ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)
4 octobre 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Voyages à forfait et prestations de voyage liées – Directive (UE) 2015/2302 – Article 12, paragraphe 3 – Résiliation d’un contrat de voyage à forfait par l’organisateur – Circonstances exceptionnelles et inévitables – Exécution du voyage empêchée en raison de telles circonstances – Recommandation officielle visant à déconseiller les voyages vers le pays de destination en raison de la propagation de la COVID-19 »
Dans l’affaire C‑546/22,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche), par décision du 29 juin 2022, parvenue à la Cour le 16 août 2022, dans la procédure
GF
contre
Schauinsland-Reisen GmbH,
LA COUR (septième chambre),
composée de M. F. Biltgen, président de chambre, Mme A. Prechal (rapporteure), présidente de la deuxième chambre, faisant fonction de juge de la septième chambre, et M. N. Wahl, juge,
avocat général : Mme L. Medina,
greffier : M. A. Calot Escobar,
vu la procédure écrite,
considérant les observations présentées :
– pour GF, par Me A. Konrad, Rechtsanwalt,
– pour Schauinsland-Reisen GmbH, par Me M. Wukoschitz, Rechtsanwalt,
– pour le gouvernement hellénique, par Mmes A. Dimitrakopoulou, C. Kokkosi et E. Tsaousi, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par M. B.-R. Killmann et Mme I. Rubene, en qualité d’agents,
vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 12, paragraphe 3, de la directive (UE) 2015/2302 du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2015, relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées, modifiant le règlement (CE) no 2006/2004 et la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 90/314/CEE du Conseil (JO 2015, L 326, p. 1).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant GF à Schauinsland-Reisen GmbH au sujet d’une demande de dédommagement formulée par GF à l’encontre de Schauinsland-Reisen au titre de la résiliation, par cette dernière, du contrat de voyage à forfait conclu entre ces parties, intervenue à la suite de la publication d’une recommandation officielle visant à déconseiller aux voyageurs de se rendre dans le pays de destination.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
3 Les considérants 29 à 32 de la directive 2015/2302 sont libellés comme suit :
« (29) Compte tenu des spécificités des contrats de voyage à forfait, il convient de définir les droits et obligations des parties contractantes pour les périodes antérieure et postérieure au début du forfait, notamment si les services qu’il comprend ne sont pas correctement exécutés ou si certaines circonstances changent.
(30) Les forfaits étant souvent achetés longtemps avant leur exécution, des événements imprévus peuvent survenir. [...]
(31) Les voyageurs devraient également avoir la possibilité de résilier le contrat de voyage à forfait à tout moment avant le début du forfait moyennant le paiement de frais de résiliation appropriés et justifiables, compte tenu des économies prévisibles en termes de coûts et des revenus escomptés du fait d’une remise à disposition des services de voyage concernés. Ils devraient aussi avoir le droit de résilier le contrat de voyage à forfait sans payer de frais de résiliation si des circonstances
exceptionnelles et inévitables ont des conséquences importantes sur l’exécution du forfait. Il peut s’agir par exemple d’une guerre, d’autres problèmes de sécurité graves, tels que le terrorisme, de risques graves pour la santé humaine, comme l’apparition d’une maladie grave sur le lieu de destination, ou de catastrophes naturelles telles que des inondations, des tremblements de terre ou des conditions météorologiques rendant impossible un déplacement en toute sécurité vers le lieu de
destination stipulé dans le contrat de voyage à forfait.
(32) Dans des situations particulières, l’organisateur devrait avoir le droit, lui aussi, de résilier le contrat de voyage à forfait avant le début du forfait sans verser de dédommagement [...] »
4 L’article 1er de cette directive, intitulé « Objet », prévoit :
« La présente directive a pour objet de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur et à la réalisation d’un niveau élevé de protection des consommateurs le plus uniforme possible en rapprochant certains aspects des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres concernant les contrats entre voyageurs et professionnels relatifs aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées. »
5 L’article 3 de ladite directive, intitulé « Définitions », dispose :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
[...]
12. “circonstances exceptionnelles et inévitables”, une situation échappant au contrôle de la partie qui invoque cette situation et dont les conséquences n’auraient pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises ;
[...] »
6 L’article 12 de la directive 2015/2302, intitulé « Résiliation du contrat de voyage à forfait et droit de rétractation avant le début du forfait », prévoit, à ses paragraphes 2 et 3 :
« 2. [...] [L]e voyageur a le droit de résilier le contrat de voyage à forfait avant le début du forfait sans payer de frais de résiliation si des circonstances exceptionnelles et inévitables, survenant au lieu de destination ou à proximité immédiate de celui-ci, ont des conséquences importantes sur l’exécution du forfait ou sur le transport des passagers vers le lieu de destination. En cas de résiliation du contrat de voyage à forfait en vertu du présent paragraphe, le voyageur a droit au
remboursement intégral des paiements effectués au titre du forfait mais pas à un dédommagement supplémentaire.
3. L’organisateur peut résilier le contrat de voyage à forfait et rembourser intégralement le voyageur des paiements effectués pour le forfait, mais il n’est pas tenu à un dédommagement supplémentaire, si :
[...]
b) l’organisateur est empêché d’exécuter le contrat en raison de circonstances exceptionnelles et inévitables et notifie la résiliation du contrat au voyageur sans retard excessif avant le début du forfait. »
7 L’article 13 de cette directive, intitulé « Responsabilité de l’exécution du forfait », dispose, à son paragraphe 3 :
« Si l’un des services de voyage n’est pas exécuté conformément au contrat de voyage à forfait, l’organisateur remédie à la non-conformité, sauf si cela :
a) est impossible ; ou
b) entraîne des coûts disproportionnés, compte tenu de l’importance de la non-conformité et de la valeur des services de voyage concernés.
Si l’organisateur ne remédie pas à la non-conformité conformément au premier alinéa, point a) ou b), du présent paragraphe, l’article 14 s’applique. »
8 L’article 16 de ladite directive, intitulé « Obligation d’apporter une aide », prévoit :
« Les États membres veillent à ce que l’organisateur apporte sans retard excessif une aide appropriée au voyageur en difficulté, y compris dans les circonstances visées à l’article 13, paragraphe 7, notamment :
a) en fournissant des informations utiles sur les services de santé, les autorités locales et l’assistance consulaire ; et
b) en aidant le voyageur à effectuer des communications longue distance et à trouver d’autres prestations de voyage.
L’organisateur est en droit de facturer un prix raisonnable pour cette aide si cette difficulté est causée de façon intentionnelle par le voyageur ou par sa négligence. Le prix facturé ne dépasse en aucun cas les coûts réels supportés par l’organisateur. »
Le droit autrichien
9 Conformément à l’article 10, paragraphe 3, deuxième hypothèse, du Bundesgesetz über Pauschalreisen und verbundene Reiseleistungen (Pauschalreisegesetz – PRG) (loi relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées), du 24 avril 2017 (BGBl. I, 50/2017), dans sa version applicable au litige au principal, un organisateur de voyages peut, avant le début d’un voyage à forfait, résilier le contrat de voyage à forfait concerné à condition de rembourser, dans leur intégralité, les paiements
effectués pour ce forfait, mais il n’est pas tenu à un dédommagement supplémentaire s’il est empêché d’exécuter ce contrat de voyage en raison de circonstances exceptionnelles et inévitables et notifie la résiliation dudit contrat de voyage au voyageur sans retard fautif, mais au plus tard avant le début dudit forfait.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
10 Le 13 mai 2020, GF, médecin spécialiste exerçant en cabinet médical, et son épouse ont conclu avec Schauinsland-Reisen un contrat portant sur l’organisation, par cette dernière, d’un voyage à forfait à destination des Maldives, qui devait avoir lieu pendant la période allant du 26 décembre 2020 au 2 janvier 2021. Le prix total de ce forfait s’élevait à 8620 euros.
11 À partir du mois de décembre 2020, les Maldives, en raison des risques sanitaires provoqués par la pandémie de COVID-19, ont fait l’objet d’un avertissement aux voyageurs de niveau maximum, publié par l’Außenministerium (ministère des Affaires étrangères, Autriche), selon lequel « [i]l [était] déconseillé d’entreprendre tout voyage touristique et non indispensable, y compris des voyages de loisirs et des voyages de visite à la famille, vers ce pays ».
12 Au cours de cette période, l’incidence du virus sur sept jours signalée aux Maldives ne s’élevait qu’à 34,7 nouvelles infections pour 100000 habitants et était donc inférieure à celle établie en Autriche, qui s’élevait, à la date de référence mentionnée du 14 décembre 2020, à 220 pour 100000 habitants.
13 Le 3 décembre 2020, Schauinsland-Reisen a résilié le contrat de voyage à forfait en se fondant sur cet avertissement. Le motif de cette résiliation a été communiqué à GF au plus tard le 9 décembre 2020 et l’acompte versé lui a été remboursé.
14 GF a saisi le Landesgericht für Zivilrechtssachen Graz (tribunal régional des affaires civiles de Graz, Autriche) d’une demande de dédommagement à hauteur d’un montant de 21821,82 euros, pour lui-même et son épouse. Dans ce cadre, il s’est prévalu des préjudices subis à la suite de ladite résiliation du fait de la perte d’agrément des vacances et d’un manque à gagner causé par la fermeture de son cabinet en raison du voyage prévu, qu’il n’aurait plus été en mesure d’annuler à court terme après la
même résiliation. Il a réclamé en outre le versement d’une somme d’argent d’un « montant forfaitaire pour frais ».
15 À ces fins, GF a fait valoir que l’avertissement aux voyageurs publié par le ministère des Affaires étrangères ne constituait pas une circonstance exceptionnelle et inévitable empêchant Schauinsland-Reisen d’exécuter le contrat de voyage à forfait, d’autant moins que l’incidence du virus sur sept jours aux Maldives aurait été, au moment de la résiliation de ce contrat de voyage, moindre que celle en Autriche, que la couverture en matière de soins médicaux y aurait été suffisante et que lui-même
et son épouse auraient, en outre, contracté une assurance maladie de voyage.
16 Schauinsland-Reisen a rétorqué qu’il ne pouvait raisonnablement être exigé qu’elle exécutât le contrat de voyage à forfait en dépit de la publication d’un tel avertissement, compte tenu des conséquences imprévisibles auxquelles elle aurait alors pu se voir exposée eu égard à sa responsabilité en tant qu’organisateur de voyages. Par ailleurs, compte tenu des restrictions de sortie applicables en Autriche à partir du 26 décembre 2020, GF n’aurait de toute façon pas été autorisé à voyager.
17 Par un arrêt du 13 juillet 2021, le Landesgericht für Zivilrechtssachen Graz (tribunal régional des affaires civiles de Graz) a rejeté la demande de dédommagement présentée par GF, estimant que Schauinsland-Reisen avait valablement invoqué des circonstances exceptionnelles et inévitables aux fins de la résiliation du contrat de voyage à forfait, de manière à exclure tout droit de dédommagement de GF.
18 Par un arrêt du 27 janvier 2022, l’Oberlandesgericht Graz (tribunal régional supérieur de Graz, Autriche), statuant en appel, a confirmé l’arrêt rendu en première instance. Cette juridiction a considéré que, même si l’avertissement aux voyageurs n’était qu’un indice d’obstacles exceptionnels, Schauinsland-Reisen n’aurait, en tout état de cause, commis aucune faute compte tenu de l’incertitude quant à l’évolution de la pandémie de COVID-19 qui régnait au moment de la résiliation du contrat de
voyage à forfait.
19 GF a formé un recours en Revision devant l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême, Autriche), qui est la juridiction de renvoi.
20 Cette juridiction précise que l’avertissement aux voyageurs, assorti d’une recommandation à la population de s’abstenir d’entreprendre tout voyage touristique vers la destination du voyage prévu, avait été publié environ trois semaines avant le début du forfait concerné. En outre, selon ladite juridiction, tant l’évolution de la pandémie de COVID-19 que cette publication échappaient au contrôle de Schauinsland-Reisen, et cette dernière n’aurait pas pu en éviter les conséquences en prenant des
mesures raisonnables.
21 Cependant, premièrement, se poserait la question de savoir si la publication d’un tel avertissement suffit en soi à établir un risque élevé de nature à autoriser un organisateur de voyages à résilier le contrat de voyage à forfait concerné sans être tenu à un dédommagement supplémentaire, eu égard notamment aux éventuelles mesures sanitaires susceptibles d’entraver la réalisation de ce contrat de voyage, ou s’il faut exiger de cet organisateur qu’il évalue lui-même les risques, indépendamment de
cet avertissement, en tenant compte de l’ensemble des circonstances de l’espèce.
22 La juridiction de renvoi indique que l’argument selon lequel l’avertissement public aux voyageurs est publié par une entité qualifiée et impartiale et qu’il est sans équivoque, de sorte qu’il répondrait au besoin de clarté et de sécurité juridique du public concerné, pourrait être retenu en faveur du caractère déterminant de cet avertissement. De plus, une autorité étatique telle que celle en cause au principal disposerait, en règle générale, de moyens plus fiables qu’une entreprise pour
apprécier la situation de risque sur le lieu de destination.
23 Militerait cependant en défaveur d’un tel caractère déterminant le fait que, compte tenu de l’évolution constante de la situation sanitaire dans les différentes régions affectées, l’avertissement aux voyageurs publié par les autorités ne reflète pas nécessairement de façon fidèle le risque réel sur place à la date du voyage concerné.
24 Deuxièmement, la juridiction de renvoi se demande si, en présence d’un avertissement aux voyageurs de niveau maximum, un organisateur peut être considéré comme étant « empêché d’exécuter le contrat en raison de circonstances exceptionnelles et inévitables », au sens de l’article 12, paragraphe 3, de la directive 2015/2302, alors même qu’il ne serait en principe pas impossible d’exécuter le voyage concerné et que le client de cet organisateur a déclaré accepter le risque identifié.
25 Dans ces circonstances, l’Oberster Gerichtshof (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) L’article 12, paragraphe 3, de la directive [2015/2302] doit-il être interprété en ce sens qu’un organisateur de voyages peut déjà invoquer des circonstances exceptionnelles et inévitables qui l’empêchent d’exécuter le contrat de voyage lorsque l’autorité habilitée à ces fins dans l’État membre du client a publié, avant la date prévue pour le voyage, un avertissement aux voyageurs de niveau maximum concernant le pays de destination ?
2) En cas de réponse affirmative à la première question :
L’article 12, paragraphe 3, de la directive 2015/2302 doit-il être interprété en ce sens qu’il n’y a pas de circonstances exceptionnelles et inévitables lorsque le voyageur, en ayant connaissance de l’avertissement aux voyageurs ainsi que de l’incertitude quant à l’évolution de la situation pandémique, a déclaré vouloir malgré tout maintenir le voyage et qu’il n’aurait pas été impossible à l’organisateur de réaliser ce voyage ? »
La procédure devant la Cour
26 Par une décision du 3 mars 2023, le président de la Cour a suspendu la procédure dans l’attente de la décision mettant fin à l’instance dans l’affaire C‑299/22.
27 Par une décision du 4 mars 2024, le président de la Cour a notifié à la juridiction de renvoi les arrêts du 29 février 2024, Tez Tour (C‑299/22, EU:C:2024:181) et du 29 février 2024, Kiwi Tours (C‑584/22, EU:C:2024:188), l’invitant à lui indiquer si, compte tenu de ces arrêts, elle souhaitait maintenir la demande de décision préjudicielle.
28 Par une lettre du 7 mars 2024, déposée au greffe de la Cour le lendemain, cette juridiction a indiqué maintenir la demande de décision préjudicielle. À cet égard, elle a relevé que, si les arrêts mentionnés au point précédent fournissaient des éléments utiles pour répondre aux questions posées, puisqu’ils clarifient l’interprétation de la notion de « circonstances exceptionnelles et inévitables », au sens de la directive 2015/2302, elle estimait néanmoins essentiel que soit précisé, en outre,
dans quelles conditions un organisateur peut être considéré comme étant « empêché d’exécuter le contrat » en raison de telles circonstances, au sens de l’article 12, paragraphe 3, de cette directive.
Sur les questions préjudicielles
29 Par ses deux questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, paragraphe 3, sous b), de la directive 2015/2302 doit être interprété en ce sens que, pour établir qu’il est empêché d’exécuter un contrat de voyage à forfait en raison de « circonstances exceptionnelles et inévitables », au sens de cette disposition, il suffit que l’organisateur concerné s’appuie sur la publication, par les autorités compétentes, d’une recommandation
officielle visant à déconseiller aux voyageurs de se rendre dans la zone concernée, et ce alors même que le voyageur a déclaré vouloir malgré tout maintenir son voyage et qu’il n’aurait pas été objectivement impossible pour cet organisateur d’exécuter ce contrat de voyage.
30 À cet égard, il convient de rappeler, à titre liminaire, que l’article 12, paragraphe 3, sous b), de la directive 2015/2302 prévoit que l’organisateur peut résilier un contrat de voyage à forfait et rembourser intégralement le voyageur des paiements effectués pour le forfait concerné, mais qu’il n’est pas tenu à un dédommagement supplémentaire, s’il est empêché d’exécuter ce contrat de voyage en raison de circonstances exceptionnelles et inévitables et s’il notifie la résiliation dudit contrat de
voyage au voyageur sans retard excessif avant le début du forfait.
31 La notion de « circonstances exceptionnelles et inévitables », au sens de cette disposition, est définie à l’article 3, point 12, de cette directive comme étant « une situation échappant au contrôle de la partie qui invoque cette situation et dont les conséquences n’auraient pu être évitées même si toutes les mesures raisonnables avaient été prises ».
32 Le considérant 31 de ladite directive illustre la portée de cette notion, mentionnant qu’« [i]l peut s’agir par exemple d’une guerre, d’autres problèmes de sécurité graves, tels que le terrorisme, de risques graves pour la santé humaine, comme l’apparition d’une maladie grave sur le lieu de destination, ou de catastrophes naturelles telles que des inondations, des tremblements de terre ou des conditions météorologiques rendant impossible un déplacement en toute sécurité vers le lieu de
destination stipulé dans le contrat de voyage à forfait ».
33 Il ressort du libellé des dispositions combinées de l’article 12, paragraphe 3, sous b), et de l’article 3, point 12, de la directive 2015/2302, telles qu’éclairées par le considérant 31 de celle-ci, que l’exercice, par un organisateur, de son droit de résilier un contrat de voyage à forfait sans être tenu à un dédommagement supplémentaire dépend uniquement de la survenance de circonstances objectives de nature à influencer l’exécution du forfait concerné et de la notification de la résiliation
de ce contrat de voyage au voyageur sans retard excessif avant le début du forfait (voir, en ce sens, arrêt du 29 février 2024, Tez Tour, C‑299/22, EU:C:2024:181, point 31).
34 En outre, dans la mesure où l’exercice de ce droit est ainsi notamment soumis à la condition que l’organisateur soit « empêché d’exécuter le contrat en raison de circonstances exceptionnelles et inévitables », cette condition doit nécessairement être satisfaite à la date d’une telle résiliation (voir, en ce sens, arrêts du 29 février 2024, Kiwi Tours, C‑584/22, EU:C:2024:188, point 27, et du 29 février 2024, Tez Tour, C‑299/22, EU:C:2024:181, point 65).
35 S’agissant, en premier lieu, de cette condition en tant qu’elle porte sur des « circonstances exceptionnelles et inévitables », celle-ci doit être considérée comme étant satisfaite lorsque de telles circonstances sont effectivement survenues à la date de la résiliation du contrat de voyage à forfait concerné, ce qui implique qu’existe, à cette date, une situation répondant à la définition de la notion de « circonstances exceptionnelles et inévitables », telle que définie à l’article 3, point 12,
de la directive 2015/2302 et illustrée au considérant 31 de cette dernière (voir, en ce sens, arrêt du 29 février 2024, Kiwi Tours, C‑584/22, EU:C:2024:188, point 29).
36 En revanche, il ne saurait automatiquement suffire, pour pouvoir constater que se sont produites de telles « circonstances exceptionnelles et inévitables », que les autorités compétentes aient publié une recommandation officielle visant à déconseiller aux voyageurs de se rendre dans la zone concernée (voir, en ce sens, arrêt du 29 février 2024, Tez Tour, C‑299/22, EU:C:2024:181, point 32).
37 En effet, un tel automatisme serait contradictoire avec la nature et le fondement même de l’adoption de telles recommandations, lesquelles font état, à des fins d’information du grand public, de circonstances objectives génératrices de risques sanitaires ou autres, susceptibles de relever de la notion de « circonstances exceptionnelles et inévitables », au sens de l’article 12, paragraphe 3, sous b), de la directive 2015/2302, et donc nécessairement d’une situation évolutive et variable selon les
endroits affectés (voir, en ce sens, arrêt du 29 février 2024, Tez Tour, C‑299/22, EU:C:2024:181, point 33).
38 De telles recommandations ne reflètent dès lors pas nécessairement de façon fidèle la situation telle qu’elle se présente objectivement à un moment donné sur le lieu où le voyage concerné doit être exécuté, comme la juridiction de renvoi le souligne également.
39 Ainsi, tout en pouvant, par leur nature, être dotées d’une valeur probatoire importante quant à la réalité de la survenance, dans les pays sur lesquels elles portent, de telles circonstances ainsi que des conséquences qui en découlent sur l’exécution du forfait concerné, ces recommandations ne sauraient, toutefois, se voir attribuer une force probante au point qu’elles constitueraient, à cet égard, des preuves irréfutables (voir, en ce sens, arrêt du 29 février 2024, Tez Tour, C‑299/22,
EU:C:2024:181, point 37).
40 Cette analyse est confortée par la genèse de la directive 2015/2302. En effet, comme l’a souligné la Commission européenne, contrairement à la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage assistées, modifiant le règlement (CE) no 2006/2004 et la directive 2011/83/UE, et abrogeant la directive 90/314/CEE du Conseil, adoptée par la Commission le 9 juillet 2013 [COM(2013) 512 final], qui est à l’origine de cette directive et
dont la dernière phrase du considérant 26 de celle-ci précisait que « [d]es circonstances exceptionnelles et inévitables devraient notamment être réputées exister lorsque des comptes rendus fiables et publiés, tels que des recommandations émises par les autorités des États membres, déconseillent de se rendre au lieu de destination », ladite directive ne comporte, in fine, aucune précision portant sur la valeur probatoire, voire sur la force probante déterminante, de telles recommandations.
41 Dans ces conditions, en l’absence, dans la directive 2015/2302, de dispositions portant sur les modalités de preuve en ce qui concerne la réalité des « circonstances exceptionnelles et inévitables », au sens de l’article 12, paragraphe 3, sous b), de cette directive, il revient, en vertu du principe de l’autonomie procédurale, et sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité, à l’ordre juridique interne de chaque État membre de fixer les modalités d’administration de la
preuve, les moyens de preuve recevables devant la juridiction nationale compétente ou encore les principes régissant l’appréciation, par cette juridiction, de la force probante des éléments de preuve qui lui sont soumis ainsi que le niveau de preuve requis (voir, en ce sens, arrêt du 29 février 2024, Tez Tour, C‑299/22, EU:C:2024:181, point 38).
42 Cependant, en ce qui concerne plus particulièrement le principe d’effectivité, celui-ci exige, s’agissant des modalités procédurales des recours destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union, que ces modalités ne rendent pas pratiquement impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits ainsi conférés par l’ordre juridique de l’Union (arrêt du 29 février 2024, Tez Tour, C‑299/22, EU:C:2024:181, point 39).
43 Or, admettre que la publication de recommandations officielles visant à déconseiller aux voyageurs de se rendre dans la zone concernée suffise automatiquement pour que l’organisateur puisse résilier le contrat de voyage à forfait concerné au titre de « circonstances exceptionnelles et inévitables », au sens de l’article 12, paragraphe 3, sous b), de la directive 2015/2302, et ne soit ainsi pas tenu à un dédommagement supplémentaire, serait susceptible de rendre impossible l’exercice, par le
voyageur, de son droit à un tel dédommagement, dans la mesure où de telles circonstances peuvent, au moment d’une telle résiliation, ne pas ou ne plus exister dans cette zone en dépit de l’adoption de ces recommandations (voir, en ce sens, arrêt du 29 février 2024, Tez Tour, C‑299/22, EU:C:2024:181, point 40).
44 Dès lors, sans préjudice de la valeur probatoire importante que les États membres sont libres d’accorder, en vertu du principe de l’autonomie procédurale, auxdites recommandations en ce qui concerne l’existence d’un risque sanitaire grave, le voyageur doit toutefois avoir la possibilité d’invoquer des éléments susceptibles d’infirmer la valeur probatoire des mêmes recommandations pour contester, ce faisant, le bien-fondé de la résiliation du contrat de voyage à forfait concerné opérée par
l’organisateur au titre de l’article 12, paragraphe 3, sous b), de la directive 2015/2302.
45 En l’occurrence, il appartiendra à la juridiction de renvoi d’apprécier, compte tenu des arguments invoqués par GF, si Schauinsland-Reisen a valablement pu estimer, au moment de la résiliation du contrat de voyage à forfait, être en présence de « circonstances exceptionnelles et inévitables », au sens de l’article 12, paragraphe 3, sous b), de la directive 2015/2302, compte tenu notamment de la publication, par le ministère des Affaires étrangères, de l’avertissement aux voyageurs de niveau
maximum en cause au principal, intervenue en raison des risques sanitaires provoqués par la pandémie de COVID-19.
46 En second lieu, dans l’hypothèse où la juridiction de renvoi constaterait qu’il existait effectivement, au moment de la résiliation du contrat de voyage à forfait, des « circonstances exceptionnelles et inévitables », au sens de l’article 12, paragraphe 3, sous b), de la directive 2015/2302, il conviendrait de déterminer si l’organisateur était « empêché d’exécuter le contrat », au sens de cette disposition, en raison de telles circonstances.
47 À cet égard, il y a lieu de relever, premièrement, que les termes « empêché d’exécuter le contrat », utilisés à l’article 12, paragraphe 3, sous b), de la directive 2015/2302, diffèrent des termes « conséquences importantes sur l’exécution du forfait ou sur le transport des passagers vers le lieu de destination », utilisés à l’article 12, paragraphe 2, de cette directive relatif au droit de résiliation du voyageur, termes que la Cour a interprétés comme recouvrant non seulement les conséquences
excluant la possibilité même d’exécuter le forfait concerné, mais également celles affectant de manière significative les conditions d’exécution de ce forfait (arrêt du 29 février 2024, Tez Tour, C‑299/22, EU:C:2024:181, point 48).
48 Cela étant, ces deux dispositions poursuivent l’objectif consistant à reconnaître tant au voyageur qu’à l’organisateur, dans l’hypothèse où se seraient produites des circonstances exceptionnelles et inévitables, des droits de résiliation qui leur sont propres (voir, en ce sens, arrêt du 29 février 2024, Tez Tour, C‑299/22, EU:C:2024:181, point 70).
49 Dans ces conditions, il y a lieu de considérer, à l’instar de l’interprétation que la Cour a retenue à cet égard de l’article 12, paragraphe 2, de la directive 2015/2302, que, pour constater que l’organisateur est « empêché d’exécuter le contrat » en raison de circonstances exceptionnelles et inévitables, au sens de l’article 12, paragraphe 3, sous b), de cette directive, il n’est pas nécessaire que celui-ci se trouve, en raison de telles circonstances, dans l’impossibilité objective d’exécuter
le forfait concerné. Il suffit, au contraire, que les circonstances invoquées affectent de manière significative les conditions d’exécution de ce forfait.
50 Par conséquent, une crise sanitaire, telle que la propagation de la COVID-19, peut, eu égard au risque grave qu’elle représente pour la santé humaine, être considérée comme étant un événement en raison duquel l’organisateur est « empêché d’exécuter le contrat », au sens de l’article 12, paragraphe 3, sous b), de la directive 2015/2302, indépendamment du fait qu’elle ne soit pas nécessairement de nature à rendre cette exécution objectivement impossible (voir, en ce sens, arrêt du 29 février 2024,
Tez Tour, C‑299/22, EU:C:2024:181, point 53).
51 Dans ce cadre, il y a également lieu d’avoir égard à des mesures raisonnables que l’organisateur, ou le voyageur lui-même, ont prises ou pourraient le cas échéant prendre pour que le voyage concerné puisse être effectué en dépit des risques sanitaires ou autres engendrés par les circonstances exceptionnelles et inévitables invoquées par l’organisateur, étant précisé qu’il ne saurait être exigé de l’organisateur qu’il supporte, pour réaliser ce voyage en présence de tels risques, des coûts
disproportionnés, compte tenu de la valeur des services de voyage concernés.
52 En revanche, est dénué de pertinence le simple fait que le voyageur a déclaré vouloir maintenir ledit voyage malgré les risques constatés, dans la mesure où la question de savoir si l’organisateur était empêché d’exécuter le contrat de voyage concerné doit être examinée de manière objective et non pas moyennant des appréciations purement subjectives (voir, en ce sens, arrêts du 29 février 2024, Tez Tour, C‑299/22, EU:C:2024:181, points 54 et 69).
53 Deuxièmement, l’empêchement de l’exécution d’un contrat de voyage à forfait ne se manifestant définitivement qu’au moment où le voyage concerné aurait dû avoir lieu et donc après la date de la résiliation de ce contrat de voyage, l’appréciation d’un tel empêchement revêt nécessairement un caractère prospectif (voir, en ce sens, arrêts du 29 février 2024, Kiwi Tours, C‑584/22, EU:C:2024:188, point 30, et du 29 février 2024, Tez Tour, C‑299/22, EU:C:2024:181, point 66).
54 Il s’ensuit que cette appréciation doit se fonder sur un pronostic en ce qui concerne la probabilité que l’organisateur sera « empêché d’exécuter le contrat », au sens de l’article 12, paragraphe 3, sous b), de la directive 2015/2302, en raison des circonstances exceptionnelles et inévitables qu’il invoque (voir, en ce sens, arrêts du 29 février 2024, Kiwi Tours, C‑584/22, EU:C:2024:188, point 31, et du 29 février 2024, Tez Tour, C‑299/22, EU:C:2024:181, point 67).
55 Dans ce cadre, il est sans intérêt de savoir si, en définitive, la situation prévalant au moment du voyage prévu aurait ou non permis l’exécution du contrat de voyage concerné (voir, en ce sens, arrêt du 29 février 2024, Kiwi Tours, C‑584/22, EU:C:2024:188, point 49).
56 En l’occurrence, il appartiendra à la juridiction de renvoi d’apprécier si Schauinsland-Reisen, au moment de la résiliation du contrat de voyage à forfait, pouvait raisonnablement estimer, notamment sur la base de l’avertissement aux voyageurs en cause au principal, qu’elle serait probablement empêchée d’exécuter ce contrat de voyage en raison des risques sanitaires provoqués par la pandémie de la COVID-19, en ce que cette pandémie, sans nécessairement rendre l’exécution dudit contrat de voyage
objectivement impossible, aurait pourtant affectée les conditions de cette exécution de manière significative, et ce sans que l’adoption de mesures à coûts proportionnés eût pu y remédier.
57 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 12, paragraphe 3, sous b), de la directive 2015/2302 doit être interprété en ce sens que, pour établir qu’il est empêché d’exécuter un contrat de voyage à forfait en raison de circonstances exceptionnelles et inévitables, au sens de cette disposition, l’organisateur peut s’appuyer sur la publication, par les autorités compétentes, d’une recommandation officielle visant à déconseiller aux
voyageurs de se rendre dans la zone concernée, et ce alors même que le voyageur a déclaré vouloir malgré tout maintenir son voyage et qu’il n’aurait pas été objectivement impossible pour l’organisateur d’exécuter ce contrat de voyage. Une telle recommandation ne saurait cependant constituer une preuve irréfutable à cet égard.
Sur les dépens
58 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :
L’article 12, paragraphe 3, sous b), de la directive (UE) 2015/2302 du Parlement européen et du Conseil, du 25 novembre 2015, relative aux voyages à forfait et aux prestations de voyage liées, modifiant le règlement (CE) no 2006/2004 et la directive 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil et abrogeant la directive 90/314/CEE du Conseil,
doit être interprété en ce sens que :
pour établir qu’il est empêché d’exécuter un contrat de voyage à forfait en raison de circonstances exceptionnelles et inévitables, au sens de cette disposition, l’organisateur peut s’appuyer sur la publication, par les autorités compétentes, d’une recommandation officielle visant à déconseiller aux voyageurs de se rendre dans la zone concernée, et ce alors même que le voyageur a déclaré vouloir malgré tout maintenir son voyage et qu’il n’aurait pas été objectivement impossible pour l’organisateur
d’exécuter ce contrat de voyage. Une telle recommandation ne saurait cependant constituer une preuve irréfutable à cet égard.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.