche », au sens de celui-ci.
218 Dès lors, force est de constater que, vu l’expiration du protocole de mise en œuvre, les demandes subsidiaires de la Commission et du Conseil sont devenues sans objet.
219 Par conséquent, il n’y a pas lieu de statuer sur ces demandes subsidiaires.
Sur les dépens
220 Aux termes de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.
221 Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.
222 En l’espèce, le Front Polisario ayant conclu à la condamnation du Conseil et de la Commission et ces derniers ayant succombé, il y a lieu de les condamner à supporter, outre leurs propres dépens, ceux exposés par le Front Polisario dans le cadre des présents pourvois.
223 L’article 140, paragraphe 1, du règlement de procédure, également applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, dispose que les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.
224 En l’espèce, le Royaume de Belgique, la Hongrie, la République portugaise et la République slovaque, parties intervenantes au pourvoi dans l’affaire C‑798/21 P, ainsi que le Royaume d’Espagne et la République française, parties intervenantes en première instance, supporteront leurs propres dépens.
225 Enfin, l’article 140, paragraphe 3, du règlement de procédure, également applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, dispose notamment que la Cour peut décider qu’une partie intervenante autre qu’un État membre ou une institution supportera ses propres dépens.
226 En l’espèce, il y a lieu de décider que les CPMM supporteront leurs propres dépens.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :
1) Les pourvois sont rejetés.
2) Il n’y a pas lieu de statuer sur les demandes de maintien des effets de la décision (UE) 2019/441 du Conseil, du 4 mars 2019, relative à la conclusion de l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc, de son protocole de mise en œuvre ainsi que de l’échange de lettres accompagnant l’accord.
3) La Commission européenne et le Conseil de l’Union européenne supportent leurs propres dépens ainsi que ceux exposés par le Front populaire pour la libération de la Saguia‑el-Hamra et du Rio de oro (Front Polisario) dans le cadre des présents pourvois.
4) Le Royaume de Belgique, la Hongrie, la République portugaise et la République slovaque ainsi que le Royaume d’Espagne, la République française, la Chambre des pêches maritimes de la Méditerranée, la Chambre des pêches maritimes de l’Atlantique Nord, la Chambre des pêches maritimes de l’Atlantique Centre et la Chambre des pêches maritimes de l’Atlantique Sud supportent leurs propres dépens.
Lenaerts
Bay Larsen
Arabadjiev
Lycourgos
Regan
Csehi
Spineanu-Matei
Rodin
Jarukaitis
Kumin
Jääskinen
Arastey Sahún
Gavalec
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 4 octobre 2024.
Le greffier
A. Calot Escobar
Le président
K. Lenaerts
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( *1 ) Langue de procédure : le français.