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04/10/2024 | CJUE | N°C-541/20

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, République de Lituanie e.a. contre Parlement européen et Conseil de l'Union européenne., 04/10/2024, C-541/20


ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

4 octobre 2024 (*)

Table des matières

I. Le cadre juridique

A. Le droit international

B. Le droit de l’Union

1. La réglementation relative à la durée du temps de travail

a) Le règlement (CE) no 561/2006

b) Le règlement (UE) no 165/2014

c) Le règlement 2020/1054

2. La réglementation relative à l’exigence d’établissement ainsi qu’aux transports de cabotage et aux transports combinés

a) La directive 92/106/CEE

b) Le r

èglement no 1071/2009

c) Le règlement (CE) no 1072/2009

d) Le règlement 2020/1055

3. La réglementation relative au détachement des trav...

ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)

4 octobre 2024 (*)

Table des matières

I. Le cadre juridique

A. Le droit international

B. Le droit de l’Union

1. La réglementation relative à la durée du temps de travail

a) Le règlement (CE) no 561/2006

b) Le règlement (UE) no 165/2014

c) Le règlement 2020/1054

2. La réglementation relative à l’exigence d’établissement ainsi qu’aux transports de cabotage et aux transports combinés

a) La directive 92/106/CEE

b) Le règlement no 1071/2009

c) Le règlement (CE) no 1072/2009

d) Le règlement 2020/1055

3. La réglementation relative au détachement des travailleurs

a) La directive 96/71/CE

b) La directive 2014/67/UE

c) La directive 2018/957

d) La directive 2020/1057

4. L’accord interinstitutionnel

II. Les antécédents des litiges

III. Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

A. L’affaire C541/20

B. L’affaire C542/20

C. L’affaire C543/20

D. L’affaire C544/20

E. L’affaire C545/20

F. L’affaire C546/20

G. L’affaire C547/20

H. L’affaire C548/20

I. L’affaire C549/20

J. L’affaire C550/20

K. L’affaire C551/20

L. L’affaire C552/20

M. L’affaire C553/20

N. L’affaire C554/20

O. L’affaire C555/20

P. Sur la jonction des affaires C541/20 à C555/20

IV. Sur les recours

A. Sur le règlement 2020/1054

1. Aperçu des moyens

2. Sur l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054

a) Sur la recevabilité

1) Argumentation des parties

2) Appréciation de la Cour

b) Sur le fond

1) Sur la violation du principe de sécurité juridique

i) Argumentation des parties

ii) Appréciation de la Cour

2) Sur la violation du principe de proportionnalité

i) Argumentation des parties

ii) Appréciation de la Cour

– Sur l’accomplissement par le législateur de l’Union d’un examen de la proportionnalité de l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054

– Sur la proportionnalité de l’article 1er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054

3) Sur la violation des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination

i) Argumentation des parties

ii) Appréciation de la Cour

4) Sur la violation des libertés fondamentales garanties par le traité FUE

i) Argumentation des parties

ii) Appréciation de la Cour

5) Sur la violation de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE

i) Argumentation des parties

ii) Appréciation de la Cour

6) Sur la violation des règles du droit de l’Union en matière de protection de l’environnement

i) Argumentation des parties

ii) Appréciation de la Cour

3. Sur l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054

a) Sur la violation du principe de proportionnalité

1) Argumentation des parties

2) Appréciation de la Cour

i) Sur l’accomplissement par le législateur de l’Union d’un examen de la proportionnalité de l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054

ii) Sur la proportionnalité de l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054

– Sur l’aptitude de l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 à réaliser l’objectif poursuivi

– Sur le caractère nécessaire de l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054

– Sur le caractère proportionné de l’article 1er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054

b) Sur la violation des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination

1) Argumentation des parties

2) Appréciation de la Cour

c) Sur la violation des dispositions du traité FUE relatives à la libre prestation de services

1) Argumentation des parties

2) Appréciation de la Cour

d) Sur la violation de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE

1) Argumentation des parties

2) Appréciation de la Cour

4. Sur l’article 2, point 2, du règlement 2020/1054

a) Observations liminaires

b) Sur l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation et la violation du principe de proportionnalité

1) Argumentation des parties

2) Appréciation de la Cour

c) Sur la violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime

1) Argumentation des parties

2) Appréciation de la Cour

d) Sur la violation de l’article 151, deuxième alinéa, TFUE

1) Argumentation des parties

2) Appréciation de la Cour

5. Sur l’article 3 du règlement 2020/1054

a) Argumentation des parties

b) Appréciation de la Cour

6. Conclusion concernant le règlement 2020/1054

B. Sur le règlement 2020/1055

1. Aperçu des moyens

2. Sur l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement no 1071/2009

1. Sur la violation du principe de proportionnalité

1) Sur l’accomplissement par le législateur de l’Union d’un examen de la proportionnalité de l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement no 1071/2009

1. Argumentation des parties

2. Appréciation de la Cour

2. Sur la proportionnalité de l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement no 1071/2009

2. Sur les autres moyens dirigés contre l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement no 1071/2009

3. Sur l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055

1. Sur la violation du principe de proportionnalité

1. Sur l’accomplissement par le législateur de l’Union d’un examen de la proportionnalité de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055

1. Argumentation des parties

2. Appréciation de la Cour

2. Sur la proportionnalité de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055

1. Argumentation des parties

2. Appréciation de la Cour

1. Sur l’aptitude de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 à réaliser l’objectif poursuivi

2. Sur le caractère nécessaire de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055

3. Sur le caractère proportionné de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055

2. Sur la violation des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination

1. Argumentation des parties

2. Appréciation de la Cour

3. Sur la violation de l’article 91, paragraphe 1, TFUE

1. Argumentation des parties

2. Appréciation de la Cour

4. Sur la violation de l’article 90 TFUE, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 3, TUE, de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE

1. Argumentation des parties

2. Appréciation de la Cour

5. Sur la violation des libertés fondamentales garanties par le traité FUE

1. Argumentation des parties

2. Appréciation de la Cour

6. Sur la violation des règles du droit de l’Union et des engagements de l’Union en matière de protection de l’environnement

1. Argumentation des parties

2. Appréciation de la Cour

4. Sur l’article 1er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous g), à l’article 5 du règlement no 1071/2009

1. Sur la violation du principe de sécurité juridique

1. Argumentation des parties

2. Appréciation de la Cour

2. Sur la violation du principe de proportionnalité

1. Argumentation des parties

2. Appréciation de la Cour

3. Sur la violation de l’article 11 TFUE et de l’article 37 de la Charte

1. Argumentation des parties

2. Appréciation de la Cour

5. Sur l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055

1. Sur la violation du principe de proportionnalité

1. Argumentation des parties

2. Appréciation de la Cour

2. Sur la violation de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE

1. Argumentation des parties

2. Appréciation de la Cour

3. Sur la violation de l’article 11 TFUE et de l’article 37 de la Charte

1. Argumentation des parties

2. Appréciation de la Cour

6. Conclusion concernant le règlement 2020/1055

C. Sur la directive 2020/1057

1. Aperçu des moyens

2. Sur la réglementation de l’Union applicable au détachement des conducteurs dans le secteur du transport routier

3. Sur l’article 1er de la directive 2020/1057

a) Sur la violation de l’article 1er, paragraphe 3, sous a), de la directive 96/71

1) Argumentation des parties

2) Appréciation de la Cour

b) Sur la violation des principes d’égalité de traitement et de nondiscrimination

1) Argumentation des parties

2) Appréciation de la Cour

i) Considérations liminaires

ii) Sur l’existence des traitements discriminatoires allégués

– Sur le prétendu traitement discriminatoire des opérations de transport tiers par rapport aux opérations de transport bilatérales

– Sur le prétendu traitement discriminatoire des opérations de transport combiné par rapport aux opérations de transport bilatérales

c) Sur la violation du principe de proportionnalité

1) Sur l’accomplissement par le législateur de l’Union d’un examen de la proportionnalité de l’article 1er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057

i) Argumentation des parties

ii) Appréciation de la Cour

2) Sur la proportionnalité de l’article 1er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057

i) Argumentation des parties

ii) Appréciation de la Cour

– Sur l’aptitude de l’article 1er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057 à réaliser l’objectif poursuivi

– Sur le caractère nécessaire de l’article 1er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057

– Sur le caractère proportionné de l’article 1er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057

d) Sur la violation de l’article 91, paragraphe 1, TFUE

1) Argumentation des parties

2) Appréciation de la Cour

e) Sur la violation de l’article 90 TFUE, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 3, TUE, de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE

1) Argumentation des parties

2) Appréciation de la Cour

f) Sur la violation de la libre circulation des marchandises et de la libre prestation de services

1) Argumentation des parties

2) Appréciation de la Cour

i) Sur la libre circulation des marchandises

ii) Sur la libre prestation des services

g) Sur la violation de l’article 11 TFUE et de l’article 37 de la Charte

1) Argumentation des parties

2) Appréciation de la Cour

4. Sur l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2020/1057

a) Argumentation des parties

b) Appréciation de la Cour

5. Conclusion concernant la directive 2020/1057

D. Conclusion générale sur les recours

V. Sur les dépens

« Recours en annulation – Premier train de mesures sur la mobilité (“Paquet mobilité”) – Règlement (UE) 2020/1054 – Durées maximales de conduite journalières et hebdomadaires – Durée minimale des pauses et des temps de repos journaliers et hebdomadaires – Organisation du travail des conducteurs de telle sorte que ceux-ci soient en mesure de retourner toutes les trois ou quatre semaines, selon le cas, à leur lieu de résidence ou au centre opérationnel de leur employeur pour y entamer ou y passer leur
temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire – Interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule – Délai pour l’installation de tachygraphes intelligents de deuxième génération (V2) – Date d’entrée en vigueur – Règlement (UE) 2020/1055 – Conditions relatives à l’exigence d’établissement – Obligation relative au retour des véhicules dans le centre opérationnel de l’État membre d’établissement – Obligation relative au nombre de véhicules et de conducteurs normalement
rattachés au centre opérationnel de l’État membre d’établissement – Cabotage – Période de carence de quatre jours pour le cabotage – Dérogation relative au cabotage dans le cadre d’opérations de transports combinés – Directive (UE) 2020/1057 – Règles spécifiques pour le détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier – Délai de transposition – Marché intérieur – Régime spécifique applicable à la libre prestation des services de transport – Politique commune des transports –
Articles 91 et 94 TFUE – Libertés fondamentales – Principe de proportionnalité – Analyse d’impact – Principes d’égalité de traitement et de non-discrimination – Principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime – Protection de l’environnement – Article 11 TFUE – Consultation du Comité économique et social européen ainsi que du Comité européen des régions »

Dans les affaires jointes C‑541/20 à C‑555/20,

ayant pour objet des recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, introduits le 23 octobre 2020 (affaires C‑541/20 à C‑550/20 et C‑552/20) et le 26 octobre 2020 (affaires C‑551/10 et C‑553/20 à C‑555/20),

République de Lituanie, représentée par MM. K. Dieninis, R. Dzikovič et M^me V. Kazlauskaitė-Švenčionienė, en qualité d’agents, assistés de M^e R. Petravičius, advokatas, M^mes A. Kisieliauskaitė et G. Taluntyté (C‑541/20 et C‑542/20),

République de Bulgarie, représentée initialement par M^mes M. Georgieva, T. Mitova et L. Zaharieva, puis par M^mes T. Mitova et L. Zaharieva, en qualité d’agents (C‑543/20 à C‑545/20),

Roumanie, représentée par M^mes R. Antonie, L.–E. Baţagoi, M. Chicu, E. Gane, R.–I. Haţieganu, L. Liţu et A. Rotăreanu, en qualité d’agents (C‑546/20 à C‑548/20),

République de Chypre, représentée par M^me I. Neophytou, en qualité d’agent (C‑549/20 et C‑550/20),

Hongrie, représentée par M. M. Z. Fehér et M^me K. Szíjjártó, en qualité d’agents (C‑551/20),

République de Malte, représentée par M^me A. Buhagiar, en qualité d’agent, assistée de M^es D. Sarmiento Ramírez-Escudero et J. Sedano Lorenzo, abogados (C‑552/20),

République de Pologne, représentée par MM. B. Majczyna, M. Horoszko, D. Krawczyk et M^me D. Lutostańska, en qualité d’agents (C‑553/20 à C‑555/20),

parties requérantes,

soutenues par :

Royaume de Belgique, représenté initialement par MM. S. Baeyens, P. Cottin, L. Delmotte et J.-C. Halleux, M^me C. Pochet et M. B. Van Hyfte, puis par MM. S. Baeyens, P. Cottin, L. Delmotte, M^me C. Pochet et M. B. Van Hyfte, en qualité d’agents (C‑552/20),

République d’Estonie, représentée initialement par M^mes N. Grünberg et M. Kriisa, puis par M^me M. Kriisa, en qualité d’agents (C‑541/20, C‑542/20, C‑544/20, C‑545/20, C‑547/20 à C‑552/20, C‑554/20 et C‑555/20),

République de Lettonie, représentée initialement par M^mes K. Pommere, I. Romanovska et V. Soņeca, puis par M^mes J. Davidoviča, K. Pommere et I. Romanovska, en qualité d’agents (C‑541/20 à C‑555/20),

République de Lituanie, représentée par MM. K. Dieninis, R. Dzikovič et M^me V. Kazlauskaitė-Švenčionienė, en qualité d’agents, assistés de M^e R. Petravičius, advokatas, M^mes A. Kisieliauskaitė et G. Taluntyté (C‑545/20, C‑547/20, C‑549/20, C‑551/20, C‑552/20 et C‑554/20),

Roumanie, représentée par M^mes R. Antonie, L.-E. Baţagoi, M. Chicu E. Gane, R.–I. Haţieganu, L. Liţu et A. Rotăreanu, en qualité d’agents (C‑541/20 à C‑545/20 et C‑549/20 à C‑555/20),

parties intervenantes,

contre

Parlement européen, représenté initialement par M^me I. Anagnostopoulou, M. O. Denkov, M^me C. Ionescu–Dima, MM. A. Tamás et S. Toliušis, puis par M^me I. Anagnostopoulou, M. O. Denkov, M^me C. Ionescu–Dima, MM. W. D. Kuzmienko, B. D. Simon, S. Toliušis et R. van de Westelaken, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par :

Royaume de Danemark, représenté initialement par M. J. Nymann-Lindegren, M^mes M. Søndahl Wolff et L. Teilgård, puis par M^mes V. Pasternak Jørgensen, M. Søndahl Wolff et L. Teilgård, puis par M^mes V. Pasternak Jørgensen et M. Søndahl Wolff, et enfin par M^mes C. Maertens et M. Søndahl Wolff, en qualité d’agents (C‑541/20 à C‑555/20),

République fédérale d’Allemagne, représentée initialement par MM. J. Möller et D. Klebs , puis par M. J. Möller, en qualité d’agents (C‑541/20 à C‑555/20),

République hellénique (C‑542/20, C‑543/20, C‑545/20 à C‑547/20 et C‑551/20),

République française, représentée initialement par M^me A.‑L. Desjonquères, M. A. Ferrand et M^me N. Vincent, puis par M^mes A.‑L. Desjonquères et N. Vincent, puis par MM. R. Bénard, J.‑L. Carré, V. Depenne, M^me A.‑L. Desjonquères et M. B. Herbaut, et enfin par M. R. Bénard, M^me M. Guiresse, M. B. Herbaut et M^me B. Travard, en qualité d’agents (C‑541/20 à C‑555/20),

Grand-Duché de Luxembourg, représenté initialement par MM. A. Germeaux et T. Uri, puis par M. A. Germeaux, en qualité d’agents (C‑541/20 à C‑555/20),

Royaume des Pays-Bas, représenté par M^me M. K. Bulterman et M. J. Langer, en qualité d’agents (C‑541/20 à C‑555/20),

République d’Autriche, représentée par M. A. Posch et M^me J. Schmoll, en qualité d’agents (C‑541/20 à C‑555/20),

Royaume de Suède, représenté initialement par M^me H. Eklinder, M. J. Lundberg, M^mes C. Meyer-Seitz, A. Runeskjöld, M. Salborn Hodgson, R. Shahsavan Eriksson, H. Shev et M. O. Simonsson, puis par M^mes H. Eklinder, C. Meyer-Seitz, A. Runeskjöld, M. Salborn Hodgson, R. Shahsavan Eriksson, H. Shev et M. O. Simonsson, en qualité d’agents (C‑541/20 à C‑555/20),

parties intervenantes,

et

Conseil de l’Union européenne, représenté par MM. M. Bencze, I. Gurov, A. Norberg, M^me K. Pavlaki, M. V. Sanda, M^me A. Sikora-Kaléda, M. A. Vârnav et M^me L. Vétillard, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenu par :

Royaume de Danemark, représenté initialement par M. J. Nymann-Lindegren, M^mes M. Søndahl Wolff et L. Teilgård, puis par M^mes V. Pasternak Jørgensen, M. Søndahl Wolff et L. Teilgård, puis par M^mes V. Pasternak Jørgensen et M. Søndahl Wolff, et enfin par M^mes C. Maertens et M. Søndahl Wolff, en qualité d’agents (C‑541/20 à C‑555/20),

République fédérale d’Allemagne, représentée initialement par MM. J. Möller et D. Klebs, puis par M. J. Möller, en qualité d’agents (C‑541/20 à C‑555/20),

République hellénique (C‑542/20, C‑543/20, C‑545/20 à C‑547/20 et C‑551/20),

République française, représentée initialement par M^me A.‑L. Desjonquères, M. A. Ferrand et M^me N. Vincent, puis par M^mes A.‑L. Desjonquères et N. Vincent, puis par MM. R. Bénard, J.‑L. Carré, V. Depenne, M^me A.–L. Desjonquères et M. B. Herbaut, et enfin par M. R. Bénard, M^me M. Guiresse, M. B. Herbaut et M^me B. Travard, en qualité d’agents (C‑541/20 à C‑555/20),

République italienne, représentée par M^me G. Palmieri, en qualité d’agent, puis par M. S. Fiorentino, en qualité d’agent, assistés de MM. A. Lipari et G. Santini, avvocati dello Stato (C‑541/20 à C‑555/20),

Grand-Duché de Luxembourg, représenté initialement par MM. A. Germeaux et T. Uri, puis par M. A. Germeaux, en qualité d’agents (C‑541/20 à C‑555/20),

Royaume des Pays-Bas, représenté par M^me M. K. Bulterman et M. J. Langer, en qualité d’agents (C‑541/20 à C‑555/20),

République d’Autriche, représentée par M. A. Posch et M^me J. Schmoll, en qualité d’agents (C‑541/20 à C‑555/20),

Royaume de Suède, représenté initialement par M^me H. Eklinder, M. J. Lundberg, M^mes C. Meyer-Seitz, A.  Runeskjöld, M. Salborn Hodgson, R. Shahsavan Eriksson, H. Shev et M. O. Simonsson, puis par M^mes H. Eklinder, C. Meyer-Seitz, A. Runeskjöld, M. Salborn Hodgson, R. Shahsavan Eriksson, H. Shev et M. O. Simonsson, en qualité d’agents (C‑541/20 à C‑555/20),

parties intervenantes,

LA COUR (grande chambre),

composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice–président, MM. E. Regan (rapporteur), T. von Danwitz, F. Biltgen et Z. Csehi, présidents de chambre, MM. S. Rodin, A. Kumin, M^me I. Ziemele, MM. J. Passer, D. Gratsias, M^me M. L. Arastey Sahún et M. M. Gavalec, juges,

avocat général : M. G. Pitruzzella,

greffier : M^mes R. Şereş et R. Stefanova-Kamisheva, administratrices,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience des 24 et 25 avril 2023,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 14 novembre 2023,

rend le présent

Arrêt

1        Par ses requêtes, la République de Lituanie (C‑541/20 et C‑542/20) demande à la Cour d’annuler :

–        à titre principal, l’article 1^er, point 6, sous d), et l’article 3 du règlement (UE) 2020/1054 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2020, modifiant le règlement (CE) n^o 561/2006 en ce qui concerne les exigences minimales relatives aux durées maximales de conduite journalières et hebdomadaires et à la durée minimale des pauses et des temps de repos journaliers et hebdomadaires, et le règlement (UE) n^o 165/2014 en ce qui concerne la localisation au moyen de tachygraphes
(JO 2020, L 249, p. 1), ou, à titre subsidiaire, l’intégralité du règlement 2020/1054 (C‑541/20) ;

–        l’article 1^er, point 3, du règlement (UE) 2020/1055 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2020, modifiant les règlements (CE) n^o 1071/2009, (CE) n^o 1072/2009 et (UE) n^o 1024/2012 en vue de les adapter aux évolutions du secteur du transport par route (JO 2020, L 249, p. 17), en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement (CE) n^o 1071/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, établissant des règles communes sur les conditions à
respecter pour exercer la profession de transporteur par route, et abrogeant la directive 96/26/CE du Conseil (JO 2009, L 300, p. 51), ainsi que l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 (C‑542/20), et

–        à titre principal, l’article 1^er, paragraphes 3 et 7, de la directive (UE) 2020/1057 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2020, établissant des règles spécifiques en ce qui concerne la directive 96/71/CE et la directive 2014/67/UE pour le détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier et modifiant la directive 2006/22/CE quant aux exigences en matière de contrôle et le règlement (UE) n^o 1024/2012 (JO 2020, L 249, p. 49), ou, à titre subsidiaire,
l’intégralité de la directive 2020/1057 (C‑541/20).

2        Par ses requêtes, la République de Bulgarie (C‑543/20 à C‑545/20) demande à la Cour d’annuler :

–        à titre principal, l’article 1^er, point 6, sous c) et d), du règlement 2020/1054 ou, à titre subsidiaire, l’intégralité de ce règlement (C‑543/20) ;

–        la directive 2020/1057 (C‑544/20), et

–        à titre principal, l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, ou, à titre subsidiaire, l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055 dans son intégralité, ainsi que l’article 2, point 4, sous a), de ce règlement, ou, à titre subsidiaire, l’article 2, point 4, dudit règlement ou, à titre encore plus subsidiaire, l’intégralité du même règlement (C‑545/20).

3        Par ses requêtes, la Roumanie (C‑546/20 à C‑548/20) demande à la Cour d’annuler :

–        à titre principal, l’article 1^er, point 6, sous c) et d), du règlement 2020/1054 ou, à titre subsidiaire, l’intégralité de ce règlement (C‑546/20) ;

–        l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, ainsi que l’article 2, point 4, sous a) à c), du règlement 2020/1055 ou, à titre subsidiaire, l’intégralité de ce règlement (C‑547/20), et

–        à titre principal, l’article 1^er, paragraphes 3 à 6, de la directive 2020/1057 ou, à titre subsidiaire, l’intégralité de cette directive (C‑548/20).

4        Par ses requêtes, la République de Chypre (C‑549/20 et C‑550/20) demande à la Cour d’annuler :

–        à titre principal, l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, ou, à titre subsidiaire, l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055 dans son intégralité ou, à titre encore plus subsidiaire, l’intégralité de ce règlement (C‑549/20), et

–        l’intégralité de la directive 2020/1057 (C‑550/20).

5        Par sa requête, la Hongrie (C‑551/20) demande à la Cour d’annuler :

–        l’article 1^er, point 6, sous c), et l’article 2, point 2, du règlement 2020/1054, ainsi que, le cas échéant, toutes les dispositions de ce règlement qui leur sont indissociables, voire l’intégralité dudit règlement ;

–        l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, ainsi que, le cas échéant, toutes les dispositions du règlement 2020/1055 qui lui sont indissociables, et

–        à titre principal, l’article 1^er de la directive 2020/1057 ou, à titre subsidiaire, l’article 1^er, paragraphe 6, de cette directive, ainsi que, le cas échéant, toutes les dispositions qui lui sont indissociables.

6        Par sa requête, la République de Malte (C‑552/20) demande à la Cour d’annuler l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, et l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055.

7        Par ses requêtes, la République de Pologne (C‑553/20 à C‑555/20) demande à la Cour d’annuler :

–        à titre principal, l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 ou, à titre subsidiaire, l’intégralité de ce règlement (C‑553/20) ;

–        à titre principal, l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous g), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, ainsi que l’article 2, point 5, sous b), de ce règlement ou, à titre subsidiaire, ledit règlement dans son intégralité (C‑554/20), et

–        à titre principal, l’article 1^er, paragraphes 3, 4, 6 et 7, ainsi que l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2020/1057 ou, à titre subsidiaire, l’intégralité de cette directive (C‑555/20).

I.      Le cadre juridique

A.      Le droit international

8        Le 9 mai 1992 a été adoptée à New York la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (Recueil des traités des Nations unies, vol. 1771, p. 107, ci-après la « CCNUCC »), dont l’objectif ultime est de stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique. Le 11 décembre 1997, les parties à la CCNUCC ont, au titre de cette dernière, adopté le protocole de Kyoto à
cette convention-cadre.

9        Afin d’anticiper la fin de la deuxième période d’engagement du protocole de Kyoto, laquelle couvrait la période 2013-2020, la Conférence des parties à la CCNUCC a adopté, le 12 décembre 2015, l’accord de Paris sur le changement climatique, en ayant pour objectif principal de contenir l’élévation de la température de la planète entre 1,5 °C et 2 °C au-dessus des niveaux préindustriels.

10      L’article 2 de cet accord stipule :

« 1.      Le présent Accord, en contribuant à la mise en œuvre de la [CCNUCC], notamment de son objectif, vise à renforcer la riposte mondiale à la menace des changements climatiques, dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté, notamment en :

a)      Contenant l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et en poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels, étant entendu que cela réduirait sensiblement les risques et les effets des changements climatiques ;

b)      Renforçant les capacités d’adaptation aux effets néfastes des changements climatiques et en promouvant la résilience à ces changements et un développement à faible émission de gaz à effet de serre, d’une manière qui ne menace pas la production alimentaire ;

c)      Rendant les flux financiers compatibles avec un profil d’évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques.

2.      Le présent Accord sera appliqué conformément à l’équité et au principe des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives, eu égard aux différentes situations nationales. »

11      L’article 4 dudit accord prévoit, à ses paragraphes 1 à 3 :

« 1.      En vue d’atteindre l’objectif de température à long terme énoncé à l’article 2, les Parties cherchent à parvenir au plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais, étant entendu que le plafonnement prendra davantage de temps pour les pays en développement Parties, et à opérer des réductions rapidement par la suite conformément aux meilleures données scientifiques disponibles de façon à parvenir à un équilibre entre les émissions anthropiques par les
sources et les absorptions anthropiques par les puits de gaz à effet de serre au cours de la deuxième moitié du siècle, sur la base de l’équité, et dans le contexte du développement durable et de la lutte contre la pauvreté.

2.      Chaque Partie établit, communique et actualise les contributions déterminées au niveau national successives qu’elle prévoit de réaliser. Les Parties prennent des mesures internes pour l’atténuation en vue de réaliser les objectifs desdites contributions.

3.      La contribution déterminée au niveau national suivante de chaque Partie représentera une progression par rapport à la contribution déterminée au niveau national antérieure et correspondra à son niveau d’ambition le plus élevé possible, compte tenu de ses responsabilités communes mais différenciées et de ses capacités respectives, eu égard aux différentes situations nationales. »

B.      Le droit de l’Union

1.      La réglementation relative à la durée du temps de travail

a)      Le règlement (CE) n^o 561/2006

12      Le règlement (CE) n^o 561/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, relatif à l’harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route, modifiant les règlements (CEE) n^o 3821/85 et (CE) n^o 2135/98 du Conseil et abrogeant le règlement (CEE) n^o 3820/85 du Conseil (JO 2006, L 102, p. 1), a été modifié, en dernier lieu, en plusieurs de ses dispositions, par le règlement 2020/1054.

13      Figurant dans le chapitre I du règlement n^o 561/2006, intitulé « Dispositions introductives », l’article 4, sous d) à h), de ce règlement, qui n’a pas été modifié par le règlement 2020/1054, dispose :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

[...]

d)      “pause” : toute période pendant laquelle un conducteur n’a pas le droit de conduire ou d’effectuer d’autres tâches, et qui doit uniquement lui permettre de se reposer ;

[...]

f)      “repos” : toute période ininterrompue pendant laquelle un conducteur peut disposer librement de son temps ;

g)      “temps de repos journalier” : la partie d’une journée pendant laquelle un conducteur peut disposer librement de son temps et qui peut être un “temps de repos journalier normal” ou un “temps de repos journalier réduit” :

–        “temps de repos journalier normal” : toute période de repos d’au moins onze heures. Ce temps de repos journalier normal peut aussi être pris en deux tranches, dont la première doit être une période ininterrompue de trois heures au moins et la deuxième une période ininterrompue d’au moins neuf heures ;

–        “temps de repos journalier réduit” : toute période de repos d’au moins neuf heures, mais de moins de onze heures ;

h)      “temps de repos hebdomadaire” : une période hebdomadaire pendant laquelle un conducteur peut disposer librement de son temps, et qui peut être un “temps de repos hebdomadaire normal” ou un “temps de repos hebdomadaire réduit” :

–        “temps de repos hebdomadaire normal” : toute période de repos d’au moins quarante-cinq heures ;

–        “temps de repos hebdomadaire réduit” : toute période de repos de moins de quarante-cinq heures, pouvant être réduite à un minimum de vingt-quatre heures consécutives, sous réserve des conditions énoncées à l’article 8, paragraphe 6 ;

[...] »

14      Figurant dans le chapitre II du règlement n^o 561/2006, intitulé « Équipages, durées de conduite, pauses et temps de repos », l’article 8, paragraphes 6 et 8, de ce règlement, dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur du règlement 2020/1054, prévoyait :

« 6.      Au cours de deux semaines consécutives, un conducteur prend au moins :

–        deux temps de repos hebdomadaires normaux, ou

–        un temps de repos hebdomadaire normal ou un temps de repos hebdomadaire réduit d’au moins vingt-quatre heures. Toutefois, la réduction est compensée par une période de repos équivalente prise en bloc avant la fin de la troisième semaine suivant la semaine en question.

Un temps de repos hebdomadaire commence au plus tard à la fin de six périodes de vingt-quatre heures à compter du temps de repos hebdomadaire précédent.

[...]

8.      Si un conducteur en fait le choix, les temps de repos journaliers et temps de repos hebdomadaires réduits loin du point d’attache peuvent être pris à bord du véhicule, à condition que celui-ci soit équipé d’un matériel de couchage convenable pour chaque conducteur et qu’il soit à l’arrêt. »

15      Au sein du même chapitre, l’article 9, paragraphes 2 et 3, du règlement n^o 561/2006, dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur du règlement 2020/1054, énonçait :

« 2.      Tout temps passé par un conducteur pour se rendre sur le lieu de prise en charge d’un véhicule entrant dans le champ d’application du présent règlement ou en revenir, lorsque celui-ci ne se trouve ni au lieu de résidence du conducteur ni à l’établissement de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché, n’est pas considéré comme repos ou pause, à moins que le conducteurse trouve dans un ferry ou un train et ait accès à une couchette.

3.      Tout temps passé par un conducteur conduisant un véhicule n’entrant pas dans le champ d’application du présent règlement pour se rendre sur le lieu de prise en charge d’un véhicule entrant dans le champ d’application du présent règlement ou en revenir, lorsque celui-ci ne se trouve ni au lieu de résidence du conducteur ni à l’établissement de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché, est considéré comme une autre tâche. »

16      Figurant dans le chapitre IV du règlement n^o 561/2006, intitulé « Dérogations », l’article 14 de ce règlement, dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur du règlement 2020/1054, était ainsi libellé :

« 1.      À condition que cela ne soit pas préjudiciable aux objectifs visés à l’article 1^er, les États membres peuvent, après autorisation de la Commission, accorder des dérogations à l’application des articles 6 à 9 pour des opérations de transport effectuées dans des circonstances exceptionnelles.

2.      Dans des cas d’urgence, les États membres peuvent accorder une dérogation temporaire pour une durée ne dépassant pas trente jours, qu’ils notifient immédiatement à la Commission.

3.      La Commission notifie aux autres États membres toute dérogation accordée au titre du présent article. »

17      Aux termes de l’article 16, paragraphe 2, du règlement n^o 561/2006, qui figure dans le chapitre V de ce règlement, intitulé « Procédures de contrôle et sanctions », et qui n’a pas été modifié par le règlement 2020/1054 :

« L’entreprise de transport établit un horaire et un tableau de service indiquant, pour chaque conducteur, le nom, le point d’attache et l’horaire préétabli pour les différentes périodes de conduite, les autres tâches, les pauses et les moments de disponibilité.

Chaque conducteur affecté à un service visé au paragraphe 1 est porteur d’un extrait du tableau de service et d’une copie de l’horaire de service. »

18      Au sein du même chapitre, l’article 18 du règlement n^o 561/2006, qui n’a pas été modifié par le règlement 2020/1054, dispose :

« Les États membres adoptent les mesures nécessaires à l’application du présent règlement. »

b)      Le règlement (UE) n^o 165/2014

19      Le règlement (UE) n^o 165/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 4 février 2014, relatif aux tachygraphes dans les transports routiers, abrogeant le règlement (CEE) n^o 3821/85 du Conseil concernant l’appareil de contrôle dans le domaine des transports par route et modifiant le règlement n^o 561/2006 (JO 2014, L 60, p. 1), a été modifié, en plusieurs de ses dispositions, par le règlement 2020/1054.

20      Figurant dans le chapitre I du règlement n^o 165/2014, intitulé « Principes, champ d’application et prescriptions », l’article 3 de ce règlement, lui‑même intitulé « Champ d’application », dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur du règlement 2020/1054, prévoyait, à son paragraphe 4 :

« Quinze ans après que l’obligation de disposer d’un tachygraphe conformément aux articles 8, 9 et 10 est imposée aux véhicules nouvellement immatriculés, les véhicules circulant dans un État membre autre que leur État membre d’immatriculation sont équipés d’un tel tachygraphe. »

21      Figurant dans le chapitre II du règlement n^o 165/2014, intitulé « Tachygraphe intelligent », l’article 11 de ce règlement, lui-même intitulé « Dispositions détaillées relatives au tachygraphe intelligent », dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur du règlement 2020/1054, disposait :

« Afin de faire en sorte que les tachygraphes intelligents soient conformes aux principes et aux exigences énoncés dans le présent règlement, la Commission arrête, aux moyens d’actes d’exécution, les dispositions détaillées qui sont nécessaires pour assurer l’application uniforme des articles 8, 9 et 10, à l’exclusion de toute disposition prévoyant l’enregistrement de données supplémentaires par le tachygraphe. Ces actes d’exécution sont adoptés conformément à la procédure d’examen visée à
l’article 42, paragraphe 3.

Les dispositions détaillées visées au premier alinéa :

a)      couvrent, en ce qui concerne l’exécution des fonctions du tachygraphe intelligent visées au présent chapitre, les exigences nécessaires pour garantir la sécurité, la précision et la fiabilité des données fournies au tachygraphe par le service de positionnement par satellite et la technologie de communication à distance visées aux articles 8 et 9 ;

b)      précisent les différentes conditions et exigences applicables au service de positionnement par satellite et à la technologie de communication à distance visées aux articles 8 et 9, qui peuvent être situés en dehors ou à l’intérieur du tachygraphe et, lorsqu’ils sont situés en dehors, précisent les conditions applicables à l’utilisation du signal de positionnement par satellite comme second capteur de mouvement ;

c)      précisent les normes requises pour l’interface visée à l’article 10. Ces normes peuvent comprendre une disposition relative à la répartition des droits d’accès entre les conducteurs, les ateliers et les entreprises de transport, et précisent les missions de contrôle concernant les données enregistrées par le tachygraphe ; lesquelles missions de contrôle sont fondées sur un mécanisme d’authentification/d’autorisation défini pour l’interface, par exemple un certificat pour chaque niveau
d’accès, sous réserve de sa faisabilité technique. »

22      Figurant dans le chapitre VI du règlement n^o 165/2014, intitulé « Utilisation des équipements », l’article 33 de ce règlement, lui-même intitulé « Responsabilité des entreprises de transport », qui n’a pas été modifié par le règlement 2020/1054, énonce, à son paragraphe 2 :

« Les entreprises de transport conservent, par ordre chronologique et sous une forme lisible, les feuilles d’enregistrement, ainsi que les données imprimées chaque fois que celles-ci sont produites en application de l’article 35, pendant au moins un an après leur utilisation et elle en remet une copie aux conducteurs concernés qui en font la demande. Les entreprises de transport remettent également une copie des données téléchargées depuis les cartes de conducteur aux conducteurs concernés qui en
font la demande ainsi que les versions imprimées de ces copies. Les feuilles d’enregistrement, les données imprimées et les données téléchargées sont présentées ou remises sur demande de tout agent de contrôle habilité. »

23      L’article 1^er, paragraphe 2, du règlement d’exécution (UE) 2016/799 de la Commission, du 18 mars 2016, mettant en œuvre le règlement (UE) n^o 165/2014 du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les exigences applicables à la construction, aux essais, à l’installation, à l’utilisation et à la réparation des tachygraphes et de leurs composants (JO 2016, L 139, p. 1), tel que modifié par le règlement d’exécution (UE) 2018/502 de la Commission, du 28 février 2018 (JO 2018, L 85,
p. 1) (ci‑après le « règlement d’exécution 2016/799 »), dispose :

« La construction, les essais, l’installation, l’inspection, l’utilisation et la réparation des tachygraphes intelligents et de leurs composants sont conformes aux exigences techniques énoncées à l’annexe IC du présent règlement. »

24      L’article 6, troisième alinéa, du règlement d’exécution 2016/799 prévoit :

« Toutefois, l’annexe IC s’applique à compter du 15 juin 2019 [...] »

25      L’annexe IC porte sur les exigences de construction, d’essai, d’installation et de contrôle des tachygraphes intelligents.

c)      Le règlement 2020/1054

26      Les considérants 1, 2, 4, 6, 8, 13 à 15, 17 à 19, 23, 27, 34 et 36 du règlement 2020/1054 sont ainsi libellés :

« (1)      De bonnes conditions de travail pour les conducteurs et des conditions commerciales équitables pour les entreprises de transport routier sont d’une importance primordiale pour faire en sorte que le secteur du transport routier soit sûr, efficace et socialement responsable afin de garantir la non-discrimination et d’attirer des travailleurs qualifiés. Afin de faciliter ce processus, il est essentiel que les règles sociales de l’Union dans le domaine du transport routier soient claires,
proportionnées, adaptées à leur objet, faciles à appliquer et à contrôler, et mises en œuvre de manière efficace et cohérente dans l’ensemble de l’Union.

(2)      À la suite de l’évaluation du caractère effectif et efficace de la mise en œuvre de l’ensemble des règles sociales de l’Union en vigueur dans le domaine du transport routier, et notamment du règlement [n^o 561/2006], certaines insuffisances dans la mise en œuvre dudit cadre juridique ont été recensées. L’existence de règles peu claires en ce qui concerne les temps de repos hebdomadaire, les installations de repos et les pauses dans le cadre de la conduite en équipage ainsi que l’absence de
règles relatives au retour des conducteurs à leur lieu de résidence, ont conduit à des interprétations et à des pratiques de contrôle divergentes dans les États membres. Plusieurs États membres ont récemment adopté des mesures unilatérales qui accroissent encore l’insécurité juridique et l’inégalité de traitement des conducteurs et des transporteurs. Cependant, les durées maximales de conduite par jour et par semaine concourent efficacement à l’amélioration des conditions sociales des conducteurs
routiers ainsi que de la sécurité routière en général. Des efforts constants sont nécessaires pour garantir le respect des règles.

[...]

(4)      L’évaluation ex post du règlement [n^o 561/2006] a confirmé que l’application incohérente et inefficace des règles sociales de l’Union était principalement due au manque de clarté des règles, à l’utilisation inefficace et inégale des outils de contrôle et à l’insuffisance de la coopération administrative entre les États membres.

[...]

(6)      Des règles claires, adaptées, proportionnées et appliquées de manière uniforme sont également cruciales pour atteindre les objectifs stratégiques consistant à améliorer les conditions de travail des conducteurs, et en particulier pour garantir une concurrence loyale et non faussée entre les transporteurs et pour contribuer à la sécurité routière pour tous les usagers de la route.

[...]

(8)      Les conducteurs effectuant un transport international de longue distance de marchandises passent de longues périodes loin de leur lieu de résidence. Les exigences actuelles relatives au repos hebdomadaire normal peuvent prolonger inutilement ces périodes. Il est donc souhaitable d’adapter les dispositions relatives aux temps de repos hebdomadaires normaux de manière à ce qu’il soit plus facile pour les conducteurs d’effectuer des opérations de transport international dans le respect des
règles et d’atteindre leur lieu de résidence pour leur temps de repos hebdomadaire normal, et à ce que tous les temps de repos hebdomadaires réduits fassent l’objet d’une compensation intégrale. [...]

[...]

(13)      Afin de promouvoir le progrès social, il convient de préciser le lieu où les temps de repos hebdomadaires peuvent être pris en veillant à ce que les conducteurs bénéficient de conditions de repos adéquates. La qualité du lieu d’hébergement est particulièrement importante pendant les temps de repos hebdomadaires normaux, que les conducteurs devraient passer en dehors de la cabine du véhicule dans un lieu d’hébergement adapté, aux frais de l’entreprise de transport en tant qu’employeur. Afin
d’assurer de bonnes conditions de travail et la sécurité des conducteurs, il convient de préciser l’exigence que les conducteurs disposent d’un lieu d’hébergement de qualité adapté aussi bien pour les femmes que pour les hommes pour leurs temps de repos hebdomadaires normaux si ce repos n’est pas pris à leur lieu de résidence.

(14)      Il est également nécessaire de prévoir que les entreprises de transport organisent le travail des conducteurs de façon que le temps passé loin de leur lieu de résidence ne soit pas excessivement long et que les conducteurs puissent bénéficier de longs temps de repos en compensation de temps de repos hebdomadaires réduits. L’organisation du retour devrait permettre aux conducteurs de rejoindre un centre opérationnel de l’entreprise de transport dans son État membre d’établissement ou leur
lieu de résidence et d’être libres de choisir où passer leur temps de repos. Afin de démontrer qu’elle remplit ses obligations en ce qui concerne l’organisation du retour normal, l’entreprise de transport devrait être en mesure d’utiliser les enregistrements du tachygraphe, les registres de service des conducteurs ou d’autres documents. Ces éléments de preuve devraient être disponibles dans les locaux des entreprises de transport pour présentation sur demande des autorités de contrôle. 

(15)      Étant donné que les temps de repos hebdomadaires normaux et les temps de repos plus longs ne peuvent être pris dans le véhicule ou dans une aire de stationnement mais uniquement dans un lieu d’hébergement approprié, qui peut être adjacent à une aire de stationnement, il est de la plus haute importance de permettre aux conducteurs de localiser des aires de stationnement sûres et sécurisées offrant des niveaux de sécurité appropriés et des installations adéquates. La Commission a déjà étudié
comment encourager l’aménagement d’aires de stationnement de haute qualité, y compris les exigences minimales requises. La Commission devrait dès lors élaborer des normes applicables à des aires de stationnement sûres et sécurisées. Ces normes devraient contribuer à favoriser la création d’aires de stationnement de haute qualité. Les normes peuvent être révisées afin de permettre un meilleur accès aux carburants de substitution, conformément aux politiques d’aménagement de ces infrastructures. Il
est également important que les aires de stationnement soient maintenues exemptes de glace et de neige.

[...]

(17)      Dans l’intérêt de la sécurité routière et de l’application de la loi, il est souhaitable que tous les conducteurs soient pleinement conscients des règles relatives aux durées de conduite et aux temps de repos, ainsi que des risques entraînés par la fatigue. À cet égard, il est important de disposer d’informations facilement accessibles sur les installations de repos disponibles. Par conséquent, il convient que la Commission fournisse des informations sur les aires de stationnement sûres et
sécurisées grâce à un site internet convivial. Ces informations devraient être tenues à jour.

(18)      Afin d’assurer le maintien de la sécurité et de la sûreté des aires de stationnement, il convient de déléguer à la Commission le pouvoir d’adopter des actes conformément à l’article 290 [TFUE] en ce qui concerne l’établissement de normes relatives au niveau de service dans les aires de stationnement sûres et sécurisées ainsi que les procédures de certification pour la sécurité et la sûreté des aires de stationnement. [...]

(19)      Les orientations révisées pour le développement du RTE-T établies par le règlement (UE) n^o 1315/2013 du Parlement européen et du Conseil[, du 11 décembre 2013, sur les orientations de l’Union pour le développement du réseau transeuropéen de transport et abrogeant la décision n^o 661/2010/UE (JO 2013, L 348, p. 1, ci‑après le “règlement RTE-T”),] prévoient l’aménagement d’aires de stationnement environ tous les 100 km sur les autoroutes afin de mettre à la disposition des usagers
commerciaux des zones de stationnement présentant un niveau de sécurité et de sûreté adéquat. Afin d’accélérer et de promouvoir la construction d’infrastructures de stationnement adéquates, il est important que des possibilités suffisantes de cofinancement par l’Union soient disponibles, conformément aux actes juridiques de l’Union, actuels et futurs, établissant les conditions de ce soutien financier.

[...]

(23)      Les États membres devraient prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la mise en œuvre effective, proportionnée et dissuasive des règles nationales concernant les sanctions applicables en cas de non-respect des règlements [n^o 561/2006] et [n^o 165/2014]. [...]

[...]

(27)      L’efficacité du contrôle de l’application des règles sociales au regard des coûts, la rapidité de l’évolution des nouvelles technologies, la numérisation dans l’ensemble de l’économie de l’Union et la nécessité d’avoir des conditions de concurrence équitables pour les entreprises du secteur du transport routier international rendent nécessaire le raccourcissement de la période de transition pour l’installation du tachygraphe intelligent dans les véhicules immatriculés. Les tachygraphes
intelligents contribueront à simplifier les contrôles et, partant, à faciliter le travail des autorités nationales.

[...]

(34)      Il importe que les entreprises de transport établies dans des pays tiers soient soumises à des règles équivalentes aux règles de l’Union lorsqu’elles effectuent des opérations de transport routier sur le territoire de l’Union. La Commission devrait évaluer l’application de ce principe au niveau de l’Union et proposer des solutions adéquates à négocier dans le cadre de l’accord européen relatif au travail des équipages des véhicules effectuant des transports internationaux par route.

[...]

(36)      Étant donné que les objectifs du présent règlement, à savoir l’amélioration de la sécurité routière et des conditions de travail des conducteurs au sein de l’Union à travers l’harmonisation des règles sur les durées de conduite, les pauses et les périodes de repos dans le transport routier et l’harmonisation des règles sur l’utilisation et la mise en place des tachygraphes, ne peuvent pas être atteints de manière suffisante par les États membres mais peuvent, en raison de leur nature,
l’être mieux au niveau de l’Union, celle-ci peut prendre des mesures, conformément au principe de subsidiarité consacré à l’article 5 [TUE]. Conformément au principe de proportionnalité tel qu’énoncé audit article, le présent règlement n’excède pas ce qui est nécessaire pour atteindre ces objectifs. »

27      L’article 1^er, points 6 à 8, 11, 13 et 16, du règlement 2020/1054 prévoit :

« Le règlement [n^o 561/2006] est modifié comme suit :

[...]

6)      L’article 8 est modifié comme suit :

a)      le paragraphe 6 est remplacé par le texte suivant :

“6.      Au cours de deux semaines consécutives, un conducteur prend au moins :

a)      deux temps de repos hebdomadaires normaux ; ou

b)      un temps de repos hebdomadaire normal et un temps de repos hebdomadaire réduit d’au moins vingt-quatre heures.

Un temps de repos hebdomadaire commence au plus tard à la fin de six périodes de vingt-quatre heures à compter de la fin du temps de repos hebdomadaire précédent.

Par dérogation au premier alinéa, un conducteur effectuant un transport international de marchandises peut, en dehors de l’État membre d’établissement, prendre deux temps de repos hebdomadaires réduits consécutifs, à condition de prendre, au cours de quatre semaines consécutives, au moins quatre temps de repos hebdomadaires, dont au moins deux sont des temps de repos hebdomadaires normaux.

Aux fins du présent paragraphe, un conducteur est considéré comme effectuant un transport international lorsqu’il commence les deux temps de repos hebdomadaires réduits consécutifs en dehors de l’État membre d’établissement de l’employeur et en dehors du pays de son lieu de résidence.” ;

[...]

c)      le paragraphe 8 est remplacé par le texte suivant :

“8.      Les temps de repos hebdomadaires normaux et tout temps de repos hebdomadaire de plus de quarante-cinq heures pris en compensation de la réduction d’un temps de repos hebdomadaire antérieur ne peuvent être pris dans un véhicule. Ils sont pris dans un lieu d’hébergement adapté aussi bien pour les femmes que pour les hommes, comportant un matériel de couchage et des installations sanitaires adéquats.

L’employeur prend en charge tous les frais d’hébergement à l’extérieur du véhicule.” ;

d)      le paragraphe suivant est inséré :

“8 bis.      Les entreprises de transport organisent le travail des conducteurs de telle sorte que ces derniers soient en mesure de retourner au centre opérationnel de l’employeur auquel ils sont normalement rattachés pour y entamer leur temps de repos hebdomadaire, situé dans l’État membre d’établissement de leur employeur, ou de retourner à leur lieu de résidence au cours de chaque période de quatre semaines consécutives, afin d’y passer au moins un temps de repos hebdomadaire normal ou un temps
de repos hebdomadaire de plus de quarante-cinq heures pris en compensation de la réduction d’un temps de repos hebdomadaire.

Toutefois, lorsqu’un conducteur a pris deux temps de repos hebdomadaires réduits consécutifs conformément au paragraphe 6, l’entreprise de transport organise le travail du conducteur de telle sorte que celui-ci soit en mesure de rentrer avant le début du temps de repos hebdomadaire normal de plus de quarante-cinq heures pris en compensation.

L’entreprise documente la manière dont elle s’acquitte de cette obligation et conserve cette documentation dans ses locaux afin de la présenter à la demande des autorités de contrôle.”

[...] 

7)      L’article suivant est ajouté :

“Article 8 bis

1.      La Commission veille à ce que les conducteurs assurant le transport de marchandises et de voyageurs par route puissent accéder facilement aux informations concernant les aires de stationnement sûres et sécurisées. La Commission publie une liste de toutes les aires de stationnement qui ont été certifiées, afin que les conducteurs puissent bénéficier de ce qui suit :

–        détection et prévention des intrusions,

–        éclairage et visibilité,

–        point de contact et procédures d’urgence,

–        installations sanitaires adaptées aussi bien pour les femmes que pour les hommes,

–        possibilités d’achat d’aliments et de boissons,

–        connexions permettant la communication,

–        alimentation électrique.

La liste de ces aires de stationnement est publiée sur un site internet officiel unique régulièrement mis à jour.

2.      La Commission adopte des actes délégués conformément à l’article 23 bis afin d’établir des normes précisant davantage le niveau de service et de sécurité en ce qui concerne les domaines énumérés au paragraphe 1 et les procédures de certification des aires de stationnement.

3.      Toutes les aires de stationnement qui ont été certifiées peuvent indiquer qu’elles le sont conformément aux normes et procédures de l’Union.

Conformément à l’article 39, paragraphe 2, point c), du règlement [RTE-T], les États membres encouragent la création de zones de stationnement pour les usagers commerciaux.

4.      Au plus tard le 31 décembre 2024, la Commission présente au Parlement européen et au Conseil un rapport sur la disponibilité d’installations de repos appropriées pour les conducteurs et de parcs de stationnement sécurisés, ainsi que sur l’aménagement d’aires de stationnement sûres et sécurisées certifiées conformément aux actes délégués visés au paragraphe 2. Ce rapport peut énumérer des mesures visant à accroître le nombre et la qualité des aires de stationnement sûres et sécurisées.”

8)      L’article 9 est modifié comme suit :

[...]

b)      le paragraphe 2 est remplacé par le texte suivant :

“2.      Tout temps passé par un conducteur pour se rendre sur le lieu de prise en charge d’un véhicule entrant dans le champ d’application du présent règlement ou en revenir, lorsque celui-ci ne se trouve ni au lieu de résidence du conducteur ni au centre opérationnel de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché, n’est pas considéré comme repos ou pause, à moins que le conducteur se trouve dans un ferry ou un train et ait accès à une cabine couchette ou à une couchette.”

[...]

11)      À l’article 12, les alinéas suivants sont ajoutés :

“Le conducteur peut également, dans des circonstances exceptionnelles, déroger à l’article 6, paragraphes 1 et 2, et à l’article 8, paragraphe 2, en dépassant la durée de conduite journalière et hebdomadaire d’une heure au maximum afin de rejoindre le centre opérationnel de l’employeur ou son lieu de résidence pour prendre un temps de repos hebdomadaire, pour autant que cela ne compromette pas la sécurité routière.

Dans les mêmes conditions, le conducteur peut dépasser la durée de conduite journalière et hebdomadaire de deux heures au maximum, à condition d’avoir observé une pause ininterrompue de trente minutes immédiatement avant la conduite supplémentaire afin d’atteindre le centre opérationnel de l’employeur ou son lieu de résidence pour un temps de repos hebdomadaire normal.

[...]”

[...]

13)      À l’article 14, le paragraphe 2 est remplacé par le texte suivant :

“2.      Dans des cas d’urgence, les États membres peuvent accorder, dans des circonstances exceptionnelles, une dérogation temporaire pour une durée ne dépassant pas trente jours, qu’ils motivent dûment et notifient immédiatement à la Commission. La Commission publie immédiatement ces informations sur un site internet public.”

[...] 

16)      À l’article 19, le paragraphe 1 est remplacé par le texte suivant :

“1.      Les États membres établissent des règles concernant les sanctions applicables aux infractions au présent règlement et au règlement [n^o 165/2014] et prennent toutes les mesures nécessaires pour veiller à ce qu’elles soient appliquées. Ces sanctions sont effectives et proportionnées à la gravité de l’infraction [...] ainsi que dissuasives et non discriminatoires. Aucune infraction au présent règlement ou au règlement [n^o 165/2014] ne donne lieu à plus d’une sanction ou plus d’une procédure.
[...]” »

28      L’article 2 du règlement 2020/1054 est ainsi libellé :

« Le règlement (UE) n^o 165/2014 est modifié comme suit :

[...]

2)      À l’article 3, le paragraphe 4 est remplacé par le texte suivant :

“4.      Au plus tard trois ans après la fin de l’année de l’entrée en vigueur des dispositions détaillées visées à l’article 11, deuxième alinéa, les catégories de véhicules suivantes circulant dans un État membre autre que leur État membre d’immatriculation sont équipées d’un tachygraphe intelligent conformément aux articles 8, 9 et 10 du présent règlement :

a)      les véhicules équipés d’un tachygraphe analogique ;

b)      les véhicules équipés d’un tachygraphe numérique conforme aux spécifications énoncées à l’annexe IB du règlement (CEE) n^o 3821/85 [du Conseil, du 20 décembre 1985, concernant l’appareil de contrôle dans le domaine des transports par route (JO 1985, L 370, p. 8)], applicables jusqu’au 30 septembre 2011 ;

c)      les véhicules équipés d’un tachygraphe numérique conforme aux spécifications énoncées à l’annexe IB du règlement [n^o 3821/85] applicables à partir du 1^er octobre 2011 ; et

d)      les véhicules équipés d’un tachygraphe numérique conforme aux spécifications énoncées à l’annexe IB du règlement [n^o 3821/85] applicables à partir du 1^er octobre 2012.

4bis. Au plus tard quatre ans après l’entrée en vigueur des dispositions détaillées visées à l’article 11, deuxième alinéa, les véhicules équipés d’un tachygraphe intelligent conforme aux spécifications énoncées à l’annexe IC du règlement d’exécution [2016/799] circulant dans un État membre autre que leur État membre d’immatriculation sont équipés d’un tachygraphe intelligent conformément aux articles 8, 9 et 10 du présent règlement.”

[...]

8)      L’article 11 est modifié comme suit :

a)      le premier alinéa est remplacé par le texte suivant :

“Afin de faire en sorte que les tachygraphes intelligents soient conformes aux principes et aux exigences énoncés dans le présent règlement, la Commission arrête, aux moyens d’actes d’exécution, les dispositions détaillées qui sont nécessaires pour assurer l’application uniforme des articles 8, 9 et 10, à l’exclusion de toute disposition prévoyant l’enregistrement de données supplémentaires par le tachygraphe.

Au plus tard le 21 août 2021, la Commission adopte des actes d’exécution établissant des dispositions détaillées pour l’application uniforme de l’obligation d’enregistrer et de conserver les données relatives à tout franchissement de frontières par le véhicule et aux activités visés à l’article 8, paragraphe 1, premier alinéa, deuxième et troisième tirets, et à l’article 8, paragraphe 1, deuxième alinéa.

[...]” »

29      Les spécifications techniques relatives aux tachygraphes intelligents visées à l’article 11, deuxième alinéa, du règlement n^o 165/2014, tel que modifié par l’article 2, point 8, sous a), du règlement 2020/1054, font l’objet du règlement d’exécution (UE) 2021/1228 de la Commission, du 16 juillet 2021, modifiant le règlement d’exécution 2016/799 (JO 2021, L 273, p. 1), tel que modifié par le règlement d’exécution (UE) 2023/980 de la Commission, du 16 mai 2023, en ce qui concerne le
tachygraphe intelligent transitoire et son utilisation du service d’authentification des messages de navigation en libre service de Galileo, et modifiant le règlement d’exécution (UE) 2021/1228 (JO 2023, L 134, p. 28) (ci-après le « règlement d’exécution 2021/1228 »). Aux termes de son article 1^er, le règlement d’exécution 2021/1228 modifie l’annexe IC du règlement d’exécution 2016/799 conformément à l’annexe de ce règlement d’exécution 2021/1228.

30      L’article 3, premier alinéa, du règlement 2020/1054 dispose :

« Le présent règlement entre en vigueur le vingtième jour suivant celui de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne. »

2.      La réglementation relative à l’exigence d’établissement ainsi qu’aux transports de cabotage et aux transports combinés

a)      La directive 92/106/CEE

31      Le troisième considérant de la directive 92/106/CEE du Conseil, du 7 décembre 1992, relative à l’établissement de règles communes pour certains transports combinés de marchandises entre États membres (JO 1992, L 368, p. 38), est libellé comme suit :

« [C]onsidérant que les problèmes croissants afférents à l’encombrement des routes, à l’environnement et à la sécurité routière exigent, dans l’intérêt public, un développement plus poussé des transports combinés comme alternative au transport routier ».

32      L’article 1^er de cette directive dispose :

« La présente directive s’applique aux opérations de transports combinés, sans préjudice du règlement (CEE) n^o 881/92 [du Conseil, du 26 mars 1992, concernant l’accès au marché des transports de marchandises par route dans la Communauté exécutés au départ ou à destination du territoire d’un État membre, ou traversant le territoire d’un ou de plusieurs États membres (JO 1992, L 95, p. 1)].

Aux fins de la présente directive, on entend par “transports combinés” les transports de marchandises entre États membres pour lesquels le camion, la remorque, la semi-remorque, avec ou sans tracteur, la caisse mobile ou le conteneur de 20 pieds et plus utilisent la route pour la partie initiale ou terminale du trajet et, pour l’autre partie, le chemin de fer ou une voie navigable, ou un parcours maritime lorsque celui-ci excède 100 kilomètres à vol d’oiseau, et effectuent le trajet initial ou
terminal routier :

–        soit entre le point de chargement de la marchandise et la gare ferroviaire d’embarquement appropriée la plus proche pour le trajet initial et entre la gare ferroviaire de débarquement appropriée la plus proche et le point de déchargement de la marchandise pour le trajet terminal,

–        soit dans un rayon n’excédant pas 150 kilomètres à vol d’oiseau à partir du port fluvial ou maritime d’embarquement ou de débarquement. »

33      L’article 4 de ladite directive énonce :

« Tout transporteur routier établi dans un État membre et satisfaisant aux conditions d’accès à la profession et au marché des transports de marchandises entre États membres a le droit d’effectuer, dans le cadre d’un transport combiné entre États membres, des trajets routiers initiaux et/ou terminaux qui font partie intégrante du transport combiné et qui comportent ou non le passage d’une frontière. »

b)      Le règlement n^o 1071/2009

34      Figurant dans le chapitre I du règlement n^o 1071/2009, intitulé « Dispositions générales », l’article 3 de celui-ci, lui-même intitulé « Exigences pour exercer la profession de transporteur par route », dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur du règlement 2020/1055, prévoyait :

« 1.      Les entreprises qui exercent la profession de transporteur par route :

a)      sont établies de façon stable et effective dans un État membre ;

b)      sont honorables ;

c)      ont la capacité financière appropriée ; et

d)      ont la capacité professionnelle requise.

2.      Les États membres peuvent décider d’imposer des exigences supplémentaires proportionnées et non discriminatoires, que les entreprises doivent remplir pour exercer la profession de transporteur par route. »

35      Figurant dans le chapitre II du règlement n^o 1071/2009, intitulé « Conditions à réunir pour remplir les exigences prévues à l’article 3 », l’article 5 de celui-ci, lui-même intitulé « Conditions relatives à l’exigence d’établissement », dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur du règlement 2020/1055, énonçait :

« Pour satisfaire à l’exigence prévue à l’article 3, paragraphe 1, point a), une entreprise, dans l’État membre concerné :

a)      dispose d’un établissement, situé dans ledit État membre, avec des locaux dans lesquels elle conserve ses principaux documents d’entreprise, notamment ses documents comptables, les documents de gestion du personnel, les documents contenant les données relatives au temps de conduite et de repos et tout autre document auquel l’autorité compétente doit pouvoir accéder pour vérifier le respect des conditions prévues par le présent règlement. Les États membres peuvent prévoir que les
établissements situés sur leur territoire tiennent aussi d’autres documents à disposition dans leurs locaux, en permanence ;

b)      une fois qu’une autorisation est accordée, dispose d’un ou de plusieurs véhicules, qui sont immatriculés ou mis en circulation par un autre moyen conformément à la législation dudit État membre, que ces véhicules soient détenus en pleine propriété ou, par exemple, en vertu d’un contrat de location-vente ou d’un contrat de location ou de crédit-bail (leasing) ;

c)      dirige effectivement et en permanence ses activités relatives aux véhicules visés au point b) en disposant des équipements administratifs nécessaires, ainsi que des équipements et des installations techniques appropriés dans un centre d’exploitation situé dans cet État membre. »

36      L’article 6 du règlement n^o 1071/2009 porte, selon son intitulé, sur les conditions relatives à l’exigence d’honorabilité.

c)      Le règlement (CE) n^o 1072/2009

37      Aux termes des considérants 2, 4, 5, 13 et 15 du règlement (CE) n^o 1072/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, établissant des règles communes pour l’accès au marché du transport international de marchandises par route (JO 2009, L 300, p. 72) :

« (2)      L’instauration d’une politique commune des transports entraîne, entre autres, l’établissement de règles communes applicables à l’accès au marché des transports internationaux de marchandises par route sur le territoire de la Communauté, ainsi que l’établissement des conditions auxquelles les transporteurs non‑résidents peuvent effectuer des transports dans un État membre. Ces règles doivent être établies de façon à contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur des transports.

[...]

(4)      L’instauration d’une politique commune des transports entraîne l’élimination de toutes restrictions à l’égard du prestataire de services de transport en raison de la nationalité ou du fait qu’il est établi dans un État membre autre que celui où les services doivent être fournis.

(5)      Pour atteindre cet objectif de manière souple et sans heurt, il convient de prévoir un régime transitoire de cabotage, tant que l’harmonisation du marché des transports routiers n’aura pas été réalisée.

[...]

(13)      Les transporteurs routiers titulaires de la licence communautaire prévue dans le présent règlement et les transporteurs habilités à effectuer certaines catégories de transports internationaux devraient être autorisés à effectuer, à titre temporaire, des transports nationaux de marchandises dans un État membre, conformément au présent règlement, sans y disposer d’un siège ou d’un autre établissement. [...]

[...]

(15)      Sans préjudice des dispositions du traité relatives au droit d’établissement, les transports de cabotage consistent en la prestation de services par un transporteur dans un État membre dans lequel il n’est pas établi et ils ne devraient pas être interdits aussi longtemps qu’ils ne sont pas effectués de manière à créer une activité permanente ou continue au sein de cet État membre. Afin de contribuer au respect de cette condition, la fréquence des transports de cabotage ainsi que la durée
pendant laquelle ils peuvent être effectués devraient être définies plus clairement. Dans le passé, ces services de transport nationaux étaient autorisés à titre temporaire. Dans la pratique, il a été difficile de déterminer quels étaient les services autorisés. Il est donc nécessaire de mettre en place des règles claires et faciles à faire respecter. »

38      Figurant dans le chapitre I du règlement n^o 1072/2009, intitulé « Dispositions générales », l’article 2 de celui-ci, lui-même intitulé « Définitions », qui n’a pas été modifié par le règlement 2020/1055, énonce :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

1)      “véhicule”, un véhicule à moteur immatriculé dans un État membre ou un ensemble de véhicules couplés dont au moins le véhicule à moteur est immatriculé dans un État membre, utilisés exclusivement pour le transport de marchandises ;

2)      “transports internationaux” :

a)      les déplacements en charge d’un véhicule, dont le point de départ et le point d’arrivée se trouvent dans deux États membres différents, avec ou sans transit par un ou plusieurs États membres ou pays tiers ;

b)      les déplacements en charge d’un véhicule au départ d’un État membre et à destination d’un pays tiers et vice versa, avec ou sans transit par un ou plusieurs États membres ou pays tiers ;

c)      les déplacements en charge d’un véhicule entre pays tiers, traversant en transit le territoire d’un ou plusieurs États membres ; ou

d)      les déplacements à vide en relation avec les transports visés aux points a), b) et c) ;

[...]

6)      “transports de cabotage”, des transports nationaux pour compte d’autrui assurés à titre temporaire dans un État membre d’accueil, dans le respect du présent règlement ;

[...] »

39      Le chapitre III du règlement n^o 1072/2009, intitulé « Cabotage », comprend les articles 8 à 10 de celui-ci.

40      L’article 8 de ce règlement, lui-même intitulé « Principe général », dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur du règlement 2020/1055, prévoyait :

« 1.      Tout transporteur de marchandises par route pour compte d’autrui qui est titulaire d’une licence communautaire et dont le conducteur, s’il est ressortissant d’un pays tiers, est muni d’une attestation de conducteur, est admis, aux conditions fixées par le présent chapitre, à effectuer des transports de cabotage.

2.      Une fois que les marchandises transportées au cours d’un transport international à destination de l’État membre d’accueil ont été livrées, les transporteurs visés au paragraphe 1 sont autorisés à effectuer, avec le même véhicule, ou, s’il s’agit d’un ensemble de véhicules couplés, avec le véhicule à moteur de ce même véhicule jusqu’à trois transports de cabotage consécutifs à un transport international en provenance d’un autre État membre ou d’un pays tiers à destination de l’État membre
d’accueil. Le dernier déchargement au cours d’un transport de cabotage avant de quitter l’État membre d’accueil a lieu dans un délai de sept jours à partir du dernier déchargement effectué dans l’État membre d’accueil au cours de l’opération de transport international à destination de celui‑ci.

Dans le délai visé au premier alinéa, les transporteurs peuvent effectuer une partie ou l’ensemble des transports de cabotage autorisés en vertu dudit alinéa dans tout État membre, à condition qu’ils soient limités à un transport de cabotage par État membre dans les trois jours suivant l’entrée à vide sur le territoire de cet État membre.

3.      Les transports nationaux de marchandises par route effectués dans l’État membre d’accueil par un transporteur non‑résident ne sont réputés conformes au présent règlement que si le transporteur peut produire des preuves attestant clairement le transport international à destination de l’État membre d’accueil ainsi que chaque transport de cabotage qu’il a effectué par la suite.

Les preuves visées au premier alinéa comprennent les éléments suivants pour chaque transport :

a)      le nom, l’adresse et la signature de l’expéditeur ;

b)      le nom, l’adresse et la signature du transporteur ;

c)      le nom et l’adresse du destinataire, ainsi que sa signature et la date de livraison une fois les marchandises livrées ;

d)      le lieu et la date de prise en charge des marchandises et le lieu prévu pour la livraison ;

e)      la dénomination courante de la nature des marchandises et le mode d’emballage et, pour les marchandises dangereuses, leur dénomination généralement reconnue ainsi que le nombre de colis, leurs marques particulières et leurs numéros ;

f)      la masse brute des marchandises ou leur quantité exprimée d’une autre manière ;

g)      les plaques d’immatriculation du véhicule à moteur et de la remorque.

4.      Il n’est pas exigé de document supplémentaire prouvant que les conditions énoncées dans le présent article sont remplies.

5.      Tout transporteur habilité dans l’État membre d’établissement, conformément à la législation de cet État membre, à effectuer les transports de marchandises par route pour compte d’autrui visés à l’article 1^er, paragraphe 5, points a), b) et c), est autorisé, aux conditions fixées au présent chapitre, à effectuer, selon les cas, des transports de cabotage de même nature ou des transports de cabotage avec des véhicules de la même catégorie.

6.      L’admission aux transports de cabotage, dans le cadre des transports visés à l’article 1^er, paragraphe 5, points d) et e), n’est soumise à aucune restriction. »

41      L’article 10 du règlement n^o 1072/2009, intitulé « Procédure de sauvegarde », dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur du règlement 2020/1055, prévoyait :

« 1.      En cas de perturbation grave du marché des transports nationaux à l’intérieur d’une zone géographique déterminée, due à l’activité de cabotage ou aggravée par celle-ci, tout État membre peut saisir la Commission en vue de l’adoption de mesures de sauvegarde en lui communiquant les renseignements nécessaires et les mesures qu’il envisage de prendre à l’égard des transporteurs résidents.

2.      Aux fins du paragraphe 1, on entend par :

–        “perturbation grave du marché des transports nationaux à l’intérieur d’une zone géographique déterminée”, l’existence, sur ce marché, de problèmes spécifiques à celui-ci, de nature à entraîner un excédent grave, susceptible de persister, de l’offre par rapport à la demande, impliquant une menace pour la stabilité financière et la survie d’un nombre important de transporteurs,

–        “zone géographique”, une zone englobant une partie ou l’ensemble du territoire d’un État membre ou s’étendant à une partie ou à l’ensemble du territoire d’autres États membres.

3.      La Commission examine la situation, sur la base notamment des données pertinentes, et, après consultation du comité visé à l’article 15, paragraphe 1, décide, dans un délai d’un mois suivant la réception de la demande de l’État membre, s’il y a lieu ou non de prendre des mesures de sauvegarde et, le cas échéant, les arrête.

Ces mesures peuvent aller jusqu’à exclure temporairement la zone concernée du champ d’application du présent règlement.

Les mesures arrêtées conformément au présent article restent en vigueur pendant une période n’excédant pas six mois, renouvelable une fois dans les mêmes limites de validité.

La Commission notifie sans délai aux États membres et au Conseil toute décision prise en vertu du présent paragraphe.

4.      Si la Commission décide d’arrêter des mesures de sauvegarde concernant un ou plusieurs États membres, les autorités compétentes des États membres concernés sont tenues de prendre des mesures de portée équivalente à l’égard des transporteurs résidents et en informent la Commission. Ces dernières mesures sont appliquées au plus tard à partir de la même date que les mesures de sauvegarde arrêtées par la Commission.

5.      Chaque État membre peut déférer au Conseil une décision prise par la Commission conformément au paragraphe 3 dans un délai de trente jours à compter de sa notification. Le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, peut prendre une décision différente dans un délai de trente jours à compter de la date à laquelle il a été saisi par un État membre ou, s’il a été saisi par plusieurs États membres, à compter de la date de la première saisine.

Les limites de validité prévues au paragraphe 3, troisième alinéa, sont applicables à la décision du Conseil. Les autorités compétentes des États membres concernés sont tenues de prendre des mesures de portée équivalente à l’égard des transporteurs résidents et en informent la Commission. Si le Conseil ne prend pas de décision dans le délai indiqué au premier alinéa, la décision de la Commission devient définitive.

6.      Si la Commission estime que les mesures visées au paragraphe 3 doivent être reconduites, elle présente une proposition au Conseil, qui statue à la majorité qualifiée. »

d)      Le règlement 2020/1055

42      Aux termes des considérants 6, 8 et 20 à 22 du règlement 2020/1055 :

« (6)      Afin de lutter contre le phénomène des “sociétés boîtes aux lettres” et de garantir une concurrence loyale et des conditions de concurrence équitables dans le marché intérieur, il est nécessaire de faire en sorte que les transporteurs par route établis dans un État membre aient une présence réelle et permanente dans cet État membre et mènent leurs activités de transport depuis celui-ci. C’est pourquoi, et à la lumière de l’expérience acquise, il est nécessaire de clarifier et de renforcer
les dispositions concernant l’existence d’un établissement stable et effectif tout en évitant une charge administrative disproportionnée.

[...]

(8)      Le règlement (CE) n^o 1071/2009 exige que les entreprises dirigent effectivement et en permanence leurs activités en disposant des équipements et des installations techniques appropriés dans un centre d’exploitation situé dans l’État membre d’établissement et il permet de fixer des exigences supplémentaires au niveau national, la plus courante étant l’exigence portant sur la mise à disposition d’emplacements de stationnement dans l’État membre d’établissement. Toutefois, ces exigences,
appliquées de manière inégale, n’ont pas suffi à assurer un véritable lien avec cet État membre afin de lutter de manière efficace contre les sociétés boîtes aux lettres et de réduire le risque d’organisation d’un système de cabotage systématique et de conducteurs nomades depuis une entreprise dans laquelle les véhicules ne retournent pas. Compte tenu du fait que, pour assurer le bon fonctionnement du marché intérieur dans le domaine des transports, des règles spécifiques sur le droit
d’établissement et la fourniture de services peuvent être nécessaires, il convient d’harmoniser encore les exigences en matière d’établissement et de renforcer les exigences relatives à la présence des véhicules utilisés par le transporteur dans l’État membre d’établissement. La définition d’un intervalle minimum clair dans lequel le véhicule doit revenir contribue également à faire en sorte que ces véhicules soient correctement entretenus au moyen des équipements techniques situés dans l’État
membre d’établissement et elle facilite les contrôles.

Le cycle de ces retours devrait être synchronisé avec l’obligation, prévue dans le règlement (CE) n^o 561/2006 du Parlement et du Conseil, pour l’entreprise de transport d’organiser ses opérations de manière à permettre au conducteur de rentrer chez lui au moins toutes les quatre semaines, afin que ces deux obligations puissent être satisfaites par le retour du conducteur avec le véhicule au moins un cycle de quatre semaines sur deux. Cette synchronisation renforce le droit de retour du conducteur
et réduit le risque que le véhicule doive revenir uniquement pour satisfaire à cette nouvelle exigence en matière d’établissement. Toutefois, l’obligation de revenir dans l’État membre d’établissement ne devrait pas requérir qu’un nombre spécifique d’opérations soient exécutées dans l’État membre d’établissement ni limiter de quelque autre manière que ce soit la possibilité pour les transporteurs de fournir des services dans l’ensemble du marché intérieur. 

[...]

(20)      Les règles relatives aux transports nationaux effectués sur une base temporaire par des transporteurs non‑résidents dans un État membre d’accueil (“cabotage”) devraient être claires, simples et faciles à faire respecter, tout en préservant le niveau de libéralisation atteint jusqu’à présent.

(21)      Les transports de cabotage devraient contribuer à accroître le coefficient de charge des véhicules utilitaires lourds et à réduire les parcours à vide et devraient être autorisés pour autant qu’ils ne soient pas effectués de manière à créer une activité permanente ou continue dans l’État membre concerné. Afin de garantir que les transports de cabotage ne sont pas effectués de manière à créer une activité permanente ou continue, les transporteurs ne devraient pas être autorisés à effectuer
des transports de cabotage dans le même État membre avant l’expiration d’un certain délai après la fin d’un transport de cabotage.

(22)      Si la libéralisation plus poussée prévue à l’article 4 de la directive 92/106/CEE du Conseil, par rapport au cabotage visé dans le règlement (CE) n^o 1072/2009, a été bénéfique pour ce qui est de promouvoir le transport combiné et devrait, en principe, être préservée, il est nécessaire de s’assurer qu’elle n’est pas utilisée de manière abusive. L’expérience montre que, dans certaines parties de l’Union, cette disposition a été systématiquement utilisée pour détourner la nature temporaire
du cabotage et permettre la présence permanente de véhicules dans un État membre autre que celui d’établissement de l’entreprise. De telles pratiques déloyales risquent de conduire à un dumping social et nuisent au respect du cadre juridique applicable au cabotage. Il devrait donc être possible pour les États membres de déroger à l’article 4 de la directive 92/106/CEE et d’appliquer les dispositions relatives au cabotage figurant dans le règlement (CE) n^o 1072/2009 afin de remédier à de tels
problèmes, en introduisant une limite proportionnée applicable à la présence permanente de véhicules sur leur territoire. »

43      L’article 1^er du règlement 2020/1055 prévoit :

« Le règlement (CE) n^o 1071/2009 est modifié comme suit :

[...]

3)      L’article 5 est remplacé par le texte suivant :

“Article 5

Conditions relatives à l’exigence d’établissement

1.      Pour satisfaire à l’exigence prévue à l’article 3, paragraphe 1, point a), une entreprise, dans l’État membre d’établissement :

a)      dispose de locaux dans lesquels elle peut avoir accès aux originaux de ses principaux documents d’entreprise, qu’ils soient sous forme électronique ou sous toute autre forme, notamment ses contrats de transport, les documents relatifs aux véhicules dont elle dispose, les documents comptables, les documents de gestion du personnel, les contrats de travail, les documents de sécurité sociale, les documents contenant des données sur la répartition et le détachement des conducteurs, les documents
contenant les données relatives au cabotage, aux durées de conduite et aux temps de repos, ainsi que tout autre document auquel l’autorité compétente doit pouvoir accéder pour vérifier le respect par l’entreprise des conditions prévues par le présent règlement ;

b)      organise l’activité de son parc de véhicules de manière à faire en sorte que les véhicules dont elle dispose et qui sont utilisés pour le transport international retournent dans un centre opérationnel situé dans cet État membre dans un délai maximal de huit semaines après avoir quitté ledit État membre ;

c)      est inscrite au registre des sociétés commerciales de cet État membre ou dans un registre analogue lorsque le droit national prévoit une telle obligation ;

d)      est soumise à l’impôt sur le revenu et, lorsque le droit national prévoit une telle obligation, dispose d’un numéro d’identification à la taxe sur la valeur ajoutée valable ;

e)      une fois qu’une autorisation a été accordée, dispose d’un ou de plusieurs véhicules qui sont immatriculés ou mis en circulation et autorisés à être utilisés conformément à la législation dudit État membre, que ces véhicules soient détenus en pleine propriété ou, par exemple, en vertu d’un contrat de location-vente ou d’un contrat de location ou de crédit-bail (leasing) ;

f)      dirige effectivement et en permanence ses activités administratives et commerciales en disposant des équipements et des installations appropriés dans des locaux tels que ceux visés au point a), situés dans cet État membre, et gère ses opérations de transport effectivement et en permanence au moyen des véhicules visés au point g) en disposant des équipements techniques appropriés situés dans cet État membre ;

g)      dispose régulièrement, de manière continue, d’un nombre de véhicules remplissant les conditions visées au point e) et de conducteurs qui sont normalement rattachés à un centre opérationnel de cet État membre, dans les deux cas en proportion du nombre d’opérations de transport exécutées par l’entreprise.

[...]” »

44      L’article 2 du règlement 2020/1055 dispose :

« Le règlement (CE) n^o 1072/2009 est modifié comme suit :

[...]

4)      L’article 8 est modifié comme suit :

a)      le paragraphe suivant est inséré :

“2 bis.      Les transporteurs ne sont pas autorisés à effectuer des transports de cabotage avec le même véhicule ou, s’il s’agit d’un ensemble de véhicules couplés, avec le véhicule à moteur de ce même véhicule dans le même État membre pendant quatre jours à compter de la fin du transport de cabotage effectué dans cet État membre.” 

b)      au paragraphe 3, le premier alinéa est remplacé par le texte suivant :

“3.      Les transports nationaux de marchandises par route effectués dans l’État membre d’accueil par un transporteur non‑résident ne sont réputés conformes au présent règlement que si le transporteur peut apporter la preuve évidente du transport international qui a précédé ainsi que de chaque transport de cabotage qu’il a effectué par la suite. Si le véhicule a été présent sur le territoire de l’État membre d’accueil au cours de la période de quatre jours précédant le transport international, le
transporteur apporte également la preuve irréfutable de tous les transports effectués au cours de ladite période.” ;

c)      le paragraphe suivant est inséré :

“4 bis. La preuve visée au paragraphe 3 est présentée ou transmise à l’agent chargé du contrôle de l’État membre d’accueil, sur demande et pendant la durée du contrôle sur route. Elle peut être présentée ou transmise par voie électronique, en recourant à un format structuré révisable pouvant être utilisé directement pour le stockage et le traitement informatisés, tel qu’une lettre de voiture électronique (e-CMR) en vertu du protocole additionnel à la Convention relative au contrat de transport
international de marchandises par route (CMR) concernant la lettre de voiture électronique du 20 février 2008. Au cours du contrôle sur route, le conducteur est autorisé à contacter le siège, le gestionnaire de transport ou toute autre personne ou entité afin de fournir, avant la fin du contrôle sur route, toute preuve visée au paragraphe 3.”

[...]

5)      L’article 10 est modifié comme suit :

[...]

b)      le paragraphe suivant est ajouté :

“7.      Outre les paragraphes 1 à 6 du présent article et par dérogation à l’article 4 de la directive 92/106/CEE, les États membres peuvent, lorsque cela est nécessaire pour éviter une utilisation abusive de cette dernière disposition par la fourniture de services illimités et continus consistant en des trajets routiers initiaux ou terminaux effectués dans un État membre d’accueil dans le cadre d’opérations de transports combinés entre États membres, prévoir que l’article 8 du présent règlement
s’applique aux transporteurs lorsqu’ils effectuent de tels trajets routiers initiaux et/ou terminaux au sein dudit État membre. En ce qui concerne ces trajets routiers, les États membres peuvent prévoir une période plus longue que le délai de sept jours prévu à l’article 8, paragraphe 2, du présent règlement et une période plus courte que le délai de quatre jours prévu à l’article 8, paragraphe 2 bis, du présent règlement. L’application de l’article 8, paragraphe 4, du présent règlement à de telles
opérations de transport est sans préjudice des exigences découlant de la directive 92/106/CEE. Les États membres recourant à la dérogation prévue au présent paragraphe en informent la Commission avant d’appliquer les mesures nationales pertinentes. Ils réexaminent ces mesures au moins tous les cinq ans et ils notifient les résultats de ce réexamen à la Commission. Ils publient les règles, y compris la durée des périodes respectives, de manière transparente.” »

3.      La réglementation relative au détachement des travailleurs

a)      La directive 96/71/CE 

45      L’article 1^er de la directive 96/71/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 1996, concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services (JO 1997, L 18, p. 1), telle que modifiée par la directive (UE) 2018/957 du Parlement européen et du Conseil, du 28 juin 2018 (JO 2018, L 173, p. 16), intitulé « Objet et champ d’application », prévoit :

« – 1.            La présente directive garantit la protection des travailleurs détachés durant leur détachement en ce qui concerne la libre prestation de services, en fixant des dispositions obligatoires concernant les conditions de travail et la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, qui doivent être respectées.

[...]

3.      La présente directive s’applique dans la mesure où les entreprises visées au paragraphe 1 prennent l’une des mesures transnationales suivantes :

a)      détacher un travailleur, pour leur compte et sous leur direction, sur le territoire d’un État membre, dans le cadre d’un contrat conclu entre l’entreprise d’envoi et le destinataire de la prestation de services opérant dans cet État membre, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise d’envoi et le travailleur pendant la période de détachement

ou 

b)      détacher un travailleur sur le territoire d’un État membre, dans un établissement ou dans une entreprise appartenant au groupe, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise d’envoi et le travailleur pendant la période de détachement

ou

c)      en tant qu’entreprise de travail intérimaire ou en tant qu’entreprise qui met un travailleur à disposition, mettre un travailleur à la disposition d’une entreprise utilisatrice établie ou exerçant son activité sur le territoire d’un État membre, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise de travail intérimaire ou l’entreprise qui met un travailleur à disposition et le travailleur pendant la période de détachement.

[...] »

46      L’article 2 de cette directive, intitulé « Définition », dispose, à son paragraphe 1 :

« Aux fins de la présente directive, on entend par travailleur détaché, tout travailleur qui, pendant une période limitée, exécute son travail sur le territoire d’un État membre autre que l’État sur le territoire duquel il travaille habituellement. »

47      L’article 3 de ladite directive, intitulé « Conditions de travail et d’emploi », énonce :

« 1.      Les États membres veillent à ce que, quelle que soit la loi applicable à la relation de travail, les entreprises visées à l’article 1^er, paragraphe 1, garantissent aux travailleurs qui sont détachés sur leur territoire, sur le fondement de l’égalité de traitement, les conditions de travail et d’emploi concernant les matières visées ci-après qui, dans l’État membre sur le territoire duquel le travail est exécuté, sont fixées :

–        par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives, et/ou

–        par des conventions collectives ou sentences arbitrales déclarées d’application générale ou qui s’appliquent à un autre titre conformément au paragraphe 8 :

a)      les périodes maximales de travail et les périodes minimales de repos ;

b)      la durée minimale des congés annuels payés ;

c)      la rémunération, y compris les taux majorés pour les heures supplémentaires ; le présent point ne s’applique pas aux régimes complémentaires de retraite professionnels ;

d)      les conditions de mise à disposition des travailleurs, notamment par des entreprises de travail intérimaire ;

e)      la sécurité, la santé et l’hygiène au travail ;

f)      les mesures protectrices applicables aux conditions de travail et d’emploi des femmes enceintes et des femmes venant d’accoucher, des enfants et des jeunes ;

g)      l’égalité de traitement entre hommes et femmes ainsi que d’autres dispositions en matière de non-discrimination ;

h)      les conditions d’hébergement des travailleurs lorsque l’employeur propose un logement aux travailleurs éloignés de leur lieu de travail habituel ;

i)      les allocations ou le remboursement de dépenses en vue de couvrir les dépenses de voyage, de logement et de nourriture des travailleurs éloignés de leur domicile pour des raisons professionnelles.

[...]

3.      Les États membres peuvent, après consultation des partenaires sociaux, conformément aux us et coutumes de chaque État membre, décider de ne pas appliquer le paragraphe 1 second tiret point c) dans les cas visés à l’article 1^er paragraphe 3 points a) et b), lorsque la durée du détachement n’est pas supérieure à un mois.

4.      Les États membres peuvent, conformément aux législations et/ou pratiques nationales, prévoir qu’il peut être dérogé au paragraphe 1 second tiret point c) dans les cas visés à l’article 1^er paragraphe 3 points a) et b), ainsi qu’à une décision d’un État membre au sens du paragraphe 3 du présent article, par voie de conventions collectives, au sens du paragraphe 8, concernant un ou plusieurs secteurs d’activité, lorsque la durée du détachement n’est pas supérieure à un mois.

[...] »

b)      La directive 2014/67/UE

48      L’article 9 de la directive 2014/67/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, relative à l’exécution de la directive 96/71 et modifiant le règlement (UE) n^o 1024/2012 concernant la coopération administrative par l’intermédiaire du système d’information du marché intérieur (« règlement IMI ») (JO 2014, L 159, p. 11), porte sur les exigences administratives et les mesures de contrôle en matière de détachement de travailleurs.

c)      La directive 2018/957

49      Aux termes du considérant 15 de la directive 2018/957 :

« En raison de la nature hautement mobile du travail dans le transport routier international, la mise en œuvre de la présente directive dans ce secteur soulève des questions et des difficultés juridiques particulières qui doivent faire l’objet, dans le cadre du paquet “mobilité”, de règles spécifiques pour le transport routier, destinées également à renforcer la lutte contre la fraude et les abus. »

50      L’article 3, paragraphe 3, de cette directive prévoit :

« La présente directive s’applique au secteur du transport routier à partir de la date d’application d’un acte législatif modifiant la directive 2006/22/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, établissant les conditions minimales à respecter pour la mise en œuvre des règlements du Conseil (CEE) n^o 3820/85 et (CEE) n^o 3821/85 concernant la législation sociale relative aux activités de transport routier et abrogeant la directive 88/599/CEE du Conseil (JO 2006, L 102, p. 35),] quant
aux exigences en matière de contrôle et établissant des règles spécifiques en ce qui concerne la directive [96/71] et la directive [2014/67] pour le détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier. »

d)      La directive 2020/1057

51      Les considérants 1 à 4, 7 à 13, 15 et 43 de la directive 2020/1057 sont libellés comme suit :

« (1)      Afin de créer un secteur du transport routier sûr, efficace et socialement responsable, il est nécessaire de garantir des conditions de travail et une protection sociale satisfaisantes aux conducteurs, d’une part, et des conditions adéquates pour les entreprises et de concurrence loyale pour les transporteurs par route (ci-après dénommés “opérateurs”), d’autre part. Compte tenu du degré élevé de mobilité de la main-d’œuvre dans le secteur du transport routier, il convient d’établir des
règles sectorielles pour garantir un équilibre entre la libre prestation de services transfrontaliers pour les opérateurs, la libre circulation des marchandises, des conditions de travail satisfaisantes et la protection sociale des conducteurs.      

(2)      Vu le degré élevé de mobilité inhérent aux services de transport routier, il y a lieu de veiller tout particulièrement à ce que les conducteurs bénéficient des droits dont ils peuvent se prévaloir et que les opérateurs, des petites entreprises pour la plupart, ne soient pas confrontés à des obstacles administratifs disproportionnés ou à des contrôles discriminatoires qui restreignent indûment leur liberté de fournir des services transfrontaliers. Pour la même raison, les règles nationales
appliquées au transport routier doivent être proportionnées et justifiées, compte tenu de la nécessité de garantir des conditions de travail et une protection sociale satisfaisantes aux conducteurs et de faciliter l’exercice de la libre prestation de services de transport routier fondé sur une concurrence loyale entre opérateurs nationaux et étrangers.

(3)      Il est primordial pour le bon fonctionnement du marché intérieur d’atteindre un équilibre entre l’amélioration des conditions sociales et de travail des conducteurs et le fait de faciliter l’exercice de la libre prestation de services de transport routier fondé sur une concurrence loyale entre opérateurs nationaux et étrangers.

(4)      Après une évaluation du caractère effectif et efficace de l’actuelle législation sociale de l’Union dans le secteur du transport routier, certaines lacunes dans les dispositions en vigueur et des insuffisances dans le contrôle de leur respect ont été recensées, notamment en ce qui concerne le recours à des sociétés “boîtes aux lettres”. En outre, une série de divergences ont été relevées entre les États membres dans l’interprétation, l’application et la mise en œuvre de ces dispositions,
faisant peser une lourde contrainte administrative sur les conducteurs et les opérateurs. Cette situation est source d’insécurité juridique, ce qui est préjudiciable aux conditions sociales et de travail, ainsi qu’aux conditions de concurrence loyale pour les opérateurs dans le secteur.

[...]

(7)      Afin d’assurer la mise en œuvre effective et proportionnée de la directive [96/71] dans le secteur du transport routier, il est nécessaire d’instaurer des règles sectorielles tenant compte des particularités liées à l’extrême mobilité de la main d’œuvre dans ce secteur et établissant un équilibre entre la protection sociale des conducteurs et la libre prestation de services transfrontaliers pour les opérateurs. Les dispositions concernant le détachement de travailleurs, qui figurent dans la
directive [96/71] et celles relatives au respect de ces dispositions, qui figurent dans la directive [2014/67], s’appliquent au secteur du transport routier et devraient être soumises aux règles spécifiques établies par la présente directive.

(8)      Compte tenu du caractère extrêmement mobile du secteur du transport, les conducteurs ne sont généralement pas détachés dans un autre État membre dans le cadre de contrats de service pour de longues périodes, contrairement à ce qui se passe parfois dans d’autres secteurs. Il convient donc de préciser dans quelles circonstances ces conducteurs ne sont pas soumis aux règles relatives au détachement de longue durée prévues par la directive [96/71].

(9)      Des règles sectorielles équilibrées sur le détachement devraient reposer sur l’existence d’un lien suffisant rattachant le conducteur et le service fourni au territoire d’un État membre d’accueil. Pour faciliter l’application de ces règles, il convient de faire la distinction entre les différents types d’opérations de transport en fonction du degré de rattachement au territoire de l’État membre d’accueil.

(10)      Lorsqu’un conducteur effectue des opérations de transport bilatérales depuis l’État membre où l’entreprise est établie (ci–après dénommé “État membre d’établissement”) jusqu’au territoire d’un autre État membre ou d’un pays tiers, ou d’un État membre ou d’un pays tiers jusqu’à l’État membre d’établissement, la nature du service est étroitement liée à l’État membre d’établissement. Un conducteur peut effectuer plusieurs opérations de transport bilatérales au cours d’un seul voyage. Si les
règles en matière de détachement et, par conséquent, les conditions de travail et d’emploi garanties dans l’État membre d’accueil s’appliquaient à ces opérations bilatérales, cela constituerait une restriction disproportionnée à la liberté de fournir des services de transport routier transfrontaliers.

(11)      Il convient de préciser que le transport international transitant par le territoire d’un État membre ne constitue pas une situation de détachement. Ces opérations sont caractérisées par le fait que le conducteur traverse l’État membre sans effectuer de chargement ou de déchargement de marchandises et sans prendre ou déposer des voyageurs ; il n’y a donc pas de lien significatif entre les activités du conducteur et l’État membre de transit. Le fait de considérer la présence du conducteur
dans un État membre comme une activité de transit n’est dès lors pas affecté par les arrêts effectués pour des raisons d’hygiène, par exemple.

(12)      Lorsqu’un conducteur effectue une opération de transport combiné, la nature du service fourni durant le trajet routier initial ou final est étroitement liée à l’État membre d’établissement si le trajet routier, pris isolément, est une opération de transport bilatérale. En revanche, lorsque l’opération de transport durant le trajet routier est effectuée dans l’État membre d’accueil ou à titre d’opération de transport international non bilatérale, il existe un lien suffisant avec le
territoire d’un État membre d’accueil et les règles en matière de détachement devraient donc s’appliquer.

(13)      Lorsqu’un conducteur effectue d’autres types d’opérations, notamment des transports de cabotage ou des opérations de transport international non bilatérales, il existe un lien suffisant avec le territoire de l’État membre d’accueil. Ce lien existe dans le cas des transports de cabotage au sens [du règlement n^o 1072/2009 et du règlement (CE) n^o 1073/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, établissant des règles communes pour l’accès au marché international des
services de transport par autocars et autobus, et modifiant le règlement n^o 561/2006 (JO 2009, L 300, p. 88)], puisque toute l’opération de transport se déroule dans un État membre d’accueil et que le service est donc étroitement lié au territoire de l’État membre d’accueil. Une opération de transport international non bilatérale est caractérisée par le fait que le conducteur effectue un transport international en dehors de l’État membre d’établissement de l’entreprise d’envoi. Les services fournis
ont donc un lien avec les États membres d’accueil concernés plutôt qu’avec l’État membre d’établissement. Dans ces cas, des règles sectorielles ne sont requises qu’en ce qui concerne les exigences administratives et les mesures de contrôle.

[...]

(15)      Les opérateurs de l’Union font face à une concurrence croissante de la part des opérateurs basés dans des pays tiers. Il est donc de la plus haute importance de veiller à ce que les opérateurs de l’Union ne fassent pas l’objet d’une discrimination. En vertu de l’article 1^er, paragraphe 4, de la directive [96/71], les entreprises établies dans un État non membre ne peuvent pas obtenir un traitement plus favorable que les entreprises établies dans un État membre. Ce principe devrait
également s’appliquer en ce qui concerne les règles spécifiques en matière de détachement prévues par la présente directive. Il devrait notamment s’appliquer lorsque des opérateurs de pays tiers exécutent des opérations de transport dans le cadre d’accords bilatéraux ou multilatéraux donnant accès au marché de l’Union.

[...]

(43)      Les mesures nationales transposant la présente directive devraient s’appliquer dix-huit mois après la date d’entrée en vigueur de la présente directive. La directive [2018/957] s’appliquera au secteur du transport routier, conformément à l’article 3, paragraphe 3, de ladite directive, à partir du 2 février 2022. »

52      L’article 1^er de la directive 2020/1057, intitulé « Règles spécifiques relatives au détachement de conducteurs », prévoit :

« 1.      Le présent article instaure des règles spécifiques en ce qui concerne certains aspects de la directive [96/71] relatifs au détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier et certains aspects de la directive [2014/67] relatifs aux exigences administratives et aux mesures de contrôle quant au détachement de ces conducteurs.

2.      Ces règles spécifiques s’appliquent aux conducteurs employés par des entreprises établies dans un État membre prenant la mesure transnationale visée à l’article 1^er, paragraphe 3, point a), de la directive [96/71].

3.      Nonobstant l’article 2, paragraphe 1, de la directive [96/71], un conducteur n’est pas considéré comme détaché aux fins de la directive [96/71] lorsqu’il effectue des opérations de transport bilatérales de marchandises.

Aux fins de la présente directive, une opération bilatérale de transport de marchandises consiste à faire circuler des marchandises, sur la base d’un contrat de transport, depuis l’État membre d’établissement, au sens de l’article 2, paragraphe 8, du règlement [n^o 1071/2009], vers un autre État membre ou vers un pays tiers, ou depuis un autre État membre ou un pays tiers vers l’État membre d’établissement.

À partir du 2 février 2022, qui est la date à partir de laquelle les conducteurs doivent, en vertu de l’article 34, paragraphe 7, du règlement [n^o 165/2014], enregistrer manuellement les données relatives au franchissement d’une frontière, les États membres appliquent également l’exemption pour les opérations de transport bilatérales de marchandises énoncée aux premier et deuxième alinéas du présent paragraphe lorsque le conducteur effectuant une opération de transport bilatérale procède en outre à
une activité de chargement et/ou de déchargement dans les États membres ou pays tiers qu’il traverse, à condition de ne pas charger et décharger les marchandises dans le même État membre.

Si une opération de transport bilatérale démarrant dans l’État membre d’établissement, durant laquelle aucune activité supplémentaire n’est effectuée, est suivie d’une opération de transport bilatérale vers l’État membre d’établissement, l’exemption pour les activités supplémentaires énoncée au troisième alinéa s’applique à deux activités supplémentaires de chargement et/ou déchargement au maximum, dans les conditions fixées au troisième alinéa.

Les exemptions pour les activités supplémentaires énoncées aux troisième et quatrième alinéas du présent paragraphe s’appliquent uniquement jusqu’à la date à partir de laquelle les tachygraphes intelligents respectant l’obligation d’enregistrement des activités de franchissement des frontières et des activités supplémentaires visées à l’article 8, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement [n^o 165/2014] doivent être installés dans les véhicules immatriculés dans un État membre pour la première
fois, tel qu’il est précisé à l’article 8, paragraphe 1, quatrième alinéa, dudit règlement. À partir de cette date, les exemptions pour les activités supplémentaires énoncées aux troisième et quatrième alinéas du présent paragraphe s’appliquent uniquement aux conducteurs qui utilisent des véhicules équipés de tachygraphes intelligents, conformément aux articles 8, 9 et 10 dudit règlement.

4.      Nonobstant l’article 2, paragraphe 1, de la directive [96/71], un conducteur n’est pas considéré comme détaché aux fins de la directive [96/71] lorsqu’il effectue des opérations de transport bilatérales de voyageurs.

Aux fins de la présente directive, une opération de transport bilatérale effectuée dans le cadre d’un service occasionnel ou régulier de transport international de voyageurs, au sens du règlement [n^o 1073/2009], suppose qu’un conducteur réalise l’une des activités suivantes :

a)      prenne en charge des voyageurs dans l’État membre d’établissement et les dépose dans un autre État membre ou dans un pays tiers ;

b)      prenne en charge des voyageurs dans un État membre ou dans un pays tiers et les dépose dans l’État membre d’établissement ; ou

c)      prenne en charge et dépose des voyageurs dans l’État membre d’établissement afin d’effectuer des excursions locales dans un autre État membre ou dans un pays tiers, conformément au règlement [n^o 1073/2009].

À partir du 2 février 2022, qui est la date à partir de laquelle les conducteurs sont tenus, en vertu de l’article 34, paragraphe 7, du règlement [n^o 165/2014], d’enregistrer manuellement les données relatives au franchissement des frontières, les États membres appliquent l’exemption pour les opérations de transport bilatérales de voyageurs énoncée aux premier et deuxième alinéas du présent paragraphe également lorsque le conducteur qui effectue aussi une opération de transport bilatérale prend en
charge des voyageurs à une seule occasion et/ou dépose des voyageurs à une seule occasion dans les États membres ou les pays tiers que le conducteur traverse, à condition qu’il ne propose pas de services de transport de voyageurs entre deux endroits dans l’État membre traversé. Cela s’applique aussi au voyage de retour.

L’exemption pour les activités supplémentaires énoncée au troisième alinéa du présent paragraphe s’applique uniquement jusqu’à la date à partir de laquelle les tachygraphes intelligents respectant l’exigence d’enregistrement des activités de franchissement des frontières et des activités supplémentaires visées à l’article 8, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement [n^o 165/2014] doivent être installés dans les véhicules immatriculés dans un État membre pour la première fois, en vertu de
l’article 8, paragraphe 1, quatrième alinéa, dudit règlement. À partir de cette date, l’exemption pour les activités supplémentaires énoncée au troisième alinéa du présent paragraphe s’applique uniquement aux conducteurs qui utilisent des véhicules équipés de tachygraphes intelligents, conformément aux articles 8, 9 et 10 dudit règlement.

5.      Nonobstant l’article 2, paragraphe 1, de la directive [96/71], un conducteur n’est pas considéré comme détaché aux fins de la directive [96/71] lorsqu’il transite sur le territoire d’un État membre sans effectuer de chargement ou de déchargement de marchandises et sans prendre ni déposer de voyageurs.

6.      Nonobstant l’article 2, paragraphe 1, de la directive [96/71], un conducteur n’est pas considéré comme détaché aux fins de la directive [96/71] lorsqu’il effectue le trajet routier initial ou final d’une opération de transport combiné au sens de la directive [92/106] si le trajet routier, pris isolément, se compose d’opérations de transport bilatérales au sens du paragraphe 3 du présent article.

7.      Lorsqu’un conducteur effectue un transport de cabotage au sens des règlements [n^os 1072/2009 et 1073/2009], il est considéré comme détaché en vertu de la directive [96/71]. 

[...]

10.      Les entreprises de transport établies dans un État non membre ne peuvent pas obtenir un traitement plus favorable que les entreprises établies dans un État membre, y compris lorsqu’elles effectuent des opérations de transport dans le cadre d’accords bilatéraux ou multilatéraux donnant accès au marché de l’Union ou à des parties de celui-ci.

11.      Par dérogation à l’article 9, paragraphes 1 et 2, de la directive [2014/67], les États membres ne peuvent imposer que les exigences administratives et les mesures de contrôle suivantes en ce qui concerne le détachement de conducteurs :

a)      l’obligation pour l’opérateur établi dans un autre État membre de soumettre une déclaration de détachement aux autorités nationales compétentes de l’État membre dans lequel le conducteur est détaché au plus tard au début du détachement, au moyen d’un formulaire standard multilingue de l’interface publique connectée au système d’information du marché intérieur institué par le règlement (UE) n° 1024/2012 [du Parlement européen et du Conseil, du 25 octobre 2012, concernant la coopération
administrative par l’intermédiaire du système d’information du marché intérieur et abrogeant la décision 2008/49/CE de la Commission (“règlement IMI”) (JO 2012, L 316, p. 1)]. [...]

[...] »

53      L’article 9 de la directive 2020/1057, intitulé « Transposition », dispose, à son paragraphe 1, premier et deuxième alinéas :

« Au plus tard le 2 février 2022, les États membres adoptent et publient les dispositions nécessaires pour se conformer à la présente directive. Ils en informent immédiatement la Commission.

Ils appliquent ces mesures à partir du 2 février 2022. »

4.      L’accord interinstitutionnel

54      Les points 12 à 16 de l’accord interinstitutionnel entre le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne, du 13 avril 2016, « Mieux légiférer » (JO 2016, L 123, p. 1, ci-après l’« accord interinstitutionnel »), qui figurent dans le chapitre III de celui-ci, intitulé « Outils destinés à mieux légiférer », énoncent, sous l’intitulé « Analyse d’impact » :

« 12.      Les trois institutions reconnaissent la contribution positive qu’apportent les analyses d’impact à l’amélioration de la qualité de la législation de l’Union.

Les analyses d’impact constituent un outil visant à aider les trois institutions à statuer en connaissance de cause et ne remplacent pas les décisions politiques prises dans le cadre du processus décisionnel démocratique. Les analyses d’impact ne doivent pas conduire à retarder indûment le processus législatif ni porter atteinte à la faculté des colégislateurs de proposer des modifications.

Les analyses d’impact devraient porter sur l’existence, l’ampleur et les conséquences d’un problème et examiner si une action de l’Union est nécessaire ou non. Elles devraient exposer différentes solutions et, lorsque c’est possible, les coûts et avantages éventuels à court terme et à long terme, en évaluant les incidences économiques, environnementales et sociales d’une manière intégrée et équilibrée, sur la base d’analyses tant qualitatives que quantitatives. Les principes de subsidiarité et de
proportionnalité devraient être pleinement respectés, de même que les droits fondamentaux. Les analyses d’impact devraient également examiner, chaque fois que c’est possible, le “coût de la non-Europe” et l’incidence des différentes options en termes de compétitivité ainsi que les lourdeurs administratives qu’elles supposent, en tenant compte en particulier des [petites et moyennes entreprises (ci-après les “PME”)] (selon le principe “penser en priorité aux PME”), des aspects numériques et de
l’impact territorial. Les analyses d’impact devraient se fonder sur des éléments d’information exacts, objectifs et complets et être proportionnées en ce qui concerne leur portée et les sujets qu’elles abordent.

13.      La Commission procèdera à une analyse d’impact de ses initiatives législatives et non législatives, de ses actes délégués et de ses mesures d’exécution qui sont susceptibles d’avoir une incidence économique, environnementale ou sociale importante. Les initiatives figurant dans le programme de travail de la Commission ou dans la déclaration commune seront, en règle générale, accompagnées d’une analyse d’impact.

Dans le cadre de son propre processus d’analyse d’impact, la Commission mènera des consultations aussi larges que possible. Le comité d’examen de la réglementation de la Commission procédera à un contrôle objectif de la qualité des analyses d’impact de cette institution. Les résultats finals des analyses d’impact seront mis à la disposition du Parlement européen, du Conseil et des parlements nationaux et seront rendus publics parallèlement à l’avis/aux avis du comité d’examen de la réglementation
lors de l’adoption de l’initiative de la Commission. 

14.      Lors de l’examen des propositions législatives de la Commission, le Parlement européen et le Conseil tiendront pleinement compte des analyses d’impact de la Commission. À cet effet, les analyses d’impact sont présentées de façon à faciliter l’examen par le Parlement européen et par le Conseil des choix opérés par la Commission. 

15.      Lorsqu’ils le jugeront approprié et nécessaire aux fins du processus législatif, le Parlement européen et le Conseil effectueront des analyses d’impact des modifications substantielles qu’ils apportent à la proposition de la Commission. En règle générale, le Parlement européen et le Conseil prendront comme point de départ de leurs travaux complémentaires l’analyse d’impact de la Commission. Il appartient à chaque institution concernée de déterminer ce qui constitue une modification
“substantielle”.

16.      La Commission peut, de sa propre initiative ou à l’invitation du Parlement européen ou du Conseil, compléter sa propre analyse d’impact ou entreprendre un autre travail d’analyse qu’elle estime nécessaire. Ce faisant, la Commission tiendra compte de toutes les informations disponibles, du stade atteint dans le processus législatif et de la nécessité d’éviter tout retard indu dans le cadre de ce processus. Les colégislateurs tiendront pleinement compte de tout élément complémentaire fourni
par la Commission dans ce contexte. »

55      Le point 42 de l’accord interinstitutionnel, qui figure dans le chapitre VII de celui-ci, intitulé « Mise en œuvre et application de la législation de l’Union », est ainsi libellé :

« Les trois institutions soulignent la nécessité d’une application rapide et correcte de la législation de l’Union dans les États membres. Le délai de transposition des directives sera aussi court que possible et, en règle générale, n’excèdera pas deux ans. »

II.    Les antécédents des litiges

56      Le 31 mai 2017, la Commission a adopté plusieurs propositions faisant partie d’un « premier train de mesures sur la mobilité », dit également « Paquet mobilité », ayant pour objet de modifier certains aspects de la législation de l’Union applicable au secteur des transports routiers.

57      Parmi celles-ci figuraient, premièrement, la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n^o 561/2006 en ce qui concerne les exigences minimales relatives aux durées maximales de conduite journalières et hebdomadaires et à la durée minimale des pauses et des temps de repos journaliers et hebdomadaires, et le règlement (UE) n^o 165/2014 en ce qui concerne la localisation au moyen de tachygraphes [COM (2017) 277 final, ci-après la « proposition de
règlement “temps de travail” »], deuxièmement, la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n^o 1071/2009 et le règlement (CE) n^o 1072/2009 en vue de les adapter aux évolutions du secteur [COM (2017) 281 final, ci-après la « proposition de règlement “établissement” »] et, troisièmement, la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2006/22 quant aux exigences en matière de contrôle et établissant des règles
spécifiques en ce qui concerne la directive 96/71/CE et la directive 2014/67/UE pour le détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier [COM (2017) 278 final, ci-après la « proposition de directive “détachement” »].

58      Ces propositions étaient accompagnées de deux analyses d’impact, l’une concernant la première et la troisième de ces propositions [SWD (2017) 186 final, ci-après l’« analyse d’impact – volet social »], et l’autre concernant la deuxième proposition [SWD (2017) 194 final, ci-après l’« analyse d’impact – volet établissement »].

59      Le Comité économique et social européen (CESE) a rendu, le 18 janvier 2018, deux avis distincts, portant, respectivement, sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n^o 1071/2009 et le règlement (CE) n^o 1072/2009 en vue de les adapter aux évolutions du secteur [COM(2017) 281 final – 2017/0123 (COD)] (JO 2018, C 197, p. 38), ainsi que sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 2006/22/CE
quant aux exigences en matière de contrôle et établissant des règles spécifiques en ce qui concerne la directive 96/71/CE et la directive 2014/67/UE pour le détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier [COM(2017) 278 final –2017/0121 (COD)] et sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil modifiant le règlement (CE) n^o 561/2006 en ce qui concerne les exigences minimales relatives aux durées maximales de conduite journalières et hebdomadaires et à la durée
minimale des pauses et des temps de repos journaliers et hebdomadaires, et le règlement (UE) n^o 165/2014 en ce qui concerne la localisation au moyen de tachygraphes [COM(2017) 277 final – 2017/0122 (COD)] (JO 2018, C 197, p. 45). Pour sa part, le Comité européen des régions (CdR) a rendu, le 1^er février 2018, un avis portant sur ces trois propositions, intitulé « L’Europe en mouvement : les questions liées au travail dans le transport routier » (JO 2018, C 176, p. 57).

60      À l’issue de discussions conduites tant au sein du Parlement et du Conseil qu’entre ces deux institutions, un compromis a été trouvé sur les trois propositions de la Commission au cours de négociations menées les 11 et 12 décembre 2019 dans le cadre du trilogue interinstitutionnel entre le Conseil, le Parlement et la Commission.

61      Le 7 avril 2020, lors du vote au sein du Conseil relatif à l’adoption des trois actes législatifs en cause, ceux-ci ont recueilli le soutien d’une majorité qualifiée d’États membres, neuf d’entre eux, à savoir la République de Bulgarie, la République d’Estonie, la République de Chypre, la République de Lettonie, la République de Lituanie, la Hongrie, la République de Malte, la République de Pologne et la Roumanie, s’étant cependant opposés à cette adoption.

62      Le 15 juillet 2020, le Parlement et le Conseil ont adopté les règlements 2020/1054 et 2020/1055 ainsi que la directive 2020/1057 (ci-après, pris ensemble, les « actes attaqués »).

III. Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

A.      L’affaire C‑541/20

63      La République de Lituanie demande à la Cour :

–        d’annuler, à titre principal, l’article 1^er, paragraphes 3 et 7, de la directive 2020/1057 ou, à titre subsidiaire, cette directive dans son intégralité ;

–        d’annuler, à titre principal, l’article 1^er, point 6, sous d), et l’article 3 du règlement 2020/1054 ou, à titre subsidiaire, ce règlement dans son intégralité, et

–        de condamner le Parlement et le Conseil aux dépens.

64      Le Parlement et le Conseil demandent à la Cour :

–        de rejeter le recours dans son intégralité et

–        de condamner la République de Lituanie aux dépens.

65      Par ordonnance du 13 avril 2021, Lituanie/Parlement et Conseil (C‑541/20 R, EU:C:2021:264), la vice-présidente de la Cour a rejeté la demande de la République de Lituanie d’ordonner le sursis à l’exécution de l’article 1^er, point 6, sous d), et de l’article 3 du règlement 2020/1054.

66      Par décisions du 27 avril 2021, le président de la Cour a admis la République d’Estonie, la République de Lettonie et la Roumanie à intervenir au soutien des conclusions de la République de Lituanie.

67      Par décisions du même jour, le président de la Cour a admis le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche et le Royaume de Suède à intervenir au soutien des conclusions du Parlement et du Conseil ainsi que la République italienne à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

68      Lors de l’audience tenue le 25 avril 2023, la République de Lituanie a retiré sa demande d’annulation de l’article 1^er, paragraphe 7, de la directive 2020/1057.

B.      L’affaire C‑542/20

69      La République de Lituanie demande à la Cour :

–        d’annuler l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009 ;

–        d’annuler l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, et

–        de condamner le Parlement et le Conseil aux dépens.

70      Par décisions du 26 avril 2021, le président de la Cour a autorisé la République d’Estonie, la République de Lettonie et la Roumanie à intervenir au soutien des conclusions de la République de Lituanie.

71      Par décisions du même jour, le président de la Cour a autorisé le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République hellénique, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche et le Royaume de Suède à intervenir au soutien des conclusions du Parlement et du Conseil ainsi que la République italienne à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

C.      L’affaire C‑543/20

72      La République de Bulgarie demande à la Cour :

–        d’annuler, à titre principal, l’article 1^er, point 6, sous c) et d), du règlement 2020/1054 ou, à titre subsidiaire, ce règlement dans son intégralité et

–        de condamner le Parlement et le Conseil aux dépens.

73      Le Parlement et le Conseil demandent à la Cour :

–        de rejeter le recours dans son intégralité et

–        de condamner la République de Bulgarie aux dépens.

74      Par décisions du 29 avril 2021, le président de la Cour a autorisé la République de Lettonie et la Roumanie à intervenir au soutien des conclusions de la République de Bulgarie.

75      Par décisions du même jour, le président de la Cour a autorisé le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République hellénique, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche et le Royaume de Suède à intervenir au soutien des conclusions du Parlement et du Conseil ainsi que la République italienne à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

D.      L’affaire C‑544/20

76      La République de Bulgarie demande à la Cour :

–        d’annuler la directive 2020/1057 et

–        de condamner le Parlement et le Conseil aux dépens.

77      Le Parlement et le Conseil demandent à la Cour :

–        de rejeter le recours dans son intégralité et

–        de condamner la République de Bulgarie aux dépens.

78      Par décisions du 29 avril 2021, le président de la Cour a autorisé la République d’Estonie, la République de Lettonie et la Roumanie à intervenir au soutien des conclusions de la République de Bulgarie.

79      Par décisions du même jour, le président de la Cour a autorisé le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche et le Royaume de Suède à intervenir au soutien des conclusions du Parlement et du Conseil ainsi que la République italienne à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

E.      L’affaire C‑545/20

80      La République de Bulgarie demande à la Cour :

–        d’annuler l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, ou, à titre subsidiaire, d’annuler cet article 1^er, point 3, dans son intégralité ;

–        d’annuler l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 ou, à titre subsidiaire, d’annuler cet article 2, point 4, dans son intégralité ;

–        à titre encore plus subsidiaire, d’annuler ce règlement dans son intégralité, et

–        de condamner le Parlement et le Conseil aux dépens.

81      Par décisions du 29 avril 2021, le président de la Cour a autorisé la République d’Estonie, la République de Lettonie, la République de Lituanie et la Roumanie à intervenir au soutien des conclusions de la République de Bulgarie.

82      Par décisions du même jour, le président de la Cour a autorisé le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République hellénique, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche et le Royaume de Suède à intervenir au soutien des conclusions du Parlement et du Conseil ainsi que la République italienne à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

83      Par ordonnance du 3 juin 2022, Bulgarie/Parlement et Conseil (C‑545/20 R, EU:C:2022:445), le vice-président de la Cour a rejeté la demande de la République de Bulgarie d’ordonner le sursis à l’exécution, à titre principal, de l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, ou, à titre subsidiaire, de cet article 1^er, point 3, dans son intégralité ou, à titre encore plus subsidiaire, du
règlement 2020/1055 dans son intégralité.

F.      L’affaire C‑546/20

84      La Roumanie demande à la Cour :

–        d’annuler, à titre principal, l’article 1^er, point 6, sous c) et d), du règlement 2020/1054 ou, à titre subsidiaire, ce règlement dans son intégralité et

–        de condamner le Parlement et le Conseil aux dépens.

85      Le Parlement et le Conseil demandent à la Cour :

–        de rejeter le recours dans son intégralité et

–        de condamner la Roumanie aux dépens.

86      Par décision du 21 avril 2021, le président de la Cour a autorisé la République de Lettonie à intervenir au soutien des conclusions de la Roumanie.

87      Par décisions du même jour, le président de la Cour a autorisé le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République hellénique, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche et le Royaume de Suède à intervenir au soutien des conclusions du Parlement et du Conseil ainsi que la République italienne à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

G.      L’affaire C‑547/20

88      La Roumanie demande à la Cour :

–        d’annuler l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009 ;

–        d’annuler l’article 2, point 4, sous a) à c), du règlement 2020/1055 ;

–        à titre subsidiaire, d’annuler ce règlement dans son intégralité, et

–        de condamner le Parlement et le Conseil aux dépens.

89      Par décisions du 22 avril 2021, le président de la Cour a autorisé la République d’Estonie, la République de Lettonie et la République de Lituanie à intervenir au soutien des conclusions de la Roumanie.

90      Par décisions du même jour, le président de la Cour a autorisé le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République hellénique, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche et le Royaume de Suède à intervenir au soutien des conclusions du Parlement et du Conseil ainsi que la République italienne à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

91      Par ordonnance du 3 juin 2022, Roumanie/Parlement et Conseil (C‑547/20 R, EU:C:2022:446), le vice-président de la Cour a rejeté la demande de la Roumanie d’ordonner le sursis à l’exécution de l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009.

H.      L’affaire C‑548/20

92      La Roumanie demande à la Cour :

–        d’annuler, à titre principal, l’article 1^er, paragraphes 3 à 6, de la directive 2020/1057 ou, à titre subsidiaire, cette directive dans son intégralité et

–        de condamner le Parlement et le Conseil aux dépens.

93      Le Parlement et le Conseil demandent à la Cour :

–        de rejeter le recours dans son intégralité et

–        de condamner la Roumanie aux dépens.

94      Par décisions du 22 avril 2021, le président de la Cour a autorisé la République d’Estonie et la République de Lettonie à intervenir au soutien des conclusions de la Roumanie.

95      Par décisions du même jour, le président de la Cour a autorisé le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche et le Royaume de Suède à intervenir au soutien des conclusions du Parlement et du Conseil ainsi que la République italienne à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

I.      L’affaire C‑549/20

96      La République de Chypre demande à la Cour :

–        d’annuler l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, ou, à titre subsidiaire, d’annuler cet article 1^er, point 3, dans son intégralité ;

–        à titre encore plus subsidiaire, d’annuler le règlement 2020/1055 dans son intégralité, et

–        de condamner le Parlement et le Conseil aux dépens.

97      Par décisions du 12 mai 2021, le président de la Cour a autorisé la République d’Estonie, la République de Lettonie, la République de Lituanie et la Roumanie à intervenir au soutien des conclusions de la République de Chypre.

98      Par décisions du même jour, le président de la Cour a autorisé le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche et le Royaume de Suède à intervenir au soutien des conclusions du Parlement et du Conseil ainsi que la République italienne à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

J.      L’affaire C‑550/20

99      La République de Chypre demande à la Cour :

–        d’annuler la directive 2020/1057 et

–        de condamner le Parlement et le Conseil aux dépens.

100    Le Parlement et le Conseil demandent à la Cour :

–        de rejeter le recours dans son intégralité et

–        de condamner la République de Chypre aux dépens.

101    Par décisions du 29 avril 2021, le président de la Cour a autorisé la République d’Estonie, la République de Lettonie et la Roumanie à intervenir au soutien des conclusions de la République de Chypre.

102    Par décisions du même jour, le président de la Cour a autorisé le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche et le Royaume de Suède à intervenir au soutien des conclusions du Parlement et du Conseil ainsi que la République italienne à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

K.      L’affaire C‑551/20

103    La Hongrie demande à la Cour :

–        d’annuler l’article 1^er, point 6, sous c), et l’article 2, point 2, du règlement 2020/1054 ainsi que, le cas échéant, les dispositions de ce règlement qui leur sont indissociables, voire l’intégralité dudit règlement ;

–        d’annuler l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, ainsi que, le cas échéant, les dispositions du règlement 2020/1055 qui lui sont indissociables ;

–        d’annuler, à titre principal, l’article 1^er de la directive 2020/1057 ou, à titre subsidiaire, l’article 1^er, paragraphe 6, de celle-ci, ainsi que, le cas échéant, les dispositions de cette directive qui lui sont indissociables, et

–        de condamner le Parlement et le Conseil aux dépens.

104    Le Parlement et le Conseil demandent à la Cour :

–        de rejeter le recours dans son intégralité et

–        de condamner la Hongrie aux dépens.

105    Par décisions du 13 avril 2021, le président de la Cour a autorisé la République d’Estonie, la République de Lettonie, la République de Lituanie et la Roumanie à intervenir au soutien des conclusions de la Hongrie.

106    Par décisions du même jour, le président de la Cour a autorisé le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République hellénique, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche et le Royaume de Suède à intervenir au soutien des conclusions du Parlement et du Conseil ainsi que la République italienne à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

L.      L’affaire C‑552/20

107    La République de Malte demande à la Cour :

–        d’annuler l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009 ;

–        d’annuler l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, et

–        de condamner le Parlement et le Conseil aux dépens.

108    Par décisions du 22 avril 2021, le président de la Cour a autorisé le Royaume de Belgique, la République d’Estonie, la République de Lettonie, la République de Lituanie et la Roumanie à intervenir au soutien des conclusions de la République de Malte.

109    Par décisions du même jour, le président de la Cour a autorisé le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche et le Royaume de Suède à intervenir au soutien des conclusions du Parlement et du Conseil ainsi que la République italienne à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

M.      L’affaire C‑553/20

110    La République de Pologne demande à la Cour :

–        d’annuler, à titre principal, l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 ou, à titre subsidiaire, ce règlement dans son intégralité et

–        de condamner le Parlement et le Conseil aux dépens.

111    Le Parlement et le Conseil demandent à la Cour :

–        de rejeter le recours dans son intégralité et

–        de condamner la République de Pologne aux dépens.

112    Par décisions du 27 avril 2021, le président de la Cour a autorisé la République de Lettonie et la Roumanie à intervenir au soutien des conclusions de la République de Pologne.

113    Par décisions du même jour, le président de la Cour a autorisé le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche et le Royaume de Suède à intervenir au soutien des conclusions du Parlement et du Conseil ainsi que la République italienne à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

N.      L’affaire C‑554/20

114    La République de Pologne demande à la Cour :

–        d’annuler l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009 ;

–        d’annuler l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous g), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009 ;

–        d’annuler l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 ;

–        d’annuler l’article 2, point 5, sous b), de ce règlement ;

–        à titre subsidiaire, d’annuler ledit règlement dans son intégralité, et

–        de condamner le Parlement et le Conseil aux dépens.

115    Par décisions du 27 avril 2021, le président de la Cour a autorisé la République d’Estonie, la République de Lettonie, la République de Lituanie et la Roumanie à intervenir au soutien des conclusions de la République de Pologne.

116    Par décisions du même jour, le président de la Cour a autorisé le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche et le Royaume de Suède à intervenir au soutien des conclusions du Parlement et du Conseil ainsi que la République italienne à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

O.      L’affaire C‑555/20

117    La République de Pologne demande à la Cour :

–        d’annuler l’article 1^er, paragraphes 3, 4, 6 et 7, ainsi que l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2020/1057, ou, à titre subsidiaire, cette directive dans son intégralité, et

–        de condamner le Parlement et le Conseil aux dépens.

118    Le Parlement et le Conseil demandent à la Cour :

–        de rejeter le recours dans son intégralité et

–        de condamner la République de Pologne aux dépens.

119    Par décisions du 27 avril 2021, le président de la Cour a autorisé la République d’Estonie, la République de Lettonie et la Roumanie à intervenir au soutien des conclusions de la République de Pologne.

120    Par décisions du même jour, le président de la Cour a autorisé le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche et le Royaume de Suède à intervenir au soutien des conclusions du Parlement et du Conseil ainsi que la République italienne à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

P.      Sur la jonction des affaires C‑541/20 à C‑555/20

121    Par décision du 13 octobre 2023, le président de la Cour a décidé, conformément à l’article 54, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, de joindre les affaires C‑541/20 à C‑555/20 aux fins tant de la phase orale de la procédure, dans la mesure où celle-ci n’était pas encore clôturée, que de la décision mettant fin à l’instance.

IV.    Sur les recours

A.      Sur le règlement 2020/1054

122    La République de Lituanie (affaire C‑541/20), la République de Bulgarie (affaire C‑543/20), la Roumanie (affaire C‑546/20), la Hongrie (affaire C‑551/20) et la République de Pologne (affaire C‑553/20) demandent l’annulation de plusieurs dispositions du règlement 2020/1054 ou, à titre subsidiaire, de ce règlement dans son intégralité.

123    En premier lieu, les recours introduits par la République de Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie visent à obtenir l’annulation de l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054, qui a remplacé le paragraphe 8 de l’article 8 du règlement n^o 561/2006 par un nouveau paragraphe 8, lequel interdit, en substance, aux conducteurs de prendre dans un véhicule leurs temps de repos hebdomadaires normaux ou de plus de 45 heures pris en compensation de la réduction d’un temps de repos
hebdomadaire antérieur (ci–après l’« interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule »).

124    En deuxième lieu, les recours introduits par la République de Lituanie, la République de Bulgarie, la Roumanie et la République de Pologne visent à obtenir l’annulation de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, qui a inséré un paragraphe 8 bis à l’article 8 du règlement n^o 561/2006, lequel prévoit l’obligation pour les entreprises de transport d’organiser le travail des conducteurs de telle sorte que ces derniers soient en mesure de retourner toutes les trois ou quatre
semaines, selon qu’ils ont, ou non, pris auparavant deux temps de repos hebdomadaires réduits consécutifs, au centre opérationnel de cet employeur ou à leur lieu de résidence, respectivement, pour y entamer ou y passer au moins un temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire [ci-après l’« obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 »].

125    En troisième lieu, le recours introduit par la Hongrie vise aussi à obtenir l’annulation de l’article 2, point 2, du règlement 2020/1054, qui a remplacé le paragraphe 4 de l’article 3 du règlement n^o 165/2014 par un nouveau paragraphe 4 et un paragraphe 4 bis, lesquels avancent la date d’entrée en vigueur de l’obligation d’installer des  tachygraphes intelligents de deuxième génération (ci-après les « tachygraphes V2 »). 

126    En quatrième et dernier lieu, le recours introduit par la République de Lituanie vise également à obtenir l’annulation de l’article 3 du règlement 2020/1054, en tant que cet article fixe, à son premier alinéa, la date d’entrée en vigueur de ce règlement au vingtième jour suivant celle de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne. 

1.      Aperçu des moyens

127    À l’appui des conclusions de son recours (affaire C‑541/20) tendant à l’annulation de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, la République de Lituanie soulève quatre moyens, tirés de la violation, pour le premier, de l’article 45 TFUE, pour le deuxième, de l’article 26 TFUE (première branche) et du principe général de non-discrimination (seconde branche), pour le troisième, de l’article 3, paragraphe 3, TUE, des articles 11 et 191 TFUE ainsi que de la politique de l’Union
en matière d’environnement et de lutte contre le changement climatique et, pour le quatrième, du principe de proportionnalité. À l’appui des conclusions de ce même recours tendant à l’annulation de l’article 3 du règlement 2020/1054, ledit État membre soulève trois moyens, tirés de la violation, pour le premier, du principe de proportionnalité, pour le deuxième, de l’obligation de motivation, prévue à l’article 296 TFUE, et, pour le troisième, du principe de coopération loyale, consacré à
l’article 4, paragraphe 3, TUE.

128    À l’appui de son recours (affaire C‑543/20) tendant à l’annulation de l’article 1^er, point 6, sous c), et de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, la République de Bulgarie invoque cinq moyens. Les premier à troisième moyens, dirigés contre l’article 1^er, point 6, sous d), de ce règlement, sont tirés de la violation, pour le premier, de l’article 45 TFUE (première branche) ainsi que de l’article 21, paragraphe 1, TFUE et de l’article 45, paragraphe 1, de la charte des
droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), (seconde branche), pour le deuxième, du principe de proportionnalité, consacré à l’article 5, paragraphe 4, TUE et à l’article 1^er du protocole (n^o 2) sur l’application des principes de subsidiarité et de proportionnalité, annexé au traité UE et au traité FUE (ci-après le « protocole sur les principes de subsidiarité et de proportionnalité »), ainsi que, pour le troisième, du principe de sécurité juridique. Le quatrième moyen,
dirigé contre l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054, est pris de la violation du principe de proportionnalité, consacré à l’article 5, paragraphe 4, TUE et à l’article 1^er de ce protocole. Le cinquième moyen, dirigé contre l’article 1^er, point 6, sous c) et d), de ce règlement, est tiré de la violation des principes d’égalité de traitement et d’interdiction de toute discrimination, consacrés à l’article 18 TFUE ainsi qu’aux articles 20 et 21 de la Charte, du principe d’égalité
des États membres devant les traités, consacré à l’article 4, paragraphe 2, TUE, et, « dans la mesure où la Cour le jugerait nécessaire », de l’article 95, paragraphe 1, TFUE.

129    À l’appui de son recours (affaire C‑546/20) tendant à l’annulation de l’article 1^er, point 6, sous c), et de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, la Roumanie invoque trois moyens. Le premier moyen, dirigé contre ces deux dispositions, est tiré de la violation du principe de proportionnalité, prévu à l’article 5, paragraphe 4, TUE. Le deuxième moyen, dirigé contre l’article 1^er, point 6, sous d), de ce règlement, est pris de la violation de la liberté d’établissement,
prévue à l’article 49 TFUE. Le troisième moyen, divisé en deux branches, dirigé contre l’article 1^er, point 6, sous c) et d), dudit règlement, est tiré de la violation du principe de non-discrimination en raison de la nationalité, prévu à l’article 18 TFUE.

130    À l’appui des conclusions de son recours (affaire C‑551/20) tendant à l’annulation de l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054, la Hongrie invoque un moyen unique, tiré d’une erreur manifeste d’appréciation et de la violation du principe de proportionnalité. À l’appui des conclusions dudit recours tendant à l’annulation de l’article 2, point 2, de ce règlement, cet État membre soulève trois moyens, tirés, pour le premier, d’une erreur manifeste d’appréciation et de la
violation du principe de proportionnalité, pour le deuxième, de la violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime et, pour le troisième, de la méconnaissance de l’obligation de maintenir la compétitivité économique de l’Union, prévue à l’article 151, deuxième alinéa, TFUE.

131    À l’appui de son recours (affaire C‑553/20) tendant à l’annulation de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, la République de Pologne avance cinq moyens, tirés de la violation, pour le premier, du principe de proportionnalité, consacré à l’article 5, paragraphe 4, TUE, pour le deuxième, du principe de sécurité juridique, pour le troisième, de l’article 91, paragraphe 2, TFUE, pour le quatrième, de l’article 94 TFUE et, pour le cinquième, de l’article 11 TFUE ainsi que de
l’article 37 de la Charte.

132    Il y a lieu d’examiner successivement les conclusions des recours tendant à l’annulation de l’article 1^er, point 6, sous d), de l’article 1^er, point 6, sous c), de l’article 2, point 2, et de l’article 3 du règlement 2020/1054.

2.      Sur l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054

133    À l’appui de leurs recours respectifs tendant à l’annulation de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, la République de Lituanie (affaire C‑541/20), la République de Bulgarie (affaire C‑543/20), la Roumanie (affaire C‑546/20) et la République de Pologne (affaire C‑553/20) invoquent, selon le cas, la violation, en substance :

–        du principe de proportionnalité (quatrième moyen pris en ses première à troisième branches de la République de Lituanie, deuxième moyen de la République de Bulgarie, premier moyen pris en sa seconde branche de la Roumanie et premier moyen de la République de Pologne) ;

–        des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination (deuxième moyen pris en sa seconde branche de la République de Lituanie, cinquième moyen pris en sa première branche de la République de Bulgarie et troisième moyen pris en sa seconde branche de la Roumanie) ;

–        du principe de sécurité juridique (quatrième moyen pris en sa quatrième branche de la République de Lituanie, troisième moyen de la République de Bulgarie et deuxième moyen de la République de Pologne) ;

–        de la libre circulation des citoyens de l’Union, prévue à l’article 21, paragraphe 1, TFUE et à l’article 45 de la Charte (premier moyen pris en sa seconde branche de la République de Bulgarie) ;

–        du fonctionnement du marché intérieur, prévu à l’article 26 TFUE (deuxième moyen pris en sa première branche de la République de Lituanie) ;

–        de la libre circulation des travailleurs, prévue à l’article 45 TFUE (premier moyen de la République de Lituanie et premier moyen pris en sa première branche de la République de Bulgarie) ;

–        de la liberté d’établissement, prévue à l’article 49 TFUE (deuxième moyen de la Roumanie) ;

–        des règles du droit de l’Union en matière de politique commune des transports, prévues à l’article 91, paragraphe 2, TFUE (premier moyen pris en sa seconde branche de la Roumanie, tiré de la violation du principe de proportionnalité, et troisième moyen de la République de Pologne) et à l’article 94 TFUE (premier moyen pris en sa seconde branche de la Roumanie, tiré de la violation du principe de proportionnalité, et quatrième moyen de la République de Pologne), ainsi que

–        des règles du droit de l’Union en matière de protection de l’environnement (troisième moyen de la République de Lituanie et cinquième moyen de la République de Pologne).

a)      Sur la recevabilité

1)      Argumentation des parties

134    Dans l’affaire C‑543/20, le Conseil exprime des doutes quant à la recevabilité des conclusions du recours de la République de Bulgarie tendant à l’annulation de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, puisque ces conclusions viseraient, en réalité, non pas à mettre en cause la validité de cette disposition mais à obtenir une clarification de l’interprétation de celle-ci.

135    Le Conseil rappelle à cet égard qu’un texte de droit dérivé de l’Union doit être interprété, dans la mesure du possible, dans le sens de sa conformité aux dispositions des traités. Il relève que, en l’occurrence, selon la République de Bulgarie, l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 pourrait faire l’objet d’une telle interprétation conforme, avec pour conséquence, si tel devait être le cas, que la Cour n’aurait pas à examiner les moyens invoqués à l’appui de ses
conclusions. Dès lors, soit l’interprétation privilégiée par cet État membre serait exacte, auquel cas celui-ci ne remettrait pas en cause la validité de cette disposition, soit cette interprétation serait erronée, du fait qu’il existerait une autre interprétation conforme aux traités, auquel cas tous les moyens invoqués devraient être rejetés comme étant dénués de fondement.

136    Il ne serait pas acceptable qu’un État membre utilise la position privilégiée dont il jouit au titre de l’article 263 TFUE pour mettre en cause la légalité d’actes législatifs du droit de l’Union à la seule fin d’entendre clarifier leur signification en présentant à la Cour différentes interprétations et en lui demandant d’écarter certaines d’entre elles. À l’instar de l’article 267 TFUE, l’article 263 TFUE ne pourrait pas être utilisé pour poser à la Cour des questions hypothétiques.

137    La République de Bulgarie estime que les conclusions de son recours tendant à l’annulation de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 sont recevables.

2)      Appréciation de la Cour

138    Il ressort de la lecture combinée des articles 263 et 264 TFUE qu’un recours formé sur le fondement de la première de ces dispositions visant à obtenir l’annulation de l’un des actes mentionnés au premier alinéa de celle-ci doit avoir pour objet l’annulation de cet acte. Il s’ensuit qu’un recours dont le petitum vise à obtenir de la Cour une interprétation d’un tel acte ne trouve pas de fondement à l’article 263 TFUE et doit être rejeté comme étant irrecevable.

139    Néanmoins, lorsqu’une partie demande, sur le fondement de l’article 263 TFUE, l’annulation d’un acte de l’Union et indique dans sa requête, comme l’exigent l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et l’article 120, sous c), du règlement de procédure, les moyens et les arguments invoqués à l’appui de sa demande ainsi que l’exposé sommaire de ces moyens, la Cour doit nécessairement, et indépendamment de toute demande en ce sens de la partie requérante,
vérifier le bien-fondé de l’interprétation de l’acte attaqué qui constitue la prémisse desdits moyens et arguments. En effet, si la Cour retient une interprétation différente de cet acte, celle–ci peut suffire à justifier le rejet de ces derniers comme étant dépourvus de fondement.

140    En l’espèce, la requête déposée par la République de Bulgarie dans l’affaire C‑543/20 indique de façon claire et précise les moyens et les arguments invoqués à l’appui des conclusions de son recours tendant à l’annulation de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, ainsi que l’exposé sommaire de ces moyens. Il ressort ainsi de cette requête que le recours formé dans cette affaire a pour objet de mettre en cause la légalité de cette disposition au titre de l’article 263 TFUE
dans le respect des exigences prévues à l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 120, sous c), du règlement de procédure.

141    Par ailleurs, il ressort de la lecture de cette requête que les moyens et les arguments invoqués par la République de Bulgarie partent de la prémisse selon laquelle l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 doit être interprété en ce sens que cette disposition impose aux conducteurs, afin de prendre leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire, de retourner, selon le cas, toutes les trois ou quatre semaines, soit au centre opérationnel de l’employeur, soit à leur
lieu de résidence, sans prévoir la possibilité pour les conducteurs de choisir eux–mêmes l’endroit où ils souhaitent passer ce temps de repos.

142    L’examen de ces moyens et arguments nécessite donc que la Cour vérifie si l’interprétation de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, mentionnée au point précédent, qui constitue la prémisse de ceux-ci, est correcte.

143    Certes, la République de Bulgarie reconnaît elle–même, dans une partie liminaire de sa requête, d’une part, qu’il est aussi possible d’interpréter cette disposition en ce sens qu’elle n’impose pas aux conducteurs une telle obligation de retour à l’un des deux lieux spécifiés par celle–ci, ces conducteurs restant alors libres de choisir de prendre leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire à l’endroit où ils le souhaitent, et, d’autre part, que, si la Cour devait retenir une
telle interprétation, il n’y aurait pas lieu d’examiner les moyens et arguments invoqués à l’appui de son recours, tirés de la violation des libertés fondamentales de circulation des travailleurs et des citoyens de l’Union, ainsi que des principes de proportionnalité, d’égalité de traitement et de non-discrimination. Toutefois, une telle circonstance ne justifie pas de rejeter ce recours comme étant irrecevable. En effet, la Cour est, en tout état de cause, obligée de vérifier le bien–fondé de
l’interprétation de ladite disposition qui constitue la prémisse de ces moyens et arguments.

144    Il convient, dès lors, de rejeter l’exception d’irrecevabilité soulevée par le Conseil contre les conclusions du recours introduit par la République de Bulgarie tendant à l’annulation de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054.

b)      Sur le fond

145    Il ressort de l’argumentation présentée par la République de Lituanie, la République de Bulgarie, la Roumanie et la République de Pologne à l’appui de leurs recours respectifs visant à obtenir l’annulation de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 que les moyens invoqués par ces États membres, tirés de la violation du principe de proportionnalité, des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination, des libertés fondamentales garanties par le traité FUE et des
dispositions du traité FUE relatives à la protection de l’environnement, sont fondés sur la prémisse selon laquelle cette disposition doit être interprétée dans le sens indiqué au point 141 du présent arrêt, à savoir comme imposant aux conducteurs de retourner, selon le cas, toutes les trois ou quatre semaines, au centre opérationnel de leur employeur ou à leur lieu de résidence, en les privant ainsi de la possibilité de choisir eux-mêmes l’endroit où ils souhaitent passer leur temps de repos
hebdomadaire normal ou compensatoire.

146    Toutefois, la République de Lituanie, la République de Bulgarie et la République de Pologne reprochant, à cet égard, au législateur de l’Union d’avoir méconnu le principe de sécurité juridique, au motif que l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 serait dépourvu de clarté suffisante, il convient, dès lors, d’examiner en premier lieu les moyens et arguments tirés de la violation de ce principe.

1)      Sur la violation du principe de sécurité juridique

i)      Argumentation des parties

147    La République de Lituanie, dans le cadre de son quatrième moyen, tiré de la violation du principe de proportionnalité, pris en sa quatrième branche, la République de Bulgarie, par son troisième moyen, et la République de Pologne, par son deuxième moyen, font valoir que l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 ne respecte pas les exigences découlant du principe de sécurité juridique en raison du manque de clarté quant à sa portée précise.

148    Le principe de sécurité juridique exigerait que les règles du droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, afin que les intéressés puissent s’orienter dans des situations et des relations juridiques relevant de l’ordre juridique de l’Union. S’il peut être admis qu’une réglementation soit vague, comporte des termes abstraits ou confère une marge d’appréciation, ce serait néanmoins à la condition qu’elle n’aboutisse pas à l’arbitraire et qu’elle puisse être précisée par la
jurisprudence, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

149    En premier lieu, la République de Bulgarie et la République de Pologne estiment que la nature même des obligations incombant aux conducteurs ou aux entreprises de transport n’est pas clairement définie. En effet, le libellé de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 laisserait subsister des doutes importants quant à la question de savoir si les conducteurs peuvent choisir, pour la prise de leur temps de repos hebdomadaire, un lieu autre que les deux lieux indiqués à cette
disposition, si le respect de l’obligation découlant de cette disposition incombe aux conducteurs ou aux entreprises de transport et, dans ce dernier cas, si ces entreprises sont seulement tenues d’accorder au conducteur du temps libre et de lui fournir un mode de transport afin qu’il puisse prendre son temps de repos à l’un des deux lieux indiqués ou s’il leur incombe également de veiller à ce que le conducteur se rende effectivement à l’un de ces lieux, ce que suggèrerait plutôt le considérant 14
de ce règlement, qui se réfère au respect par le transporteur de ses obligations « en ce qui concerne l’organisation du retour normal ».

150    La République de Lituanie et la République de Bulgarie estiment que la seule interprétation de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 qui soit conforme aux libertés fondamentales des conducteurs et à l’objectif d’amélioration des conditions de travail est de considérer que cette disposition n’impose pas au conducteur de retourner à son lieu de résidence ou dans l’État membre d’établissement de son employeur, mais que le transporteur doit organiser le travail du conducteur de
manière à ne pas compromettre la liberté de ce dernier de choisir de prendre son temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire à l’endroit où il le souhaite. Selon la République de Bulgarie, cependant, même si ladite disposition a une telle portée, l’employeur ne devrait être tenu à une telle obligation que si le conducteur exprime le souhait de rentrer vers l’un de ces deux lieux.

151    En deuxième lieu, la République de Lituanie et la République de Pologne estiment qu’il est très difficile de déterminer la manière dont l’entreprise de transport doit concrètement s’acquitter de l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054. La République de Lituanie fait valoir, à cet égard, que le législateur de l’Union n’a pas précisé de quelle manière cette obligation doit être respectée dans la pratique. Ainsi, ni les modalités du retour du conducteur,
telles que les frais et la preuve du retour, ni celles d’un refus de retour et ses conséquences en termes de sanctions pour l’employeur et, le cas échéant, pour le travailleur ne seraient précisées. De même, l’expression « lieu de résidence » du conducteur ne serait pas clairement définie. En particulier, il ne serait pas clair si un conducteur originaire d’un pays tiers doit retourner dans ce dernier ou dans le lieu de résidence temporaire de l’État membre concerné et, plus généralement, il serait
incertain si cette expression vise l’État membre concerné ou une adresse précise du lieu de résidence. L’ensemble de ces incertitudes rendraient impossible une application uniforme du règlement 2020/1054. Quant à la République de Pologne, elle soutient que ce règlement ne permet pas d’identifier la façon dont l’entreprise de transport doit obliger le conducteur à recourir à la possibilité de retour qu’elle lui offre. De même, ne serait pas claire la question du véhicule qui doit être utilisé à cet
effet. L’article 1^er, point 6, sous d), dudit règlement pourrait ainsi imposer aux transporteurs des obligations dont ils ne sont absolument pas en mesure de s’acquitter sans violer le droit fondamental des travailleurs à la liberté individuelle.

152    En troisième lieu, la République de Pologne soutient que la question de savoir si le retour au lieu de résidence ne doit pas être précédé d’un retour au centre opérationnel de l’employeur suscite également des doutes importants. En effet, au regard de la formulation de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, il ne serait pas clair si, en permettant aux conducteurs de revenir directement à leur lieu de résidence, une entreprise de transport s’acquitterait de l’obligation de
leur garantir un temps de repos, étant donné que les conducteurs « entament leur temps de repos hebdomadaire » au centre opérationnel de l’employeur. Ce manque de précision pourrait pousser les entreprises de transport à fournir aux conducteurs un moyen de transport vers le centre opérationnel de l’employeur, puis seulement à leur lieu de résidence, ce qui, pour les conducteurs résidant loin de ce centre opérationnel, impliquerait un repos de moindre qualité.

153    En quatrième lieu, la République de Pologne considère qu’il n’est pas clair si le tachygraphe, dont les enregistrements constituent les éléments de preuve requis par le troisième alinéa de l’article 8, paragraphe 8 bis, du règlement n^o 561/2006, tel qu’inséré dans ce règlement par l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, est celui du véhicule au moyen duquel le conducteur retourne au centre opérationnel de l’employeur ou à son lieu de résidence ou celui du véhicule utilisé
généralement par le conducteur. Conformément à l’article 33, paragraphe 2, du règlement n^o 165/2014, les données enregistrées au moyen des tachygraphes devraient être conservées au moins un an. Toutefois, en vertu du considérant 14 du règlement 2020/1054, l’entreprise de transport pourrait également utiliser d’autres documents afin de démontrer le respect de l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), de ce règlement, sans que l’article 8, paragraphe 8 bis, du règlement n^o 561/2006
précise néanmoins la durée de conservation desdits documents.

154    S’il est vrai que les États membres peuvent, à certaines conditions, adopter des mesures d’application du droit de l’Union, les règlements devraient néanmoins déterminer avec une précision suffisante le contenu de ces mesures nationales. Or, tel ne serait pas le cas des dispositions de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, qui accorderaient une marge d’appréciation trop étendue aux autorités nationales compétentes ou rendraient possible un éventail excessivement large de
solutions nationales hétérogènes. Pourtant, ce règlement viserait précisément à renforcer la sécurité juridique en ce qui concerne les obligations incombant aux entreprises de transport. Ces obligations devraient donc être définies de manière exhaustive et incontestable dans un acte de l’Union directement applicable afin d’assurer l’application uniforme du droit de l’Union dans le marché intérieur. Les précisions apportées aux dispositions dudit règlement par les différents États membres
conduiraient, tout au contraire, à des applications divergentes au sein de ces derniers, accentuant ainsi l’incertitude juridique.

155    En cinquième lieu, la République de Bulgarie estime que l’insécurité juridique à laquelle donne lieu l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 est démontrée par les interprétations contradictoires qui ressortent tant de l’exposé des motifs présenté par le Conseil en première lecture au cours de la procédure législative que des explications fournies par le Parlement au cours de celle-ci concernant un amendement finalement non retenu. Elle serait également confirmée par les
déclarations effectuées par la Commission en réponse à des demandes de clarification adressées par les représentants du secteur des transports ainsi que dans les documents « Questions et réponses », relatifs, notamment, au règlement 2020/1054 [« Mobility Package I – Social Rules, Driving and rest times, Questions and Answers, Parts 1 and 2 » (« Paquet mobilité I – Règles sociales – Temps de conduite et de repos – Questions et réponses – Parties 1 et 2 »), 25 novembre 2020 et 21 avril 2021], lesquels
contiennent des lignes directrices qui ne sont, en tout état de cause, pas contraignantes.

156    En sixième lieu, la République de Bulgarie souligne que, en l’absence de sécurité juridique, il ne saurait être exclu que l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 soit interprété par des autorités locales ou des citoyens de l’Union comme imposant aux conducteurs l’obligation de retourner toutes les trois ou quatre semaines à leur lieu de résidence ou dans l’État membre dans lequel leur employeur est établi. Ainsi, il ressortirait d’un rapport de la police belge qu’une amende a
été infligée à une entreprise de transport au seul motif que le conducteur contrôlé n’était pas rentré après treize semaines, sans qu’aucune appréciation ait été effectuée quant au lieu où ce conducteur avait choisi de prendre son temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire, et cela alors même que ce dernier aurait eu la possibilité de rentrer à son lieu de résidence ou dans l’État membre dans lequel son employeur est établi.

157    Le Parlement et le Conseil soutiennent que ces moyens et ces arguments sont dénués de fondement.

ii)    Appréciation de la Cour

158    Il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que le principe de sécurité juridique exige, d’une part, que les règles de droit soient claires et précises et, d’autre part, que leur application soit prévisible pour les justiciables, en particulier lorsqu’elles peuvent avoir des conséquences défavorables. Ce principe requiert notamment qu’une réglementation permette aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose et que ces derniers puissent
connaître sans ambiguïté leurs droits et leurs obligations et prendre leurs dispositions en conséquence (arrêt du 16 février 2022, Hongrie/Parlement et Conseil, C‑156/21, EU:C:2022:97, point 223 ainsi que jurisprudence citée).

159    Pour autant, ces exigences ne sauraient être comprises comme s’opposant à ce que le législateur de l’Union, dans le cadre d’une norme qu’il adopte, emploie une notion juridique abstraite, ni comme imposant qu’une telle norme abstraite mentionne les différentes hypothèses concrètes dans lesquelles elle est susceptible de s’appliquer, dans la mesure où toutes ces hypothèses ne peuvent pas être déterminées à l’avance par le législateur (arrêt du 16 février 2022, Hongrie/Parlement et Conseil,
C‑156/21, EU:C:2022:97, point 224 ainsi que jurisprudence citée).

160    Ainsi, il n’est pas nécessaire qu’un acte législatif apporte lui-même des précisions de nature technique, puisqu’il est loisible au législateur de l’Union de recourir à un cadre juridique général qui est, le cas échéant, à préciser ultérieurement (arrêt du 30 janvier 2019, Planta Tabak, C‑220/17, EU:C:2019:76, point 32 et jurisprudence citée).

161    En conséquence, le fait qu’un acte législatif confère une marge d’appréciation aux autorités chargées de sa mise en œuvre ne méconnaît pas en soi l’exigence de prévisibilité, à la condition que l’étendue et les modalités d’exercice d’un tel pouvoir soient définies avec une précision suffisante, eu égard au but légitime poursuivi, pour fournir une protection adéquate contre l’arbitraire (arrêt du 16 février 2022, Hongrie/Parlement et Conseil, C‑156/21, EU:C:2022:97, point 225 ainsi que
jurisprudence citée).

162    De même, le principe de sécurité juridique ne comporte pas l’obligation de maintenir l’ordre juridique inchangé dans le temps, le législateur de l’Union restant libre, dans le cadre de sa marge d’appréciation, de modifier la situation législative existante (voir, en ce sens, arrêt du 3 juin 2021, Jumbocarry Trading, C‑39/20, EU:C:2021:435, point 50).

163    C’est au regard de ces considérations qu’il convient d’apprécier la conformité de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 au principe de sécurité juridique.

164    À cet égard, il y a lieu de rappeler que cette disposition insère à l’article 8 du règlement n^o 561/2006 un paragraphe 8 bis, qui comprend trois alinéas.

165    Selon le premier alinéa, les entreprises de transport organisent le travail des conducteurs de telle sorte que ces derniers soient en mesure, au cours de chaque période de quatre semaines consécutives, de retourner au centre opérationnel de l’employeur ou à leur lieu de résidence, afin, respectivement, d’y entamer ou d’y passer leur temps de repos hebdomadaire, selon le cas, normal ou compensatoire.

166    Le deuxième alinéa prévoit que, lorsqu’un conducteur a pris deux temps de repos hebdomadaires réduits consécutifs, conformément à l’article 8, paragraphe 6, du règlement n^o 561/2006, tel que modifié par l’article 1^er, point 6, sous a), du règlement 2020/1054, l’entreprise de transport organise le travail du conducteur de telle sorte que celui-ci soit en mesure de rentrer la troisième semaine afin de prendre son temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire.

167    Enfin, aux termes du troisième alinéa, l’entreprise de transport documente la manière dont elle s’acquitte de cette obligation et conserve cette documentation dans ses locaux afin de la présenter à la demande des autorités de contrôle.

168    En ce qui concerne, en premier lieu, l’argumentation de la République de Lituanie, de la République de Bulgarie et de la République de Pologne, selon laquelle l’article 8, paragraphe 8 bis, du règlement n^o 561/2006, tel qu’inséré par l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, ne permettrait pas de comprendre, d’une part, si l’obligation prévue à cette disposition incombe aux conducteurs ou aux entreprises de transport et, d’autre part, si les conducteurs sont libres de choisir
un lieu différent du centre opérationnel de l’employeur ou de leur lieu de résidence, pour entamer ou passer leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire, il convient de constater que, ainsi qu’il ressort clairement du libellé de cet article 8, paragraphe 8 bis, en particulier des termes « les entreprises de transport organisent », figurant à ses deux premiers alinéas, et « l’entreprise documente la manière dont elle s’acquitte de cette obligation », figurant à son troisième alinéa, les
dispositions que comporte ledit article 8, paragraphe 8 bis, s’adressent non pas aux conducteurs mais aux entreprises de transport, en imposant à ces dernières l’obligation d’organiser le travail des conducteurs afin que ceux-ci, ainsi qu’il ressort des termes « soient en mesure » utilisés aux deux premiers alinéas, aient la possibilité, selon le cas, toutes les trois ou quatre semaines, de retourner soit au centre opérationnel de l’employeur, soit à leur lieu de résidence, afin, respectivement, d’y
entamer ou d’y passer leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire.

169    Comme M. l’avocat général l’a relevé au point 126 de ses conclusions, l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 impose ainsi aux entreprises de transport une obligation d’organisation du travail des conducteurs, en ce sens que ces entreprises doivent, en leur qualité d’employeur, rendre possible, en ayant recours à tous les moyens dont elles disposent dans le cadre de la relation de travail nouée avec leurs conducteurs, le retour de ces derniers pendant leur temps de travail à
l’un des deux lieux spécifiés par cette disposition, à savoir le centre opérationnel de l’employeur ou le lieu de résidence des conducteurs, cette obligation étant, par ailleurs, limitée uniquement à l’un de ces deux lieux et ne s’étendant donc pas à d’autres endroits.

170    L’obligation mentionnée au point précédent s’entend toutefois sans préjudice de la liberté du conducteur de choisir de prendre son temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire à l’endroit où il le souhaite.

171    En effet, l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 n’impose aucune obligation aux conducteurs en ce qui concerne le lieu de prise de leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire. En particulier, si, comme le confirme le considérant 8 du règlement 2020/1055, cette disposition garantit aux conducteurs le « droit » de retourner à l’un des deux lieux spécifiques visés à celle-ci afin d’entamer ou de passer ce temps de repos, elle ne leur impose aucune obligation à cet
égard. Elle ne prévoit donc pas que les conducteurs sont tenus, en toutes circonstances, de retourner au centre opérationnel de leur employeur ou à leur lieu de résidence, les laissant libres de choisir de prendre leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire à l’endroit où ils le souhaitent.

172    La portée qu’il revient d’attribuer à l’obligation édictée à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 est, au demeurant, confirmée par le considérant 14 de ce règlement, lequel expose que, dans le but d’éviter que les conducteurs ne restent éloignés de leur lieu de résidence pendant une période excessivement longue, les entreprises de transport doivent organiser le travail des conducteurs de manière à leur « permettre » de rejoindre le centre opérationnel de l’employeur ou
leur lieu de résidence, selon le cas, toutes les trois ou quatre semaines, tout en précisant explicitement que les conducteurs sont « libres de choisir où passer leur temps de repos ».

173    Il en ressort ainsi que, si l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 préserve la liberté des conducteurs quant au choix de l’endroit où ils souhaitent entamer ou prendre leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire, le législateur de l’Union a surtout, et plus fondamentalement, veillé à ce qu’aucune pression ne soit exercée sur les conducteurs afin qu’ils choisissent prétendument de ne pas rentrer au centre opérationnel de leur employeur ou à leur lieu de
résidence. À cet égard, l’analyse d’impact – volet social (partie 1/2, p. 49) a relevé la difficulté pour les conducteurs de prouver le caractère libre de leur choix lorsqu’ils décident de prendre leur temps de repos à bord du véhicule.

174    En effet, il y a lieu de rappeler que, le travailleur devant être considéré comme la partie faible dans la relation de travail, il est nécessaire d’empêcher que l’employeur ne dispose de la faculté de lui imposer une restriction de ses droits ou que le travailleur ne soit dissuadé de faire valoir explicitement ses droits à l’égard de son employeur (voir, en ce sens, arrêt du 14 mai 2019, CCOO, C‑55/18, EU:C:2019:402, points 44 et 45 ainsi que jurisprudence citée).

175    Ainsi, l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 ne saurait être interprété, contrairement à ce que suggère la République de Bulgarie, comme permettant à un employeur de s’exonérer de l’obligation d’organiser le travail de ses conducteurs afin de rendre possible leur retour au motif que ceux-ci auraient renoncé, à l’avance et de manière générale, au droit que leur accorde cette disposition de prendre leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire à l’endroit où ils le
souhaitent.

176    Comme le Conseil l’a relevé à juste titre, l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 complète ainsi l’article 9, paragraphes 2 et 3, du règlement n^o 561/2006, dont la teneur n’a, en substance, pas été modifiée par l’article 1^er, point 8, sous b), du règlement 2020/1054, et duquel il découle que, lorsque le conducteur laisse le véhicule dans un lieu autre que son lieu de résidence ou que le centre opérationnel de l’employeur, le temps passé pour se rendre jusqu’à ce véhicule
et en revenir n’est pas, en principe, considéré comme faisant partie du temps de repos. Dans ce contexte, l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 garantit ainsi désormais aux conducteurs le droit, sous-jacent à l’article 9, paragraphes 2 et 3, du règlement n^o 561/2006, de rejoindre l’un de ces deux lieux pour y entamer ou y passer leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire. Le temps nécessité par ce retour correspondant non pas à du temps de repos mais à du temps de
travail, il appartient à l’employeur de prendre en charge les éventuels frais liés audit retour.

177    Il s’ensuit que l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 impose aux entreprises de transport d’organiser le travail de leurs conducteurs de sorte à permettre leur retour, selon le cas, toutes les trois ou quatre semaines, vers le centre opérationnel de l’entreprise ou vers leur lieu de résidence afin d’y entamer ou d’y passer leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire.

178    Sous peine de porter atteinte au caractère effectif du droit du conducteur au retour à l’un des lieux visés au point précédent, cette disposition impose également, en principe, l’obligation, pour l’entreprise de transport, d’organiser à ses frais le retour de ce conducteur, à moins que ce dernier ne choisisse de ne pas y retourner pour y entamer ou y passer son temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire. Dès lors, une entreprise de transport n’est pas tenue d’effectuer les démarches
nécessaires afin d’organiser le retour d’un conducteur déterminé si celui‑ci l’a informée de son choix de ne pas vouloir retourner à l’un de ces lieux.

179    L’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 n’impose donc pas davantage aux entreprises de transport, contrairement à ce que suggère la République de Pologne, de contraindre les conducteurs à prendre effectivement leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire à leur propre lieu de résidence, un employeur ne pouvant, en effet, ni imposer le lieu où son travailleur va prendre ce temps de repos ni, à plus forte raison, contrôler les activités exercées par un conducteur
lorsqu’il ne travaille pas.

180    Il s’ensuit également que, contrairement à ce qu’envisage la République de Lituanie, il ne saurait y avoir de sanction à la charge ni du conducteur, en cas de refus de celui-ci de prendre son temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire à son lieu de résidence, ni de l’entreprise de transport, en cas de non-retour du conducteur à l’un des lieux spécifiés à cette disposition, pour autant que cette entreprise soit en mesure d’établir que le conducteur a librement choisi de ne pas
recourir à la possibilité de retour qu’elle entendait organiser.

181    En ce qui concerne, en deuxième lieu, l’argumentation avancée par la République de Lituanie et la République de Pologne, tirée de l’absence de précisions, dans le règlement 2020/1054, concernant la mise en œuvre pratique de l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), de ce règlement, en vue de permettre le retour des conducteurs, en particulier l’organisation de ce retour éventuel par les entreprises de transport, il convient de souligner que, conformément à la jurisprudence
rappelée au point 159 du présent arrêt, le principe de sécurité juridique ne s’oppose pas à ce que le législateur de l’Union, dans le cadre d’une norme qu’il adopte, emploie une notion juridique abstraite et n’impose pas qu’une telle norme abstraite mentionne les différentes hypothèses concrètes dans lesquelles elle est susceptible de s’appliquer, dans la mesure où toutes ces hypothèses ne peuvent pas être déterminées à l’avance par ce législateur.

182    Le respect du principe de sécurité juridique n’exige donc du législateur de l’Union ni qu’il définisse toutes les modalités spécifiques de la mise en œuvre des dispositions d’un acte législatif ni qu’il envisage toutes les situations concrètes auxquelles ces dispositions sont susceptibles de s’appliquer, ce législateur étant en droit, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée au point 160^ du présent arrêt, de recourir, dans un souci de flexibilité et afin d’agir dans le respect du
principe de proportionnalité, à un cadre juridique général susceptible de devoir être précisé ultérieurement.

183    Il ne peut, dès lors, être fait grief au législateur de l’Union de ne pas avoir précisé, dans une disposition de portée générale telle que l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, toutes les modalités pratiques relatives à l’organisation du travail en ce qui concerne le retour éventuel des conducteurs, notamment celles concernant le moyen de transport qu’ils peuvent utiliser pour effectuer ce retour. De telles précisions auraient porté atteinte à la flexibilité que le
législateur de l’Union a entendu laisser aux entreprises de transport, en leur qualité d’employeur, pour décider elles-mêmes, dans le cadre de la relation de travail nouée avec leurs conducteurs, des modalités concrètes de l’exercice des droits corrélatifs conférés à ces derniers, en fonction de chaque situation particulière. Sous peine de méconnaître cet impératif de flexibilité, il ne saurait davantage être reproché au législateur de l’Union de ne pas avoir explicité, dans une telle disposition de
portée générale, les modalités selon lesquelles les entreprises de transport doivent concilier l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 avec le respect de la liberté des conducteurs de choisir l’endroit où ils souhaitent prendre leurs temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire, de telles modalités étant, en effet, tributaires de chaque cas particulier.

184    Il convient, de même, de rejeter l’argumentation de la République de Lituanie selon laquelle l’expression « lieu de résidence » ne serait pas clairement définie. En effet, eu égard au sens habituel de ces termes et à la jurisprudence constante de la Cour, selon laquelle le lieu de résidence correspond au lieu où se trouve le centre habituel des intérêts de la personne intéressée (voir, en ce sens, arrêts du 11 novembre 2004, Adanez-Vega, C‑372/02, EU:C:2004:705, point 37, ainsi que du
11 septembre 2014, B., C‑394/13, EU:C:2014:2199, point 26 et jurisprudence citée), il y a lieu de considérer que cette notion se réfère, de manière claire et précise, à un lieu déterminé et non au territoire d’un État membre dans son ensemble, comme envisagé par la République de Lituanie.

185    Quant à la situation particulière des conducteurs de pays tiers, il ne saurait non plus être soutenu que le fait que l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 ne règle pas explicitement cette situation impliquerait une violation du principe de sécurité juridique, puisque, selon cette disposition, les entreprises de transport doivent rendre possible le retour de tels conducteurs pendant leur temps de travail soit à leur lieu de résidence, le cas échéant, situé dans un pays
tiers, soit au centre opérationnel de l’employeur, situé sur le territoire de l’Union.

186    En ce qui concerne, en troisième lieu, l’argumentation plus spécifique avancée par la République de Pologne dans ce contexte, selon laquelle l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 semble imposer aux entreprises de transport l’obligation de s’assurer que les conducteurs pourront retourner d’abord au centre opérationnel de l’employeur avant de pouvoir rejoindre ensuite leur propre lieu de résidence, les privant ainsi de la possibilité de retourner directement à ce dernier
lieu, elle ne saurait être retenue. En effet, il ressort du libellé même de cette disposition, lue à la lumière du considérant 14 de ce règlement, que les conducteurs doivent avoir la possibilité de retourner au premier « ou » au second de ces deux lieux spécifiques afin d’y entamer ou d’y passer leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire. Les prétendues complications pratiques qu’impliquerait l’obligation pour un conducteur de retourner d’abord au centre opérationnel de l’employeur
avant de pouvoir retourner à son lieu de résidence résultent donc d’une lecture erronée de ladite disposition par cet État membre.

187    Par ailleurs, s’il est vrai que l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 n’impose pas aux conducteurs de retourner d’abord au centre opérationnel de l’employeur, avant de regagner, conformément à leur souhait, leur lieu de résidence, il n’interdit pas pour autant à une entreprise de transport, en sa qualité d’employeur, d’obliger les conducteurs qu’elle emploie, à la condition que cette obligation soit imposée pendant la durée du temps de travail, à revenir d’abord à ce centre
opérationnel, une telle obligation relative au temps de travail relevant du droit applicable à la relation de travail entre cette entreprise et ses conducteurs.

188    En outre, une telle obligation éventuelle de retourner d’abord au centre opérationnel de l’employeur ne prive en rien les conducteurs concernés du droit de choisir l’endroit où, après s’être, le cas échéant, conformés à l’instruction de leur employeur de retourner à ce centre opérationnel et avoir ainsi exécuté une obligation leur incombant au titre de la relation de travail nouée avec ce dernier, ils souhaitent prendre leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire.

189    En ce qui concerne, en quatrième lieu, l’argumentation de la République de Pologne selon laquelle le troisième alinéa de l’article 8, paragraphe 8 bis, du règlement n^o 561/2006, inséré dans ce dernier par l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, manquerait de clarté s’agissant de la manière dont les entreprises de transport doivent documenter le respect de l’obligation prévue à cette disposition, il convient de relever que, aux termes du considérant 14 de ce dernier
règlement, ladite obligation en matière de preuve peut être satisfaite tant au moyen des enregistrements du tachygraphe que par les registres de service des conducteurs ou par tout autre document.

190    Il en ressort que, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 140 de ses conclusions, le législateur de l’Union a entendu offrir aux entreprises de transport une certaine flexibilité en leur donnant la possibilité de prouver, par le recours à toute documentation pertinente à cet effet, tant le respect de l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 que la manière dont cette obligation a, le cas échéant, été conciliée, dans un cas donné, avec le choix
exprimé par le conducteur de prendre son temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire ailleurs qu’au lieu de sa résidence. Une telle flexibilité est, au demeurant, cohérente avec celle que le législateur de l’Union offre aux entreprises de transport pour ce qui est de l’organisation même du retour du conducteur.

191    À cet égard, la circonstance que le troisième alinéa de l’article 8, paragraphe 8 bis, du règlement n^o 561/2006, inséré dans celui-ci par l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, n’identifie pas plus précisément de quelle manière, en particulier, par quels documents, les entreprises de transport peuvent démontrer qu’elles remplissent l’obligation prévue à cette disposition ne signifie pas que cette dernière méconnaîtrait le principe de sécurité juridique.

192    En effet, tout d’abord, les exigences découlant du principe de sécurité juridique ne sauraient être comprises, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée au point 159^ du présent arrêt, comme imposant qu’une norme mentionne les différentes hypothèses concrètes dans lesquelles elle est susceptible de s’appliquer, dans la mesure où toutes ces hypothèses ne peuvent être déterminées à l’avance par le législateur de l’Union. Partant, une disposition, telle que celle prévue à l’article 8,
paragraphe 8 bis, troisième alinéa, du règlement n^o 561/2006, insérée par l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, qui s’applique à une multitude de situations différentes, ne doit ni préciser ni régir dans le détail toutes les situations auxquelles elle a vocation à s’appliquer.

193    Ensuite, il convient de rappeler que, s’agissant des enregistrements des tachygraphes, dont le considérant 14 du règlement 2020/1054 précise qu’ils peuvent constituer des éléments de preuve pertinents, le règlement n^o 165/2014, tel que modifié par l’article 2 du règlement 2020/1054, comporte lui-même un ensemble de dispositions spécifiques destinées à assurer le contrôle du respect des dispositions du règlement n^o 561/2006, la Commission étant chargée, en vertu de l’article 2, point 8,
sous a), du règlement 2020/1054, d’adopter les dispositions détaillées pour l’application uniforme de l’obligation d’enregistrer et de conserver certaines données relatives au temps de travail.

194    Par ailleurs, pour autant qu’il s’avérerait nécessaire de préciser encore davantage certaines modalités concrètes de mise en œuvre, par les entreprises de transport, de leurs obligations au titre de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, telles que celles en matière de preuve du respect de cette disposition, il convient de souligner que l’article 18 du règlement n^o 561/2006, qui n’a pas été modifié par le règlement 2020/1054, habilite explicitement les États membres,
conformément à l’article 291, paragraphe 1, TFUE, à adopter les mesures nécessaires à l’application du règlement n^o 561/2006. En effet, il ressort d’une jurisprudence constante que les États membres peuvent adopter des mesures d’application d’un règlement s’ils n’entravent pas son applicabilité directe, s’ils ne dissimulent pas sa nature d’acte de droit de l’Union et s’ils précisent l’exercice de la marge d’appréciation qui leur est conférée par ce règlement tout en restant dans les limites de ses
dispositions (arrêt du 12 avril 2018, Commission/Danemark, C‑541/16, EU:C:2018:251, point 28 et jurisprudence citée).

195    Enfin, en l’absence de réglementation précise au niveau de l’Union ou au niveau national portant sur la manière dont les entreprises de transport doivent démontrer qu’elles remplissent l’obligation leur incombant en vertu de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, il appartient à ces entreprises elles-mêmes, en leur qualité d’employeur, de choisir, dans le cadre de la flexibilité offerte par le législateur de l’Union, une méthode fiable et efficace, en ayant recours à tous
les moyens dont elles disposent dans le contexte de la relation de travail nouée avec leurs conducteurs, susceptible d’assurer le respect de l’exigence de preuve relative à cette obligation (voir, par analogie, arrêt du 30 janvier 2019, Planta Tabak^, C‑220/17, EU:C:2019:76, point 33 et jurisprudence citée).

196    En ce qui concerne, en cinquième lieu, l’argumentation avancée par la République de Bulgarie, tirée de certaines indications ressortant de la procédure législative, il suffit de constater que ni les explications fournies par le Parlement concernant des amendements écartés lors de cette procédure ni celles exposées par le Conseil dans son exposé des motifs relatif à la proposition de règlement « temps de travail », qui constituent des actes intermédiaires adoptés par les institutions de
l’Union afin de préparer l’adoption d’un acte législatif sans fixer définitivement leur position, ne sauraient être de nature à affecter l’interprétation de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, telle qu’elle ressort du libellé de la version finale de cette disposition adoptée par le législateur de l’Union. Il s’ensuit que de tels documents ne sauraient être source d’insécurité juridique.

197    Il en est de même des déclarations effectuées par la Commission après l’adoption du règlement 2020/1054, telles que celles figurant dans les documents « Questions et réponses » relatifs à ce règlement, mentionnés au point 155 du présent arrêt, dès lors que ces documents, qui ne sont pas, au demeurant, inhabituels, ne revêtent aucune valeur juridique contraignante (voir, par analogie, arrêt du 12 avril 2018, Commission/Danemark, C‑541/16, EU:C:2018:251, point 47). Ces déclarations ne sauraient
donc démontrer une violation, par l’article 1^er, point 6, sous d), dudit règlement, du principe de sécurité juridique.

198    Enfin, en sixième lieu, la circonstance alléguée par la République de Bulgarie, selon laquelle une amende aurait été infligée par la police belge au seul motif que le conducteur contrôlé n’était pas rentré après treize semaines, sans qu’aucune appréciation ait été effectuée concernant le lieu où il avait choisi de prendre son temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire, et cela alors même que ce conducteur aurait eu la possibilité de rentrer à son lieu de résidence ou dans l’État
membre dans lequel est établi son employeur, ne saurait, à la supposer établie, démontrer que l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 méconnaît le principe de sécurité juridique. Une telle méconnaissance ne peut, en effet, raisonnablement être déduite de la manière dont des autorités nationales ont appliqué cette disposition dans un cas particulier.

199    En conséquence, il convient de rejeter comme étant non fondés le quatrième moyen pris en sa quatrième branche invoqué par la République de Lituanie, le troisième moyen invoqué par la République de Bulgarie et le deuxième moyen invoqué par la République de Pologne.

200    Il en résulte que les autres moyens et arguments avancés par la République de Lituanie, la République de Bulgarie, la Roumanie et la République de Pologne à l’appui de leurs conclusions tendant à l’annulation de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 doivent, ainsi que les deux premiers États membres l’ont eux-mêmes explicitement reconnu dans leurs recours et lors de l’audience, être rejetés dans la mesure où ils reposent sur la prémisse erronée selon laquelle cette
disposition imposerait aux conducteurs de retourner au centre opérationnel de leur employeur ou à leur lieu de résidence, selon le cas, toutes les trois ou quatre semaines, sans leur permettre de choisir eux-mêmes l’endroit où ils souhaitent prendre leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire.

2)      Sur la violation du principe de proportionnalité

i)      Argumentation des parties

201    La République de Lituanie, par son quatrième moyen pris en ses première à troisième branches, la République de Bulgarie, par son deuxième moyen, la Roumanie, par son premier moyen pris en sa seconde branche, et la République de Pologne, par son premier moyen, font valoir que l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 ne respecte pas les exigences découlant du principe de proportionnalité.

202    En premier lieu, ces quatre États membres contestent la proportionnalité en tant que telle de l’obligation prévue à cette disposition.

203    Premièrement, selon la République de Bulgarie, la Roumanie et la République de Pologne, ladite obligation ne serait pas conforme au principe de proportionnalité en raison de ses conséquences négatives sur les entreprises de transport, s’agissant en particulier des coûts financiers considérables générés pour celles-ci.

204    D’une part, cette même obligation engendrerait des frais de fonctionnement liés à l’organisation du retour dans l’État membre d’établissement ainsi que des pertes de revenus liées au temps consacré à ce retour, temps durant lequel les conducteurs, voyageant dans des véhicules circulant à vide, n’exerceraient aucune activité lucrative, ce qui entraînerait une limitation de l’activité commerciale et une baisse des recettes. D’autre part, l’exigence imposée aux entreprises de transport par le
troisième alinéa de l’article 8, paragraphe 8 bis, du règlement n^o 561/2006, tel qu’inséré par l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, de documenter la manière dont celles-ci s’acquittent de l’obligation prévue à cette disposition engendrerait aussi des charges complémentaires importantes.

205    Or, les entreprises de transport seraient en majeure partie des PME, pour lesquelles toutes ces charges seraient particulièrement lourdes. À cet égard, le CESE aurait souligné la nécessité de limiter lesdites charges et, de son côté, le CdR aurait signalé que les États membres situés à la périphérie de l’Union ont plus de difficultés à atteindre le cœur du marché intérieur. En outre, la disposition en cause aurait été adoptée en période de crise économique déclenchée par la pandémie de
COVID-19, ce qui amplifierait ses effets négatifs.

206    Deuxièmement, l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 ne serait pas conforme au principe de proportionnalité en raison de ses conséquences négatives sur les conducteurs.

207    Tout d’abord, selon la République de Lituanie et la République de Bulgarie, cette obligation méconnaît ledit principe, en ce que, en limitant le droit des conducteurs de choisir eux–mêmes où ils entendent passer leur temps de repos et en affectant ainsi leur liberté de circulation, elle constituerait une mesure manifestement inappropriée qui irait au-delà de ce qui est nécessaire pour réaliser l’objectif consistant à améliorer les conditions de repos des travailleurs. Dans ce cadre, la
République de Pologne soutient, pour sa part, que ladite obligation est contraire à l’article 4, sous f), du règlement n^o 561/2006, aux termes duquel la notion de « repos » inclut toute période ininterrompue pendant laquelle un conducteur peut disposer librement de son temps. Cet État membre fait également valoir que le législateur de l’Union a déterminé de manière arbitraire, à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, les lieux où les conducteurs sont tenus de prendre leur repos.

208    Ensuite, la République de Lituanie, la République de Bulgarie, la Roumanie et la République de Pologne allèguent que le nombre plus élevé de déplacements entraîné par l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 serait à l’origine d’un surcroît de fatigue pour ces derniers, en particulier pour ceux tenus de retourner dans les États membres situés à la périphérie de l’Union. Le déséquilibre pour ces conducteurs, créé par cette obligation, affecterait leur
santé et leur capacité de travail, eu égard à l’épuisement que leur causerait le rythme intensif des retours. Cette situation aurait des conséquences négatives également sur la sécurité routière. Ainsi, la mesure en cause ne serait pas appropriée pour atteindre l’objectif poursuivi par ce règlement consistant à améliorer les conditions de travail des conducteurs dans l’Union ainsi que la sécurité routière.

209    Enfin, la Roumanie fait valoir que, bien que l’un des objectifs du règlement 2020/1054 soit, ainsi qu’il ressort de son considérant 1, d’attirer des travailleurs qualifiés dans le domaine des transports routiers, la délocalisation forcée des entreprises de transport qu’engendreront les coûts liés à cette nouvelle obligation exposera un nombre important d’entre eux au risque de perdre leur emploi ou d’émigrer dans un autre État membre afin de pouvoir continuer à exercer l’activité pour
laquelle ils sont qualifiés. Ainsi, selon les informations dont dispose la Roumanie, plus de 45 % des entreprises de transport établies dans cet État membre envisageraient de créer des sociétés et des filiales ou de délocaliser leurs activités dans des États membres de l’Europe occidentale afin d’atténuer les effets négatifs des mesures formant le « Paquet mobilité ». Ces effets négatifs se produiraient dans un secteur d’une importance cruciale pour l’économie nationale, les services de transport
routier de marchandises faisant partie des secteurs qui génèrent les exportations les plus importantes pour la Roumanie et qui contribuent de manière significative à équilibrer la balance commerciale nationale.

210    Troisièmement, selon la République de Bulgarie, la Roumanie et la République de Pologne, l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 n’est pas conforme au principe de proportionnalité en raison de ses conséquences négatives sur l’environnement. En effet, cette obligation impliquerait de programmer des trajets supplémentaires pour le départ et le retour de milliers de conducteurs par jour. En particulier, les conducteurs qui proviennent d’États membres situés
à la périphérie de l’Union seraient objectivement tenus de voyager sur de très longues distances, bien supérieures à celles effectuées par leurs homologues d’Europe centrale et occidentale, où aurait lieu l’essentiel des transports dans l’Union. En outre, les retours s’effectueraient probablement avec une charge réduite ou même sans chargement, ce qui contraindrait des milliers de véhicules à circuler à vide. Cette augmentation significative du nombre de déplacements impliquerait une augmentation
des émissions de dioxyde de carbone (CO2) et aurait une incidence importante sur l’environnement.

211    Quatrièmement, la République de Bulgarie, la Roumanie et la République de Pologne font valoir qu’il existait des solutions moins contraignantes pour les conducteurs et les entreprises de transport. En effet, la liberté des conducteurs aurait pu être préservée en prévoyant une obligation pour les entreprises de transport de n’organiser le retour que dans les cas dans lesquels ces derniers souhaitent ce retour. De cette manière, les entreprises de transport ne devraient pas supporter des frais
supplémentaires excessifs. Cette solution alternative garantirait une plus grande souplesse et, partant, une protection appropriée des droits des conducteurs. Du reste, la République de Pologne souligne qu’une mesure en ce sens avait été proposée par la commission de l’emploi et des affaires sociales du Parlement au cours de la procédure législative.

212    En second lieu, la Roumanie et la République de Pologne contestent l’examen effectué par le législateur de l’Union de la proportionnalité de la mesure prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 et, en particulier, dénoncent l’absence d’analyse d’impact, en violation de l’accord interinstitutionnel, notamment des points 12 à 15 de celui-ci, portant sur la version finale de cette disposition. Le législateur de l’Union n’aurait ainsi pas analysé plusieurs circonstances
pertinentes pour la situation qu’entend régir ladite disposition.

213    Premièrement, la République de Pologne fait valoir que le législateur de l’Union n’a pas analysé la question de savoir si l’exécution de l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 contribuerait à une intensification du trafic. Pourtant, dans la pratique, et puisque cette obligation serait réalisée au moyen d’un transport routier, le respect de ladite obligation engendrerait 8 880 000 voyages retour sur une année. Le législateur de l’Union n’aurait, en
outre, pas tenu compte des distances considérables que les conducteurs employés dans les États membres situés à la périphérie de l’Union devront parcourir aux fins de l’exécution de cette même obligation.

214    Deuxièmement, la République de Pologne fait valoir que le législateur de l’Union n’a pas procédé à une analyse appropriée de l’incidence de l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 sur la sécurité des conducteurs. Ce législateur aurait ignoré l’avis du CESE relatif à la proposition de règlement « temps de travail », par lequel ce comité aurait regretté que les modifications proposées n’aient pas été accompagnées d’une évaluation approfondie de la sécurité
des conducteurs, des passagers ou de l’environnement routier en relation avec la fatigue des conducteurs. La Roumanie soutient que l’incidence sur ces derniers des voyages de longue durée, répétés sur de courtes périodes, n’a pas été prise en compte lors de l’adoption de cette disposition.

215    Troisièmement, la République de Pologne allègue que, à la différence de sa version initiale, le texte final de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 oblige les entreprises de transport, sans qu’une analyse d’impact ait été réalisée à cet égard, à documenter la manière dont ils s’acquittent de l’obligation qui y est prévue et à conserver cette documentation pour pouvoir la présenter en cas de contrôle. Selon cet État membre, une obligation de cette nature aurait dû être
précédée d’une analyse exhaustive de ses effets, prenant en considération le fait que les entreprises de transport sont majoritairement des PME.

216    Le Parlement et le Conseil estiment que ces arguments sont dénués de fondement.

ii)    Appréciation de la Cour

217    Par leur argumentation, la République de Lituanie, la République de Bulgarie, la Roumanie et la République de Pologne mettent en cause la conformité de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 au principe de proportionnalité. La Roumanie et la République de Pologne contestant, par ailleurs, que le législateur de l’Union ait même procédé à l’examen du caractère proportionné de cette disposition, il convient d’examiner en premier lieu cette dernière argumentation.

–       Sur l’accomplissement par le législateur de l’Union d’un examen de la proportionnalité de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054

218    Il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que le législateur de l’Union doit être en mesure d’établir devant la Cour qu’il a adopté l’acte en cause en ayant exercé de manière effective son pouvoir d’appréciation. À cette fin, il doit, à tout le moins, pouvoir produire et exposer de façon claire et non équivoque les données de base sur le fondement desquelles cet acte a été adopté et dont dépendait l’exercice de son pouvoir d’appréciation (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2020,
Hongrie/Parlement et Conseil, C‑620/18, EU:C:2020:1001, point 116 ainsi que jurisprudence citée).

219    Cela étant, le législateur de l’Union jouit d’une large marge d’appréciation non seulement quant à la nature et à la portée des dispositions à prendre, mais également quant à la pertinence de ces données de base (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil, C‑620/18, EU:C:2020:1001, point 114 ainsi que jurisprudence citée).

220    À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante que la forme dans laquelle lesdites données de base sont répertoriées est dépourvue d’importance. Le législateur de l’Union peut tenir compte non seulement de l’analyse d’impact, mais également de toute autre source d’information (arrêt du 13 mars 2019, Pologne/Parlement et Conseil, C‑128/17, EU:C:2019:194, point 31 ainsi que jurisprudence citée).

221    Ainsi, la Cour a précisé qu’une obligation d’effectuer une analyse d’impact en toutes circonstances ne résulte pas des termes des points 12 à 15 de l’accord interinstitutionnel (arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 82).

222    En effet, si l’accord interinstitutionnel prévoit, à son point 14, que, lors de l’examen des propositions législatives de la Commission, le Parlement et le Conseil doivent tenir pleinement compte des analyses d’impact de la Commission, ce même accord indique, à son point 12, que de telles analyses « constituent un outil visant à aider les trois institutions à statuer en connaissance de cause et ne remplacent pas les décisions politiques prises dans le cadre du processus décisionnel
démocratique ». Par conséquent, quoique tenus de prendre en considération les analyses d’impact de la Commission, le Parlement et le Conseil n’en sont pas pour autant liés par le contenu de celles-ci, en particulier s’agissant des appréciations qui y figurent (arrêt du 21 mars 2024, Landeshauptstadt Wiesbaden, C‑61/22, EU:C:2024:251, point 101 et jurisprudence citée).

223    Aussi, le seul fait que le législateur de l’Union a retenu une mesure différente et, le cas échéant, plus contraignante que celle recommandée au terme de l’analyse d’impact n’est pas de nature à démontrer qu’il a dépassé les limites de ce qui était nécessaire pour atteindre l’objectif visé (arrêt du 21 mars 2024, Landeshauptstadt Wiesbaden, C‑61/22, EU:C:2024:251, point 102 et jurisprudence citée).

224    De la même manière, il ressort de la jurisprudence de la Cour que, lorsque le législateur de l’Union modifie des éléments substantiels de la proposition soumise par la Commission, le point 15 de l’accord interinstitutionnel ne met à la charge de ce législateur aucune obligation ferme de procéder à une actualisation de l’analyse d’impact de la Commission, ce point prévoyant uniquement la faculté de procéder à une telle actualisation lorsque le Parlement et le Conseil « le jugeront approprié et
nécessaire aux fins du processus législatif » (voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2019, Pologne/Parlement et Conseil, C‑128/17, EU:C:2019:194, point 43).

225    Il en ressort que, si l’élaboration d’analyses d’impact constitue une étape du processus législatif devant, en règle générale, intervenir dès lors qu’une initiative législative est susceptible d’avoir une incidence économique, environnementale ou sociale importante, l’omission d’une telle analyse d’impact ne saurait pour autant être qualifiée de violation du principe de proportionnalité lorsque le législateur de l’Union se trouve dans une situation particulière nécessitant d’en faire
l’économie et dispose de suffisamment d’éléments lui permettant d’apprécier la proportionnalité de la mesure adoptée (voir, en ce sens, arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C‑482/17, EU:C:2019:1035, points 84 et 85).

226    À cet égard, pour exercer effectivement son pouvoir d’appréciation, le législateur de l’Union peut également être amené à devoir prendre en compte, au cours de la procédure législative, les données scientifiques et d’autres constatations devenues disponibles, y compris des documents scientifiques utilisés par les États membres lors des réunions du Conseil et que ce dernier ne détient pas lui-même (voir, en ce sens, arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil, C‑482/17,
EU:C:2019:1035, point 86 ainsi que jurisprudence citée). Le législateur de l’Union peut également tenir compte d’informations qui se trouvent dans le domaine public et qui sont accessibles à toute personne ou entreprise intéressée (voir, en ce sens, arrêt du 8 juillet 2010, Afton Chemical, C‑343/09, EU:C:2010:419, point 39).

227    En l’occurrence, il est constant que le législateur de l’Union disposait, lorsqu’il a adopté le règlement 2020/1054, d’une analyse d’impact et que celle-ci portait, notamment, sur l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), de ce règlement. En effet, ayant relevé les effets négatifs pour la santé des conducteurs, en termes de stress et de fatigue, résultant de longues périodes passées loin de leur lieu de résidence, l’analyse d’impact – volet social (partie 1/2, p. 20),
accompagnant la proposition de règlement « temps de travail », a examiné en détail l’incidence d’une mesure facilitant la prise par les conducteurs de leur temps de repos hebdomadaire à leur lieu de résidence (partie 1/2, p. 41, 55 et 63).

228    Dans ce contexte, l’article 1^er, point 5, sous c), de cette proposition prévoyait d’insérer à l’article 8 du règlement n^o 561/2006 un paragraphe 8 ter énonçant que l’entreprise de transport doit organiser le travail de ses conducteurs de telle sorte que ces derniers soient en mesure de passer à leur lieu de résidence au moins un temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire sur chaque période de trois semaines consécutives.

229    Certes, comme la République de Pologne le relève à juste titre à l’appui de son argumentation, la version finale de l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, telle qu’elle a été adoptée par le législateur de l’Union, n’a pas fait l’objet d’une analyse d’impact complémentaire, alors qu’elle diffère de l’article 1^er, point 5, sous c), de la proposition de règlement « temps de travail ».

230    Il convient, toutefois, de rappeler que, conformément à la jurisprudence mentionnée aux points 220 à 226 du présent arrêt, non seulement le législateur de l’Union n’est pas tenu de disposer d’une analyse d’impact en toutes circonstances, mais, en outre, une telle analyse d’impact ne le lie pas, ce législateur restant donc libre d’adopter des mesures autres que celles qui en ont fait l’objet. Partant, le seul fait que, en l’occurrence, le législateur de l’Union a adopté, dans le
règlement 2020/1054, une disposition différente de celle qui avait été proposée par la Commission sur la base de l’analyse d’impact – volet social ne saurait suffire à démontrer que ce législateur n’a pas procédé à l’examen de la proportionnalité de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054. 

231    Contrairement à ce que suggère la République de Pologne, ces considérations ne sont en rien remises en cause par l’accord interinstitutionnel, en particulier par le point 15 de celui-ci. En effet, s’il est vrai que cette disposition indique que « le Parlement et le Conseil effectueront des analyses d’impact des modifications substantielles qu’ils apportent à la proposition de la Commission », il n’en demeure pas moins que, comme il a été relevé au point 224^ du présent arrêt, ledit point 15
ne contient aucune obligation ferme à la charge de ces institutions, puisqu’il prévoit uniquement la faculté de procéder à une telle analyse d’impact lorsque, selon ses termes explicites, le Parlement et le Conseil « le jugeront approprié et nécessaire aux fins du processus législatif ».

232    En tout état de cause, il convient d’observer, d’une part, que l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 cantonne la règle du retour des conducteurs toutes les trois semaines, envisagée par la Commission dans sa proposition de règlement « temps de travail », à la situation où le conducteur a pris, conformément à la règle dérogatoire prévue à l’article 8, paragraphe 6, troisième alinéa, du règlement n^o 561/2006, tel qu’inséré par l’article 1^er, point 6, sous a), du
règlement 2020/1054, deux temps de repos hebdomadaires réduits consécutifs. En vertu de l’article 1^er, point 6, sous d), de ce dernier règlement, le retour des conducteurs toutes les quatre semaines est ainsi la règle de principe.

233    D’autre part, l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 prévoit que l’entreprise de transport peut également organiser le travail des conducteurs de telle sorte que ceux-ci puissent retourner soit à leur lieu de résidence, soit au centre opérationnel de l’employeur. Cette dernière option devrait être, ainsi que l’a relevé le Conseil, de nature à faciliter le respect de l’obligation prévue à cette disposition, en particulier lorsque, comme il est évoqué au point 185 du présent
arrêt, le conducteur réside dans un pays tiers ou dans un lieu éloigné du centre opérationnel de l’employeur.

234    Il s’ensuit qu’une obligation d’effectuer une analyse d’impact complémentaire s’imposait d’autant moins, en l’occurrence, que la disposition finalement retenue par le législateur de l’Union à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 est plus flexible pour les entreprises de transport que celle qui avait été proposée par la Commission, si bien que son incidence est moindre pour ces dernières.

235    Aucun des arguments avancés par la Roumanie et la République de Pologne n’est de nature à établir que le législateur de l’Union aurait été tenu de disposer d’une telle analyse d’impact complémentaire concernant l’obligation prévue à cette disposition.

236    En ce qui concerne, en premier lieu, l’argumentation de la Roumanie et de la République de Pologne, tirée de l’absence d’examen par le législateur de l’Union de l’incidence de l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, en raison des trajets supplémentaires qu’elle impliquerait, sur l’intensité du trafic, il ressort de l’analyse d’impact – volet social (partie 1/2, p. 20 et 21) que, déjà avant l’entrée en vigueur de cette disposition, et même s’il existait
certaines différences selon que les conducteurs étaient employés dans un État membre ayant adhéré à l’Union à compter du 1^er mai 2004 ou avant cette date, la plupart des conducteurs, quel que fût l’État membre dans lequel leur employeur était établi, rentraient au moins toutes les quatre semaines à leur lieu de résidence. En particulier, cette analyse d’impact relève à cet égard que, si de plus en plus de conducteurs, essentiellement employés dans un État membre ayant adhéré à l’Union à compter du
1^er mai 2004, passent de longues périodes loin de chez eux, même ces conducteurs ne passent généralement qu’entre deux à quatre semaines consécutives sur la route avant de retourner à leur lieu de résidence, tandis que les conducteurs employés dans un État membre ayant adhéré à l’Union avant cette date ne restent généralement pas éloignés de leur lieu de résidence plus d’une à deux semaines. Il en ressort que le législateur de l’Union disposait donc d’éléments suffisants pour apprécier l’incidence
de cet article 1^er, point 6, sous d), sur l’intensité du trafic.

237    En ce qui concerne, en deuxième lieu, l’argumentation de la République de Pologne selon laquelle le législateur de l’Union n’a pas procédé à une analyse appropriée de l’incidence de l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 sur la sécurité des conducteurs, elle doit être rejetée pour le même motif que celui exposé au point précédent.

238    En ce qui concerne, en troisième lieu, l’argumentation de cet État membre tirée de l’absence d’analyse d’impact portant sur la mesure prévue au troisième alinéa de l’article 8, paragraphe 8 bis, du règlement n^o 561/2006, tel qu’inséré par l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, selon laquelle les entreprises de transport doivent documenter la manière dont elles s’acquittent de l’obligation prévue à cette disposition, il suffit de constater que cette mesure, qui vise à
répondre à l’un des principaux problèmes identifiés dans l’analyse d’impact – volet social, à savoir la difficulté de faire respecter la législation de l’Union, notamment dans le domaine social (partie 1/2, p. 14 à 17), est intrinsèquement liée à cette obligation, qui a fait l’objet d’une analyse d’impact et dont elle vise à assurer le respect. Par ailleurs, ainsi qu’il ressort du considérant 14 de ce dernier règlement, et comme il a été relevé au point 189 du présent arrêt, l’obligation en matière
de preuve édictée par ladite mesure peut être satisfaite par tout document, le législateur de l’Union n’ayant imposé aucune modalité particulière à cet égard.

239    Il convient, dès lors, de rejeter les arguments de la Roumanie et de la République de Pologne tirés du défaut d’examen par le législateur de l’Union des effets découlant de l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054.

–       Sur la proportionnalité de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054

240    Il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que le principe de proportionnalité, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, exige que les actes adoptés par le législateur de l’Union soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause et ne dépassent pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de ces objectifs, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la
moins contraignante et que les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (arrêt du 16 février 2022, Hongrie/Parlement et Conseil, C‑156/21, EU:C:2022:97, point 340 ainsi que jurisprudence citée).

241    Ce principe est également énoncé à l’article 5, paragraphe 4, TUE, ainsi qu’à l’article 1^er du protocole sur les principes de subsidiarité et de proportionnalité.

242    En ce qui concerne le contrôle juridictionnel du respect des exigences découlant du principe de proportionnalité, la Cour a reconnu au législateur de l’Union, dans le cadre de l’exercice des compétences qui lui sont conférées, une large marge d’appréciation dans les domaines où son action implique des choix de nature tant politique qu’économique ou sociale, et où il est appelé à effectuer des appréciations et des évaluations complexes. Ainsi, il ne s’agit pas de savoir si une mesure arrêtée
dans un tel domaine était la seule ou la meilleure possible, seul le caractère manifestement inapproprié de celle-ci par rapport à l’objectif que le législateur de l’Union entend poursuivre pouvant affecter la légalité de cette mesure (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil, C‑620/18, EU:C:2020:1001, point 112 ainsi que jurisprudence citée).

243    Toutefois, même en présence d’une large marge d’appréciation, le législateur de l’Union est tenu de fonder son choix sur des critères objectifs et d’examiner si les buts poursuivis par la mesure retenue sont de nature à justifier des conséquences économiques négatives, même considérables, pour certains opérateurs. En effet, en vertu de l’article 5 du protocole sur les principes de subsidiarité et de proportionnalité, les projets d’actes législatifs doivent tenir compte de la nécessité de
faire en sorte que toute charge incombant aux opérateurs économiques soit la moins élevée possible et à la mesure de l’objectif à atteindre (arrêt du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil, C‑620/18, EU:C:2020:1001, point 115 ainsi que jurisprudence citée).

244    Il appartient au législateur de l’Union, lorsque l’acte en cause fait l’objet d’un recours juridictionnel, d’établir devant la Cour que, aux fins d’adopter celui-ci, il a exercé de manière effective son pouvoir d’appréciation en prenant en considération tous les éléments et les circonstances pertinents de la situation que cet acte a entendu régir. Il en résulte que, comme il ressort déjà du point 218 du présent arrêt, ce législateur doit, à tout le moins, pouvoir produire et exposer de façon
claire et non équivoque les données de base ayant dû être prises en compte pour fonder les mesures contestées dudit acte et dont dépendait l’exercice de son pouvoir d’appréciation.

245    À cet égard, il revient au requérant d’avancer les raisons pour lesquelles les inconvénients qui résultent du choix normatif opéré par le législateur de l’Union sont disproportionnés par rapport aux avantages que celui-ci présente par ailleurs (voir, en ce sens, arrêt du 21 juin 2018, Pologne/Parlement et Conseil, C‑5/16, EU:C:2018:483, point 177 ainsi que jurisprudence citée).

246    Il convient encore de souligner que, lorsque l’acte de l’Union concerné a des conséquences dans tous les États membres et suppose qu’un équilibre entre les différents intérêts en présence, compte tenu des objectifs poursuivis par cet acte, soit assuré, la recherche d’un tel équilibre prenant en considération la situation particulière de l’ensemble des États membres, ne saurait, par elle-même, être regardée comme étant contraire au principe de proportionnalité (arrêts du 21 juin 2018,
Pologne/Parlement et Conseil, C‑5/16, EU:C:2018:483, point 167, ainsi que du 13 mars 2019, Pologne/Parlement et Conseil, C‑128/17, EU:C:2019:194, point 106).

247    Les principes découlant de la jurisprudence rappelée aux points 240 à 246 du présent arrêt s’appliquent pleinement aux mesures adoptées dans le domaine de la politique commune des transports, telles que celles prévues par le règlement 2020/1054, lequel, adopté sur le fondement de l’article 91, paragraphe 1, TFUE, implique des choix de nature politique et des appréciations complexes concernant leurs incidences économiques et sociales (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2020,
Hongrie/Parlement et Conseil, C‑620/18, EU:C:2020:1001, points 112 et 113). Ainsi, selon une jurisprudence constante de la Cour, en donnant au Parlement et au Conseil pour mission d’établir une politique commune des transports, le traité FUE leur a conféré une large marge d’appréciation quant à l’adoption de règles communes appropriées (voir, en ce sens, arrêt du 9 septembre 2004, Espagne et Finlande/Parlement et Conseil, C‑184/02 et C‑223/02, EU:C:2004:497, points 29 ^ et 56 ainsi que jurisprudence
citée).

248    C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner si le législateur de l’Union a méconnu le principe de proportionnalité lorsqu’il a adopté l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054.

249    L’objectif poursuivi par cette disposition, au regard duquel la proportionnalité de celle-ci doit être examinée, est d’améliorer, ainsi qu’il ressort, notamment, des considérants 1, 2, 6, 8, 14 et 36 de ce règlement, les conditions de travail et la sécurité routière des conducteurs au sein de l’Union, en assurant que ceux-ci puissent rejoindre à intervalles réguliers leur lieu de résidence pour la prise de leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire, afin que la période passée
par les conducteurs effectuant des opérations de transport international loin de ce lieu de résidence ne soit pas excessivement longue. Le but de ladite disposition est ainsi de remédier à l’absence de règles claires relatives au temps de repos hebdomadaire et au retour des conducteurs à leur lieu de résidence.

250    Cet objectif s’inscrit dans le cadre de l’objectif plus général poursuivi par le règlement 2020/1054, qui consiste, ainsi que l’indique son considérant 1, à assurer des conditions commerciales équitables entre les entreprises de transport pour faire en sorte que le secteur des transports routiers soit sûr, efficace et socialement responsable, afin de garantir la non-discrimination et d’attirer des travailleurs qualifiés. Dans cette perspective, ce règlement vise à établir des règles sociales
de l’Union dans le domaine du transport routier qui soient claires, proportionnées, adaptées à leur objet, faciles à appliquer et à contrôler, ainsi que mises en œuvre de manière efficace et cohérente dans l’ensemble de l’Union.

251    La République de Lituanie, la République de Bulgarie, la Roumanie et la République de Pologne, qui ne contestent pas la légitimité de ces différents objectifs, soutiennent que l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 méconnaît, en lui-même, les exigences découlant du principe de proportionnalité.

252    Afin de déterminer si cette disposition respecte ce principe, il convient d’examiner si l’obligation qu’elle prévoit est apte à réaliser l’objectif poursuivi par ladite disposition, qui consiste à améliorer les conditions de travail et la sécurité routière des conducteurs en assurant que le temps passé par les conducteurs effectuant des opérations de transport international loin de leur lieu de résidence n’est pas excessivement long, si elle ne va pas manifestement au-delà de ce qui est
nécessaire pour réaliser cet objectif et si elle est proportionnée au regard dudit objectif.

Sur l’aptitude de l’article 1 ^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 à réaliser l’objectif poursuivi 

253    Pour ce qui est, en premier lieu, de l’aptitude de l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 à réaliser l’objectif poursuivi, il suffit de constater qu’une mesure qui oblige les entreprises de transport à permettre aux conducteurs de retourner, selon le cas, toutes les trois ou quatre semaines, au centre opérationnel de l’employeur ou à leur lieu de résidence, afin, respectivement, d’y entamer ou d’y passer leur temps de repos hebdomadaire normal ou
compensatoire, est de nature à assurer que ces conducteurs ne restent pas éloignés au cours de longues périodes de leur lieu de résidence, puisqu’elle leur offre la possibilité, s’ils le souhaitent, d’y retourner, à intervalles réguliers ne dépassant pas quatre semaines, après avoir rejoint, le cas échéant, selon les modalités concrètes de mise en œuvre de cette obligation, le centre opérationnel de l’employeur, conformément aux options offertes en ce sens aux entreprises de transport, rappelées aux
points 186 à 188 et 233 du présent arrêt.

254    Certes, il ressort de l’analyse d’impact – volet social (partie 1/2, p. 20 et 21) que, même avant l’adoption de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, de nombreux conducteurs, quel que fût l’État membre dans lequel leur employeur était établi, rentraient déjà toutes les deux à quatre semaines à leur lieu de résidence, de sorte que l’obligation prévue à cette disposition devrait n’avoir qu’une incidence limitée sur les entreprises de transport.

255    Toutefois, contrairement à ce que fait valoir la République de Pologne, il ne saurait pour autant en être déduit que cette obligation est inapte à atteindre l’objectif poursuivi.

256    En effet, quand bien même un nombre déjà important de conducteurs employés dans l’Union rentraient au moins toutes les quatre semaines à leur lieu de résidence avant l’adoption du règlement 2020/1054, tel n’était pas le cas de l’ensemble de ces conducteurs. En outre, l’analyse d’impact – volet social (partie 1/2, p. 20) a relevé, à l’instar de l’étude réalisée par la Commission au sujet de la réglementation sociale applicable au secteur des transports avant l’adoption de ce
règlement [« Ex-post evaluation of social legislation in road transport and its enforcement, Final report » (« Évaluation ex post de la législation sociale dans le secteur des transports et son application, Rapport final », juin 2016 (ci-après l’« évaluation ex post relative à la législation sociale »), p. 24], mentionnée au considérant 4 dudit règlement, que les périodes passées par les conducteurs employés dans l’Union loin de leur lieu de résidence ont augmenté de manière significative au cours
des dix dernières années. Ainsi, l’article 1^er, point 6, sous d), du même règlement garantit précisément aux conducteurs concernés une protection sociale accrue, tout en assurant, par l’application d’une règle obligatoire et uniforme dans l’Union, une concurrence plus équitable entre les entreprises de transport et une amélioration de la sécurité routière dans l’ensemble de l’Union.

257    Dans ces conditions, le législateur de l’Union pouvait valablement considérer que cette disposition est apte à réaliser l’objectif poursuivi par celle-ci.

Sur le caractère nécessaire de l’article 1 ^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 

258    En ce qui concerne, en deuxième lieu, le caractère nécessaire de l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, celui-ci est contesté par la République de Bulgarie, la Roumanie et la République de Pologne au motif qu’il existerait des mesures alternatives moins contraignantes.

259    À cet égard, il est vrai que la possibilité de limiter cette obligation aux cas dans lesquels les conducteurs font le choix de retourner a été envisagée dans le cadre de la procédure législative, ainsi qu’il ressort de l’avis de la commission de l’emploi et des affaires sociales du Parlement, mentionné par la République de Pologne.

260    Toutefois, cette option alternative n’a pas été retenue par le législateur de l’Union. En effet, le conducteur constituant, ainsi qu’il a déjà été relevé au point 174 du présent arrêt, la partie faible de la relation contractuelle avec son employeur, une telle option aurait risqué de conduire à ce que le choix du conducteur ne soit pas complètement libre, puisque celui-ci aurait été susceptible de subir des pressions pour effectuer un choix qui soit favorable aux intérêts de l’employeur. Or,
l’analyse d’impact – volet social (partie 1/2, p. 49) a précisément mis en exergue, en ce qui concerne la prise du temps de repos hebdomadaire, la difficulté de démontrer l’existence d’une liberté de choix effective exercée par les conducteurs.

261    Dans ces conditions, le législateur de l’Union pouvait légitimement considérer que la mesure alternative envisagée par la République de Bulgarie, la Roumanie et la République de Pologne ne parviendrait pas au même résultat que l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054.

Sur le caractère proportionné de l’article 1 ^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 

262    Pour ce qui est, en troisième lieu, du caractère proportionné de l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, il convient de déterminer si, comme le font valoir la République de Lituanie, la République de Bulgarie, la Roumanie et la République de Pologne, cette disposition impose, compte tenu de l’objectif visé par celle-ci, une charge excessive au regard des répercussions négatives qu’elle aurait, respectivement, sur les entreprises de transport, sur les
conducteurs et sur l’environnement.

263    S’agissant de l’objectif d’intérêt général visé par l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il ressort de l’article 3, paragraphe 3, TUE, l’Union établit non seulement un marché intérieur, mais œuvre également pour le développement durable de l’Europe, lequel est, notamment, fondé sur une économie sociale de marché hautement compétitive, qui tend au plein emploi et au progrès social, et elle promeut, notamment, la protection sociale.
L’Union a, dès lors, non seulement une finalité économique, mais également une finalité sociale (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, AGET Iraklis, C‑201/15, EU:C:2016:972, points 76 et 77 ainsi que jurisprudence citée). Selon le préambule du traité FUE, l’amélioration constante des conditions de vie et d’emploi constitue un « but essentiel » de l’Union.

264    À cet égard, l’article 90 TFUE dispose que les objectifs des traités sont poursuivis dans le cadre de la politique commune des transports. En outre, l’article 9 TFUE précise, spécifiquement pour les objectifs en matière de politique sociale, que l’Union prend en compte les exigences liées à ces objectifs dans la définition et la mise en œuvre de ses politiques et actions. Ainsi, le législateur de l’Union est appelé à tenir pleinement compte desdits objectifs parmi lesquels figurent, selon
l’article 151, premier alinéa, TFUE, notamment, la promotion d’un niveau d’emploi élevé, l’amélioration des conditions de vie et de travail, la garantie d’une protection sociale adéquate ainsi qu’un niveau élevé de protection de la santé humaine.

265    L’importance de ces objectifs est susceptible de justifier des conséquences économiques négatives, même considérables pour certains opérateurs économiques (voir, par analogie, arrêts du 23 octobre 2012, Nelson e.a., C‑581/10 et C‑629/10, EU:C:2012:657, point 81, ainsi que du 2 septembre 2021, Irish Ferries, C‑570/19, EU:C:2021:664, point 98).

266    Dans ce contexte, il convient également de souligner que, selon la jurisprudence de la Cour, lorsqu’un acte législatif a déjà coordonné les législations des États membres dans un domaine donné d’action de l’Union, le législateur de l’Union ne saurait être privé de la possibilité d’adapter cet acte à toute modification des circonstances ou à toute évolution des connaissances eu égard à la tâche qui lui incombe de veiller à la protection des intérêts généraux reconnus par le traité FUE et de
prendre en compte les objectifs transversaux de l’Union consacrés à l’article 9 de ce traité, parmi lesquels figurent les exigences liées à la promotion d’un niveau d’emploi élevé ainsi que la garantie d’une protection sociale adéquate. En effet, le législateur de l’Union ne peut, dans une telle situation, s’acquitter correctement de la tâche qui lui incombe de veiller à la protection de ces intérêts généraux et de ces objectifs transversaux que s’il lui est loisible d’adapter la législation
pertinente de l’Union à de telles modifications ou évolutions (arrêt du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil, C‑620/18, EU:C:2020:1001, points 41 et 42 ainsi que jurisprudence citée).

267    En particulier, la Cour a relevé à cet égard que, compte tenu des évolutions importantes ayant affecté le marché intérieur, le législateur de l’Union est en droit d’adapter un acte législatif, afin de procéder à un rééquilibrage des intérêts en présence dans le but d’accroître la protection sociale des travailleurs concernés et de rendre la concurrence plus équitable au sein de ce marché par la modification des conditions dans lesquelles s’exerce la libre prestation de services (voir, en ce
sens, arrêt du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil, C‑620/18, EU:C:2020:1001, points 62 et 64).

268    Or, dans l’analyse d’impact – volet social accompagnant la proposition de règlement « temps de travail », la Commission a constaté non seulement que des longues périodes passées loin de leur lieu de résidence sont susceptibles de produire des effets négatifs pour la santé des conducteurs, en termes de stress et de fatigue, mais également que les périodes passées par les conducteurs employés dans l’Union loin de leur lieu de résidence apparaissent avoir augmenté de manière significative au
cours des dix dernières années en raison de l’internationalisation du marché des transports, tout en soulignant que la pénurie de conducteurs était, en partie, causée par la détérioration des conditions de travail qui nuit à l’image et à l’attrait de la profession (partie 1/2, p. 9 et 20).

269    C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner, premièrement, les arguments relatifs aux conséquences négatives pour les entreprises de transport qui résulteraient de l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, invoqués par la République de Lituanie, la République de Bulgarie, la Roumanie et la République de Pologne.

270    À cet égard, il convient de relever d’emblée que le législateur de l’Union a veillé à garantir un certain niveau de flexibilité à ces entreprises, aux fins d’atténuer de telles conséquences.

271    En effet, tout d’abord, l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 ne concerne pas tous les temps de repos hebdomadaires, mais uniquement ceux pris par les conducteurs au cours de chaque période de quatre semaines, cette période n’étant ramenée à trois semaines que lorsqu’ils ont pris auparavant deux temps de repos hebdomadaires réduits consécutifs.

272    Ensuite, en ne spécifiant pas précisément les modalités d’exécution de l’obligation prévue à cette disposition, le législateur de l’Union laisse une marge de manœuvre aux entreprises de transport en leur permettant de choisir la manière qu’elles estiment la plus appropriée pour exécuter celle-ci.

273    Par ailleurs, ainsi qu’il a déjà été indiqué aux points 186 et 233 du présent arrêt, ladite disposition offre la possibilité à l’employeur d’organiser le retour des conducteurs, s’ils le souhaitent, soit à leur lieu de résidence soit au centre opérationnel de cet employeur, alors que la Commission, selon une approche plus radicale, envisageait, à l’article 1^er, point 5, sous c), de sa proposition de règlement « temps de travail », d’imposer à l’employeur d’organiser ce retour au seul lieu de
résidence de ses conducteurs.

274    Enfin, l’article 12 du règlement n^o 561/2006, tel que modifié par l’article 1^er, point 11, du règlement 2020/1054, offre des éléments de flexibilité supplémentaires en ce qui concerne le retour des conducteurs. En effet, cet article 1^er, point 11, permet, à titre dérogatoire, au conducteur, afin de rejoindre le centre opérationnel de l’employeur ou son propre lieu de résidence pour, respectivement, entamer ou prendre un temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire, de dépasser la
durée de conduite journalière et hebdomadaire d’une heure au maximum, voire de deux heures au maximum, à condition d’avoir observé une pause ininterrompue de trente minutes immédiatement avant la conduite supplémentaire, pour autant que ce dépassement soit compensé par une période de repos équivalente, prise en bloc avec toute période de repos, au plus tard à la fin de la troisième semaine suivant la semaine en question. Il ressort de l’analyse d’impact – volet social (partie 1/2, p. 51) que cette
modification vise à permettre aux conducteurs, en particulier à ceux qui effectuent de longs trajets internationaux, de rejoindre leur lieu de résidence ou le centre opérationnel de l’employeur afin de prendre un repos hebdomadaire normal ou compensatoire à ce lieu de résidence ou dans un autre lieu privé de leur choix.

275    Pour ce qui est, plus particulièrement, des arguments relatifs aux coûts qu’implique, pour les entreprises de transport, l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, il convient de souligner que le renforcement par le législateur de l’Union de la protection sociale de certaines catégories de travailleurs, en l’occurrence à travers l’obligation prévue à cette disposition, laquelle vise à améliorer leurs conditions de travail en garantissant que le temps passé loin de leur lieu de
résidence ne soit pas excessivement long, peut entraîner des coûts additionnels pour les employeurs qui sont tenus d’en assurer le respect. Le fait qu’une obligation instituée par le législateur de l’Union est susceptible de comporter certains coûts pour les entreprises de transport auxquelles en incombe la charge ne constitue toutefois pas, en lui-même, une violation du principe de proportionnalité, à moins que ces coûts ne soient manifestement disproportionnés par rapport à l’objectif poursuivi.

276    À cet égard, s’agissant, tout d’abord, de l’argumentation de la République de Bulgarie, de la Roumanie et de la République de Pologne, selon laquelle l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 engendrerait, en raison de la nécessité d’organiser le retour des conducteurs, dont une partie significative s’effectuerait au moyen de véhicules circulant à vide, des coûts supplémentaires significatifs pour des entreprises ayant souvent la qualité de PME, il suffit de relever que ces
États membres se bornent à évoquer, de manière générale et abstraite, une telle incidence sur les coûts des entreprises de transport sans avancer aucun élément concret de nature à démontrer en quoi cette incidence serait excessive par rapport à l’objectif poursuivi. La République de Pologne souligne d’ailleurs elle-même que les coûts engendrés par un retour au centre opérationnel de l’employeur ou au lieu de résidence du conducteur sont « difficiles à évaluer » et qu’il est « difficile de produire
le calcul des coûts ».

277    Or, ainsi qu’il ressort de l’analyse d’impact – volet social (partie 1/2, p. 20 et 21), déjà avant l’entrée en vigueur de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, la plupart des conducteurs, quel que fût l’État membre dans lequel leur employeur était établi, rentraient au moins toutes les quatre semaines à leur lieu de résidence.

278    S’agissant, ensuite, de l’argumentation par laquelle la Roumanie et la République de Pologne soutiennent que cette disposition impose des charges particulièrement lourdes aux entreprises de transport établies dans les États membres qualifiés d’« États membres situés à la périphérie de l’Union », par rapport à un autre groupe d’États membres qualifiés, selon le cas, d’« États membres situés au centre de l’Union » ou d’« États membres situés dans la partie occidentale de l’Union », il convient
d’observer que les coûts liés à l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 sont susceptibles d’être plus importants pour les entreprises de transport, quel que soit l’État membre dans lequel elles sont établies, qui ont opté pour un modèle d’exploitation économique consistant à fournir l’essentiel, sinon l’intégralité, de leurs prestations de services à des destinataires établis dans des États membres éloignés du premier État membre et dont les conducteurs
accomplissent ainsi leurs opérations de transport loin de leur lieu de résidence.

279    Toutefois, ainsi que le Conseil l’a souligné à juste titre, ce sont précisément les conducteurs employés par des entreprises de transport ayant opté pour un tel modèle d’exploitation économique qui ont le plus besoin de la protection résultant de la règle d’harmonisation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, ce qui corrobore le caractère proportionné de cette disposition pour réaliser l’objectif d’amélioration des conditions de travail qu’elle poursuit.

280    Par ailleurs, en ce que le modèle d’exploitation économique en question serait essentiellement retenu par des entreprises de transport établies dans certains États membres, il ressort de la jurisprudence de la Cour, rappelée au point 246 du présent arrêt, que, lorsque l’acte de l’Union concerné a des conséquences dans tous les États membres et suppose qu’un équilibre entre les différents intérêts en présence, compte tenu des objectifs poursuivis par cet acte, soit assuré, la recherche d’un
tel équilibre prenant en considération la situation de l’ensemble des États membres ne saurait, par elle-même, être regardée comme étant contraire au principe de proportionnalité.

281    En outre, il ressort d’une jurisprudence constante, rappelée aux points 266 et 267 du présent arrêt, que le législateur de l’Union, compte tenu des évolutions importantes ayant affecté le marché intérieur, est en droit d’adapter un acte législatif, afin de procéder à un rééquilibrage des intérêts en présence dans le but d’accroître la protection sociale des conducteurs par la modification des conditions dans lesquelles s’exerce la libre prestation de services et de garantir une concurrence
équitable.

282    Or, en l’occurrence, il apparaît que le législateur de l’Union a précisément visé, en modifiant la réglementation de l’Union relative au temps de travail des conducteurs, à procéder, ainsi que le fait ressortir le considérant 1 du règlement 2020/1054, à un nouvel équilibre prenant en compte, d’une part, l’intérêt des conducteurs à bénéficier de meilleures conditions de travail ainsi que d’une sécurité routière accrue et, d’autre part, l’intérêt des employeurs à exercer leurs activités de
transport dans des conditions commerciales équitables.

283    En pondérant ainsi les différents intérêts en jeu, le législateur de l’Union a pu considérer, dans le cadre de la large marge d’appréciation dont il dispose en matière de politique commune des transports, que l’augmentation significative, au cours des dix dernières années, des périodes passées par les conducteurs employés dans l’Union loin de leur lieu de résidence rendait nécessaire d’introduire une mesure spécifique visant à améliorer les conditions de travail des conducteurs concernés et
que les effets négatifs, sur leur santé, de longues périodes passées loin de leur lieu de résidence étaient plus graves que les conséquences négatives, notamment en termes de coûts, pour un certain nombre d’entreprises qui fournissent des services à titre plus ou moins permanent dans des États membres autres que ceux dans lesquels elles sont établies. Un tel rééquilibrage est conforme aux ambitions sociales de l’Union énoncées, notamment, à l’article 9 TFUE.

284    Ainsi, s’il ne peut être exclu que l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 produise des effets différents sur les entreprises de transport selon l’État membre dans lequel elles sont établies, il n’en demeure pas moins que les éventuels effets négatifs pouvant en résulter en matière de charges pour certains employeurs doivent être mis en balance avec les effets positifs qui en résulteront en matière de protection sociale pour l’ensemble des conducteurs employés dans l’Union.
Le fait que les effets produits par cette disposition ne sont pas identiques dans tous les États membres ne démontre donc pas que le législateur de l’Union aurait adopté une mesure manifestement disproportionnée.

285    S’agissant, par ailleurs, de l’argumentation de la République de Pologne relative aux coûts résultant de l’obligation de documentation énoncée au troisième alinéa de l’article 8, paragraphe 8 bis, du règlement n^o 561/2006, tel qu’inséré par l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, il convient de souligner que cette obligation de documentation vise à remédier à l’un des principaux problèmes identifiés par l’analyse d’impact – volet social, à savoir la difficulté de faire
respecter la législation de l’Union (partie 1/2, p. 14 à 17). En outre, le respect de l’obligation prévue à cette dernière disposition peut, ainsi qu’il a déjà été indiqué, notamment, au point 189 du présent arrêt, être prouvé par tout document, et donc, notamment, par les enregistrements de tachygraphes et les registres de service des conducteurs, ce qui est susceptible de limiter les coûts de la documentation ainsi requise. En effet, conformément à l’article 16, paragraphe 2, du
règlement n^o 561/2006 et à l’article 33, paragraphe 2, du règlement n^o 165/2014, dans leur version applicable avant l’entrée en vigueur du règlement 2020/1054, les entreprises de transport devaient déjà tenir et conserver, pendant au moins un an, ces deux derniers types de documents.

286    Enfin, pour ce qui est de l’argumentation tirée de la pandémie de COVID-19, il suffit de relever qu’il n’incombait pas au législateur de l’Union de remédier aux effets de cette pandémie dans le cadre du règlement 2020/1054, lequel vise à améliorer les conditions de travail des conducteurs, et cela d’autant moins que d’autres actes législatifs spécifiques de l’Union avaient un tel objet, à l’instar, dans le domaine des transports, du règlement (UE) 2020/698 du Parlement européen et du Conseil,
du 25 mai 2020, établissant des mesures spécifiques et temporaires dans le contexte de la propagation de la COVID–19 relatives au renouvellement ou à la prolongation de certains certificats, licences et agréments et au report de certaines vérifications périodiques et formations continues dans certains domaines de la législation en matière de transports (JO 2020, L 165, p. 10). Les effets de la pandémie de COVID-19 sont donc dénués de pertinence aux fins d’apprécier la conformité de l’article 1^er,
point 6, sous d), du règlement 2020/1054 aux exigences découlant du principe de proportionnalité.

287    En tout état de cause, l’article 14, paragraphe 2, du règlement n^o 561/2006, tel que modifié par l’article 1^er, point 13, du règlement 2020/1054, permet aux États membres, dans les cas d’urgence, d’accorder, dans des circonstances exceptionnelles, une dérogation temporaire à l’application des dispositions du règlement n^o 561/2006 en matière, notamment, de durée de conduite et de temps de repos, pour une période ne dépassant pas trente jours, qu’ils motivent dûment et notifient
immédiatement à la Commission.

288    En ce qui concerne, deuxièmement, les arguments relatifs aux conséquences négatives pour les conducteurs qui résulteraient de l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, invoqués par la République de Lituanie, la République de Bulgarie, la Roumanie et la République de Pologne, il convient, tout d’abord, de rejeter comme étant non fondée l’argumentation par laquelle ces États membres soutiennent que cette disposition limite le droit des conducteurs de
choisir l’endroit où ils souhaitent passer leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire. En effet, cette argumentation se fonde sur la prémisse erronée, ainsi qu’il ressort des points 168 à 180 du présent arrêt, selon laquelle ladite disposition priverait les conducteurs de la possibilité de choisir librement un autre lieu pour la prise de ce temps de repos. Cette argumentation doit donc, comme il a été indiqué au point 200 de cet arrêt, être écartée pour ce seul motif.

289    Quant à l’argumentation avancée, dans ce contexte, par la République de Pologne, tirée du caractère arbitraire des lieux où les conducteurs, selon cet État membre, sont tenus, en vertu de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, d’entamer ou de prendre leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire, selon le cas, toutes les trois ou quatre semaines, elle doit être rejetée. En effet, outre ce qui a été rappelé au point précédent, il ne saurait sérieusement être
contesté que le centre opérationnel de l’employeur et le lieu de résidence du conducteur, qui constituent objectivement des lieux où un conducteur est susceptible, selon le cas, d’entamer ou de passer son temps de repos hebdomadaire, présentent, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 211 et 212 de ses conclusions, un lien réel avec ce conducteur.

290    À cet égard, il convient de rappeler, d’une part, que la Cour a déjà jugé que le centre d’exploitation auquel un conducteur est normalement rattaché devrait correspondre au lieu à partir duquel il effectue régulièrement son service pour prendre en charge ainsi que conduire un véhicule équipé d’un appareil de contrôle et vers lequel il retourne à la fin de celui-ci dans le cadre de l’exercice normal de ses fonctions (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2010, Smit Reizen, C‑124/09,
EU:C:2010:238, points 27 et 31).

291    D’autre part, ainsi qu’il a déjà été indiqué au point 184 du présent arrêt, il ressort d’une jurisprudence constante que l’État dans lequel les personnes concernées résident habituellement correspond à celui dans lequel se trouve également le centre habituel de leurs intérêts.

292    S’agissant, ensuite, de l’argumentation de la République de Lituanie, de la République de Bulgarie, de la Roumanie et de la République de Pologne selon laquelle l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 entraînerait une fatigue accrue pour les conducteurs en raison des retours effectués sur de longues distances, elle ne saurait prospérer. En effet, conformément à l’article 9, paragraphes 2 et 3, du règlement n^o 561/2006, dont la teneur n’a, en substance, pas été modifiée par
l’article 1^er, point 8, sous b), du règlement 2020/1054, le temps consacré par un conducteur à retourner au centre opérationnel de son employeur ou à son lieu de résidence constitue du temps de travail. Or, ainsi que le Conseil l’a fait observer à juste titre, ces États membres n’expliquent pas pour quelle raison le temps de travail consacré à un tel retour serait plus fatigant que le temps de travail afférent à tout autre trajet effectué dans le cadre d’une opération de transport confiée par
l’employeur. En réalité, il ressort tant de l’évaluation ex post relative à la législation sociale (p. 24) que de l’analyse d’impact – volet social (partie 1/2, p. 20) que les longues périodes passées par les conducteurs loin de leur lieu de résidence sont précisément source de fatigue et de stress, ce que ne conteste d’ailleurs aucun de ces quatre États membres.

293    S’agissant, enfin, de l’argumentation de la Roumanie selon laquelle l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 nuit aux intérêts des conducteurs en raison du risque de perte d’emploi résultant de faillites et de délocalisations des entreprises de transport, elle revêt, à défaut de tout élément concret de nature à en étayer le bien‑fondé, un caractère spéculatif.

294    En ce qui concerne, troisièmement, les arguments tenant aux conséquences négatives sur l’environnement qui résulteraient de l’obligation prévue à cet article 1^er, point 6, sous d), la République de Bulgarie, la Roumanie et la République de Pologne allèguent, en particulier, que cette obligation impliquera de programmer une multitude de trajets supplémentaires sur de longues distances. Toutefois, ainsi qu’il a été indiqué, notamment, au point 236 du présent arrêt, l’analyse d’impact – volet
social a mis en évidence que la plupart des conducteurs, y compris ceux employés dans les États membres ayant adhéré à l’Union à compter du 1^er mai 2004, retournaient, déjà avant l’adoption de cette disposition, à leur lieu de résidence à des intervalles réguliers de moins de quatre semaines.

295    En outre, contrairement à ce que suggèrent la République de Bulgarie, la Roumanie et la République de Pologne, il n’est nullement inévitable que les conducteurs utilisent des véhicules vides pour exercer le droit qui leur est accordé à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054. En effet, d’une part, dans le cadre de la flexibilité que cette disposition laisse aux entreprises de transport pour respecter l’obligation qu’elle prévoit, ceux-ci peuvent recourir à d’autres moyens de
transport, tels que les transports publics, dont l’utilisation n’apparaît pas entraîner nécessairement des émissions supplémentaires liées au respect de cette obligation en tant que telle. D’autre part, il est concevable que le retour à l’un des deux lieux visés à ladite disposition puisse être couplé avec un retour des véhicules de l’entreprise de transport au centre opérationnel de celle-ci dans le cadre des activités de transport habituelles.

296    Dans ces conditions, l’incidence alléguée de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 sur l’environnement, en particulier sous la forme d’une éventuelle augmentation des émissions de polluants, ne présente pas de lien direct avec cette disposition, mais dépend des choix organisationnels effectués par les entreprises de transport pour la mise en œuvre de l’obligation que ladite disposition prévoit.

297    Partant, l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 n’entraîne pas des inconvénients manifestement disproportionnés par rapport à l’objectif poursuivi par cette disposition.

298    Eu égard à ce qui précède, il ne saurait être considéré que le législateur de l’Union, lorsqu’il a adopté ladite disposition, a dépassé les limites de son pouvoir d’appréciation.

299    Dès lors, les arguments de la République de Lituanie, de la République de Bulgarie, de la Roumanie et de la République de Pologne visant à mettre en cause la proportionnalité de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 doivent être écartés.

300    En conséquence, il convient de rejeter comme étant non fondés le quatrième moyen pris en ses première à troisième branches soulevé par la République de Lituanie, le deuxième moyen soulevé par la République de Bulgarie, le premier moyen pris en sa seconde branche soulevé par la Roumanie et le premier moyen soulevé par la République de Pologne.

3)      Sur la violation des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination

i)      Argumentation des parties

301    La République de Lituanie, par son deuxième moyen pris en sa seconde branche, la République de Bulgarie, par son cinquième moyen pris en sa première branche, et la Roumanie, par son troisième moyen pris en sa seconde branche, font valoir que l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 ne respecte pas les exigences découlant du principe de non-discrimination, tel que prévu à l’article 18 TFUE. La République de Bulgarie invoque également une violation des articles 20 et 21 de la
Charte ainsi que du principe d’égalité des États membres, consacré à l’article 4, paragraphe 2, TUE, et de l’article 95, paragraphe 1, TFUE, « dans la mesure où la Cour le jugerait nécessaire ».

302    En premier lieu, ces trois États membres soutiennent que l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 méconnaît les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination, en ce qu’il conduit à une discrimination entre les entreprises de transport établies dans les États membres situés à la périphérie de l’Union et celles établies dans les États membres situés au centre de l’Union. En effet, l’organisation du travail des conducteurs de poids lourds d’une manière telle qu’ils
puissent rentrer à leur lieu de résidence ou au centre opérationnel de leur employeur au moins toutes les quatre semaines serait nettement moins contraignante pour les entreprises de transport établies dans des États membres dotés d’un vaste marché national, dont les conducteurs effectuent des transports dans l’État membre d’établissement de l’entreprise de transport, à proximité de leur lieu de résidence, que pour les entreprises de transport établies dans les États membres situés à la périphérie
de l’Union, dont le marché national est limité et qui se concentrent sur le transport international. En particulier, la Roumanie fait valoir que l’obligation prévue à cet article 1^er, point 6, sous d), est de nature à entraîner des pertes importantes pour les entreprises de transport établies dans les États membres situés à la périphérie de l’Union, pertes qui seraient, en tout état de cause, nettement plus élevées que celles subies par les entreprises de transport établies dans les États membres
de l’Europe centrale ou occidentale. Par ailleurs, l’évaluation des effets sur le marché des transports du règlement 2020/1054 et, en particulier, de l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), de celui-ci devrait tenir compte des autres éléments du premier train de mesures sur la mobilité. Une évaluation d’ensemble de ces mesures mettrait, en effet, en évidence leur caractère discriminatoire global pour les entreprises de transport établies dans les États membres situés à la périphérie
de l’Union.

303    La République de Lituanie fait valoir, en outre, que la discrimination induite par l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 à l’égard des entreprises de transport établies dans les États membres situés à la périphérie de l’Union entrave l’exercice des libertés caractéristiques du marché intérieur, puisque ces entreprises se trouveraient dans une situation défavorable par rapport aux entreprises de transport établies dans les États membres situés au centre de l’Union et dans
les régions situées autour de ce centre. Cette disposition constituerait ainsi une mesure protectionniste, par laquelle les entreprises de transport établies dans les États membres situés à la périphérie de l’Union seraient évincées du marché des transports dans une partie du territoire de l’Union et qui serait destinée à réduire le volume d’activités de ces entreprises. En effet, ces dernières devraient non seulement proposer aux conducteurs des conditions de travail qui restreignent leur libre
circulation, mais aussi organiser leur activité de telle manière qu’une partie des trajets effectués par les véhicules ne serait pas rentable ou que les véhicules rouleraient à vide, en attendant que les conducteurs soient remplacés ou reviennent, après leur période de repos, depuis le centre opérationnel de l’employeur ou leur lieu de résidence.

304    En deuxième lieu, la République de Lituanie et la République de Bulgarie font valoir que l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 conduit à une discrimination des conducteurs employés par les entreprises de transport établies dans les États membres situés à la périphérie de l’Union par rapport à ceux employés par les entreprises de transport établies dans les États membres situés au centre de l’Union, puisque le retour dans l’État membre de résidence imposerait des trajets de
longue distance pendant de courtes périodes de temps, ce que ne souhaiteraient pas forcément les conducteurs. Au sein d’un même État membre, l’obligation en cause créerait aussi une discrimination entre les conducteurs locaux et ceux d’autres États membres. En outre, les travailleurs employés dans les États membres situés à la périphérie de l’Union seraient placés dans une situation objectivement plus compliquée, en ce que, pour exercer leur droit au repos hebdomadaire normal ou compensatoire, ils
devraient parcourir de plus grandes distances et perdre plus de temps que les travailleurs employés dans des régions situées autour du centre de l’Union.

305    En troisième lieu, la République de Bulgarie fait valoir que l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 méconnaît également le principe d’égalité des États membres en raison de la position nettement plus défavorable dans laquelle se trouvent les États membres situés à la périphérie de l’Union.

306    Le Parlement et le Conseil estiment que ces moyens et ces arguments ne sont pas fondés.

ii)    Appréciation de la Cour

307    À titre liminaire, il convient d’écarter l’allégation de la République de Bulgarie, tirée de la violation de l’article 95, paragraphe 1, TFUE, dès lors que, en méconnaissance des exigences découlant de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 120, sous c), du règlement de procédure, rappelées au point 139 du présent arrêt, cet État membre invoque cette violation sans fournir d’argumentation spécifique à l’appui de son allégation, se
bornant à évoquer l’article 95, paragraphe 1, TFUE « dans la mesure où la Cour le jugerait nécessaire ».

308    Cela étant précisé, il convient de rappeler que le principe d’égalité de traitement constitue un principe général du droit de l’Union, consacré à l’article 20 de la Charte, dont le principe de non-discrimination énoncé à l’article 21, paragraphe 1, de celle-ci est une expression particulière, qui exige que des situations comparables ne soient pas traitées de manière différente et que des situations différentes ne soient pas traitées de manière égale, à moins qu’un tel traitement ne soit
objectivement justifié (voir, en ce sens, arrêts du 24 février 2022, Glavna direktsia « Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto », C‑262/20, EU:C:2022:117, point 58, ainsi que du 14 juillet 2022, Commission/VW e.a., C‑116/21 P à C‑118/21 P, C‑138/21 P et C‑139/21 P, EU:C:2022:557, points 95 et 140 ainsi que jurisprudence citée).

309    Le caractère comparable des situations respectives en cause doit être apprécié non pas de manière globale et abstraite, mais de manière spécifique et concrète au regard de l’ensemble des éléments qui les caractérisent. Ces éléments doivent, notamment, être déterminés et appréciés à la lumière de l’objet et du but de l’acte de l’Union qui institue la distinction concernée. Doivent également être pris en considération les principes et les objectifs du domaine dont relève l’acte concerné [voir,
en ce sens, arrêts du 26 juin 2018, MB (Changement de sexe et pension de retraite), C‑451/16, EU:C:2018:492, point 42, et du 10 février 2022, OE (Résidence habituelle d’un époux – Critère de nationalité), C‑522/20, EU:C:2022:87, point 20 ainsi que jurisprudence citée].

310    Une différence de traitement de situations comparables est justifiée lorsqu’elle est fondée sur un critère objectif et raisonnable, à savoir lorsqu’elle est en rapport avec un but légalement admissible poursuivi par la législation en cause, et que cette différence est proportionnée au but poursuivi par le traitement concerné (arrêts du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., C‑127/07, EU:C:2008:728, point 47, ainsi que du 27 janvier 2022, Fondul Proprietatea, C‑179/20,
EU:C:2022:58, point 72 et jurisprudence citée).

311    En ce qui concerne, plus particulièrement, le principe de non-discrimination en raison de la nationalité, si l’article 21, paragraphe 2, de la Charte énonce ce principe, son article 52, paragraphe 2, dispose que les droits reconnus par celle-ci qui font l’objet de dispositions dans les traités s’exercent dans les conditions et les limites définies par ceux-ci. Tel est le cas de l’article 21, paragraphe 2, de la Charte, qui correspond, ainsi que le confirment les explications relatives à la
charte des droits fondamentaux (JO 2007, C 303, p. 17) afférentes à cette disposition, à l’article 18, premier alinéa, TFUE et doit s’appliquer conformément à celui-ci (arrêt du 10 octobre 2019, Krah, C‑703/17, EU:C:2019:850, point 18 et jurisprudence citée).

312    À cet égard, l’article 18 TFUE, qui édicte un principe général d’interdiction de toute discrimination en raison de la nationalité, prohibe non seulement les discriminations directes, fondées sur la nationalité, mais encore toutes les formes indirectes de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (voir, en ce sens, arrêt du 4 octobre 2012, Commission/Autriche, C‑75/11, EU:C:2012:605, point 49 et jurisprudence citée).

313    Par ailleurs, s’agissant du contrôle juridictionnel du respect des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination par le législateur de l’Union, la Cour a jugé que ce dernier dispose, dans le cadre de l’exercice des compétences qui lui sont conférées, d’une large marge d’appréciation lorsqu’il intervient dans un domaine impliquant des choix de nature politique, économique et sociale et lorsqu’il est appelé à effectuer des appréciations et des évaluations complexes. Ainsi, seul le
caractère manifestement inapproprié d’une mesure arrêtée en ce domaine, par rapport à l’objectif que le législateur de l’Union entend poursuivre, peut affecter la légalité d’une telle mesure [voir, en ce sens, arrêt du 10 février 2022, OE (Résidence habituelle d’un époux – Critère de nationalité), C‑522/20, EU:C:2022:87, point 21 et jurisprudence citée]. Toutefois, même en présence d’une telle marge d’appréciation, le législateur de l’Union est tenu de fonder son choix sur des critères objectifs et
appropriés par rapport au but poursuivi par la législation concernée, en tenant compte de tous les éléments factuels ainsi que des données techniques et scientifiques disponibles au moment de l’adoption de l’acte en question (voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., C‑127/07, EU:C:2008:728, point 58).

314    En exerçant son pouvoir d’appréciation, le législateur de l’Union doit, en plus de l’objectif poursuivi, tenir pleinement compte des intérêts en présence. Dans le cadre de l’examen de contraintes liées à différentes mesures possibles, il y a lieu de considérer que, si l’importance des objectifs poursuivis est de nature à justifier des conséquences économiques négatives, mêmes considérables, pour certains opérateurs, l’exercice du pouvoir d’appréciation du législateur de l’Union ne saurait
produire des résultats manifestement moins adéquats que ceux résultant d’autres mesures également appropriées à ces objectifs (arrêt du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a., C‑127/07, EU:C:2008:728, point 59 ainsi que jurisprudence citée).

315    En l’occurrence, il est constant que la règle édictée à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, en ce qu’elle impose aux entreprises de transport d’organiser le travail des conducteurs afin que ces derniers aient la possibilité de retourner, toutes les trois ou quatre semaines, selon le cas, au centre opérationnel de l’employeur ou à leur lieu de résidence, s’applique indistinctement à toutes les entreprises de transport concernées, quel que soit l’État membre dans lequel
elles sont établies, à tous les conducteurs, quels que soient leur nationalité et l’État membre dans lequel est établi leur employeur, ainsi qu’à tous les États membres, de sorte qu’elle ne comporte pas de discrimination directe interdite par le droit de l’Union.

316    Il convient, dès lors, d’examiner, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 308 à 310 du présent arrêt, si cette disposition applique de manière injustifiée une règle identique à des situations différentes, à la lumière, notamment, de l’objectif poursuivi par celle-ci, et est, de ce fait, constitutive d’une discrimination indirecte interdite par le droit de l’Union, en ce que, ainsi que le font, en substance, valoir les États membres requérants, elle serait, par sa nature même,
susceptible d’affecter davantage les entreprises de transport établies dans des États membres situés, selon eux, à la « périphérie de l’Union », les conducteurs employés par ces entreprises et ce groupe d’États membres. 

317    À cet égard, il convient de rappeler que, comme il a été relevé aux points 249 et 250 du présent arrêt, ladite disposition vise à améliorer les conditions de travail ainsi que la sécurité routière des conducteurs au sein de l’Union, en assurant à ceux-ci la possibilité de ne pas passer un temps excessivement long loin de leur lieu de résidence, et à garantir également une concurrence loyale et non faussée entre les entreprises de transport sur le territoire de l’Union.

318    En ce qui concerne, en premier lieu, l’existence d’une prétendue discrimination entre les entreprises de transport établies dans l’Union, il ne peut être exclu, même si l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 s’applique indistinctement à toutes ces entreprises, que cette disposition soit susceptible, ainsi qu’il a été relevé au point 278 du présent arrêt, d’avoir une incidence plus importante sur les entreprises de transport, quel que soit l’État membre dans lequel elles sont
établies, qui ont opté pour un modèle d’exploitation économique consistant à fournir l’essentiel, sinon l’intégralité, de leurs prestations de services à des destinataires établis dans des États membres éloignés du premier État membre.

319    Toutefois, ainsi qu’il a été relevé au point 236 du présent arrêt, il ressort de l’analyse d’impact – volet social qu’une partie importante de ces entreprises de transport, y compris celles relevant d’un État membre ayant adhéré à l’Union à compter du 1^er mai 2004, exerçaient déjà leurs activités d’une manière compatible avec l’obligation désormais prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054.

320    Dans ce contexte, cette disposition, loin d’engendrer une discrimination entre les entreprises de transport, vise, tout au contraire, comme il ressort de l’analyse d’impact – volet social (partie 1/2, p. 17 et 18) et du considérant 1 du règlement 2020/1054, à remédier aux conditions de concurrence inéquitables pour les entreprises de transport qu’avaient pu auparavant favoriser, en raison de l’absence de règles claires relatives au retour des conducteurs, les différentes interprétations et
pratiques nationales, en améliorant les conditions de travail des conducteurs, en particulier ceux visés au point 316 du présent arrêt, et en garantissant ainsi tant la sécurité routière qu’une concurrence loyale et non faussée entre les entreprises de transport.

321    Or, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée aux points 266 et 267 du présent arrêt, le législateur de l’Union, compte tenu des évolutions importantes ayant affecté le marché intérieur, est en droit d’adapter un acte législatif, afin de procéder à un rééquilibrage des intérêts en présence dans le but d’accroître la protection sociale des conducteurs par la modification des conditions dans lesquelles s’exerce la libre prestation de services.

322    Une disposition du droit de l’Union ne saurait donc être considérée comme étant, en elle-même, contraire aux principes d’égalité de traitement et de non-discrimination au seul motif qu’elle entraîne des conséquences différentes pour certains opérateurs économiques, lorsque cette situation est la conséquence de conditions d’exploitation différentes dans lesquelles ils sont placés, notamment en raison de leur implantation géographique (voir, en ce sens, arrêts du 21 juin 1958,
Wirtschaftsvereinigung Eisen- und Stahlindustrie e.a./Haute Autorité, 13/57, EU:C:1958:10, p. 292, ainsi que du 13 novembre 1973, Werhahn Hansamühle e.a./Conseil et Commission, 63/72 à 69/72, EU:C:1973:121, point 17), et non pas d’une inégalité en droit qui serait inhérente à la disposition attaquée.

323    En tout état de cause, à supposer que l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 aboutisse à traiter de manière égale des situations différentes, au sens de la jurisprudence rappelée au point 308 du présent arrêt, ce traitement serait objectivement justifié par les objectifs poursuivis dans le cadre de la politique commune des transports, conformément à l’article 90 TFUE. Ces objectifs comprennent, notamment, l’amélioration des conditions d’emploi, visée dans le préambule du
traité FUE et à l’article 151, premier alinéa, TFUE, ainsi que la garantie d’une protection sociale adéquate, visée à l’article 9 et à l’article 151, premier alinéa, TFUE.

324    À cet égard, le législateur de l’Union n’a pas excédé les limites du pouvoir d’appréciation dont il jouit, à la lumière de la jurisprudence rappelée au point 313 du présent arrêt, par son choix de faire obstacle, en adoptant une disposition applicable indistinctement à toute entreprise de transport établie dans l’Union, à certaines pratiques identifiées comme contribuant à la détérioration des conditions d’emploi des conducteurs, même si ce choix implique que certaines entreprises de
transport devront supporter des coûts plus élevés.

325    En effet, à la lumière des éléments factuels ainsi que des données techniques et scientifiques disponibles au moment de l’adoption de la disposition en question, le législateur de l’Union a fondé ce choix sur des critères objectifs et appropriés par rapport aux objectifs poursuivis, en tenant pleinement compte des intérêts en présence, au sens de la jurisprudence rappelée aux points 313 et 314 du présent arrêt.

326    En ce qui concerne, en deuxième lieu, l’existence d’une prétendue discrimination entre les conducteurs, invoquée par la République de Lituanie et la République de Bulgarie, l’argumentation de ces deux États membres se fonde, pour l’essentiel, sinon exclusivement, sur la prémisse erronée selon laquelle l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 imposerait aux conducteurs de retourner au centre opérationnel de l’employeur ou à leur lieu de résidence, sans pouvoir choisir librement
l’endroit où prendre leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire. Dans cette mesure, une telle argumentation doit donc être rejetée, comme il a déjà été indiqué au point 200 du présent arrêt.

327    Pour le surplus, l’ensemble des conducteurs employés dans l’Union se trouvent dans une situation comparable en ce qui concerne leur droit à la prise du temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire. En particulier, ces conducteurs doivent tous être en mesure, quels que soient leur nationalité et l’État membre dans lequel est établi leur employeur, de prendre régulièrement ce temps de repos à leur lieu de résidence s’ils le souhaitent.

328    Dans ces conditions, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 342 de ses conclusions, il ne saurait être considéré que le législateur de l’Union a excédé de manière manifeste la large marge d’appréciation dont il dispose en s’abstenant d’établir une distinction entre les différents conducteurs selon la distance que ceux-ci doivent parcourir pour rentrer à leur lieu de résidence ou au centre opérationnel de l’employeur, alors qu’une telle distinction aurait eu pour effet d’exclure
certains conducteurs de la protection sociale garantie par la mesure prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, en raison du modèle d’exploitation économique choisi par leur employeur.

329    En effet, ainsi que le Conseil le soutient à juste titre, tous les conducteurs du secteur du transport routier se trouvant dans une situation comparable en ce qui concerne leur droit à la prise du temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire, ils doivent se voir octroyer les mêmes droits, notamment en ce qui concerne le retour à leur lieu de résidence ou au centre opérationnel de l’employeur, en dépit des charges différentes que l’exercice de ces droits pourrait entraîner pour leurs
employeurs respectifs en fonction du modèle d’exploitation économique choisi par ceux-ci.

330    À cet égard, ainsi qu’il a été relevé au point 279 du présent arrêt, ce sont précisément les conducteurs qui sont employés par les entreprises de transport fournissant l’essentiel, voire l’intégralité, de leurs prestations de services à des destinataires établis dans des États membres éloignés de l’État membre dans lequel ces entreprises sont établies, et qui accomplissent donc, en principe, leurs opérations de transport loin du lieu de leur résidence, qui ont le plus besoin de la protection
instituée par la règle d’harmonisation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054.

331    En ce qui concerne, en troisième lieu, l’existence d’une prétendue discrimination entre les États membres en méconnaissance du principe d’égalité des États membres devant les traités, consacré à l’article 4, paragraphe 2, TUE, invoquée par la République de Bulgarie, l’argumentation de cet État membre se fonde également, pour l’essentiel, sinon exclusivement, sur la prémisse erronée selon laquelle l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 imposerait aux conducteurs de retourner
au centre opérationnel de l’employeur ou à leur lieu de résidence, sans pouvoir choisir librement l’endroit où prendre leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire. Dans cette mesure, une telle argumentation doit donc être rejetée.

332    Du reste, à supposer même que certains États membres soient indirectement affectés plus que d’autres par cette disposition, nonobstant son caractère indistinctement applicable, il suffit de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, un acte de l’Union ayant pour objet d’égaliser les normes des États membres, pour autant qu’il s’applique de façon égale à tous les États membres, ne saurait être considéré comme étant discriminatoire, un tel acte d’harmonisation créant inévitablement des
effets divergents selon l’état antérieur des différentes législations et pratiques nationales (voir, en ce sens, arrêt du 13 novembre 1990, Fedesa e.a., C‑331/88, EU:C:1990:391, point 20).

333    Ces considérations ne sont pas susceptibles d’être remises en cause par l’allégation de la Roumanie, tirée de l’effet discriminatoire global qui résulterait de l’ensemble des dispositions relevant du « Paquet mobilité », faisant l’objet des trois recours introduits par cet État membre dans les affaires C‑546/20 à C‑548/20. En effet, la Roumanie n’a pas démontré, dans l’affaire C‑546/20, qu’une discrimination découlerait de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054. Pour le
surplus, les critiques de cet État membre portant sur le règlement 2020/1055 et la directive 2020/1057 seront examinées dans le cadre des moyens et arguments invoqués par celui-ci à l’appui de ses recours dans les affaires C‑547/20 et C‑548/20 au soutien de ses demandes visant à l’annulation de tout ou partie de ces actes de l’Union.

334    En conséquence, il convient de rejeter comme étant, pour partie, irrecevable et, pour partie, non fondé, le cinquième moyen pris en sa première branche invoqué par la République de Bulgarie, ainsi que de rejeter comme étant non fondés le deuxième moyen pris en sa seconde branche invoqué par la République de Lituanie et le troisième moyen pris en sa seconde branche invoqué par la Roumanie.

4)      Sur la violation des libertés fondamentales garanties par le traité FUE

i)      Argumentation des parties

335    En premier lieu, la République de Lituanie, par son premier moyen, et la République de Bulgarie, par son premier moyen pris en sa première branche, soutiennent que l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 méconnaît l’article 45 TFUE, puisqu’il impose le retour des conducteurs à leur lieu de résidence ou au centre opérationnel de l’employeur, sans prévoir la possibilité pour les conducteurs de choisir eux–mêmes l’endroit où ils veulent passer leur temps de repos hebdomadaire
normal ou compensatoire. Ces États membres font, du reste, observer que, conformément à l’article 4, sous f), du règlement n^o 561/2006, les conducteurs disposent du droit fondamental de choisir l’endroit où prendre leur temps de repos.

336    L’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 priverait également les conducteurs de leur droit de séjourner dans un État membre afin d’y exercer un emploi et de demeurer sur le territoire d’un État membre après y avoir occupé un emploi. En effet, les conducteurs ne pourraient pas demeurer dans l’État membre d’accueil après y avoir effectué des transports.

337    Pour être efficace et utile, le droit des travailleurs d’être engagés et occupés sans discrimination devrait nécessairement avoir comme complément, ainsi que la Cour l’aurait jugé dans l’arrêt du 7 mai 1998, Clean Car Autoservice (C‑350/96, EU:C:1998:205, points 20 et 21), le droit des employeurs de les engager dans le respect des règles en matière de libre circulation des travailleurs. Or, en adoptant l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, le législateur de l’Union aurait
mis en place une réglementation qui oblige les entreprises de transport à enfreindre la libre circulation des travailleurs en leur imposant de contraindre les conducteurs à retourner à leur lieu de résidence ou au centre opérationnel de l’entreprise contre la volonté de ceux-ci. Cette disposition induirait ainsi une discrimination des conducteurs actifs dans le secteur des transports routiers par rapport aux travailleurs actifs dans d’autres secteurs des transports.

338    En deuxième lieu, la République de Lituanie, par son deuxième moyen pris en sa première branche, fait valoir que l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 n’est pas compatible avec l’objectif de fonctionnement efficace et concurrentiel du marché intérieur énoncé à l’article 26 TFUE. En effet, cet article 1^er, point 6, sous d), d’une part, entraverait la libre circulation des travailleurs et, d’autre part, traiterait de manière discriminatoire les travailleurs employés dans les
États membres situés à la périphérie de l’Union par rapport aux travailleurs employés dans les États membres situés au centre de l’Union et dans les régions situées autour de celui-ci.

339    En effet, les premiers seraient placés dans une situation objectivement plus compliquée en ce que, pour exercer leur droit au repos hebdomadaire normal ou compensatoire, ils devraient parcourir de plus grandes distances et perdre plus de temps que les seconds. De même, l’exercice des libertés caractéristiques du marché intérieur serait entravé pour les entreprises de transport établies dans les États membres situés à la périphérie de l’Union, puisqu’elles se trouveraient dans une situation
défavorable par rapport aux entreprises établies dans les États membres situés au centre de l’Union. L’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 serait ainsi, pour les mêmes motifs que ceux mentionnés au point 303 du présent arrêt dans le contexte de l’argumentation tirée d’une violation du principe de proportionnalité, une mesure protectionniste.

340    En troisième lieu, la République de Bulgarie, par son premier moyen pris en sa seconde branche, soutient que l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 méconnaît l’article 21, paragraphe 1, TFUE et l’article 45 de la Charte.

341    En effet, en leur qualité de citoyens de l’Union, les conducteurs auraient le droit de circuler librement dans le territoire de l’Union pendant leur temps de repos. Le fait de les obliger à quitter le territoire d’un État membre et à se rendre à un lieu spécifique pour y prendre leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire constituerait donc une restriction à la libre circulation garantie par ces dispositions.

342    En outre, cette restriction ne serait pas justifiée par l’objectif légitime visant à l’amélioration des conditions de travail.

343    D’une part, l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 ne serait pas apte à réaliser cet objectif. En effet, le droit des conducteurs de disposer librement de leur temps de repos devrait inclure la liberté de choisir l’endroit où ils comptent passer ce temps de repos et de décider s’ils entendent se déplacer à cette fin ou non, compte tenu, en particulier, de la fréquence des cycles de retour dans l’État de résidence ainsi que de l’accroissement du stress
et de la fatigue impliqué par de fréquents et longs voyages liés au respect de l’obligation relative au retour. La mesure en cause devrait procurer aux travailleurs concernés un avantage réel qui contribue, de manière significative, à leur protection sociale.

344    D’autre part, cette obligation excèderait ce qui est nécessaire pour réaliser le but qu’elle poursuit. En effet, l’objectif visant à garantir un retour normal des conducteurs à leur lieu de résidence pourrait également être atteint de manière tout aussi efficace par une mesure, telle que celle qui était privilégiée par le Parlement, consistant à conférer aux conducteurs le droit de choisir un autre lieu de repos, à condition qu’un tel choix ait fait l’objet d’une notification écrite à
l’employeur au moins une semaine avant la prise d’une telle période de repos.

345    En quatrième lieu, la Roumanie fait valoir, par son deuxième moyen, que l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, bien qu’étant indistinctement applicable, restreint de manière injustifiée la liberté d’établissement consacrée à l’article 49 TFUE.

346    D’une part, l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 impliquerait, pour les entreprises de transport, de nouvelles obligations administratives entraînant une augmentation des coûts supportés. En effet, ces entreprises devraient être en mesure, notamment, de prouver l’organisation du retour régulier des conducteurs au moyen des enregistrements du tachygraphe, des registres de service des conducteurs ou d’autres documents. En outre, la création d’une entreprise de transport dans
un État membre situé à la périphérie de l’Union s’avèrerait moins rentable au regard du coût des déplacements effectués toutes les quatre semaines sur des milliers de kilomètres supplémentaires, afin d’organiser le retour depuis les États membres dans lesquels se concentre la demande de services de transport.

347    D’autre part, l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 entraînerait une diminution des recettes pour les entreprises de transport. En effet, la plupart de ces entreprises étant des PME, le respect des mesures en découlant aurait des répercussions sur une part importante du marché, au regard, notamment, des périodes durant lesquelles les conducteurs n’exercent aucune activité lucrative, et aurait donc pour effet de limiter l’activité commerciale desdites entreprises. Cette
disposition inciterait donc les entreprises de transport établies dans les États membres situés à la périphérie de l’Union à créer des filiales ou des succursales, voire à délocaliser leur activité, dans les États membres situés au centre ou dans la partie occidentale de l’Union, tout en ayant un effet dissuasif sur les entreprises de transport établies dans ces derniers États membres s’agissant de la création de sociétés dans les premiers. Or, cette délocalisation ne résulterait pas d’un véritable
choix, mais serait la conséquence des contraintes découlant de l’obligation de respecter les nouvelles conditions édictées à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054.

348    En cinquième lieu, la Roumanie, dans le cadre de son premier moyen pris en sa seconde branche, fait valoir que l’obligation pour les transporteurs d’organiser leur activité de telle sorte que les temps de repos hebdomadaires normaux ou compensatoires soient pris conformément aux exigences découlant de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 est susceptible d’entraîner des restrictions injustifiées à la libre prestation de services. La République de Bulgarie, dans le cadre de
son cinquième moyen, allègue également que cette disposition enfreint ladite liberté fondamentale.

349    La Roumanie souligne, à cet égard, que les entreprises de transport devront, en raison de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, organiser leurs activités de telle manière que ces temps de repos soient pris conformément à ces exigences. Or, la plupart d’entre elles seraient des PME, ainsi qu’en attesterait le fait que, dans cet État membre, environ 83 % des entreprises de transport possèderaient entre un et cinq véhicules. Dans ce contexte, les mesures prises pour se
conformer à cette disposition conditionneraient également les périodes durant lesquelles les conducteurs n’exercent aucune activité lucrative, ce qui serait de nature à entraîner une baisse des recettes. Étant donné que l’organisation du retour des conducteurs impliquerait des pertes plus importantes pour les entreprises de transport établies dans les États membres situés à la périphérie de l’Union, celles-ci seraient contraintes, afin de réduire leurs coûts, d’orienter leurs activités vers les
États membres situés en Europe occidentale en y créant des filiales ou des succursales, voire en y délocalisant leur activité. Or, le secteur des transports serait essentiel pour l’économie nationale, en particulier pour les exportations.

350    Le Parlement et le Conseil estiment que ces moyens et ces arguments ne sont pas fondés.

ii)    Appréciation de la Cour

351    À titre liminaire, il convient d’écarter l’allégation de la République de Bulgarie, tirée de la violation de la « libre prestation de services », dès lors que, en méconnaissance des exigences découlant de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 120, sous c), du règlement de procédure, rappelées au point 139 du présent arrêt, cet État membre évoque une telle violation sans fournir d’argumentation spécifique à l’appui de cette
allégation.

352    Cela étant précisé, il convient de rappeler que, dans le domaine des transports, la libre prestation des services est régie non pas par l’article 56 TFUE, qui concerne la libre prestation de services en général, mais par l’article 58, paragraphe 1, TFUE, disposition spécifique aux termes de laquelle « [l]a libre prestation des services, en matière de transports, est régie par les dispositions du titre relatif aux transports », à savoir du titre VI de la troisième partie du traité FUE, ce
titre comprenant les articles 90 à 100 TFUE [voir, en ce sens, arrêts du 22 décembre 2010, Yellow Cab Verkehrsbetrieb, C‑338/09, EU:C:2010:814, point 29, et du 21 décembre 2023, Commission/Danemark (Durée maximale de stationnement), C‑167/22, EU:C:2023:1020, point 39].

353    Il en découle que les services dans le domaine des transports, au sens de l’article 58, paragraphe 1, TFUE, sont exclus du champ d’application de l’article 56 TFUE [arrêts du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil, C‑620/18, EU:C:2020:1001, point 160, ainsi que du 21 décembre 2023, Commission/Danemark (Durée maximale de stationnement), C‑167/22, EU:C:2023:1020, point 39 et jurisprudence citée].

354    L’application du principe de la libre prestation des services de transport doit, par conséquent, être réalisée, selon le traité FUE, par la mise en œuvre de la politique commune des transports, telle que régie par les articles 90 à 100 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 22 décembre 2010, Yellow Cab Verkehrsbetrieb, C‑338/09, EU:C:2010:814, point 30).

355    En particulier, il convient de rappeler à cet égard, tout d’abord, que, aux termes de l’article 91, paragraphe 1, TFUE, le Parlement et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire et après consultation du CESE et du CdR, établissent, en vue de réaliser cette politique commune et compte tenu des aspects spéciaux des transports, premièrement, des règles communes applicables aux transports internationaux exécutés au départ ou à destination du territoire d’un État
membre, ou traversant le territoire d’un ou de plusieurs États membres, deuxièmement, les conditions d’admission de transporteurs non-résidents aux transports nationaux dans un État membre, troisièmement, les mesures permettant d’améliorer la sécurité des transports et, quatrièmement, toutes autres dispositions utiles. Lors de l’adoption de ces mesures, le législateur de l’Union doit, en vertu de l’article 91, paragraphe 2, TFUE, tenir compte des cas où l’application serait susceptible d’affecter
gravement le niveau de vie et l’emploi dans certaines régions, ainsi que l’exploitation des équipements de transport. Ensuite, selon l’article 94 TFUE, toute mesure dans le domaine des prix et des conditions de transport, prise dans le cadre des traités, doit tenir compte de la situation économique des transporteurs. Enfin, l’article 95 TFUE interdit, à son paragraphe 1, les discriminations, dans le trafic à l’intérieur de l’Union, qui consistent en l’application par un transporteur, pour les mêmes
marchandises sur les mêmes relations de trafic, de prix et conditions de transports différents en raison du pays d’origine ou de destination des produits transportés.

356    La libre prestation de services telle qu’elle est garantie à l’article 56 TFUE ne peut donc s’appliquer aux services de transport que dans la mesure où un acte de l’Union adopté sur le fondement des dispositions des traités afférentes aux transports l’a rendue applicable [voir, en ce sens, arrêts du 5 octobre 1994, Commission/France, C‑381/93, EU:C:1994:370, points 12 et 13 ; du 6 février 2003, Stylianakis, C‑92/01, EU:C:2003:72, point 24, ainsi que du 21 décembre 2023, Commission/Danemark
(Durée maximale de stationnement), C‑167/22, EU:C:2023:1020, point 40].

357    En revanche, les dispositions du traité FUE en matière de liberté d’établissement, prévues aux articles 49 à 55 TFUE, s’appliquent directement aux transports (voir, en ce sens, arrêt du 22 décembre 2010, Yellow Cab Verkehrsbetrieb, C‑338/09, EU:C:2010:814, point 33).

358    Il s’ensuit que, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 48 et 50 de ses conclusions, le régime des transports dans le droit de l’Union se caractérise par l’application combinée, d’une part, d’un droit d’établissement dans tout État membre fondé sur le traité FUE et, d’autre part, d’un droit pour les transporteurs à la libre prestation des services de transport qui est garanti uniquement dans la mesure où ce droit a été reconnu par le biais de mesures de droit dérivé adoptées par
le législateur de l’Union dans le cadre de la politique commune des transports, prévue aux articles 90 à 100 TFUE. Ce régime spécial limite ainsi la possibilité pour les ressortissants des États membres de fournir temporairement leurs services de transport routier dans un État membre autre que l’État membre de leur établissement, les ressortissants de tous les États membres ayant, en revanche, le droit de s’établir, en exerçant la liberté fondamentale consacrée aux articles 49 à 55 TFUE, dans un
autre État membre à titre permanent et d’y exercer la profession de transporteur aux mêmes conditions que les ressortissants de cet État membre.

359    En l’occurrence, en ce qui concerne, en premier lieu, la prétendue violation, d’une part, de l’article 26 TFUE, relatif au fonctionnement du marché intérieur, et, d’autre part, de l’article 21, paragraphe 1, TFUE et de l’article 45, paragraphe 1, de la Charte, relatifs à la libre circulation des citoyens de l’Union, ainsi que de l’article 45 TFUE, relatif à la libre circulation des travailleurs, il y a lieu de constater que les moyens et les arguments avancés à cet égard par la République de
Lituanie et la République de Bulgarie se fondent exclusivement sur la prémisse erronée, ainsi qu’il a été relevé aux points 168 à 180 du présent arrêt, selon laquelle l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 imposerait aux conducteurs de retourner au centre opérationnel de l’employeur ou à leur lieu de résidence, sans pouvoir choisir librement l’endroit où prendre leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire. Ces moyens et ces arguments doivent donc, comme il a déjà été
indiqué au point 200 de cet arrêt, être écartés pour ce seul motif.

360    En ce qui concerne, en deuxième lieu, la violation alléguée de la liberté d’établissement, invoquée par la Roumanie, il convient de rappeler que l’article 49, premier alinéa, TFUE dispose que, dans le cadre des dispositions qui figurent dans le chapitre 2 du titre IV de la troisième partie du traité FUE, les restrictions à la liberté d’établissement des ressortissants d’un État membre sur le territoire d’un autre État membre sont interdites.

361    Ainsi qu’il ressort du point 357 du présent arrêt, ces dispositions du traité FUE en matière de liberté d’établissement s’appliquent directement aux transports et non, à la différence de la libre prestation de services, par le truchement du titre VI de la troisième partie du traité FUE, relatif à ces derniers.

362    Selon une jurisprudence constante, la liberté d’établissement que l’article 49 TFUE reconnaît aux ressortissants des États membres et qui comporte pour eux l’accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d’entreprises, dans les mêmes conditions que celles définies par la législation de l’État membre d’établissement pour ses propres ressortissants, comprend, conformément à l’article 54 TFUE, pour les sociétés constituées en conformité avec la
législation d’un État membre et ayant leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de l’Union, le droit d’exercer leur activité dans l’État membre concerné par l’intermédiaire d’une filiale, d’une succursale ou d’une agence (arrêt du 22 septembre 2022, Admiral Gaming Network e.a., C‑475/20 à C‑482/20, EU:C:2022:714, point 36 ainsi que jurisprudence citée).

363    La notion d’« établissement », au sens du traité FUE, revêt une portée très large, impliquant la possibilité pour un ressortissant d’un État membre de participer, de façon stable et continue, à la vie économique d’un État membre autre que son État d’origine, et d’en tirer profit, à la différence de la libre prestation de services par laquelle un tel ressortissant exerce son activité dans un autre État membre à titre temporaire (voir, en ce sens, arrêt du 30 novembre 1995, Gebhard, C‑55/94,
EU:C:1995:411, points 25 et 26).

364    Cette notion implique ainsi l’exercice effectif d’une activité économique au moyen d’une installation stable dans l’État membre d’accueil pour une durée indéterminée. Elle suppose, par conséquent, une implantation réelle de l’opérateur concerné dans cet État membre et l’exercice d’une activité économique effective dans celui-ci (arrêt du 2 septembre 2021, Institut des Experts en Automobiles, C‑502/20, EU:C:2021:678, point 32 et jurisprudence citée).

365    Selon une jurisprudence constante de la Cour, doit être considérée comme une restriction à la liberté d’établissement toute mesure qui interdit, gêne ou rend moins attrayant l’exercice de la liberté garantie par l’article 49 TFUE (arrêts du 7 septembre 2022, Cilevičs e.a., C‑391/20, EU:C:2022:638, point 61 et jurisprudence citée, ainsi que du 8 juin 2023, Prestige and Limousine, C‑50/21, EU:C:2023:448, point 61), cette interdiction valant non seulement pour les mesures nationales, mais
également pour celles émanant des institutions de l’Union (voir, par analogie, en ce qui concerne la libre prestation des services, arrêt du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil, C‑620/18, EU:C:2020:1001, point 104 ainsi que jurisprudence citée).

366    À cet égard, il convient encore de préciser que même une restriction de faible portée ou d’importance mineure à cette liberté fondamentale est, en principe, prohibée par le traité FUE (arrêt du 22 septembre 2022, Admiral Gaming Network e.a., C‑475/20 à C‑482/20, EU:C:2022:714, point 40 ainsi que jurisprudence citée).

367    Selon une jurisprudence constante, une restriction à la liberté d’établissement ne saurait être admise qu’à la condition, en premier lieu, d’être justifiée par une raison impérieuse d’intérêt général et, en second lieu, de respecter le principe de proportionnalité, ce qui implique qu’elle soit propre à garantir, de façon cohérente et systématique, la réalisation de l’objectif poursuivi et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l’atteindre (arrêts du 7 septembre 2022,
Cilevičs e.a., C391/20, EU:C:2022:638, point 65, ainsi que du 8 juin 2023, Prestige and Limousine, C‑50/21, EU:C:2023:448, point 64).

368    En l’occurrence, l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, qui est indistinctement applicable à toutes les entreprises de transport relevant du champ d’application du règlement n^o 561/2006, quel que soit l’État membre dans lequel elles sont établies, ne constitue pas une restriction, même minime, à la liberté d’établissement garantie à l’article 49 TFUE, contrairement à ce que soutient la Roumanie.

369    D’une part, l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 ne gêne en aucune façon le droit pour des entreprises de transport établies dans des États membres autres que la Roumanie d’y exercer leurs activités de transport par la création d’une filiale, d’une succursale ou d’une agence.

370    D’autre part, cette disposition ne gêne pas davantage le droit pour des entreprises de transport établies en Roumanie d’exercer leurs activités dans d’autres États membres de leur choix par la création dans ceux-ci d’une filiale, d’une succursale ou d’une agence.

371    Ces considérations ne sont pas remises en cause par les allégations de la Roumanie relatives aux coûts qu’entraînerait l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 pour les entreprises de transport.

372    Certes, les entreprises de transport qui, avant l’adoption de cette disposition, n’organisaient pas le travail de leurs conducteurs de manière à ce que ceux-ci puissent retourner, selon le cas, toutes les trois ou quatre semaines dans l’État membre dans lequel ces entreprises sont établies ou à leur lieu de résidence sont susceptibles de devoir supporter des charges supplémentaires en raison de l’introduction de l’obligation prévue par ladite disposition. Toutefois, une telle incidence
affecte lesdites entreprises indépendamment de l’État membre dans lequel elles sont établies, et ce en raison du modèle d’exploitation économique qu’elles ont adopté.

373    Par ailleurs, il est vrai que l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 est susceptible d’avoir une incidence plus importante sur les entreprises de transport dont les conducteurs effectuent pendant une longue durée des trajets loin du centre opérationnel de leur employeur ou de leur lieu de résidence, en ce qu’elle peut entraîner certains coûts supplémentaires pour ces entreprises ainsi que d’éventuelles pertes de revenus. Toutefois, cette différence
d’incidence, qui trouve son origine dans le modèle d’exploitation économique adopté par lesdites entreprises, ne reflète en rien l’existence d’une restriction à la liberté d’établissement, puisque, ainsi qu’il a été relevé au point 370 du présent arrêt, cette disposition ne limite aucunement la liberté des entreprises de transport de s’établir dans d’autres États membres en s’y implantant et en y exerçant de manière effective l’activité de transporteur au moyen d’une installation stable.

374    En ce qui concerne, en troisième et dernier lieu, l’allégation de la Roumanie selon laquelle l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 serait susceptible d’entraîner des restrictions injustifiées à la libre prestation de services, il suffit de relever que, même à supposer que l’obligation prévue à cette disposition soit susceptible de rendre moins attrayantes les prestations de services de transport relevant du modèle d’exploitation économique évoqué aux points 372 et 373 du
présent arrêt, il n’en résulterait pas pour autant une violation des règles du traité FUE en matière de libre prestation de services.

375    En effet, ainsi qu’il ressort des points 352 à 358 de cet arrêt, la libre prestation des services dans le domaine des transports est régie non pas par l’article 56 TFUE, qui concerne la libre prestation de services en général, mais par l’article 58, paragraphe 1, TFUE, disposition spécifique selon laquelle la libre prestation des services de transport est régie par les articles 90 à 100 TFUE, formant le titre VI de la troisième partie du traité FUE, relatif à la politique commune des
transports. L’application du principe de la libre prestation des services de transport doit, par conséquent, être réalisée, selon ce traité, par la mise en œuvre de la politique commune des transports, laquelle relève des dispositions adoptées par le Parlement et le Conseil sur le fondement, en particulier, de l’article 91, paragraphe 1, TFUE.

376    Tel est précisément l’objet du règlement 2020/1054, adopté par le législateur de l’Union sur le fondement de cette disposition, afin de modifier le règlement n^o 561/2006, lui-même adopté sur le fondement de l’article 71 du traité CE, devenu article 91 TFUE, afin d’harmoniser certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route.

377    Il en ressort que, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 177 de ses conclusions, le législateur de l’Union est en droit, en adaptant un acte législatif afin d’accroître la protection sociale des travailleurs concernés, de modifier les conditions dans lesquelles s’exerce la libre prestation de services dans le domaine du transport routier, puisque, en vertu de l’article 58, paragraphe 1, TFUE, le degré de libéralisation dans ce domaine est déterminé non directement par
l’article 56 TFUE, mais par le législateur de l’Union lui-même dans le cadre de la mise en œuvre de la politique commune des transports. Les mesures adoptées par ce dernier en matière de libre prestation des services de transport peuvent donc avoir pour objectif non seulement de faciliter l’exercice de cette liberté, mais également d’assurer, le cas échéant, la protection d’autres intérêts fondamentaux reconnus par l’Union que cette liberté peut affecter (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2020,
Hongrie/Parlement et Conseil, C‑620/18, EU:C:2020:1001, point 105), en ce compris l’amélioration des conditions d’emploi, visée dans le préambule du traité FUE et à l’article 151, premier alinéa, TFUE, ainsi que la garantie d’une protection sociale adéquate, au sens de l’article 9 et de l’article 151, premier alinéa, TFUE.

378    En outre, ainsi qu’il ressort de l’article 90 TFUE, la politique commune des transports de l’Union doit permettre de poursuivre les objectifs des traités, lesquels incluent ceux visés au point précédent.

379    Il s’ensuit que, dans le cadre des mesures adoptées pour la mise en œuvre de la politique commune des transports, telles que celle prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, le législateur de l’Union est en droit, afin d’assurer que les conducteurs employés par des entreprises de transport ne restent pas éloignés au cours de longues périodes de leur lieu de résidence, d’adopter des mesures visant à améliorer leurs conditions d’emploi ainsi qu’à leur assurer une
protection sociale adéquate.

380    En conséquence, il convient d’écarter comme étant irrecevable l’allégation de violation de la libre prestation de services, évoquée par la République de Bulgarie dans le cadre de son cinquième moyen, telle que mentionnée au point 351 du présent arrêt. Par ailleurs, il y a lieu de rejeter comme étant non fondés le premier moyen et le deuxième moyen pris en sa première branche invoqués par la République de Lituanie, le premier moyen invoqué par la République de Bulgarie, le deuxième moyen
invoqué par la Roumanie ainsi que l’argumentation relative à la violation des règles du traité FUE en matière de libre prestation de services avancée par cet État membre dans le cadre de son premier moyen pris en sa seconde branche.

5)      Sur la violation de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE

i)      Argumentation des parties

381    La Roumanie, dans le cadre de l’argumentation développée à l’appui de son premier moyen pris en sa seconde branche, tiré de la violation du principe de proportionnalité, et la République de Pologne, respectivement, par ses troisième et quatrième moyens, font valoir que, en adoptant l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, le législateur de l’Union a méconnu les exigences découlant de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE.

382    En premier lieu, en ce qui concerne la violation de l’article 91, paragraphe 2, TFUE, la République de Pologne soutient que le caractère superficiel de l’analyse d’impact – volet social ainsi que l’absence d’analyse d’impact portant sur la mesure finalement adoptée à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 ne permettent pas de considérer qu’il a été dûment tenu compte de l’incidence de cette disposition sur le niveau de vie et l’emploi dans certaines régions ainsi que sur
l’exploitation des équipements de transport. Bien que le législateur de l’Union jouisse d’une large marge d’appréciation, l’obligation qui s’impose à lui de tenir compte de certains effets ne pourrait se limiter simplement à prendre connaissance de ceux-ci, sous peine de priver de son effectivité l’article 91, paragraphe 2, TFUE.

383    D’une part, en ce qui concerne l’effet sur l’exploitation des équipements de transport, la République de Pologne estime que l’analyse d’impact – volet social n’a pas, en particulier, tenu compte des conséquences découlant de la hausse du nombre des voyages sur les principaux axes de transit de l’Union, nombre qui s’établirait en particulier à 8 880 000 voyages retour sur une année. Or, selon cet État membre, ces trajets supplémentaires augmenteraient la congestion sur les routes et
aggraveraient ainsi davantage la dégradation de l’état des infrastructures routières constatée par l’analyse d’impact – volet social. Dans ce contexte, il conviendrait de tenir compte de la « loi de la quatrième puissance » élaborée par l’American Association of State Highway and Transportation Officials (AASHTO), organisme de normalisation américain, démontrant l’incidence des véhicules sur les infrastructures routières, selon laquelle l’effet de détérioration des routes croît de manière
exponentielle, à la puissance quatre, avec l’augmentation du poids du véhicule. Bien que les poids lourds soient moins nombreux que les véhicules de tourisme, leur incidence sur les infrastructures serait donc beaucoup plus importante.

384    D’autre part, en ce qui concerne l’effet sur le niveau de vie et l’emploi, l’augmentation du trafic routier nuirait également à la qualité de vie dans les zones situées à proximité des principaux nœuds de transport. La République de Pologne estime que les modifications juridiques concernant le transport routier conduiront à une hausse de 19 %, en moyenne, du nombre des comportements à risque des conducteurs, liés à la tentation d’enfreindre la réglementation afin de s’adapter ou de contourner
cette nouvelle obligation, augmentant, du même coup, le nombre d’accidents mortels. Il n’aurait pas non plus été tenu compte des conséquences pénibles pour les conducteurs et les entreprises de transport établies dans les États membres situés à la périphérie de l’Union, pour lesquels la longueur moyenne des voyages retour au centre opérationnel de l’employeur serait considérablement plus élevée, ni des charges administratives et organisationnelles supplémentaires imposées aux entreprises de
transport, dont plus de la moitié sont des PME. Il en résulterait ainsi un risque probable de faillite de nombreuses entreprises de transport ou leur transfert dans les États membres situés au centre de l’Union. Dans le même sens, la Roumanie soutient que l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 entraînera, pour les entreprises de transport établies dans les États membres situés à la périphérie de l’Union, une augmentation des coûts et une diminution des
recettes plus importante que pour les entreprises de transport établies dans les États membres situés au centre de l’Union, ce qui conduira à la délocalisation d’un nombre important d’entre elles dans ces derniers États membres.

385    En second lieu, en ce qui concerne la violation de l’article 94 TFUE, la République de Pologne fait valoir que, en adoptant l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, le législateur de l’Union n’a pas tenu compte de la situation économique des entreprises de transport, en particulier des PME qui en constituent la plus grande partie dans l’Union. En effet, l’analyse d’impact – volet social aurait examiné de manière superficielle l’incidence de cette disposition sur les PME,
alors même que celle-ci leur imposerait des charges administratives et organisationnelles. La Roumanie considère également que l’obligation prévue à cette dernière disposition porte, pour cette raison, gravement atteinte à la situation des entreprises de transport.

386    Par ailleurs, la République de Pologne souligne que l’augmentation du nombre de kilomètres résultant inévitablement de cette obligation devrait être appréciée dans le contexte global du premier train de mesures sur la mobilité, dont fait partie le règlement 2020/1055. Or, l’application des dispositions de ce règlement engendrerait, chaque année, des voyages de 2 035 200 000 kilomètres pour les seuls véhicules retournant aux centres opérationnels situés en Pologne. En supposant que 60 % de ces
parcours soient effectués sans chargement, ces véhicules parcourraient, au cours d’une année, 1 221 120 000 kilomètres à vide. Parmi les nombreuses mesures disponibles visant à garantir que les travailleurs exercent leur droit au repos, le législateur de l’Union aurait ainsi choisi la mesure qui est la plus lourde pour les entreprises de transport.

387    L’un des effets de cette situation serait le retrait du marché d’une partie des entreprises de transport provenant du secteur des PME établies dans les États membres situés à la périphérie de l’Union, puisque, en raison de leur éloignement du centre de l’Union, il serait particulièrement difficile pour ces entreprises de s’acquitter des exigences administratives et organisationnelles afférentes à l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054. Une partie des
entreprises de transport pourrait également décider de transférer leur centre opérationnel dans les États membres situés au centre de l’Union. Le postulat selon lequel la décision commerciale de délocaliser l’entreprise ne pourrait lui porter préjudice serait contredit par le fait que le transfert du siège d’une entreprise représente une charge très importante pour son fonctionnement. De plus, à la différence des multinationales, les PME seraient liées au lieu à partir duquel elles fournissent leurs
services.

388    Selon la République de Pologne, le fait que l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 a été imposée pendant la pandémie de COVID-19 met également en évidence que la situation économique des entreprises de transport n’a pas été prise en compte. En effet, les effets économiques de cette pandémie se seraient particulièrement fait ressentir dans le secteur des transports, celui-ci ayant été exposé à la baisse de la demande et aux restrictions de franchissement
des frontières intérieures réinstaurées par les États membres. Or, ces effets auraient déjà été présents au cours de la procédure législative.

389    Le Parlement et le Conseil estiment que ces moyens et ces arguments ne sont pas fondés.

ii)    Appréciation de la Cour

390    D’emblée, il y a lieu de souligner que, ainsi qu’il a été relevé aux points 352, 354 et 355 du présent arrêt, tant l’article 91, paragraphe 2, TFUE que l’article 94 TFUE font partie du titre VI de la troisième partie du traité FUE, relatif à la politique commune des transports.

391    En ce qui concerne, en premier lieu, la violation alléguée de l’article 91, paragraphe 2, TFUE, il importe de rappeler que, en vertu de cette disposition, le législateur de l’Union doit tenir compte, lorsqu’il adopte des mesures visées au paragraphe 1 de cet article, lesquelles ont pour objet la réalisation de la mise en œuvre de la politique commune des transports compte tenu des aspects spéciaux de ceux-ci, des cas où l’application de ces mesures serait susceptible d’affecter gravement le
niveau de vie et l’emploi dans certaines régions ainsi que l’exploitation des équipements de transport.

392    Dès lors que le règlement 2020/1054 a été adopté par le législateur de l’Union sur le fondement de l’article 91, paragraphe 1, TFUE, cette base juridique n’étant pas contestée dans le cadre des présents recours, il incombait donc à ce dernier de tenir compte, lorsqu’il a adopté l’article 1^er, point 6, sous d), de ce règlement, des exigences découlant de l’article 91, paragraphe 2, TFUE.

393    À cet égard, l’article 91, paragraphe 2, TFUE impose au législateur de l’Union, lorsqu’il adopte des mesures sur le fondement du paragraphe 1 de cet article 91, l’obligation de « tenir compte » de leur incidence sur le niveau de vie et l’emploi dans certaines régions ainsi que sur l’exploitation des équipements de transport, ce qui s’inscrit dans le cadre plus large d’une pondération des différents objectifs et intérêts en jeu. En outre, ainsi que M. l’avocat général l’a souligné au point 285
de ses conclusions, l’utilisation du terme « gravement » indique que l’article 91, paragraphe 2, TFUE requiert un degré significatif d’incidence des mesures en cause sur ces paramètres et non pas une simple affectation.

394    Il résulte ainsi de l’article 91, paragraphe 2, TFUE que les incidences graves sur le niveau de vie et l’emploi dans certaines régions ainsi que sur l’exploitation des équipements de transport ne constituent pas des limites absolues au regard de la large marge d’appréciation dont le législateur de l’Union dispose en matière de politique commune des transports pour l’adoption des mesures à ce titre, pourvu qu’il tienne compte de ces éléments.

395    Il s’ensuit que, dans le cadre de l’appréciation des incidences résultant de l’adoption d’une mesure fondée sur l’article 91, paragraphe 1, TFUE, le législateur de l’Union est tenu d’effectuer une prise en considération équilibrée des divers intérêts en cause afin d’atteindre les objectifs légitimes qu’il poursuit. Ainsi, le seul fait que celui-ci doit prendre en compte le niveau de vie ainsi que l’emploi dans certaines régions et, partant, les intérêts économiques des entreprises de
transport ne s’oppose pas à ce que ces dernières fassent l’objet de mesures contraignantes (voir, par analogie, arrêt du 9 septembre 2004, Espagne et Finlande/Parlement et Conseil, C‑184/02 et C‑223/02, EU:C:2004:497, point 72 ainsi que jurisprudence citée).

396    Il en ressort que l’article 91, paragraphe 2, TFUE reflète, pour l’essentiel, l’obligation pour le législateur de l’Union d’agir dans le respect du principe de proportionnalité en adoptant des mesures qui sont aptes à réaliser l’objectif poursuivi et qui ne vont pas manifestement au-delà de ce qui est nécessaire pour réaliser celui-ci.

397    Or, outre le fait que les moyens et arguments soulevés dans le cadre de l’examen de la prétendue violation du principe de proportionnalité ont été écartés, la Roumanie et la République de Pologne n’ont fourni, à l’appui des présents moyens et arguments alléguant une violation de l’article 91, paragraphe 2, TFUE, aucun élément supplémentaire de nature à étayer leur prétention selon laquelle l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 aurait une incidence
grave sur le niveau de vie et l’emploi dans certaines régions ainsi que sur l’exploitation des équipements de transport, dont le législateur de l’Union n’aurait pas tenu compte en instituant cette obligation, en méconnaissance de l’article 91, paragraphe 2, TFUE.

398    Du reste, ces moyens et ces arguments recoupent, soit totalement s’agissant de la Roumanie, soit largement s’agissant de la République de Pologne, ceux déjà invoqués à l’appui des moyens tirés de la violation du principe de proportionnalité.

399    Ainsi, en ce qui concerne, premièrement, l’incidence de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 sur l’exploitation des équipements de transport, l’argumentation développée par la République de Pologne, par laquelle celle-ci reproche à l’analyse d’impact – volet social de ne pas avoir examiné les effets négatifs de cette disposition sur les infrastructures routières, se fonde tout entière sur la prémisse selon laquelle l’obligation pour les entreprises de transport d’organiser
le travail des conducteurs de telle sorte que ces derniers puissent retourner au centre opérationnel de leur employeur ou à leur lieu de résidence serait à l’origine d’une augmentation significative du trafic. Or, ainsi qu’il ressort des points 236 et 295 du présent arrêt, cette prémisse est erronée en ce qu’elle suppose, d’une part, que, avant l’adoption de cette mesure, un nombre réduit de conducteurs retournait à l’un ou à l’autre de ces lieux et, d’autre part, que ce retour devrait
nécessairement être effectué au moyen du véhicule utilisé par le conducteur.

400    Au demeurant, ainsi qu’il a été souligné au point 295 du présent arrêt, l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 n’interdit pas à l’entreprise de transport de faire coïncider le retour du conducteur avec l’accomplissement par celui-ci d’une opération de transport à destination de l’État membre dans lequel sont situés lesdits lieux afin de limiter les retours à vide uniquement destinés à satisfaire à l’obligation leur incombant en vertu de cette disposition. Or, à cet égard, la
République de Pologne n’explique pas en quoi un tel retour affecterait davantage les infrastructures routières que tout autre trajet effectué par ces mêmes conducteurs avec leur véhicule dans le cadre des opérations de transport habituelles de leur employeur. Par ailleurs, il n’a pas non plus été démontré qu’un véhicule qui ne retourne pas au centre opérationnel de l’employeur ou au lieu de résidence du conducteur serait nécessairement mis à l’arrêt et, par suite, non utilisé, pendant la période
correspondante, pour poursuivre les opérations habituelles de l’entreprise de transport.

401    En ce qui concerne, deuxièmement, l’incidence de cet article 1^er, point 6, sous d), sur la qualité de vie dans les zones situées à proximité des principaux nœuds de transport et les risques engendrés par l’obligation prévue à cette disposition pour la sécurité routière, l’argumentation avancée par la République de Pologne se fonde également, pour l’essentiel, sur la même prémisse erronée selon laquelle ladite disposition serait source d’une augmentation significative du trafic, ce qui ne
permet pas de constater que le législateur de l’Union n’aurait pas tenu compte de cette incidence. Pour le surplus, en ce que cet État membre critique l’absence d’examen par le législateur de l’Union des effets de cette même disposition sur les conducteurs employés dans certains États membres, en raison des distances considérables qu’ils devront parcourir et de la fatigue accrue qui en résultera, son argumentation doit être rejetée pour les motifs déjà exposés au point 292 du présent arrêt.

402    En ce qui concerne, troisièmement, l’incidence de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 sur l’emploi, la République de Pologne allègue que cette disposition entraîne des charges administratives et organisationnelles supplémentaires qui « risquent très probablement » d’entraîner la faillite de nombreuses entreprises de transport ou leur délocalisation dans les États membres situés au « centre de l’Union ». Toutefois, une telle allégation doit être considérée, à défaut de
tout élément concret de nature à en étayer le bien‑fondé, comme étant spéculative et, en tout état de cause, insuffisante pour démontrer une incidence grave sur l’emploi. Il en est de même, ainsi qu’il a été relevé aux points 276 et 293 du présent arrêt, de l’allégation, tout aussi générale et abstraite, de la Roumanie, selon laquelle l’obligation prévue à cette disposition entraînera la délocalisation des entreprises de transport établies dans certains États membres en raison de l’augmentation de
leurs coûts et de la diminution de leurs recettes.

403    Dans cette mesure, ces arguments ne sauraient remettre en cause les constatations effectuées par la Commission dans l’analyse d’impact – volet social (partie 1/2, p. 60 et 61), selon lesquelles les mesures relatives au temps de travail et aux modalités de repos hebdomadaire devraient avoir un impact positif sur l’attrait de la profession de conducteur et, partant, sur l’offre du marché du travail, cette analyse d’impact ayant relevé à cet égard que la pénurie de conducteurs était, en partie,
causée par la détérioration des conditions de travail qui nuit à l’image et à l’attrait de la profession (partie 1/2, p. 9). Or, ainsi qu’il ressort d’une étude invoquée par la République de Pologne [« Transport of the Future. Report on prospects for the development of road transport in Poland in 2020-2030 » (« Le transport du futur : rapport sur les perspectives de développement du transport routier en Pologne au cours de la période 2020-2030 »), 2019, p. 42], ce sont justement les longues
distances loin du lieu de résidence qui constituent l’une des raisons d’une telle pénurie.

404    En tout état de cause, il convient encore de souligner que, contrairement à ce que suggèrent la Roumanie et la République de Pologne, le seul fait que certaines entreprises de transport pourraient supporter des coûts et des charges administratives plus élevés en raison de l’augmentation de la protection sociale garantie aux conducteurs par l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 ne saurait aucunement être considéré comme une régression dans l’établissement d’une politique
commune des transports constitutive d’une violation de l’article 91, paragraphe 2, TFUE.

405    En effet, ainsi qu’il a été indiqué au point 266 du présent arrêt, lorsqu’un acte législatif a déjà coordonné les législations des États membres dans un domaine donné d’action de l’Union, le législateur de l’Union ne saurait être privé de la possibilité d’adapter cet acte à toute modification des circonstances ou à toute évolution des connaissances eu égard à la tâche qui lui incombe de veiller à la protection des intérêts généraux reconnus par le traité FUE et de prendre en compte les
objectifs transversaux de l’Union consacrés à l’article 9 de ce traité, parmi lesquels figure la garantie d’une protection sociale adéquate. En effet, le législateur de l’Union ne peut, dans une telle situation, s’acquitter correctement de la tâche qui lui incombe de veiller à la protection de ces intérêts généraux et de ces objectifs transversaux que s’il lui est loisible d’adapter la législation pertinente de l’Union à de telles modifications ou évolutions.

406    En ce qui concerne, en second lieu, la violation alléguée de l’article 94 TFUE, il convient de rappeler que, aux termes de cette disposition, toute mesure « dans le domaine des prix et conditions de transport », prise dans le cadre des traités, doit tenir compte de la situation économique des transporteurs.

407    Or, l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 ne régit pas les prix ou les conditions de transport des marchandises ou des voyageurs, mais détermine les conditions de la prise par les conducteurs de leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire, en prévoyant que les entreprises de transport doivent organiser le travail des conducteurs de telle sorte qu’ils puissent retourner, selon le cas, toutes les trois ou quatre semaines, au centre opérationnel de leur employeur
ou à leur lieu de résidence. Aussi cette disposition exerce-t-elle une incidence trop indirecte sur les prix et les conditions de transport des marchandises ou des voyageurs pour qu’elle puisse relever de l’article 94 TFUE, ce qui suffit à écarter les arguments invoqués par la Roumanie et la République de Pologne, tirés de la violation de ladite disposition.

408    En conséquence, il convient de rejeter comme étant non fondés l’allégation de la Roumanie, figurant dans le cadre de son premier moyen pris en sa seconde branche, relative à la violation de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE, ainsi que les troisième et quatrième moyens invoqués par la République de Pologne.

6)      Sur la violation des règles du droit de l’Union en matière de protection de l’environnement

i)      Argumentation des parties

409    La République de Lituanie, par son troisième moyen, et la République de Pologne, par son cinquième moyen, font valoir que, en adoptant l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, le législateur de l’Union a violé les règles du droit de l’Union en matière de protection de l’environnement. La République de Lituanie invoque à cet égard une violation de l’article 3, paragraphe 3, TUE, des articles 11 et 191 TFUE ainsi que de la « politique de l’Union en matière d’environnement et de
lutte contre le changement climatique », tandis que la République de Pologne allègue une violation de l’article 11 TFUE et de l’article 37 de la Charte.

410    Ces États membres soulignent que, conformément à ces dispositions, le législateur de l’Union doit tenir compte des exigences de protection de l’environnement tant lors de la détermination et de la mise en œuvre des autres politiques de l’Union que dans le cadre d’autres actions de l’Union. En effet, l’objectif de protection de l’environnement fixé à l’article 191 TFUE ne pourrait être pris en compte ni réalisé par les seules mesures adoptées en application de l’article 192 TFUE, dans le cadre
d’une politique distincte et autonome. Le principe d’intégration consacré à l’article 11 TFUE permettrait de concilier les objectifs et les exigences de protection de l’environnement avec les autres intérêts et buts poursuivis par l’Union.

411    Selon la République de Pologne, une interprétation selon laquelle l’article 11 TFUE concernerait des domaines du droit de l’Union, et non des mesures particulières, ne permettrait pas de réaliser l’objectif poursuivi par cette disposition. L’appartenance du règlement 2020/1054 à un paquet plus vaste visant à réduire les émissions polluantes engendrées par le secteur du transport routier ne prouverait pas que l’incidence de ce règlement sur l’environnement, en particulier sur la possibilité
d’atteindre les objectifs environnementaux fixés dans les documents et les actes adoptés par l’Union dans le domaine de l’environnement, ait été dûment prise en considération. En outre, il ne serait pas non plus possible de considérer que, une fois fixés, les objectifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre demeurent invariables, quelles que soient les émissions supplémentaires générées dans le futur à la suite de la réalisation d’obligations découlant d’une nouvelle
réglementation de l’Union.

412    La République de Lituanie et la République de Pologne partagent l’interprétation retenue par l’avocat général Geelhoed aux points 59 et 60 de ses conclusions dans l’affaire Autriche/Parlement et Conseil (C‑161/04, EU:C:2006:66), selon laquelle, lorsque les intérêts environnementaux n’ont manifestement pas été pris en compte ou lorsqu’ils ont été complètement ignorés, l’article 11 TFUE peut servir de standard pour contrôler la légalité de la législation de l’Union. Lorsqu’il est établi qu’une
mesure particulière prise par le législateur de l’Union a pour effet de porter préjudice à la réalisation des objectifs fixés par celui-ci dans d’autres actes de droit dérivé adoptés en matière d’environnement, ce législateur serait tenu de mettre en balance les intérêts en conflit et d’apporter, le cas échéant, des modifications adéquates aux actes applicables dans le domaine de l’environnement.

413    En l’espèce, le législateur de l’Union aurait manqué à cette obligation en ce qu’il n’aurait pas examiné l’incidence de la mise en œuvre de l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 sur les exigences en matière d’environnement.

414    Or, la mise en œuvre de cette dernière obligation engendrerait des trajets supplémentaires de poids lourds, y compris des parcours à vide, sur de longues distances, dont il résulterait des émissions de CO2 et de polluants atmosphériques à l’origine de nombreux problèmes de santé. Les effets environnementaux des dispositions attaquées du règlement 2020/1054 devraient aussi être examinés cumulativement à ceux générés par le règlement 2020/1055 et la directive 2020/1057, qui font également
partie du « Paquet mobilité », lesquels contraindraient également les conducteurs de poids lourds à effectuer des trajets supplémentaires.

415    La République de Lituanie exprime, en outre, sa conviction selon laquelle l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 réduira inévitablement l’efficacité du système de transport et portera atteinte à la politique de l’Union en matière d’environnement et de lutte contre le changement climatique.

416    Quant à la République de Pologne, elle relève, plus particulièrement, que, selon les estimations de l’Union internationale des transports routiers (IRU), telles qu’elles ressortent de sa lettre ouverte du 26 octobre 2018, les retours de véhicules imposés par le règlement 2020/1055 génèreront, à eux seuls, jusqu’à 100 000 tonnes de CO2 en plus par année. Un rapport élaboré par KPMG [« Impact assessment regarding provisional agreement on Mobility Package I » (« Analyse d’impact portant sur
l’accord provisoire relatif au premier train de mesures sur la mobilité »), 20 février 2020], montrerait aussi, à partir de l’exemple des transporteurs bulgares, que la hausse annuelle de CO2 émis, engendrée par ces retours obligatoires de véhicules en Bulgarie, s’élèvera à 71 000 tonnes environ. Selon une autre estimation effectuée par le European Centre for International Political Economy (ECIPE) (Centre européen pour l’économie politique internationale) [M. Bauer, « 4 Million Tonnes Additional
CO2 due to Proposed EU Cabotage Laws in Mobility Package » (« 4 millions de tonnes de CO2 supplémentaires en raison de la proposition de règles de l’Union sur le cabotage dans le train de mesures sur la mobilité »), janvier 2020] à partir des calculs effectués par KPMG pour le secteur bulgare du transport international et de données Eurostat, les émissions supplémentaires de CO2 pour toute l’Union découlant du projet de modification des dispositions sur le cabotage s’élèveraient à environ quatre
millions de tonnes. Selon les propres évaluations de la République de Pologne, les parcours à vide supplémentaires imposés par l’obligation de retour des véhicules, applicable au parc automobile polonais de plus de 2,5 tonnes actif dans le transport international, génèreraient 672 024 tonnes de CO2.

417    De l’avis de la République de Lituanie et de la République de Pologne, ces émissions supplémentaires de CO2 sont susceptibles d’entraver la réalisation des objectifs climatiques poursuivis à l’horizon 2050 par l’Union, tels qu’évoqués dans la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, du 11 décembre 2019, « Le pacte vert pour l’Europe » [COM(2019) 640 final] (ci-après le « Pacte
vert »), objectifs que, lors d’une réunion tenue le 12 décembre 2019, le Conseil européen aurait fait siens. La République de Pologne se réfère, en outre, à la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, du 17 septembre 2020, intitulée « Accroître les ambitions de l’Europe en matière de climat pour 2030 : Investir dans un avenir climatiquement neutre, dans l’intérêt de nos concitoyens » [COM(2020) 562 final,
p. 26].

418    La République de Pologne considère que ces émissions supplémentaires de CO2 pourraient aussi remettre en cause la réalisation par les États membres des objectifs fixés dans le règlement (UE) 2018/842 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2018, relatif aux réductions annuelles contraignantes des émissions de gaz à effet de serre par les États membres de 2021 à 2030 contribuant à l’action pour le climat afin de respecter les engagements pris dans le cadre de l’accord de Paris et
modifiant le règlement (UE) n^o 525/2013 (JO 2018, L 156, p. 26).

419    Quant aux émissions supplémentaires de polluants atmosphériques, elles pourraient, selon la République de Pologne, significativement entraver le respect des obligations incombant aux États membres en application de la directive (UE) 2016/2284 du Parlement européen et du Conseil, du 14 décembre 2016, concernant la réduction des émissions nationales de certains polluants atmosphériques, modifiant la directive 2003/35/CE et abrogeant la directive 2001/81/CE (JO 2016, L 344, p. 1). Ces émissions
supplémentaires pourraient aussi compromettre les objectifs poursuivis par la directive 2008/50/CE du Parlement européen et du Conseil, du 21 mai 2008, concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe (JO 2008, L 152, p. 1).

420    Aucun des actes attaqués composant le « Paquet mobilité » n’aborderait ces différents risques d’incidence. Dans l’analyse d’impact – volet social, la Commission se bornerait à constater qu’elle n’a identifié aucune incidence sur l’environnement des options envisagées. Cette constatation ne serait cependant ni étayée ni crédible.

421    Bien que certains États membres et la Commission aient signalé la nécessité de prendre en compte l’incidence des mesures proposées, notamment l’obligation de retour des véhicules ainsi que les restrictions applicables au transport de cabotage, sur la hausse du nombre des parcours à vide et des émissions de CO2, et souligné la nécessité de procéder à une analyse des effets de l’ensemble de ces mesures à l’échelle de l’Union, le législateur de l’Union aurait ignoré ces préoccupations.
L’élaboration d’analyses supplémentaires avant la fin de l’année 2020, annoncée par la commissaire en charge des transports, M^me Vălean, portant sur les effets du retour obligatoire des véhicules dans l’État membre d’établissement toutes les huit semaines et des restrictions applicables aux opérations de transport combiné, ne pallierait nullement ce manquement, voire confirmerait le bien–fondé des présents moyens et arguments, tirés de la violation des règles du droit de l’Union en matière de
protection de l’environnement.

422    La Parlement et le Conseil estiment que ces moyens et ces arguments sont dénués de fondement.

ii)    Appréciation de la Cour

423    En ce qui concerne, en premier lieu, l’article 3, paragraphe 3, TUE, invoqué par la République de Lituanie, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 566 de ses conclusions, cette disposition énonce différents objectifs essentiels poursuivis par l’Union, sans établir une hiérarchie entre eux, de sorte que la mise en œuvre de ces objectifs, qui incluent, au même titre que la protection de l’environnement, notamment, la mise en œuvre d’un développement durable fondé sur une croissance
économique équilibrée et une économie sociale tendant au progrès social ainsi que la promotion de la protection sociale, doit être le résultat des politiques et des actions de l’Union ainsi que des États membres.

424    Cette disposition ne saurait donc, à la différence des dispositions spécifiques du traité FUE qui concrétisent les objectifs généraux qu’elle énumère et régissent la matière considérée, faire partie des paramètres permettant d’apprécier la conformité au droit primaire d’une disposition de droit dérivé (voir, en ce sens, arrêt du 11 mars 1992, Compagnie commerciale de l’Ouest e.a., C‑78/90 à C‑83/90, EU:C:1992:118, point 18 ainsi que jurisprudence citée).

425    En ce qui concerne, en deuxième lieu, l’article 191 TFUE, invoqué également par la République de Lituanie, cet article figure dans le titre XX de la troisième partie du traité FUE, relatif à la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement. Or, le règlement 2020/1054 a été adopté au titre non pas de cette politique mais de la politique commune des transports, qui fait l’objet du titre VI de cette même troisième partie du traité FUE, en particulier sur le fondement de l’article 91,
paragraphe 1, TFUE, cette base juridique n’étant pas contestée dans le cadre des présents recours.

426    À ce dernier égard, il convient également de rappeler qu’un acte législatif tel que le règlement 2020/1054 ne saurait relever de la politique environnementale de l’Union en raison du seul fait qu’il doit tenir compte d’exigences relatives à la protection de l’environnement (voir, en ce sens, arrêt du 15 avril 2021, Pays–Bas/Conseil et Parlement, C‑733/19, EU:C:2021:272, point 48 ainsi que jurisprudence citée).

427    Il s’ensuit que l’article 191 TFUE relatif à la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement n’est pas pertinent pour l’examen de la légalité de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054.

428    En ce qui concerne, en troisième lieu, l’article 11 TFUE, lequel figure au sein du titre II de la première partie de ce traité prévoyant des dispositions d’application générale, cet article énonce que les exigences de la protection de l’environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de l’Union, en particulier afin de promouvoir le développement durable.

429    En ce qui concerne, en quatrième lieu, l’article 37 de la Charte, cet article prévoit qu’un niveau élevé de protection de l’environnement et l’amélioration de sa qualité doivent être intégrés dans les politiques de l’Union et assurés conformément au principe du développement durable.

430    À cet égard, il ressort des explications relatives à la Charte que le principe figurant à cet article est fondé, en substance, sur l’article 3, paragraphe 3, TUE ainsi que sur les articles 11 et 191 TFUE (voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2016, Associazione Italia Nostra Onlus, C‑444/15, EU:C:2016:978, point 62).

431    En ce qui concerne, en cinquième lieu, les autres instruments de droit dérivé invoqués par la République de Lituanie et la République de Pologne, il y a lieu de rappeler que, s’agissant des différents règlements et directives mentionnés aux points 418 et 419 du présent arrêt, sur lesquels se fonde ce dernier État membre, la légalité interne d’un acte de l’Union ne saurait être examinée au regard d’un autre acte de l’Union de même rang normatif, à moins qu’il n’ait été adopté en application de
ce dernier acte ou qu’il ne soit expressément prévu, par l’un des deux actes, que l’un prime l’autre (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil, C‑620/18, EU:C:2020:1001, point 119), ce qui n’est pas le cas en l’occurrence.

432    Il en est, a fortiori, de même s’agissant du Pacte vert, invoqué par la République de Lituanie et la République de Pologne, qui ne constituait, à la date de l’adoption du règlement 2020/1054, qu’une communication adoptée par la Commission, ainsi que des conclusions de la réunion du Conseil européen du 12 décembre 2019, mentionnées au point 417 du présent arrêt, invoquées par la République de Lituanie, dont la prétendue incidence de nature « politique » sur le pouvoir législatif du Parlement
et du Conseil ne saurait constituer un motif d’annulation, par la Cour, des dispositions dudit règlement (voir, en ce sens, arrêt du 21 juin 2018, Pologne/Parlement et Conseil, C‑5/16, EU:C:2018:483, point 86).

433    Dans ces conditions, il convient uniquement d’examiner si, comme le font valoir, en substance, la République de Lituanie et la République de Pologne, le législateur de l’Union, lorsqu’il a adopté l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, a violé les exigences liées à la protection de l’environnement découlant de l’article 11 TFUE, lu en combinaison avec l’article 37 de la Charte.

434    À cet égard, il convient, premièrement, de constater que la République de Lituanie se borne à affirmer, de manière générale et abstraite, que l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 portera inévitablement atteinte à la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement. Or, son argumentation se fonde sur la prémisse erronée, ainsi qu’il ressort des points 168 à 180 du présent arrêt, selon laquelle les conducteurs doivent nécessairement retourner, au
moyen de poids lourds souvent vides, au centre opérationnel de l’employeur ou à leur lieu de résidence toutes les trois ou quatre semaines, selon le cas. Il s’ensuit que cette argumentation doit être rejetée.

435    Deuxièmement, les arguments avancés par la République de Pologne se rapportent quasi exclusivement non pas à l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, mais à des dispositions contenues dans d’autres actes formant le « Paquet mobilité ». En effet, l’essentiel des études et des autres éléments sur lesquels cet État membre s’appuie dans ce contexte porte sur l’obligation, prévue à l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un
paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, relative au retour des véhicules dans un centre opérationnel situé dans l’État membre d’établissement de l’entreprise de transport concernée toutes les huit semaines. Or, cette dernière disposition fait l’objet de moyens distincts dans le cadre des recours dirigés contre le règlement 2020/1055 dans les affaires C‑542/20, C‑545/20, C‑547/20, C‑549/20 à C‑552/20 et C‑554/20. Dans la mesure où les arguments avancés par la République de
Pologne ne se rapportent pas aux dispositions du règlement 2020/1054, ils doivent donc être écartés comme étant inopérants.

436    Troisièmement, dans la mesure néanmoins où l’argumentation de la République de Pologne tirée de la violation de l’article 11 TFUE, lu en combinaison avec l’article 37 de la Charte, porterait spécifiquement sur l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, il convient de relever, d’une part, que l’article 11 TFUE revêt un caractère transversal qui implique que le législateur de l’Union doit intégrer les exigences liées à la protection de l’environnement dans
les politiques et les actions de l’Union et, notamment, dans la politique commune des transports dont relève le règlement 2020/1054.

437    D’autre part, le contrôle de la légalité de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 que la Cour est appelée à effectuer, en l’occurrence, au regard de l’article 11 TFUE, lu en combinaison avec l’article 37 de la Charte, concerne un acte de l’Union dans le cadre duquel le législateur de celle-ci est tenu d’assurer, ainsi qu’il ressort du point 282 du présent arrêt, un équilibre entre les différents intérêts et objectifs en présence.

438    Dans ces conditions, quand bien même l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, envisagée isolément, aurait des effets négatifs notables sur l’environnement, il y aurait lieu, afin de déterminer si une violation de l’article 11 TFUE, lu en combinaison avec l’article 37 de la Charte, doit être constatée, de tenir compte des autres actions que le législateur de l’Union a entreprises pour limiter les effets négatifs du transport routier sur l’environnement et
atteindre l’objectif global de réduction des émissions polluantes.

439    En l’occurrence, par son argumentation tirée de la violation de l’article 11 TFUE, lu en combinaison avec l’article 37 de la Charte, la République de Pologne allègue, en substance, que l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 sera source d’émissions supplémentaires de CO2 et de polluants en raison des trajets supplémentaires de poids lourds, souvent à vide, sur de longues distances qui résulteront de son application.

440    Cette argumentation se fonde ainsi tout entière sur la prémisse selon laquelle cette disposition implique un retour obligatoire des véhicules au centre opérationnel de l’employeur ou au lieu de résidence des conducteurs, alors que seul un nombre réduit de véhicules serait rentré à l’un de ces deux lieux avant l’adoption du règlement 2020/1054.

441    Or, cette prémisse est erronée, ainsi qu’il ressort, notamment, des points 170, 171, 236 et 295 du présent arrêt.

442    Dans ces conditions, l’analyse d’impact – volet social (partie 1/2, p. 48) n’a logiquement identifié aucune incidence sur l’environnement qui résulterait des mesures envisagées par la Commission dans sa proposition de règlement « temps de travail ».

443    Eu égard à ce qui précède, il convient de rejeter les arguments de la République de Lituanie et la République de Pologne tirés de la violation de l’article 11 TFUE, lu en combinaison avec l’article 37 de la Charte.

444    Dès lors, il n’y a lieu d’examiner ni les arguments tirés par la République de Lituanie et la République de Pologne d’autres actes de l’Union, dont les objectifs en matière environnementale seraient prétendument compromis par l’adoption de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, ni les différentes mesures prises par le législateur de l’Union dans le secteur du transport routier, invoquées par le Parlement et le Conseil, afin d’apprécier dans quelle mesure ce législateur a
tenu compte de l’objectif global de réduction des émissions polluantes dans ce secteur.

445    En conséquence, le troisième moyen de la République de Lituanie et le cinquième moyen de la République de Pologne doivent être écartés.

446    Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, les recours introduits par la République de Lituanie (affaire C‑541/20), la République de Bulgarie (affaire C‑543/20), la Roumanie (affaire C‑546/20) et la République de Pologne (affaire C‑553/20) doivent être rejetés en ce qu’ils visent à obtenir l’annulation de l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054.

3.      Sur l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054

447    À l’appui de leurs recours respectifs tendant à l’annulation de l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054, la République de Bulgarie (affaire C‑543/20), la Roumanie (affaire C‑546/20) et la Hongrie (affaire C‑551/20) invoquent, selon le cas, la violation, en substance :

–        du principe de proportionnalité (quatrième moyen de la République de Bulgarie, premier moyen pris en sa première branche de la Roumanie et moyen unique de la Hongrie) ;

–        des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination (cinquième moyen pris en sa seconde branche de la République de Bulgarie et troisième moyen pris en sa première branche de la Roumanie) ;

–        des dispositions du traité FUE relatives à la libre prestation de services (premier moyen pris en sa première branche de la Roumanie, tiré de la violation du principe de proportionnalité), et

–        de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE (premier moyen pris en sa première branche de la Roumanie, tiré de la violation du principe de proportionnalité).

a)      Sur la violation du principe de proportionnalité

1)      Argumentation des parties

448    La République de Bulgarie, par son quatrième moyen, la Roumanie, par son premier moyen pris en sa première branche, et la Hongrie, par son moyen unique, font valoir que l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 ne respecte pas les exigences découlant du principe de proportionnalité. Si, dans le cadre de son moyen unique, la Hongrie fait également formellement valoir une erreur manifeste d’appréciation, son argumentation dans ce contexte vise uniquement à démontrer une violation
de ce principe.

449    En premier lieu, la République de Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie soutiennent que l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 méconnaît ledit principe en tant que tel, en ce que, en raison de l’état actuel de l’infrastructure européenne, l’interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule constituerait une obligation excessivement difficile, voire impossible à respecter. En effet, compte tenu du nombre insuffisant d’aires de stationnement
sécurisées et de lieux d’hébergement appropriés situés à proximité de celles-ci, les conducteurs et les entreprises de transport se retrouveraient souvent confrontés à des exigences impossibles à respecter. Dans ces conditions, cette mesure ne pourrait être mise en œuvre de manière à atteindre les objectifs poursuivis, ce qui démontrerait son caractère manifestement inapproprié. En outre, ladite mesure pèserait manifestement de façon disproportionnée sur les conducteurs et les entreprises de
transport. Par conséquent, en prévoyant une telle exigence inapplicable en pratique, le législateur de l’Union aurait commis une erreur manifeste d’appréciation.

450    La République de Bulgarie et la Hongrie relèvent que, déjà dans l’analyse d’impact – volet social (partie 1/2, p. 18), la Commission avait indiqué que l’Union manquait, d’une manière générale, d’installations de repos appropriées et d’aires de stationnement sécurisées. L’état insuffisant des installations de repos dans l’Union ressortirait également d’une étude publiée par la Commission [« Study on Safe and Secure Parking Places for Trucks. Final Report » (« Étude relative aux emplacements
sécurisés et sûrs de stationnement pour les poids lourds. Rapport final », février 2019, (ci-après l’« étude de 2019 sur les emplacements de stationnement »), p. 8 et 18 à 20]. Selon cette étude, sur 300 000 emplacements de stationnement destinés, dans l’Union, aux poids lourds, seuls quelque 47 000 seraient partiellement sécurisés et 7 000 seulement afficheraient un niveau de sécurité certifié. La demande moyenne d’emplacements de stationnement de nuit étant estimée à près de 400 000 places, il en
résulterait un déficit d’environ 100 000 emplacements, très peu d’aires existantes garantissant, par ailleurs, un niveau approprié de sécurité et de sûreté. En outre, cette même étude ferait ressortir une répartition inégale des emplacements de stationnement sûrs et sécurisés par rapport aux corridors de transit européens, les 7 000 emplacements de stationnement certifiés ne se trouvant que dans certains États membres. Par ailleurs, le CESE ainsi que plusieurs États membres auraient mis en exergue
cette situation pendant la procédure législative.

451    La question des aires de stationnement et celle des hébergements adéquats, bien que différentes, seraient étroitement liées, en ce sens que, pour le conducteur, seul serait approprié un hébergement qui est situé à proximité d’une aire de stationnement adéquate et sécurisée de nature à assurer la protection de sa cargaison. Le nombre limité de telles aires de stationnement restreindrait encore davantage le nombre des hébergements potentiels que le conducteur peut utiliser afin de prendre son
temps de repos hebdomadaire.

452    La République de Bulgarie relève aussi que l’insuffisance des infrastructures est mise en évidence par l’obligation pour la Commission, en vertu de l’article 1^er, point 7, du règlement 2020/1054, de soumettre, au plus tard le 31 décembre 2024, un rapport au Parlement et au Conseil en ce qui concerne la disponibilité des installations de repos appropriées pour les conducteurs. La Roumanie ajoute que cette même disposition impose à la Commission de publier une liste de toutes les aires de
stationnement. Cependant, aucun site internet n’aurait à ce jour été créé à cet effet.

453    La Roumanie fait également valoir que, afin de respecter l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054, les conducteurs se trouvant sur des trajets dépourvus d’aires de stationnement sûres et sécurisées n’ont d’autre choix que celui d’utiliser des aires non sécurisées, sur lesquelles ils laissent les véhicules sans surveillance pendant leur temps de repos pris dans un lieu d’hébergement approprié, exposant ainsi le véhicule à la criminalité. Or, en vertu de la convention relative
au contrat de transport international de marchandises par route (CMR), signée à Genève le 19 mai 1956, le  transporteur serait responsable de la perte totale ou partielle, ou de l’avarie, qui se produit entre le moment de la prise en charge de la marchandise et celui de la livraison, ainsi que du retard à la livraison. En l’état actuel de l’infrastructure européenne, la solution législative adoptée dans ce règlement n’améliorerait donc pas les conditions de travail des conducteurs, mais, tout au
contraire, pourrait avoir pour effet d’accroître la fatigue et le stress de ceux-ci, ainsi que les risques pour leur sécurité, leur marchandise et leur véhicule. Dans le même sens, la République de Bulgarie fait valoir que le manque d’aires de stationnement sécurisées pour les poids lourds dans l’Union accroît le risque de vols et de problèmes d’assurance pour les transporteurs.

454    La République de Bulgarie ajoute également que l’impossibilité de respecter l’interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule expose les conducteurs et les entreprises de transport au risque de se voir infliger des sanctions qui pourraient conduire, pour ces dernières, à une perte de l’honorabilité, au sens de l’article 6 du règlement n^o 1071/2009, et, partant, leur fermer l’accès au marché du transport routier de marchandises de l’Union. À cet égard, il serait
sans incidence que la liste des infractions les plus graves aux règles de l’Union ne comprend pas la violation de cette interdiction.

455    Dans ce contexte, la Roumanie et la Hongrie se réfèrent au règlement RTE-T, notamment à l’article 38, paragraphe 3, et à l’article 39, paragraphe 2, sous c), de celui-ci, ainsi qu’aux orientations révisées pour le développement de ce réseau transeuropéen de transport, mentionnées au considérant 19 du règlement 2020/1054. Ces dispositions prouveraient également l’insuffisance, en l’état actuel, de l’infrastructure européenne.

456    La Hongrie relève, en outre, que l’article 8 bis, paragraphes 3 et 4, du règlement n^o 561/2006, tel qu’inséré par l’article 1^er, point 7, du règlement 2020/1054, comporte des appels réitérés à la création d’aires de stationnement sûres et sécurisées. En outre, les mesures portant création de telles aires ne pourraient produire leurs effets qu’à l’avenir, alors qu’aucune période de transition adéquate n’a été prévue, l’interdiction en cause étant, en outre, absolue. La République de Bulgarie
conteste également l’absence de période transitoire pour l’entrée en vigueur de la disposition en cause.

457    La République de Bulgarie soutient ensuite que les États membres n’ont aucune obligation de garantir, à tout le moins jusqu’à une certaine date, des lieux suffisants d’hébergement adaptés ainsi que des aires sécurisées et sûres de stationnement. Un État membre pourrait ainsi être incité à ne pas augmenter le nombre des infrastructures afin de limiter les prestations de services de transport par des transporteurs étrangers sur son territoire.

458    La République de Bulgarie fait également valoir que l’interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule implique des coûts supplémentaires significatifs pour les entreprises de transport, qui sont majoritairement des PME, puisque ces entreprises seraient tenues de payer un hébergement approprié pour les repos hebdomadaires de leurs conducteurs lorsque ces derniers sont loin de leur lieu de résidence. Il en résulterait aussi des frais pour les détours et les courses
à vide éventuels uniquement justifiés par le souci de trouver un hébergement adéquat. Selon une étude de KPMG, intitulée « The Bulgarian haulage sector – Market study : An impact assessment of Mobility Package I » (« Le secteur bulgare du transport de marchandises par route – Étude de marché : analyse d’impact du premier train de mesures sur la mobilité »), publiée le 8 octobre 2019 (p. 37), les frais que devront exposer les entreprises de transport bulgares en raison de la mesure en cause seraient
estimés à 143 millions d’euros. Dans le même sens, la Roumanie fait valoir que cette mesure est manifestement inappropriée et n’est pas nécessaire au regard de l’objectif de réduction des charges administratives et financières pesant sur les entreprises de transport.

459    La République de Bulgarie fait, en outre, valoir que l’interprétation de la notion de « lieu d’hébergement adapté » est source d’insécurité juridique, ce qui, de l’aveu même de la Commission, donnerait lieu à des problèmes d’application. La Roumanie, pour sa part, soutient que les divergences entre États membres au regard des sanctions pour violation de l’interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule, mises en exergue dans l’analyse d’impact – volet social
(partie 1/2, p. 18), ne sont pas résolues dans le règlement 2020/1054, si bien que les États membres continueront à appliquer des sanctions différentes en prolongeant ainsi la situation d’insécurité juridique pour les entreprises de transport et les conducteurs. La solution législative serait ainsi également inappropriée de ce point de vue, étant donné qu’elle contreviendrait à l’objectif poursuivi par le règlement 2020/1054 consistant à uniformiser l’interprétation et l’application des règles et à
faciliter l’application transfrontalière de la législation sociale de manière cohérente.

460    La République de Bulgarie, la Hongrie et la Roumanie mettent ensuite en doute la pertinence de l’arrêt du 20 décembre 2017, Vaditrans (C‑102/16, ci-après l’« arrêt Vaditrans », EU:C:2017:1012). En particulier, selon la Hongrie et la Roumanie, cet arrêt serait sans incidence dans les présents recours, puisque, dans le cadre de la procédure juridictionnelle ayant conduit audit arrêt, aucune donnée relative aux installations de repos disponibles dans les États membres n’avait été produite devant
la Cour ni, de ce fait, prise en considération par celle-ci. Ainsi, la Cour n’aurait pas examiné la question de la proportionnalité et, en particulier, n’aurait pas apprécié une circonstance pertinente pour l’application de la réglementation en question, à savoir que l’interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule est souvent impossible à appliquer en pratique du fait du nombre insuffisant d’installations de repos disponibles dans les États membres. La Cour aurait
répondu à une question d’interprétation, tandis que, en l’espèce, il s’agirait de déterminer si, à la lumière des éléments disponibles, le législateur de l’Union a effectué un exercice adéquat de son pouvoir d’appréciation et a respecté l’exigence de proportionnalité.

461    La Roumanie relève également que, à la suite de l’arrêt Vaditrans, le règlement n^o 561/2006 doit, en tout état de cause, être interprété en ce sens qu’il interdit la prise du repos hebdomadaire normal dans la cabine du véhicule. Cependant, l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 ne se limiterait pas à consacrer cette interdiction, mais il apporterait des précisions supplémentaires. La République de Bulgarie, elle aussi, fait valoir que ce règlement ne se borne pas à exécuter
l’arrêt Vaditrans, mais ajoute l’exigence que les temps de repos en cause soient pris dans un lieu d’hébergement adapté aussi bien pour les femmes que pour les hommes, comportant un matériel de couchage et des installations sanitaires adéquats.

462    Enfin, la République de Bulgarie et la Roumanie soutiennent qu’il existe des mesures appropriées alternatives qui sont moins contraignantes. Ainsi, premièrement, selon l’avis exprimé par la Commission elle-même dans l’analyse d’impact – volet social (partie 1/2, p. 46), il conviendrait de permettre aux conducteurs de prendre leur repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule, à condition qu’il s’agisse d’un libre choix du conducteur ou que cela soit justifié au regard des
circonstances. Deuxièmement, une autre mesure possible serait l’instauration d’une dérogation pour les cas dans lesquels des lieux appropriés d’hébergement font défaut dans un rayon déterminé à partir de la localisation du conducteur. Troisièmement, une approche alternative possible, telle que proposée par le CdR, serait de ne pas appliquer l’interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule si ce temps de repos est pris dans un endroit où il existe un niveau de sécurité
suffisant et des installations sanitaires adéquates et que la cabine du conducteur est conforme aux spécifications qui seront fixées par le comité des transports routiers. Quatrièmement, il serait possible d’instaurer une période transitoire à l’issue de laquelle la Commission constaterait le caractère suffisant des lieux d’hébergement ainsi que des aires sécurisées et sûres de stationnement dans l’ensemble de l’Union. Cette période transitoire pourrait être accompagnée d’une obligation pour les
États membres de garantir qu’ils entreprennent les démarches nécessaires afin de créer des infrastructures appropriées.

463    En second lieu, la Roumanie et la Hongrie mettent en cause l’examen effectué par le législateur de l’Union de la proportionnalité de l’interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule.

464    En effet, il ressortirait des informations disponibles au moment de l’adoption de l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 que le législateur de l’Union avait connaissance de l’état lacunaire actuel de l’infrastructure européenne. Or, l’analyse d’impact – volet social (partie 1/2, p. 18) présenterait le déficit d’aires de stationnement et de lieux d’hébergement appropriés comme étant un facteur qui favorise la pratique consistant à prendre le temps de repos dans la cabine du
véhicule. Cette analyse d’impact préciserait même que, en raison de cette situation, les conducteurs bénéficient de meilleures conditions de repos dans la cabine que s’ils recourent aux autres solutions disponibles. En outre, l’ampleur de ce déficit aurait été relevée par la Commission dans l’étude de 2019 sur les emplacements de stationnement. Par ailleurs, les paragraphes 3 et 4 de l’article 8 bis du règlement n^o 561/2006, tels que modifiés par l’article 1^er, point 7, du règlement 2020/1054,
comporteraient des appels réitérés à la création d’aires de stationnement sûres et sécurisées, ce qui démontrerait que le législateur de l’Union a adopté l’exigence contestée en étant conscient du nombre insuffisant d’aires de stationnement de qualité appropriée.

465    Il s’ensuivrait que le législateur de l’Union a commis une erreur manifeste en omettant de tenir compte d’éléments essentiels à l’adoption de la mesure en cause et en n’appréciant pas les preuves pertinentes.

466    Le Parlement et le Conseil estiment que ces moyens et ces arguments ne sont pas fondés.

2)      Appréciation de la Cour

467    Par leur argumentation, la République de Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie mettent en cause la conformité de l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 au principe de proportionnalité. La Roumanie et la Hongrie contestant, par ailleurs, le fait que le législateur de l’Union ait même procédé à l’examen de la proportionnalité de cette disposition, il convient d’examiner en premier lieu cette dernière argumentation.

i)      Sur l’accomplissement par le législateur de l’Union d’un examen de la proportionnalité de l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054

468    Il est constant que le législateur de l’Union disposait, lorsqu’il a adopté le règlement 2020/1054, d’une analyse d’impact qui portait, notamment, sur la prise du temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule. En effet, l’analyse d’impact – volet social, qui accompagnait la proposition de règlement « temps de travail », a relevé l’interprétation divergente par les autorités des États membres des dispositions du règlement n^o 561/2006 concernant le temps de repos
hebdomadaire ainsi que la disparité des législations et des pratiques nationales concernant la prise de ce temps de repos à bord du véhicule (partie 1/2, p. 21, 23, 30, 31 et 34). Cette analyse d’impact a également examiné en détail, dans la perspective de l’issue du renvoi préjudiciel alors pendant devant la Cour dans l’affaire C‑102/16, Vaditrans, l’incidence d’une mesure clarifiant cette question (partie 1/2, p. 41, 42, 45, 47, 51, 55, 56, 61, 63, 64 et 70).

469    Dans ce contexte, l’article 1^er, point 5, sous c), de cette proposition prévoyait d’insérer à l’article 8 du règlement n^o 561/2006 un paragraphe 8 bis disposant que les temps de repos hebdomadaires normaux ou compensatoires ne peuvent pas être pris à bord du véhicule, mais doivent être pris dans un lieu d’hébergement adapté, comportant un matériel de couchage et des installations sanitaires adéquats, mis à la disposition ou payé par l’employeur, ou au lieu de résidence du conducteur ou dans
un autre lieu privé de son choix.

470    Par leur argumentation, la Roumanie et la Hongrie reprochent cependant au législateur de l’Union de ne pas avoir pris en compte, lorsqu’il a institué, à l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054, l’interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule, la pénurie d’infrastructures d’hébergement adéquates et d’aires de stationnement sûres et sécurisées dans l’ensemble de l’Union, alors que cette donnée était essentielle, selon ces États membres, à
l’examen de la proportionnalité de cette interdiction.

471    Il y a toutefois lieu de relever que le législateur de l’Union était pleinement informé de cette pénurie lorsqu’il a adopté l’interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule. En effet, ainsi que le relèvent elles-mêmes la Roumanie et la Hongrie, ladite pénurie avait été clairement mise en évidence au cours de la procédure législative tant dans l’analyse d’impact – volet social (partie 1/2, p. 18, 23, 31 et 34) que dans l’étude de 2019 sur les emplacements de
stationnement.

472    En outre, le législateur de l’Union a dûment pris en compte cette circonstance lorsqu’il a adopté l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054. En effet, d’une part, il n’a pas interdit la prise de tout temps de repos à bord du véhicule, la prise des pauses ainsi que des temps de repos journaliers et des temps de repos hebdomadaires réduits à bord du véhicule restant autorisée. D’autre part, il a considéré, conformément à la proposition de règlement « temps de travail » élaborée
par la Commission sur le fondement de cette analyse d’impact, que la pénurie d’infrastructures d’hébergement et d’aires de stationnement ne constituait pas un obstacle à l’interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule compte tenu de l’existence de lieux alternatifs dans lesquels le conducteur est en mesure de prendre ces temps de repos, en particulier le lieu de sa résidence, qui est l’un des lieux auquel l’entreprise de transport doit permettre au conducteur, s’il le
souhaite, de revenir à des intervalles réguliers de trois ou quatre semaines, selon le cas, conformément à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054.

473    Dans ces conditions, il ne saurait être fait grief au législateur de l’Union de ne pas avoir pleinement tenu compte d’une donnée essentielle à l’examen de la proportionnalité de l’interdiction prévue à l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054.

474    Il est sans pertinence à cet égard que le législateur de l’Union n’a pas tiré des différentes données à sa disposition les conclusions auxquelles la Roumanie et la Hongrie estiment qu’il aurait dû parvenir. À cet égard, les griefs par lesquels ces États membres reprochent au législateur de l’Union de ne pas avoir remédié de manière appropriée à la pénurie d’infrastructures d’hébergement et d’aires de stationnement dans le cadre du règlement 2020/1054 doivent être appréciés dans le cadre de
l’examen de la conformité même de l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 aux exigences découlant du principe de proportionnalité.

475    Il convient, dès lors, de rejeter les arguments de la Roumanie et de la Hongrie tirés du défaut d’examen par le législateur de l’Union des effets découlant de l’interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule.

ii)    Sur la proportionnalité de l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054

476    L’article 8, paragraphe 8, du règlement n^o 561/2006 prévoyait que, si un conducteur en fait le choix, les temps de repos journaliers et les temps de repos hebdomadaires réduits loin du point d’attache peuvent être pris à bord du véhicule, à condition que celui-ci soit équipé d’un matériel de couchage convenable pour chaque conducteur et qu’il soit à l’arrêt.

477    L’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 a remplacé, à compter du 20 août 2020, cet article 8, paragraphe 8, en prévoyant que les temps de repos hebdomadaires normaux ou compensatoires, à savoir les temps de repos autres que ceux visés à cette ancienne disposition, ne peuvent pas être pris par les conducteurs dans un véhicule, mais doivent être pris par ceux-ci dans un lieu d’hébergement adapté aussi bien pour les femmes que pour les hommes et comportant un matériel de
couchage ainsi que des installations sanitaires adéquats, étant précisé que l’employeur doit prendre en charge tous les frais d’hébergement à l’extérieur du véhicule.

478    L’objectif poursuivi par l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054, au regard duquel la proportionnalité de cette disposition doit être examinée, est d’améliorer, ainsi qu’il ressort, notamment, des considérants 1, 2, 6, 8, 13 et 36 de ce règlement, les conditions de travail et la sécurité routière des conducteurs au sein de l’Union, en assurant que ceux-ci disposent d’un lieu d’hébergement de qualité pour la prise de leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire. Le
but de cette disposition est ainsi de remédier à l’absence de règles claires relatives aux temps de repos hebdomadaires. Cet objectif s’inscrit, ainsi qu’il a déjà été relevé au point 250 du présent arrêt, dans le cadre de l’objectif plus général visé par ledit règlement, qui consiste à assurer des conditions commerciales équitables entre les entreprises de transport routier pour faire en sorte que le secteur des transports routiers soit sûr, efficace et socialement responsable, afin de garantir la
non-discrimination et d’attirer des travailleurs qualifiés.

479    La République de Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie, qui ne contestent pas la légitimité de ces différents objectifs, soutiennent que l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 méconnaît, en lui-même, les exigences découlant du principe de proportionnalité.

480    Afin de déterminer si l’interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule, telle que prévue à cette disposition, respecte le principe de proportionnalité, il convient d’examiner si cette mesure est apte à réaliser l’objectif poursuivi par ladite disposition, consistant à améliorer les conditions de travail et la sécurité routière des conducteurs, si elle ne va pas manifestement au-delà de ce qui est nécessaire pour réaliser cet objectif et si elle est proportionnée
au regard dudit objectif.

–       Sur l’aptitude de l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 à réaliser l’objectif poursuivi

481    En ce qui concerne, en premier lieu, l’aptitude de l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 à réaliser l’objectif poursuivi par cette disposition, il convient d’emblée de rappeler que, dans l’arrêt ^ Vaditrans, la Cour a, en substance, jugé, en particulier aux points 31 à 33 et 48 de celui-ci, que l’article 8, paragraphe 8, du règlement n^o 561/2006, dans sa version applicable avant l’entrée en vigueur de cet article 1^er, point 6, sous c), devait, afin d’en préserver l’effet
utile, être interprété, compte tenu également du paragraphe 6 de cet article 8, en ce sens qu’il interdisait la prise des temps de repos hebdomadaires normaux à bord du véhicule. En effet, selon son libellé, ledit article 8, paragraphe 8, ne permettait expressément, et encore sous certaines conditions, que la prise des temps de repos journaliers et des temps de repos hebdomadaires réduits à bord du véhicule.

482    Après avoir indiqué qu’une telle interprétation était corroborée par la genèse de cette dernière disposition ainsi que par le contexte dans lequel elle s’inscrivait, la Cour a souligné que cette interprétation visait manifestement à atteindre les objectifs poursuivis par le règlement n^o 561/2006, consistant en l’amélioration des conditions de travail des conducteurs et de la sécurité routière (arrêt Vaditrans, point 43).

483    En effet, la Cour a précisé que, même si la conception des véhicules et des cabines avait connu des améliorations considérables, il n’en demeurait pas moins qu’une cabine de camion n’apparaissait pas constituer un lieu de repos adapté à des périodes de repos plus longues que les temps de repos journaliers et les temps de repos hebdomadaires réduits et que les conducteurs devaient avoir la possibilité de passer leurs temps de repos hebdomadaires normaux dans un lieu fournissant des conditions
d’hébergement adaptées et adéquates (arrêt Vaditrans, point 44).

484    Dans ce contexte, la Cour a ajouté que, si l’article 8, paragraphe 8, du règlement n^o 561/2006 devait être interprété en ce sens que les temps de repos hebdomadaires normaux peuvent être pris par le conducteur à bord de son véhicule, une telle interprétation impliquerait qu’un conducteur pourrait prendre l’intégralité de ses temps de repos dans la cabine du véhicule, à savoir dans un lieu qui ne fournit pas de conditions d’hébergement adaptées, ce qui ne serait pas susceptible de contribuer
à la réalisation de l’objectif d’amélioration des conditions de travail des conducteurs poursuivi par ce règlement (arrêt Vaditrans, point 45).

485    Il s’ensuit que l’interdiction prévue à l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054, qui codifie l’interprétation fournie par la Cour dans l’arrêt Vaditrans, est apte à contribuer à la réalisation de l’objectif consistant à améliorer les conditions de travail et la sécurité routière des conducteurs.

486    Les arguments avancés par la République de Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie ne sont pas de nature à remettre en cause cette considération.

487    Premièrement, en ce que la République de Bulgarie et la Roumanie font valoir que l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 comporte des précisions supplémentaires par rapport à l’article 8, paragraphe 8, du règlement n^o 561/2006, tel qu’interprété par la Cour dans l’arrêt Vaditrans^, il y a lieu de relever que ^ ^la République de Bulgarie ^ se borne à ^soutenir que l’obligation de prendre le temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire « dans un lieu d’hébergement
adapté aussi bien pour les femmes que pour les hommes, comportant un matériel de couchage et des installations sanitaires adéquats », prévue à cet article 1^er, point 6, sous c), serait une exigence nouvelle résultant de l’adoption du règlement 2020/1054.

488    Or, une telle argumentation ne saurait prospérer.

489    En effet, tout d’abord, la Cour a explicitement souligné, aux points 44 et 45 de l’arrêt Vaditrans, que l’article 8, paragraphe 8, du règlement n^o 561/2006, dans sa version applicable avant l’entrée en vigueur du règlement 2020/1054, devait être interprété en ce sens que le temps de repos hebdomadaire normal doit être pris dans un lieu d’hébergement adapté et adéquat, ce qui implique nécessairement que le matériel de couchage et les installations sanitaires de ce lieu soient appropriés tant
pour les femmes que pour les hommes. Au demeurant, l’exigence d’un « matériel de couchage convenable pour chaque conducteur » figurait déjà explicitement dans le libellé même de cette dernière disposition.

490    Ensuite, la Cour a jugé, au point 44 de l’arrêt Vaditrans, qu’une cabine de camion ne constitue pas un lieu de repos adapté à des périodes de repos plus longues que les temps de repos journaliers et les temps de repos hebdomadaires réduits, visés à cette dernière disposition, lesquels, en vertu de l’article 4, sous g) et h), du règlement n^o 561/2006, se rapportent à des périodes de repos comprises, selon le cas, entre 3 heures et moins de 45 heures. Il s’ensuit nécessairement qu’une période
de temps de repos hebdomadaire d’au moins 45 heures, prise en compensation de la réduction d’un temps de repos hebdomadaire antérieur, ne pouvait pas non plus, en vertu de l’article 8, paragraphe 8, de ce règlement, être prise à bord du véhicule.

491    Enfin, dès lors que le lieu de repos adapté à des périodes de repos plus longues, ainsi mentionné par la Cour au point 44 de l’arrêt Vaditrans, est censé se substituer à la cabine d’un camion pour les repos hebdomadaires normaux, laquelle cabine est, en principe, mise à la disposition du conducteur aux frais de l’employeur, il s’ensuit, tout aussi logiquement, que tout lieu de repos adapté se substituant à la cabine d’un camion doit également être mis à disposition par l’employeur.

492    Il convient, par conséquent, de constater que la circonstance que le législateur de l’Union a, en adoptant l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054, codifié l’interprétation dégagée dans l’arrêt Vaditrans tout en la précisant sur certains aspects est de nature à corroborer l’aptitude de cette disposition à réaliser l’objectif poursuivi.

493    Deuxièmement, contrairement à ce que font valoir la Hongrie et la Roumanie, l’arrêt Vaditrans est pertinent pour l’appréciation de la proportionnalité de l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054, dans la mesure où, ainsi qu’il vient d’être relevé, il ressort de cet arrêt que l’interdiction, pour un conducteur, de prendre les temps de repos hebdomadaires normaux ou compensatoires à bord du véhicule résulte non pas de l’entrée en vigueur de cette dernière disposition, mais de
l’article 8, paragraphe 8, du règlement n^o 561/2006, dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur du règlement 2020/1054. Il est, à cet égard, indifférent que, dans l’arrêt Vaditrans, rendu sur le fondement de l’article 267 TFUE, la Cour n’a pas, faute de demande en ce sens de la juridiction de renvoi dans cette affaire, examiné la question de la proportionnalité de l’article 8, paragraphe 8, du règlement n^o 561/2006, dans sa version applicable avant l’entrée en vigueur de l’article 1^er,
point 6, sous c), du règlement 2020/1054.

494    En effet, si la Hongrie et la Roumanie estimaient que la version antérieure de l’article 8, paragraphe 8, du règlement n^o 561/2006 était invalide ou que la validité de cette disposition exigeait une interprétation différente, il leur était loisible, conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, de le faire valoir dans le cadre de la procédure préjudicielle dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Vaditrans. En revanche, une telle argumentation ne saurait
utilement prospérer au soutien de moyens tendant à l’annulation de l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054.

495    Troisièmement, en ce qui concerne l’argumentation avancée par la République de Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie, tirée de la pénurie d’hébergements adéquats et d’aires de stationnement sûres et sécurisées sur le territoire de l’Union, il convient d’emblée de rappeler que, ainsi qu’il a été souligné au point 471 du présent arrêt, cet état de pénurie a été relevé par la Commission dans son analyse d’impact – volet social, puis dans l’étude de 2019 sur les emplacements de stationnement. Ni le
Parlement ni le Conseil ne contestent d’ailleurs la pénurie d’aires de stationnement sûres et sécurisées.

496    Toutefois, le règlement 2020/1054 a pour objectif d’accroître la protection sociale des conducteurs, tandis que l’amélioration des infrastructures de transport et de stationnement routiers au sein de l’Union fait, pour l’essentiel, l’objet d’autres actes législatifs adoptés sur le fondement de bases juridiques distinctes.

497    En particulier, le règlement RTE-T, adopté sur le fondement de l’article 172 TFUE, lequel exige l’approbation de l’État membre concerné pour les orientations et les projets d’intérêt commun qui concernent son territoire, prévoit, à son article 39, paragraphe 2, sous c), l’aménagement d’aires de repos environ tous les 100 km sur les autoroutes en fonction des besoins de la société, du marché et de l’environnement, afin de mettre à la disposition des usagers commerciaux des zones de
stationnement appropriées présentant un niveau de sécurité et de sûreté adéquat.

498    En outre, il est constant que plusieurs instruments du droit de l’Union prévoient des possibilités de cofinancement par l’Union visant à accélérer et promouvoir la construction d’infrastructures de stationnement adéquates. Il en est ainsi, notamment, du règlement (UE) n^o 1316/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2013, établissant le mécanisme pour l’interconnexion en Europe, modifiant le règlement (UE) n^o 913/2010 et abrogeant les règlements (CE) n^o 680/2007 et (CE)
n^o 67/2010 (JO 2013, L 348, p. 129), ainsi que du règlement délégué (UE) 2016/1649 de la Commission, du 8 juillet 2016, complétant le règlement n^o 1316/2013 (JO 2016, L 247, p. 1), lequel fixe les priorités de financement dans le secteur des transports aux fins des programmes de travail pluriannuels et annuels.

499    L’examen de l’aptitude de l’interdiction énoncée à l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 ne saurait cependant être effectué au regard d’un objectif que cette mesure ne poursuit pas.

500    Il convient, en revanche, de vérifier si, comme le font valoir la République de Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie, compte tenu de la pénurie d’hébergements adéquats ainsi que d’aires de stationnement sûres et sécurisées, l’interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule ne peut être considérée comme étant une mesure apte à réaliser l’objectif consistant à améliorer les conditions de travail des conducteurs. En effet, selon ces États membres, cette pénurie
rendrait excessivement difficile, sinon impossible, le respect de cette interdiction, si bien que celle-ci risquerait d’avoir pour effet de contrecarrer cet objectif en accroissant la fatigue et le stress des conducteurs.

501    À cet égard, il est vrai que la possibilité de respecter les règles relatives aux temps de repos prévues par le règlement n^o 561/2006 peut, de manière générale, dépendre, notamment, de la disponibilité d’hébergements et d’aires de stationnement adéquats [voir, en ce sens, arrêt du 21 décembre 2023, Commission/Danemark (Durée maximale de stationnement), C‑167/22, EU:C:2023:1020, point 45].

502    Toutefois, s’agissant, d’une part, de l’incidence de la pénurie alléguée d’hébergements adéquats sur l’aptitude de l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 à réaliser l’objectif de protection sociale qu’il poursuit, il convient de souligner, tout d’abord, que, ainsi qu’il a déjà été indiqué au point 472 du présent arrêt, cette disposition n’interdit pas aux conducteurs de prendre tout temps de repos, quel qu’il soit, à bord du véhicule, mais s’applique exclusivement aux temps
de repos hebdomadaires normaux ou compensatoires. Ainsi, l’interdiction qu’elle prévoit ne concerne ni les pauses ni les temps de repos journaliers et les temps de repos hebdomadaires réduits.

503    Ensuite, ces temps de repos que l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 interdit aux conducteurs de prendre à bord du véhicule sont précisément ceux pour la prise desquels les entreprises de transport sont tenues, conformément à l’article 1^er, point 6, sous d), de ce règlement, d’organiser le travail des conducteurs de manière à ce que ces derniers soient en mesure de retourner, selon le cas, toutes les trois ou quatre semaines au centre opérationnel de l’employeur ou à leur
lieu de résidence, afin, respectivement, d’y entamer ou d’y passer leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire.

504    Ainsi, contrairement à ce que supposent la République de Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie, la prise des temps de repos hebdomadaires normaux ou compensatoires n’exige pas systématiquement l’accès à des hébergements distincts du lieu de résidence des conducteurs. Comme il ressort du considérant 13 du règlement 2020/1054, ce n’est que lorsque les conducteurs ne prennent pas, comme ils en ont le droit, leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire à leur lieu de résidence qu’ils
doivent, conformément à l’exigence posée à l’article 1^er, point 6, sous c), de ce règlement, disposer d’un hébergement de qualité adapté aussi bien pour les femmes que pour les hommes pour la prise de ces temps de repos. Il en ressort que cette disposition, lue en combinaison avec l’article 1^er, point 6, sous d), dudit règlement, est, en réalité, de nature à remédier, du moins partiellement, à la pénurie de lieux d’hébergement appropriés, relevée par la Commission dans son analyse d’impact – volet
social.

505    Enfin, il est vrai que le considérant 15 du règlement 2020/1054 énonce que les conducteurs peuvent prendre leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire dans un hébergement approprié qui « peut » être adjacent à une aire de stationnement. Il n’en demeure pas moins que, pour le cas où les conducteurs décident de ne pas retourner à l’un des deux lieux spécifiés à l’article 1^er, point 6, sous d), de ce règlement pour y prendre ce temps de repos, ils ne sont nullement tenus,
contrairement à ce que font valoir la République de Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie, de choisir un tel hébergement adjacent à une aire de stationnement. En effet, si l’article 1^er, point 6, sous c), dudit règlement requiert que les conducteurs prennent ledit temps de repos dans un « lieu d’hébergement adapté », il n’exige pas que ce lieu soit adjacent à une aire de stationnement. À cet égard, il ne saurait être raisonnablement attendu d’un conducteur qu’il passe son temps de repos hebdomadaire
d’une durée d’au moins 45 heures à proximité d’une telle aire de stationnement. Or, aucun de ces États membres ne soutient que la pénurie d’infrastructures identifiée par la Commission dans son analyse d’impact – volet social concernerait les lieux d’hébergement qui ne sont pas adjacents à une aire de stationnement et que ces lieux d’hébergement ne seraient pas appropriés.

506    S’agissant, d’autre part, de l’incidence de la pénurie alléguée d’aires de stationnement adéquates sur l’aptitude de l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 à réaliser l’objectif de protection sociale qu’il poursuit, il convient de souligner, tout d’abord, que cette disposition n’impose aucune obligation quant au lieu de stationnement du véhicule. Ainsi, rien n’oblige le conducteur à laisser son véhicule, pendant la prise de son temps de repos hebdomadaire normal ou
compensatoire, sur une aire de stationnement réservée aux poids lourds.

507    Ensuite, comme le Conseil l’a souligné à juste titre, la levée de l’interdiction, pour les conducteurs, de prendre leurs temps de repos hebdomadaires normaux ou compensatoires à bord du véhicule ne permettrait pas de pallier l’insuffisance d’aires de stationnement sûres et sécurisées, mise en exergue par l’analyse d’impact – volet social, puisque, en tout état de cause, un lieu de stationnement resterait nécessaire au cours de la période correspondant à la prise de ces temps de repos. De
surcroît, une telle levée, en ce qu’elle réduirait la possibilité que les conducteurs prennent lesdits temps de repos à leur lieu de résidence après avoir stationné leur véhicule au centre opérationnel de l’employeur, pourrait même contribuer à aggraver la situation de pénurie dénoncée par la République de Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie, dans la mesure où, dans un tel cas, les conducteurs occuperaient davantage les aires de stationnement sûres et sécurisées disponibles.

508    Enfin, s’agissant du risque allégué de vol de chargements, lequel rendrait difficile l’assurabilité de ceux-ci, il convient de souligner que, conformément à l’article 4, sous f) à h), du règlement n^o 561/2006, les conducteurs doivent disposer librement de leur temps de repos, qu’il soit journalier ou hebdomadaire, de sorte qu’ils ne sauraient être tenus pour responsables de la surveillance d’un tel chargement lorsqu’ils prennent leur temps de repos.

509    En tout état de cause, ce risque résulte non pas de la mesure spécifique d’interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule, instituée par l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054, mais, plus généralement, de la pénurie d’aires de stationnement sûres et sécurisées, étant toutefois rappelé que les conducteurs sont autorisés à prendre tous leurs autres temps de repos à bord d’un véhicule en stationnement.

510    Ainsi, s’il est vrai que, selon l’étude de 2019 sur les emplacements de stationnement, le vol de chargements dans l’Union implique la perte de plus de 8,2 milliards d’euros, il ne ressort pas de cette étude que cette perte résulterait spécifiquement de vols commis pendant la prise, par les conducteurs, de leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire, que l’article 8, paragraphe 8, du règlement n^o 561/2006, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du règlement 2020/1054,
interdisait déjà de prendre à bord du véhicule.

511    Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que l’interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule est une mesure inapte à réaliser l’objectif d’amélioration des conditions de travail et de sécurité routière des conducteurs au motif que son entrée en vigueur n’a pas été subordonnée à la mise en place d’infrastructures appropriées en matière d’hébergement et d’aires de stationnement.

512    Il convient, au demeurant, de relever que le législateur de l’Union a introduit, par l’article 1^er, point 7, du règlement 2020/1054, un article 8 bis dans le règlement n^o 561/2006, article qui contient, ainsi qu’il ressort des considérants 15, 17 et 18 du règlement 2020/1054, des dispositions spécifiques destinées à favoriser l’aménagement d’aires de stationnement de haute qualité par l’élaboration de normes minimales ainsi que l’amélioration de l’accessibilité des informations relatives
aux installations de repos disponibles. Or, de telles améliorations devraient être de nature à faciliter la planification par l’employeur des activités du conducteur, afin que celui-ci puisse rejoindre une aire de stationnement correspondant à ce que cet employeur estime approprié aux marchandises transportées.

513    En effet, tout d’abord, à son paragraphe 2, l’article 8 bis du règlement n^o 561/2006, tel qu’introduit par l’article 1^er, point 7, du règlement 2020/1054, délègue à la Commission le pouvoir d’élaborer des normes précisant davantage le niveau de service et de sécurité des aires de stationnement, notamment concernant les installations sanitaires adaptées pour les femmes et pour les hommes, ainsi que des procédures de certification. En outre, à son paragraphe 1, ce même article 8 bis fait
obligation à la Commission de veiller à ce que les conducteurs puissent accéder facilement aux informations concernant les aires de stationnement sûres et sécurisées, ainsi que de publier sur un site internet officiel régulièrement mis à jour une liste des aires de stationnement certifiées.

514    Le fait allégué par la Roumanie que la Commission n’aurait pas publié cette liste, s’il pourrait, le cas échéant, constituer un manquement de celle-ci, ne saurait, en revanche, aucunement démontrer que le législateur de l’Union, en adoptant l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054, a pris une mesure qui est inapte à réaliser l’objectif qu’il poursuit.

515    Ensuite, conformément à l’article 8 bis, paragraphe 4, du règlement n^o 561/2006, la Commission est chargée de présenter au Parlement et au Conseil, au plus tard le 31 décembre 2024, un rapport sur la disponibilité d’installations de repos appropriées pour les conducteurs et de parcs de stationnement sécurisés ainsi que sur l’aménagement d’aires de stationnement sûres et sécurisées certifiées.

516    Enfin, l’article 8 bis, paragraphe 3, second alinéa, du règlement n^o 561/2006 réitère le fait qu’il incombe aux États membres, conformément à l’article 39, paragraphe 2, sous c), du règlement RTE–T, d’encourager la création de zones de stationnement pour les usagers commerciaux, le considérant 19 du règlement 2020/1054 rappelant, en outre, l’importance de la disponibilité de possibilités suffisantes de cofinancement par l’Union afin d’accélérer et de promouvoir la construction
d’infrastructures de stationnement adéquates.

517    Contrairement à ce que soutient la République de Bulgarie, ces obligations, loin de démontrer l’inaptitude de l’article 1^er, point 6, sous c), de ce règlement à réaliser l’objectif poursuivi, font, tout au contraire, ressortir que le législateur de l’Union reste attentif à la question de la pénurie des aires de stationnement.

518    S’agissant encore de l’argument de la République de Bulgarie selon lequel, faute de délai imparti aux États membres pour garantir des infrastructures adéquates, certains d’entre eux pourraient être incités à ne pas accroître le nombre de ces infrastructures afin de limiter les prestations de services fournies sur leur territoire par des entreprises de transport établies dans d’autres États membres, il doit être rejeté comme étant spéculatif, en l’absence de tout élément probant de nature à en
étayer le bien‑fondé.

519    Il ressort ainsi de l’ensemble des considérations qui précèdent que le fait qu’il existe une pénurie d’hébergements adéquats ainsi que d’aires de stationnement sûres et sécurisées sur le territoire de l’Union n’est pas de nature à démontrer le caractère inapte, pour réaliser l’objectif visé par le règlement 2020/1054, de l’interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule, instituée par l’article 1^er, point 6, sous c), de ce règlement.

520    Quatrièmement, en ce qui concerne l’argumentation de la République de Bulgarie et de la Roumanie relative à la prétendue insécurité juridique entourant l’interprétation et l’application de l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054, il convient de relever que le législateur de l’Union a entendu assurer, par cette disposition, une application uniforme de l’interdiction de prendre les temps de repos hebdomadaires normaux ou compensatoires à bord du véhicule et l’obligation
corrélative de prendre ceux-ci dans un lieu d’hébergement adapté. En effet, l’article 8, paragraphe 8, du règlement n^o 561/2006, dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur du règlement 2020/1054, avait pu donner lieu à des incertitudes en raison des divergences d’interprétation et d’application de cette disposition par les autorités nationales compétentes, qui avaient été mises en exergue par l’analyse d’impact – volet social (partie 1/2, p. 5, 18 et 23).

521    Or, contrairement à ce que soutient la République de Bulgarie, les termes « lieu d’hébergement adapté aussi bien pour les femmes que pour les hommes, comportant un matériel de couchage et des installations sanitaires adéquats », figurant à l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054, ne souffrent d’aucune ambiguïté. Le fait que les contours de cette expression sont suffisamment flexibles pour inclure une gamme relativement large d’hébergements dans lesquels un conducteur peut
prendre son temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire, loin de mettre en cause l’aptitude de cette disposition à réaliser l’objectif poursuivi par celle-ci, est, tout au contraire, ainsi que le Parlement l’a fait valoir à juste titre, de nature à renforcer celle-ci. À cet égard, l’allégation de la République de Bulgarie selon laquelle les États membres retiendront probablement des interprétations divergentes de ladite disposition est spéculative et doit donc être rejetée pour ce seul
motif.

522    Quant au risque de disparité des sanctions prévues par les législations nationales en cas de violation de l’interdiction en cause, mis en exergue par la Roumanie, il est vrai que le règlement 2020/1054 n’a pas procédé à l’harmonisation du régime de sanctions des États membres en la matière. Toutefois, ce risque est fortement circonscrit par l’obligation incombant à ceux-ci, en vertu de l’article 19, paragraphe 1, du règlement n^o 561/2006, dans sa rédaction issue de l’article 1^er, point 16,
du règlement 2020/1054, de prévoir, ainsi que le souligne également le considérant 23 de ce dernier règlement, des sanctions effectives et proportionnées à la gravité de l’infraction ainsi que dissuasives et non discriminatoires, aucune infraction ne pouvant, par ailleurs, donner lieu à plus d’une sanction ou plus d’une procédure. Il ne saurait donc être considéré que le risque de disparité des sanctions rend l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 inapte à réaliser l’objectif qu’il
poursuit.

–       Sur le caractère nécessaire de l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054

523    En ce qui concerne, en deuxième lieu, le caractère nécessaire de l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 et, plus particulièrement, l’argumentation portant sur l’existence de mesures prétendument moins contraignantes que celle adoptée à cette disposition, il convient d’observer que la République de Bulgarie se borne à évoquer une série de mesures dont la plupart ont été discutées au cours de la procédure législative, sans cependant avoir été retenues par le législateur de
l’Union à l’issue de cette procédure dans la version finale de l’acte législatif adopté.

524    Or, les mesures envisagées par cet État membre, qui ont pour point commun d’autoriser, d’une manière ou d’une autre, la prise du temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule en laissant le libre choix aux conducteurs, ne permettraient pas nécessairement de réaliser l’objectif poursuivi par le législateur de l’Union, consistant à améliorer les conditions de travail et la sécurité routière des conducteurs, puisqu’elles pourraient aboutir, dans l’hypothèse où elles
seraient mises en œuvre, à ce que les conducteurs prennent régulièrement l’intégralité de leurs temps de repos hebdomadaires normal ou compensatoire à bord du véhicule. En effet, le conducteur constituant, ainsi qu’il a déjà été relevé au point 174 du présent arrêt, la partie faible dans la relation de travail avec son employeur, de telles mesures comporteraient le risque que le choix du conducteur ne soit pas complètement libre et qu’il puisse subir des pressions pour effectuer un choix qui soit
favorable aux intérêts de l’employeur. De même, l’instauration de dérogations comporterait le risque que les conducteurs prennent leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire dans un endroit inapproprié, ce qui impliquerait une régression de leur protection sociale.

525    Du reste, si, comme la République de Bulgarie l’a mis en exergue, la Commission a envisagé, dans l’analyse d’impact – volet social (partie 1/2, p. 44 à 47), l’option consistant à permettre aux conducteurs de prendre leurs temps de repos hebdomadaires normaux à bord du véhicule à condition qu’il s’agisse d’un libre choix de leur part ou que cela soit justifié par les circonstances, elle a précisé, dans cette même analyse d’impact – volet social (partie 1/2, p. 49), que cette option pourrait
conduire, compte tenu, en particulier, de la difficulté de vérifier le caractère libre du choix des conducteurs, à une augmentation des abus intentionnels, en ce sens que ces temps de repos seraient pris, délibérément et systématiquement, à bord du véhicule.

526    En ce qui concerne, dans ce contexte, l’argumentation de la République de Bulgarie, de la Roumanie et de la Hongrie, tirée du confort des véhicules, il est vrai que la Commission a relevé, dans son analyse d’impact – volet social (partie 1/2, p. 18), finalisée avant le prononcé de l’arrêt Vaditrans, que les véhicules offrent souvent de meilleures conditions d’hébergement que les autres possibilités disponibles.

527    Toutefois, d’une part, dans cette même analyse d’impact – volet social (partie 1/2, p. 73 à 75), la Commission est parvenue à la conclusion, après avoir mis en balance les avantages et les inconvénients des différentes options envisagées, que l’interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule était l’option la plus appropriée afin de réduire le stress et la fatigue des conducteurs, si bien qu’elle a prévu une telle interdiction à l’article 1^er, point 5, sous c),
de la proposition de règlement « temps de travail ».

528    D’autre part, le législateur de l’Union, dans l’exercice de la large marge d’appréciation qui lui revient, a pu considérer, à l’instar de la Cour au point 45 de l’arrêt Vaditrans, que la réalisation de l’objectif d’amélioration des conditions de travail des conducteurs excluait que l’intégralité des temps de repos puisse être prise dans la cabine du véhicule, un tel lieu ne fournissant pas des conditions d’hébergement adaptées pour la prise des temps de repos les plus longs.

529    Quant à la mesure, évoquée par la République de Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie, consistant à instituer une période transitoire afin de reporter l’entrée en vigueur de l’interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord de son véhicule, elle ne saurait, à l’évidence, constituer une option alternative moins restrictive. En effet, une telle interdiction était déjà en vigueur lors de l’adoption du règlement 2020/1054, puisque, ainsi qu’il ressort des points 30, 31 et 48 de
l’arrêt Vaditrans, elle résulte de l’article 8, paragraphe 8, du règlement n^o 561/2006, dans sa version applicable avant l’entrée en vigueur de l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054. Dans ces conditions, l’institution d’une telle période transitoire serait revenue à limiter dans le temps la portée de cet arrêt, alors que la Cour n’a pas jugé nécessaire de le faire.

–       Sur le caractère proportionné de l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054

530    En ce qui concerne, en troisième lieu, le caractère proportionné de l’interdiction énoncée à l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054, il y a lieu de rappeler, tout d’abord, l’importance que revêt, selon le préambule du traité FUE, le « but essentiel » de l’amélioration constante des conditions de vie et d’emploi que le législateur de l’Union est appelé, en vertu des articles 9 et 90 TFUE, à prendre pleinement en compte dans le cadre de l’exercice de ses compétences dans le
domaine de la politique commune des transports. Or, comme la Cour l’a relevé, en substance, dans l’arrêt Vaditrans (points 44 et 45), une cabine de camion ne fournit pas de conditions d’hébergement adaptées à des périodes de repos plus longues que les temps de repos journaliers et les temps de repos hebdomadaires réduits. Ainsi, les conducteurs ne sauraient passer les temps de repos hebdomadaires normaux et compensatoires dans une telle cabine, sans qu’il soit porté atteinte à l’objectif
d’amélioration de leurs conditions de travail.

531    Ensuite, il convient de relever que, à l’instar de l’article 8, paragraphe 8, du règlement n^o 561/2006 qu’il modifie, l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 n’interdit pas aux conducteurs, ainsi qu’il a été rappelé aux points 472 et 502 du présent arrêt, de prendre tout temps de repos à bord du véhicule, mais s’oppose uniquement à ce qu’ils y prennent leurs temps de repos hebdomadaires normaux ou compensatoires. Ainsi, les conducteurs restent en droit de prendre à bord du
véhicule toutes leurs pauses ainsi que leurs temps de repos journaliers et leurs temps de repos hebdomadaires réduits.

532    De plus, conformément à l’article 8, paragraphe 6, premier alinéa, sous b), du règlement n^o 561/2006, dans sa version issue de l’article 1^er, point 6, sous a), du règlement 2020/1054, les temps de repos hebdomadaires normaux peuvent n’être pris, comme le permettait déjà l’article 8, paragraphe 6, premier alinéa, second tiret, du règlement n^o 561/2006, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du règlement 2020/1054, que toutes les deux semaines, ce qui est de nature à limiter
davantage la portée de l’interdiction de passer des temps de repos hebdomadaires normaux dans une cabine de camion.

533    Enfin, par l’article 1^er, point 6, sous a), du règlement 2020/1054, le législateur de l’Union a inséré un troisième alinéa à l’article 8, paragraphe 6, du règlement n^o 561/2006, qui permet désormais, à titre dérogatoire par rapport à la règle générale prévue au premier alinéa de cet article 8, paragraphe 6, à un conducteur effectuant un transport international de marchandises, moyennant le respect de certaines conditions, de prendre, en dehors de l’État membre dans lequel son employeur est
établi, deux temps de repos hebdomadaires réduits, lesquels peuvent être pris à bord du véhicule, ces temps de repos ne relevant pas de l’interdiction édictée à l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054. En introduisant cette possibilité, qui était exclue par l’article 8, paragraphe 6, du règlement n^o 561/2006, dans sa rédaction antérieure à l’entrée en vigueur du règlement 2020/1054, le législateur de l’Union a ainsi entendu offrir davantage de flexibilité aux conducteurs qui
effectuent de longues distances, en leur permettant de prendre l’ensemble de leurs temps de repos à bord du véhicule pendant trois semaines consécutives.

534    Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 entraîne des inconvénients manifestement disproportionnés par rapport à l’objectif poursuivi par cette disposition.

535    Aucun des arguments avancés par la République de Bulgarie, la Roumanie et la Hongrie n’est de nature à mettre en cause ces considérations.

536    Premièrement, en ce qui concerne l’argumentation tirée des coûts supplémentaires significatifs qu’impliquerait la mise en œuvre de l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 pour les entreprises de transport, en particulier pour les PME, il suffit de rappeler que l’interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule résulte non pas de l’entrée en vigueur de cette disposition, mais, ainsi qu’il a été jugé, en substance, par la Cour aux points 30, 31 et
48 de l’arrêt Vaditrans, de l’article 8, paragraphe 8, du règlement n^o 561/2006, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du règlement 2020/1054. L’article 1^er, point 6, sous c), de ce dernier règlement ne saurait donc, en lui‑même, être la source de coûts supplémentaires significatifs.

537    Par ailleurs, s’il est vrai que l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 impose désormais explicitement à l’employeur de prendre en charge tous les frais liés à la prise d’un temps de repos à l’extérieur du véhicule, il n’en demeure pas moins que, comme il ressort de l’analyse d’impact – volet social (partie 1/2, p. 64), de nombreux employeurs assumaient déjà la prise en charge de tels frais avant l’entrée en vigueur de ce règlement. En outre, cette prise en charge n’est
exigée que lorsque le conducteur choisit, comme il en a le droit, de ne pas user de la possibilité que son employeur doit lui assurer, conformément à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, de retourner, toutes les trois ou quatre semaines, selon le cas, au centre opérationnel de cet employeur ou au lieu de sa résidence pour y entamer ou y passer son temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire. Enfin, cette obligation de prise en charge s’entend sans préjudice du droit de
l’entreprise de transport de choisir, dans cette dernière hypothèse, l’hébergement ou le type d’hébergement dont elle prendra en charge les frais, pour autant que cet hébergement satisfasse aux exigences découlant de ladite disposition.

538    Dans ces conditions, il apparaît que l’estimation ressortant de l’étude de KPMG sur la Bulgarie, mentionnée au point 458 du présent arrêt, selon laquelle les frais que devront exposer les transporteurs bulgares en raison de la mesure prévue à l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 s’élèveraient à 143 millions d’euros, ne peut être considérée comme probante, puisqu’elle se fonde sur la prémisse erronée selon laquelle cette disposition impose une nouvelle interdiction et
oblige les conducteurs à prendre les temps de repos systématiquement à l’extérieur de leur lieu de résidence en stationnant leur véhicule sur des aires sûres et sécurisées.

539    Deuxièmement, en ce qui concerne l’argumentation relative au risque de sanctions et de perte d’honorabilité de l’entreprise de transport, au sens de l’article 6 du règlement n^o 1071/2009, la République de Bulgarie ne saurait prétendre établir le caractère disproportionné de l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 en spéculant sur la fréquence des comportements violant l’interdiction prévue à cette dernière disposition. À cet égard, c’est à tort que cet État membre soutient,
par ailleurs, que cette interdiction serait impossible à respecter, en se fondant sur la prémisse erronée, relevée au point 505 du présent arrêt, selon laquelle ladite disposition imposerait aux conducteurs de prendre leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire dans un hébergement adjacent à une aire de stationnement.

540    Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de constater que l’interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule, prévue à l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054, ne va pas manifestement au-delà de ce qui est nécessaire pour réaliser l’objectif poursuivi par cette interdiction.

541    Dès lors, il convient de rejeter le quatrième moyen invoqué par la République de Bulgarie, le premier moyen pris en sa première branche invoqué par la Roumanie et le moyen unique invoqué par la Hongrie comme étant non fondés.

b)      Sur la violation des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination

1)      Argumentation des parties

542    La République de Bulgarie, par son cinquième moyen pris en sa seconde branche, et la Roumanie, par son troisième moyen pris en sa première branche, font valoir que l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 ne respecte pas les exigences découlant du principe de non-discrimination prévu à l’article 18 TFUE. La République de Bulgarie invoque également une violation des articles 20 et 21 de la Charte, du principe d’égalité des États membres, consacré à l’article 4, paragraphe 2,
TUE, ainsi que, « dans la mesure où la Cour le jugerait nécessaire », de l’article 95, paragraphe 1, TFUE.

543    Selon ces deux États membres, l’interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule méconnaît les principes d’égalité de traitement et de non–discrimination au détriment tant des entreprises de transport établies dans les États membres situés à la périphérie de l’Union que des conducteurs employés par ces entreprises. En effet, il serait nettement plus aisé pour les entreprises de transport établies dans les États membres situés au centre de l’Union et pour leurs
conducteurs de respecter cette interdiction que pour les entreprises de transport établies dans les États membres situés à la périphérie de l’Union et pour leurs conducteurs. En outre, au sein d’un même État membre, l’interdiction en cause créerait une discrimination entre les conducteurs locaux et ceux d’autres États membres. Les conducteurs nationaux qui assurent des opérations de transport dans leur propre État membre ne seraient pas affectés par l’absence de lieux appropriés d’hébergement et
d’aires sécurisées et sûres de stationnement, puisqu’ils pourraient être hébergés à leur domicile et stationner leurs poids lourds dans le centre opérationnel de l’employeur. Tel ne serait pas le cas des conducteurs employés par les entreprises de transport établies dans les États membres situés à la périphérie de l’Union, qui effectuent des opérations de transport international et qui, en raison de l’absence de lieux appropriés d’hébergement et d’aires sécurisées et sûres de stationnement, seraient
contraints de ne pas respecter ladite interdiction, augmentant les dépenses des entreprises de transport, dont la plupart sont des PME.

544    À cet égard, la Roumanie ajoute que le fait que les États membres développent différemment les infrastructures de stationnement et d’hébergement et qu’ils diffèrent également entre eux selon qu’ils se trouvent à la périphérie de l’Union ou à proximité du « centre nerveux » des transports routiers de l’Union rend l’intervention du législateur de l’Union d’autant plus disproportionnée. Étant donné que le réseau des aires de stationnement serait sous-développé dans les États membres de transit,
l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 affecterait principalement les entreprises de transport établies dans les États membres situés à la périphérie de l’Union.

545    La Roumanie estime, en outre, que l’évaluation des effets sur le marché des transports des dispositions du règlement 2020/1054 ne peut être effectuée sans tenir compte du règlement 2020/1055 et de la directive 2020/1057, lesquels font également partie du « Paquet mobilité ». Une appréciation globale de ce train de mesures mettrait ainsi en évidence le caractère discriminatoire de la réglementation adoptée par le législateur de l’Union au détriment des entreprises de transport établies dans
les États membres situés à la périphérie de l’Union au regard de la possibilité concrète de fournir des services de transport dans l’Union. En effet, étant donné que les mesures attaquées du « Paquet mobilité » imposent des coûts importants et fixent des obligations onéreuses, qui touchent, en particulier, les entreprises de transport établies dans les États membres situés à la périphérie de l’Union, ceux–ci verraient leur compétitivité de facto réduite à néant. La protection sociale des conducteurs
ne pourrait être garantie en l’absence de mesures appropriées pour soutenir l’exercice de la libre prestation de services par les entreprises de transport.

546    Le Parlement et le Conseil estiment que ces moyens et ces arguments sont dénués de fondement.

2)      Appréciation de la Cour

547    À titre liminaire, il convient de rejeter comme irrecevable, pour les mêmes motifs que ceux figurant au point 307 du présent arrêt, l’allégation de la République de Bulgarie concernant la violation de l’article 95, paragraphe 1, TFUE, cet État membre se bornant à évoquer une telle violation « dans la mesure où la Cour le jugerait nécessaire », sans fournir d’argumentation spécifique à cet égard.

548    Cela étant précisé, s’agissant du bien-fondé des présents moyens et arguments, il est constant que, en l’occurrence, la règle édictée à l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054, en ce qu’elle impose aux entreprises de transport d’assurer, à leurs frais, que leurs conducteurs prennent leurs temps de repos hebdomadaires normaux ou compensatoires non à bord du véhicule mais dans un lieu d’hébergement adapté aussi bien pour les femmes que pour les hommes et qui comporte un
matériel de couchage ainsi que des installations sanitaires adéquats, s’applique indistinctement à tous les employeurs concernés, quel que soit l’État membre dans lequel ils sont établis, à tous les conducteurs concernés, quels que soient leur nationalité et l’État membre de leur résidence, ainsi qu’à tous les États membres, de sorte qu’elle ne comporte pas de discrimination directe interdite par le droit de l’Union.

549    Il convient, dès lors, d’examiner, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 308 à 310 du présent arrêt, si, par l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054, le législateur de l’Union a appliqué de manière injustifiée une règle identique à des situations différentes, à la lumière, notamment, de l’objectif poursuivi par cette disposition, ce qui serait, de ce fait, constitutif d’une discrimination indirecte interdite par le droit de l’Union, en ce que, ainsi que le font,
en substance, valoir les États membres requérants, elle serait, par sa nature même, susceptible d’affecter davantage les entreprises de transport établies dans des États membres situés, selon eux, à la « périphérie de l’Union », les conducteurs employés par ces entreprises et ce groupe d’États membres.

550    À cet égard, l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 vise, comme il a été relevé au point 478 du présent arrêt, à améliorer les conditions de travail et la sécurité routière des conducteurs au sein de l’Union, en assurant que ces derniers disposent d’un lieu d’hébergement de qualité pour la prise de leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire, afin de protéger en particulier, ainsi qu’il ressort des considérants 8 et 13 de ce règlement, les conducteurs effectuant
des opérations de transport international sur de longues distances et qui passent de longues périodes loin de leur lieu de résidence. 

551    Or, force est de constater que tous les conducteurs employés dans l’Union se trouvent dans une situation comparable en ce qui concerne leur droit à la prise du temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire dans un hébergement de qualité. En effet, l’ensemble de ces conducteurs, quels que soient leur nationalité et l’État membre dans lequel est établi leur employeur, doivent être en mesure de prendre ce temps de repos dans un hébergement de nature à leur assurer de bonnes conditions de
travail et à garantir la sécurité routière.

552    En ce qui concerne, en premier lieu, l’existence, alléguée par la République de Bulgarie et la Roumanie, d’une prétendue discrimination entre les conducteurs effectuant des transports internationaux employés dans certains États membres et les conducteurs effectuant des transports nationaux employés dans un État membre situé au « centre de l’Union », il ne saurait, certes, être exclu que l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 soit susceptible d’affecter davantage les
conducteurs effectuant des opérations de transport international à destination d’États membres éloignés géographiquement de l’État membre dans lequel leur employeur est établi, puisque ces conducteurs pourraient éprouver plus de difficultés que les conducteurs locaux ou nationaux à prendre leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire à leur lieu de résidence et seraient ainsi davantage exposés à l’insuffisance actuelle d’infrastructures appropriées d’hébergement et de stationnement.

553    Toutefois, cette différence d’incidence pour les conducteurs effectuant des transports internationaux résulte de la nature différente des opérations de transport réalisées par ces conducteurs, laquelle est reflétée également dans les dispositions de l’article 91, paragraphe 1, sous a) et b), TFUE. En effet, les opérations de transport international sont, davantage que les opérations de transport national, susceptibles d’être effectuées sur des distances éloignées du lieu de résidence des
conducteurs et de celui dans lequel leur employeur est établi.

554    À cet égard, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 433 de ses conclusions, permettre, conformément à la thèse développée par la République de Bulgarie et la Roumanie, aux conducteurs effectuant des transports internationaux de prendre leurs temps de repos hebdomadaires normaux ou compensatoires à bord du véhicule, qui n’est pas un lieu adapté pour passer de telles longues périodes de repos, comporterait un degré encore plus élevé de discrimination par rapport aux conducteurs
nationaux, qui peuvent, quant à eux, plus aisément prendre ce temps de repos à leur lieu de résidence.

555    En ce qui concerne, en deuxième lieu, l’existence, invoquée par la République de Bulgarie et la Roumanie, d’une prétendue discrimination entre, d’une part, les entreprises de transport établies dans les États membres situés à la « périphérie de l’Union » qui effectuent des opérations de transport international, ainsi que les conducteurs qu’elles emploient, et, d’autre part, les entreprises de transport établies dans les États membres situés au « centre de l’Union » qui effectuent de telles
opérations, ainsi que les conducteurs qu’elles emploient, il est vrai que, comme il ressort du point 552 du présent arrêt, l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 pourrait affecter davantage les entreprises de transport, quel que soit l’État membre dans lequel elles sont établies, qui ont opté pour un modèle d’exploitation économique consistant à fournir l’essentiel, sinon l’intégralité, de leurs prestations de services à des destinataires établis dans des États membres éloignés du
premier État membre et dont les conducteurs accomplissent ainsi leurs opérations de transport loin de leur lieu de résidence.

556    Toutefois, ainsi qu’il a déjà été indiqué au point 321 du présent arrêt, le législateur de l’Union est en droit, compte tenu des évolutions importantes ayant affecté le marché intérieur, d’adapter un acte législatif, afin de procéder à un rééquilibrage des intérêts en présence dans le but d’accroître la protection sociale des conducteurs par la modification des conditions dans lesquelles s’exerce la libre prestation de services de leurs employeurs et de garantir une concurrence équitable.

557    Ainsi qu’il a été relevé au point 322 du présent arrêt, une disposition du droit de l’Union ne saurait donc être considérée comme étant, en elle-même, contraire aux principes d’égalité de traitement et de non-discrimination au seul motif qu’elle entraîne des conséquences différentes pour certains opérateurs économiques, lorsque cette situation est la conséquence de conditions d’exploitation différentes dans lesquelles ils sont placés, notamment en raison de leur implantation géographique, et
non pas d’une inégalité en droit qui serait inhérente à la disposition attaquée.

558    En l’occurrence, le législateur de l’Union a précisément visé à assurer, ainsi qu’il a déjà été indiqué au point 282 du présent arrêt, un nouvel équilibre entre, d’une part, l’intérêt des conducteurs à bénéficier de meilleures conditions de travail et, d’autre part, l’intérêt des employeurs à exercer leurs activités de transport dans des conditions commerciales équitables, de telle sorte que le secteur des transports routiers soit sûr, efficace et socialement responsable.

559    Dans ce contexte, l’interdiction édictée à l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054, loin d’engendrer des conditions de concurrence inéquitables pour les entreprises de transport, vise, tout au contraire, comme il ressort de l’analyse d’impact – volet social (partie 1/2, p. 17, 18 et 23), à remédier aux inégalités de traitement qui avaient pu auparavant résulter, en raison des différentes interprétations et applications de l’article 8, paragraphe 8, du règlement n^o 561/2006
retenues par les autorités nationales compétentes, de l’application de régimes nationaux de sanctions disparates dans les États membres. En effet, c’est aux fins d’assurer, par une règle d’harmonisation plus claire, une application uniforme de l’interdiction de prendre le temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule que le législateur de l’Union a procédé à la codification de l’interprétation de cet article 8, paragraphe 8, dégagée par la Cour dans l’arrêt Vaditrans.

560    Ainsi que le Conseil l’a souligné à juste titre, ce sont précisément les conducteurs dont les employeurs fournissent l’essentiel de leurs prestations de services de transport à des destinataires établis dans des États membres éloignés de l’État membre dans lequel ils sont établis, et qui accomplissent donc leurs opérations de transport loin du lieu de leur résidence, qui ont le plus besoin de la protection résultant de la règle d’harmonisation prévue à l’article 1^er, point 6, sous c), du
règlement 2020/1054, ce qui permet, en tout état de cause, d’établir le caractère objectif et approprié des critères sur lesquels le législateur de l’Union a fondé son choix pour réaliser l’objectif d’amélioration des conditions de travail que cette disposition poursuit. 

561    Du reste, ainsi qu’il a été indiqué au point 533 du présent arrêt, le législateur de l’Union, toujours en vue d’assurer un équilibre adéquat entre les différents intérêts en présence, tout en visant à réaliser l’objectif de protection sociale poursuivi, a modifié, par l’article 1^er, point 6, sous a), du règlement 2020/1054, l’article 8, paragraphe 6, du règlement n^o 561/2006, afin de permettre, à titre dérogatoire, et dans le respect de certaines conditions, à un conducteur effectuant un
transport international de marchandises de prendre, en dehors de l’État membre dans lequel son employeur est établi, deux temps de repos hebdomadaires réduits, lesquels peuvent être pris à bord du véhicule.

562    Par ailleurs, l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 vise précisément à atténuer la difficulté évoquée au point 552 du présent arrêt, en imposant aux employeurs d’organiser le travail des conducteurs de telle sorte que ces derniers soient en mesure, s’ils le souhaitent, de retourner, toutes les trois ou quatre semaines, selon le cas, au centre opérationnel de leur employeur ou à leur lieu de résidence.

563    En ce qui concerne, en troisième lieu, l’existence, évoquée par la République de Bulgarie, d’une prétendue discrimination entre les États membres contraire au principe d’égalité de ceux-ci devant les traités, consacré à l’article 4, paragraphe 2, TUE, les critiques de cet État membre doivent être rejetées. En effet, à supposer même que certains États membres soient indirectement affectés plus que d’autres par l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054, nonobstant son caractère
indistinctement applicable, un acte de l’Union ayant pour objet d’égaliser les normes des États membres, pour autant qu’il s’applique de façon égale à l’ensemble de ceux-ci, ne saurait, conformément à la jurisprudence de la Cour rappelée au point 332 du présent arrêt, être considéré comme étant discriminatoire, un tel acte d’harmonisation créant inévitablement des effets divergents selon l’état antérieur des différentes législations et pratiques nationales.

564    Dans ces conditions, il ne saurait être considéré que le législateur de l’Union a excédé, en méconnaissance de la jurisprudence rappelée aux points 313 et 314 du présent arrêt, les limites de la large marge d’appréciation qui lui revient, en adoptant l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 dans le cadre de l’exercice des compétences qui lui sont conférées par le traité FUE en vue d’améliorer les conditions de travail et la sécurité routière de tous les conducteurs au sein de
l’Union dans son ensemble.

565    Enfin, pour autant que la Roumanie, par ses arguments tirés de la violation du principe d’égalité de traitement, entend dénoncer l’incidence disproportionnée de l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 sur les entreprises de transport établies dans les États membres situés à la « périphérie de l’Union », son argumentation relève, ce que cet État membre souligne lui-même, de la violation du principe de proportionnalité. Elle doit donc être rejetée pour les mêmes motifs que ceux
exposés aux points 481 à 540 du présent arrêt.

566    Ces considérations ne sont pas susceptibles d’être remises en cause, ainsi qu’il ressort déjà du point 333 du présent arrêt, par l’allégation de la Roumanie concernant l’effet discriminatoire global qui résulterait de l’ensemble des dispositions relevant du « Paquet mobilité », faisant l’objet des recours introduits par cet État membre dans les affaires C‑546/20 à 548/20. En effet, la Roumanie n’a pas démontré, dans l’affaire C‑546/20, qu’une discrimination découlerait de l’article 1^er,
point 6, sous c), du règlement 2020/1054. Pour le surplus, les critiques de cet État membre portant sur le règlement 2020/1055 et la directive 2020/1057 doivent être examinées dans le cadre des moyens et arguments avancés par celui-ci à l’appui de ses recours dans les affaires C‑547/20 et 548/20 au soutien de ses demandes visant à l’annulation de tout ou partie de ces actes de l’Union.

567    En conséquence, il convient de rejeter le cinquième moyen pris en sa seconde branche invoqué par la République de Bulgarie comme étant, pour partie, irrecevable et, pour partie, non fondé, ainsi que le troisième moyen pris en sa première branche invoqué par la Roumanie comme étant non fondé.

c)      Sur la violation des dispositions du traité FUE relatives à la libre prestation de services

1)      Argumentation des parties

568    La Roumanie fait valoir, dans le cadre de son premier moyen pris en sa première branche, tiré de la violation du principe de proportionnalité, que l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 méconnaît également les dispositions du droit de l’Union en matière de libre prestation des services de transport dans le marché intérieur. En effet, la mise en œuvre de l’interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule aboutirait à une restriction de cette
liberté, au sens de l’article 58, paragraphe 1, TFUE, puisque les itinéraires de transport seraient, pour une durée indéterminée, limités aux trajets qui peuvent être effectués dans un délai ne contraignant pas le conducteur à prendre un temps de repos hebdomadaire ou seraient déterminés en fonction de la présence d’aires de stationnement sûres et sécurisées. En raison de cette limitation, la mesure entraînera, selon la Roumanie, la fragmentation du marché intérieur, avec pour conséquence un recul
dans la réalisation de l’objectif de développement durable de ce marché, tel que le prévoit l’article 3 TUE, qui est également l’un des objectifs définis par la Commission dans son analyse d’impact – volet social (partie 1/2, p. 39).

569    Le Parlement et le Conseil estiment que ces arguments ne sont pas fondés.

2)      Appréciation de la Cour

570    Il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort des points 352 à 358 du présent arrêt, la libre prestation des services de transport relève, conformément à l’article 58, paragraphe 1, TFUE, non pas du régime général institué à l’article 56 TFUE, mais d’un régime spécifique, dans le cadre duquel les entreprises de transport disposent d’un droit à la libre prestation de services exclusivement dans la mesure où ce droit leur a été octroyé par le biais de mesures de droit dérivé adoptées par le
législateur de l’Union, à l’instar du règlement 2020/1054, sur le fondement des dispositions du traité FUE relatives à la politique commune des transports, en particulier de l’article 91, paragraphe 1, TFUE.

571    Dans la mesure où l’article 58, paragraphe 1, TFUE a ainsi pour seul objet d’exclure la libre prestation des services de transport des dispositions générales du traité FUE relatives à la libre prestation de services afin de la soumettre aux dispositions spécifiques figurant au titre VI de la troisième partie de ce traité, le législateur de l’Union n’a pu, contrairement à ce que fait valoir la Roumanie, méconnaître cet article 58, paragraphe 1, du seul fait d’avoir adopté, conformément à cette
disposition, des règles communes applicables au secteur des transports, sur le fondement de ces dispositions spécifiques.

572    En tout état de cause, pour autant que la Roumanie reproche au législateur de l’Union d’avoir, par l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054, provoqué une régression dans le processus de libéralisation réalisé par le règlement n^o 561/2006, son argumentation est dépourvue de fondement. En effet, ainsi qu’il a été relevé, notamment, au point 493 du présent arrêt, l’interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule résulte non pas de l’entrée en
vigueur de cette disposition, mais de l’article 8, paragraphe 8, du règlement n^o 561/2006, dans sa version applicable avant l’entrée en vigueur de cet article 1^er, point 6, sous c), tel qu’interprété par la Cour dans l’arrêt Vaditrans.

573    De surcroît, il convient de souligner que, conformément à la jurisprudence rappelée au point 266 du présent arrêt, lorsqu’un acte législatif a déjà coordonné les législations des États membres dans un domaine donné d’action de l’Union, le législateur de l’Union est en droit d’adapter cet acte à toute modification des circonstances ou à toute évolution des connaissances eu égard à la tâche qui lui incombe de veiller à la protection des intérêts généraux reconnus par le traité FUE et de prendre
en compte les objectifs transversaux de l’Union consacrés par le préambule, par l’article 9 et par l’article 151, premier alinéa, TFUE, notamment, l’amélioration des conditions d’emploi ainsi que la garantie d’une protection sociale adéquate. En effet, le législateur de l’Union ne peut, dans une telle situation, s’acquitter correctement de la tâche qui lui incombe de veiller à la protection de ces intérêts généraux et de ces objectifs transversaux que s’il lui est loisible d’adapter la législation
pertinente de l’Union à de telles modifications ou évolutions.

574    Il s’ensuit que, contrairement à ce que suggère la Roumanie, le seul fait que certaines entreprises de transport pourraient être amenées à devoir adapter certains de leurs itinéraires de transport afin d’améliorer les conditions d’emploi et la protection sociale des conducteurs conformément à l’objectif poursuivi par l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 ne saurait aucunement être considéré comme une régression dans l’établissement d’une politique commune des transports,
constitutive d’une violation de l’article 91, paragraphe 2, TFUE.

575    En conséquence, il convient de rejeter comme étant non fondés les arguments relatifs à la violation des dispositions du traité FUE en matière de libre prestation de services soulevés par la Roumanie dans le cadre de son premier moyen pris en sa première branche.

d)      Sur la violation de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE

1)      Argumentation des parties

576    La Roumanie fait également valoir, dans le cadre de son premier moyen pris en sa première branche, tiré de la violation du principe de proportionnalité, que l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 porte gravement atteinte aux intérêts des entreprises de transport et des conducteurs, en violation des exigences découlant de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE.

577    D’une part, en ce qui concerne les entreprises de transport, lesquelles ont généralement la qualité de PME, les coûts impliqués pour ces dernières par l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 dépasseraient largement ceux liés à la mise à disposition d’un lieu d’hébergement pour les conducteurs. En effet, ces coûts couvriraient également les changements d’itinéraires en fonction de la disponibilité des lieux d’hébergement et des aires de stationnement appropriés, la hausse des
primes d’assurance due à l’augmentation des risques liés à la sécurité des marchandises transportées ainsi que la nécessité pour les conducteurs d’effectuer des distances supplémentaires pour trouver une aire de stationnement appropriée et rejoindre ensuite le lieu d’hébergement, lequel pourrait se trouver à une distance considérable, compte tenu de la situation décrite dans l’étude de 2019 sur les emplacements de stationnement. Par ailleurs, les entreprises de transport subiraient une baisse de
leurs recettes, puisque le déficit d’infrastructures aurait des répercussions sur la possibilité concrète de planifier des trajets plus longs et d’effectuer des transports sur certains itinéraires en toute sécurité.

578    D’autre part, en ce qui concerne les conducteurs, les répercussions subies par les entreprises de transport en raison de l’interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule, telle que prévue à l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054, conduiraient à des pertes d’emploi et à la nécessité de migrer vers les États membres situés au centre de l’Union. En outre, du fait du manque d’infrastructures, cette disposition aurait pour effet d’augmenter la
fatigue et le stress des conducteurs.

579    Le Parlement et le Conseil estiment que ces arguments ne sont pas fondés.

2)      Appréciation de la Cour

580    En ce qui concerne, en premier lieu, l’argumentation de la Roumanie selon laquelle l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 est susceptible de conduire à des pertes d’emploi et à la migration des conducteurs vers les États membres situés au « centre de l’Union », en violation des exigences prévues à l’article 91, paragraphe 2, TFUE, lequel impose au législateur de l’Union, lors de l’adoption des mesures relevant de la politique commune des transports, de tenir compte des cas
où l’application serait susceptible d’affecter gravement le niveau de vie et l’emploi dans certaines régions, ainsi que l’exploitation des équipements de transport, il y a lieu de constater qu’une telle argumentation apparaît, à défaut de tout élément probant concret de nature à en étayer le bien‑fondé, spéculative.

581    Dans ces conditions, cette argumentation ne saurait, en particulier, remettre en cause les constatations effectuées par la Commission dans son analyse d’impact – volet social (partie 1/2, p. 61), selon lesquelles les mesures relatives au temps de travail et aux modalités de repos hebdomadaire devraient avoir un impact positif sur l’attrait de la profession de conducteur et, partant, sur l’offre du marché du travail.

582    En tout état de cause, comme il ressort déjà des points 404 et 405 ainsi que 573 et 574 du présent arrêt, le seul fait que certaines entreprises de transport pourraient supporter des coûts plus élevés en raison de l’augmentation de la protection sociale garantie aux conducteurs par l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 ne saurait aucunement être considéré comme étant une violation des exigences découlant de l’article 91, paragraphe 2, TFUE.

583    S’agissant, en second lieu, de l’argumentation de la Roumanie selon laquelle l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 impliquerait, pour les entreprises de transport, des coûts supplémentaires significatifs en violation des exigences visées à l’article 94 TFUE, il suffit de relever que cette dernière disposition, qui impose au législateur de l’Union de tenir compte de la situation économique des transporteurs lorsqu’il adopte une mesure « dans le domaine des prix et conditions
de transport », est sans pertinence en l’occurrence, dès lors que cet article 1^er, point 6, sous c), régit non pas les prix ou les conditions de transport des marchandises ou des voyageurs, mais détermine les conditions de la prise, par les conducteurs, de leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire.

584    En tout état de cause, ainsi qu’il a déjà été souligné au point 536 du présent arrêt, cette disposition ne saurait être la cause de coûts supplémentaires pour les entreprises de transport, puisqu’elle se borne à codifier le droit existant découlant, ainsi qu’il ressort des points 30, 31 et 48 de l’arrêt Vaditrans, de l’article 8, paragraphe 8, du règlement n^o 561/2006, dans sa version applicable avant l’entrée en vigueur de l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054.

585    En conséquence, il convient de rejeter comme étant non fondés les arguments relatifs à la violation de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE, soulevés par la Roumanie dans le cadre de son premier moyen pris en sa première branche, tiré de la violation du principe de proportionnalité.

586    Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, les recours introduits par la République de Bulgarie (affaire C‑543/20), la Roumanie (affaire C‑546/20) et la Hongrie (affaire C‑551/20) doivent être rejetés en ce qu’ils visent à obtenir l’annulation de l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054.

4.      Sur l’article 2, point 2, du règlement 2020/1054

587    À l’appui des conclusions de son recours (affaire C-551/20) tendant à l’annulation de l’article 2, point 2, du règlement 2020/1054, la Hongrie invoque trois moyens tirés de la violation, pour le premier, du principe de proportionnalité, pour le deuxième, des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, ainsi que, pour le troisième, de l’article 151, deuxième alinéa, TFUE.

a)      Observations liminaires

588    En vue de l’examen de ces moyens, il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 3, paragraphe 4, du règlement n^o 165/2014, lu en combinaison avec l’article 6, troisième alinéa, du règlement d’exécution 2016/799, les véhicules nouvellement immatriculés circulant dans un État membre autre que leur État membre d’immatriculation devaient être équipés d’un tachygraphe intelligent, régi par les articles 8 à 11 du règlement n^o 165/2014, dans un délai de quinze années après la date d’entrée en
vigueur, le 15 juin 2019, des modalités relatives à ces tachygraphes de première génération, fixées à l’annexe IC de ce règlement d’exécution. Il s’ensuit que la date butoir pour l’installation desdits tachygraphes était fixée au 15 juin 2034.

589    Par le point 2 et le point 8, sous a), de l’article 2 du règlement 2020/1054, qui modifient, respectivement, l’article 3, paragraphe 4, et l’article 11, premier alinéa, du règlement n^o 165/2014, le législateur de l’Union a mis en place un système graduel d’introduction des tachygraphes V2 au cours d’une période transitoire. Ainsi, d’une part, le point de départ de cette période transitoire dépend de la date d’entrée en vigueur des spécifications relatives à ces derniers, fixées par la
Commission dans le règlement d’exécution 2021/1228, entré en vigueur le 5 août 2021. D’autre part, la durée de ladite période transitoire est fonction du type de tachygraphe dont le véhicule est déjà équipé.

590    À cet égard, tandis que les véhicules équipés d’un tachygraphe analogique ou numérique doivent être équipés d’un tachygraphe V2 au plus tard trois ans après la fin de l’année de l’entrée en vigueur de ces spécifications, soit au plus tard le 31 décembre 2024, les véhicules équipés d’un tachygraphe de première génération doivent être équipés d’un tachygraphe V2 au plus tard quatre ans après l’entrée en vigueur desdites spécifications, soit le 5 août 2025 au plus tard.

591    Il s’ensuit que le législateur de l’Union a avancé la date butoir pour l’installation des tachygraphes V2, selon le cas, de neuf années et demie ou de neuf années.

592    C’est à la lumière de ces considérations liminaires qu’il convient d’examiner les moyens soulevés par la Hongrie.

b)      Sur l’existence d’une erreur manifeste d’appréciation et la violation du principe de proportionnalité

1)      Argumentation des parties

593    Par son premier moyen, la Hongrie fait valoir que, en adoptant l’article 2, point 2, du règlement 2020/1054, le législateur de l’Union a violé le principe de proportionnalité et commis une erreur manifeste d’appréciation en n’évaluant pas les conséquences économiques de l’avancement considérable du délai d’installation des tachygraphes V2.

594    Cette disposition ne figurant pas dans la proposition de règlement « temps de travail », aucune analyse d’impact n’aurait été réalisée sur ce point. La modification du délai d’installation des tachygraphes V2 aurait été introduite dans le texte final du règlement 2020/1054 à la suite de l’accord conclu entre le Parlement et le Conseil, sans qu’aucune analyse d’impact soit non plus réalisée par ces institutions. Or, il ne serait possible de faire l’économie d’une analyse d’impact que lorsque
le législateur de l’Union dispose de suffisamment d’éléments lui permettant d’apprécier la proportionnalité de la mesure adoptée. La Hongrie n’aurait toutefois pas connaissance de l’existence de tels éléments d’information ni d’une analyse effectuée par ce législateur. Bien que deux études réalisées dans le courant des mois de février et de mars 2018 aient examiné les coûts de la mise en conformité à cette nouvelle technologie, elles n’auraient pas expressément abordé la question de leur caractère
proportionné, même si la seconde de ces études aurait évoqué la possibilité d’une disproportion.

595    Il en résulterait également que le législateur de l’Union a méconnu l’accord interinstitutionnel. En effet, puisque l’article 2, point 2, du règlement 2020/1054 constitue une « modification substantielle » de la proposition de la Commission, au sens du point 15 de cet accord, il aurait été justifié d’effectuer une analyse d’impact complémentaire ou de charger la Commission de l’effectuer, conformément au point 16 dudit accord. À cet égard, la Hongrie souligne que, lorsque les institutions de
l’Union instaurent des règles dont il résulte une autolimitation de leur pouvoir d’appréciation, il leur appartient de se conformer aux règles indicatives qu’elles se sont elles–mêmes imposées.

596    Le Parlement et le Conseil considèrent que ce moyen n’est pas fondé.

2)      Appréciation de la Cour

597    Par le présent moyen, la Hongrie fait, en substance, grief au législateur de l’Union de ne pas avoir examiné la proportionnalité de l’article 2, point 2, du règlement 2020/1054, en ayant avancé la date butoir pour l’installation des tachygraphes V2 sans avoir effectué au préalable une analyse d’impact et sans disposer d’éléments permettant d’apprécier la proportionnalité de cette mesure.

598    À cet égard, il convient de relever que, ainsi qu’il ressort du considérant 27 de ce règlement, le législateur de l’Union a considéré que l’efficacité du contrôle de l’application des règles sociales au regard des coûts, la rapidité de l’évolution des nouvelles technologies, la numérisation dans l’ensemble de l’économie de l’Union et la nécessité d’avoir des conditions de concurrence équitables pour les entreprises du secteur du transport routier international rendaient nécessaire le
raccourcissement de la période de transition pour l’installation des tachygraphes intelligents dans les véhicules immatriculés, ces tachygraphes intelligents devant contribuer à simplifier les contrôles et, partant, à faciliter le travail des autorités nationales.

599    Or, il est constant qu’un tel avancement de la date butoir pour l’installation des tachygraphes intelligents, qui a été suggéré, dans le cadre de la procédure législative, par le CESE et le CdR, n’a pas été abordé par l’analyse d’impact – volet social et n’a donc pas été envisagé par la Commission dans sa proposition de règlement « temps de travail ». En particulier, l’évaluation ex post relative à la législation sociale, mentionnée au considérant 4 du règlement 2020/1054, sur la base de
laquelle a été réalisée cette analyse d’impact, n’a pas porté sur le règlement n^o 165/2014.

600    Toutefois, il découle de la jurisprudence rappelée aux points 220 à 226 du présent arrêt que, aux fins de l’appréciation de la proportionnalité des mesures qu’il adopte, le législateur de l’Union peut tenir compte non seulement de l’analyse d’impact, mais également de toute autre source d’information.

601    Dans ces conditions, il convient d’examiner si, en l’occurrence, le Parlement et le Conseil, au moment de l’adoption de l’article 2, point 2, du règlement 2020/1054, disposaient, à partir de sources d’information autres que l’analyse d’impact – volet social, d’éléments suffisants pour apprécier la proportionnalité de l’avancement de la date butoir pour l’installation des tachygraphes V2.

602    À cet égard, il ressort des éléments fournis à la Cour que le Parlement a publié, au cours du mois de février 2018, le rapport final d’une étude [EPRS, « Retrofitting smart tachographs by 2020 : Costs and benefits » (« Mise à niveau des tachygraphes intelligents d’ici à 2020 : Coûts et avantages »), 2 février 2018], ayant pour objet d’évaluer les coûts et les avantages de l’installation à court terme d’un tachygraphe intelligent pour les poids lourds dans le transport international. Il est
constant que cette étude comportait, notamment, une analyse coûts-bénéfices détaillée concluant que les avantages à long terme d’une mise à niveau des tachygraphes intelligents, laquelle ne pourrait être effectuée qu’à une échéance postérieure à l’année 2020, l’emportaient sur les différents coûts encourus à court terme par les principaux opérateurs économiques actifs sur le marché des transports.

603    En outre, il n’est pas non plus contesté que la Commission a également publié, dans le courant du mois de mars 2018, le rapport final d’une autre étude [Direction générale de la mobilité et des transports, « Study regarding measures fostering the implementation of the smart tachograph » (« Étude concernant les mesures visant à promouvoir l’introduction d’un tachygraphe intelligent »), rapport final, mars 2018], sur les mesures favorisant la mise en œuvre du tachygraphe intelligent. Il est
constant que l’objectif poursuivi par cette étude était d’examiner différentes options stratégiques afin d’accélérer la mise en œuvre des tachygraphes intelligents au cours d’une période comprise entre l’année 2023 et l’année 2027, en évaluant les incidences économiques et sociales ainsi que les incidences sur la sécurité routière et le marché intérieur de l’adoption d’options politiques nécessitant la mise en conformité des véhicules immatriculés avant le mois de juin 2019, et cela en vue de
déterminer l’option la plus appropriée. Ladite étude comprenait également une analyse coûts-bénéfices détaillée de ces incidences sur les entreprises de transport et les autorités nationales.

604    Il ressort clairement du contenu de ces deux études que celles-ci comportaient les données de base relatives aux coûts liés à l’avancement de la date butoir pour l’installation des tachygraphes V2, ce que la Hongrie a d’ailleurs admis explicitement dans son mémoire en réplique.

605    Il s’ensuit que le législateur de l’Union, lorsqu’il a adopté par la suite le règlement 2020/1054 prévoyant cette mesure, disposait d’éléments suffisants lui permettant d’évaluer l’incidence de ladite mesure sur la situation des transporteurs internationaux et de fonder ainsi son choix d’avancer cette date butoir dans le cadre de l’exercice de la large marge d’appréciation qui lui revient.

606    Ces considérations ne sont pas remises en cause par la circonstance, alléguée par la Hongrie, selon laquelle ces deux études n’auraient pas spécifiquement examiné le point de savoir si une mesure telle que l’avancement de la date butoir pour l’installation des tachygraphes V2 était conforme au principe de proportionnalité.

607    En effet, lesdites études contenaient les éléments objectifs pertinents relatifs au coût de l’avancement de cette date butoir, éléments qui permettaient au législateur de l’Union d’apprécier les conséquences économiques résultant, pour les opérateurs concernés, de cet avancement, étant précisé que c’est à lui seul qu’incombait la tâche, comme il ressort de la jurisprudence rappelée aux points 222 et 223 du présent arrêt ainsi que du point 12 de l’accord interinstitutionnel, de mettre en
balance, dans l’exercice de la large marge d’appréciation dont il jouit à cet égard, les différents intérêts en présence.

608    De surcroît, conformément à la jurisprudence rappelée au point 220^ du présent arrêt, la forme dans laquelle sont répertoriées les données de base prises en compte pour l’adoption d’une mesure est dépourvue d’importance. Il ne saurait donc être exigé que ces données de base soient présentées dans le cadre d’une évaluation de la proportionnalité.

609    Il convient, dès lors, de rejeter comme étant non fondé le premier moyen invoqué par la Hongrie.

c)      Sur la violation des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime

1)      Argumentation des parties

610    Par son deuxième moyen, la Hongrie soutient que l’avancement du délai pour l’installation des tachygraphes V2 constitue une violation des attentes légitimes des opérateurs économiques et, partant, des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime. En effet, en vertu de l’article 3, paragraphe 4, du règlement n^o 165/2014, les opérateurs économiques auraient pu légitimement penser qu’ils disposaient d’un délai de quinze années, à compter de l’adoption des modalités
d’application de cette disposition, pour remplir leurs obligations concernant l’installation de tachygraphes intelligents. Les opérateurs n’auraient ainsi pas simplement placé leur confiance dans le maintien d’une situation existante. En effet, le législateur de l’Union, en exerçant son pouvoir d’appréciation, aurait fixé lui-même un délai sur lequel ceux-ci étaient susceptibles de fonder leurs décisions économiques. En Hongrie, en raison des délais anticipés, l’obligation d’installer des
tachygraphes V2 concernerait 60 % de la flotte, pour un coût unitaire évalué à 2 000 euros.

611    Le législateur de l’Union ayant adopté le règlement 2020/1054 le 15 juillet 2020, c’est à partir de ce moment-là que la nouvelle date de l’obligation de mise en conformité aurait pu être connue avec certitude. Par conséquent, seule cette date pourrait marquer le point de départ de la période dont disposent les opérateurs économiques pour s’adapter, et non celle de la publication des études qui ont examiné pour la première fois la question. Les opérateurs économiques, même s’ils connaissaient
ces études, n’auraient pas pu savoir avec certitude quelle serait la solution retenue.

612    S’il est vrai que les véhicules utilisés dans le transport international sont renouvelés tous les trois à cinq ans, l’étude du mois de mars 2018, mentionnée au point 603 du présent arrêt, indiquerait elle-même que les véhicules remplacés trouvent de nouveaux propriétaires sur le marché des véhicules d’occasion. Il ne serait pas exclu qu’une entreprise de transport international achète un véhicule d’occasion ou ne remplace pas ses véhicules au rythme susmentionné. Un nombre important de PME
opérant sur le marché du transport international pourrait en effet disposer de ressources financières assez limitées.

613    Aucune des raisons impérieuses d’intérêt général invoquées au considérant 27 du règlement 2020/1054 ne justifierait la modification des délais d’introduction des tachygraphes V2. En ce qui concerne, premièrement, l’efficacité du contrôle de l’application des règles sociales au regard des coûts, celle-ci n’aurait pas été réellement examinée au cours du processus législatif. Deuxièmement, la rapidité de l’évolution des nouvelles technologies et la numérisation dans l’ensemble de l’économie ne
constitueraient pas des raisons impérieuses d’intérêt général de nature à justifier une atteinte à la confiance légitime des opérateurs économiques. En outre, les tachygraphes V2 ne seraient pas encore développés et leur date d’introduction sur le marché serait inconnue. S’agissant, troisièmement, de la nécessité de conditions de concurrence équitables entre les entreprises de transport, il serait difficile de comprendre la raison pour laquelle les entreprises effectuant des transports
internationaux qui sont établies dans les pays tiers ne sont pas soumises à cette obligation. En effet, l’accord européen relatif au travail des équipages des véhicules effectuant des transports internationaux par route (ci-après l’« AETR ») imposerait l’installation d’un tachygraphe numérique.

614    Le Parlement et le Conseil estiment que ce moyen n’est pas fondé.

2)      Appréciation de la Cour

615    Ainsi qu’il a été rappelé au point 162 du présent arrêt, le principe de sécurité juridique ne comporte pas l’obligation de maintenir l’ordre juridique inchangé dans le temps, le législateur de l’Union restant libre, dans le cadre de sa marge d’appréciation, de modifier la situation législative existante.

616    En ce qui concerne le principe de protection de la confiance légitime, il convient de rappeler que le droit de se prévaloir de ce principe appartient, en tant que corollaire du principe de sécurité juridique, à tout particulier se trouvant dans une situation dans laquelle l’administration de l’Union a fait naître dans son chef des espérances fondées. Constituent des assurances susceptibles de faire naître de telles espérances, quelle que soit la forme sous laquelle ils sont communiqués, des
renseignements précis, inconditionnels, concordants et émanant de sources autorisées et fiables. En revanche, nul ne peut invoquer une violation de ce principe en l’absence d’assurances précises que lui aurait fournies l’administration. De même, lorsqu’un opérateur économique prudent et avisé est en mesure de prévoir l’adoption d’une mesure de l’Union de nature à affecter ses intérêts, il ne saurait invoquer le bénéfice d’un tel principe lorsque cette mesure est adoptée (arrêt du 3 décembre 2019,
République tchèque/Parlement et Conseil, C‑482/17, EU:C:2019:1035, point 153 ainsi que jurisprudence citée).

617    Par ailleurs, la Cour a déjà jugé qu’un opérateur économique ne saurait placer sa confiance légitime dans l’absence totale de modification d’une situation existante par le législateur de l’Union, mais peut uniquement mettre en cause les modalités d’application d’une telle modification (voir, en ce sens, arrêt du 20 décembre 2017, Global Starnet, C‑322/16, EU:C:2017:985, point 47 et jurisprudence citée).

618    En outre, selon une jurisprudence constante, le champ d’application du principe de protection de la confiance légitime ne saurait être étendu jusqu’à empêcher, de façon générale, une réglementation nouvelle de s’appliquer aux effets futurs de situations nées sous l’empire de la réglementation antérieure [arrêt du 8 septembre 2022, Ministerstvo životního prostředí (Perroquets Ara hyacinthe), C‑659/20, EU:C:2022:642, point 69 et jurisprudence citée], et cela, notamment, dans des domaines dont
l’objet comporte des nécessités d’adaptation constante en fonction des variations de la situation économique (voir, en ce sens, arrêt du 4 mai 2023, Kapniki A. Michailidis, C‑99/22, EU:C:2023:382, point 29 et jurisprudence citée).

619    Eu égard à cette jurisprudence, il y a lieu, tout d’abord, de souligner que le seul fait que l’article 3, paragraphe 4, et l’article 11, premier alinéa, du règlement n^o 165/2014, dans leur version applicable avant l’entrée en vigueur du règlement 2020/1054, prévoyaient, pour l’installation des tachygraphes intelligents, une date différente de celle qui a été finalement introduite par l’article 2, point 2, et point 8, sous a), de ce dernier règlement ne saurait suffire à établir une atteinte
à la sécurité juridique ou à la confiance légitime et, en particulier, une violation d’assurances précises qui auraient été susceptibles de faire naître la croyance fondée que la réglementation de l’Union resterait, sur cet aspect, inchangée. Tel est d’autant moins le cas s’agissant d’un acte législatif qui concerne, comme en l’espèce, l’introduction d’équipements susceptibles d’être affectés par le développement rapide de nouvelles technologies et qui peut donc exiger une constante adaptation en
fonction d’un tel développement.

620    Ensuite, le délai de trois ou quatre années pour l’installation des tachygraphes V2, prévu par le législateur de l’Union à l’article 2, point 2, du règlement 2020/1054, a commencé à courir non pas à la date de l’entrée en vigueur de ce règlement, le 20 août 2020, mais, conformément à cette disposition, respectivement, à la fin de l’année de l’entrée en vigueur ou après l’entrée en vigueur du règlement d’exécution qu’il incombait à la Commission d’adopter, en vertu du point 8, sous a), de cet
article 2, concernant les spécifications techniques, à savoir, compte tenu de l’entrée en vigueur, le 5 août 2021, du règlement d’exécution 2021/1228, à partir, selon le cas, du 31 décembre 2021 ou de ce 5 août 2021. Partant, les entreprises de transport concernées disposent, en réalité, d’un délai plus long, selon le type de tachygraphe dont sont équipés leurs véhicules, pour installer les tachygraphes V2 conformément à ces nouvelles dispositions, délai qui atteint, respectivement, près de quatre
années et demie, jusqu’au 31 décembre 2024, ou de cinq années, jusqu’au 5 août 2025.

621    Par ailleurs, il ressortait déjà des études mentionnées aux points 602 et 603 du présent arrêt, qui ont été publiées aux mois de février et de mars 2018 par le Parlement et la Commission dans le courant de la procédure législative ayant abouti à l’adoption du règlement 2020/1054, que le législateur de l’Union envisageait l’avancement de la date butoir pour l’installation des tachygraphes intelligents. Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 473 de ses conclusions, un opérateur
économique prudent et avisé était donc en mesure d’anticiper l’adoption d’une telle mesure même avant l’adoption de ce règlement.

622    Enfin, il ressort des propres données fournies par la Hongrie que le coût de l’installation d’un tachygraphe V2 devrait s’élever à environ 2 000 euros par véhicule. Force est de constater qu’un investissement d’un montant aussi limité par rapport au prix d’achat du véhicule lui–même, qui ne porte, par ailleurs, que sur la partie de la flotte d’une entreprise de transport consacrée au transport international, peut raisonnablement être réalisé par un opérateur économique diligent et prudent
dans le délai de quatre années et demie ou de cinq années découlant de l’article 2, point 2, et point 8, sous a), du règlement 2020/1054. Tel est d’autant plus le cas que, comme il est indiqué à la page 41 de l’étude de la Commission mentionnée au point 603 du présent arrêt, les véhicules impliqués dans le transport international sont souvent remplacés après trois à cinq ans, sans qu’il importe de savoir, contrairement à ce que soutient à cet égard la Hongrie, si, aux fins de ce remplacement,
l’entreprise de transport concernée recourt, le cas échéant, au marché des véhicules d’occasion. De même, si la Hongrie soutient qu’il n’est pas exclu qu’une entreprise de transport international ne remplace pas ses véhicules à ce rythme, il convient de souligner qu’une telle argumentation ne contredit en rien les données mentionnées dans cette étude de la Commission, qui visent le comportement général des opérateurs actifs sur le marché des services de transport, seul pertinent dans ce contexte, et
non le comportement isolé de certains opérateurs particuliers de ce marché.

623    Aucun des autres arguments soulevés par la Hongrie n’est de nature à remettre en cause ces considérations.

624    En ce qui concerne, en premier lieu, l’argumentation tirée de ce que les raisons invoquées par le législateur de l’Union au considérant 27 du règlement 2020/1054 ne justifient pas l’avancement de la date butoir pour l’installation des tachygraphes V2, il suffit de constater qu’une telle circonstance, même à la supposer établie, n’est pas, en tant que telle, susceptible de démontrer que le législateur de l’Union a fourni aux opérateurs concernés des assurances précises et inconditionnelles de
nature à fonder la confiance légitime que la réglementation de l’Union resterait inchangée sur ce point pendant une période de quinze années.

625    Par ailleurs, la Cour a déjà jugé que, à supposer même que l’Union ait créé au préalable une situation susceptible d’engendrer une confiance légitime, ce qui, en l’occurrence, n’est pas le cas, un intérêt public péremptoire peut s’opposer à l’adoption de mesures transitoires pour des situations nées avant l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation, mais non achevées dans leur évolution (arrêt du 19 juillet 2016, Kotnik e.a., C‑526/14, EU:C:2016:570, point 68 ainsi que jurisprudence
citée).

626    Or, par l’article 2, point 2, et point 8, sous a), du règlement 2020/1054, le législateur de l’Union a maintenu une période transitoire, même s’il en a réduit la durée, pour l’installation des tachygraphes V2, de sorte qu’il n’était nullement tenu de justifier cette mesure par des raisons impérieuses d’intérêt général.

627    En tout état de cause, en ce qui concerne la justification tirée de l’efficacité du contrôle de l’application des règles sociales, il convient de souligner que celle-ci relève d’une raison impérieuse d’intérêt général [voir, en ce sens, arrêt du 3 décembre 2014, De Clercq e.a., C‑315/13, EU:C:2014:2408, points 66 ainsi que 67 ; voir, par analogie en matière fiscale, arrêt du 12 octobre 2023, BA (Successions - Politique sociale de logement dans l’Union), C‑670/21, EU:C:2023:763, point 78 et
jurisprudence citée] et que, contrairement à ce que fait valoir la Hongrie, cette justification a été abordée au cours de la procédure législative, ainsi qu’il ressort, en particulier, de l’analyse d’impact – volet social (partie 1/2, p. 32), dans laquelle la Commission a examiné spécifiquement l’incidence de l’introduction des tachygraphes intelligents sur l’efficacité des contrôles.

628    En ce qui concerne, en deuxième lieu, l’argumentation tirée de l’incertitude entourant la date d’introduction des tachygraphes V2 sur le marché, il ressort des éléments fournis par le Conseil, figurant dans une lettre de la Commission transmise à celui-ci le 4 octobre 2018, lesquels n’ont pas été contestés par la Hongrie, que le législateur de l’Union a entrepris des démarches auprès des représentants du secteur des transports avant l’adoption du règlement 2020/1054 afin de s’assurer que la
dernière version de tachygraphes intelligents, en l’occurrence les tachygraphes V2, pourrait être installée sur les véhicules engagés dans le transport international avant la fin de l’année 2024.

629    Lors de l’audience, la Hongrie a fait valoir que, au jour de celle-ci, les tachygraphes V2 étaient toujours en phase d’essai, le système d’authentification n’ayant pas encore été homologué. Toutefois, à supposer même que tel ait été le cas, il convient de rappeler que la validité d’un acte de l’Union doit être appréciée par rapport aux éléments dont le législateur de l’Union disposait à la date d’adoption de la réglementation en cause (arrêt du 22 février 2022, Stichting Rookpreventie Jeugd
e.a., C‑160/20, EU:C:2022:101, point 67 ainsi que jurisprudence citée). Il s’ensuit que, en l’occurrence, la validité de l’article 2, point 2, du règlement 2020/1054 doit être appréciée par rapport aux éléments dont le législateur de l’Union disposait au moment de l’adoption de ce règlement. Si un éventuel retard dans la disponibilité des tachygraphes V2 pourrait exiger que la Commission propose au Parlement et au Conseil de proroger la période transitoire prévue à cette disposition, elle ne saurait
donc affecter la légalité de celle-ci.

630    Enfin, en ce qui concerne, en troisième lieu, l’argumentation tirée de l’incidence de l’article 2, point 2, du règlement 2020/1054 sur les conditions de concurrence, elle se confond avec le troisième moyen, tiré de la violation de l’article 151, deuxième alinéa, TFUE, et doit donc être examinée dans ce contexte.

631    Il convient, dès lors, de rejeter le deuxième moyen invoqué par la Hongrie comme étant non fondé.

d)      Sur la violation de l’article 151, deuxième alinéa, TFUE

1)      Argumentation des parties

632    Par son troisième moyen, la Hongrie soutient que l’article 2, point 2, du règlement 2020/1054 méconnaît l’obligation de maintenir la compétitivité économique de l’Union, telle que prévue à l’article 151, deuxième alinéa, TFUE. Même si ce règlement a été pris sur la base juridique de la politique commune des transports, il relèverait de la politique sociale. Or, une amélioration des conditions de travail par le biais d’un rapprochement des législations nationales ne pourrait pas avoir lieu
sans que, simultanément, il soit tenu compte de la nécessité de préserver la compétitivité de l’économie de l’Union. Cependant, des exigences analogues ne s’appliqueraient pas aux véhicules des entreprises de transport qui ne sont pas établies dans un État membre. En outre, en vertu de l’AETR, les véhicules des entreprises de transport établies dans les pays auxquels cet accord s’applique seraient seulement tenus de disposer d’un tachygraphe numérique, ce qui leur confèrerait, dès lors, un avantage
concurrentiel.

633    Alors que le législateur de l’Union aurait lui–même reconnu la nécessité de maintenir la compétitivité des entreprises de transport de l’Union au considérant 34 du règlement 2020/1054, aucune disposition de ce règlement n’imposerait à la Commission une obligation concrète ou un délai précis à cet égard, de sorte que rien ne garantirait que l’AETR sera modifié en conséquence ou, à tout le moins, que des négociations en ce sens puissent s’engager dans un avenir proche. Or, si le législateur de
l’Union n’est pas tenu à une obligation de résultat, il aurait néanmoins une obligation de diligence, en ce sens qu’il devrait faire tout ce qui est en son pouvoir afin d’assurer que l’Union ne se retrouve pas en situation de désavantage concurrentiel. Pour satisfaire à cette obligation, il ne suffirait pas d’adopter un considérant qui ne revêt aucun effet contraignant.

634    Le Parlement et le Conseil soutiennent que ce moyen n’est pas fondé.

2)      Appréciation de la Cour

635    Il convient de rappeler que l’article 151 TFUE, qui relève du titre X de la troisième partie du traité FUE, relatif à la politique sociale de l’Union, prévoit, à son deuxième alinéa, que le législateur de l’Union et les États membres doivent mettre en œuvre des mesures qui tiennent compte, notamment, de la nécessité de maintenir la compétitivité de l’économie de l’Union.

636    Toutefois, le règlement 2020/1054 a été adopté par le législateur de l’Union sur le fondement non pas des dispositions du traité FUE relatives à la politique sociale, mais de l’article 91, paragraphe 1, TFUE, qui relève du titre VI de cette même troisième partie du traité FUE, relatif à la politique commune des transports, lequel habilite le Parlement et le Conseil à établir, notamment, d’une part, des règles communes applicables aux transports internationaux au départ ou à destination d’un
État membre ou traversant le territoire d’un ou de plusieurs États membres et, d’autre part, les conditions d’admission de transporteurs non-résidents aux transports nationaux dans un État membre. Il s’ensuit que l’article 151, deuxième alinéa, TFUE ne revêt aucune pertinence pour apprécier la légalité des dispositions du règlement 2020/1054.

637    En tout état de cause, le considérant 34 du règlement 2020/1054 énonce qu’« [i]l importe que les entreprises de transport établies dans des pays tiers soient soumises à des règles équivalentes aux règles de l’Union lorsqu’elles effectuent des opérations de transport routier sur le territoire de l’Union » et que « la Commission devrait évaluer l’application de ce principe au niveau de l’Union et proposer des solutions adéquates à négocier dans le cadre de l’[AETR] ».

638    Il ne saurait donc être allégué que, lors de l’adoption du règlement 2020/1054, le législateur de l’Union n’a pas tenu compte du désavantage de compétitivité résultant pour les entreprises de transport établies dans l’Union du fait que les entreprises de transport établies dans les pays tiers ne sont pas nécessairement soumises à des règles équivalentes aux règles de l’Union lorsqu’elles effectuent des opérations de transport routier sur le territoire de l’Union, ce législateur ayant
précisément confié à la Commission la tâche de proposer des solutions adéquates à négocier dans le cadre de l’AETR.

639    En conséquence, il convient de rejeter comme étant non fondé le troisième moyen invoqué par la Hongrie.

640    Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, le recours introduit par la Hongrie (affaire C‑551/20) doit être rejeté en tant qu’il vise à obtenir l’annulation de l’article 2, point 2, du règlement 2020/1054.

5.      Sur l’article 3 du règlement 2020/1054

641    À l’appui des conclusions de son recours (affaire C‑541/20) tendant à l’annulation de l’article 3 du règlement 2020/1054, en tant que cet article fixe, à son premier alinéa, la date d’entrée en vigueur des dispositions de l’article 1^er, point 6, sous c) et d), de ce règlement, au vingtième jour suivant la date de la publication dudit règlement au Journal officiel de l’Union européenne, la République de Lituanie invoque trois moyens, qu’il convient d’examiner conjointement, tirés de la
violation, pour le premier, du principe de proportionnalité, pour le deuxième, de l’obligation de motivation prévue à l’article 296 TFUE et, pour le troisième, du principe de coopération loyale consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE.

a)      Argumentation des parties 

642    En ce qui concerne, en premier lieu, le principe de proportionnalité, la République de Lituanie soutient que le législateur de l’Union, en fixant, à l’article 3, premier alinéa, du règlement 2020/1054, la date d’entrée en vigueur de l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), de ce règlement et de l’interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule, a méconnu le fait que, en l’absence de période transitoire, les États membres et les entreprises de
transport ne pourront pas s’adapter à ces obligation et interdiction, aucun argument justifiant l’urgence d’une telle entrée en vigueur n’ayant été présenté.

643    En choisissant un mécanisme inapproprié de mise en œuvre du règlement 2020/1054, le législateur de l’Union aurait ainsi mis en place une réglementation dont il serait particulièrement difficile d’assurer le respect. Ce faisant, il aurait méconnu l’article 5 du protocole sur les principes de subsidiarité et de proportionnalité, dont il ressort que les projets d’actes législatifs doivent tenir compte de la nécessité de faire en sorte que toute charge incombant aux opérateurs économiques soit la
moins élevée possible et à la mesure de l’objectif à atteindre.

644    Premièrement, le législateur de l’Union n’aurait pas pris en compte le fait qu’il n’existe actuellement pas assez d’aires de stationnement adéquates et sûres, dans lesquelles les conducteurs pourraient bénéficier de conditions de repos appropriées en dehors de la cabine du véhicule. Il en résulterait que les entreprises de transport devront prendre des risques injustifiés et démesurés en donnant pour instruction aux conducteurs de laisser leur camion sur des aires où la sécurité du chargement
n’est pas assurée. En outre, dans l’analyse d’impact – volet social, la Commission elle–même aurait confirmé que la mise en œuvre de l’interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule était susceptible de causer des difficultés du fait de l’insuffisance de lieux d’hébergement et d’aires de stationnement sûres. Elle aurait également indiqué que, pour ces raisons, les cabines offraient de meilleures conditions de repos que les autres installations disponibles. Il serait
erroné de soutenir que l’article 1^er, point 6, sous c), du règlement 2020/1054 serait une simple codification de l’arrêt Vaditrans. En effet, l’obligation de prendre les temps de repos impartis dans un lieu d’hébergement adapté aussi bien pour les femmes que pour les hommes, comportant un matériel de couchage et des installations sanitaires adéquats, constituerait une obligation nouvelle. En tout état de cause, même dans le cas d’une codification, le législateur de l’Union aurait dû suivre la
procédure législative ordinaire, au cours de laquelle il lui aurait appartenu, notamment, d’apprécier la proportionnalité de la mesure proposée et de vérifier si celle-ci était aisée à mettre en œuvre. Cela aurait dû d’autant plus être le cas qu’il n’existait, avant l’adoption du règlement 2020/1054, aucune pratique uniforme du fait de l’absence d’infrastructures d’hébergement et de stationnement suffisantes.

645    Deuxièmement, il ressortirait de l’étude de 2019 sur les emplacements de stationnement que les aires de stationnement disponibles sont concentrées dans quelques États membres seulement et qu’il existe un déficit d’environ 100 000 emplacements. En outre, ni dans son analyse d’impact – volet social ni dans cette étude, la Commission n’aurait examiné si des hôtels et des établissements d’hébergement proches des aires de stationnement sécurisées pourraient remédier à ce déficit. De surcroît, dans
ladite étude, la Commission aurait démontré que, pour préparer la mise en œuvre des nouvelles obligations, plusieurs années et une approche stratégique étendue du développement de l’infrastructure de l’Union seraient nécessaires.

646    Troisièmement, le législateur de l’Union aurait ignoré les difficultés d’application du règlement 2020/1054 dont il avait pourtant été informé tant par le CESE que par la commission de l’emploi et des affaires sociales et la commission des transports et du tourisme du Parlement.

647    Quatrièmement, l’interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule soulèverait aussi d’autres questions juridiques importantes, telle celle concernant les mesures de précaution et la couverture d’assurance, puisque, dans la majorité des cas, le conducteur devrait laisser le chargement sans surveillance sur un emplacement de stationnement non sécurisé. Or, selon la jurisprudence des juridictions lituaniennes, le fait de laisser une marchandise sur une aire de
stationnement non sécurisée constituerait une faute intentionnelle du transporteur, ayant pour conséquence le refus par l’assureur de couvrir la perte éventuelle de la marchandise.

648    Cinquièmement, le caractère injustifié de l’article 3 du règlement 2020/1054 serait également démontré par l’absence de document interprétatif conformément auquel les entreprises de transport pourraient organiser le retour des conducteurs à leur lieu de résidence ou au centre opérationnel de l’employeur.  En l’absence d’un tel document, l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), de ce règlement serait difficile à mettre en œuvre, ce qui entraînerait des pratiques différentes
entre les États membres et entre les entreprises de transport.

649    En ce qui concerne, en deuxième lieu, l’obligation de motivation, la République de Lituanie fait valoir que, lors de l’examen de la proposition de règlement « temps de travail », le législateur de l’Union a été informé, par l’analyse d’impact – volet social ainsi que par d’autres sources, que l’interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule ferait naître des problèmes pratiques de mise en œuvre de cette interdiction et que l’obligation prévue à l’article 1^er,
point 6, sous d), du règlement 2020/1054, pour la mise en œuvre de laquelle il n’existerait pas de règles claires, limiterait, sans justification, la libre circulation des travailleurs.

650    Dans un tel contexte, le législateur de l’Union aurait dû avancer des arguments solides pour justifier l’absence de période transitoire ou de report de l’entrée en vigueur de la réglementation en cause. Si les objectifs indiqués dans la proposition de règlement « temps de travail », à savoir l’amélioration des conditions de travail des conducteurs et de la sécurité routière ainsi que la création de conditions de repos adéquates sont importants, ils ne justifieraient nullement une entrée en
vigueur sans délai de cette réglementation. La date d’entrée en vigueur d’un acte législatif, qui détermine le moment où cet acte commence à être applicable et fait naître des obligations correspondantes pour les personnes concernées, ne pourrait pas être assimilée à un choix purement technique.

651    En ce qui concerne, en troisième lieu, le principe de coopération loyale, la République de Lituanie soutient, premièrement, que non seulement le législateur de l’Union n’a pas justifié la nécessité de faire entrer en vigueur, sans période transitoire, l’interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule ainsi que l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, mais, en outre, il n’a pas examiné de quelle manière il aurait été possible
de créer les conditions adéquates, en prévoyant une telle période transitoire, pour permettre aux États membres et aux entreprises de transport de s’adapter à ces nouvelles règles. En particulier, le législateur de l’Union n’aurait pas examiné s’il était possible d’adopter des mesures qui autoriseraient les États membres à s’adapter progressivement auxdites nouvelles règles et qui garantiraient que les entreprises de transport ne seront pas sanctionnées en raison de l’insuffisance de lieux
d’hébergement adéquats.

652    Deuxièmement, le législateur de l’Union n’aurait pas pris en compte le fait que la mise en œuvre appropriée de l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 n’était pas claire et que, par conséquent, pour garantir la mise en œuvre cohérente de cette obligation, l’adoption de mesures complémentaires était nécessaire.

653    Troisièmement, l’obligation d’assistance mutuelle aurait également été méconnue, dès lors qu’il serait manifeste que les États membres ne pourraient pas objectivement garantir des infrastructures d’hébergement et de stationnement suffisantes. Or, les institutions de l’Union seraient, en principe, tenues de dialoguer avec les États membres et de motiver le rejet des objections formulées par ceux-ci.

654    Le Parlement et le Conseil estiment, en substance, que ces moyens et ces arguments sont inopérants. En effet, même si l’article 3 du règlement 2020/1054 était annulé, la même date d’entrée en vigueur continuerait à s’appliquer en vertu de l’article 297, paragraphe 1, troisième alinéa, TFUE. En tout état de cause, lesdits moyens et arguments seraient dénués de fondement.

b)      Appréciation de la Cour

655    Sans qu’il soit besoin de statuer sur le bien-fondé de l’objection du Parlement et du Conseil, tirée du caractère inopérant, pour le motif relevé au point précédent, de la demande d’annulation de l’article 3 du règlement 2020/1054 introduite par la République de Lituanie, il convient de rappeler, en ce qui concerne l’entrée en vigueur de l’article 1^er, point 6, sous c), de ce règlement, que, ainsi qu’il a déjà été relevé aux points 481 à 494 du présent arrêt, cette disposition, qui prévoit
l’interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule, a procédé, contrairement à ce que soutient la République de Lituanie, à la codification de la jurisprudence de la Cour dégagée dans l’arrêt Vaditrans relativement à l’interprétation de l’article 8, paragraphe 8, du règlement n^o 561/2006, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de cet article 1^er, point 6, sous c).

656    Dans ces conditions, et la République de Lituanie ne contestant pas, par ailleurs, la validité de cette dernière disposition, il y a lieu de constater que les moyens et les arguments par lesquels cet État membre reproche au législateur de l’Union de n’avoir pas reporté l’entrée en vigueur de celle-ci sont nécessairement sans effet, puisque l’interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule qu’elle prévoit s’imposait déjà avant l’entrée en vigueur de cette même
disposition.

657    Partant, il y a lieu de rejeter comme étant inopérants l’ensemble des moyens et des arguments avancés par la République de Lituanie au soutien de ses conclusions tendant à l’annulation de l’article 3 du règlement 2020/1054, en tant que cet article fixe, à son premier alinéa, la date d’entrée en vigueur de l’article 1^er, point 6, sous c), de ce règlement.

658    Il convient, dès lors, d’examiner ces moyens et ces arguments uniquement en ce qu’ils sont avancés au soutien des conclusions tendant à l’annulation de l’article 3 du règlement 2020/1054 s’agissant de l’entrée en vigueur de l’article 1^er, point 6, sous d), de ce règlement.

659    En ce qui concerne, en premier lieu, le moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité, la République de Lituanie se borne à faire valoir que l’article 3 du règlement 2020/1054 est injustifié au motif de l’absence d’un document interprétatif permettant aux entreprises de transport de mettre en œuvre l’obligation leur incombant d’organiser le retour des conducteurs au centre opérationnel de leur employeur ou à leur lieu de résidence. Or, il suffit de rappeler que, ainsi qu’il
ressort des points 168 à 199 et 269 à 274 du présent arrêt, l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 respecte les exigences de clarté et de précision découlant du principe de sécurité juridique tout en laissant aux entreprises de transport une certaine flexibilité pour sa mise en œuvre, susceptible d’atténuer les conséquences négatives de cette disposition pour ces dernières.

660    Dans ces conditions, l’absence d’un tel document interprétatif ne saurait démontrer, à elle seule, que, en fixant l’entrée en vigueur de cette obligation, conformément à l’article 297, paragraphe 1, troisième alinéa, TFUE, au vingtième jour suivant la publication de ce règlement au Journal officiel de l’Union européenne, le législateur de l’Union a méconnu le principe de proportionnalité.

661    En ce qui concerne, en deuxième lieu, le moyen tiré de la violation de l’obligation de motivation, il convient de rappeler que l’article 296, deuxième alinéa, TFUE dispose que les actes juridiques des institutions de l’Union sont motivés. Il ressort toutefois de la jurisprudence constante de la Cour qu’une telle motivation doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et au contexte dans lequel il a été adopté (arrêt du 15 juillet 2021, Commission/Landesbank Baden-Württemberg et CRU,
C‑584/20 P et C‑621/20 P, EU:C:2021:601, point 104 ainsi que jurisprudence citée).

662    Or, en l’occurrence, le législateur de l’Union ayant prévu, à l’article 3, premier alinéa, du règlement 2020/1054, que l’article 1^er, point 6, sous d), de ce règlement entrerait en vigueur le vingtième jour suivant la publication dudit règlement au Journal officiel de l’Union européenne, il n’était pas tenu de motiver le choix de cette date d’entrée en vigueur, puisque celle-ci correspondait à celle prévue par défaut par le droit primaire, à l’article 297, paragraphe 1, troisième alinéa,
TFUE, pour l’entrée en vigueur des actes législatifs.

663    En ce qui concerne, en troisième lieu, la violation de l’obligation de coopération loyale, il est vrai que, en vertu de l’article 4, paragraphe 3, premier alinéa, TUE, l’Union et les États membres se respectent et s’assistent mutuellement dans l’accomplissement des missions découlant des traités.

664    Toutefois, dans les domaines où le législateur de l’Union dispose d’une large marge d’appréciation, la Cour vérifie uniquement, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 218 et 244 du présent arrêt, si celui-ci est en mesure d’établir qu’il a adopté l’acte en cause en ayant exercé de manière effective son pouvoir d’appréciation et d’exposer, à cette fin, de façon claire et non équivoque, les données de base sur le fondement desquelles cet acte a été adopté et dont dépendait
l’exercice de son pouvoir d’appréciation.

665    L’obligation de coopération loyale ne saurait avoir une portée plus étendue, en ce sens qu’elle aurait pour effet de contraindre, en toutes circonstances, le législateur de l’Union à produire, à la demande d’un État membre, des documents et des informations prétendument manquants ou à corriger des informations dont il dispose avant de pouvoir procéder à l’adoption d’un acte. En effet, une telle interprétation risquerait d’empêcher les institutions d’exercer leur pouvoir d’appréciation et de
bloquer le processus législatif. S’il est vrai que le devoir de coopération loyale comporte l’obligation d’assistance mutuelle qui implique, notamment, l’échange des informations pertinentes entre les institutions et les États membres dans le cadre du processus législatif, cette obligation ne saurait permettre à l’un de ces États membres, en cas de désaccord sur le caractère suffisant, pertinent ou exact des données disponibles, de contester pour ce seul motif la légalité du processus décisionnel
(voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2019, Pologne/Parlement et Conseil, C‑128/17, EU:C:2019:194, points 74 et 75).

666    Dans ces conditions, l’adoption d’un acte législatif dans le respect des dispositions pertinentes du traité FUE, malgré l’opposition de plusieurs États membres, ne saurait constituer une violation de l’obligation de coopération loyale incombant au Parlement et au Conseil (voir, en ce sens, arrêt du 13 mars 2019, Pologne/Parlement et Conseil, C‑128/17, EU:C:2019:194, point 76 ainsi que jurisprudence citée).

667    Or, en l’occurrence, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 523 de ses conclusions, il n’est pas contesté que, conformément à l’obligation d’assistance mutuelle découlant de l’obligation de coopération loyale prévue à l’article 4, paragraphe 3, TUE, la République de Lituanie a eu accès, au cours du processus législatif, à l’ensemble des documents sur lesquels s’est fondé le législateur de l’Union afin d’adopter le règlement 2020/1054 et que cet État membre a pu présenter ses
observations relatives aux données contenues dans ces documents ainsi qu’aux hypothèses retenues.

668    Cette constatation ne saurait être remise en cause par les arguments soulevés par la République de Lituanie, mentionnés aux points 651 à 653 du présent arrêt. En effet, outre le fait que ceux-ci recoupent, en substance, l’argumentation, rejetée aux points 659 à 662 du présent arrêt, tirée de la nécessité de l’introduction d’une période transitoire et de l’adoption d’un document interprétatif, le respect de l’obligation d’assistance mutuelle n’implique aucunement que le législateur de l’Union
serait tenu d’être d’accord avec cet État membre sur ces deux questions.

669    En conséquence, il convient de rejeter les trois moyens invoqués par la République de Lituanie à l’appui de ses conclusions tendant à l’annulation de l’article 3 du règlement 2020/1054, en tant que cet article fixe, à son premier alinéa, la date d’entrée en vigueur de l’article 1^er, point 6, sous d), de ce règlement, comme étant non fondés.

670    Eu égard à l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de rejeter le recours introduit par la République de Lituanie (affaire C–541/20) en tant qu’il tend à l’annulation de l’article 3 du règlement 2020/1054 comme étant, pour partie, inopérant et, pour partie, non fondé.

6.      Conclusion concernant le règlement 2020/1054

671    Il résulte de l’ensemble des développements qui précèdent qu’il convient de rejeter dans leur intégralité, d’une part, les recours introduits par la République de Lituanie (affaire C‑541/20) et la Hongrie (affaire C‑551/20) en ce qu’ils portent sur le règlement 2020/1054, ainsi que, d’autre part, les recours introduits par la République de Bulgarie (affaire C‑543/20), la Roumanie (affaire C‑546/20) et la République de Pologne (affaire C‑553/20).

B.      Sur le règlement 2020/1055

672    La République de Lituanie (affaire C‑542/20), la République de Bulgarie (affaire C‑545/20), la Roumanie (affaire C‑547/20), la République de Chypre (affaire C‑549/20), la Hongrie (affaire C‑551/20), la République de Malte (affaire C‑552/20) et la République de Pologne (affaire C‑554/20) demandent l’annulation de plusieurs dispositions du règlement 2020/1055 ou, à titre subsidiaire, de ce règlement dans son intégralité.

673    En premier lieu, les recours introduits par la République de Lituanie, la République de Bulgarie, la Roumanie, la République de Chypre, la Hongrie, la République de Malte et la République de Pologne visent à obtenir l’annulation de l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, qui prévoit l’obligation, pour les véhicules utilisés pour le transport international, de retourner dans un centre opérationnel
situé dans l’État membre d’établissement de l’entreprise de transport concernée toutes les huit semaines (ci-après l’« obligation relative au retour des véhicules »).

674    En deuxième lieu, le recours introduit par la République de Pologne vise à obtenir l’annulation de l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous g), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, qui prévoit l’obligation, pour les entreprises de transport, de disposer régulièrement, de manière continue, d’un nombre de véhicules et de conducteurs qui sont normalement rattachés à un centre opérationnel de leur État membre d’établissement, dans les deux
cas en proportion du nombre d’opérations de transport qu’elles exécutent.

675    En troisième lieu, les recours introduits par la République de Lituanie, la République de Bulgarie, la Roumanie, la République de Malte et la République de Pologne visent à obtenir l’annulation de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, qui a inséré un paragraphe 2 bis à l’article 8 du règlement n^o 1072/2009, lequel prévoit que les transporteurs ne sont pas autorisés à effectuer des transports de cabotage avec le même véhicule ou, s’il s’agit d’un ensemble de véhicules
couplés, avec le véhicule à moteur de ce même véhicule dans le même État membre d’accueil pendant quatre jours à compter de la fin d’une période de cabotage réalisée dans cet État membre (ci-après la « période de carence »).

676    En quatrième lieu, le recours introduit par la Roumanie vise à obtenir l’annulation de l’article 2, point 4, sous b), du règlement 2020/1055, qui a remplacé, au paragraphe 3 de l’article 8 du règlement n^o 1072/2009, le premier alinéa par un nouvel alinéa, lequel soumet les entreprises souhaitant effectuer des transports de cabotage à l’obligation d’apporter la preuve des transports antérieurs et de chaque transport de cabotage réalisé.

677    En cinquième lieu, le recours introduit par la Roumanie vise à obtenir l’annulation de l’article 2, point 4, sous c), du règlement 2020/1055, qui a inséré un paragraphe 4 bis à l’article 8 du règlement n^o 1072/2009, lequel prévoit les modalités de présentation de cette preuve.

678    En sixième et dernier lieu, le recours introduit par la République de Pologne vise à obtenir l’annulation de l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055, qui a ajouté un paragraphe 7 à l’article 10 du règlement n^o 1072/2009, lequel dispose que les États membres peuvent prévoir que l’article 8 du règlement n^o 1072/2009 s’applique aux transporteurs, dans l’État membre d’accueil, lorsqu’ils effectuent des trajets routiers initiaux ou terminaux, au sein de cet État membre d’accueil,
dans le cadre d’opérations de transports combinés entre États membres.

1.      Aperçu des moyens

679    À l’appui des conclusions de son recours (affaire C‑542/20) tendant à l’annulation de l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, et de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, la République de Lituanie invoque cinq mêmes moyens, tirés de la violation, pour le premier, de l’article 3, paragraphe 3, TUE, des articles 11 et 191 TFUE ainsi que de la politique de l’Union en matière
d’environnement et de lutte contre le changement climatique, pour le deuxième, de l’article 26 TFUE (première branche) et du principe général de non-discrimination (seconde branche), pour le troisième, de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE, pour le quatrième, du principe de « bonne législation » et, pour le cinquième, du principe de proportionnalité.

680    À l’appui des conclusions de son recours (affaire C‑545/20) tendant à l’annulation de l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, et de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, la République de Bulgarie invoque sept moyens, dont cinq sont communs aux deux dispositions attaquées, les troisième et sixième moyens n’étant soulevés qu’au soutien des conclusions tendant à l’annulation de la
première de ces dispositions. Le premier moyen est tiré de la violation de l’article 90 TFUE, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 3, TUE et l’article 11 TFUE, ainsi que de l’article 37 de la Charte (première branche) et de l’article 3, paragraphe 5, TUE, de l’article 208, paragraphe 2, et de l’article 216, paragraphe 2, TFUE ainsi que de l’accord de Paris (seconde branche). Le deuxième moyen, qui comporte également deux branches, est tiré de la violation du principe de proportionnalité,
consacré à l’article 5, paragraphe 4, TUE et à l’article 1^er du protocole sur les principes de subsidiarité et de proportionnalité. Le troisième moyen est tiré de la violation des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination, consacrés à l’article 18 TFUE ainsi qu’aux articles 20 et 21 de la Charte, du principe d’égalité des États membres devant les traités, consacré à l’article 4, paragraphe 2, TUE, et, « dans la mesure où la Cour le jugerait nécessaire », de l’article 95,
paragraphe 1, TFUE. Le quatrième moyen est tiré de la violation de l’article 91, paragraphe 1, TFUE. Le cinquième moyen est tiré de la violation de l’article 90 TFUE, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 3, TUE, de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE. Le sixième moyen est tiré de la violation de la liberté d’exercer une activité professionnelle, de la liberté d’établissement, prévue à l’article 49 TFUE, ainsi que des articles 15 et 16 de la Charte. Le septième moyen est
tiré de la violation, à titre principal, de l’article 58, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 91 TFUE, ou, à titre subsidiaire, de l’article 56 TFUE (première branche), ainsi que des articles 34 et 35 TFUE (seconde branche).

681    À l’appui des conclusions de son recours (affaire C‑547/20) tendant à l’annulation de l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, et de l’article 2, point 4, sous a) à c), du règlement 2020/1055, la Roumanie invoque trois moyens, dont deux sont communs aux dispositions attaquées, le deuxième moyen n’étant soulevé qu’au soutien des conclusions tendant à l’annulation de la première de ces dispositions.
Le premier moyen, qui comporte deux branches, est tiré de la violation du principe de proportionnalité, prévu à l’article 5, paragraphe 4, TUE. Le deuxième moyen est tiré de la violation de la liberté d’établissement, prévue à l’article 49 TFUE. Le troisième moyen est tiré de la violation du principe de non-discrimination en raison de la nationalité, prévu à l’article 18 TFUE.

682    À l’appui des conclusions de son recours (affaire C‑549/20) tendant à l’annulation de l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, la République de Chypre invoque sept moyens. Le premier moyen est tiré de la violation de l’article 90 TFUE, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 3, TUE et l’article 11 TFUE ainsi que de l’article 37 de la Charte (première branche) et de l’article 3,
paragraphe 5, TUE, de l’article 208, paragraphe 2, et de l’article 216, paragraphe 2, TFUE ainsi que de l’accord de Paris (seconde branche). Le deuxième moyen est tiré de la violation du principe de proportionnalité, consacré à l’article 5, paragraphe 4, TUE et à l’article 1^er du protocole sur les principes de subsidiarité et de proportionnalité. Le troisième moyen est tiré de la violation des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination, consacrés à l’article 18 TFUE ainsi qu’aux
articles 20 et 21 de la Charte, du principe d’égalité des États membres devant les traités, consacré à l’article 4, paragraphe 2, TUE, et, « dans la mesure où la Cour le jugerait nécessaire », de l’article 95, paragraphe 1, TFUE. Le quatrième moyen est tiré de la violation de l’article 91, paragraphe 1, TFUE. Le cinquième moyen est tiré de la violation de l’article 90 TFUE, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 3, TUE, de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE. Le sixième moyen
est tiré de la violation de la liberté d’exercer une activité professionnelle, de la liberté d’établissement, prévue à l’article 49 TFUE, ainsi que des articles 15 et 16 de la Charte. Le septième moyen est tiré de la violation, à titre principal, de l’article 58, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 91 TFUE, ou, à titre subsidiaire, de l’article 56 TFUE (première branche), ainsi que des articles 34 et 35 TFUE (seconde branche).

683    À l’appui des conclusions de son recours (affaire C‑551/20) tendant à l’annulation de l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, la Hongrie invoque deux moyens, tirés, pour le premier, d’une erreur manifeste d’appréciation et de la violation du principe de proportionnalité (première branche) ainsi que de la violation du principe de précaution (seconde branche) et, pour le second, de la violation du
principe de non-discrimination.

684    À l’appui des conclusions de son recours (affaire C‑552/20) tendant à l’annulation de l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, la République de Malte invoque deux moyens, tirés de la violation, pour le premier, des formes substantielles et de l’article 91, paragraphe 2, TFUE, lu en combinaison avec l’article 11 TFUE et l’article 37 de la Charte, ainsi que, pour le second, de l’article 5,
paragraphe 4, TUE et du principe de proportionnalité. À l’appui des conclusions de ce recours tendant à l’annulation de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, cet État membre soulève trois moyens, tirés de la violation, pour le premier, de l’article 91, paragraphe 2, TFUE, pour le deuxième, de l’article 5, paragraphe 4, TUE et du principe de proportionnalité et, pour le troisième, des articles 20 et 21 de la Charte ainsi que du principe de non-discrimination.

685    À l’appui des conclusions de son recours (affaire C‑554/20) tendant à l’annulation de l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 et de l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055, la République de Pologne invoque trois mêmes moyens, respectivement, pour chacune des dispositions attaquées, et un moyen commun à l’ensemble de ces
dispositions. Le premier moyen est tiré de la violation du principe de proportionnalité, consacré à l’article 5, paragraphe 4, TUE. Le deuxième moyen est tiré de la violation de l’article 91, paragraphe 2, TFUE. Le troisième moyen est tiré de la violation de l’article 94 TFUE. Le moyen commun à l’ensemble des dispositions attaquées du règlement 2020/1055 est tiré de la violation de l’article 11 TFUE et de l’article 37 de la Charte. À l’appui de ses conclusions tendant à l’annulation de
l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous g), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, cet État membre soulève deux moyens tirés, respectivement, de la violation du principe de proportionnalité, consacré à l’article 5, paragraphe 4, TUE, et de la violation du principe de sécurité juridique, ainsi que le moyen commun à l’ensemble des dispositions attaquées du règlement 2020/1055.

686    Il y a lieu d’examiner successivement les conclusions des recours tendant à l’annulation, premièrement, de l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, deuxièmement, de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, troisièmement, de l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous g), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, et, quatrièmement, de
l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055.

2.      Sur l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009

687    À l’appui de leurs recours respectifs tendant à l’annulation de l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, la République de Lituanie (affaire C‑542/20), la République de Bulgarie (affaire C‑545/20), la Roumanie (affaire C‑547/20), la République de Chypre (affaire C‑550/20), la Hongrie (affaire C‑551/20), la République de Malte (affaire C‑552/20) et la République de Pologne (affaire C‑554/20)
invoquent, selon le cas, la violation, en substance :

–        du principe de proportionnalité (quatrième et cinquième moyens de la République de Lituanie, deuxième moyen pris en sa première branche de la République de Bulgarie, premier moyen pris en sa première branche de la Roumanie, deuxième moyen de la République de Chypre, premier moyen pris en sa première branche de la Hongrie, second moyen de la République de Malte et premier moyen de la République de Pologne) ;

–        du principe de précaution (premier moyen pris en sa seconde branche de la Hongrie) ;

–        des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination [deuxième moyen pris en sa seconde branche de la République de Lituanie, troisième moyen de la République de Bulgarie, troisième moyen de la Roumanie, en ce qu’il est dirigé contre l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, troisième moyen de la République de Chypre et second moyen de la Hongrie] ;

–        des règles du droit de l’Union en matière de politique commune des transports, prévues, d’une part, à l’article 91, paragraphe 1, TFUE [quatrième moyen de la République de Bulgarie, en ce qu’il est dirigé contre l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, et quatrième moyen de la République de Chypre] et, d’autre part, à l’article 90 TFUE, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 3, TUE, à
l’article 91, paragraphe 2, et à l’article 94 TFUE [troisième moyen de la République de Lituanie s’agissant de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE, cinquième moyen de la République de Bulgarie, en ce qu’il est dirigé contre l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, cinquième moyen de la République de Chypre, premier moyen de la République de Malte, en ce qu’il vise l’article 91,
paragraphe 2, TFUE, lu en combinaison avec l’article 11 TFUE et avec l’article 37 de la Charte, ainsi que deuxième et troisième moyens de la République de Pologne s’agissant de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE] ;

–        du fonctionnement du marché intérieur, prévu à l’article 26 TFUE (deuxième moyen pris en sa première branche de la République de Lituanie) ;

–        de la liberté d’établissement, prévue à l’article 49 TFUE (sixième moyen de la République de Bulgarie, en ce qu’il vise cette disposition, deuxième moyen de la Roumanie et sixième moyen de la République de Chypre, en ce qu’il vise cette disposition) ;

–        de la liberté d’exercer une activité professionnelle ainsi que des articles 15 et 16 de la Charte (sixième moyen de la République de Bulgarie et sixième moyen de la République de Chypre, en ce qu’ils visent ces dispositions) ;

–        de la libre prestation de services, prévue à l’article 58, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 91 TFUE ou, à titre subsidiaire, à l’article 56 TFUE [septième moyen pris en sa première branche de la République de Bulgarie, en ce qu’il est dirigé contre l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, et septième moyen pris en sa première branche de la République de Chypre] ;

–        de la libre circulation des marchandises, prévue aux articles 34 et 35 TFUE [septième moyen pris en sa seconde branche de la République de Bulgarie, en ce qu’il est dirigé contre l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, et septième moyen pris en sa seconde branche de la République de Chypre], ainsi que

–        des règles du droit de l’Union et des engagements de l’Union en matière de protection de l’environnement [premier moyen de la République de Lituanie, premier moyen pris en ses deux branches de la République de Bulgarie, en ce qu’il est dirigé contre l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, premier moyen pris en ses deux branches de la République de Chypre, premier moyen de la République de
Malte, en ce qu’il vise ces règles, et moyen de la République de Pologne commun à l’ensemble des dispositions attaquées du règlement 2020/1055, en ce qu’il est dirigé contre l’article 1^er, point 3, de celui–ci, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009].

1.      Sur la violation du principe de proportionnalité

688    La République de Lituanie, par ses quatrième et cinquième moyens, la République de Bulgarie, par son deuxième moyen pris en sa première branche, la Roumanie, par son premier moyen pris en sa première branche, la République de Chypre, par son deuxième moyen, la Hongrie, par son premier moyen pris en sa première branche, la République de Malte, par son second moyen, ainsi que la République de Pologne, par son premier moyen, font valoir que l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en
tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, ne respecte pas les exigences découlant du principe de proportionnalité.

689    D’une part, ces États membres contestent que le législateur de l’Union ait procédé à l’examen de la proportionnalité de cette disposition, notamment en raison de l’absence d’analyse d’impact portant sur l’obligation relative au retour des véhicules prévue à ladite disposition. En particulier, si le quatrième moyen de la République de Lituanie est formellement tiré d’une violation du principe de « bonne législation » et des « formes substantielles », il ressort de l’argumentation avancée à son
appui que cet État membre vise, en réalité, à démontrer une violation du principe de proportionnalité au motif que les effets de cette obligation n’ont pas été dûment évalués. De même, si, par son premier moyen pris en sa première branche, la Hongrie fait formellement valoir une erreur manifeste d’appréciation et une violation du principe de proportionnalité, son argumentation dans ce contexte vise uniquement à démontrer une violation de ce dernier principe.

690    D’autre part, les États membres requérants contestent la proportionnalité en tant que telle de ladite obligation.

1)      Sur l’accomplissement par le législateur de l’Union d’un examen de la proportionnalité de l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009

1.      Argumentation des parties

691    La République de Lituanie, par son quatrième moyen, la République de Bulgarie, par son deuxième moyen pris en sa première branche, la Roumanie, par son premier moyen pris en sa première branche, la République de Chypre, par son deuxième moyen, la Hongrie, par son premier moyen pris en sa première branche, la République de Malte, par son second moyen, ainsi que la République de Pologne, par son premier moyen, contestent que le législateur de l’Union ait procédé à l’examen de la
proportionnalité de l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009.

692    En premier lieu, ces États membres font valoir l’absence d’analyse d’impact portant sur l’obligation relative au retour des véhicules prévue à cette disposition.

693    La République de Lituanie souligne que, en vertu de l’article 11, paragraphe 3, TUE, la Commission a l’obligation, en vue d’assurer la cohérence et la transparence des actions de l’Union, de procéder à de larges consultations des parties concernées.

694    Cet État membre ainsi que la Hongrie et la République de Malte soutiennent que l’article 2 du protocole sur les principes de subsidiarité et de proportionnalité impose également à la Commission une obligation analogue de procéder à de larges consultations. Il en irait de même de l’article 5 de ce protocole, qui dispose que les projets d’actes législatifs sont motivés au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité et exige que tout projet d’acte législatif comporte des éléments
circonstanciés permettant d’apprécier le respect de ces principes, ce dont il découlerait que ces projets doivent tenir compte de la nécessité de faire en sorte que toute charge incombant aux opérateurs économiques soit la moins élevée possible et à la mesure de l’objectif à atteindre.

695    Par ailleurs, la République de Lituanie, la Roumanie, la Hongrie, la République de Malte et la République de Pologne font valoir que l’accord interinstitutionnel, notamment les points 12 à 15 de celui-ci, prévoit que la Commission procède à une analyse d’impact de ses initiatives législatives qui sont susceptibles d’avoir une incidence économique, environnementale ou sociale importante. Une telle analyse devrait se fonder sur des éléments d’information exacts, objectifs et complets et devrait
être proportionnée en ce qui concerne leur portée et les sujets qu’elle aborde.

696    Ainsi, lors de l’examen des propositions législatives de la Commission, le Parlement et le Conseil devraient tenir pleinement compte des analyses d’impact de la Commission, lesquelles constitueraient une étape du processus législatif devant, en règle générale, intervenir lorsqu’une initiative législative est susceptible d’avoir une incidence économique, environnementale ou sociale importante. Si, au cours de la procédure législative, des modifications substantielles sont apportées à la
proposition de la Commission, le Parlement et le Conseil devraient effectuer des analyses d’impact de ces modifications, lorsqu’ils le jugent approprié et nécessaire.

697    La République de Lituanie précise que le caractère approprié et nécessaire des analyses d’impact ne saurait être interprété comme relevant d’une appréciation purement subjective, dépendant exclusivement de la volonté du législateur de l’Union. Au contraire, cette appréciation devrait être fondée sur des données objectives existantes, puisqu’il s’agirait du seul moyen de garantir que ce législateur n’abuse pas de son pouvoir d’appréciation.

698    Or, l’ensemble des États membres requérants soutiennent que, d’une part, l’obligation relative au retour des véhicules ne figurait pas dans la proposition de règlement « établissement » et n’aurait, ainsi, pas fait l’objet de l’analyse d’impact – volet établissement. D’autre part, l’introduction de cette obligation constituerait une modification substantielle de la proposition initiale en raison de l’incidence économique et environnementale importante de ladite obligation. Les parties
intéressées et certains États membres auraient informé le législateur de l’Union de cette incidence et lui auraient demandé, de manière répétée, de mener une analyse d’impact sur ce sujet.

699    Ainsi que le soulignent, en particulier, la République de Bulgarie et la Roumanie, l’obligation relative au retour des véhicules n’a pas la même nature que les autres conditions envisagées par la Commission afin de s’assurer du caractère effectif et stable de l’établissement, lesquelles ont été couvertes par l’analyse d’impact – volet établissement, telles que l’exercice d’une activité opérationnelle ou de transport dans l’État membre d’établissement ou le fait d’avoir au moins un contrat
commercial dans cet État membre. En effet, de telles obligations, mentionnées dans le cadre de la mesure 18 figurant dans cette analyse d’impact – volet établissement (partie 1/2, p. 30 et 31), n’auraient pas nécessité le retour des véhicules au centre opérationnel de l’entreprise de transport concernée. Par conséquent, les résultats figurant dans cette analyse d’impact ne seraient pas pertinents pour apprécier les effets de l’obligation relative au retour des véhicules.

700    En second lieu, les États membres requérants reprochent au législateur de l’Union de ne pas avoir disposé de suffisamment d’éléments lui permettant d’apprécier la proportionnalité de cette obligation.

701    Ces États membres reconnaissent que le législateur de l’Union dispose d’une large marge d’appréciation dans le domaine des transports, laquelle s’applique non seulement à la nature et à la portée des dispositions à prendre, mais également, dans une certaine mesure, à la constatation des données de base. Lesdits États membres estiment, toutefois, que ce législateur doit être en mesure de démontrer que, afin d’adopter ces dispositions, il a exercé de manière effective son pouvoir
d’appréciation, en ce qu’il a pris en considération tous les éléments et circonstances pertinents de la situation que lesdites dispositions entendent régir. Ledit législateur devrait donc pouvoir produire et exposer de façon claire et non équivoque les données de base sur le fondement desquelles les mesures contestées ont été adoptées et dont dépendrait l’exercice de son pouvoir d’appréciation.

702    À cet égard, la Roumanie souligne que les données scientifiques sur lesquelles reposent les mesures que le législateur de l’Union adopte constituent non seulement le fondement de sa marge d’appréciation, mais également les limites de cette marge.

703    Or, le Parlement et le Conseil n’auraient pas apporté la preuve que ce législateur disposait de suffisamment d’éléments lui permettant d’apprécier la proportionnalité de l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009.

704    Ce constat serait confirmé par la décision de la Commission de procéder à une analyse d’impact de l’obligation relative au retour des véhicules à la suite de l’adoption du règlement 2020/1055, qui a abouti à l’étude, intitulée « Assessment of the impact of a provision in the context of the revision of Regulation (EC) n ^o 1071/2009 and Regulation (EC) n ^o 1072/2009, Final report » [« Analyse d’impact d’une disposition dans le contexte de la révision du règlement (CE) n^o 1071/2009 et du
règlement (CE) n^o 1072/2009, rapport final »], publiée au mois de février 2021.

705    Par ailleurs, la République de Pologne fait valoir que, en l’absence d’analyse d’impact, les critères d’appréciation retenus par le législateur de l’Union pour déterminer la fréquence de retour des véhicules au centre opérationnel situé dans l’État membre d’établissement de l’entreprise de transport concernée sont arbitraires. Par conséquent, il serait difficile de percevoir les raisons pour lesquelles une fréquence de retour de huit semaines permettrait de considérer que l’exigence d’un
établissement stable et effectif dans cet État membre a été respectée.

706    À cet égard, la République de Pologne relève que, selon le considérant 8 du règlement 2020/1055, une synchronisation de l’obligation relative au retour des véhicules avec l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 renforce le droit de retour des conducteurs et réduit le risque que le véhicule doive revenir uniquement pour satisfaire à cette nouvelle exigence en matière d’établissement. Toutefois, les mesures du règlement 2020/1055 devraient être justifiées
par les objectifs poursuivis par ce dernier. Ainsi, le fait que l’obligation relative au retour des véhicules a été synchronisée avec une autre obligation prévue dans le règlement 2020/1054 ne fournirait pas une justification suffisante.

707    Le Parlement et le Conseil estiment que ces arguments ne sont pas fondés.

708    Ces institutions font valoir que le fait qu’aucune analyse d’impact n’a été réalisée pour un acte donné, ou a fortiori, pour une disposition particulière, ne permettrait pas de conclure que son adoption est contraire au principe de proportionnalité. En effet, le législateur de l’Union ne serait pas soumis à une obligation procédurale autonome d’effectuer des analyses d’impact. De telles analyses pourraient jouer un rôle important dans l’application du principe de proportionnalité, mais elles
ne constitueraient pas l’unique source de données éclairant l’action de ce législateur. Ce dernier pourrait également tenir compte de toute autre source d’information, y compris des sources publiques.

709    Ainsi, en cas de modifications apportées à la proposition de la Commission, il appartiendrait au législateur de l’Union de déterminer s’il convient de procéder à une analyse d’impact complémentaire de celle accompagnant cette proposition, s’il juge la réalisation d’une telle analyse complémentaire appropriée et nécessaire. À cet égard, la large marge d’appréciation de ce législateur s’appliquerait non pas exclusivement à la nature et à la portée des dispositions à prendre, mais aussi, dans
une certaine mesure, à la constatation des données de base, tant que le choix politique est fondé sur des critères objectifs et que les buts poursuivis par la mesure retenue sont de nature à justifier les conséquences économiques négatives pour les opérateurs économiques. Ainsi, il ne serait pas nécessaire que ledit législateur se fonde uniquement sur des données de base qui concernent spécifiquement les dispositions adoptées, ni qu’il tire les mêmes conclusions que les auteurs des rapports ou
études auxquels il a eu recours.

710    Le fait de ne pas procéder à une analyse d’impact ne pourrait être qualifié de violation du principe de proportionnalité lorsque le législateur de l’Union se trouve dans une situation particulière nécessitant d’en faire l’économie et dispose de suffisamment d’éléments lui permettant d’apprécier la proportionnalité de la mesure adoptée.

711    Or, en l’occurrence, selon le Parlement et le Conseil, le législateur de l’Union disposait de suffisamment d’éléments afin de prendre en considération les répercussions de l’obligation relative au retour des véhicules.

712    Premièrement, l’analyse d’impact – volet établissement aurait procédé à une analyse exhaustive du marché concerné et des difficultés propres à celui-ci. Par ailleurs, cette analyse d’impact comporterait, au titre de la mesure 18 (partie 1/2, p. 30 et 31), une analyse des incidences sociales et économiques, y compris leurs effets sur les PME, de différentes hypothèses qui sont pertinentes pour l’évaluation du modèle choisi par le législateur de l’Union, à savoir celle selon laquelle
« l’entreprise doit exercer des activités d’exploitation ou de transport substantielles dans l’État d’établissement » ou celle selon laquelle « l’entreprise doit être liée par au moins un contrat commercial dans l’État d’établissement ».

713    La Commission aurait donc examiné les conséquences de ces deux mesures qui, bien qu’elles soient formulées différemment de l’obligation relative au retour des véhicules, poursuivraient le même objectif que cette dernière obligation. Ainsi, le législateur de l’Union aurait pu présumer que les incidences de la mesure qu’il a adoptée étaient du même ordre que celles des mesures que la Commission a examinées.

714    En outre, ce législateur aurait également été en droit de se fonder sur les analyses d’impact de la Commission relatives aux autres aspects du premier train de mesures sur la mobilité, ce qui aurait conduit ledit législateur à choisir de synchroniser l’obligation relative au retour des véhicules avec l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 afin de limiter les incidences de la première de ces obligations sur les entreprises de transport ainsi que sur
l’environnement.

715    Deuxièmement, au cours des négociations, le législateur de l’Union aurait eu accès à d’autres études et estimations appartenant, pour certaines, au domaine public, telles que l’« étude TRT Trasporti e Territorio, 2017, réalisée pour la commission des transports et du tourisme (TRAN) – Les transporteurs routiers de marchandises dans l’UE : conditions sociales et de travail (mise à jour de l’étude réalisée en 2013), Parlement européen, département thématique des politiques structurelles et de
cohésion, Bruxelles », ou les documents relatifs aux deux auditions publiques organisées, l’une, par les commissions emploi et affaires sociales (EMPL) et TRAN, le 16 octobre 2017, et, l’autre, par la commission TRAN, le 22 novembre 2017, afin de traiter de questions liées au marché des transports routiers et des aspects sociaux du train de mesures sur la mobilité.

716    Par ailleurs, auraient également été prises en compte par le législateur de l’Union les estimations de l’IRU sur les conséquences d’une obligation qui imposerait un retour des véhicules toutes les trois ou quatre semaines, telles qu’elles ressortent d’une lettre ouverte du 26 octobre 2018, l’étude, effectuée pour le compte de Transport i Logistyka Polska (Transport et logistique Pologne), intitulée « Mobility package I – Impact on the European road transport system » (« Paquet mobilité I :
Effets sur le système européen de transport routier »), laquelle aurait été très critique vis-à-vis d’un amendement rejeté dans le cadre du processus législatif proposant un retour des véhicules toutes les quatre semaines, ou encore une communication de la Fédération européenne des travailleurs des transports dans laquelle les conséquences d’une mesure figurant dans un rapport du Parlement et consistant en une obligation pour tous les véhicules d’effectuer au moins un chargement ou un déchargement
de marchandises toutes les trois semaines dans l’État membre d’établissement auraient été examinées.

717    En outre, les États membres requérants reconnaîtraient avoir eux-mêmes fourni au législateur de l’Union, au cours de la procédure législative, des informations ayant trait à l’obligation relative au retour des véhicules, lesquelles auraient permis à ce législateur d’apprécier les incidences de cette obligation. À cet égard, dans les affaires C‑542/20, C‑545/20, C‑549/20 et C‑554/20, le Parlement et le Conseil renvoient, en particulier, à certaines des études présentées par les États membres
requérants au soutien de leurs recours.

2.      Appréciation de la Cour

718    Par leur argumentation, la République de Lituanie, la République de Bulgarie, la Roumanie, la République de Chypre, la Hongrie, la République de Malte et la République de Pologne soutiennent que l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, viole le principe de proportionnalité, au motif que le législateur de l’Union ne disposait ni d’une analyse d’impact portant sur cette disposition ni de
suffisamment d’éléments pour en apprécier la proportionnalité.

719    Il est constant que ladite disposition, qui prévoit l’obligation, pour les véhicules utilisés pour le transport international, de retourner dans un centre opérationnel situé dans l’État membre d’établissement de l’entreprise de transport concernée toutes les huit semaines, n’a pas fait l’objet de l’analyse d’impact – volet établissement.

720    Il convient toutefois de souligner que, ainsi qu’il a été rappelé aux points 218 à 226 du présent arrêt, non seulement le législateur de l’Union n’est pas tenu de disposer d’une analyse d’impact en toutes circonstances, mais, en outre, une telle analyse d’impact ne le lie pas, ce législateur restant donc libre d’adopter des mesures autres que celles qui en ont fait l’objet.

721    Il n’en reste pas moins que, ainsi qu’il a été exposé au point 243 du présent arrêt, ce même législateur est tenu de fonder son choix sur des critères objectifs et d’examiner si les buts poursuivis par la mesure retenue sont de nature à justifier des conséquences économiques négatives, même considérables, pour certains opérateurs.

722    Ainsi, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 218 et 244 du présent arrêt, il appartient au législateur de l’Union, lorsque l’acte en cause fait l’objet d’un recours juridictionnel, d’établir devant la Cour que, aux fins d’adopter celui-ci, il a exercé de manière effective son pouvoir d’appréciation, en ce qu’il a pris en considération tous les éléments et les circonstances pertinents de la situation que cet acte a entendu régir. Il en résulte que ce législateur doit, à tout le
moins, pouvoir produire et exposer de façon claire et non équivoque les données de base ayant dû être prises en compte pour fonder les mesures contestées dudit acte et dont dépendait l’exercice de son pouvoir d’appréciation.

723    Par conséquent, il convient d’apprécier si les informations dont font état le Parlement et le Conseil établissent que le législateur de l’Union disposait de suffisamment d’éléments lui permettant d’apprécier la proportionnalité de l’obligation relative au retour des véhicules, prévue à l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, à la date d’adoption de cette disposition.

724    À cet égard, il y a lieu d’examiner, en premier lieu, s’il peut être établi que ce législateur a exercé de manière effective son pouvoir d’appréciation en ayant eu recours, ainsi que le Parlement et le Conseil le font valoir, à l’analyse d’impact – volet établissement ou aux analyses d’impact relatives aux autres aspects du premier train de mesures sur la mobilité.

725    Premièrement, contrairement à ce que soutiennent ces institutions, il ne peut être établi que tel a été le cas au motif que l’analyse d’impact – volet établissement décrit le marché concerné et les difficultés propres à celui-ci. En effet, l’identification des caractéristiques ainsi que des difficultés de ce marché n’équivaut pas à l’appréciation des conséquences découlant des moyens envisagés pour y remédier. Ainsi, le législateur de l’Union a pu, certes, se fonder sur cette analyse en ce
qui concerne l’état dudit marché. Toutefois, l’invocation des données y figurant, relatives à de telles caractéristiques et difficultés, ne revient pas à produire et à exposer de façon claire et non équivoque les données de base sur le fondement desquelles l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, a été adopté et dont dépendait l’exercice effectif, par ce législateur, de son pouvoir d’appréciation.

726    Il en va de même pour ce qui est de l’appréciation des conséquences d’obligations autres que celle relative au retour des véhicules, figurant dans cette même analyse d’impact.

727    À cet égard, il y a lieu de relever que l’obligation relative au retour des véhicules poursuit, certes, le même objectif que la mesure 18 figurant dans l’analyse d’impact – volet établissement (partie 1/2, p. 30 et 31), laquelle, afin d’assurer le caractère effectif et stable de l’établissement des entreprises de transport, envisageait notamment que ces entreprises de transport aient une activité opérationnelle ou de transport significative dans l’État membre d’établissement ou qu’elles aient
au moins un contrat commercial dans ce dernier. Toutefois, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 646 de ses conclusions, ces deux mesures constituent des moyens de réaliser cet objectif qui ne sont pas comparables à l’obligation relative au retour des véhicules, en ce qu’elles n’exigeaient pas un retour des véhicules dans le centre opérationnel de l’entreprise de transport concernée. En conséquence, il ne saurait être présumé que les conséquences de ces mesures sont similaires et que
l’évaluation de l’incidence des mesures qui ont fait l’objet de l’analyse d’impact – volet établissement peut être transposée à l’obligation relative au retour des véhicules qui n’a pas fait l’objet de cette analyse.

728    Deuxièmement, c’est également en vain que le Parlement et le Conseil invoquent les analyses d’impact relatives aux autres aspects du premier train de mesures sur la mobilité, en particulier l’obligation prévue à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, pour démontrer l’exercice effectif, par le législateur de l’Union, de son pouvoir d’appréciation. En effet, ainsi qu’il a été relevé aux points 220, 233 et 295 du présent arrêt, l’obligation, qui incombe aux entreprises de
transport en vertu de cette disposition, ne porte pas sur les modalités pratiques du retour éventuel des conducteurs, notamment celles concernant le moyen de transport qu’ils peuvent utiliser pour effectuer ce retour. En particulier, cette obligation n’implique pas que les conducteurs qui souhaitent retourner au centre opérationnel de l’employeur ou à leur lieu de résidence le fassent nécessairement au moyen du véhicule utilisé pour réaliser des opérations de transport. Il s’ensuit que les
évaluations relatives à ladite obligation figurant dans l’analyse d’impact – volet social, concernant l’incidence économique et environnementale de celle–ci, n’étaient pas pertinentes pour apprécier les conséquences économiques et environnementales de l’obligation relative au retour des véhicules.

729    Il convient d’examiner, en second lieu, eu égard à la jurisprudence rappelée au point 722 du présent arrêt, si le législateur de l’Union a établi avoir exercé, en l’espèce, de manière effective son pouvoir d’appréciation sur le fondement des autres données de base invoquées, devant la Cour, par le Parlement et le Conseil.

730    Premièrement, pour des raisons analogues à celles exposées aux points 724 à 727 du présent arrêt, il y a lieu d’écarter l’étude TRT Trasporti e Territorio, de 2017, visée au point 715 du présent arrêt, ainsi que les documents relatifs aux deux auditions publiques organisées au cours des mois d’octobre et de novembre 2017 par les commissions EMPL et TRAN, d’une part, et la commission TRAN, d’autre part. En effet, les éléments exposés dans ces documents n’ont pas trait à l’obligation relative
au retour des véhicules.

731    Il convient, deuxièmement, d’écarter les estimations de l’IRU, telles qu’elles ressortent de sa lettre ouverte du 26 octobre 2018, invoquée par le Parlement et le Conseil, selon lesquelles une obligation de retour des véhicules dans l’État membre d’établissement toutes les trois ou quatre semaines pourrait conduire à une augmentation, de 80 à 135 millions, du nombre de kilomètres parcourus par les véhicules chaque année.

732    En effet, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 652 de ses conclusions, ces estimations font l’objet d’une présentation succincte dans une lettre qui ne précise pas la méthodologie de calcul suivie. Partant, la présentation de telles données n’est pas à même d’établir qu’ont été produites et exposées de façon claire et non équivoque les données de base ayant dû être prises en compte par le législateur de l’Union pour fonder l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant
qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, et dont dépendait l’exercice effectif, par ce législateur, de son pouvoir d’appréciation.

733    De telles considérations valent également pour la communication de la Fédération européenne des travailleurs des transports, dont le Conseil fait mention.

734    Il en est de même, troisièmement, de l’étude effectuée pour le compte de Transport i Logistyka Polska  (Transport et logistique Pologne) (« Paquet mobilité I : Effets sur le système européen de transport routier »), visée au point 716 du présent arrêt. En effet, force est de constater que, outre le caractère succinct des développements consacrés à l’hypothèse d’une obligation de retour des véhicules dans l’État membre d’établissement toutes les quatre semaines, cette dernière étude indique,
aux pages 31 et 34, d’une part, qu’aucun des participants n’était en mesure de quantifier de manière précise les effets découlant d’une telle obligation et que ladite étude ne représente qu’une estimation préliminaire et sommaire de tels effets. D’autre part, cette même étude souligne que de nombreuses questions restent en suspens et que des recherches supplémentaires sont nécessaires pour comprendre pleinement les répercussions sociales, environnementales et économiques du premier train de mesures
sur la mobilité.

735    Pour ce qui est, quatrièmement, des informations prétendument fournies par les États membres requérants dont le législateur de l’Union aurait disposé au cours de la procédure législative, il convient d’observer que la seule invocation de l’existence d’études et de documents auxquels ce législateur a pu avoir accès ne suffit pas pour considérer qu’ont été produites et exposées de façon claire et non équivoque les données de base sur le fondement desquelles l’obligation relative au retour des
véhicules a été adoptée et dont dépendait l’exercice de son pouvoir d’appréciation.

736    Une telle exigence ne saurait non plus être satisfaite par le renvoi opéré, ainsi que le font le Parlement et le Conseil dans les affaires C‑542/20, C‑545/20, C‑549/20 et C‑554/20, aux études présentées par les États membres requérants devant la Cour. En effet, en opérant ce renvoi, le Parlement et le Conseil n’ont, en tout état de cause, pas allégué que c’est sur le fondement de ces études que l’obligation relative au retour des véhicules a été adoptée, ni précisé la manière dont les données
de base y figurant leur ont permis d’apprécier la proportionnalité de cette obligation, notamment au regard de ses répercussions sociales, environnementales et économiques.

737    Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de considérer que le Parlement et le Conseil, contrairement à ce qu’ils font valoir sur la base des documents qu’ils invoquent devant la Cour, n’ont pas produit et exposé de façon claire et non équivoque les données de base sur le fondement desquelles ladite obligation a été adoptée et dont dépendait l’exercice de leur pouvoir d’appréciation. Ils n’ont ainsi pas établi qu’ils disposaient, lors de l’adoption du règlement 2020/1055, de suffisamment
d’éléments leur permettant d’apprécier la proportionnalité de l’obligation relative au retour des véhicules.

738    En conséquence, il y a lieu d’accueillir le quatrième moyen invoqué par la République de Lituanie ainsi que, dans la mesure où ils sont tirés d’une violation du principe de proportionnalité, au motif que le législateur de l’Union n’a pas examiné la proportionnalité de l’obligation relative au retour des véhicules, le deuxième moyen pris en sa première branche invoqué par la République de Bulgarie, le premier moyen pris en sa première branche invoqué par la Roumanie, le deuxième moyen invoqué
par la République de Chypre, le premier moyen pris en sa première branche invoqué par la Hongrie, le second moyen invoqué par la République de Malte et le premier moyen invoqué par la République de Pologne. Partant, il convient d’annuler l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009.

2.      Sur la proportionnalité de l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009

739    Dès lors que, ainsi qu’il ressort des points 718 à 738 du présent arrêt, l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, doit être annulé pour violation du principe de proportionnalité, au motif que le législateur de l’Union n’a pas examiné la proportionnalité de cette disposition, il n’y a pas lieu d’examiner l’argumentation de la République de Lituanie, de la République de Bulgarie, de la Roumanie, de
la République de Chypre, de la Hongrie, de la République de Malte et de la République de Pologne, par laquelle ces États membres contestent la proportionnalité en tant que telle de ladite disposition.

2.      Sur les autres moyens dirigés contre l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009

740    Pour le même motif que celui mentionné au point précédent, il n’y a pas lieu d’examiner les autres moyens invoqués par la République de Lituanie, la République de Bulgarie, la Roumanie, la République de Chypre, la Hongrie, la République de Malte et la République de Pologne au soutien de leurs conclusions tendant à l’annulation de cette disposition.

3.      Sur l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055

741    Par leurs recours, la République de Lituanie (affaire C‑542/20), la République de Bulgarie (affaire C‑545/20), la République de Malte (affaire C‑552/20) et la République de Pologne (affaire C‑554/20) demandent l’annulation de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055.

742    Par son recours, la Roumanie (affaire C‑547/20) demande l’annulation de l’article 2, point 4, sous a) à c), de ce règlement, sans toutefois développer une argumentation propre aux points b) et c) de cet article 2, point 4, de sorte que, par son argumentation, la Roumanie souhaite, en réalité, obtenir l’annulation de ces dispositions prises ensemble.

743    À l’appui de leurs demandes, ces États membres invoquent, selon le cas, 4la violation, en substance :

–        du principe de proportionnalité (quatrième et cinquième moyens de la République de Lituanie, deuxième moyen pris en sa seconde branche de la République de Bulgarie, premier moyen pris en sa seconde branche de la Roumanie, deuxième moyen de la République de Malte et premier moyen de la République de Pologne) ;

–        des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination [deuxième moyen pris en sa seconde branche de la République de Lituanie, troisième moyen de la Roumanie, en ce qu’il est dirigé contre l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, et troisième moyen de la République de Malte] ;

–        des règles du droit de l’Union en matière de politique commune des transports, prévues, d’une part, à l’article 91, paragraphe 1, TFUE [quatrième moyen de la République de Bulgarie, en ce qu’il est dirigé contre l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055] et, d’autre part, à l’article 90 TFUE, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 3, TUE, à l’article 91, paragraphe 2, et à l’article 94 TFUE [troisième moyen de la République de Lituanie s’agissant de l’article 91,
paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE, cinquième moyen de la République de Bulgarie, en ce qu’il est dirigé contre l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, premier moyen de la République de Malte s’agissant de l’article 91, paragraphe 2, TFUE, ainsi que deuxième et troisième moyens de la République de Pologne s’agissant de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE] ;

–        du fonctionnement du marché intérieur, prévu à l’article 26 TFUE (deuxième moyen pris en sa première branche de la République de Lituanie) ;

–        de la libre prestation de services, prévue à l’article 58, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 91 TFUE ou, à titre subsidiaire, à l’article 56 TFUE [septième moyen pris en sa première branche de la République de Bulgarie, en ce qu’il est dirigé contre l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055] ;

–        de la libre circulation des marchandises, prévue aux articles 34 et 35 TFUE [septième moyen pris en sa seconde branche de la République de Bulgarie, en ce qu’il est dirigé contre l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055], ainsi que

–        des règles du droit de l’Union et des engagements de l’Union en matière de protection de l’environnement [premier moyen de la République de Lituanie, premier moyen pris en ses deux branches de la République de Bulgarie, en ce qu’il est dirigé contre l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, et moyen de la République de Pologne commun à l’ensemble des dispositions attaquées du règlement 2020/1055, en ce qu’il est dirigé contre l’article 2, point 4, sous a), de celui–ci].

1.      Sur la violation du principe de proportionnalité

744    La République de Lituanie, par ses quatrième et cinquième moyens, la République de Bulgarie, par son deuxième moyen pris en sa seconde branche, la Roumanie, par son premier moyen pris en sa seconde branche, la République de Malte, par son deuxième moyen, et la République de Pologne, par son premier moyen, font valoir que l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 ne respecte pas les exigences découlant du principe de proportionnalité.

745    D’une part, ces États membres contestent que le législateur de l’Union ait procédé à l’examen de la proportionnalité de cette disposition, notamment en raison de l’absence d’analyse d’impact portant sur la période de carence. En particulier, si le quatrième moyen de la République de Lituanie est formellement tiré d’une violation du principe de « bonne législation » et des « formes substantielles », il ressort de l’argumentation avancée à son appui que cet État membre vise, en réalité, à
démontrer une violation du principe de proportionnalité au motif que les effets de cette période de carence n’ont pas été dûment évalués.

746    D’autre part, lesdits États membres contestent la proportionnalité en tant que telle de ladite période.

1.      Sur l’accomplissement par le législateur de l’Union d’un examen de la proportionnalité de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055

1.      Argumentation des parties

747    La République de Lituanie, par son quatrième moyen, la République de Bulgarie, par son deuxième moyen pris en sa seconde branche, la Roumanie, par son premier moyen pris en sa seconde branche, la République de Malte, par son deuxième moyen, et la République de Pologne, par son premier moyen, contestent que le législateur de l’Union ait procédé à l’examen de la proportionnalité de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, notamment en raison de l’absence d’analyse d’impact de la
période de carence prévue à cette disposition.

748    Ces États membres invoquent, en substance, les mêmes arguments que ceux exposés aux points 691 à 703 du présent arrêt.

749    Ils soutiennent ainsi que la mesure instituant la période de carence de quatre jours, prévue à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, ne figurait pas dans la proposition de règlement « établissement ». Ils exposent que cette mesure n’a été ajoutée qu’au cours de la procédure législative, après le rejet par le Parlement et le Conseil de la modification de l’article 8, paragraphe 2, du règlement n^o 1072/2009 envisagée dans cette proposition de règlement, laquelle aurait
consisté à supprimer la référence au nombre maximal de transports de cabotage pouvant être effectués dans un État membre d’accueil au cours d’un même cycle de cabotage et à réduire de sept à cinq jours la période au cours de laquelle ces transports de cabotage peuvent être effectués dans cet État membre.

750    Or, la mesure instituant la période de carence constituerait une modification substantielle de la proposition de règlement « établissement », qui aurait dû faire l’objet d’une analyse d’impact complémentaire. Faute pour le législateur de l’Union d’avoir procédé à celle-ci, il n’aurait pas disposé de suffisamment d’éléments pour exercer de manière effective son pouvoir d’appréciation.

751    Par ailleurs, ce législateur n’aurait pas fait état de raisons objectives justifiant l’absence de nécessité d’effectuer une analyse d’impact complémentaire.

752    Le Parlement et le Conseil estiment que ces arguments ne sont pas fondés.

2.      Appréciation de la Cour

753    Il convient d’observer que, ainsi que le font valoir la République de Lituanie, la République de Bulgarie, la Roumanie, la République de Malte et la République de Pologne, dans la proposition de règlement « établissement », la Commission a envisagé de modifier l’article 8, paragraphe 2, du règlement n^o 1072/2009, en supprimant la référence au nombre maximal de transports de cabotage pouvant être effectués dans un État membre d’accueil au cours d’un même cycle de cabotage et en réduisant de
sept à cinq jours la période au cours de laquelle ces transports de cabotage peuvent être effectués dans cet État membre.

754    Toutefois, le législateur de l’Union a adopté une mesure distincte de celle proposée par la Commission. En effet, tout en maintenant l’autorisation de réaliser un nombre maximal de trois transports de cabotage consécutifs à un transport international en provenance d’un autre État membre ou d’un pays tiers à destination de l’État membre d’accueil au cours d’une période de sept jours, ne modifiant dès lors pas l’article 8, paragraphe 2, du règlement n^o 1072/2009, il a introduit, par
l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, qui insère un paragraphe 2 bis à cet article 8, une mesure supplémentaire sous la forme de la période de carence. Ainsi, conformément à cet article 8, paragraphe 2 bis, les transporteurs ne sont pas autorisés à effectuer des transports de cabotage avec le même véhicule dans le même État membre d’accueil pendant quatre jours à compter de la fin d’une période de cabotage réalisée dans cet État membre.

755    Il convient, toutefois, de rappeler que, ainsi qu’il a été exposé au point 720 du présent arrêt, non seulement le législateur de l’Union n’est pas tenu de disposer d’une analyse d’impact en toutes circonstances, mais, en outre, une telle analyse d’impact ne le lie pas, ce législateur restant donc libre d’adopter des mesures autres que celles qui en ont fait l’objet. Partant, le seul fait que, en l’occurrence, le législateur de l’Union a adopté, dans le règlement 2020/1055, une disposition
différente de celle proposée initialement par la Commission, sur la base de l’analyse d’impact – volet établissement, ne saurait suffire à démontrer qu’il a méconnu le principe de proportionnalité, pour autant que ce législateur soit en mesure d’établir qu’il a exercé de manière effective son pouvoir d’appréciation et que, à cette fin, il puisse produire et exposer de façon claire et non équivoque les données de base sur le fondement desquelles la disposition relative à cette période de carence a
été adoptée et dont dépendait l’exercice de ce pouvoir.

756    Par conséquent, il convient d’apprécier si les informations dont font état le Parlement et le Conseil établissent que le législateur de l’Union disposait de suffisamment d’éléments lui permettant d’apprécier la proportionnalité de la période de carence, prévue à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, à la date d’adoption de cette disposition.

757    En premier lieu, il ressort de l’analyse d’impact – volet établissement (partie 2/2, p. 41, 46 et 48) que la Commission a envisagé la possibilité d’imposer une période de carence entre deux cycles de cabotage. À cet égard, le fait que le législateur de l’Union a adopté la mesure consistant à imposer une telle période alors que la Commission l’avait écartée ne saurait suffire à établir que ce législateur ne disposait pas des éléments suffisants pour procéder à l’examen de la proportionnalité
de cette mesure.

758    En deuxième lieu, ainsi que le soutiennent le Parlement et le Conseil, les éléments d’évaluation figurant dans l’analyse d’impact – volet établissement, relatifs aux conséquences de la mesure consistant à supprimer la référence au nombre maximal de transports de cabotage pouvant être effectués dans un État membre d’accueil au cours d’un même cycle de cabotage et à réduire la période durant laquelle ces transports de cabotage peuvent être effectués dans cet État membre, permettaient également
d’apprécier les incidences de la période de carence finalement retenue.

759    En effet, le fait que la période durant laquelle un transporteur peut effectuer des transports de cabotage dans un même État membre d’accueil soit réduite de sept jours, ainsi que le prévoit l’article 8, paragraphe 2, du règlement n^o 1072/2009, à quatre jours, comme l’envisageait, à titre principal, cette analyse d’impact (partie 1/2, p. 29), ou de sept à cinq jours, comme l’avait proposé la Commission, aurait eu pour effet d’interrompre à intervalles plus réguliers la réalisation de
transports de cabotage dans le même État membre d’accueil.

760    Il découle de ces considérations que l’analyse d’impact – volet établissement et l’appréciation des conséquences tenant aux mesures qui en faisaient l’objet étaient à même de fournir au législateur de l’Union des éléments pertinents afin d’apprécier la proportionnalité de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055.

761    En troisième lieu, figuraient dans l’analyse d’impact – volet établissement (partie 1/2, p. 20 à 25) des projections de l’évolution du marché des transports élaborées sur le fondement du régime applicable antérieurement à l’entrée en vigueur du règlement 2020/1055, notamment tel que défini à l’article 8, paragraphe 2, du règlement n^o 1072/2009, afin d’apprécier les répercussions des mesures considérées par cette analyse d’impact, en particulier en ce qui concerne les modifications relatives
à la durée des périodes de cabotage et au nombre de transports de cabotage pouvant être réalisés au cours de celles-ci.

762    Le législateur de l’Union ayant décidé de conserver, dans le règlement 2020/1055, ce régime en ce qu’il autorise, conformément à cet article 8, paragraphe 2, un nombre maximal de trois transports de cabotage consécutifs au cours d’une période de sept jours, tout en introduisant, par l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, une mesure supplémentaire sous la forme de la période de carence, ces projections demeuraient pertinentes aux fins d’apprécier la proportionnalité de cette
dernière disposition.

763    Il s’ensuit que, contrairement à ce que font valoir la République de Lituanie, la République de Bulgarie, la Roumanie, la République de Malte et la République de Pologne, le législateur de l’Union disposait de suffisamment d’éléments lui permettant d’apprécier la proportionnalité de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055.

764    En conséquence, il convient de rejeter comme étant non fondés le quatrième moyen invoqué par la République de Lituanie ainsi que, dans la mesure où ils sont tirés d’une violation du principe de proportionnalité, au motif que le législateur de l’Union n’a pas examiné la proportionnalité de la période de carence, le deuxième moyen pris en sa seconde branche invoqué par la République de Bulgarie, le premier moyen pris en sa seconde branche invoqué par la Roumanie, le deuxième moyen invoqué par
la République de Malte et le premier moyen invoqué par la République de Pologne.

2.      Sur la proportionnalité de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055

1.      Argumentation des parties

765    La République de Lituanie, par son cinquième moyen, la République de Bulgarie, par son deuxième moyen pris en sa seconde branche, la Roumanie, par son premier moyen pris en sa seconde branche, la République de Malte, par son deuxième moyen, et la République de Pologne, par son premier moyen, contestent la proportionnalité en tant que telle de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055.

766    En premier lieu, la République de Lituanie, la République de Bulgarie, la Roumanie et la République de Pologne soutiennent que la période de carence prévue à cette disposition est inapte à atteindre les objectifs du règlement 2020/1055.

767    Premièrement, la République de Lituanie et la Roumanie font valoir que ladite disposition ne prévoit pas de règles claires, simples et faciles à faire respecter, contrairement à l’objectif énoncé au considérant 20 du règlement 2020/1055.

768    En effet, l’analyse d’impact – volet établissement (partie 1/2, p. 12 à 14) aurait mis en évidence que le manque de clarté et de précision des règles relatives au cabotage a conduit à des divergences d’application et de contrôle du respect de ces règles entre les États membres ainsi qu’à une augmentation des coûts de mise en conformité et des coûts administratifs des entreprises de transport.

769    Or, aucun élément ne justifierait en quoi la mesure instituant la période de carence, qui compliquerait et alourdirait les charges administratives, serait plus appropriée pour atteindre cet objectif de clarté et de précision que la modification qui avait été proposée par la Commission.

770    Deuxièmement, selon la République de Bulgarie et la Roumanie, cette mesure ne préserve pas le niveau de libéralisation du marché qui avait été atteint antérieurement, méconnaissant ainsi l’objectif de préservation de ce niveau, également exposé au considérant 20 du règlement 2020/1055.

771    À cet égard, la Commission aurait conclu, dans la proposition de règlement « établissement », qu’il y avait lieu de libéraliser le cabotage en autorisant un nombre illimité de transports de cabotage sur une période de cinq jours, au lieu de trois transports de cabotage sur une période de sept jours. Or, la période de carence, en imposant de nouvelles restrictions au cabotage, constituerait une régression par rapport au niveau de libéralisation du marché.

772    La Roumanie fait valoir que, selon une étude réalisée par l’ECIPE [M. Bauer, « Discrimination, Exclusion and Environmental Harm : Why EU Lawmakers Need to Ban Freight Transport Restrictions to Save the Single Market » (« Discrimination, exclusion et atteinte à l’environnement : pourquoi les législateurs européens doivent interdire les restrictions au transport de marchandises pour sauver le marché unique ») (ci-après l’« étude de l’ECIPE sur la discrimination, l’exclusion et l’atteinte à
l’environnement »)], qui cite un rapport de Transport & Mobility Leuven (Transport et Mobilité Louvain) [T. Breemersch, « The impact of the 1 ^st mobility package on European Road Freight Transport, with special focus on peripheral countries » (« Incidences du premier train de mesures sur la mobilité sur le transport routier de marchandises en Europe, et en particulier dans les États membres périphériques »)], la période de carence réduirait les activités de cabotage jusqu’à 31 % d’ici l’année 2035.

773    Par ailleurs, la République de Bulgarie indique que, pour le transport aérien, les restrictions en matière de cabotage auraient été levées au cours de l’année 1993. Alors que le rapport de la Commission au Parlement et au Conseil sur l’état du marché de l’Union dans le transport routier [COM(2014) 222 final, p. 13] aurait constaté une convergence croissante des rémunérations des chauffeurs dans l’Union, les mesures adoptées par le législateur de l’Union dans le règlement 2020/1055 auraient dû
approfondir la libéralisation dans le domaine du transport par route, plutôt que d’imposer de nouvelles restrictions, telles que la période de carence, qui serait, en cela, une mesure protectionniste.

774    En outre, la Roumanie fait valoir que, étant donné que le nombre de transports de cabotage effectués dans l’Union est faible par rapport au nombre de transports internationaux, une intervention législative dans ce domaine ne serait pas justifiée, à moins qu’elle n’aille dans le sens de la libéralisation du marché.

775    Troisièmement, la période de carence prévue à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 serait inapte à atteindre les objectifs poursuivis, car elle ne contribuerait pas à accroître le coefficient de charge des véhicules et à réduire les parcours à vide. Ce faisant, elle méconnaîtrait le libellé même du considérant 21 du règlement 2020/1055, ainsi que le font valoir la République de Bulgarie, la Roumanie et la République de Pologne.

776    Ces États membres exposent que le cabotage permet aux transporteurs de rester actifs et d’utiliser le même véhicule afin de réaliser des transports supplémentaires dans l’État membre d’accueil entre deux opérations de transport international, notamment en attendant de recevoir une commande de chargement pour le trajet retour vers l’État membre d’établissement.

777    Or, la période de carence empêcherait d’effectuer des transports de cabotage durant quatre jours, ce qui aurait un effet opposé à l’objectif énoncé au considérant 21 de ce règlement.

778    En particulier, la Roumanie fait valoir que la période de carence conduira à une hausse d’environ 5 % du nombre des trajets à vide au sein de l’Union, ce pourcentage incluant également le nombre de trajets effectués à perte afin d’éviter le retour du véhicule à vide.

779    Quatrièmement, la République de Bulgarie, la Roumanie et la République de Pologne doutent que la période de carence prévue à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 soit apte à garantir, conformément à l’objectif visé au considérant 21 de ce règlement, que les transports de cabotage ne sont pas effectués de manière à créer une activité permanente ou continue dans l’État membre d’accueil.

780    Tout d’abord, la République de Bulgarie fait valoir que les arguments qui sous-tendent cet objectif concernent la nécessité d’un établissement effectif dans l’État membre d’origine des transporteurs et non dans celui où les transports de cabotage sont effectués.

781    Ensuite, selon la République de Bulgarie et la Roumanie, à l’instar de l’obligation relative au retour des véhicules, la période de carence ne vise pas à lutter contre les pratiques frauduleuses ou abusives. Constituant une limitation de l’activité de transport qui est en elle-même mobile, cette période de carence ne contribuerait pas à atteindre cet objectif légitime, mais irait à l’encontre de la nature même de la réalité économique et du marché intérieur des transports. En effet, les
opérations de cabotage auraient été initialement conçues comme un type d’opérations qui contribue au développement du secteur des transports, à la croissance économique et à l’efficacité de l’activité en ce domaine.

782    À cet égard, l’existence d’un grand nombre d’opérations de cabotage sur le territoire des États membres situés dans la partie occidentale de l’Union ne constituerait pas un élément négatif qui imposerait l’adoption de mesures restrictives. Cette situation démontrerait uniquement qu’il existe une forte demande de marchandises dans ces États membres, que la dynamique des opérations de transport international est en augmentation et que le marché fonctionne normalement. La réalisation d’un nombre
élevé d’opérations de cabotage ne pourrait en aucun cas signifier que ce type d’opérations a perdu son caractère temporaire, tant que ces opérations sont effectuées conformément à l’article 8, paragraphe 2, du règlement n^o 1072/2009 et aux restrictions qu’il prévoit.

783    Ainsi, la Roumanie souligne qu’il convient de distinguer le cabotage systématique du cabotage illégal. Quand bien même la période de carence viserait exclusivement à garantir que les transports de cabotage ne seront pas effectués de manière à créer une activité permanente ou continue dans l’État membre d’accueil, comme l’indique le considérant 21 du règlement 2020/1055, la Commission aurait mis en évidence, notamment dans l’étude effectuée au soutien de l’analyse d’impact – volet
établissement, intitulée « Study to support the impact assessment for the revision of Regulation (EC) N ^o 1071/2009 and Regulation (EC) N ^o 1072/2009, Final Report » [« Étude à l’appui de l’analyse d’impact pour la révision du règlement (CE) n^o 1071/2009 et du règlement (CE) n^o 1072/2009, rapport final », avril 2017, p. 33], ainsi que dans l’analyse d’impact – volet établissement (partie 1/2, p. 6 et 7), que la proportion de cabotage illégal serait très faible, de sorte que cet état de fait ne
justifierait pas que des mesures restrictives supplémentaires soient adoptées en la matière.

784    Certes, l’étude de la Commission, intitulée « Ex-post evaluation of Regulation (EC) N ^o 1071/2009 and Regulation (EC) N ^o 1072/2009, Final report » [« Évaluation ex post du règlement (CE) n^o 1071/2009 et du règlement (CE) n^o 1072/2009, rapport final », décembre 2015 (ci-après l’« évaluation ex post des règlements n^os 1071/2009 et 1072/2009 »)], identifierait, à ses pages 140 et 141, le cabotage systématique comme une conséquence inattendue de la mise en œuvre du règlement n^o 1072/2009.
Toutefois, il y aurait lieu de douter de ce constat, dès lors qu’il reposerait sur l’expérience d’un seul État membre.

785    D’ailleurs, la Commission, bien qu’ayant désigné le cabotage systématique comme étant un effet non désiré et involontaire de la mise en œuvre des règles de l’Union, n’aurait pas considéré que la période de carence était appropriée, alors même qu’elle l’avait prise en considération dans l’analyse d’impact – volet établissement (partie 2/2, p. 41).

786    Enfin, la République de Bulgarie et la République de Pologne font valoir que, afin d’éviter de créer une activité permanente ou continue dans l’État membre d’accueil, il ne serait pas nécessaire de prévoir une période de carence. En effet, les exigences prévues à l’article 8, paragraphe 2, du règlement n^o 1072/2009, lesquelles limitent le nombre de transports de cabotage à trois sur une période de sept jours, permettraient déjà d’atteindre cet objectif.

787    En second lieu, selon la République de Lituanie, la République de Bulgarie, la Roumanie, la République de Malte et la République de Pologne, la période de carence prévue à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 n’est pas nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis par ce règlement.

788    Premièrement, la République de Bulgarie et la Roumanie font valoir que ce n’est pas parce que la possibilité d’introduire une période de carence a été brièvement examinée dans l’analyse d’impact – volet établissement (partie 2/2, annexe 5) que cette mesure est pour autant proportionnée.

789    Ainsi qu’il ressortirait de cette analyse d’impact (partie 2/2, p. 48), la mesure envisagée visant à instaurer une telle période aurait été rejetée sans analyse supplémentaire de ses conséquences. En effet, outre le fait que cette mesure ne contribuerait pas réellement à la réalisation de l’objectif visé par le législateur de l’Union, à savoir une meilleure application des règles existantes en la matière, elle perturberait également, selon les entreprises de transport ayant participé à ladite
analyse d’impact, leurs opérations et engendrerait des frais significatifs, notamment en raison de ses répercussions négatives sur leurs frais généraux. En outre, l’attractivité du cabotage systématique décroîtrait, en tout état de cause, en cas d’adoption de règles plus effectives pour le détachement des conducteurs.

790    Deuxièmement, selon la Roumanie, afin de veiller à ce que les transports de cabotage ne soient pas effectués de manière à créer une activité permanente ou continue dans l’État membre d’accueil, il suffirait de renforcer l’application et le contrôle des règles existantes, le cabotage illégal ne constituant que 0,56 % de l’activité globale de cabotage au niveau de l’Union (analyse d’impact – volet établissement, partie 1/2, p. 6 et 7). Cet État membre ajoute que, afin de répondre au problème du
cabotage illégal, la mise en place de mécanismes de surveillance et de contrôle plus efficaces, tels que l’application des nouvelles dispositions visant la mise en œuvre du tachygraphe intelligent, constituerait une mesure moins restrictive.

791    Troisièmement, la République de Malte estime que, en tout état de cause, la mesure figurant dans la proposition de règlement « établissement » tenant à ce que les transports de cabotage soient réalisés dans une période de cinq jours aurait permis d’atteindre, de manière moins contraignante, l’objectif visant à garantir que ces transports ne seront pas effectués de manière à créer une activité permanente ou continue dans l’État membre d’accueil.

792    En effet, les transporteurs internationaux maltais effectueraient leurs opérations de transport sur le continent en présupposant que ces opérations ne sont viables que s’ils ne sont pas contraints de transporter les véhicules par voie maritime vers Malte. Lorsqu’ils réalisent lesdites opérations sur le continent, ces transporteurs feraient usage de leur liberté de circulation sans avoir de lien permanent ou durable spécifique avec d’autres États membres. L’absence physique des véhicules
desdits transporteurs à Malte serait uniquement due à la situation insulaire de l’État membre dans lequel ils sont établis, singularité géographique qui, en méconnaissance du principe de proportionnalité, n’aurait pas été prise en considération.

793    À cet égard, la mesure proposée par la Commission n’aurait pas contraint les transporteurs maltais à interrompre artificiellement et régulièrement l’ensemble de leurs opérations, sans objectif clair et raisonnable, pendant la période de carence.

794    Quatrièmement, selon la République de Lituanie, la République de Bulgarie, la Roumanie et la République de Pologne, la période de carence prévue à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 aura pour conséquence, d’une part, de dégrader significativement la situation économique des entreprises de transport établies dans les États membres situés à la périphérie de l’Union ainsi que dans ceux de faible superficie et, d’autre part, de baisser le niveau de vie et d’emploi des personnes
dans ces États membres.

795    Ces conséquences découleraient de l’augmentation des coûts induits par cette période de carence, en raison, notamment, des jours d’exploitation perdus, de l’augmentation des temps d’inactivité et des trajets à vide ou de la réduction des activités de cabotage jusqu’à 31 % d’ici l’année 2035. Par ailleurs, les charges les plus lourdes seraient subies par les PME, alors que ces dernières constitueraient la majorité des entreprises de transport.

796    La République de Bulgarie et la Roumanie s’appuient, également, sur des études ayant évalué les conséquences des règles introduites par le premier train de mesures sur la mobilité dans son ensemble ainsi que sur une étude, mentionnée dans un article de presse specialisée, intitulé « The Belgians do not like the Mobility Package. They figured that its provisions would bring losses to their companies as well » (« Les Belges n’aiment pas le premier train de mesures sur la mobilité. Selon eux,
ses dispositions entraîneront également des pertes pour leurs entreprises »), qui aurait estimé à environ 24 millions d’euros par an le coût pour les transporteurs belges de chaque jour de « repos ».

797    La République de Bulgarie, la Roumanie et la République de Pologne soulignent que, du fait de l’augmentation des coûts, les entreprises de transport établies dans ces États membres risquent de devoir cesser leur activité ou de se relocaliser vers les États membres situés dans la partie centrale de l’Union afin de faire face à la concurrence. La République de Pologne fait également valoir que cette augmentation des coûts entraînera très probablement une hausse du prix des marchandises, ce qui
pourrait avoir des répercussions graves sur l’économie de l’Union.

798    Cinquièmement, selon la République de Lituanie, la Roumanie et la République de Pologne, la période de carence est incompatible avec le marché unique des services de transport, en ce qu’elle fragmente ce marché et qu’elle limite les débouchés commerciaux des entreprises de transport dans d’autres États membres, les États membres situés à la périphérie de l’Union et ceux de faible superficie se trouvant à cet égard plus lourdement affectés.

799    La Roumanie fait ainsi valoir que, parmi les entreprises de transport établies sur le territoire de l’Union, celles établies dans la partie centrale ou orientale de l’Union seront les plus affectées par les mesures résultant du règlement 2020/1055, en raison de l’importance considérable du secteur des transports pour l’économie et l’emploi dans ces États membres, du fait que ces entreprises de transport effectuent plus de la moitié des transports de cabotage réalisés sur le territoire de
l’Union ainsi que du nombre d’entreprises de transport et de travailleurs desdits États membres affectés par ces mesures.

800    Sixièmement, selon la République de Lituanie, la République de Bulgarie et la Roumanie, la période de carence est contraire à la politique de l’Union en matière de protection de l’environnement ainsi qu’au Pacte vert, en raison de l’augmentation des parcours à vide et, partant, de la pollution et des émissions de CO2, consécutives au respect de cette période. Ces conséquences ressortiraient, notamment, de l’étude de l’ECIPE sur la discrimination, l’exclusion et l’atteinte à l’environnement.

801    Septièmement, la Roumanie fait valoir que les répercussions des nouvelles dispositions introduites par le règlement 2020/1055 sur les entreprises de transport ont sans doute été aggravées par la pandémie de COVID-19.

802    Le Parlement et le Conseil estiment que ces arguments ne sont pas fondés.

2.      Appréciation de la Cour

803    L’objectif poursuivi par l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, au regard duquel la proportionnalité de cette disposition doit être examinée, est, ainsi qu’il ressort du considérant 21 de ce règlement, de garantir que les transports de cabotage ne seront pas exécutés de manière à créer une activité permanente ou continue dans l’État membre d’accueil.

804    La République de Lituanie, la République de Bulgarie, la Roumanie, la République de Malte et la République de Pologne, qui ne contestent pas la légitimité de cet objectif, soutiennent que l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 méconnaît, en lui-même, les exigences découlant du principe de proportionnalité.

805    Conformément à la jurisprudence rappelée aux points 240^ à 247 du présent arrêt, afin de déterminer si la période de carence, telle que prévue à cette disposition, respecte ce principe, il convient d’examiner si cette mesure est apte à réaliser l’objectif poursuivi par ladite disposition, si elle ne va pas manifestement au-delà de ce qui est nécessaire pour réaliser cet objectif et si elle est proportionnée au regard dudit objectif.

1.      Sur l’aptitude de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 à réaliser l’objectif poursuivi

806    S’agissant de l’aptitude de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 à atteindre l’objectif poursuivi, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort, notamment, de la définition du « transport de cabotage » figurant à l’article 2, point 6, du règlement n^o 1072/2009 et comme le soulignent les considérants 20 et 22 du règlement 2020/1055, une telle activité de transport doit revêtir un caractère « temporaire » dans l’État membre d’accueil [voir, en ce sens, arrêts du 12 avril
2018, Commission/Danemark, C‑541/16, EU:C:2018:251, point 53, ainsi que du 14 septembre 2023, Staatsanwaltschaft Köln et Bundesamt für Güterverkehr (Transport de conteneurs vides), C‑246/22, EU:C:2023:673, points 25 et 29].

807    Or, ainsi qu’il ressort de l’évaluation ex post des règlements n^os 1071/2009 et 1072/2009 (p. 137), l’apparition de pratiques de cabotage systématique a constitué la principale conséquence inattendue de l’application du règlement n^o 1072/2009.

808    Dans ce contexte, l’imposition, à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, d’une période de carence durant laquelle, à l’issue d’un cycle de cabotage effectué dans un État membre d’accueil, les transporteurs ne sont plus autorisés à réaliser des transports de cabotage dans ce même État membre apparaît apte à prévenir de telles pratiques et à éviter ainsi que ces transports soient effectués de manière à créer une activité permanente ou continue dans ledit État membre.

809    Aucun des arguments invoqués par la République de Lituanie, la République de Bulgarie, la Roumanie et la République de Pologne, notamment sur le fondement d’autres objectifs évoqués aux considérants 20 et 21 du règlement 2020/1055, n’est de nature à remettre en cause cette appréciation.

810    En premier lieu, l’argumentation de la République de Lituanie et de la Roumanie, selon laquelle la période de carence est inapte à atteindre l’objectif, énoncé au considérant 20 du règlement 2020/1055, consistant à ce que les règles relatives au cabotage soient claires, simples et faciles à faire respecter, ne saurait prospérer.

811    À cet égard, il convient d’observer que, afin de réaliser un tel objectif, l’article 2, point 4, sous b) et c), de ce règlement régit les modalités de preuve du transport international qui a précédé le transport de cabotage ainsi que celles de chaque transport de cabotage.

812    Quant à l’introduction d’une période de carence, dont l’objectif premier est, ainsi qu’il a été exposé au point 803 du présent arrêt, de garantir que les transports de cabotage ne soient pas exécutés de manière à créer une activité permanente ou continue dans l’État membre d’accueil, elle ne saurait être considérée comme portant atteinte, en tant que telle, à l’objectif énoncé au considérant 20 du règlement 2020/1055.

813    S’agissant, en deuxième lieu, de l’objectif de préservation du niveau de libéralisation du marché, également énoncé au considérant 20 du règlement 2020/1055,  il convient de relever que le considérant 2 du règlement n^o 1072/2009 énonçait que l’instauration d’une politique commune des transports entraîne, entre autres, l’établissement des conditions auxquelles les transporteurs non-résidents peuvent effectuer des transports dans un État membre, lesquelles doivent être établies de façon à
contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur des transports. Dans ce contexte, ainsi qu’il ressort de ses considérants 4, 5, 13 et 15, l’un des objectifs initiaux de ce règlement, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du règlement 2020/1055, consistait, pour atteindre l’instauration d’une politique commune des transports de manière souple et sans heurt, à établir un régime transitoire de cabotage, tant que l’harmonisation du marché des transports routiers n’aurait pas été
réalisée. À ce titre, il était prévu que les transports de cabotage dans un État membre d’accueil soient autorisés aussi longtemps qu’ils ne sont pas effectués de manière à créer une activité permanente ou continue au sein de cet État membre.

814    Ainsi, en prévenant le développement de pratiques de cabotage systématique, la période de carence prévue à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 vise à remédier, ainsi qu’il a été relevé aux points 807^ et 808 du présent arrêt, aux conséquences inattendues de l’application du règlement n^o 1072/2009 et à réaliser l’objectif initial poursuivi par le législateur de l’Union, en assurant, conformément au niveau de libéralisation fixé par celui-ci afin de contribuer au bon
fonctionnement du marché intérieur des transports, le caractère temporaire du cabotage.

815    En troisième lieu, en ce que la République de Bulgarie, la Roumanie et la République de Pologne allèguent que la période de carence n’est pas apte à atteindre l’objectif énoncé au considérant 21 du règlement 2020/1055, selon lequel les transports de cabotage devraient contribuer à accroître le coefficient de charge des véhicules et à réduire les parcours à vide, il convient d’observer que ce considérant 21 indique, toutefois, que de tels transports devraient être autorisés pour autant qu’ils
ne soient pas effectués de manière à créer un activité permanente ou continue dans l’État membre d’accueil.

2.      Sur le caractère nécessaire de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055

816    En ce qui concerne le caractère nécessaire de la période de carence prévue à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, celui-ci est contesté par la Roumanie et la République de Malte au motif qu’il existerait des mesures alternatives moins contraignantes que celle adoptée à cette disposition.

817    En ce qui concerne, en premier lieu, l’argument de la Roumanie selon lequel la mise en place de mécanismes de surveillance et de contrôle plus efficaces aurait constitué une mesure alternative moins restrictive, il suffit de rappeler que, ainsi qu’il a été relevé au point 807 du présent arrêt, des pratiques de cabotage systématique se sont développées sous l’empire des règles en vigueur antérieurement à l’adoption du règlement 2020/1055.

818    À cet égard, il convient de préciser que, dans l’analyse d’impact – volet établissement (partie 1/2, p. 32 à 34 et 41 à 44), différents ensembles de mesures ont été envisagés, dont le « Paquet de mesures 1 – Clarification du cadre (P1) », le « Paquet de mesures 2 – Renforcement de l’application (P2) » et le « Paquet de mesures 3 – Révision approfondie des règlements (P3) », le troisième ensemble de mesures incluant les éléments figurant dans le deuxième, lequel reprenait lui-même le contenu
du premier d’entre eux.

819    Conformément à son intitulé, le troisième ensemble de mesures envisageait un changement substantiel du cadre juridique existant, notamment en ce qui concerne le régime de cabotage. C’est au sein de cet ensemble de mesures que figurait la mesure 8, laquelle prévoyait la suppression du nombre maximal de transports de cabotage pouvant être effectués dans un État membre d’accueil et la réduction de la période prévue aux fins de la réalisation de tels transports (analyse d’impact – volet
établissement, partie 1/2, p. 32 à 34).

820    Or, l’analyse d’impact (partie 1/2, p. 57 à 59) a conclu que ce troisième ensemble de mesures constituait l’option à privilégier par rapport aux seules mesures du deuxième ensemble, lesquelles étaient relatives au renforcement des mécanismes de contrôle et de surveillance.

821    À l’instar de la mesure 8 figurant dans ce troisième ensemble de mesures, la période de carence que le législateur de l’Union a préféré lui substituer vise à modifier le régime s’appliquant au cabotage. Ainsi, il ne saurait être affirmé que l’imposition d’une période de carence méconnaît le principe de proportionnalité au motif que le seul renforcement des mécanismes de contrôle et de surveillance constituerait une mesure moins contraignante et aussi efficace qu’une telle période de carence.

822    En ce qui concerne, en deuxième lieu, l’argumentation de la République de Bulgarie, de la République de Malte et de la Roumanie selon laquelle la mesure contenue dans la proposition de règlement « établissement » tenant à l’instauration d’un cycle de cabotage d’une durée de cinq jours aurait permis d’atteindre, de manière moins contraignante, l’objectif consistant à garantir que ces transports ne soient pas effectués de manière à créer une activité permanente ou continue dans l’État membre
d’accueil, il convient d’observer, d’une part, que l’estimation relative à une réduction des activités de cabotage jusqu’à 31 % d’ici l’année 2035, sur laquelle se fonde cette argumentation, est tirée du rapport de Transport & Mobility Leuven (Transport et Mobilité Louvain), intitulé « Incidences du premier train de mesures sur la mobilité sur le transport routier de marchandises en Europe, et en particulier dans les États membres périphériques ». Or, cette estimation ne se rapporte pas à la période
de carence. Ainsi qu’il ressort de la page 13 de ce rapport, ladite estimation résulte elle-même de l’analyse d’impact – volet établissement (partie 1/2, p. 39 et 40), en particulier de l’évaluation des conséquences de réductions à quatre ou à cinq jours de la période de sept jours, prévue à l’article 8, paragraphe 2, du règlement n^o 1072/2009, au cours de laquelle les transports de cabotage sont autorisés, lesquelles entraîneraient une diminution des activités de cabotage, respectivement, jusqu’à
31 % ou jusqu’à 20 % d’ici l’année 2035.

823    D’autre part, il y a lieu de relever que le risque d’une activité systématique de cabotage découle, ainsi que le fait valoir le Conseil, de l’absence de précision quant à la fréquence des périodes pendant lesquelles il est permis d’effectuer des transports de cabotage dans un même État membre.

824    En effet, en raison d’une telle absence de précision, le règlement n^o 1072/2009, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du règlement 2020/1055, permettait aux transporteurs d’enchaîner des cycles de cabotage dans le même État membre d’accueil, sous la seule réserve de la règle prévue à l’article 8, paragraphe 2, premier alinéa, dernière phrase, du règlement n^o 1072/2009. Dès lors que la mesure figurant dans la proposition de règlement « établissement » n’empêchait pas
l’accomplissement dans le même État membre, immédiatement après la réalisation d’une opération de transport international, d’un nouveau cycle de cabotage dans celui-ci à l’expiration du précédent, elle ne saurait, en tout état de cause, être considérée comme étant une mesure permettant de garantir, de manière aussi efficace que la période de carence, que les transports de cabotage ne soient pas exécutés de manière à créer une activité permanente ou continue dans l’État membre d’accueil.

825    En troisième lieu, contrairement à ce que soutiennent la République de Bulgarie et la Roumanie, l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 ne saurait être considéré comme ayant introduit une mesure non nécessaire au motif que les entreprises de transport étaient déjà tenues, en vertu de l’article 3, paragraphe 1, du règlement n^o 1071/2009, de disposer d’un établissement effectif dans l’État membre d’établissement. En effet, tout d’abord, une telle exigence n’est pas de nature à
exclure que l’entreprise concernée puisse mener des opérations de cabotage dans un autre État membre que celui d’établissement d’une manière qui ne soit pas temporaire.

826    Ensuite, en ce que la Roumanie soutient que, à supposer que la période de carence vise à garantir que les transports de cabotage ne soient pas effectués de manière à créer une activité permanente ou continue dans l’État membre d’accueil, la proportion de cabotage illégal parmi ces transports est très faible, de sorte que l’introduction de mesures restrictives qui viendraient s’ajouter à celles figurant dans le règlement n^o 1072/2009, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du
règlement 2020/1055, ne se justifierait pas, il y a lieu d’observer que, selon l’analyse d’impact – volet établissement (partie 1/2, p. 6 et 7), le cabotage illégal, même d’un niveau relativement faible, a des répercussions économiques importantes pour le secteur des transports.

827    Par ailleurs, en ce qui concerne les allégations de la Roumanie selon lesquelles le constat tenant à l’apparition d’une activité de cabotage systématique, énoncé dans l’évaluation ex post des règlements n^os 1071/2009 et 1072/2009, repose sur la situation d’un seul État membre, il convient de rappeler que, ainsi qu’il a été exposé au point 813 du présent arrêt, le règlement n^o 1072/2009, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du règlement 2020/1055, avait déjà pour objectif
d’éviter que les transports de cabotage ne soient effectués de manière à créer une activité permanente ou continue dans l’État membre d’accueil.

828    Or, cette évaluation met clairement en évidence que les exigences prévues à l’article 8, paragraphe 2, du règlement n^o 1072/2009 ne permettaient pas, à elles seules, d’éviter la pratique du cabotage systématique. Dès lors, de telles allégations ne sauraient remettre en cause la nécessité de la période de carence prévue à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 pour réaliser cet objectif.

3.      Sur le caractère proportionné de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055

829    En ce qui concerne le caractère proportionné de la période de carence prévue à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, il ressort de la jurisprudence rappelée au point 266 du présent arrêt que, lorsqu’un acte législatif a déjà coordonné les législations des États membres dans un domaine donné d’action de l’Union, le législateur de l’Union ne saurait être privé de la possibilité d’adapter cet acte à toute modification des circonstances ou à toute évolution des connaissances eu
égard à la tâche qui lui incombe de veiller à la protection des intérêts généraux reconnus par les traités et de prendre en compte les objectifs transversaux de l’Union consacrés, notamment, à l’article 3, paragraphe 3, TUE. En effet, le législateur de l’Union ne peut, dans une telle situation, s’acquitter correctement de la tâche qui lui incombe de veiller à la protection de ces intérêts généraux et de ces objectifs transversaux de l’Union reconnus par les traités que s’il lui est loisible
d’adapter la législation pertinente de l’Union à de telles modifications ou évolutions.

830    Dans ces conditions,  le législateur de l’Union a pu considérer, dans le cadre de son pouvoir d’appréciation, que l’imposition de la période de carence prévue à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 était une mesure proportionnée afin de remédier aux conséquences inattendues engendrées, sous l’empire du règlement n^o 1072/2009, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du règlement 2020/1055, par l’apparition de pratiques de cabotage systématique contraires au caractère
temporaire que doit revêtir le transport de cabotage.

831    À  cet égard, ne sauraient, en premier lieu, être retenus les arguments de la République de Bulgarie et de la Roumanie selon lesquels cette période de carence entraînera une régression du niveau de libéralisation puisqu’elle équivaut à une période de repos durant laquelle il ne sera pas possible d’effectuer des opérations de transport avec le véhicule concerné pendant quatre jours.

832    En effet, l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 se limite à prévoir que, à la fin de la période durant laquelle les transports de cabotage peuvent être effectués dans un État membre d’accueil selon les conditions prévues à l’article 8, paragraphe 2, du règlement n^o 1072/2009, lequel n’a pas été modifié par le règlement 2020/1055, il n’est pas autorisé, durant une période de quatre jours, de réaliser des transports de cabotage dans le même État membre d’accueil.

833    Par conséquent, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 765 de ses conclusions, l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 n’a pas pour objet d’interdire la réalisation d’autres opérations de transport, telles que des opérations de transport international soit vers l’État membre d’établissement, soit vers d’autres États membres, suivies, le cas échéant, de transports de cabotage dans ces autres États membres. Les transporteurs peuvent donc, durant la période de carence,
continuer à effectuer de telles opérations.

834    Par ailleurs, même si le législateur de l’Union a, par l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, introduit une mesure supplémentaire sous la forme de la période de carence, il a décidé de maintenir, conformément à l’article 8, paragraphe 2, du règlement n^o 1072/2009, lequel n’a pas été modifié par le règlement 2020/1055, la possibilité de réaliser jusqu’à trois transports de cabotage consécutifs à un transport international en provenance d’un autre État membre ou d’un pays tiers
à destination de l’État membre d’accueil dans un délai de sept jours. Or, conformément à cette dernière disposition, le véhicule utilisé pour de tels transports de cabotage doit, nécessairement et en tout état de cause, quitter le territoire de l’État membre d’accueil concerné à la fin de cette période de sept jours, avant, le cas échéant, de pouvoir entamer un nouveau cycle de cabotage dans le même État membre d’accueil après une opération de transport international.

835    Ainsi que le Conseil le rappelle, à juste titre, un certain laps de temps doit donc, en pratique, être consacré aux transports internationaux avant qu’un véhicule ne puisse légalement revenir sur le territoire de l’État membre concerné pour effectuer un nouveau cycle de cabotage, comme l’indique l’analyse d’impact – volet établissement (partie 1/2, p. 40). Or, ainsi qu’il ressort des indications chiffrées fournies par le Conseil, l’introduction de la période de carence ne conduit pas à
réduire significativement le nombre de périodes de cabotage réalisable sur un mois.

836    Si la République de Bulgarie fait valoir que, pour le transport aérien, les restrictions en matière de cabotage ont été levées au cours de l’année 1993, elle n’expose cependant pas les raisons pour lesquelles un tel constat serait pertinent en l’espèce, pour le secteur du transport par route, alors que la situation des entreprises intervenant dans le secteur d’activité des différents modes de transport n’est pas comparable. En effet, la Cour a jugé que, compte tenu de leurs modalités de
fonctionnement, des conditions de leur accessibilité et de la répartition de leurs réseaux, ces différents modes de transport ne sont pas, quant à leurs conditions d’utilisation, interchangeables (arrêt du 26 septembre 2013, ÖBB-Personenverkehr, C‑509/11, EU:C:2013:613, point 47 et jurisprudence citée).

837    Quant à l’argument selon lequel seules seraient permises les modifications législatives allant dans le sens d’une plus grande libéralisation, il suffit d’observer qu’il ressort de l’analyse d’impact – volet établissement (partie 2/2, p. 40 et 47) que la suppression de toutes les restrictions aux transports de cabotage a été écartée, au motif que les différences sociales et économiques entre les États membres excluaient l’ouverture des marchés de cabotage et privaient cette mesure du soutien
politique nécessaire.

838    En ce qui concerne, en deuxième lieu, les arguments de la République de Lituanie, de la République de Bulgarie, de la Roumanie et de la République de Pologne relatifs à la dégradation significative de la situation économique des entreprises de transport, en majeure partie des PME, établies dans les États membres situés, selon ces États membres requérants, à la « périphérie de l’Union » et dans ceux de faible superficie en raison d’une augmentation des coûts d’exploitation induits par la
période de carence, ainsi qu’à une baisse consécutive du niveau de vie et de l’emploi dans ces États membres, il convient de souligner que la période de carence prévue à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 est susceptible d’entraîner des coûts additionnels pour les entreprises de transport qui sont tenues de la respecter. Le fait qu’une obligation instituée par le législateur de l’Union est susceptible de comporter certains coûts pour les entreprises de transport auxquelles en
incombe la charge ne constitue toutefois pas, en elle-même, une violation du principe de proportionnalité, à moins que ces coûts ne soient manifestement disproportionnés par rapport à l’objectif poursuivi.

839    Or, premièrement, en ce que de telles conséquences résulteraient d’une prétendue réduction des activités de cabotage jusqu’à 31 % d’ici l’année 2035, il convient de rappeler que, ainsi qu’il a été constaté au point 822 du présent arrêt, cette estimation se rapporte à une mesure ayant pour objet de limiter la période durant laquelle les transports de cabotage peuvent être effectués, alors que le législateur de l’Union, en adoptant l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, lui a
préféré une mesure alternative.

840    Deuxièmement, ainsi que le font valoir la République de Bulgarie et la Roumanie, les entreprises de transport ayant participé à l’analyse d’impact ont certes indiqué que l’introduction d’une mesure telle que la période de carence engendrerait pour elles des frais significatifs, notamment en raison d’une augmentation conséquente de leurs frais généraux (analyse d’impact – volet établissement, partie 2/2, p. 48). Toutefois, les coûts liés à cette mesure doivent, à tout le moins, être appréciés
en fonction, d’une part, de l’importance que représentent les opérations de cabotage pour les transporteurs et, d’autre part, de la proportion des frais généraux dans les coûts supportés par une entreprise de transport. Or, l’étude effectuée au soutien de l’analyse d’impact – volet établissement, intitulée « Étude à l’appui de l’analyse d’impact pour la révision du règlement (CE) n^o 1071/2009 et du règlement (CE) n^o 1072/2009, rapport final », indique, à la page 143, que le cabotage ne représente
qu’une faible proportion des activités de transport routier, de sorte que les effets de ladite mesure sur les entreprises de transport en général seront d’autant plus limités.

841    Par ailleurs, dans le cadre de l’analyse d’impact – volet établissement (partie 1/2, p. 37), il a été estimé que la mesure 8, laquelle consistait à supprimer la référence au nombre maximal de transports de cabotage pouvant être effectués dans un État membre d’accueil au cours d’un même cycle et à réduire de sept à quatre jours la période durant laquelle ces transports de cabotage peuvent être effectués dans cet État membre, entraînerait, en moyenne, une augmentation des frais généraux des
entreprises de transport de l’ordre de 3,5 %.

842    En tout état de cause, s’il ne peut être exclu que l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 produise des effets différents sur les entreprises de transport selon l’État membre dans lequel ces entreprises sont établies, il n’en demeure pas moins que les éventuels effets négatifs pouvant en résulter en termes de charges pour certaines entreprises doivent être mis en balance avec les effets positifs, en termes de maintien de conditions de concurrence équitables, qui résulteront
d’une mesure visant à lutter contre des pratiques se traduisant, en méconnaissance du caractère temporaire du transport de cabotage, par l’exercice d’activités permanentes ou continues de cabotage dans un même État membre d’accueil.

843    Troisièmement, il n’y a pas lieu d’accueillir les arguments relatifs aux coûts liés aux jours d’exploitation perdus ou à l’augmentation des déplacements à vide, dès lors que, ainsi qu’il a été relevé au point 833 du présent arrêt, l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 n’a pas pour objet d’interdire, pendant la période de carence, la réalisation de toute opération de transport. En effet, les véhicules ayant achevé un premier cycle de cabotage dans un État membre peuvent, durant
cette période, effectuer des opérations de transport international soit vers l’État membre d’établissement, soit vers d’autres États membres, suivies, le cas échéant, de transports de cabotage dans ces autres États membres. Il convient également de préciser que cette disposition n’exige pas que, durant cette période, les véhicules retournent au centre opérationnel de l’entreprise de transport concernée, ce qui conduit à écarter l’argumentation de la République de Malte tirée de l’absence de
viabilité économique des transporteurs internationaux de cet État membre en raison de l’obligation qui leur serait prétendument faite de faire revenir, pendant la période de carence, leurs véhicules par voie maritime dans ledit État membre.

844    Quant aux estimations dont se prévaut la Roumanie en relation avec les conséquences des nouvelles règles introduites par le premier train de mesures sur la mobilité dans son ensemble, parmi lesquelles figure l’obligation relative au retour des véhicules, prévue à l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, elles ne sont pas pertinentes pour apprécier les conséquences propres de l’article 2, point 4,
sous a), du règlement 2020/1055, en raison de la différence d’objet de ces deux dispositions. Il en va de même de l’évaluation invoquée par la République de Bulgarie, selon laquelle chaque jour de repos pourrait coûter jusqu’à 24 millions d’euros par an aux transporteurs belges. En effet, outre le fait que cette évaluation est fondée sur une analyse, citée par la presse spécialisée, qui n’a pas été présentée devant la Cour, elle repose sur la prémisse erronée selon laquelle le véhicule serait
immobilisé pendant la période de carence, sans pouvoir être affecté à d’autres opérations de transport que du transport de cabotage dans le même État membre d’accueil.

845    Quatrièmement, pour les mêmes motifs que ceux portant sur les arguments relatifs à l’augmentation des coûts opérationnels des entreprises de transport, il convient de rejeter les arguments portant sur la hausse du prix des marchandises, invoqués par la République de Pologne. Certes, l’analyse d’impact – volet établissement a estimé probable l’hypothèse d’un report de l’augmentation des coûts opérationnels sur le prix des marchandises, mais tout en précisant que les effets des mesures
considérées seraient extrêmement limités, puisque le transport ne représente qu’une faible proportion du prix des marchandises (partie 1/2, p. 49).

846    Cinquièmement, quant aux arguments tirés de l’incidence de la période de carence sur l’emploi, il suffit de relever que l’étude effectuée au soutien de l’analyse d’impact – volet établissement, intitulée « Étude à l’appui de l’analyse d’impact pour la révision du règlement (CE) n^o 1071/2009 et du règlement (CE) n^o 1072/2009, rapport final », indique, à la page 143, que les diminutions substantielles des activités de cabotage résultant d’une mesure qui réduirait à quatre ou à cinq jours la
période de sept jours prévue à l’article 8, paragraphe 2, du règlement n^o 1072/2009, au cours de laquelle les transports de cabotage sont autorisés, ne devraient pas avoir de répercussions significatives sur le niveau d’emploi global dans le secteur des transports, notamment au motif que, ainsi qu’il a été exposé au point 840 du présent arrêt, le cabotage ne représente qu’une faible proportion des activités de transport routier.

847    Or, la République de Lituanie, la République de Bulgarie, la Roumanie et la République de Pologne n’ont pas soulevé d’arguments susceptibles de mettre en doute la pertinence des conclusions de cette étude pour la mesure prévue par le législateur de l’Union à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055.

848    Sixièmement, doit également être rejeté l’argument fondé sur le fait que, comme il ressortirait de l’analyse d’impact – volet établissement (partie 2/2, p. 48), l’attractivité du cabotage systématique décroîtrait, en tout état de cause, en cas d’adoption de règles plus effectives pour le détachement des conducteurs, dans le cadre de la directive 2020/1057. En effet, il convient d’observer que l’objectif poursuivi par cette directive consiste, ainsi qu’il découle des considérants 3 et 7 de
celle–ci, à prévoir des règles spécifiques aux fins de la détermination de l’État membre dont les conditions de travail et d’emploi sont garanties aux conducteurs du transport routier qui tiennent compte des particularités liées à l’extrême mobilité de la main d’œuvre dans ce secteur et qui, pour le bon fonctionnement du marché intérieur, établissent un équilibre entre l’amélioration des conditions sociales et de travail de ces conducteurs et le fait de faciliter l’exercice de la libre prestation
des services de transport routier fondée sur une concurrence loyale entre entreprises de transport nationales et étrangères.

849    Par conséquent, il ne saurait être soutenu, sur le fondement des seules conséquences indirectes et limitées découlant de mesures visant d’autres objectifs, tels que ceux poursuivis par la directive 2020/1057 et énoncés aux considérants 3 et 7 de celle-ci, que le législateur de l’Union a manifestement dépassé la large marge d’appréciation dont il dispose en matière de politique commune des transports en faisant le choix d’adopter, à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, une
mesure visant à garantir que les transports de cabotage ne soient pas effectués de manière à créer une activité permanente ou continue dans l’État membre d’accueil.

850    En ce qui concerne, en troisième lieu, les arguments de la République de Lituanie, de la Roumanie et de la République de Pologne selon lesquels l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 fragmenterait le marché unique et limiterait les débouchés commerciaux des entreprises de transport établies dans les États membres qualifiés d’« États membres situés à la périphérie de l’Union » et dans ceux de faible superficie par rapport à un autre groupe d’États membres qualifiés, selon le
cas, d’« États membres situés au centre de l’Union » ou « d’États membres situés dans la partie occidentale de l’Union », il convient d’observer que les conséquences résultant de la période de carence sont susceptibles d’être plus importantes pour les entreprises de transport, quel que soit l’État membre dans lequel elles sont établies, qui ont opté pour un modèle d’exploitation économique consistant à fournir l’essentiel, sinon l’intégralité, de leurs prestations de services dans le cadre
d’opérations de cabotage effectuées de manière permanente ou continue sur le territoire du même État membre d’accueil, et ce en dépit du caractère temporaire que doit revêtir le transport de cabotage.

851    En effet, d’une part, ainsi qu’il ressort du point 843 du présent arrêt, l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 n’a pas pour objet d’imposer un retour du véhicule au centre opérationnel de l’entreprise de transport concernée. Par conséquent, les éventuelles incidences de la période de carence ne dépendent pas des caractéristiques géographiques de l’État membre d’établissement.

852    D’autre part, ainsi qu’il a été exposé aux points 832 et 833 du présent arrêt, cette disposition interdit uniquement, durant la période de carence, d’effectuer des opérations de transport de cabotage dans le même État membre d’accueil, mais n’empêche pas la réalisation d’autres opérations de transport, notamment des transports de cabotage effectués dans un autre État membre d’accueil.

853    En tout état de cause, à supposer que le modèle d’organisation économique exposé au point 850 du présent arrêt serait essentiellement adopté par des entreprises de transport établies dans certains États membres, il ressort de la jurisprudence de la Cour, rappelée au point 246^ du présent arrêt, que, lorsque l’acte de l’Union concerné a des conséquences dans tous les États membres et suppose qu’un équilibre entre les différents intérêts en présence, compte tenu des objectifs poursuivis par cet
acte, soit assuré, la recherche d’un tel équilibre prenant en considération la situation de l’ensemble des États membres ne saurait, par elle-même, être regardée comme étant contraire au principe de proportionnalité.

854    Il ressort par ailleurs d’une jurisprudence constante, rappelée au point 267 du présent arrêt, que le législateur de l’Union, compte tenu des évolutions importantes ayant affecté le marché intérieur, est en droit d’adapter un acte législatif, afin de procéder à un rééquilibrage des intérêts en présence dans le but, notamment, de garantir une concurrence équitable par la modification des conditions dans lesquelles s’exerce la libre prestation de services.

855    En l’occurrence, le législateur de l’Union a précisément visé, en imposant la période de carence prévue à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, à procéder à un nouvel équilibre prenant en compte les intérêts des différentes entreprises de transport en remédiant, sans pour autant remettre en cause le niveau antérieur de libéralisation du marché des transports, aux difficultés apparues dans l’application du règlement n^o 1072/2009 en raison de pratiques, contraires au caractère
temporaire que doit revêtir le transport de cabotage, consistant à développer des activités permanentes ou continues de cabotage dans un même État membre d’accueil.

856    En ce qui concerne, en quatrième lieu, les arguments relatifs aux prétendus effets néfastes sur l’environnement découlant de la période de carence, ces arguments se recoupent avec l’argumentation présentée par la République de Lituanie, par son premier moyen, la République de Bulgarie, par son premier moyen pris en ses deux branches, en ce qu’il est dirigé contre l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, et la République de Pologne, par son moyen commun à l’ensemble des
dispositions attaquées de ce règlement, en ce qu’il est dirigé contre l’article 2, point 4, sous a), de celui–ci, de sorte qu’ils seront examinés dans ce contexte.

857    En cinquième lieu, en ce qui concerne l’argument de la Roumanie, tiré de la pandémie de COVID-19, il suffit de relever qu’il n’incombait pas au législateur de l’Union de remédier aux effets de cette pandémie dans le cadre du règlement 2020/1055, lequel vise à adapter aux évolutions du secteur du transport par route les règles communes, d’une part, sur les conditions à respecter pour exercer la profession de transporteur par route et, d’autre part, pour l’accès au marché du transport
international de marchandises par route, et cela d’autant moins que d’autres actes législatifs spécifiques avaient un tel objet, à l’instar, dans le domaine des transports, du règlement 2020/698. Les effets de la pandémie de COVID‑19 sont donc dénués de pertinence aux fins d’apprécier la conformité de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 aux exigences découlant du principe de proportionnalité.

858    Eu égard à tout ce qui précède, il convient de constater que la période de carence prévue à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 n’entraîne pas des inconvénients manifestement disproportionnés par rapport à l’objectif poursuivi par cette disposition, qui est de garantir que les transports de cabotage ne soient pas effectués de manière à créer une activité permanente ou continue dans un même État membre d’accueil.

859    En conséquence, il convient de rejeter comme étant non fondés le cinquième moyen invoqué par la République de Lituanie, le deuxième moyen pris en sa seconde branche invoqué par la République de Bulgarie, le premier moyen pris en sa seconde branche invoqué par la Roumanie, le deuxième moyen invoqué par la République de Malte et le premier moyen invoqué par la République de Pologne.

2.      Sur la violation des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination

1.      Argumentation des parties

860    La République de Lituanie, par son deuxième moyen pris en sa seconde branche, la Roumanie, par son troisième moyen, en ce qu’il est dirigé contre l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, et la République de Malte, par son troisième moyen, font valoir que l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 ne respecte pas les exigences découlant du principe de non-discrimination, tel que prévu à l’article 18 TFUE. La République de Malte invoque également une violation des
articles 20 et 21 de la Charte.

861    En premier lieu, ces trois États membres soutiennent que la période de carence prévue à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 méconnaît les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination, en ce qu’elle conduit à une discrimination entre, d’une part, les entreprises de transport établies dans des États membres situés à la périphérie de l’Union, de faible superficie ou qui se distinguent par leur caractère insulaire et, d’autre part, celles qui sont établies dans les
États membres situés dans la partie centrale ou occidentale de l’Union.

862    La République de Lituanie fait valoir que l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 entrave l’exercice des libertés du marché intérieur, tout en donnant naissance à une discrimination indirecte à l’égard des États membres situés à la périphérie de l’Union et de faible superficie. À cet égard, en raison de facteurs propres à la partie centrale et occidentale de l’Union, tels qu’une grande concentration de population ou un secteur industriel plus développé, les besoins de transport
existeraient surtout dans cette partie de l’Union. En raison de la période de carence, les entreprises établies dans les États membres situés à la périphérie de l’Union et de faible superficie seraient dissuadées de fournir des services de transport sur les marchés les plus lucratifs.

863    La Roumanie allègue que les véhicules immatriculés dans les États membres ayant adhéré à l’Union à compter du 1^er mai 2004 sont utilisés dans la plupart des opérations de transport international, y compris des transports de cabotage, alors que les entreprises de transport établies dans les autres États membres effectuent majoritairement des opérations de transport national de marchandises, de sorte que la mesure prévue à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 affecte de
manière inégale les entreprises de transport au sein de l’Union.

864    En particulier, les entreprises de transport établies dans les États membres situés dans la partie centrale ou occidentale de l’Union et effectuant des opérations de transport international bénéficieraient d’un avantage géographique du fait des distances moindres à parcourir vers les États membres de chargement et de déchargement. Par conséquent, ces entreprises ne seraient pas affectées de manière significative par l’introduction des restrictions applicables aux transports de cabotage.

865    Par ailleurs, l’évaluation des effets sur le marché des transports du règlement 2020/1055, en particulier de la période de carence, devrait tenir compte des autres éléments du premier train de mesures sur la mobilité. Une évaluation d’ensemble mettrait en évidence le caractère discriminatoire de la réglementation, frappant essentiellement les transporteurs établis dans les États membres situés à la périphérie de l’Union.

866    La République de Malte souligne que l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 viole le principe d’égalité de traitement, dans la mesure où, sans la moindre justification objective, la période de carence que cette disposition prévoit traite de manière identique des situations différentes. En raison du caractère insulaire de Malte et de sa situation géographique, les entreprises de transport maltaises n’envisageraient aucunement d’organiser le retour de leurs véhicules à Malte à
l’issue de trois transports de cabotage dans un État membre d’accueil consécutifs à un transport international à destination de cet État membre. Dès lors, la période de carence les obligerait à diriger leurs véhicules vers un autre État membre ou à suspendre leurs activités dans l’État membre d’accueil jusqu’à l’expiration de cette période.

867    Par ailleurs, la République de Malte relève que, certes, le législateur de l’Union doit bénéficier d’une large marge d’appréciation dans l’exercice de ses compétences, lorsqu’il est confronté à des choix économiques ou techniques complexes. Toutefois, une mesure telle que la période de carence ne présenterait pas de complexité particulière. Elle constituerait une règle générale applicable à tous les États membres qui tendrait à ignorer les particularités géographiques spécifiques à un État
membre donné. Une telle règle aurait pour effet de discriminer un État membre notoirement empêché de se conformer à la période de carence en raison de son infrastructure particulière de transport, des mécanismes d’accès aux marchandises étrangères et de ses caractéristiques géographiques uniques.

868    Sur la période de carence proprement dite, la République de Malte estime qu’il y a lieu de procéder non pas à une mise en balance des objectifs de protection de la santé ou de l’environnement d’un acte législatif avec les effets socio-économiques de cet acte dans les différents États membres, mais à une mise en balance des effets socio-économiques bénéfiques que ledit acte entraîne pour la grande majorité des États membres situés sur le continent avec, d’une part, les effets préjudiciables
qu’il a sur l’environnement pour l’Union dans son ensemble et, d’autre part, ses effets socio-économiques préjudiciables pour la minorité des États membres situés à la périphérie de l’Union. À ce titre, il serait manifestement erroné d’appliquer aux entreprises de transport établies dans un État membre insulaire un traitement identique à celui des entreprises qui ne sont pas tributaires d’un tronçon maritime pour exercer leurs activités de transport.

869    Selon la République de Lituanie et la Roumanie, la période de carence conduirait à redistribuer artificiellement le marché du transport de marchandises par route et à limiter les débouchés commerciaux des transporteurs dans d’autres États membres. Cette mesure protectionniste et restrictive érigerait une barrière à l’entrée sur les marchés externes pour les transporteurs non-résidents, provenant essentiellement des États membres situés à la périphérie de l’Union et de ceux de faible
superficie.

870    En second lieu, la République de Lituanie, la Roumanie et la République de Malte font valoir que la période de carence méconnaît le principe de non-discrimination et le principe d’égalité des États membres en raison de la position nettement plus défavorable dans laquelle se trouvent les États membres situés à la périphérie de l’Union, ceux de faible superficie ou ceux qui se distinguent par leur caractère insulaire. À cet égard, la République de Lituanie invoque, en particulier, une violation
de l’article 4, paragraphe 2, TUE.

871    Le Parlement et le Conseil estiment que ces arguments ne sont pas fondés.

2.      Appréciation de la Cour

872    Il est constant, en l’occurrence, que la mesure prévue à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, en ce qu’elle impose aux entreprises de transport d’observer une période de carence entre deux cycles de cabotage dans le même État membre, s’applique indistinctement à toutes les entreprises de transport quel que soit l’État membre dans lequel elles sont établies, de sorte qu’elle ne comporte pas de discrimination directe interdite par le droit de l’Union.

873    Il convient, dès lors, d’examiner, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 308 à 310 du présent arrêt, si cette disposition applique de manière injustifiée une règle identique à des situations différentes, à la lumière, notamment, de l’objectif poursuivi par celle-ci, et est, de ce fait, constitutive d’une discrimination indirecte interdite par le droit de l’Union, en ce que, ainsi que le font valoir, en substance, la République de Lituanie, la Roumanie et la République de Malte,
elle serait, par sa nature même, susceptible d’affecter davantage les entreprises de transport établies dans des États membres situés, selon ces États membres requérants, à la « périphérie de l’Union », de faible superficie ou qui se distinguent par leur caractère insulaire ainsi que ce groupe particulier d’États membres par rapport aux autres entreprises de transport et aux autres États membres.

874    En ce qui concerne, en premier lieu, l’existence d’une prétendue discrimination entre les entreprises de transport établies, d’une part, dans des États membres situés à la « périphérie de l’Union », de faible superficie ou qui se distinguent par leur caractère insulaire et, d’autre part, celles qui sont établies dans les États membres situés dans la « partie centrale ou occidentale de l’Union », il convient de relever que, contrairement à la prémisse sur laquelle repose l’argumentation de la
Roumanie et de la République de Malte, et ainsi qu’il ressort des points 833 et 843 du présent arrêt, l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 n’impose pas à l’entreprise de transport, quel que soit l’État membre dans lequel celle-ci est établie, une obligation de faire revenir le véhicule au centre opérationnel de cette entreprise durant la période de carence. En outre, cette période de carence ne prive pas les entreprises de transport, quel que soit l’État membre dans lequel elles
sont établies, de la possibilité de poursuivre, durant celle-ci, des activités de transport, y compris des activités de cabotage, pourvu que ces dernières ne soient pas effectuées dans le même État membre d’accueil.

875    Dès lors, il ne saurait être soutenu que la période de carence a pour effet de placer certaines entreprises de transport, en raison des caractéristiques géographiques de l’État membre dans lequel elles sont établies, qu’il s’agisse notamment de sa localisation, selon les États membres requérants, à la « périphérie de l’Union », de sa superficie ou de son caractère insulaire, dans une situation différente des entreprises qui sont établies dans les États membres situés dans la « partie centrale
ou occidentale » de l’Union.

876    La différence alléguée d’incidence de la période de carence sur les entreprises de transport selon leur lieu d’établissement dans l’Union résulte non pas du caractère prétendument discriminatoire de la règle édictée par le législateur de l’Union à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, mais, ainsi qu’il a été relevé au point 850 du présent arrêt, du modèle d’exploitation économique pour lequel des entreprises de transport, quel que soit l’État membre dans lequel elles sont
établies, ont opté, consistant à fournir l’essentiel, sinon l’intégralité, de leurs prestations de services dans le cadre d’opérations de cabotage effectuées de manière permanente ou continue sur le territoire du même État membre d’accueil.

877    Au demeurant, il convient d’ajouter que, d’une part, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé aux points 618 et 796 de ses conclusions, seules les entreprises de transport qui exercent leurs activités en méconnaissance du caractère temporaire des transports de cabotage que prévoyait déjà le règlement n^o 1072/2009 seront particulièrement affectées par la période de carence. Or, l’objectif poursuivi par l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, tel qu’exposé au considérant 21 de
ce règlement, consiste précisément à garantir que les transports de cabotage ne soient pas exécutés de manière à créer une activité permanente ou continue dans l’État membre d’accueil.

878    D’autre part, les conséquences de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 sur les entreprises de transport sont, certes, susceptibles de différer selon la part des transports de cabotage dans l’ensemble des activités de ces entreprises et de représenter une charge plus importante pour celles, quel que soit l’État membre dans lequel elles sont établies, qui ont opté pour le modèle d’exploitation économique mentionné aux points 850 et 876 du présent arrêt, par rapport à celles qui
n’effectuent que peu d’activités de transport de cette nature et pour lesquelles cette période a une moindre incidence.

879    Toutefois, il y a lieu de rappeler que, conformément à la jurisprudence mentionnée au point 829 du présent arrêt, lorsqu’un acte législatif a déjà coordonné les législations des États membres dans un domaine donné d’action de l’Union, le législateur de l’Union est en droit d’adapter cet acte à toute modification des circonstances ou à toute évolution des connaissances eu égard à la tâche qui lui incombe de veiller à la protection des intérêts généraux reconnus par les traités et de prendre en
compte les objectifs transversaux de l’Union consacrés, notamment, à l’article 3, paragraphe 3, TUE pour ce qui est de l’établissement d’un marché intérieur. En effet, ce législateur ne peut, dans une telle situation, s’acquitter correctement de la tâche qui lui incombe de veiller à la protection de ces intérêts généraux et de ces objectifs transversaux que s’il lui est loisible d’adapter la législation pertinente de l’Union à de telles modifications ou évolutions.

880    Or, en l’occurrence, le législateur de l’Union, loin d’introduire une discrimination entre entreprises de transport, a, par l’adoption de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, entendu remédier aux conséquences inattendues engendrées, sous l’empire du règlement n^o 1072/2009, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du règlement 2020/1055, par l’apparition de pratiques de cabotage systématique contraires au caractère temporaire que doit revêtir le transport de
cabotage.

881    Ainsi qu’il a été relevé au point 322 du présent arrêt, une disposition du droit de l’Union ne saurait donc être considérée comme étant, en elle-même, contraire aux principes d’égalité de traitement et de non-discrimination au seul motif qu’elle entraîne des conséquences différentes pour certains opérateurs économiques, lorsque cette situation est la conséquence de conditions d’exploitation différentes dans lesquelles ils sont placés et non pas d’une inégalité en droit qui serait inhérente à
la disposition attaquée.

882    Les constatations qui précèdent ne sauraient être remises en cause, tout d’abord, par l’argumentation de la République de Lituanie et la Roumanie selon laquelle la période de carence redistribue artificiellement le marché du transport de marchandises par route et limite les débouchés commerciaux des entreprises de transport établies dans les États membres situés, selon ces États membres requérants, à la « périphérie de l’Union » et dans ceux de faible superficie, de sorte qu’elle placerait,
de fait, ces entreprises dans une situation différente de celle des entreprises qui sont établies dans les États membres situés dans la « partie centrale ou occidentale de l’Union ».

883    En effet, une telle argumentation est fondée, en substance, sur la considération, d’une part, que les besoins de transport existeraient surtout, selon lesdits États membres requérants, dans la « partie centrale et occidentale de l’Union » et, d’autre part, que les entreprises de transport établies dans les États membres situés à la « périphérie de l’Union » et dans ceux de faible superficie réaliseraient la majeure partie des transports de cabotage de l’Union, alors que les entreprises de
transport établies dans les autres États membres effectueraient principalement des opérations de transport au sein de leur propre État membre.

884    Or, il convient d’observer que l’éventuelle différence d’incidence entre les entreprises de transport en fonction de leur État membre d’établissement résulte, en tout état de cause, de la nature différente des opérations réalisées, laquelle est reflétée à l’article 91, paragraphe 1, sous b), TFUE dont il résulte que les transports de cabotage, à savoir ceux réalisés au sein d’un État membre par un transporteur non établi dans celui-ci, doivent être distingués des transports purement
nationaux, à savoir ceux réalisés au sein d’un État membre par un transporteur établi dans celui-ci.

885    Dès lors, ne saurait méconnaître les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination le fait que des opérations de transport effectuées dans un État membre donné sont soumises à des règles distinctes lorsqu’elles constituent des opérations différentes, en l’occurrence selon qu’il s’agit de transports de cabotage ou de transports purement nationaux.

886    Quant à l’argument de la République de Malte selon lequel la période de carence oblige les transporteurs maltais, à l’expiration d’une période de cabotage, à se rendre dans un autre État membre ou à suspendre leurs activités durant la période de carence, il convient de relever que, d’une part, la nécessité de se rendre dans un autre État membre découlait déjà de l’article 8, paragraphe 2, du règlement n^o 1072/2009, puisque, en vertu de cette disposition qui n’a pas été modifiée par le
règlement 2020/1055, le véhicule doit quitter le territoire de l’État membre d’accueil à l’issue d’un premier cycle de cabotage, avant, le cas échéant, de pouvoir entamer, à la suite d’une nouvelle opération de transport international à destination de cet État membre, un nouveau cycle de cabotage dans celui-ci.

887    D’autre part, ainsi qu’il a été rappelé au point 874 du présent arrêt, le respect de la période de carence n’exige pas de l’entreprise de transport concernée qu’elle suspende toute activité de transport. En effet, il n’empêche pas cette entreprise de réaliser des opérations de transport autres que des transports de cabotage dans le même État membre d’accueil à l’issue d’un premier cycle de cabotage dans ce dernier. Ainsi, l’argument de la République de Malte repose en réalité sur la prémisse
selon laquelle, en l’absence de période de carence, les entreprises de transport concernées continueraient à effectuer de tels transports de cabotage dans le même État membre. Or, ladite période a été précisément instituée pour prévenir ces activités menées de manière permanente ou continue dans le même État membre d’accueil.

888    En ce qui concerne, en second lieu, l’argumentation de la République de Lituanie, de la Roumanie et de la République de Malte relative à l’existence d’une prétendue méconnaissance du principe de non–discrimination et du principe d’égalité des États membres, celle-ci doit être écartée pour les mêmes motifs que ceux qui viennent d’être exposés, étant donné qu’elle repose, pour l’essentiel, sur les conséquences indirectes qui découleraient de la discrimination alléguée entre les entreprises de
transport établies dans l’Union. Par ailleurs, il en va de même de la méconnaissance alléguée par la République de Lituanie du principe d’égalité des États membres devant les traités, consacré à l’article 4, paragraphe 2, TUE, dès lors que cet État membre ne fait pas valoir une argumentation distincte sur le fondement de cette disposition.

889    Du reste, à supposer même que certains États membres soient indirectement affectés plus que d’autres par ladite disposition, nonobstant son caractère indistinctement applicable, il suffit de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour exposée au point 332 du présent arrêt, un acte de l’Union ayant pour objet d’égaliser les normes des États membres, pour autant qu’il s’applique de façon égale à tous les États membres, ne saurait être considéré comme discriminatoire, un tel acte
d’harmonisation créant inévitablement des effets divergents selon l’état antérieur des différentes législations et pratiques nationales.

890    Ces considérations ne sont pas susceptibles d’être remises en cause par l’allégation de la Roumanie, tirée de l’effet discriminatoire global qui résulterait de l’ensemble des dispositions relevant du « Paquet mobilité », faisant l’objet des trois recours introduits par cet État membre dans les affaires C‑546/20 à C‑548/20. En effet, ce dernier n’a pas démontré, dans l’affaire C‑547/20, qu’une discrimination découlerait de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055. Pour le surplus,
les arguments dirigés contre le règlement 2020/1054 et la directive 2020/1057 doivent être examinés dans le cadre des moyens et arguments visant à obtenir, dans le contexte des recours introduits dans les affaires C‑546/20 et C‑548/20, l’annulation de tout ou partie de ces actes du droit de l’Union.

891    En conséquence, il convient de rejeter comme étant non fondés le deuxième moyen pris en sa seconde branche invoqué par la République de Lituanie, le troisième moyen invoqué par la Roumanie, en ce qu’il est dirigé contre l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, et le troisième moyen invoqué par la République de Malte.

3.      Sur la violation de l’article 91, paragraphe 1, TFUE

1.      Argumentation des parties

892    La République de Bulgarie, par son quatrième moyen, en ce qu’il est dirigé contre l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, fait valoir que, en adoptant cette disposition, le législateur de l’Union a violé l’article 91, paragraphe 1, TFUE.

893    Selon cet État membre, cet article 91, paragraphe 1, qui constitue la base juridique de ce règlement, exigeait de ce législateur qu’il statue conformément à la procédure législative ordinaire et après consultation du CESE et du CdR. La période de carence prévue à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 ne figurait pas dans la proposition de règlement « établissement », de sorte qu’elle n’a pu être examinée par ces comités avant qu’ils ne rendent leurs avis respectifs, le
18 janvier et le 1^er février 2018. En ne consultant pas ultérieurement ces comités sur la modification substantielle apportée à cette proposition, ledit législateur aurait violé ledit article 91, paragraphe 1.

894    La République de Bulgarie fait observer que la Cour s’est prononcée sur l’obligation de consultation dans le cadre de la procédure législative à une époque où, sans être colégislateur, le Parlement, à l’instar du CESE et du CdR aujourd’hui, disposait d’un rôle consultatif. Elle aurait jugé que l’exigence de consulter le Parlement impliquait celle de procéder à une nouvelle consultation à chaque fois que le texte finalement adopté, considéré dans son ensemble, s’écartait dans sa substance même
de celui sur lequel le Parlement avait déjà été consulté (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 1992, Parlement/Conseil, C‑65/90, EU:C:1992:325, point 16).

895    Puisque ce rôle consultatif serait, à présent, toujours exercé par le CESE et le CdR, en vertu de l’article 91, paragraphe 1, TFUE, la jurisprudence mentionnée au point précédent s’appliquerait par analogie à l’obligation de consulter ces deux comités. Par conséquent, dans le cas d’espèce, ces derniers auraient dû être consultés à nouveau au sujet de la modification substantielle consistant en l’introduction de la période de carence.

896    Il serait inexact d’alléguer, comme le fait le Parlement, qu’il n’existe aucun précédent de seconde consultation des comités dans le cadre de la procédure législative. À titre d’exemple, au cours de la procédure législative sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant l’évaluation des technologies de la santé et modifiant la directive 2011/24/UE [COM(2018) 51 final], une disposition complémentaire aurait été ajoutée à la base juridique de l’acte concerné, ce
qui aurait conduit le législateur de l’Union à décider de consulter une seconde fois le CESE.

897    Le Parlement et le Conseil font valoir que ce moyen n’est pas fondé.

2.      Appréciation de la Cour

898    Il y a lieu de rappeler que l’article 91, paragraphe 1, TFUE prévoit que, en vue de réaliser la mise en œuvre de l’article 90 TFUE et compte tenu des aspects spéciaux des transports, le Parlement et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire et après consultation du CESE et du CdR, établissent, notamment, les conditions d’admission de transporteurs non-résidents aux transports nationaux dans un État membre.

899    Force est de constater qu’il ne ressort pas de cette disposition que le CESE et le CdR doivent être à nouveau consultés en cas de modification envisagée à une proposition d’acte législatif.

900    La République de Bulgarie fait toutefois valoir que l’obligation de consultation du CESE et du CdR résulte en l’espèce de l’application par analogie de la jurisprudence de la Cour issue de l’arrêt du 16 juillet 1992, Parlement/Conseil (C‑65/90, EU:C:1992:325), qui a précisé la portée du rôle consultatif que le Parlement exerçait, à l’époque, dans le cadre de la procédure législative.

901    Selon cette jurisprudence, l’obligation de consulter le Parlement au cours de la procédure législative, dans les cas prévus par le traité, implique celle de procéder à une nouvelle consultation de cette institution à chaque fois que le texte finalement adopté, considéré dans son ensemble, s’écarte dans sa substance même de celui sur lequel le Parlement avait déjà été consulté, à l’exception des cas où les amendements correspondent, pour l’essentiel, au souhait exprimé par le Parlement
lui–même (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 1992, Parlement/Conseil, C‑65/90, EU:C:1992:325, point 16 et jurisprudence citée). Cette exigence de consultation régulière du Parlement est considérée comme une formalité substantielle dont le non-respect entraîne la nullité de l’acte concerné (voir, en ce sens, arrêt du 5 juillet 1995, Parlement/Conseil, C‑21/94, EU:C:1995:220, point 17).

902    Toutefois, sans qu’il y ait lieu d’examiner le point de savoir si, en ce qu’il introduit la période de carence, l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 constitue une modification substantielle apportée à la proposition de règlement « établissement », il convient de relever, ainsi que le font valoir le Parlement et le Conseil, que la jurisprudence rappelée aux points 900 et 901 du présent arrêt n’est pas transposable à l’obligation de consultation du CESE et du CdR, prévue à
l’article 91, paragraphe 1, TFUE.

903    En effet, aux fins de qualifier l’exigence de procéder à une nouvelle consultation du Parlement de formalité substantielle, la Cour a jugé que cette exigence découlait de ce que la participation effective du Parlement au processus législatif représentait un élément essentiel de l’équilibre institutionnel voulu par le traité et que cette compétence constituait l’expression d’un principe démocratique fondamental, selon lequel les peuples participent à l’exercice du pouvoir par l’intermédiaire
d’une assemblée représentative (voir, en ce sens, arrêt du 10 juin 1997, Parlement/Conseil, C‑392/95, EU:C:1997:289, point 14 et jurisprudence citée). Or, de telles considérations ne s’appliquent pas de manière analogue au CESE et au CdR.

904    Premièrement, il convient de souligner que le CESE et le CdR, d’une part, et le Parlement, d’autre part, occupent des places distinctes au sein de l’équilibre institutionnel de l’Union. En effet, alors que le Parlement figure parmi les institutions de l’Union, énumérées à l’article 13, paragraphe 1, TUE, ces comités relèvent, pour l’un, des articles 301 à 304 TFUE et, pour l’autre, des articles 305 à 307 TFUE, lesquels figurent sous le chapitre 3 du titre I de la sixième partie du traité FUE,
intitulé « Les organes consultatifs de l’Union ».

905    Deuxièmement, l’article 10 TUE énonce, à son paragraphe 1, que « [l]e fonctionnement de l’Union est fondé sur la démocratie représentative ». Le paragraphe 2 de cet article précise, d’une part, que les citoyens sont directement représentés, au niveau de l’Union, au Parlement et que, d’autre part, les États membres sont représentés au Conseil européen par leur chef d’État ou de gouvernement et au Conseil par leurs gouvernements, eux-mêmes démocratiquement responsables, soit devant leurs
parlements nationaux, soit devant leurs citoyens. En revanche, ledit article ne confère pas de fonction de représentation démocratique au CESE et au CdR.

906    Il s’ensuit que la République de Bulgarie n’est pas fondée à invoquer la jurisprudence relative à l’obligation de procéder à une nouvelle consultation du Parlement au cours de la procédure législative, pour soutenir que le législateur de l’Union a violé en l’espèce l’article 91, paragraphe 1, TFUE.

907    Cette conclusion n’est pas susceptible d’être remise en cause par l’allégation de cet État membre selon laquelle il existe un précédent, portant sur la procédure législative relative à la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant l’évaluation des technologies de la santé et modifiant la directive 2011/24/UE [COM(2018) 51 final], qui atteste de l’existence d’une obligation de procéder à une nouvelle consultation du CESE et du CdR.

908    En effet, ainsi que le soutient le Conseil à bon droit, il convient de distinguer, conformément à l’article 304, premier alinéa, et à l’article 307, premier alinéa, TFUE, les cas, « prévus par les traités », dans lesquels la consultation du CESE et du CdR est obligatoire, des autres cas dans lesquels cette consultation est facultative et laissée à l’appréciation du Parlement, du Conseil ou de la Commission, tels que celui de l’espèce.

909    Il s’ensuit qu’aucune obligation de procéder à une nouvelle consultation de ces comités ne peut être déduite d’une procédure antérieure dans laquelle une de ces institutions de l’Union a considéré qu’il était opportun de procéder à une nouvelle consultation de l’un d’entre eux.

910    En conséquence, il convient de rejeter comme étant non fondé le quatrième moyen invoqué par la République de Bulgarie, en ce qu’il est dirigé contre l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055.

4.      Sur la violation de l’article 90 TFUE, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 3, TUE, de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE

1.      Argumentation des parties

911    La République de Lituanie, par son troisième moyen, la République de Bulgarie, par son cinquième moyen, en ce qu’il est dirigé contre l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, la République de Malte, par son premier moyen, et la République de Pologne, par ses deuxième et troisième moyens, font valoir que, en adoptant l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, le législateur de l’Union a méconnu les exigences découlant de l’article 91, paragraphe 2, TFUE, pris
isolément pour la République de Malte, ou de cette disposition et de l’article 94 TFUE. La République de Bulgarie allègue, de surcroît, une méconnaissance de l’article 90 TFUE, lu à la lumière de l’article 3, paragraphe 3, TUE.

912    En premier lieu, la République de Bulgarie fait valoir que l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 méconnaît l’article 90 TFUE, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 3, TUE, l’article 91, paragraphe 2, et l’article 94 TFUE, en raison des effets préjudiciables sur le niveau de vie et l’emploi en Bulgarie et, d’une manière générale, dans les États membres situés à la périphérie de l’Union, ainsi que sur la situation économique des entreprises de transport.

913    De tels effets seraient la conséquence de l’augmentation du nombre de transports à vide et des frais qui en découlent. À cet égard, la République de Bulgarie estime que l’introduction de la période de carence engendrera des coûts importants pour les transporteurs non seulement en Bulgarie mais également dans tous les États membres dont les transporteurs pratiquent des opérations de cabotage, cet État membre invoquant, sur le fondement des études mentionnées aux points 772 et 796 du présent
arrêt, une baisse jusqu’à 31 % d’ici l’année 2035 du nombre de transports de cabotage dans l’Union et un coût annuel pour les transporteurs belges pouvant atteindre jusqu’à 24 millions d’euros.

914    Le législateur de l’Union n’aurait, de ce fait, pas tenu compte de l’importance de la cohésion économique, sociale et territoriale, ni de la solidarité entre les États membres, méconnaissant ainsi les prescriptions de l’article 3, paragraphe 3, TUE.

915    Ces conséquences auraient été établies tant par la République de Bulgarie que par d’autres États membres. Cependant, aucune analyse complémentaire n’aurait été effectuée en vue de déterminer de quelle manière le niveau de vie et l’emploi dans certaines régions ainsi que la prestation des services de transport en elle-même seraient affectés et aucune consultation n’aurait été menée avec le CESE ou le CdR à cet égard.

916    En deuxième lieu, en ce qui concerne la violation de l’article 91, paragraphe 2, TFUE, la République de Lituanie, la République de Malte et la République de Pologne reprochent au législateur de l’Union de ne pas avoir tenu compte de l’incidence de la mesure prévue à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 sur le niveau de vie et l’emploi dans certaines régions ainsi que sur l’exploitation des équipements de transport. À cet égard, la République de Pologne précise que, bien que
le législateur de l’Union dispose d’une large marge d’appréciation, l’obligation pour lui de prendre en compte certains effets des mesures qu’il adopte ne pourrait se limiter simplement à prendre connaissance de ceux-ci, sous peine de priver l’article 91, paragraphe 2, TFUE de son effectivité.

917    Premièrement, selon la République de Lituanie, l’étude de l’ECIPE sur la discrimination, l’exclusion et l’atteinte à l’environnement indique, à la page 13, que le nombre de personnes travaillant dans le secteur des transports est bien plus élevé dans les États membres situés à la périphérie de l’Union que dans les États membres situés dans sa partie centrale et occidentale. Dès lors, les effets négatifs de la période de cabotage prévue à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055
sur le niveau de vie et l’emploi seraient plus importants dans ces premiers États membres et se traduiraient par des pertes d’emploi ainsi qu’une migration des travailleurs.

918    À cet égard, alors que, antérieurement à l’adoption du règlement 2020/1055, il aurait été possible d’effectuer trois opérations de cabotage tous les sept jours, l’introduction de cette période de carence aurait pour conséquence que le même nombre d’opérations ne pourrait plus être réalisé que tous les onze jours. Il s’ensuivrait une réduction du volume des activités des entreprises de transport établies dans les États membres situés à la périphérie de l’Union et, par voie de conséquence, une
baisse du niveau de vie et de l’emploi dans ces États membres.

919    À titre d’exemple, en Lituanie, ainsi qu’il ressortirait de l’article de presse spécialisée, intitulé « Lithuania challenges the Mobility Package at the EU court » (« La Lituanie conteste le Paquet Mobilité devant la Cour de justice »), jusqu’à 35 000 travailleurs des entreprises de transport risqueraient de perdre leur emploi.

920    Deuxièmement, la République de Malte fait valoir que l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 aura de graves conséquences sur les entreprises de transport établies dans des États membres insulaires qui, à l’instar de la République de Malte, sont fortement tributaires des communications maritimes et des itinéraires de transports multimodaux, conséquences que le législateur de l’Union n’aurait pas été en mesure de prendre en compte. Imposer aux transporteurs maltais de suspendre
leurs opérations de transport pendant quatre jours conduirait à paralyser arbitrairement leurs activités de transport, afin de se conformer à une règle qui aurait été conçue pour de véritables opérations de cabotage, mais non pas pour les transporteurs établis dans des États membres insulaires et qui exercent leurs activités sur le continent.

921    La portion maritime entre Malte et le continent serait principalement couverte par des rouliers transportant des semi-remorques plutôt que des véhicules entiers. Bien que les transporteurs maltais ne soient pas intéressés par les opérations de cabotage telles que définies dans le règlement n^o 1072/2009, c’est-à-dire les opérations de transport national dans un autre État membre, leurs opérations de transport en Italie n’en seraient pas moins techniquement qualifiées comme telles. En effet,
ce règlement ne considèrerait pas le transport de marchandises par mer de Malte vers l’Italie comme un « transport international », au sens de son article 2, point 2, de sorte que le transport d’un semi-remorque entre un port italien et un autre lieu en Italie serait considéré comme une opération de cabotage.

922    En ne prenant pas en considération la spécificité et la singularité des États membres insulaires, tels que Malte, cette définition exclurait clairement les transporteurs maltais du bénéfice des droits liés à la prestation de services de transports internationaux.

923    Ainsi que le mettrait en évidence l’étude réalisée par KPMG, intitulée « Ministry for Transport, Infrastructure and Capital Project – Market study : An impact assessment of Mobility Package I » (« Ministère des transports, des infrastructures et des projets d’investissement – Étude de marché : analyse d’impact du premier train de mesures sur la mobilité »), la période de carence aurait de graves répercussions sur les activités des transporteurs maltais. En ce que, notamment, elle alourdirait
les mesures logistiques des entreprises de transport d’un État membre insulaire exerçant principalement leurs activités de transport sur le continent, augmenterait les coûts des transports et porterait atteinte à l’efficacité des opérations de transport, cette période de carence menacerait l’activité du secteur maltais des transports internationaux, au sens de l’article 91, paragraphe 2, TFUE.

924    Troisièmement, la République de Pologne, estimant que l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 conduira à une baisse du niveau de vie et de l’emploi dans certaines régions des États membres situés à la périphérie de l’Union et affectera les infrastructures de transport, renvoie à l’argumentation qu’elle a développée au soutien de ses conclusions d’annulation de l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du
règlement n^o 1071/2009, selon laquelle l’obligation relative au retour des véhicules entraînera des trajets supplémentaires à vide dénués de justification économique.

925    Ainsi, la période de carence pourrait conduire au retrait du marché des transporteurs qui ne seraient plus en mesure d’exercer une activité rentable. Il s’ensuivrait une suppression d’emplois dans le secteur des transports dans ces États membres. À cet égard, il n’aurait pas été tenu compte du fait que 90 % des entreprises de transport emploient moins de dix personnes et que les PME représentent 55 % des personnes travaillant dans le secteur du transport, alors que les conséquences de cette
période de carence seront particulièrement négatives pour ces entreprises de transport. Par ailleurs, la République de Pologne fait valoir que la part de ce secteur dans l’économie des États membres situés à la périphérie de l’Union est plus élevée que dans celle des autres États membres, de sorte que les suppressions d’emplois seront particulièrement dommageables dans les États membres situés à la périphérie de l’Union.

926    Le législateur de l’Union n’aurait pas non plus pris en compte l’augmentation du trafic routier induite par la mesure en cause, laquelle aurait pour effet d’augmenter la congestion sur les routes et d’aggraver la dégradation de l’état des infrastructures routières. Dans ce contexte, il conviendrait de tenir compte de la « loi de la quatrième puissance », démontrant l’incidence des véhicules sur les infrastructures routières, selon laquelle l’effet de détérioration des routes croît de manière
exponentielle, à la puissance quatre, avec l’augmentation du poids du véhicule. Bien que les poids lourds soient moins nombreux que les véhicules de tourisme, leur incidence sur les infrastructures serait donc beaucoup plus importante. Par ailleurs, l’augmentation du trafic routier nuirait à la qualité de vie dans les zones situées à proximité des principaux nœuds de transport.

927    En outre, la République de Pologne estime que les modifications juridiques concernant le transport routier conduiront à une hausse de 19 %, en moyenne, du nombre des comportements à risque des conducteurs, liés à la possibilité d’enfreindre la loi.

928    En troisième lieu, pour ce qui est de la violation de l’article 94 TFUE, la République de Lituanie et la République de Pologne soutiennent que, en adoptant l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, le législateur de l’Union n’a pas tenu compte de la situation économique des entreprises de transport.

929    En raison d’une évaluation insuffisante de la situation du marché des transports dans l’Union ainsi que des particularités géographiques pertinentes des États membres en ce qui concerne ce marché, la dégradation de la situation économique des transporteurs établis dans les États membres situés à la périphérie de l’Union et dans ceux de faible superficie, consécutive à l’application de la période de carence prévue à cette disposition, n’aurait pas été prise en compte. Les États membres
requérants rappellent, à cet égard, que la part des transports de cabotage dans l’activité de transport globale d’une entreprise de transport est bien plus élevée chez ces transporteurs que chez ceux établis dans les États membres situés au centre de l’Union.

930    Afin d’étayer l’argument tenant à un effet d’éviction du marché desdits transporteurs, qui résulterait de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, la République de Lituanie se fonde, par ailleurs, sur les éléments, exposés aux points 772 et 796 du présent arrêt, tirés de l’étude de l’ECIPE sur la discrimination, l’exclusion et l’atteinte à l’environnement ainsi que de l’étude, mentionnée dans l’article de presse spécialisée, intitulé « Les Belges n’aiment pas le premier train de
mesures sur la mobilité. Selon eux, ses dispositions entraîneront également des pertes pour leurs entreprises ».

931    La République de Pologne souligne que la période de carence entraînera, en raison de ses conséquences négatives pour une grande majorité des entreprises de transport, un risque probable de faillite de nombre d’entre elles ou de délocalisation dans des États membres situés au centre de l’Union. Par ailleurs, cet État membre précise qu’il n’a pas été tenu compte du fait que ces conséquences seront particulièrement négatives pour les PME, alors que ces entreprises représentent 90 % des
entreprises de transport.

932    En outre, selon la République de Pologne, l’adoption de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 pendant la pandémie de COVID-19 confirmerait que la situation économique des transporteurs n’a pas été prise en compte. En effet, les effets économiques de cette pandémie se seraient particulièrement fait ressentir dans le secteur des transports, celui-ci ayant été exposé à la baisse de la demande et aux restrictions de franchissement des frontières intérieures réinstaurées par les
États membres. Or, ces effets auraient déjà été présents au cours de la procédure législative.

933    Le Parlement et le Conseil estiment que ces moyens ne sont pas fondés.

2.      Appréciation de la Cour

934    En premier lieu, il convient d’écarter l’argumentation invoquée par la République de Bulgarie, tirée d’une violation de l’article 90 TFUE, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 3, TUE, puisque, ainsi qu’il ressort des points 423 et 424 du présent arrêt, l’article 3, paragraphe 3, TUE ne fait pas partie des paramètres permettant d’apprécier la conformité au droit primaire d’une disposition de droit dérivé. Il en va de même de l’article 90 TFUE, selon lequel les objectifs des traités
sont poursuivis, dans le domaine des transports, « dans le cadre de la politique commune des transports ».

935    En deuxième lieu, quant à l’argumentation de la République de Lituanie, de la République de Bulgarie, de la République de Malte et de la République de Pologne, tirée d’une violation de l’article 91, paragraphe 2, TFUE, il y a lieu de rappeler que, selon cette disposition, le législateur de l’Union doit tenir compte, lorsqu’il adopte des mesures visées au paragraphe 1 de cet article, lesquelles ont pour objet la réalisation de la mise en œuvre de la politique commune des transports compte tenu
des aspects spéciaux de ceux-ci, des cas où l’application de ces mesures serait susceptible d’affecter gravement le niveau de vie et l’emploi dans certaines régions ainsi que l’exploitation des équipements de transport.

936    Dès lors que le règlement 2020/1055 a été adopté par le législateur de l’Union sur le fondement de l’article 91, paragraphe 1, TFUE, cette base juridique n’étant pas contestée dans le cadre des présents recours, il incombait à ce dernier de tenir compte, lorsqu’il a adopté la période de carence prévue à l’article 2, point 4, sous a), de ce règlement, des exigences découlant de l’article 91, paragraphe 2, TFUE.

937    À cet égard, ainsi qu’il a été relevé aux points 393 à 396 du présent arrêt, l’article 91, paragraphe 2, TFUE impose au législateur de l’Union, lorsqu’il adopte des mesures sur le fondement du paragraphe 1 de cet article 91, l’obligation de « tenir compte » de leur incidence sur le niveau de vie et l’emploi dans certaines régions ainsi que sur l’exploitation des équipements de transport, ce qui s’inscrit dans le cadre plus large d’une pondération des différents objectifs et intérêts en jeu.
En outre, ainsi que M. l’avocat général l’a souligné au point 285 de ses conclusions, l’utilisation du terme « gravement » indique que ladite disposition requiert un degré significatif d’incidence des mesures en cause sur ces paramètres et non pas une simple affectation.

938    Il résulte ainsi de l’article 91, paragraphe 2, TFUE que les incidences graves sur le niveau de vie et l’emploi dans certaines régions ainsi que sur l’exploitation des équipements de transport ne constituent pas des limites absolues au regard de la large marge d’appréciation dont le législateur de l’Union dispose en matière de politique commune des transports pour l’adoption des mesures à ce titre, pourvu qu’il tienne compte de ces éléments.

939    Il s’ensuit que, dans le cadre de l’appréciation des incidences résultant de l’adoption d’une mesure fondée sur l’article 91, paragraphe 1, TFUE, le législateur de l’Union est tenu d’effectuer une prise en considération équilibrée des divers intérêts en cause afin d’atteindre les objectifs légitimes qu’il poursuit. Ainsi, le seul fait que celui-ci doit prendre en compte le niveau de vie ainsi que l’emploi dans certaines régions et, partant, les intérêts économiques des entreprises de
transport ne s’oppose pas à ce que ces dernières fassent l’objet de mesures contraignantes (voir, par analogie, arrêt du 9 septembre 2004, Espagne et Finlande/Parlement et Conseil, C‑184/02 et C‑223/02, EU:C:2004:497, point 72 et jurisprudence citée).

940    Il en ressort que l’article 91, paragraphe 2, TFUE reflète, pour l’essentiel, l’obligation pour le législateur de l’Union d’agir dans le respect du principe de proportionnalité en adoptant des mesures qui sont aptes à réaliser l’objectif poursuivi, qui ne vont pas manifestement au-delà de ce qui est nécessaire pour réaliser cet objectif et qui sont proportionnées au regard dudit objectif.

941    Or, il a déjà été constaté, au point 859 du présent arrêt, que les moyens et les arguments soulevés par la République de Lituanie, la République de Bulgarie, la République de Malte et la République de Pologne, tirés de la violation, par l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, du principe de proportionnalité, ne permettent pas de considérer que ce principe a été méconnu.

942    En outre, en ce que la République de Bulgarie fait grief au législateur de l’Union de n’avoir pas à nouveau consulté le CESE et le CdR avant d’adopter la mesure relative à la période de carence, ces arguments doivent être écartés pour les motifs exposés aux points 898 à 910 du présent arrêt.

943    Par ailleurs, outre le fait que les arguments soulevés dans le cadre de l’examen de la prétendue violation du principe de proportionnalité ont été écartés, la République de Lituanie, la République de Bulgarie, la République de Malte et la République de Pologne n’ont fourni, à l’appui des présents moyens et arguments par lesquels elles allèguent une violation de l’article 91, paragraphe 2, TFUE, aucun élément supplémentaire de nature à étayer leurs allégations selon lesquelles la période de
carence exercerait une incidence grave sur le niveau de vie et l’emploi dans certaines régions ainsi que sur l’exploitation des équipements de transport, dont le législateur de l’Union n’aurait pas tenu compte en instituant cette période, en méconnaissance de cette disposition.

944    Premièrement, en ce qui concerne l’incidence de la mesure prévue à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 sur le niveau de vie et l’emploi, la République de Lituanie fait valoir que la période de carence aura un effet préjudiciable dans les États membres situés, selon elle, à la « périphérie de l’Union » en ce qu’elle permettra seulement de réaliser trois transports de cabotage tous les onze jours et non plus tous les sept jours comme le prévoyait la législation antérieure.
Toutefois, comme il a été exposé aux points 832 et 833 du présent arrêt, cette période de carence ne prive pas les entreprises de transport de la possibilité de poursuivre leurs activités dans le cadre d’opérations de transport autres que des transports de cabotage dans le même État membre d’accueil, notamment des opérations de cabotage dans un autre État membre d’accueil. En outre, ainsi que le fait valoir à juste titre le Conseil, et comme il a été relevé aux points 834 et 835 du présent arrêt,
avant même les modifications apportées par le règlement 2020/1055, l’article 8, paragraphe 2, du règlement n^o 1072/2009 impliquait déjà que, entre deux cycles de cabotage, un certain laps de temps soit consacré à la réalisation par le véhicule concerné d’un transport international avant d’entamer un nouveau cycle de cabotage dans le même État membre d’accueil.

945    Par ailleurs, en ce qui concerne le risque que 35 000 travailleurs perdent leur emploi dans le secteur du transport lituanien, outre le fait que cet argument revêt un caractère hypothétique, il ressort de l’article de presse spécialisée dont est tirée cette estimation que celle–ci trouve son fondement dans une déclaration du ministre du Transport et des Communications lituanien. Or, en tout état de cause, une telle déclaration ne saurait suffire à démontrer une incidence grave sur l’emploi.

946    En outre, pour ce qui est de l’argumentation de la République de Pologne tenant à une éventuelle incidence grave sur l’emploi de la période de carence prévue à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, il convient d’observer que cet État membre n’assortit pas son allégation, selon laquelle cette mesure pourrait impliquer le retrait des transporteurs du marché au motif que ceux-ci ne seraient plus en mesure d’exercer une activité rentable, des précisions nécessaires permettant
d’en apprécier le bien-fondé. En effet, cet État membre se réfère à nouveau, au soutien de son argumentation, aux conséquences de la mise en œuvre de l’obligation relative au retour des véhicules, lesquelles consisteraient en la réalisation de trajets supplémentaires à vide, sans expliciter en quoi ces conséquences valent également pour la période de carence.

947    À cet égard, il convient de souligner que le respect de cette période de carence n’impose pas, en tant que tel, des trajets supplémentaires. Une telle période exige uniquement que l’entreprise de transport concernée qui n’entendrait pas immobiliser le véhicule pendant la durée de la période de carence n’effectue, durant cette période, que des opérations de transport autres que des opérations de transport de cabotage dans le même État membre d’accueil qui auraient pu être effectuées en
l’absence de ladite période.

948    Par conséquent, l’argumentation de la République de Pologne relative à l’incidence de la période de carence sur le niveau de l’emploi doit également être considérée, à défaut de tout élément concret de nature à en étayer le bien‑fondé, comme étant de nature spéculative.

949    Deuxièmement, pour ce qui est de l’incidence de la mesure prévue à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 sur l’exploitation des équipements de transport et sur la qualité de vie dans les zones situées à proximité des principaux nœuds de transport, il y a lieu de rejeter, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 947 du présent arrêt, l’argumentation développée par la République de Pologne fondée sur le fait que la période de carence conduira à une augmentation
significative du trafic routier. De même, une telle incidence ne saurait non plus, à l’évidence, résulter d’une période d’immobilisation du véhicule dans l’éventualité où il serait impossible de réaliser, pendant cette période de carence, des opérations de transport autres que celles consistant en des transports de cabotage dans le même État membre d’accueil.

950    Par ailleurs, s’agissant des arguments invoqués par la République de Pologne concernant l’augmentation du nombre de comportements à risque qui résultera prétendument de ladite période, ceux–ci revêtent un caractère spéculatif, si bien qu’ils ne permettent pas de démontrer une violation des exigences découlant de l’article 91, paragraphe 2, TFUE.

951    Troisièmement, pour autant que la République de Malte entend soutenir que la période de carence méconnaît l’article 91, paragraphe 2, TFUE, dans la mesure où la qualification d’une opération de transport donnée de transport international ou de transport de cabotage ne prendrait pas en considération la situation géographique spécifique de Malte, il suffit d’observer que, comme le relève le Parlement et ainsi que le reconnaît cet État membre, une telle qualification découle des définitions
figurant à l’article 2, points 2 et 6, du règlement n^o 1072/2009, dispositions qui n’ont pas été modifiées par le règlement 2020/1055 et qui, en tout état de cause, relèvent d’une question distincte de celle de la période de carence. Partant, il suffit de constater qu’une telle argumentation n’est pas à même de démontrer une méconnaissance de l’article 91, paragraphe 2, TFUE par l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055.

952    En troisième lieu, en ce qui concerne les arguments de la République de Lituanie, de la République de Bulgarie et de la République de Pologne, tirés d’une prétendue violation de l’article 94 TFUE, il suffit de relever que cette disposition, aux termes de laquelle toute mesure « dans le domaine des prix et conditions de transport », prise dans le cadre des traités, doit tenir compte de la situation économique des transporteurs, est sans pertinence en l’occurrence. En effet, l’article 2,
point 4, sous a), du règlement 2020/1055, en ce qu’il instaure une période de carence entre deux cycles de cabotage dans un même État membre, régit non pas les prix ou les conditions de transport des marchandises ou des voyageurs, mais les modalités selon lesquelles un transporteur peut, à la suite de l’expiration d’un premier cycle de cabotage dans un État membre d’accueil, entamer un nouveau cycle de cabotage dans ce même État membre d’accueil.

953    En conséquence, il convient de rejeter comme étant non fondés le troisième moyen invoqué par la République de Lituanie, le cinquième moyen invoqué par la République de Bulgarie, en ce qu’il est dirigé contre l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, le premier moyen invoqué par la République de Malte ainsi que les deuxième et troisième moyens invoqués par la République de Pologne.

5.      Sur la violation des libertés fondamentales garanties par le traité FUE

1.      Argumentation des parties

954    En premier lieu, la République de Lituanie, par son deuxième moyen pris en sa première branche, fait valoir que la période de carence prévue à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 méconnaît l’article 26 TFUE, au motif que la première de ces dispositions restreint le fonctionnement du marché intérieur et limite l’efficacité de la chaîne logistique.

955    Le fait que l’objectif consistant à réaliser un marché intérieur, énoncé à l’article 26 TFUE, est mis en œuvre et précisé par d’autres dispositions des traités n’aurait pas pour effet de priver cet article de pertinence, ainsi que la Cour l’aurait reconnu dans l’arrêt du 27 avril 2017, Pinckernelle (C‑535/15, EU:C:2017:315, points 43 et 44).

956    Ainsi, bien que la politique commune des transports soit spécifiquement régie par le titre VI de la troisième partie du traité FUE, les principes du marché intérieur s’appliqueraient en principe dans le domaine des transports, cette politique commune ayant uniquement pour objet de compléter et de mettre en œuvre plus efficacement, dans ce domaine, les libertés fondamentales, notamment la libre prestation de services sur laquelle repose ladite politique commune.

957    Or, la période de carence prévue à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 ne permettrait pas de réaliser l’objectif poursuivi par ce règlement, tenant à la prévention des distorsions de concurrence, car il porterait les restrictions au cabotage à un niveau tel que l’objectif du marché unique serait remis en cause de façon fondamentale. À cet égard, l’analyse d’impact – volet établissement (partie 2/2, p. 48) aurait souligné la nécessité de maintenir le niveau de libéralisation
déjà atteint, en indiquant que l’objectif des modifications à apporter à la réglementation était non pas de modifier le niveau de libéralisation existant, mais d’améliorer la mise en œuvre des règles en la matière. D’ailleurs, le considérant 20 dudit règlement énoncerait également qu’il convient de préserver le niveau de libéralisation atteint jusqu’à présent.

958    Le fait de restreindre la prestation des services de transport fournie par les transporteurs non-résidents constituerait une entrave fondamentale à la libre prestation de services. La Cour aurait d’ailleurs jugé, au point 70 de l’arrêt du 22 mai 1985, Parlement/Conseil (13/83, EU:C:1985:220), que le Conseil avait enfreint les traités en s’étant abstenu de fixer les conditions d’admission des transporteurs non-résidents aux transports nationaux dans un État membre.

959    Le traité entre le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République hellénique, le Royaume d’Espagne, la République française, l’Irlande, la République italienne, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays–Bas, la République d’Autriche, la République portugaise, la République de Finlande, le Royaume de Suède, le Royaume–Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord (États membres de l’Union européenne) et la République tchèque, la République
d’Estonie, la République de Chypre, la République de Lettonie, la République de Lituanie, la République de Hongrie, la République de Malte, la République de Pologne, la République de Slovénie, la République slovaque relatif à l’adhésion de la République tchèque, de la République d’Estonie, de la République de Chypre, de la République de Lettonie, de la République de Lituanie, de la République de Hongrie, de la République de Malte, de la République de Pologne, de la République de Slovénie et de la
République slovaque à l’Union européenne (JO 2003, L 236, p. 17), signé par la République de Lituanie le 16 avril 2003 et entré en vigueur le 1^er mai 2004, aurait prévu une ouverture du marché du fret routier de l’Union aux transporteurs établis en Lituanie et l’abolition de toute restriction à la prestation de services, par les transporteurs lituaniens, dans d’autres États membres dans un délai de cinq ans, au plus tard, à compter de la date d’adhésion. La République de Lituanie attendrait de son
appartenance à l’Union une réglementation assurant un marché libre et ouvert. Or, la période de carence augmenterait les restrictions aux prestations de services dans le domaine des transports routiers.

960    Dans son livre blanc, intitulé « Feuille de route pour un espace européen unique des transports – Vers un système de transport compétitif et économe en ressources » [COM(2011) 144 final, p. 12 et 21], la Commission aurait d’ailleurs fait figurer l’objectif consistant à « ouvrir davantage les marchés des transports routiers » et, en tout premier lieu, à « poursuivre la suppression des restrictions encore en place en matière de cabotage ».

961    Dès lors, la période de carence prévue à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 serait non seulement incompatible avec ces objectifs, mais ferait également obstacle, de manière fondamentale, au bon fonctionnement du marché intérieur et à la libre prestation de services dans le secteur des transports, puisqu’elle conduirait à une discrimination indirecte à l’égard des États membres situés à la périphérie de l’Union et de faible superficie.

962    Par ailleurs, la République de Lituanie fait valoir que la libre prestation de services ne doit pas, en l’absence de raisons objectives, varier en fonction du secteur d’activité concerné. Or, dans le secteur du transport aérien, toutes les restrictions au cabotage auraient été supprimées afin de stimuler le développement de ce secteur et d’améliorer les services offerts aux usagers. Dans le secteur du transport routier, en revanche, la libéralisation attendue aurait fait place à des mesures
de fermeture du marché des États membres aux transporteurs non-résidents, ce qui empêcherait le développement du secteur et l’optimisation des services.

963    En deuxième lieu, la République de Bulgarie, par son septième moyen pris en sa première branche, en ce qu’il est dirigé contre l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, fait valoir que cette disposition méconnaît l’article 58, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 91 TFUE.

964    Selon cet État membre, la période de carence prévue à cet article 2, point 4, sous a), restreint considérablement la libre prestation des services de transport que la politique commune des transports garantit aux transporteurs.

965    À cet égard, ainsi qu’il ressortirait des points 64 et 65 de l’arrêt du 22 mai 1985, Parlement/Conseil (13/83, EU:C:1985:220), d’une part, le législateur de l’Union serait tenu, en vertu de l’article 91, paragraphe 1, sous a) et b), TFUE, d’instaurer la libre prestation de services en matière de transport et, compte tenu des exigences liées à la libre prestation de services, d’éliminer toutes formes de discrimination à l’égard du prestataire de services, en raison de sa nationalité ou de la
circonstance qu’il est établi dans un État membre autre que celui où la prestation doit être fournie. D’autre part, le législateur de l’Union ne disposerait pas, sur ce point, du pouvoir discrétionnaire dont il peut se prévaloir dans d’autres domaines de la politique commune des transports.

966    Or, alors que le règlement n^o 1072/2009 viserait à éliminer de telles discriminations ainsi que les restrictions imposées à l’accès aux marchés des États membres dans le cadre de l’achèvement progressif du marché unique européen, la période de carence réintroduirait une forme de discrimination et constituerait une régression dans l’établissement d’une politique commune des transports. Ce faisant, le législateur de l’Union aurait manqué à son obligation d’assurer l’application des principes
de liberté de prestation de services dans le cadre de la politique commune des transports.

967    Par ailleurs, la restriction de la libre prestation des services de transport découlant de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 serait injustifiée du fait du caractère disproportionné de cette disposition.

968    Dans l’hypothèse où la Cour considérerait que cette question est aussi régie par l’article 56 TFUE, la République de Bulgarie précise que son moyen est également fondé sur cet article.

969    En troisième lieu, la République de Bulgarie, par son septième moyen pris en sa seconde branche, en ce qu’il est dirigé contre l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, soutient que cette disposition, en raison de ses graves conséquences sur la libre circulation des marchandises, doit être considérée comme une mesure ayant des effets équivalant à des restrictions quantitatives, laquelle est interdite en vertu des articles 34 et 35 TFUE.

970    Cet État membre rappelle que, conformément à l’article 36 TFUE, une telle mesure ne peut être justifiée que si elle poursuit certains objectifs et ne constitue ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres. Par ailleurs, il serait de jurisprudence bien établie que des mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l’exercice des libertés fondamentales garanties par les traités ne pourraient être admises
qu’à la condition qu’elles poursuivent un objectif d’intérêt général, qu’elles soient propres à garantir la réalisation de celui–ci et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi. Or, pour les raisons invoquées dans le cadre de ses autres moyens, la République de Bulgarie estime que la période de carence prévue à cet article 2, point 4, sous a), est disproportionnée et, partant, injustifiée.

971    Le Parlement et le Conseil font valoir que ces moyens ne sont pas fondés.

2.      Appréciation de la Cour

972    En ce qui concerne, en premier lieu, la méconnaissance de l’article 26 TFUE, invoquée par la République de Lituanie, il convient de rappeler que, conformément au paragraphe 1 de cet article, « [l]’Union adopte les mesures destinées à établir ou assurer le fonctionnement du marché intérieur, conformément aux dispositions pertinentes des traités », tandis que le paragraphe 2 de celui-ci précise que « [l]e marché intérieur comporte un espace sans frontières intérieures dans lequel la libre
circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux est assurée selon les dispositions des traités ».

973    Il s’ensuit que, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 678 de ses conclusions, l’article 26 TFUE ne saurait être invoqué de manière autonome sans méconnaître la portée et l’effet utile des autres dispositions pertinentes du traité FUE, en particulier de l’article 58, paragraphe 1, TFUE. Un tel constat s’impose d’autant plus lorsque les mesures dont la légalité est contestée, en l’occurrence l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, ont trait à la libre prestation des
services dans le domaine des transports, laquelle est soumise, au sein du droit primaire, à un régime juridique particulier (voir, en ce sens, arrêt du 18 mars 2014, International Jet Management, C‑628/11, EU:C:2014:171, point 36).

974    En effet, ainsi qu’il ressort des points 352 à 358 du présent arrêt et comme le reconnaît la République de Lituanie, la libre prestation des services dans ce domaine est régie non pas par l’article 56 TFUE, qui concerne la libre prestation de services en général, mais par l’article 58, paragraphe 1, TFUE, disposition spécifique aux termes de laquelle « [l]a libre circulation des services, en matière de transports, est régie par les dispositions du titre relatif aux transports », à savoir du
titre VI de la troisième partie du traité FUE, ce titre comprenant les articles 90 à 100 TFUE. Ainsi, les entreprises de transport disposent d’un droit à la libre prestation de services exclusivement dans la mesure où ce droit leur a été octroyé par le biais de mesures de droit dérivé adoptées par le législateur de l’Union sur le fondement des dispositions du traité FUE relatives à la politique commune des transports, en particulier de l’article 91, paragraphe 1, TFUE.

975    Tel est précisément l’objet du règlement 2020/1055, adopté par le législateur de l’Union sur le fondement de cette disposition, laquelle prévoit, en particulier, à son point b), que ce législateur établit les conditions d’admission de transporteurs non-résidents aux transports nationaux dans un État membre, distinguant de la sorte, comme il a été constaté au point 884 du présent arrêt, les transports de cabotage des transports purement nationaux.

976    Il convient encore de préciser que, à cet égard, est dénué de pertinence le fait, mis en exergue par la République de Lituanie, que, dans l’arrêt du 27 avril 2017, Pinckernelle (C‑535/15, EU:C:2017:315, points 42 à 44), rendu dans le cadre d’une affaire concernant l’exportation d’une substance chimique vers un pays tiers, la Cour a, à la lumière de l’article 26 TFUE, interprété la notion de « mise sur le marché », au sens du règlement de l’Union concerné par cette affaire et adopté sur le
fondement de l’article 114 TFUE, comme se rapportant au marché intérieur.

977    S’agissant, en deuxième lieu, de l’argumentation de la République de Lituanie et de la République de Bulgarie tirée d’une violation de la libre prestation des services dans le domaine des transports, il convient de rappeler, premièrement, que, pour les raisons évoquées aux points 832 à 837 du présent arrêt, l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 ne saurait être considéré comme portant atteinte au niveau de libéralisation atteint jusqu’à présent. En effet, le législateur de
l’Union a entendu maintenir, par le règlement 2020/1055, le régime juridique des transports de cabotage antérieurement applicable, lequel exigeait déjà, en vertu de l’article 8, paragraphe 2, du règlement n^o 1072/2009, que, entre deux cycles de cabotage, un certain laps de temps soit consacré à la réalisation par le véhicule concerné d’un transport international avant d’entamer un nouveau cycle de cabotage dans le même État membre d’accueil. Le législateur de l’Union a entendu clarifier ce régime
juridique en prévoyant une mesure supplémentaire sous la forme de la période de carence destinée à assurer le caractère temporaire du transport de cabotage, conformément à l’objectif visé par ce législateur lors de l’adoption du règlement n^o 1072/2009. Par conséquent, doit être écarté l’argument de la République de Lituanie selon lequel cet article 2, point 4, sous a), restreint le fonctionnement du marché intérieur et porte les restrictions au cabotage à un niveau tel que l’objectif du marché
unique serait remis en cause de manière fondamentale.

978    À cet égard, il y a lieu d’ajouter que, si la République de Lituanie fait également valoir que l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 limite l’efficacité de la chaîne logistique, elle n’apporte toutefois aucun élément concret à l’appui de cette allégation, qu’il convient, dès lors, de rejeter.

979    Deuxièmement, pour les motifs exposés aux points 872 à 891 du présent arrêt, il ne saurait être soutenu que cette disposition comporte une restriction à la libre prestation de services qui serait constitutive d’une discrimination à l’égard des États membres situés, selon cet État membre requérant, à la « périphérie de l’Union » et de faible superficie.

980    Troisièmement, s’agissant de l’arrêt du 22 mai 1985, Parlement/Conseil (13/83, EU:C:1985:220), évoqué par la République de Lituanie et la République de Bulgarie, il convient de relever que la Cour a jugé, notamment aux points 67 et 70 de cet arrêt, que le Conseil, en sa qualité de législateur que lui attribuait le traité CEE, a violé les traités en s’abstenant d’exercer la compétence qui lui était confiée par l’article 75 du traité CEE, devenu article 91 TFUE, afin de fixer, entre autres,
dans le cadre de la libéralisation des prestations de services dans le secteur des transports, les conditions de l’admission de transporteurs non-résidents aux transports nationaux dans un État membre.

981    Par conséquent, cette jurisprudence ne saurait être utilement invoquée en l’espèce afin de contester la légalité d’une disposition que le législateur de l’Union a précisément adoptée en exerçant les compétences prévues à l’article 91 TFUE.

982    Par ailleurs, en ce que la République de Bulgarie se fonde plus précisément sur les points 64 et 65 de l’arrêt du 22 mai 1985, Parlement/Conseil (13/83, EU:C:1985:220), il suffit de rappeler que la Cour a, certes, jugé, à ces deux points, que le législateur de l’Union est tenu, en application de l’article 75 du traité CEE, devenu article 91 TFUE, de procéder à l’instauration de la libre prestation de services en matière de transports, et qu’il ne dispose pas, à cet égard, du pouvoir
discrétionnaire dont il peut se prévaloir dans d’autres domaines de la politique des transports. Il n’en demeure pas moins que, lorsque le législateur de l’Union exerce cette compétence pour définir les modalités de mise en œuvre de cette libre prestation de services en matière de transports, notamment aux fins d’adopter le régime applicable aux transports de cabotage, il dispose à cet égard, et ainsi qu’il a été rappelé aux points 242^ et 247 du présent arrêt, d’une large marge d’appréciation aux
fins de concilier les différents intérêts en présence, marge d’appréciation qui, ainsi qu’il a été constaté dans le cadre de l’examen des moyens tirés d’une violation du principe de proportionnalité, n’a pas été dépassée lors de l’adoption de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055.

983    Quatrièmement, en ce qui concerne l’argumentation de la République de Lituanie tirée du traité relatif à son adhésion à l’Union, il suffit de constater que cet État membre se contente d’allégations générales, sans mentionner les dispositions de ce traité qui auraient prévu de supprimer toute restriction aux prestations de services par les transporteurs lituaniens dans d’autres États membres, le cas échéant, en accordant un régime dérogatoire à ces transporteurs par rapport aux dispositions
adoptées par le législateur de l’Union sur le fondement de l’article 91, paragraphe 1, TFUE et applicables aux transporteurs routiers des autres États membres.

984    Cinquièmement, pour ce qui est de l’argument tiré du non-respect des objectifs fixés par le livre blanc, intitulé « Feuille de route pour un espace européen unique des transports – Vers un système de transport compétitif et économe en ressources » [COM(2011) 144 final], il suffit de rappeler que celui-ci résulte d’une communication de la Commission et qu’il est, dès lors, dépourvu de caractère contraignant. Il s’ensuit que la légalité de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055
ne saurait être appréciée au regard de ce livre blanc.

985    Sixièmement, quant à l’argument tiré de la modification du régime applicable aux opérations de cabotage dans le secteur du transport aérien, il convient de l’écarter pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 836 du présent arrêt.

986    En troisième lieu, pour ce qui est de l’argumentation de la République de Bulgarie tirée de la violation de la libre circulation des marchandises, cet État membre n’expose pas la manière dont l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 limiterait cette liberté ni en quoi ses effets équivaudraient à une prétendue restriction quantitative à laquelle cet État membre fait allusion.

987    En particulier, hormis un rappel des articles 34 à 36 TFUE et de la jurisprudence de la Cour relative aux circonstances dans lesquelles une telle restriction quantitative peut être considérée comme étant justifiée au titre de l’article 36 TFUE, ledit État membre se borne à renvoyer aux arguments invoqués dans le cadre du deuxième moyen de son recours, lequel a été jugé non fondé aux points 859 et 891 du présent arrêt.

988    En conséquence, il convient de rejeter comme étant non fondés le deuxième moyen pris en sa première branche invoqué par la République de Lituanie ainsi que le septième moyen pris en ses deux branches invoqué par la République de Bulgarie, en ce qu’il est dirigé contre l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055.

6.      Sur la violation des règles du droit de l’Union et des engagements de l’Union en matière de protection de l’environnement

1.      Argumentation des parties

989    La République de Lituanie, par son premier moyen, la République de Bulgarie, par son premier moyen pris en ses deux branches, en ce qu’il est dirigé contre l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, et la République de Pologne, par son moyen commun à l’ensemble des dispositions attaquées de ce règlement, en ce qu’il est dirigé contre l’article 2, point 4, sous a), de celui–ci, font valoir que, en adoptant cette disposition, le législateur de l’Union a violé les règles du droit de
l’Union en matière de protection de l’environnement. La République de Lituanie invoque à cet égard une violation de l’article 3, paragraphe 3, TUE, des articles 11 et 191 TFUE ainsi que de la politique de l’Union en matière d’environnement et de lutte contre le changement climatique. La République de Bulgarie allègue, d’une part, la violation de l’article 90 TFUE, lu conjointement avec l’article 3, paragraphe 3, TUE et l’article 11 TFUE, ainsi que de l’article 37 de la Charte et, d’autre part, de
celle de l’article 3, paragraphe 5, TUE, de l’article 208, paragraphe 2, et de l’article 216, paragraphe 2, TFUE ainsi que de l’accord de Paris. La République de Pologne invoque la violation de l’article 11 TFUE et de l’article 37 de la Charte.

990    En premier lieu, la République de Lituanie, la République de Bulgarie et la République de Pologne soutiennent que, conformément à l’article 3, paragraphe 3, TUE, à l’article 11 TFUE, à l’article 90 TFUE, lu conjointement avec l’article 3, paragraphe 3, TUE, à l’article 191 TFUE et à l’article 37 de la Charte, le législateur de l’Union doit tenir compte des exigences de protection de l’environnement tant lors de la détermination et de la mise en œuvre des politiques de l’Union autres que celle
relative à la protection de l’environnement et à la lutte contre le changement climatique que dans le cadre d’autres actions de l’Union. En effet, l’objectif de protection de l’environnement, fixé à l’article 191 TFUE, ne pourrait être pris en compte ni réalisé par les seules mesures adoptées en application de l’article 192 TFUE, dans le cadre d’une politique distincte et autonome. Le principe d’intégration consacré à l’article 11 TFUE permettrait de concilier les objectifs et les exigences de
protection de l’environnement avec les autres intérêts et les buts poursuivis par l’Union.

991    Selon la République de Pologne, une interprétation selon laquelle l’article 11 TFUE concernerait des domaines du droit de l’Union, et non des mesures particulières, ne permettrait pas de réaliser l’objectif poursuivi par cette disposition. À cet égard, ne pourrait non plus être retenue une interprétation de celle–ci présumant que le législateur de l’Union a tenu compte des actes qu’il a déjà adoptés dans le domaine de l’environnement lorsqu’il adopte une réglementation dans un domaine autre
que l’environnement. L’appartenance du règlement 2020/1055 à un paquet plus vaste visant à décarboner le secteur du transport routier ne prouverait pas que l’incidence de ce règlement sur l’environnement, en particulier sur la possibilité d’atteindre les objectifs environnementaux fixés dans les documents et les actes adoptés par l’Union dans le domaine de l’environnement, ait été dûment prise en considération. En outre, il ne serait pas non plus possible de considérer que, une fois fixés, les
objectifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre demeurent invariables, quelles que soient les émissions supplémentaires générées dans le futur en raison d’obligations découlant d’une nouvelle réglementation de l’Union.

992    La République de Lituanie et la République de Pologne partagent l’interprétation retenue par l’avocat général Geelhoed aux points 59 et 60 de ses conclusions dans l’affaire Autriche/Parlement et Conseil (C‑161/04, EU:C:2006:66), selon laquelle, lorsque les intérêts environnementaux n’ont manifestement pas été pris en compte ou lorsqu’ils ont été complètement ignorés, l’article 11 TFUE peut servir de standard pour contrôler la légalité de la législation de l’Union. Lorsqu’il est établi qu’une
mesure particulière prise par le législateur de l’Union a pour effet de porter préjudice à la réalisation des objectifs fixés par celui–ci dans d’autres actes de droit dérivé adoptés en matière d’environnement, ce législateur serait tenu de mettre en balance les intérêts en conflit et d’apporter, le cas échéant, des modifications adéquates aux actes applicables dans le domaine de l’environnement.

993    En l’espèce, le législateur de l’Union aurait manqué à cette obligation en ce qu’il n’aurait pas examiné l’incidence des mesures prévues par le règlement 2020/1055, notamment de la période de carence, sur les exigences en matière d’environnement.

994    La République de Bulgarie soutient que, si l’absence d’incidence positive sur l’environnement d’une mesure donnée ne constitue pas en soi une violation des règles du droit de l’Union en matière de protection de l’environnement, les mesures prévues par le règlement 2020/1055, notamment cette période de carence, les compromettent manifestement, pouvant ainsi rendre vaines de nombreuses autres mesures visant à protéger l’environnement et à réduire les émissions polluantes.

995    La République de Lituanie et la République de Pologne font valoir, en particulier, que la mise en œuvre des mesures prévues par le règlement 2020/1055, notamment ladite période de carence, engendre des trajets supplémentaires de poids lourds, y compris des parcours à vide, dont il résulterait des émissions de CO2 et de polluants atmosphériques à l’origine de nombreux problèmes de santé. Selon la République de Lituanie, ces inconvénients découlent, notamment, de l’obligation, pour les
véhicules, de quitter le territoire de l’État membre d’accueil à l’issue d’un cycle de cabotage, en raison de la période de carence.

996    Ces États membres exposent que, selon l’étude effectuée par l’ECIPE, intitulée « 4 millions de tonnes de CO2 supplémentaires en raison de la proposition de règles de l’Union sur le cabotage dans le train de mesures sur la mobilité », et l’étude de l’ECIPE sur la discrimination, l’exclusion et l’atteinte à l’environnement, lesquelles ont été réalisées à partir des calculs effectués par KPMG pour le secteur bulgare du transport international et de données d’Eurostat, les émissions
supplémentaires de CO2 pour toute l’Union découlant du projet de modification des dispositions sur le cabotage s’élèveraient à environ quatre millions de tonnes.

997    Ces conséquences environnementales s’ajouteraient à celles découlant des autres mesures prévues par le règlement 2020/1055. Ainsi, selon les propres évaluations de la République de Pologne, les parcours à vide supplémentaires imposés par l’obligation relative au retour des véhicules, applicable au parc automobile polonais de plus de 2,5 tonnes actif dans le transport international, génèreraient 672 024 tonnes de CO2. Cet État membre relève également que, selon les estimations de l’IRU, telles
qu’elles ressortent d’une lettre ouverte du 26 octobre 2018, les retours obligatoires des véhicules imposés par le règlement 2020/1055 génèreront, à eux seuls, jusqu’à 100 000 tonnes de CO2 en plus par année. Le rapport élaboré par KPMG, intitulé « Analyse d’impact portant sur l’accord provisoire relatif au premier train de mesures sur la mobilité », mettrait également en évidence, à partir de l’exemple des transporteurs bulgares, que la hausse annuelle de CO2 émis, engendrée par ces retours
obligatoires des véhicules en Bulgarie, s’élèvera à 71 000 tonnes environ.

998    Selon la République de Lituanie et la République de Pologne, ces émissions supplémentaires de CO2 sont susceptibles d’entraver la réalisation des objectifs climatiques poursuivis à l’horizon 2050 par l’Union, tels qu’évoqués par la Commission dans le Pacte vert, objectifs que, le 12 décembre 2019, le Conseil européen aurait fait siens. La République de Pologne se réfère, en outre, à la communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et
au Comité des régions, du 17 septembre 2020, intitulée « Accroître les ambitions de l’Europe en matière de climat pour 2030. Investir dans un avenir climatiquement neutre, dans l’intérêt de nos concitoyens ».

999    La République de Pologne considère que lesdites émissions supplémentaires de CO2 pourraient aussi remettre en cause la réalisation par les États membres des objectifs fixés dans le règlement 2018/842.

1000 Quant aux émissions supplémentaires de polluants atmosphériques, elles pourraient, selon la République de Pologne, significativement entraver le respect des obligations incombant aux États membres en application de la directive 2016/2284. Ces émissions supplémentaires pourraient aussi compromettre les objectifs poursuivis par la directive 2008/50.

1001 La République de Lituanie considère qu’il convient également de tenir compte du règlement (UE) 2021/1119 du Parlement européen et du Conseil, du 30 juin 2021, établissant le cadre requis pour parvenir à la neutralité climatique et modifiant les règlements (CE) n^o 401/2009 et (UE) 2018/1999 (« loi européenne sur le climat ») (JO 2021, L 243, p. 1), dont l’article 2, relatif à l’objectif de neutralité climatique, prévoit que cet objectif doit être atteint dans l’Union d’ici à 2050 au plus tard
et que les institutions de l’Union ainsi que les États membres doivent prendre les mesures nécessaires, à leur niveau respectif, pour permettre la réalisation collective de celui-ci, en tenant compte de la nécessité de promouvoir tant l’équité et la solidarité entre les États membres que le rapport coût-efficacité dans la réalisation dudit objectif.

1002 Bien que certains États membres et la Commission aient fait part de la nécessité de prendre en compte l’incidence des mesures proposées, notamment, l’obligation relative au retour des véhicules ainsi que les restrictions applicables au transport de cabotage, sur la hausse du nombre des parcours à vide et des émissions de CO2, et souligné la nécessité de procéder à une analyse des effets de l’ensemble de ces mesures à l’échelle de l’Union, le législateur de l’Union aurait ignoré ces
préoccupations. L’élaboration d’analyses supplémentaires avant la fin de l’année 2020, annoncée par la commissaire en charge des transports M^me Vălean, portant sur les effets du retour obligatoire des véhicules dans l’État membre d’établissement toutes les huit semaines et des restrictions applicables aux opérations de transports combinés, ne pallierait nullement ce manquement.

1003 Au contraire, l’étude, intitulée « Analyse d’impact d’une disposition dans le contexte de la révision du règlement (CE) n^o 1071/2009 et du règlement (CE) n^o 1072/2009 », et celle, intitulée « Mobility Package 1 – Data gathering and analysis of the impacts of cabotage restrictions on combined transport road legs – Final report » (« Premier train de mesures sur la mobilité – Collecte de données et analyse des conséquences des restrictions en matière de cabotage sur les trajets routiers dans le
cadre du transport combiné – Rapport final »), du mois de novembre 2020 (ci-après l’« étude sur les restrictions en matière de cabotage dans le transport combiné »), confirmeraient le bien–fondé des griefs formulés contre la période de carence.

1004 En second lieu, la République de Bulgarie soutient que cette période de carence méconnaît les exigences de protection de l’environnement découlant des engagements internationaux de l’Union. Cet État membre rappelle les termes de l’article 208, paragraphe 2, TFUE, selon lesquels « [l]’Union et les États membres respectent les engagements et tiennent compte des objectifs qu’ils ont agréés dans le cadre des Nations Unies et des autres organisations internationales compétentes », et ceux de
l’article 216, paragraphe 2, TFUE, qui énoncent que « [l]es accords conclus par l’Union lient les institutions de l’Union et les États membres ».

1005 Ainsi, le législateur de l’Union aurait dû tenir compte des obligations et des objectifs de l’accord de Paris, adopté au titre de la CCNUCC et approuvé par l’Union par la décision (UE) 2016/1841 du Conseil, du 5 octobre 2016, relative à la conclusion, au nom de l’Union européenne, de l’accord de Paris adopté au titre de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (JO 2016, L 282, p. 1).

1006 La République de Bulgarie relève que ces objectifs comprennent, conformément à l’article 4 de l’accord de Paris, le fait « de parvenir au plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais », d’« opérer des réductions rapidement par la suite conformément aux meilleures données scientifiques disponibles » et de promouvoir « l’intégrité environnementale » ainsi que, en vertu de l’article 2 de cet accord, de promouvoir « la résilience [aux changements climatiques]
et un développement à faible émission de gaz à effet de serre ».

1007 Cet État membre rappelle également le considérant 2 du règlement (UE) 2019/1242 du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2019, établissant des normes de performance en matière d’émissions de CO2 pour les véhicules utilitaires lourds neufs et modifiant les règlements (CE) n^o 595/2009 et (UE) 2018/956 du Parlement européen et du Conseil et la directive 96/53/CE du Conseil (JO 2019, L 198, p. 202), aux termes duquel, « [a]fin de contribuer aux objectifs de l’accord de Paris, il convient
d’accélérer le passage de l’ensemble du secteur des transports à un niveau d’émissions nul » et « [i]l est également nécessaire de réduire de manière drastique et sans tarder les émissions de polluants atmosphériques provenant des transports qui sont extrêmement nocifs pour la santé et l’environnement ». La République de Bulgarie indique enfin que le Conseil européen, dans ses conclusions du 12 décembre 2019, a exposé que « toutes les législations et politiques pertinentes de l’[Union] doivent être
compatibles avec la réalisation de l’objectif de neutralité climatique et y contribuer, tout en respectant des conditions équitables ».

1008 Or, les mesures figurant dans le règlement 2020/1055, notamment la période de carence, seraient contraires aux objectifs de l’accord de Paris, ce qui constituerait une violation de l’article 208, paragraphe 2, et de l’article 216, paragraphe 2, TFUE.

1009 En outre, la République de Bulgarie fait valoir que, conformément à l’article 3, paragraphe 5, TUE, l’Union doit contribuer « au strict respect et au développement du droit international ». Ainsi, lors de l’adoption d’un acte de droit de l’Union, le législateur de l’Union serait tenu de respecter le droit international dans son ensemble. Or, le règlement 2020/1055 ne serait pas compatible avec ce dernier droit.

1010 Le Parlement et le Conseil estiment que ces arguments ne sont pas fondés.

2.      Appréciation de la Cour

1011 Pour ce qui est, en premier lieu, de la détermination des règles du droit de l’Union en matière de protection de l’environnement dont la violation peut être alléguée en l’espèce, il y a lieu d’écarter, premièrement, l’argumentation avancée par la République de Lituanie, tirée d’une violation de l’article 3, paragraphe 3, TUE, et celle soulevée par la République de Bulgarie, tirée d’une méconnaissance de l’article 90 TFUE, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 3, TUE, pour les motifs
indiqués aux points 423, 424 et 934 du présent arrêt.

1012 En ce qui concerne, deuxièmement, l’article 191 TFUE, invoqué par la République de Lituanie, cet article figure au titre XX de la troisième partie du traité FUE, relatif à la politique de l’Union en matière d’environnement. Or, le règlement 2020/1055 a été adopté au titre non pas de cette politique mais de la politique commune des transports, qui fait l’objet du titre VI de cette même troisième partie du traité FUE, en particulier sur le fondement de l’article 91, paragraphe 1, TFUE, cette base
juridique n’étant pas contestée dans le cadre des présents recours.

1013 À ce dernier égard, il convient également de rappeler qu’un acte législatif tel que le règlement 2020/1055 ne saurait relever de la politique environnementale de l’Union en raison du seul fait qu’il doit tenir compte d’exigences relatives à la protection de l’environnement (voir, en ce sens, arrêt du 15 avril 2021, Pays–Bas/Conseil et Parlement, C‑733/19, EU:C:2021:272, point 48 et jurisprudence citée).

1014 Il s’ensuit que l’article 191 TFUE relatif à la politique de l’Union dans le domaine de l’environnement n’est pas pertinent pour l’examen de la légalité de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055.

1015 Troisièmement, pour les motifs exposés aux points 431 et 432 du présent arrêt, il en va de même des autres instruments de droit dérivé de l’Union, du Pacte vert, de la communication de la Commission mentionnée au point 998 de cet arrêt et des conclusions du Conseil européen, du 12 décembre 2019, invoqués par la République de Lituanie, la République de Bulgarie et la République de Pologne.

1016 Dans ces conditions, et pour les motifs exposés aux points 428 à 430 du présent arrêt, il convient uniquement d’examiner si le législateur de l’Union, lorsqu’il a adopté l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, a violé les exigences liées à la protection de l’environnement découlant de l’article 11 TFUE, lu en combinaison avec l’article 37 de la Charte.

1017 À cet égard, il y a lieu de relever, d’une part, que l’article 11 TFUE revêt un caractère transversal qui implique que le législateur de l’Union doit intégrer les exigences liées à la protection de l’environnement dans les politiques et les actions de l’Union et, notamment, dans la politique commune des transports dont relève le règlement 2020/1055.

1018 D’autre part, le contrôle de la légalité de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 que la Cour est appelée à effectuer, en l’occurrence, au regard de l’article 11 TFUE, lu en combinaison avec l’article 37 de la Charte, concerne un acte de l’Union dans le cadre duquel le législateur de celle-ci est tenu d’assurer, ainsi qu’il ressort, notamment, des points 813, 814, 854 et 855 du présent arrêt, un équilibre entre les différents intérêts et objectifs en présence.

1019 Dans ces conditions, quand bien même la période de carence, prévue à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, envisagée isolément, aurait des effets négatifs notables sur l’environnement, il y aurait lieu, afin de déterminer si une violation de l’article 11 TFUE, lu en combinaison avec l’article 37 de la Charte, doit être constatée, de tenir compte des autres actions que le législateur de l’Union a entreprises pour limiter de tels effets du transport routier sur l’environnement et
atteindre l’objectif global de réduction des émissions polluantes.

1020 En l’occurrence, il convient, premièrement, d’observer que la République de Bulgarie se borne à affirmer, de manière générale et abstraite, que les mesures contenues dans le règlement 2020/1055, notamment la période de carence, contreviennent aux dispositions du droit de l’Union relatives à la protection de l’environnement, sans cependant étayer ses affirmations par des éléments probants.

1021 Deuxièmement, par leur argumentation, la République de Lituanie et la République de Pologne soutiennent que la période de carence sera source d’un accroissement des émissions de CO2 et de polluants atmosphériques, en raison des trajets supplémentaires de poids lourds, souvent vides, qui résulteront de son application.

1022 Toutefois, une telle argumentation repose sur une prémisse erronée. En effet, ainsi qu’il a été relevé au point 843 du présent arrêt, le respect de cette période de carence n’impose pas un retour du véhicule, qui plus est à vide, au centre opérationnel de l’entreprise de transport concernée. Par ailleurs, les opérations de transport qui seraient effectuées par les transporteurs pendant la période de carence, après un premier cycle de cabotage dans un État membre, ne constitueraient pas des
trajets supplémentaires, mais se substitueraient aux transports de cabotage qu’ils auraient éventuellement effectués dans ce même État membre en l’absence de cette période de carence. En outre, dans l’éventualité où il serait impossible de réaliser, pendant ladite période de carence, des opérations autres que celles consistant en des transports de cabotage dans le même État membre d’accueil, la période d’immobilisation du véhicule qui en résulterait ne saurait, de toute évidence, être considérée
comme étant de nature à générer un accroissement des émissions de polluants atmosphériques.

1023 Il s’ensuit que la période de carence n’entraînera pas, en raison des trajets supplémentaires de véhicules qui devraient prétendument être organisés, des effets négatifs notables sur l’environnement dont l’appréciation par le législateur de l’Union aurait fait défaut.

1024 Les arguments avancés par la République de Lituanie et la République de Pologne ne sont pas de nature à remettre en cause cette appréciation.

1025 En effet, en ce que la République de Lituanie fait valoir que la période de carence entraînera une augmentation de la circulation des véhicules en raison de l’obligation, pour ces derniers, de quitter le territoire de l’État membre d’accueil durant cette période de carence, il suffit de rappeler que, conformément à l’article 8, paragraphe 2, du règlement n^o 1072/2009, lequel n’a pas été modifié par le règlement 2020/1055, les véhicules doivent nécessairement quitter le territoire de l’État
membre d’accueil à la fin d’un premier cycle de cabotage, avant, le cas échéant, de pouvoir entamer un nouveau cycle de cabotage dans le même État membre à l’issue d’un nouveau transport international.

1026 Par ailleurs, ne sauraient être accueillis les arguments de la République de Lituanie et de la République de Pologne, tirés des études visées aux points 996 et 997 du présent arrêt. En effet, d’une part, en ce qui concerne les estimations avancées par les études de l’ECIPE en matière de conséquences environnementales liées au cabotage, celles-ci ont été extrapolées à partir des calculs effectués par KPMG pour le secteur bulgare du transport. Sans qu’il y ait lieu de déterminer si les calculs
sur lesquels se fondent ces études intègrent également les incidences découlant de l’obligation relative au retour des véhicules, il convient d’observer que, en tout état de cause, ces calculs se rapportent à une modification du régime de cabotage reposant sur l’hypothèse d’opérations de cabotage devant être réalisées dans un délai de trois jours après le dernier déchargement effectué dans l’État membre d’accueil au cours du transport international à destination de celui-ci. Or, ainsi que le
reconnaît notamment l’étude de l’ECIPE sur la discrimination, l’exclusion et l’atteinte à l’environnement (p. 19), cette hypothèse est distincte de la mesure adoptée en l’espèce par le législateur de l’Union.

1027 D’autre part, ainsi qu’il a été exposé au point 844 du présent arrêt, ne sont pas pertinentes, aux fins de l’appréciation des répercussions environnementales de la période de carence prévue à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, les estimations portant sur les conséquences qui s’attachent à l’obligation relative au retour des véhicules, qu’il s’agisse, notamment, des propres évaluations de la République de Pologne ou de celles issues de la lettre ouverte de l’IRU et du rapport
élaboré par KPMG, dont se prévaut cet État membre, étant donné que cette période de carence n’impose pas un retour des véhicules au centre opérationnel de l’entreprise de transport concernée.

1028 Il en va de même s’agissant des études réalisées après l’adoption du règlement 2020/1055, mentionnées au point 1003 du présent arrêt, lesquelles ne portent pas sur la période de carence et ne sont donc pas à même de démontrer l’existence d’effets négatifs notables sur l’environnement découlant de cette période.

1029 Eu égard à ce qui précède, la République de Lituanie, la République de Bulgarie et la République de Pologne n’ont pas démontré l’existence d’effets négatifs notables sur l’environnement découlant de ladite période. Partant, il convient de rejeter leurs arguments sur ce point en ce qu’ils sont tirés de la violation de l’article 11 TFUE, lu en combinaison avec l’article 37 de la Charte.

1030 Dès lors, il n’y a lieu d’examiner ni les arguments tirés par la République de Lituanie et la République de Pologne d’autres actes de l’Union, dont les objectifs en matière environnementale seraient prétendument compromis par l’adoption de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, ni les différentes mesures prises par le législateur de l’Union dans le secteur du transport routier, invoquées par le Parlement et le Conseil, afin d’apprécier dans quelle mesure ce législateur a tenu
compte de l’objectif global de réduction des émissions polluantes dans ce secteur.

1031 En ce qui concerne, en second lieu, l’exigence de protection de l’environnement qui découlerait des engagements internationaux de l’Union, la République de Bulgarie soutient, premièrement, que la période de carence viole l’article 208 TFUE. Cet article figure au titre III de la cinquième partie du traité FUE, intitulée « L’action extérieure de l’Union », relatif à la coopération avec les pays tiers et l’aide humanitaire, plus particulièrement dans le chapitre 1 de celui-ci, qui porte sur « [l]a
coopération au développement ».

1032 À ce titre, l’article 208 TFUE prévoit, à son paragraphe 2, que « [l]’Union et les États membres respectent les engagements et tiennent compte des objectifs qu’ils ont agréés dans le cadre des Nations Unies et des autres organisations internationales compétentes ».

1033 Toutefois, il suffit de constater que la République de Bulgarie n’établit pas en quoi une prétendue violation de l’accord de Paris est susceptible de conduire l’Union à méconnaître ses engagements au titre de la coopération au développement, alors que cet accord a été approuvé par la décision 2016/1841 sur le fondement de l’article 192, paragraphe 1, TFUE, disposition qui figure dans le titre XX, intitulé « Environnement », de la troisième partie du traité FUE, intitulée « Les politiques et
actions internes de l’Union », et qui relève à ce titre de la politique de l’Union en matière d’environnement.

1034 Deuxièmement, ainsi que le fait valoir cet État membre, il y a lieu d’observer que, conformément à l’article 3, paragraphe 5, TUE, l’Union contribue « au strict respect et au développement du droit international, notamment, au respect des principes de la charte des Nations unies ». Par ailleurs, en vertu de l’article 216, paragraphe 2, TFUE, « [l]es accords internationaux conclus par l’Union lient les institutions de l’Union et les États membres » et prévalent, par conséquent, sur les actes
qu’elles édictent. Il s’ensuit que la validité d’un acte de l’Union peut être affectée par l’incompatibilité de cet acte avec de telles règles du droit international (arrêt du 16 juillet 2015, ClientEarth/Commission, C‑612/13 P, EU:C:2015:486, points 33 et 34 ainsi que jurisprudence citée).

1035 En l’occurrence, la République de Bulgarie invoque la méconnaissance de l’accord de Paris au soutien de son argument tiré de la violation des engagements internationaux de l’Union en matière de protection de l’environnement. L’Union ayant approuvé cet accord par la décision 2016/1841, les dispositions de celui-ci font partie intégrante, à partir de l’entrée en vigueur de celui-ci, de l’ordre juridique de l’Union.

1036 Il ressort toutefois d’une jurisprudence constante que les dispositions d’un accord international auquel l’Union est partie ne peuvent être invoquées à l’appui d’un recours en annulation d’un acte de droit dérivé de l’Union ou d’une exception tirée de l’illégalité d’un tel acte qu’à la condition, d’une part, que la nature et l’économie de cet accord ne s’y opposent pas et, d’autre part, que ces dispositions apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment
précises (arrêt du 13 janvier 2015, Conseil et Commission/Stichting Natuur en Milieu et Pesticide Action Network Europe, C‑404/12 P et C‑405/12 P, EU:C:2015:5, point 46 ainsi que jurisprudence citée).

1037 En l’occurrence, la République de Bulgarie invoque la méconnaissance des articles 2 et 4 de l’accord de Paris.

1038 Ces articles prévoient, en substance, que, en vue d’atteindre les objectifs poursuivis par cet accord et, en particulier, celui de température à long terme énoncé à l’article 2 dudit accord, les parties à ce même accord cherchent à parvenir au plafonnement mondial des émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais et à opérer des réductions rapidement par la suite conformément aux meilleures données scientifiques. À cette fin, les contributions des parties, déterminées au niveau
national, doivent représenter une progression par rapport à leur contribution antérieure de manière à atteindre leur niveau d’ambition le plus élevé possible, tout en étant fonction des capacités respectives des parties et des différentes situations nationales.

1039 Il y a lieu de constater que, à l’instar du protocole de Kyoto à la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, qui est entré en vigueur le 16 février 2005, auquel, ainsi qu’il ressort du considérant 4 de la décision 2016/1841, l’accord de Paris s’est substitué, les parties à cet accord peuvent s’acquitter de leurs obligations selon les modalités et la célérité dont elles conviennent (voir, par analogie, arrêt du 21 décembre 2011, Air Transport Association of
America e.a., C‑366/10, EU:C:2011:864, point 76).

1040 Par conséquent, les articles 2 et 4 de l’accord de Paris n’apparaissent pas, du point de vue de leur contenu, comme étant inconditionnels et suffisamment précis pour qu’ils puissent être invoqués par la République de Bulgarie afin de contester la légalité du règlement 2020/1055, notamment de son article 2, point 4, sous a).

1041 En conséquence, le premier moyen invoqué par la République de Lituanie, le premier moyen pris en ses deux branches invoqué par la République de Bulgarie, en ce qu’il est dirigé contre l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, et le moyen commun à l’ensemble des dispositions attaquées de ce règlement invoqué par la République de Pologne, en ce qu’il est dirigé contre l’article 2, point 4, sous a), de celui–ci, doivent être écartés comme étant non fondés.

1042 Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, les recours introduits par la République de Lituanie (affaire C‑542/20), par la République de Bulgarie (affaire C‑545/20), par la Roumanie (affaire C‑547/20), par la République de Malte (affaire C‑552/20) et par la République de Pologne (affaire C‑554/20) doivent être rejetés en ce qu’ils visent à obtenir l’annulation de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055.

1043 Il convient de rejeter également, par voie de conséquence, le recours introduit par la Roumanie (affaire C‑547/20) en ce qu’il vise à obtenir l’annulation de l’article 2, point 4, sous b) et c), de ce règlement, cette demande d’annulation n’étant, en effet, pas fondée sur une argumentation distincte de celle sous-tendant la demande d’annulation de cet article 2, point 4, sous a).

4.      Sur l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous g), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009

1044 À l’appui de son recours (affaire C‑554/20) tendant à l’annulation de l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous g), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, la République de Pologne invoque trois moyens, tirés de la violation, pour le premier, du principe de proportionnalité, consacré à l’article 5, paragraphe 4, TUE, pour le deuxième, du principe de sécurité juridique, et, pour le moyen commun à l’ensemble des dispositions attaquées du
règlement 2020/1055, en ce qu’il est dirigé contre l’article 1^er, point 3, de celui–ci, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous g), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, de l’article 11 TFUE et de l’article 37 de la Charte.

1.      Sur la violation du principe de sécurité juridique

1.      Argumentation des parties

1045 Par son deuxième moyen dirigé contre l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous g), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, la République de Pologne fait valoir que cette disposition ne respecte pas les exigences découlant du principe de sécurité juridique.

1046 Le principe de sécurité juridique exigerait que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, afin que les intéressés puissent s’orienter dans des situations et des relations juridiques relevant de l’ordre juridique de l’Union. La République de Pologne fait valoir que, s’il peut être admis qu’une réglementation soit vague, comporte des termes abstraits ou confère une marge d’appréciation, c’est néanmoins à la condition qu’elle n’aboutisse pas à l’arbitraire et
qu’elle puisse être précisée par la jurisprudence.

1047 Or, en l’occurrence, l’utilisation de termes très vagues, à l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous g), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, empêcherait les entreprises de transport de déterminer avec la clarté et la précision requises l’obligation découlant de cette disposition et les conséquences résultant de sa violation.

1048 En effet, le premier critère prévu à ladite disposition, lequel est relatif au rattachement « normal » des conducteurs et des véhicules à un centre opérationnel de l’État membre d’établissement, serait très ambigu. Alors que l’obligation prévue à cette même disposition serait distincte de celles énoncées, respectivement, à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 et à l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du
règlement n^o 1071/2009, il serait toutefois difficile d’en déterminer la portée.

1049 Par ailleurs, le deuxième critère prévu à l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous g), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, selon lequel les conducteurs et les véhicules doivent être normalement rattachés à un centre opérationnel de l’État membre d’établissement « en proportion du nombre d’opérations de transport exécutées par l’entreprise », serait également très vague, de sorte qu’il serait impossible de déterminer concrètement le nombre
de véhicules et de conducteurs exigé au titre de cette obligation.

1050 La République de Pologne estime que les termes abstraits employés à l’article 5, sous c), du règlement n^o 1071/2009, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du règlement 2020/1055, qui prévoyait que, aux fins de satisfaire à l’exigence d’établissement dans l’État membre concerné, une entreprise devait diriger effectivement et en permanence ses activités en disposant des « équipements administratifs nécessaires » ainsi que des « équipements et des installations techniques appropriés »,
dans un centre d’exploitation situé dans cet État membre, ne peuvent pas être comparés à ceux figurant à l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous g), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, puisqu’il existerait une différence fondamentale entre ces deux dispositions. Alors que les notions d’« équipements administratifs nécessaires » et d’« équipements et [d’]installations techniques appropriés » seraient d’une importance secondaire pour le champ
d’activité des entreprises de transport, la question du nombre de véhicules et de conducteurs serait déterminante pour la gestion de ces entreprises et des coûts de leur fonctionnement. Ainsi serait-il essentiel que la disposition y ayant trait soit précise.

1051 Le Parlement et le Conseil soutiennent que ce moyen n’est pas fondé.

2.      Appréciation de la Cour

1052 Il convient de tenir compte des considérations exposées aux points 158 à 162 du présent arrêt pour apprécier la conformité de l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous g), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, au principe de sécurité juridique.

1053 Il y a lieu d’observer que, selon ses termes, cette disposition oblige les entreprises de transport à disposer régulièrement, de manière continue, d’un certain nombre de véhicules et de conducteurs qui sont normalement rattachés à un centre opérationnel de l’État membre d’établissement, en proportion du nombre d’opérations de transport exécutées par l’entreprise concernée.

1054 Il ressort ainsi de la lettre même de ladite disposition que le but de cette obligation consiste à s’assurer que les entreprises de transport disposent des moyens matériels et humains, rattachés à leur centre opérationnel, nécessaires à la réalisation de leurs opérations de transport.

1055 À cet égard, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 705 de ses conclusions, les entreprises de transport gèrent en permanence le flux des véhicules par rapport à la disponibilité des conducteurs et ont, de ce fait, une idée assez précise du nombre de véhicules et de conducteurs nécessaires à leurs activités. En n’encadrant pas de manière plus stricte l’obligation pour les entreprises de transport de disposer de moyens matériels et humains en proportion du nombre d’opérations de
transport exécutées, le législateur de l’Union a entendu ne pas priver ces entreprises d’une certaine marge d’appréciation et donc de la flexibilité nécessaire dans l’organisation de leurs activités de transport en fonction des modalités qui leur sont propres.

1056 Par ailleurs, la circonstance que la condition fixée à l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous g), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, est énoncée en des termes généraux qui ne permettent pas de déterminer le nombre exact de conducteurs et de véhicules auquel elle se réfère mais qui fixent un rapport de proportionnalité entre, d’une part, le nombre de conducteurs et de véhicules et, d’autre part, le nombre d’opérations de transport
exécutées par l’entreprise concernée, ne contrevient pas au principe de sécurité juridique.

1057 En effet, conformément à la jurisprudence rappelée au point 159 du présent arrêt, le principe de sécurité juridique ne s’oppose pas à ce que le législateur de l’Union, dans le cadre d’une norme qu’il adopte, emploie une notion juridique abstraite et n’impose pas qu’une telle norme abstraite mentionne les différentes hypothèses concrètes dans lesquelles elle est susceptible de s’appliquer, dans la mesure où toutes ces hypothèses ne peuvent pas être déterminées à l’avance par ce législateur.

1058 Le respect du principe de sécurité juridique n’exige donc du législateur de l’Union ni qu’il définisse toutes les modalités spécifiques de la mise en œuvre des dispositions d’un acte législatif ni qu’il envisage toutes les situations concrètes auxquelles ces dispositions sont susceptibles de s’appliquer, ce législateur étant en droit, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence relevée au point 160 du présent arrêt, de recourir, dans un souci de flexibilité et afin d’agir dans le respect du
principe de proportionnalité, à un cadre juridique général susceptible de devoir être précisé ultérieurement.

1059 Partant, une disposition telle que celle prévue à l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous g), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, qui s’applique à une multitude de situations différentes ne doit pas préciser dans le détail toutes les situations auxquelles elle a vocation à s’appliquer.

1060 En outre, ainsi que le relèvent à bon droit le Parlement et le Conseil, c’est également en des termes abstraits que l’article 5, sous c), du règlement n^o 1071/2009, lequel a été remplacé, en substance, par l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous f), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, prévoyait que les entreprises devaient disposer des équipements administratifs nécessaires ainsi que des équipements et des installations techniques
appropriés dans un centre d’exploitation situé dans l’État membre d’établissement.

1061 À cet égard, ne saurait être accueilli l’argument invoqué par la République de Pologne, selon lequel il convient de distinguer, d’un côté, les conditions tenant aux « équipements administratifs nécessaires » et aux « équipements et [aux] installations techniques appropriés » et, de l’autre, les conditions relatives au nombre de véhicules et de conducteurs, au motif que, pour ce qui est de la gestion des entreprises de transport, seules les secondes conditions seraient déterminantes. En effet,
si tant est que cela soit avéré, un tel argument n’est pas de nature à infirmer l’appréciation portée quant à la conformité au principe de sécurité juridique de l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous g), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009.

1062 En conséquence, il convient de rejeter comme étant non fondé le deuxième moyen invoqué par la République de Pologne.

2.      Sur la violation du principe de proportionnalité

1.      Argumentation des parties

1063 Par son premier moyen dirigé contre l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous g), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, la République de Pologne fait valoir que cette disposition méconnaît le principe de proportionnalité.

1064 En premier lieu, cet État membre fait valoir que, en l’absence d’une appréciation adéquate de ladite disposition dans l’analyse d’impact – volet établissement, les raisons sous–jacentes à son introduction demeurent floues, de même que les objectifs que cette même disposition est censée poursuivre.

1065 En second lieu, ledit État membre souligne que, par rapport aux mesures prévues à l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054 et à l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, l’obligation visée à l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous g), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, consistant à disposer régulièrement, de manière continue,
d’un nombre de conducteurs et de véhicules suffisant, constitue une mesure supplémentaire visant à lier le plus étroitement possible les conducteurs et les véhicules au centre opérationnel de l’entreprise de transport concernée, ce qui aurait pour effet de limiter encore davantage la mobilité des véhicules à la disposition des entreprises de transport.

1066 Une telle obligation serait d’ailleurs arbitraire. Elle ne tiendrait pas compte de la spécificité de l’activité de transport international, laquelle nécessiterait que les véhicules et les conducteurs exercent effectivement des opérations de transport et ne restent pas à la disposition de l’entreprise de transport concernée, au centre opérationnel de cette dernière. Cette obligation ne concernerait pas l’existence d’un établissement stable et effectif, mais elle régirait les modalités
d’organisation de l’activité de transport.

1067 Afin de se conformer à ladite obligation, les transporteurs seraient tenus d’accroître la fréquence des retours des véhicules et des conducteurs à leur centre opérationnel ou de développer leur parc automobile et d’augmenter le nombre de conducteurs. L’une et l’autre de ces options engendreraient des coûts importants pour les entreprises de transport, conduisant à la faillite de nombre d’entre elles, en particulier les PME, ou contraignant ces dernières à transférer leur lieu d’établissement
dans un État membre situé dans la partie centrale de l’Union. Or, il n’aurait pas été tenu compte de ces graves conséquences pour le fonctionnement de ces entreprises dans l’analyse d’impact – volet établissement.

1068 Par ailleurs, la validité d’un acte de l’Union devrait être appréciée au vu des éléments dont le législateur de l’Union disposait à la date d’adoption de la réglementation en cause. Or, l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous g), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, aurait été adopté en période de crise économique déclenchée par la pandémie de COVID-19, alors que ce législateur aurait disposé des données relatives à l’incidence de cette
crise sur le secteur des transports.

1069 Le Parlement et le Conseil soutiennent que ce moyen n’est pas fondé.

2.      Appréciation de la Cour

1070 En premier lieu, il importe de souligner que, comme l’a relevé M. l’avocat général au point 692 de ses conclusions, la proposition de règlement « établissement » comportait, à son article 1^er, point 3, sous d), une disposition analogue à celle instituant, en l’espèce, l’obligation de disposer régulièrement, de manière continue, d’un nombre de conducteurs et de véhicules suffisant, en ce qu’elle prévoyait d’insérer un point e) à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, par lequel il aurait été
exigé des entreprises de transport qu’elles détiennent des actifs et emploient du personnel en proportion de l’activité de l’établissement, exigences mentionnées dans le cadre de la mesure 18 figurant dans l’analyse d’impact – volet établissement (partie 1/2, p. 30 et 31 et partie 2/2, p. 44). Il ne saurait, par conséquent, être fait grief au législateur de l’Union d’avoir adopté l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous g), à l’article 5 du
règlement n^o 1071/2009, alors qu’il n’aurait prétendument pas disposé des éléments nécessaires à l’examen de la proportionnalité de cette disposition.

1071 S’agissant, en second lieu, de la proportionnalité en tant que telle de l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous g), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, il convient de souligner que, ainsi qu’il ressort du considérant 6 du règlement 2020/1055, l’objectif de cette disposition, à l’aune duquel doit être appréciée sa proportionnalité, est de lutter contre le phénomène des sociétés « boîtes aux lettres » en faisant en sorte que les
entreprises de transport routier établies dans un État membre aient une présence réelle et permanente dans cet État membre et mènent leurs activités de transport depuis celui-ci. Ce faisant, ladite disposition poursuit un objectif d’intérêt général reconnu par le droit de l’Union, tenant à la lutte contre des pratiques abusives et, en particulier, des comportements consistant à créer des montages purement artificiels, dépourvus de réalité économique [voir, en ce sens, arrêts du 6 avril 2006, Agip
Petroli, C‑456/04, EU:C:2006:241, points 19 à 25 ; du 12 septembre 2006, Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, C‑196/04, EU:C:2006:544, points 51, 55, 57, 67 et 68, ainsi que du 26 février 2019, X (Sociétés intermédiaires établies dans des pays tiers), C‑135/17, EU:C:2019:136, point 82].

1072 Or, si, pour parvenir à cet objectif, cette même disposition exige que l’entreprise de transport dispose régulièrement, de manière continue, d’un nombre de véhicules remplissant les conditions visées au paragraphe 1, sous e), inséré à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009 par l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, et de conducteurs qui sont normalement rattachés à un centre opérationnel de l’État membre d’établissement, elle n’impose toutefois pas, contrairement à ce que soutient la
République de Pologne, la présence continue de ces véhicules et de ces conducteurs dans ce centre opérationnel, ni même dans l’État membre concerné.

1073 Cette interprétation est confirmée par le fait que l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous g), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, prévoit que le nombre de véhicules et de conducteurs qui doivent être rattachés au centre opérationnel de l’entreprise de transport concernée doit être proportionné au nombre d’opérations de transport exécutées par celle-ci, ce qui présuppose la réalisation de ces opérations par ces conducteurs et au moyen de
ces véhicules. Il s’ensuit que les véhicules et les conducteurs visés à cette disposition doivent nécessairement pouvoir se déplacer et quitter le centre opérationnel de cette entreprise de transport.

1074 Du reste, et contrairement à ce que fait valoir la République de Pologne, le respect de la mesure prévue à l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous g), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, n’impose pas, en tant que tel, à l’entreprise de transport concernée d’organiser des retours plus fréquents des conducteurs et des véhicules à son centre opérationnel, de telles obligations résultant d’autres dispositions du droit de l’Union, à savoir,
respectivement, l’article 1^er, point 6, sous d), du règlement 2020/1054, dont la légalité n’a été remise en cause par aucun des moyens d’annulation dirigés contre elle, et l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, qu’il y a lieu d’annuler ainsi qu’il est indiqué au point 738 du présent arrêt.

1075 Il s’ensuit que l’obligation de disposer régulièrement, de manière continue, d’un nombre de véhicules et de conducteurs qui sont normalement rattachés à un centre opérationnel de l’État membre d’établissement de l’entreprise de transport concernée ne saurait être interprétée comme exigeant une présence continue de ces véhicules et de ces conducteurs à ce centre opérationnel.

1076 Pour le surplus, il convient de rappeler que, pour les motifs exposés au point 857 du présent arrêt, les arguments de la République de Pologne tirés des incidences de la pandémie de COVID-19 sont dénués de pertinence aux fins d’apprécier la légalité du règlement 2020/1055.

1077 En conséquence, il convient de rejeter comme étant non fondé le premier moyen invoqué par la République de Pologne en ce qu’il est dirigé contre l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous g), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009.

3.      Sur la violation de l’article 11 TFUE et de l’article 37 de la Charte

1.      Argumentation des parties

1078 Par son moyen commun à l’ensemble des dispositions attaquées du règlement 2020/1055, en ce qu’il est dirigé contre l’article 1^er, point 3, de celui–ci, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous g), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, la République de Pologne soutient que, en adoptant cette disposition, le législateur de l’Union a violé l’article 11 TFUE et l’article 37 de la Charte.

1079 À l’appui de ce moyen, cet État membre invoque les mêmes arguments que ceux exposés, en substance, aux points 990 à 1002 du présent arrêt. Il fait valoir que le législateur de l’Union n’a pas examiné l’incidence de l’obligation, prévue à ladite disposition, de disposer régulièrement, de manière continue, d’un nombre de véhicules et de conducteurs qui sont normalement rattachés à un centre opérationnel de l’État membre d’établissement, alors que celle-ci aurait de graves conséquences
environnementales, puisqu’elle engendrerait des trajets supplémentaires de poids lourds, y compris des parcours à vide, dont il résulterait une augmentation des émissions de CO2 et de polluants atmosphériques.

1080 Le Parlement et le Conseil estiment que ce moyen n’est pas fondé.

2.      Appréciation de la Cour

1081 Dès lors que, dans le cadre de son moyen commun à l’ensemble des dispositions attaquées du règlement 2020/1055, en ce qu’il est dirigé contre l’article 1^er, point 3, de celui–ci, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous g), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, la République de Pologne soulève, à l’égard de cette disposition, les mêmes arguments que ceux qu’elle a soulevés contre les autres mesures attaquées du règlement 2020/1055, les considérations exposées aux points 1011 à 1030 du
présent arrêt s’appliquent à l’obligation prévue à cette dernière disposition.

1082 Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la République de Pologne, et ainsi qu’il a été relevé au point 1074 du présent arrêt, l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous g), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, n’impose pas le retour des véhicules au centre opérationnel de l’entreprise de transport concernée. Il s’ensuit que cet État membre n’a pas fourni d’élément probant visant à étayer de manière spécifique que cette disposition
entraîne des effets négatifs notables sur l’environnement susceptibles de conduire à une violation de l’article 11 TFUE, lu en combinaison avec l’article 37 de la Charte.

1083 En conséquence, le moyen de la République de Pologne commun à l’ensemble des dispositions attaquées du règlement 2020/1055, en ce qu’il est dirigé contre l’article 1^er, point 3, de celui–ci, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous g), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, doit être écarté comme étant non fondé.

1084 Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le recours introduit par la République de Pologne (affaire C‑554/20) en ce qu’il vise à obtenir l’annulation de cette disposition.

5.      Sur l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055

1085 À l’appui de son recours (affaire C‑554/20) tendant à l’annulation de l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055, la République de Pologne invoque quatre moyens, tirés de la violation, pour le premier, du principe de proportionnalité, consacré à l’article 5, paragraphe 4, TUE, pour le deuxième, de l’article 91, paragraphe 2, TFUE, pour le troisième, de l’article 94 TFUE et, pour le moyen commun à l’ensemble des dispositions attaquées du règlement 2020/1055, en ce qu’il est dirigé
contre l’article 2, point 5, sous b), de celui–ci, de l’article 11 TFUE et de l’article 37 de la Charte.

1.      Sur la violation du principe de proportionnalité

1.      Argumentation des parties

1086 Par son premier moyen, la République de Pologne fait valoir que l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055, qui insère un paragraphe 7 à l’article 10 du règlement n^o 1072/2009, ne respecte pas les exigences découlant du principe de proportionnalité.

1087 En premier lieu, cet État membre estime que l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055 n’est pas encadré par des critères objectifs. Le considérant 22 de ce règlement justifierait cette disposition par la volonté de contrer des pratiques déloyales qui seraient de nature à conduire à un « dumping social » et à nuire au respect du cadre juridique applicable au cabotage. Toutefois, la notion de « dumping social » n’aurait pas été définie et elle serait susceptible de donner lieu à une
utilisation abusive. Or, tel serait le cas en l’occurrence. En effet, il n’existerait pas d’élément objectif permettant d’assimiler à une situation de « dumping social » les différences de développement économique entre les États membres et les écarts salariaux qui en découlent.

1088 Par ailleurs, l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055 laisserait une marge de manœuvre considérable aux États membres quant à la possibilité dont ils disposent de réduire la durée de la période de carence. Les États membres situés dans la partie centrale de l’Union pourraient alors être amenés à généraliser ce type de restrictions et à durcir davantage les conditions de cabotage fixées à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055, lesquelles revêtiraient déjà un
caractère disproportionné, ainsi qu’il ressortirait des arguments de la République de Pologne présentés, en substance, aux points 765 à 801 du présent arrêt.

1089 En outre, l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055 n’aurait pas fait l’objet d’une analyse d’impact. Ce défaut d’examen par le législateur de l’Union de la proportionnalité de cette disposition constituerait, pour les raisons que la République de Pologne fait valoir à l’égard de l’obligation relative au retour des véhicules, telles qu’exposées, en substance, aux points 691 à 706 du présent arrêt, une violation du principe de proportionnalité.

1090 En deuxième lieu, en qualifiant arbitrairement la fourniture de services par les transporteurs des États membres ayant un niveau de développement économique plus faible de « dumping social », le législateur de l’Union n’aurait pas pris en considération les conséquences négatives fondamentales découlant de la limitation des opérations de cabotage dans le cadre des opérations de transports combinés, alors que les opérations de cabotage permettraient aux entreprises de transport de réduire le
nombre de parcours à vide et d’optimiser l’exploitation du parc de transport.

1091 En troisième lieu, l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055 méconnaîtrait le principe de proportionnalité eu égard au rapport entre les charges imposées aux entreprises de transport et le but poursuivi. En effet, la nécessité de lutter contre le « dumping social » ne justifierait pas de limiter la libre prestation des services de cabotage par les entreprises de transport.

1092 Le législateur de l’Union n’aurait, tout d’abord, pas tenu compte de ce que le secteur du transport routier international comporte principalement des PME. À cet égard, la République de Pologne s’appuie sur les arguments dirigés contre l’obligation relative au retour des véhicules et contre la période de carence. Ainsi, cet État membre soutient que l’incidence de la hausse des coûts de fonctionnement résultant de l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055 affectera la rentabilité de
ces entreprises, ce qui conduira à la faillite d’une partie d’entre elles. Ensuite, ledit État membre estime que cette hausse des coûts de fonctionnement se traduira, très probablement, par une hausse du prix des marchandises, qui pourrait avoir de graves répercussions sur l’économie de l’Union. Enfin, la République de Pologne considère que la situation économique des transporteurs établis dans les États membres situés à la périphérie de l’Union n’a pas été prise en compte.

1093 L’étude sur les restrictions en matière de cabotage dans le transport combiné confirmerait les effets négatifs de l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055.

1094 Le Parlement et le Conseil estiment que ce moyen n’est pas fondé.

2.      Appréciation de la Cour

1095 L’article 4 de la directive 92/106 permet aux entreprises de transport d’effectuer, dans le cadre d’opérations de transports combinés entre États membres, c’est-à-dire de transports associant au transport routier d’autres modes de transport, tels que le rail, la navigation intérieure ou la navigation maritime, des trajets routiers initiaux et/ou terminaux faisant partie intégrante d’une telle opération, en étant exemptées de l’application des règles relatives au transport de cabotage.

1096 L’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055 insère, à l’article 10 du règlement n^o 1072/2009, un paragraphe 7 qui énonce que « les États membres peuvent, lorsque cela est nécessaire pour éviter une utilisation abusive de [l’article 4 de la directive 92/106] par la fourniture de services illimités et continus consistant en des trajets routiers initiaux ou terminaux effectués dans un État membre d’accueil dans le cadre d’opérations de transports combinés entre États membres, prévoir
que l’article 8 du présent règlement s’applique aux transporteurs lorsqu’ils effectuent de tels trajets routiers initiaux et/ou terminaux au sein dudit État membre ».

1097 Par ailleurs, ce paragraphe 7 précise que, « [e]n ce qui concerne ces trajets routiers, les États membres peuvent prévoir une période plus longue que le délai de sept jours prévu à l’article 8, paragraphe 2, du [règlement n^o 1072/2009] et une période plus courte que le délai de quatre jours prévu à l’article 8, paragraphe 2 bis, de celui-ci ». En outre, ledit paragraphe 7 prévoit que « les États membres recourant à cette dérogation en informent la Commission avant d’appliquer les mesures
nationales pertinentes », « réexaminent ces mesures au moins tous les cinq ans », « notifient les résultats de ce réexamen à la Commission » et « publient les règles, y compris la durée des périodes respectives, de manière transparente ».

1098 L’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055 offre ainsi aux États membres la faculté, afin d’éviter une utilisation abusive de l’exemption prévue à l’article 4 de la directive 92/106, de prévoir, par dérogation à cette exemption, l’application des règles relatives aux transports de cabotage figurant à l’article 8 du règlement n^o 1072/2009 dans sa version issue de sa modification par le règlement 2020/1055, aux trajets routiers initiaux et/ou terminaux effectués à l’intérieur de leur
territoire dans le cadre d’opérations de transports combinés, en autorisant par ailleurs ces États membres à assortir cette application d’assouplissements tenant à l’allongement de la période de cabotage autorisée ainsi qu’à la réduction de la période de carence dans le cadre de telles opérations de transports combinés.

1099 Cela étant précisé, il y a lieu d’observer, en premier lieu, que, ainsi que l’ont fait valoir le Parlement et le Conseil, sans que cela soit contesté par la République de Pologne, l’analyse d’impact accompagnant la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 92/106/CEE relative à l’établissement de règles communes pour certains transports combinés de marchandises entre États membres [SWD(2017) 362 final, p. 25] a fait état des difficultés liées à une
utilisation abusive de l’exemption aux règles de cabotage dans le cadre de transports combinés, prévue à l’article 4 de la directive 92/106. En particulier, il a été considéré que cette exemption, qui a permis le développement du transport intermodal international, devrait être maintenue, mais qu’il convenait toutefois d’éviter qu’elle ne soit utilisée pour contourner les règles applicables en matière de cabotage.

1100 Par ailleurs, il convient également d’observer que cette analyse d’impact (p. 16 et 17) a, notamment, pris en considération les répercussions qui découleraient d’une suppression complète de l’exemption prévue à l’article 4 de la directive 92/106.

1101 Il ne saurait, dans ces conditions, être fait grief au législateur de l’Union d’avoir adopté l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055 alors qu’il n’aurait prétendument pas disposé des éléments nécessaires à l’examen de la proportionnalité de cette disposition.

1102 En ce qui concerne, en second lieu, la proportionnalité de l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055, il y a lieu de relever, s’agissant de l’objectif poursuivi par cette disposition, à l’aune duquel cette proportionnalité doit être examinée, que, certes, ainsi que le fait valoir la République de Pologne, la référence au « dumping social » figure au considérant 22 du règlement 2020/1055, au titre des conséquences potentielles des pratiques déloyales qui ont été constatées dans le
secteur du transport combiné.

1103 Toutefois, la lutte contre le « dumping social » ne constitue pas l’objectif premier de cette disposition. En effet, ainsi qu’il ressort des termes mêmes de cette dernière, lus à la lumière de ce considérant 22, ladite disposition a pour finalité de prévenir une utilisation abusive de l’article 4 de la directive 92/106 qui viserait à détourner la nature temporaire du cabotage et à permettre la présence permanente de véhicules dans un État membre autre que celui d’établissement de l’entreprise
de transport.

1104 S’agissant du caractère prétendument disproportionné de l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055 au regard de cet objectif, il convient d’emblée de relever que la République de Pologne n’a pas développé d’argumentation spécifique au soutien du présent moyen. Cet État membre réitère ses arguments exposés, dans le cadre de son premier moyen tiré de la violation du principe de proportionnalité, contre l’obligation relative au retour des véhicules.

1105 Or, l’argumentation de la République de Pologne selon laquelle l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055 est de nature à entraîner une augmentation des trajets de véhicules à vide et des difficultés d’optimisation de l’exploitation du parc des véhicules de transport ne saurait prospérer.

1106 En effet,  d’une part, l’usage que ferait un État membre de la faculté prévue à cette disposition impliquerait non pas une interdiction complète d’effectuer des trajets routiers initiaux et/ou terminaux sur son territoire dans le cadre d’opérations de transports combinés, mais un encadrement de ces trajets par l’application des règles relatives aux transports de cabotage, moyennant de possibles assouplissements tenant à l’allongement de la durée de la période de cabotage autorisée ainsi qu’à la
réduction de la période de carence.

1107 D’autre part, l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055 n’exige pas, contrairement à la prémisse sur laquelle est fondée l’argumentation de la République de Pologne, de faire revenir le véhicule au centre opérationnel de l’entreprise de transport et ne fait donc pas obstacle à ce que, en cas de recours d’un État membre à la faculté prévue à cette disposition, cette entreprise se livre à d’autres opérations de transport que celles visées à ladite disposition afin de réduire les
trajets de véhicules à vide.

1108 Pour le surplus, en ce qui concerne l’étude sur les restrictions en matière de cabotage dans le transport combiné, laquelle est postérieure à l’adoption du règlement 2020/1055, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la validité d’un acte de l’Union doit être appréciée par rapport aux éléments dont le législateur de l’Union disposait à la date d’adoption de la réglementation en cause (arrêt du 22 février 2022, Stichting Rookpreventie Jeugd e.a., C‑160/20,
EU:C:2022:101, point 67 ainsi que jurisprudence citée).

1109 En tout état de cause, la République de Pologne n’a pas démontré en quoi cette étude, qui repose sur l’hypothèse d’une application, dans son intégralité, aux opérations de transports combinés, du régime encadrant les opérations de cabotage prévu à l’article 8 du règlement n^o 1072/2009, notamment aux paragraphes 2 et 2 bis de cet article, dans l’ensemble des États membres, est pertinente en l’espèce.

1110 Ainsi que le fait valoir à juste titre le Conseil, l’hypothèse retenue dans cette étude revient à limiter plus strictement l’exemption prévue à l’article 4 de la directive 92/106 que la mesure adoptée par le législateur de l’Union à l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055.

1111 En effet, il importe de souligner, tout d’abord, que les États membres ne peuvent recourir à la faculté prévue à cette disposition que « lorsque cela est nécessaire pour éviter une utilisation abusive de [cet article 4] par la fourniture de services illimités et continus consistant en des trajets routiers initiaux ou terminaux effectués dans un État membre d’accueil dans le cadre d’opérations de transports combinés ».

1112 Ensuite, en énonçant que « les États membres peuvent prévoir une période plus longue que le délai de sept jours prévu à l’article 8, paragraphe 2, du [règlement n^o 1072/2009] et une période plus courte que le délai de quatre jours prévu à l’article 8, paragraphe 2 bis, [de ce] règlement », ladite faculté n’impose pas à ces derniers d’appliquer intégralement aux opérations de transports combinés le régime du transport de cabotage prévu par le règlement n^o 1072/2009, mais leur laisse la faculté
de recourir à une application plus souple de ce régime.

1113 À cet égard, il importe de relever que la République de Pologne se fonde sur une interprétation erronée de l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055 lorsque cet État membre soutient que la possibilité dont disposent les États membres, en vertu de cette disposition, de fixer une période de carence plus courte que celle de quatre jours, prévue à l’article 8, paragraphe 2 bis, du règlement n^o 1072/2009, permet à ces États membres d’encadrer plus strictement les conditions relatives
aux transports de cabotage, puisque, en réduisant la période de carence entre deux cycles de cabotage, l’État membre appliquant la faculté prévue à l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055 permettrait aux transporteurs de réaliser plus fréquemment des opérations de cabotage dans le cadre de transports combinés sur son territoire, par rapport à l’application de la période de carence prévue à l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055.

1114 Enfin, l’application de la faculté prévue à l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055 est soumise à un contrôle, dès lors que les États membres souhaitant y recourir doivent, notamment, en informer la Commission avant d’appliquer les mesures nationales pertinentes et réexaminer ces mesures au moins tous les cinq ans ainsi que notifier les résultats de ce réexamen à la Commission.

1115 Il résulte des considérations qui précèdent que la République de Pologne n’a pas établi le caractère disproportionné de l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055 au regard de l’objectif poursuivi par cette disposition.

1116 En conséquence, il convient de rejeter comme étant non fondé le premier moyen invoqué par la République de Pologne.

2.      Sur la violation de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE

1.      Argumentation des parties

1117 Par ses deuxième et troisième moyens dirigés contre l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055, qu’il convient d’examiner ensemble, la République de Pologne fait valoir que cette disposition méconnaît l’article 91, paragraphe 2, et l’article 94 TFUE.

1118 À ce titre, cet État membre réitère les arguments dirigés contre l’obligation relative au retour des véhicules et contre la période de carence.

1119 Par ailleurs, ledit État membre fait valoir, premièrement, que le législateur de l’Union a méconnu l’article 91, paragraphe 2, TFUE, dès lors que, en omettant de tenir compte de la situation des transporteurs établis dans les États membres situés à la périphérie de l’Union, la faculté prévue à l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055, relative aux transports de cabotage dans le cadre d’opérations de transports combinés, conduirait à une baisse du niveau de vie et de l’emploi dans
certaines régions.

1120 De plus, l’objectif de la directive 92/106 serait, conformément à son troisième considérant, de lutter contre l’encombrement des routes et la pollution liée au transport routier. En limitant, par l’adoption de l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055, le champ d’application de la directive 92/106, le législateur de l’Union aurait également méconnu l’article 91, paragraphe 2, TFUE, en ce qu’il aurait omis de tenir compte de l’incidence négative de l’article 2, point 5, sous b), du
règlement 2020/1055 sur l’exploitation des équipements de transport. L’augmentation du nombre des parcours à vide et les difficultés accrues pour effectuer des opérations de transports combinés conduiraient inévitablement à un accroissement du trafic sur les infrastructures routières et, de ce fait, à la détérioration de leur état.

1121 Deuxièmement, la République de Pologne soutient que, par l’introduction de limitations supplémentaires au cabotage, le législateur de l’Union a enfreint l’article 94 TFUE, en omettant de tenir compte de la situation des entreprises de transport, notamment de celles provenant des États membres situés à la périphérie de l’Union, ainsi que des PME. Il n’aurait pas non plus pris en considération le fait que la crise économique déclenchée par la pandémie de COVID-19, laquelle aurait des effets
particulièrement négatifs sur le secteur du transport routier, aurait rendu la situation des transporteurs encore plus difficile.

1122 De plus, la référence au « dumping social », afin de justifier l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055, témoignerait de l’absence de prise en compte de la situation des entreprises de transport provenant des États membres situés à la périphérie de l’Union. La volonté d’assurer une égalité absolue des conditions de concurrence entre les entreprises de transport de l’ensemble des États membres serait contraire à la notion même de concurrence. En effet, les différences de
productivité et de développement économique, qui se traduiraient, en fin de compte, par des niveaux de salaire différents, constitueraient le moteur des échanges commerciaux dans un environnement concurrentiel. Ainsi, les efforts visant à limiter la participation des entreprises de transport établies dans les États membres moins développés à la fourniture des services de cabotage démontreraient l’absence de prise en considération, au regard du droit de la concurrence, de la situation économique de
ces entreprises.

1123 Le Parlement et le Conseil estiment que ce moyen n’est pas fondé.

2.      Appréciation de la Cour

1124 En premier lieu, il convient de rappeler que, ainsi qu’il a été exposé aux points 935 à 940 du présent arrêt, le respect de l’article 91, paragraphe 2, TFUE, qui impose au législateur de l’Union de tenir compte, lors de l’adoption de mesures telles que celle prévue à l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055, des effets préjudiciables graves sur le niveau de vie et l’emploi dans certaines régions ainsi que sur l’exploitation des équipements de transport, reflète, pour l’essentiel,
l’obligation pour ce législateur d’agir dans le respect du principe de proportionnalité en adoptant des mesures qui sont aptes à réaliser l’objectif poursuivi, qui ne vont pas manifestement au-delà de ce qui est nécessaire pour réaliser cet objectif et qui sont proportionnées au regard dudit objectif.

1125 Or, ainsi qu’il a été constaté au point 1116 du présent arrêt, les arguments soulevés par la République de Pologne, tirés de la violation, par l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055, du principe de proportionnalité, ne permettent pas de considérer que le législateur de l’Union a méconnu ce principe.

1126 Par ailleurs, outre le fait que les arguments soulevés dans le cadre de l’examen de la prétendue violation du principe de proportionnalité ont été écartés, cet État membre n’a fourni, à l’appui du présent moyen alléguant une violation de l’article 91, paragraphe 2, TFUE, aucun élément supplémentaire de nature à démontrer que la faculté prévue à l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055 exercerait une incidence grave sur le niveau de vie et l’emploi dans certaines régions ainsi que
sur l’exploitation des équipements de transport, dont le législateur de l’Union n’aurait pas tenu compte en instituant cette faculté, en méconnaissance de l’article 91, paragraphe 2, TFUE.

1127 Premièrement, pour ce qui est des incidences sur le niveau de vie et l’emploi dans certaines régions, la République de Pologne n’expose pas d’argumentation spécifique à cette faculté, mais, comme pour les griefs formulés à l’encontre de la période de carence, renvoie à son argumentation portant sur l’obligation relative au retour des véhicules, laquelle conduirait à réaliser des trajets supplémentaires, sans expliciter en quoi les conséquences de cette dernière obligation valent également pour
ladite faculté.

1128 Par conséquent, l’argumentation de la République de Pologne relative au niveau d’emploi doit être considérée, à défaut de tout élément concret de nature à en étayer le bien‑fondé, comme étant de nature spéculative.

1129 Deuxièmement, l’argumentation de la République de Pologne selon laquelle l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055 conduira à une dégradation des équipements et des infrastructures de transport en raison d’une augmentation des parcours à vide ainsi que de la substitution d’opérations de transport exclusivement routier à des opérations de transports combinés ne saurait non plus prospérer pour les motifs exposés aux points 1106 et 1107 du présent arrêt. Du reste, cette argumentation
repose, pour partie, sur la prémisse selon laquelle la faculté prévue à cette disposition serait mise en œuvre simultanément par un nombre significatif d’États membres, ce qui ne saurait toutefois être présumé.

1130 En second lieu, en ce qui concerne l’argumentation tirée d’une prétendue violation de l’article 94 TFUE, il suffit de rappeler que cette disposition, aux termes de laquelle toute mesure « dans le domaine des prix et conditions de transport », prise dans le cadre des traités, doit tenir compte de la situation économique des transporteurs, est sans pertinence en l’occurrence. En effet, l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055, en ce qu’il prévoit la faculté d’appliquer l’article 8 du
règlement n^o 1072/2009 dans le cadre d’opérations de transports combinés, ne régit pas les prix ou les conditions de transport des marchandises ou des voyageurs, mais prévoit une faculté pour les États membres, en vue d’éviter les abus, d’encadrer les modalités selon lesquelles les trajets routiers initiaux et/ou terminaux faisant partie intégrante de telles opérations de transports combinés sont effectués.

1131 En conséquence, il convient de rejeter les deuxième et troisième moyens invoqués par la République de Pologne contre l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055 comme étant non fondés.

3.      Sur la violation de l’article 11 TFUE et de l’article 37 de la Charte

1.      Argumentation des parties

1132 La République de Pologne, par son moyen commun à l’ensemble des dispositions attaquées du règlement 2020/1055, en ce qu’il est dirigé contre l’article 2, point 5, sous b), de celui–ci, soutient que, en adoptant cette disposition, le législateur de l’Union a violé l’article 11 TFUE et l’article 37 de la Charte.

1133 Dans le cadre de ce moyen, cet État membre invoque à l’égard de cet article 2, point 5, sous b), les mêmes arguments que ceux qui sont exposés, en substance, aux points 990 à 1002 du présent arrêt, afin de faire valoir que le législateur de l’Union n’a pas procédé à une analyse appropriée des graves conséquences environnementales de cette disposition, en raison des trajets supplémentaires de poids lourds, y compris des parcours à vide qu’elle engendrerait et dont il résulterait une augmentation
des émissions de CO2 et de polluants atmosphériques.

1134 Par ailleurs, la République de Pologne précise que l’étude sur les restrictions en matière de cabotage dans le transport combiné confirme les effets négatifs sur l’environnement de la mesure prévue à l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055 dans le cadre d’opérations de transports combinés et le fait qu’elle est en contradiction avec les objectifs du Pacte vert.

1135 Le Parlement et le Conseil estiment que ces arguments ne sont pas fondés.

2.      Appréciation de la Cour

1136 Dès lors que, dans le cadre de son moyen commun à l’ensemble des dispositions attaquées du règlement 2020/1055, en ce qu’il est dirigé contre l’article 2, point 5, sous b), de celui–ci, la République de Pologne soulève, à l’égard de cette disposition, les mêmes arguments que ceux que cet État membre a soulevés contre les autres dispositions attaquées du règlement 2020/1055, les considérations exposées aux points 1011 à 1030 du présent arrêt s’appliquent à la faculté prévue à ladite disposition.

1137 Pour le surplus, il convient de rejeter, pour les motifs exposés aux points 1106, 1107 et 1129 du présent arrêt, l’allégation de la République de Pologne selon laquelle cette faculté conduira à effectuer des trajets supplémentaires, d’une ampleur telle qu’elle entraînera des effets négatifs notables sur l’environnement susceptibles de constituer une violation des prescriptions de l’article 11 TFUE, lu en combinaison avec l’article 37 de la Charte.

1138  Par ailleurs, en ce qui concerne l’étude sur les restrictions en matière de cabotage dans le transport combiné, celle-ci repose, ainsi qu’il a été constaté aux points 1110 à 1114 du présent arrêt, sur une hypothèse qui constitue une limitation plus stricte de l’application de l’article 4 de la directive 92/106 que la portée de la faculté prévue par le législateur de l’Union à l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055.

1139 En conséquence, le moyen de la République de Pologne commun à l’ensemble des dispositions attaquées du règlement 2020/1055, en ce qu’il est dirigé contre l’article 2, point 5, sous b), de celui–ci, doit être écarté comme étant non fondé.

1140 Eu égard à l’ensemble de ce qui précède, il y a lieu de rejeter le recours introduit par la République de Pologne (affaire C‑554/20) en ce qu’il vise à obtenir l’annulation de l’article 2, point 5, sous b), du règlement 2020/1055.

6.      Conclusion concernant le règlement 2020/1055

1141 Il résulte de l’ensemble des développements qui précèdent qu’il convient d’accueillir les recours de la République de Lituanie (affaire C‑542/20), de la République de Bulgarie (affaire C‑545/20), de la Roumanie (affaire C‑547/20), de la République de Chypre (affaire C‑550/20), de la Hongrie (affaire C‑551/20), de la République de Malte (affaire C‑552/20) et de la République de Pologne (affaire C‑554/20), en ce qu’ils tendent à l’annulation de l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en
tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, et de les rejeter pour le surplus.

C.      Sur la directive 2020/1057

1142 La République de Lituanie (affaire C‑541/20), la Roumanie (affaire C‑548/20), la Hongrie (affaire C‑551/20) et la République de Pologne (affaire C‑555/20) demandent, à titre principal, l’annulation de plusieurs dispositions de la directive 2020/1057 ou, à titre subsidiaire, l’annulation de cette directive dans son intégralité. La République de Bulgarie (affaire C‑544/20) et la République de Chypre (affaire C‑550/20) demandent l’annulation de ladite directive dans son intégralité.

1143 En premier lieu, les recours introduits par la République de Lituanie, la Roumanie, la Hongrie et la République de Pologne visent à obtenir l’annulation de l’article 1^er de la directive 2020/1057 ou de certaines dispositions des paragraphes 3 à 7 de cet article (ci-après les « dispositions attaquées de l’article 1^er de la directive 2020/1057 »), en tant que ces dispositions établissent une distinction entre différents types d’opérations de transport routier et exemptent certains de ces types
d’opérations de l’application des règles relatives au détachement de travailleurs prévues par la directive 96/71. Quant aux recours introduits par la République de Bulgarie et la République de Chypre, bien qu’ils tendent à obtenir l’annulation de la directive 2020/1057 dans son intégralité, ils développent également, au soutien de ceux-ci, des moyens et arguments qui portent sur les seules dispositions de l’article 1^er de cette directive et, en particulier, sur les paragraphes 3 et 4 de cet
article.

1144 En second lieu, le recours introduit par la République de Pologne vise aussi à obtenir l’annulation de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2020/1057, en ce qu’il fixe la date limite de transposition de cette dernière.

1.      Aperçu des moyens

1145 À l’appui des conclusions de son recours tendant à l’annulation, à titre principal, de l’article 1^er, paragraphes 3 et 7, de la directive 2020/1057 ou, à titre subsidiaire, de l’intégralité de cette directive (affaire C‑541/20), la République de Lituanie soulève trois moyens, tirés de la violation, pour le premier, du principe général de non‑discrimination, consacré à l’article 20 de la Charte, pour le deuxième, du principe de proportionnalité, consacré à l’article 5, paragraphe 4, TUE, et,
pour le troisième, du principe de « bonne législation ». Il convient néanmoins de rappeler que, lors de l’audience, ainsi qu’il a déjà été indiqué au point 68 du présent arrêt, ledit État membre a retiré sa demande d’annulation du paragraphe 7 de cet article 1^er, relatif au transport de cabotage.

1146 À l’appui de leurs recours respectifs tendant à l’annulation de la directive 2020/1057 dans son intégralité (affaires C‑544/20 et C‑550/20), la République de Bulgarie et la République de Chypre invoquent chacune cinq moyens qui se recoupent largement et qui portent essentiellement sur l’article 1^er, paragraphes 3 et 4, de cette directive. Les premiers moyens sont tirés de la violation du principe de proportionnalité, consacré à l’article 5, paragraphe 4, TUE et à l’article 1^er du protocole
sur les principes de subsidiarité et de proportionnalité. Les deuxièmes moyens sont tirés de la violation des principes d’égalité de traitement et de non‑discrimination, consacrés à l’article 18 TFUE ainsi qu’aux articles 20 et 21 de la Charte, du principe d’égalité des États membres devant les traités, consacré à l’article 4, paragraphe 2, TUE, et, « dans la mesure où la Cour le jugerait nécessaire », de l’article 95, paragraphe 1, TFUE. Les troisièmes moyens sont tirés de la violation de
l’article 91, paragraphe 1, TFUE. Les quatrièmes moyens sont tirés de la violation de l’article 90 TFUE, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 3, TUE, de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE. Les cinquièmes moyens sont tirés de la violation des articles 34 et 35 TFUE (première branche) ainsi que, à titre principal, de l’article 58, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 91 TFUE, ou, à titre subsidiaire, de l’article 56 TFUE (seconde branche).

1147 À l’appui de son recours tendant à l’annulation de l’article 1^er, paragraphes 3 à 6, de la directive 2020/1057 ou, à titre subsidiaire, de cette directive dans son intégralité (affaire C‑548/20), la Roumanie invoque deux moyens, tirés de la violation, pour le premier, du principe de proportionnalité, prévu à l’article 5, paragraphe 4, TUE, et, pour le second, du principe de non-discrimination en raison de la nationalité, prévu à l’article 18 TFUE.

1148 À l’appui des conclusions de son recours tendant, à titre principal, à l’annulation de l’article 1^er de la directive 2020/1057 (affaire C‑551/20), la Hongrie invoque un moyen unique, tiré de la violation de l’article 1^er, paragraphe 3, sous a), de la directive 96/71. À l’appui des conclusions de ce même recours tendant, à titre subsidiaire, à l’annulation de l’article 1^er, paragraphe 6, de la directive 2020/1057, la Hongrie soulève deux moyens, tirés, pour le premier, d’une erreur manifeste
d’appréciation ainsi que de la violation du principe de proportionnalité et, pour le second, de la violation du principe de non‑discrimination.

1149 À l’appui des conclusions de son recours tendant à l’annulation de l’article 1^er, paragraphes 3, 4, 6 et 7, de la directive 2020/1057 ou, à titre subsidiaire, de cette directive dans son intégralité (affaire C‑555/20), la République de Pologne avance quatre moyens, tirés de la violation, pour le premier, du principe de proportionnalité, consacré à l’article 5, paragraphe 4, TUE, pour le deuxième, de l’article 91, paragraphe 2, TFUE, pour le troisième, de l’article 94 TFUE et, pour le
quatrième, de l’article 11 TFUE ainsi que de l’article 37 de la Charte. À l’appui des conclusions de ce même recours tendant à l’annulation de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2020/1057 ou, à titre subsidiaire, de cette directive dans son intégralité, la République de Pologne soulève trois moyens, tirés de la violation, pour le premier, du principe de sécurité juridique, pour le deuxième, du principe de proportionnalité, consacré à l’article 5, paragraphe 4, TUE, et, pour le troisième, de
l’article 94 TFUE.

1150 Après avoir synthétisé la réglementation de l’Union applicable au détachement des conducteurs dans le secteur du transport routier et exposé, dans ce contexte, les différents types d’opérations de transport routier visés à l’article 1^er de la directive 2020/1057, il conviendra d’examiner successivement les conclusions des recours tendant à l’annulation de cet article 1^er, ^ ou de certaines de ses dispositions, ainsi que de l’article 9, paragraphe 1, de cette directive.

2.      Sur la réglementation de l’Union applicable au détachement des conducteurs dans le secteur du transport routier

1151 À titre liminaire, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort de son article 1^er, paragraphe 1, la directive 96/71 a pour objet de garantir la protection des travailleurs détachés durant leur détachement en ce qui concerne la libre prestation des services, en fixant des dispositions obligatoires concernant les conditions de travail ainsi que la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs. Aux fins de cette directive, un travailleur détaché est défini, à l’article 2,
paragraphe 1, de celle–ci, comme étant un travailleur qui, pendant une période limitée, exécute son travail sur le territoire d’un État membre autre que celui sur le territoire duquel il travaille habituellement. L’article 3, paragraphe 1, de ladite directive impose aux États membres de veiller à ce que les entreprises concernées garantissent aux travailleurs qui sont détachés sur leur territoire, sur le fondement de l’égalité de traitement, les conditions de travail et d’emploi dans l’État membre
sur le territoire duquel le travail est exécuté couvrant les matières énumérées à cette disposition, au nombre desquelles figurent, respectivement, aux points b) et c) de cette disposition, la durée minimale des congés annuels payés et la rémunération.

1152 Comme la Cour l’a déjà jugé, à l’exception des prestations de services impliquant le personnel navigant de la marine marchande, la directive 96/71 s’applique, en principe, à toute prestation de services transnationale impliquant un détachement de travailleurs, quel que soit le secteur économique auquel une telle prestation se rattache, y compris, partant, dans le secteur du transport routier (arrêt du 1^er décembre 2020, Federatie Nederlandse Vakbeweging, C‑815/18, EU:C:2020:976, point 33).

1153 S’agissant de la directive 2020/1057, celle-ci porte, ainsi qu’il ressort de son intitulé même, sur deux sujets principaux. Premièrement, elle établit des règles spécifiques en ce qui concerne la directive 96/71 et la directive 2014/67 pour le détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier. Deuxièmement, elle modifie la directive 2006/22 quant aux exigences en matière de contrôle ainsi que le règlement n^o 1024/2012. Les États membres requérants qui demandent l’annulation de la
directive 2020/1057 ou d’une partie de celle–ci concentrent leurs recours sur le premier de ces deux sujets.

1154 À cet égard, et ainsi qu’il ressort du libellé de son paragraphe 1, l’article 1^er de la directive 2020/1057 instaure, notamment, des règles spécifiques relatives au détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier. Selon le considérant 1 de cette directive, l’instauration de telles règles spécifiques vise à garantir, d’une part, des conditions de travail et une protection sociale satisfaisantes aux conducteurs ainsi que, d’autre part, des conditions adéquates et de concurrence
loyale pour les entreprises de transport par route, afin de créer un secteur du transport routier sûr, efficace et socialement responsable. Il découle également de ce même considérant que, compte tenu du degré élevé de mobilité de la main–d’œuvre dans le secteur du transport routier, le législateur de l’Union a visé, par l’établissement de telles règles spécifiques, à garantir un équilibre entre la libre prestation de services transfrontaliers pour ces entreprises, la libre circulation des
marchandises, ainsi que des conditions de travail satisfaisantes et la protection sociale des conducteurs.

1155 En effet, ainsi qu’il ressort du considérant 8 de la directive 2020/1057, compte tenu du caractère extrêmement mobile du secteur du transport, les conducteurs, contrairement aux conditions prévalant dans d’autres secteurs, ne sont généralement pas détachés dans un autre État membre dans le cadre de contrats de service pour de longues périodes. Par conséquent, comme le soulignent également les considérants 2 et 3 de cette directive, afin d’assurer, dans ces conditions particulières, que la libre
prestation des services de transport routier soit fondée sur une concurrence loyale entre entreprises de transport et d’assurer ainsi le bon fonctionnement du marché intérieur, les règles sectorielles établies par ladite directive précisent dans quelles circonstances les conducteurs sont ou ne sont pas soumis aux règles relatives au détachement de travailleurs prévues par la directive 96/71.

1156 Il ressort du considérant 9 de la directive 2020/1057 que le législateur de l’Union a décidé de fonder ces règles sectorielles sur l’existence d’un lien suffisant rattachant le conducteur et le service fourni au territoire d’un État membre d’accueil et, pour faciliter l’application desdites règles, de faire la distinction entre différents types d’opérations de transport en fonction du degré de rattachement au territoire de l’État membre d’accueil.

1157 C’est ainsi que l’article 1^er de cette directive établit, à ses paragraphes 3 à 7, lus à la lumière des considérants 7 à 13 de ladite directive, une distinction entre cinq types d’opérations de transport routier international, à savoir les opérations de transport bilatérales, les opérations de transport non bilatérales (ci–après les « opérations de transport tiers »), les opérations de transit, les opérations de transport combiné et les transports de cabotage.

1158 En ce qui concerne, en premier lieu, les opérations de transport bilatérales, celles–ci consistent, ainsi qu’il ressort du considérant 10 de la directive 2020/1057, en des opérations de transport depuis l’État membre où l’entreprise de transport est établie jusqu’au territoire d’un autre État membre ou d’un pays tiers ou, inversement, d’opérations de transport depuis un État membre ou un pays tiers jusqu’à l’État membre où l’entreprise de transport est établie.

1159 Il ressort de l’article 1^er, paragraphe 3, premier alinéa, et paragraphe 4, premier alinéa, de la directive 2020/1057 que, nonobstant l’article 2, paragraphe 1, de la directive 96/71, lorsqu’il effectue des opérations de transport bilatérales, respectivement, de marchandises ou de voyageurs, un conducteur n’est pas considéré comme étant détaché  aux fins de la directive 96/71. L’article 1^er, paragraphe 3, troisième à cinquième alinéas, et paragraphe 4, troisième et quatrième alinéas, de la
directive 2020/1057 prévoit, en outre, des exemptions pour des activités supplémentaires, tant pour les opérations de transport bilatérales de marchandises que pour les opérations de transport bilatérales de voyageurs.

1160 En ce qui concerne, en deuxième lieu, les opérations de transport tiers, il ressort du considérant 13 de la directive 2020/1057 que ces opérations sont caractérisées par le fait que le conducteur effectue un transport international en dehors de l’État membre d’établissement de l’entreprise d’envoi. Il s’agit donc d’opérations de transport effectuées depuis un État membre différent de l’État membre d’établissement de cette entreprise ou depuis un pays tiers jusqu’au territoire d’un autre État
membre lui aussi différent dudit État membre d’établissement ou jusqu’au territoire d’un pays tiers. Ainsi qu’il ressort également de ce considérant, dans ces cas, des règles sectorielles ne sont requises qu’en ce qui concerne les exigences administratives et les mesures de contrôle.

1161 En ce qui concerne, en troisième lieu, les opérations de transit, celles-ci consistent, ainsi qu’il ressort du considérant 11 de la directive 2020/1057, en des opérations de transport dans lesquelles le conducteur traverse le territoire d’un État membre sans effectuer de chargement ou de déchargement de marchandises et sans prendre ou déposer des voyageurs. L’article 1^er, paragraphe 5, de cette directive prévoit que, lorsqu’il transite ainsi sur le territoire d’un État membre, un conducteur
n’est pas considéré comme étant détaché  aux fins de la directive 96/71.

1162 En ce qui concerne, en quatrième lieu, les opérations de transport combiné, celles-ci sont définies à l’article 1^er, second alinéa, de la directive 92/106, à laquelle la directive 2020/1057 se réfère explicitement, comme étant des transports de marchandises entre États membres dans le cadre desquels le camion ou l’autre moyen de transport de la marchandise lié au camion utilise la route pour la partie initiale ou finale du trajet et, pour l’autre partie, le chemin de fer, une voie navigable ou
un parcours maritime. L’article 1^er, paragraphe 6, de la directive 2020/1057 dispose que, nonobstant l’article 2, paragraphe 1, de la directive 96/71, un conducteur n’est pas considéré comme étant détaché  lorsqu’il effectue le trajet routier, initial ou final, d’une opération de transport combiné si ce trajet routier, pris isolément, se compose d’opérations de transport bilatérales.

1163 En ce qui concerne, en cinquième lieu, les transports de cabotage, l’article 2, point 6, du règlement n^o 1072/2009, lu à la lumière de son considérant 15, les définit comme la prestation de services par un transporteur dans un État membre dans lequel il n’est pas établi et énonce que ces transports ne sont pas interdits aussi longtemps qu’ils ne sont pas effectués de manière à créer une activité permanente ou continue au sein de cet État membre. L’article 1^er, paragraphe 7, de la
directive 2020/1057 prévoit que, lorsqu’un conducteur effectue un tel transport, il est considéré comme étant détaché en vertu de la directive 96/71.

3.      Sur l’article 1^er de la directive 2020/1057

1164 À l’appui de leurs recours respectifs tendant à l’annulation de l’article 1^er de la directive 2020/1057 ou de certaines dispositions des paragraphes 3 à 7 de celui–ci, la République de Lituanie (affaire C‑541/20), la République de Bulgarie (affaire C‑544/20), la Roumanie (affaire C‑548/20), la République de Chypre (affaire C‑550/20), la Hongrie (affaire C‑551/20) et la République de Pologne (affaire C‑555/20) invoquent, selon le cas, la violation, en substance :

–        de l’article 1^er, paragraphe 3, sous a), de la directive 96/71 (moyen unique de la Hongrie avancé à titre principal) ;

–        des principes d’égalité de traitement et de non‑discrimination (premier moyen de la République de Lituanie, deuxième moyen de la République de Bulgarie, second moyen de la Roumanie, deuxième moyen de la République de Chypre et second moyen de la Hongrie avancé à titre subsidiaire) ;

–        du principe de proportionnalité (deuxième et troisième moyens de la République de Lituanie, premier moyen de la République de Bulgarie, premier moyen de la Roumanie, premier moyen de la République de Chypre, premier moyen de la Hongrie avancé à titre subsidiaire et premier moyen de la République de Pologne) ;

–        des règles du droit de l’Union en matière de politique commune des transports, prévues, d’une part, à l’article 91, paragraphe 1, TFUE (troisièmes moyens de la République de Bulgarie et de la République de Chypre) et, d’autre part, à l’article 90 TFUE, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 3, TUE, à l’article 91, paragraphe 2, TFUE et à l’article 94 TFUE (quatrième moyen de la République de Bulgarie, deuxième moyen de la République de Pologne s’agissant de l’article 91,
paragraphe 2, TFUE, troisième moyen de la République de Pologne s’agissant de l’article 94 TFUE, ainsi que quatrième moyen de la République de Chypre) ;

–        de la libre circulation des marchandises, prévue aux articles 34 et 35 TFUE (cinquièmes moyens pris en leurs premières branches de la République de Bulgarie et de la République de Chypre) ;

–        de la libre prestation de services, prévue à l’article 58, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 91 TFUE ou, à titre subsidiaire, à l’article 56 TFUE (cinquièmes moyens pris en leurs secondes branches de la République de Bulgarie et de la République de Chypre), ainsi que

–        des règles du droit de l’Union en matière de protection de l’environnement, prévues à l’article 11 TFUE et à l’article 37 de la Charte (quatrième moyen de la République de Pologne).

1165 C’est ainsi regroupés et dans cet ordre qu’il convient d’examiner les moyens dirigés contre l’article 1^er de la directive 2020/1057.

a)      Sur la violation de l’article 1^er, paragraphe 3, sous a), de la directive 96/71

1)      Argumentation des parties

1166 La Hongrie, par son moyen unique avancé à titre principal, soutient que l’article 1^er de la directive 2020/1057 viole l’article 1^er, paragraphe 3, sous a), de la directive 96/71, au motif que les conducteurs effectuant des transports internationaux par route ne relèvent généralement pas du champ d’application de cette dernière directive eu égard aux caractéristiques particulières de l’activité qu’ils exercent.

1167 En premier lieu, en vertu de l’article 1^er, paragraphe 3, sous a), de la directive 96/71, auquel la directive 2020/1057 fait référence à son article 1^er, paragraphe 2, l’applicabilité du régime du détachement aux conducteurs exerçant une activité de transport international par route ne serait envisageable que dans l’hypothèse où il existe une relation contractuelle entre l’entreprise de transport qui les emploie et le destinataire de l’envoi. Or, et alors qu’une telle relation contractuelle
est inhabituelle dans le cadre des contrats de transport, la directive 2020/1057 n’exigerait pas, en vue de l’application du régime de détachement, qu’un tel contrat soit conclu entre l’entreprise expéditrice et l’entreprise destinataire. En effet, il suffirait que le conducteur franchisse une frontière nationale.

1168 En deuxième lieu, le détachement au sens de la directive 96/71 serait étroitement lié à une prestation de services effectuée par l’employeur dans l’État membre d’accueil. Toutefois, dans le cadre de l’activité de transport, l’accent serait mis non pas sur le service fourni par le conducteur, mais sur la circulation de marchandises entre les États membres. Il ne s’agirait donc pas d’une activité de nature à justifier l’application des règles en matière de détachement prévues par la
directive 96/71. Du reste, cette argumentation serait confirmée par la réponse de l’Union à la crise provoquée par la pandémie de COVID–19. En effet, à la suite de l’introduction par différents États membres de restrictions aux déplacements, la Commission serait intervenue presque immédiatement afin d’assurer le fonctionnement aussi fluide que possible du transport de marchandises.

1169 En troisième lieu, en raison de la forte mobilité des travailleurs dans le secteur des transports internationaux de marchandises par route, les conducteurs devraient être considérés non pas comme exécutant temporairement leur travail dans un autre État membre, mais comme étant en déplacement constant entre plusieurs États membres. D’ailleurs, dans son arrêt du 19 décembre 2019, Dobersberger (C‑16/18, EU:C:2019:1110), la Cour aurait jugé qu’un travailleur ne peut, au regard de la
directive 96/71, être vu comme étant détaché sur le territoire d’un État membre si l’exécution de son travail ne présente pas un lien de rattachement suffisant avec ce territoire. Un séjour de courte durée, voire de quelques heures, dans un autre État membre ne pourrait créer un tel lien.

1170 L’arrêt du 1^er décembre 2020, Federatie Nederlandse Vakbeweging (C‑815/18, EU:C:2020:976), ne remettrait pas en cause ces considérations. En effet, même s’il ressortait de cet arrêt que l’application de la directive 96/71 aux transporteurs routiers n’est, en principe, pas exclue, il n’en demeurerait pas moins que, en l’absence d’un lien de rattachement suffisant avec les États membres dans lesquels les conducteurs effectuent leur travail, de nombreuses prestations de services de transport
routier ne répondraient pas aux conditions d’une situation de détachement relevant du champ d’application de cette directive, telle qu’interprétée par la Cour dans ledit arrêt. Ainsi, en dehors du cabotage, pour lequel la Cour aurait constaté l’existence d’un tel lien de rattachement suffisant, aucune réponse catégorique n’aurait été fournie par celle-ci en ce qui concerne d’autres cas de figure, chaque cas devant être apprécié en fonction des circonstances pertinentes de l’espèce.

1171 Le Parlement et le Conseil font valoir que le présent moyen est inopérant ou non fondé.

2)      Appréciation de la Cour

1172 À titre liminaire, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour visée au point 431 du présent arrêt, la légalité interne d’un acte de droit dérivé ne saurait, en principe, être examinée au regard d’un autre acte de l’Union de même rang normatif. Par conséquent, la Hongrie ne peut utilement soutenir que les dispositions de l’article 1^er de la directive 2020/1057 sont invalides au regard de l’article 1^er, paragraphe 3, sous a), de la directive 96/71.

1173 Pour autant que, par son moyen unique, la Hongrie fait valoir une prétendue incohérence entre les champs d’application respectifs de la directive 96/71 et de la directive 2020/1057, il convient de relever que, en tout état de cause, celle-ci n’existe pas, et ce indépendamment de la question de savoir si elle suffirait à justifier l’annulation de l’article 1^er de cette dernière directive. En effet, en premier lieu, la Cour a jugé que la directive 96/71 est applicable aux prestations de services
transnationales dans le secteur du transport routier (voir, en ce sens, arrêts du 1^er décembre 2020, Federatie Nederlandse Vakbeweging, C‑815/18, EU:C:2020:976, points 33 à 41, et du 8 juillet 2021, Rapidsped, C‑428/19, EU:C:2021:548, points 34 à 36). Il s’ensuit que les conducteurs effectuant des transports internationaux par route sont susceptibles de relever du champ d’application de la directive 96/71 sur le fondement des dispositions de cette directive et non pas, comme semble le suggérer à
tort la Hongrie, en raison de l’adoption de la directive 2020/1057.

1174 En deuxième lieu, ainsi que le souligne le Parlement à juste titre, la directive 2020/1057 constitue une lex specialis par rapport à la directive 96/71, l’objet de cette première directive étant non pas d’étendre le champ d’application de cette seconde directive, mais de préciser dans quelles circonstances les conducteurs effectuant des opérations de transport routier international doivent être considérés comme étant des travailleurs détachés, au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la
directive 96/71, et, dès lors, comme relevant du champ d’application de cette dernière directive.

1175 Plus spécifiquement, en ce que la Hongrie reproche au législateur de l’Union d’avoir, par l’adoption de l’article 1^er de la directive 2020/1057, rendu les règles en matière de détachement applicables également à des opérations de transport qui n’impliquent pas l’une des mesures transnationales visées à l’article 1^er, paragraphe 3, sous a), de la directive 96/71, il convient de relever que, ainsi que cet État membre le souligne lui-même, la directive 2020/1057 fait explicitement référence à
cette dernière disposition, en prévoyant, à son article 1^er, paragraphe 2, que les règles spécifiques relatives au détachement des conducteurs prévues à son article 1^er s’appliquent aux conducteurs employés par des entreprises de transport établies dans un État membre qui prennent la mesure transnationale visée à l’article 1^er, paragraphe 3, sous a), de la directive 96/71, à savoir détacher un travailleur, pour leur compte et sous leur direction, sur le territoire d’un autre État membre, dans le
cadre d’un contrat conclu entre l’entreprise d’envoi et le destinataire de la prestation de services opérant dans cet État membre, pour autant qu’il existe une relation de travail entre l’entreprise d’envoi et le travailleur pendant la période de détachement. Il s’ensuit nécessairement que lesdites règles spécifiques sont sans préjudice de la nécessité de remplir ces conditions prévues à cet article 1^er, paragraphe 3, sous a), afin que l’opération de transport concernée soit considérée comme
relevant du champ d’application de la directive 96/71.

1176 Quant à l’argumentation avancée, dans ce contexte, par la Hongrie, se référant à la réaction de l’Union à la pandémie de COVID–19, celle-ci se fonde, ainsi qu’il découle du point 1173 du présent arrêt, sur la prémisse erronée selon laquelle la directive 96/71 n’était pas applicable aux opérations de transport avant l’entrée en vigueur de la directive 2020/1057. Ainsi, cette argumentation, qui est, du reste, d’ordre général et ne se rapporte pas spécifiquement à l’encadrement du détachement de
travailleurs par le droit de l’Union, doit également être rejetée.

1177 En troisième lieu, les dispositions de l’article 1^er de la directive 2020/1057 ne sauraient non plus être considérées comme étant invalides au motif que, en l’absence d’un lien de rattachement suffisant avec les États membres dans lesquels les conducteurs effectuent leur travail, de nombreuses prestations de services de transport routier ne répondraient pas aux conditions d’une situation de détachement relevant du champ d’application de la directive 96/71, telle qu’interprétée par la Cour dans
l’arrêt du 1^er décembre 2020, Federatie Nederlandse Vakbeweging (C‑815/18, EU:C:2020:976).

1178 À cet égard, il convient de faire observer, premièrement, que, en adoptant les dispositions de l’article 1^er de la directive 2020/1057, le législateur de l’Union a retenu une approche qui s’inscrit dans la même logique que celle suivie par la Cour dans cet arrêt.

1179 En particulier, aux points 49, 62 et 63 dudit arrêt, la Cour a jugé, dans le cadre de l’interprétation de la directive 96/71, que les règles en matière de détachement, prévues par cette directive, ne s’appliquent pas, notamment, aux opérations de transit et aux opérations de transport bilatérales, alors qu’elles s’appliquent, en principe, aux opérations de cabotage se déroulant entièrement sur le territoire de l’État membre d’accueil.

1180 Or, de la même manière, l’article 1^er de la directive 2020/1057 exclut, à ses paragraphes 3 et 4, toutes les opérations de transport bilatérales et, à son paragraphe 5, toutes les opérations de transit du champ d’application de la directive 96/71, tandis que l’article 1^er, paragraphe 7, de la directive 2020/1057 précise que la directive 96/71 s’applique aux opérations de cabotage.

1181 Par ailleurs, au point 45 de l’arrêt du 1^er décembre 2020, Federatie Nederlandse Vakbeweging (C‑815/18, EU:C:2020:976), la Cour a jugé, d’une part, qu’un travailleur ne saurait être considéré comme étant « détaché » sur le territoire d’un État membre, au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 96/71, que si l’exécution de son travail présente un lien de rattachement suffisant avec ce territoire et, d’autre part, que la vérification de l’existence d’un tel lien suppose de procéder à
une appréciation globale de l’ensemble des éléments qui caractérisent l’activité du travailleur concerné.

1182 Or, ainsi qu’il ressort du considérant 9 de la directive 2020/1057, le législateur de l’Union a adopté des règles sectorielles relatives à l’application de la directive 96/71 au secteur du transport routier qui reposent également sur l’existence d’un lien suffisant rattachant le conducteur et le service fourni au territoire d’un État membre d’accueil. Dans ce contexte, afin de faciliter l’application de ces règles, ce législateur a privilégié une solution consistant à préciser dans quelles
circonstances un tel lien de rattachement doit être considéré comme existant.

1183 À cette fin, d’une part, ledit législateur a expressément indiqué que certaines catégories d’opérations doivent faire l’objet d’une exemption des règles en matière de détachement, à savoir, selon l’article 1^er, paragraphe 3, troisième à cinquième alinéas, de la directive 2020/1057, un nombre limité d’opérations liées à une opération de transport bilatérale et, selon l’article 1^er, paragraphe 6, de cette dernière directive, certains trajets composant une opération de transport combiné.

1184 D’autre part, ainsi qu’il ressort, notamment, du considérant 13 de la directive 2020/1057, pour les opérations qui ne font pas l’objet d’une exemption au titre de celle-ci, le législateur de l’Union a considéré qu’il existe un lien de rattachement suffisant avec le territoire de l’État membre d’accueil et que la directive 96/71 doit donc être considérée comme étant susceptible de s’appliquer.

1185 Deuxièmement, le seul fait que le législateur de l’Union a choisi de concrétiser la notion de « lien suffisant », sur laquelle la Cour s’est fondée dans ses arrêts du 19 décembre 2019, Dobersberger (C‑16/18, EU:C:2019:1110, point 31), et du 1^er décembre 2020, Federatie Nederlandse Vakbeweging (C‑815/18, EU:C:2020:976, point 45), en désignant les catégories d’opérations de transport routier auxquelles les règles en matière de détachement devraient ou non s’appliquer, ne saurait entacher
d’invalidité les dispositions de l’article 1^er de la directive 2020/1057. En effet, le raisonnement de la Cour dans ces arrêts a pour objet l’interprétation du cadre réglementaire tel qu’il était en vigueur au moment pertinent pour les litiges ayant donné lieu auxdits arrêts, de sorte que c’est en se fondant sur les seules dispositions de la directive 96/71 applicables à ce moment que la Cour a précisé ce qu’il convenait d’entendre par « lien suffisant ». En outre, la Cour n’a nullement suggéré que
l’interprétation qu’elle donnait, dans ce contexte, de la notion de « lien suffisant » était la seule à même de respecter les dispositions des traités.

1186 Cela étant, les considérations qui précèdent sont sans préjudice de la question, qui fait l’objet d’autres moyens soulevés dans les présents recours, de savoir si la manière dont le législateur de l’Union a choisi d’apprécier l’existence d’un tel « lien suffisant » dans le cas de chacune des catégories d’opérations figurant à l’article 1^er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057 est compatible avec le droit primaire.

1187 Eu égard à ce qui précède, le moyen unique de la Hongrie avancé à titre principal doit être rejeté comme étant non fondé.

b)      Sur la violation des principes d’égalité de traitement et de non‑discrimination

1)      Argumentation des parties

1188 La République de Lituanie, par son premier moyen, la République de Bulgarie, par son deuxième moyen, la Roumanie, par son second moyen, la République de Chypre, par son deuxième moyen, et la Hongrie, par son second moyen avancé à titre subsidiaire, font valoir que l’article 1^er de la directive 2020/1057 ne respecte pas les exigences découlant du principe de non‑discrimination.

1189 La République de Bulgarie et la République de Chypre font valoir à cet égard que le fait de rendre applicables aux opérations de transport tiers les règles en matière de détachement, tout en exemptant les opérations de transport bilatérales de ces règles, aboutit à un traitement différent de situations qui sont similaires, voire identiques, violant ainsi le principe de non‑discrimination.

1190 En premier lieu, cette différence de traitement entre opérations de transport tiers et opérations de transport bilatérales aurait pour effet d’accorder aux conducteurs une protection sociale différenciée en fonction de la nationalité de leur employeur et du lieu où se déroulent les opérations. Ainsi, à titre d’illustration, pour une cargaison chargée en Italie à destination de Francfort (Allemagne), un conducteur serait considéré comme détaché en Allemagne si son employeur est portugais, mais
pas si l’employeur est italien. Or, dans les deux cas, le lien de rattachement avec le territoire allemand serait pourtant le même, le déchargement de biens ayant lieu en Allemagne. Outre le fait que les conducteurs subiraient des traitements différents en fonction des itinéraires de transport, il existerait même une discrimination entre des conducteurs employés par un même transporteur.

1191 En deuxième lieu, la République de Bulgarie et la République de Chypre font valoir que cette différence de traitement entre opérations de transport tiers et opérations de transport bilatérales a une incidence négative plus importante sur les entreprises effectuant des opérations de transport tiers que sur celles effectuant principalement ou exclusivement des opérations de transport bilatérales.

1192 En troisième lieu, ladite différence de traitement entre opérations de transport tiers et opérations de transport bilatérales méconnaîtrait le principe d’égalité entre États membres, puisque certains États membres subiraient l’incidence de cette différence de façon plus sensible que d’autres.

1193 En quatrième lieu, enfin, en raison de cette même différence de traitement, les entreprises de transport seraient confrontées à des coûts salariaux et administratifs différents en fonction du pays de chargement ou de déchargement. Ces entreprises seraient donc incitées à facturer des tarifs différents pour des opérations portant sur les mêmes marchandises concernant les mêmes relations de trafic, en fonction du pays d’origine ou de destination des produits transportés, ce qui serait contraire à
l’esprit de l’article 95, paragraphe 1, TFUE.

1194 La Roumanie fait valoir que ce sont essentiellement les entreprises de transport établies dans des États membres situés à la périphérie de l’Union qui supporteront les coûts administratifs et financiers liés au détachement et qui seraient dissuadées d’effectuer des opérations régies par l’article 1^er, paragraphes 3 à 6, de la directive 2020/1057, puisque la compétitivité de ces entreprises serait de facto réduite à néant. La protection sociale des conducteurs ne saurait d’ailleurs être
garantie si les entreprises de transport de la zone périphérique de l’Union sont évincées du marché. Selon un autre scénario, les conducteurs seraient obligés de déménager dans un État membre mieux situé par rapport au centre des opérations de transport dans l’Union. Ainsi se poserait la question de savoir dans quelle mesure les dispositions attaquées de l’article 1^er de cette directive sont conformes aux objectifs énoncés à l’article 91, paragraphe 2, TFUE ainsi qu’à l’article 94 TFUE.

1195 Du reste, de l’avis de la Roumanie, ce ne sont pas seulement les dispositions concernées de la directive 2020/1057, mais également celles qui font l’objet de ses recours en annulation partielle des règlements 2020/1054 et 2020/1055 (affaires C‑546/20 et C‑547/20) qui auraient pour effet, tant prises isolément que dans leur ensemble, de soumettre à une discrimination les entreprises de transport établies dans des États membres situés à la périphérie de l’Union.

1196 Selon la Roumanie, la jurisprudence de la Cour dont se prévalent le Parlement et le Conseil, issue des arrêts du 21 juin 2018, Pologne/Parlement et Conseil (C‑5/16, EU:C:2018:483, point 167), ainsi que du 13 mars 2019, Pologne/Parlement et Conseil (C‑128/17, EU:C:2019:194, point 106), ne saurait s’appliquer mutatis mutandis en l’espèce. En ce qui concerne les dispositions attaquées du « Paquet mobilité », ce ne serait pas seulement la situation particulière d’un seul État membre qui n’aurait
pas été prise en considération. Bien au contraire, les mesures attaquées sépareraient les États membres en deux grandes catégories selon leur situation géographique, à savoir, d’une part, un centre favorisé et, d’autre part, une périphérie défavorisée, bien que dans des proportions variables. Or, les réglementations adoptées au niveau de l’Union devraient tenir compte de ces différences et tenter de les compenser, en réduisant les décalages existants ainsi qu’en ciblant une répartition plus homogène
tant des bénéfices que des coûts de l’appartenance à l’Union.

1197 Le Conseil admettrait d’ailleurs, en substance, que la directive 2020/1057 facilite les opérations de transport bilatérales, mais pas les opérations de transport tiers et, par conséquent, pas les opérations effectuées par les entreprises de transport établies dans des États membres situés à l’est de l’Europe, en dehors de la zone où le transport routier international de l’Union est concentré.

1198 Pour sa part, la Hongrie fait valoir que, dans la pratique, il est possible de distinguer deux types d’opérations de transport combiné, à savoir, d’une part, les opérations accompagnées et, d’autre part, les opérations non accompagnées. Dans l’hypothèse où le conducteur accompagne le véhicule et sa cargaison pendant toute la durée du transport, il s’agirait, en fin de compte, d’une seule opération de transport. Seul le mode de transport varierait. Dans ce cas, l’opération de transport combiné
serait, en substance, assimilable à une opération de transport bilatérale, de sorte que le principe fondamental d’égalité de traitement justifierait que l’exemption prévue à l’article 1^er, paragraphe 3, de la directive 2020/1057 couvre l’ensemble de l’opération, à savoir les deux trajets routiers.

1199 Toutefois, en vertu de l’article 1^er, paragraphe 6, de cette directive, un conducteur serait considéré comme n’étant pas détaché lorsqu’il effectue une opération de transport combiné uniquement dans le cas où le trajet routier, pris isolément, se compose d’opérations de transport bilatérales, au sens de l’article 1^er, paragraphe 3, de ladite directive. Le législateur de l’Union aurait ainsi artificiellement scindé les opérations de transport combiné en deux trajets routiers, le trajet initial
et le trajet final, dont un ne remplit pas la condition relative aux opérations de transport bilatérales. Ainsi, ce législateur, en n’étendant pas aux opérations de transport combiné accompagnées le bénéfice de l’exemption prévue pour les opérations de transport bilatérales de marchandises, aurait méconnu le principe d’égalité de traitement.

1200 Le Parlement et le Conseil font valoir que ces moyens et ces arguments ne sont pas fondés.

2)      Appréciation de la Cour

i)      Considérations liminaires

1201 En premier lieu, il convient d’observer que, si la République de Bulgarie et la République de Chypre demandent l’annulation de la directive 2020/1057 dans son ensemble, il ressort de l’argumentation avancée par ces États membres, tirée d’une violation des principes d’égalité de traitement et de non‑discrimination, qu’ils mettent tout particulièrement en cause la distinction effectuée à l’article 1^er, paragraphes 3 et 4, de cette directive, lu à la lumière du considérant 13 de celle–ci, entre
opérations de transport tiers et opérations de transport bilatérales.

1202 En deuxième lieu, l’argumentation avancée par la Hongrie visant à démontrer une violation de ces principes se concentre sur le seul article 1^er, paragraphe 6, de la directive 2020/1057, relatif aux opérations de transport combiné.

1203 Enfin, en troisième lieu, en ce qui concerne l’argumentation avancée par la Roumanie, il convient de relever que cet État membre demande l’annulation de l’article 1^er, paragraphes 3 à 6, de la directive 2020/1057, en affirmant que les règles qui y sont prévues ont pour effet de dissuader les entreprises de transport établies à la « périphérie de l’Union » d’effectuer les types d’opérations visées à ces dispositions, tout en mettant spécifiquement en exergue les prétendus effets négatifs pour
ces entreprises qui découlent de la distinction entre opérations de transport tiers et opérations de transport bilatérales.

1204 À cet égard, il convient toutefois de constater, pour autant, premièrement, que la Roumanie invoque la violation de l’article 1^er, paragraphe 5, de la directive 2020/1057, que cet État membre se borne à alléguer, en termes généraux, que les États membres situés à la « périphérie de l’Union » subissent une discrimination indirecte en raison des dispositions attaquées de cet article 1^er, sans expliquer en quoi ledit paragraphe 5 pourrait être source d’inconvénients pour ces États membres, alors
que cette dernière disposition accorde au transporteur responsable d’une opération transitant sur le territoire d’un État membre le bénéfice d’une exemption des règles en matière de détachement lorsque les conditions qu’il prévoit sont remplies. Or, une telle exemption est de nature à limiter l’incidence de la distance plus ou moins grande entre l’État membre où est établi le transporteur et un autre État membre dans lequel a lieu le chargement ou le déchargement de marchandises, ou encore la prise
en charge ou le dépôt de voyageurs, sur la question de savoir si l’opération de transport routier en cause est soumise aux règles relatives au détachement de travailleurs prévues par la directive 96/71.

1205 De la même manière, pour autant, deuxièmement, que la Roumanie vise l’article 1^er, paragraphe 6, de la directive 2020/1057, cet État membre n’étaye pas davantage en quoi cette disposition relative aux opérations de transport combiné méconnaîtrait les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination en défavorisant, pour l’essentiel, les entreprises de transport établies dans des États membres situés à la « périphérie de l’Union ». En effet, l’argument avancé pour démontrer le
caractère discriminatoire de l’ensemble des dispositions figurant à l’article 1^er, paragraphes 3 à 6, de la directive 2020/1057, selon lequel la part du marché des transports internationaux détenue par les opérateurs établis dans les États membres situés à la « périphérie de l’Union » est en augmentation, ne permet pas de démontrer une violation de ces principes.

1206 Dans ces conditions, il reste à examiner les arguments par lesquels il est reproché au législateur de l’Union d’avoir distingué, à l’article 1^er, paragraphes 3 et 4, de cette directive, lu à la lumière du considérant 13 de celle–ci, entre opérations de transport tiers et opérations de transport bilatérales aux fins de l’application des règles en matière de détachement ainsi que les arguments spécifiques avancés par la Hongrie relatifs à l’application de ces règles au transport combiné, telle
que prévue à l’article 1^er, paragraphe 6, de ladite directive.

ii)    Sur l’existence des traitements discriminatoires allégués

1207 Il est constant que les dispositions attaquées de l’article 1^er de la directive 2020/1057, en ce qu’elles instaurent des règles spécifiques relatives au détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier, s’appliquent indistinctement à toutes les entreprises de transport concernées, quel que soit l’État membre dans lequel elles sont établies, à tous les conducteurs, quels que soient leur nationalité et l’État membre dans lequel est établi leur employeur, ainsi qu’à tous les États
membres, de sorte qu’elles ne comportent pas de discrimination directe interdite par le droit de l’Union.

1208 Il convient, dès lors, d’examiner, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 308 à 310 du présent arrêt, si lesdites dispositions, en ce qu’elles distinguent les opérations visées au point 1206 de cet arrêt, appliquent de manière injustifiée des règles différentes à des situations comparables, à la lumière, notamment, de l’objectif poursuivi par celles-ci, et sont, de ce fait, constitutives d’une discrimination indirecte interdite par le droit de l’Union, en étant, par leur nature
même, susceptibles d’affecter davantage les entreprises de transport établies dans des États membres situés à la « périphérie de l’Union », les conducteurs employés par ces entreprises et ce groupe d’États membres. 

1209 Ainsi qu’il ressort de la jurisprudence évoquée au point précédent, le caractère comparable des situations respectives en cause aux fins du contrôle du respect du principe d’égalité de traitement s’apprécie, notamment, à la lumière de l’objet et du but de l’acte de l’Union qui institue la distinction concernée.

1210 À cet égard, l’objectif poursuivi par la directive 2020/1057 consiste, ainsi qu’il découle de ses considérants 3 et 7, à prévoir des règles spécifiques, aux fins de la détermination de l’État membre dont les conditions de travail et d’emploi sont garanties aux conducteurs du transport routier, qui tiennent compte des particularités liées à l’extrême mobilité de la main d’œuvre dans ce secteur et qui, pour le bon fonctionnement du marché intérieur, établissent un équilibre entre l’amélioration
des conditions sociales et de travail de ces conducteurs et le fait de faciliter l’exercice de la libre prestation des services de transport routier fondée sur une concurrence loyale entre entreprises de transport.

1211 C’est dans le cadre de cet objectif général poursuivi par la directive 2020/1057 que, ainsi qu’il ressort du considérant 9 de cette directive, s’inscrit l’objectif spécifique des dispositions de son article 1^er, lesquelles précisent dans quelles circonstances les conducteurs sont ou non soumis aux règles relatives au détachement de longue durée prévues par la directive 96/71.

1212 Il convient, dès lors, d’examiner, au regard de cet objectif, si le législateur de l’Union a appliqué, à l’article 1^er de la directive 2020/1057, un traitement discriminatoire aux opérations de transport tiers et aux opérations de transport combiné par rapport aux opérations de transport bilatérales.

–       Sur le prétendu traitement discriminatoire des opérations de transport tiers par rapport aux opérations de transport bilatérales

1213 En ce qui concerne, en premier lieu, l’existence d’une prétendue discrimination entre les entreprises de transport et les conducteurs qu’elles emploient selon qu’ils effectuent des opérations de transport tiers ou des opérations de transport bilatérales, il convient de rappeler qu’il découle des dispositions de l’article 1^er de la directive 2020/1057, en particulier, de son paragraphe 3, premier alinéa, et de son paragraphe 4, premier alinéa, lus à la lumière de son considérant 13, qu’un
conducteur effectuant des opérations de transport bilatérales n’est pas considéré comme étant détaché, au sens de la directive 96/71, alors qu’un conducteur effectuant des opérations de transport tiers est, en principe, considéré comme tel. En outre, l’article 1^er, paragraphe 3, troisième à cinquième alinéas, et l’article 1^er, paragraphe 4, troisième et quatrième alinéas, de la directive 2020/1057 prévoient que les exemptions pour les opérations de transport bilatérales prévues à ces paragraphes
s’appliquent également à certaines activités supplémentaires liées à de telles opérations.

1214 Il en ressort que la différence de traitement qui résulte, aux fins de l’application des règles en matière de détachement, de ces dispositions de la directive 2020/1057 entre les opérations de transport tiers et les opérations de transport bilatérales est fondée sur les types d’opérations de transport concernés, lesquels se distinguent par le lien de rattachement entre le conducteur et le service fourni, d’une part, et le territoire de l’État membre d’accueil et celui de l’État membre
d’établissement, d’autre part. En effet, alors que, dans la situation d’une opération de transport bilatérale, la nature du service est étroitement liée à l’État membre d’établissement, tel n’est pas le cas d’une opération de transport tiers, où le conducteur effectue des opérations d’un pays à un autre dont aucun n’est l’État membre d’établissement.

1215 Il s’ensuit que les opérations de transport tiers et les opérations de transport bilatérales ne sont pas comparables au regard de l’objectif poursuivi par la directive 2020/1057 et, plus spécifiquement, de celui visé par les règles prévues à l’article 1^er de cette directive, rappelés aux points 1210 et 1211 du présent arrêt. Par conséquent, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 1086 de ses conclusions, ni les conducteurs ni les entreprises de transport impliqués dans ces deux
catégories d’opérations de transport ne se trouvent dans une situation comparable au regard de ce dernier objectif.

1216 Cette conclusion n’est pas remise en cause par les exemples concrets d’opérations de transport mis en avant par les États membres requérants et qui, selon ces derniers, établiraient qu’un travail de même nature peut être accompli par deux conducteurs différents, travaillant, selon le cas, pour une seule et même entreprise, alors que, en raison des dispositions attaquées de l’article 1^er de la directive 2020/1057, ces deux conducteurs ne bénéficieraient pas des mêmes conditions de travail et
d’emploi et, en particulier, du même taux de rémunération.

1217 À cet égard, il suffit de relever que cette argumentation se fonde sur la prémisse erronée selon laquelle l’appréciation de la comparabilité des situations respectives de ces conducteurs pour la détermination de l’application des règles en matière de détachement doit s’effectuer uniquement en fonction de la nature de leur travail, alors que, ainsi qu’il ressort des considérations qui précèdent, c’est le lien rattachant le conducteur concerné et le service fourni à l’État membre d’établissement
ou à l’État membre d’accueil qui, au regard de l’objectif poursuivi par les dispositions attaquées de l’article 1^er de la directive 2020/1057, est pertinent aux fins de cette appréciation.

1218 En tout état de cause, il convient de souligner que le législateur de l’Union, ainsi qu’il ressort du point 247^ du présent arrêt, dispose d’une large marge d’appréciation pour définir la politique commune des transports, dont relèvent les mesures prévues par la directive 2020/1057. Cette dernière, adoptée sur le fondement de l’article 91, paragraphe 1, TFUE, implique des choix de nature politique et des appréciations complexes concernant les incidences économiques et sociales de ces mesures.

1219 Il ne saurait, dès lors, être reproché au législateur de l’Union une violation des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination au seul motif qu’il a choisi, dans le cadre de l’exercice de cette large marge d’appréciation, de fixer des critères généraux en vue de l’appréciation de l’existence d’un lien de rattachement suffisant entre le service de transport fourni et le territoire de l’État membre d’accueil, plutôt que de laisser aux acteurs concernés la tâche de vérifier
l’existence d’un tel lien de rattachement dans chaque cas concret.

1220 En ce qui concerne, en deuxième lieu, l’existence d’une prétendue discrimination entre les États membres en méconnaissance du principe d’égalité de traitement entre ceux-ci devant les traités, consacré à l’article 4, paragraphe 2, TUE, il ne saurait certes être exclu que certains États membres soient plus affectés que d’autres par la distinction établie à l’article 1^er, paragraphes 3 et 4, de la directive 2020/1057, lu ensemble avec le considérant 13 de celle–ci, entre opérations de transport
bilatérales et opérations de transport tiers.

1221 En effet, puisqu’il est constant entre les parties qu’une part significative de la demande dans le marché des transports se concentre dans les États membres situés davantage au « centre de l’Union », il est possible que les entreprises de transport qui, selon les États membres requérants, sont établies à la « périphérie de l’Union » soient celles qui effectuent la plus grande partie des opérations de transport tiers dans l’Union et qui, dès lors, soient soumises le plus souvent aux règles en
matière de détachement, tandis que leurs concurrentes qui sont établies davantage au « centre de l’Union » effectueraient principalement ou exclusivement des opérations de transport bilatérales.

1222 Toutefois, il convient de rappeler, premièrement, que, selon la jurisprudence exposée au point 332 du présent arrêt, un acte de l’Union ayant pour objet d’égaliser les normes des États membres, pour autant qu’il s’applique de façon égale à tous les États membres, ne saurait être considéré comme discriminatoire, un tel acte d’harmonisation créant inévitablement des effets divergents selon l’état antérieur des différentes législations et pratiques nationales.

1223 En l’occurrence, par l’adoption de règles sectorielles en matière de détachement de travailleurs destinées à être mises en œuvre dans l’ensemble de l’Union afin d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur, le législateur de l’Union a visé à atteindre, ainsi qu’il ressort des considérants 3, 7 et 9 de la directive 2020/1057, un équilibre entre, d’une part, l’amélioration des conditions sociales et de travail des conducteurs et, d’autre part, le fait de faciliter l’exercice de la libre
prestation des services de transport routier fondé sur une concurrence loyale entre entreprises de transport.

1224 Dans ce contexte, l’approche consistant à distinguer entre différents types d’opérations de transport aux fins de l’application des règles en matière de détachement, loin de porter atteinte à l’égalité entre les États membres, vise, au contraire, comme il ressort, en substance, du considérant 4 de cette directive, à remédier aux inégalités de traitement qui avaient pu résulter auparavant, en raison des divergences relevées entre les États membres dans l’interprétation, l’application et la mise
en œuvre des dispositions applicables avant l’entrée en vigueur de ladite directive, divergences qui faisaient peser une lourde contrainte administrative sur les conducteurs et les entreprises de transport.

1225 Deuxièmement, l’éventuelle différence d’incidence des dispositions attaquées de l’article 1^er de la directive 2020/1057 sur les États membres selon qu’ils sont situés au « centre de l’Union » ou à la « périphérie de l’Union », telle qu’évoquée aux points 1220 et 1221 du présent arrêt, résulte non pas du caractère prétendument discriminatoire de la distinction entre opérations de transport tiers et opérations de transport bilatérales, mais, pour l’essentiel, du modèle d’exploitation économique
pour lequel ont opté les entreprises de transport établies dans certains États membres, dans la mesure où les opérations de transport effectuées par des entreprises de transport qui fournissent l’essentiel ou l’intégralité de leurs services dans des États membres éloignés de l’État membre dans lequel ils sont établis, quel que soit celui–ci, sont davantage susceptibles d’être qualifiées d’opérations de transport tiers et, partant, d’être soumises aux règles en matière de détachement.

1226 Certes, l’application de ces règles est susceptible de représenter une charge plus importante pour les employeurs qui fournissent des services de transport tiers dans des États membres dans lesquels le niveau de protection sociale, en particulier de rémunération, est plus élevé que dans leur État membre d’établissement.

1227 Toutefois, une telle conséquence est inhérente aux objectifs poursuivis par la directive 2020/1057, laquelle vise précisément à assurer une concurrence loyale entre entreprises de transport en garantissant aux conducteurs qui fournissent un service de transport présentant un lien de rattachement suffisant avec le territoire d’un État membre d’accueil le bénéfice de conditions de travail et d’emploi égales à celles applicables aux autres conducteurs fournissant également de tels services sur ce
territoire. Du reste, le simple fait que les intérêts de certains acteurs peuvent être affectés dans une mesure plus importante par rapport à d’autres est inhérent à la recherche d’un équilibre entre divers intérêts concurrents, caractéristique de l’action législative. Ainsi, en l’occurrence, une telle conséquence est indissociable de l’objectif poursuivi par cette directive consistant à améliorer les conditions sociales et de travail des conducteurs tout en assurant une concurrence loyale entre
entreprises de transport.

1228 Au demeurant, ainsi qu’il a été relevé au point 322 du présent arrêt, une disposition du droit de l’Union ne saurait être considérée comme étant, en elle-même, contraire aux principes d’égalité de traitement et de non-discrimination au seul motif qu’elle entraîne des conséquences différentes pour certains opérateurs économiques, lorsque cette situation est la conséquence de conditions d’exploitation différentes dans lesquelles ils sont placés, notamment en raison de leur implantation
géographique, et non pas d’une inégalité en droit qui serait inhérente à la disposition attaquée.

1229 En tout état de cause, à supposer que les dispositions attaquées de l’article 1^er de la directive 2020/1057 aboutissent à traiter de manière différente des situations comparables, au sens de la jurisprudence rappelée au point 308 du présent arrêt, ce traitement serait objectivement justifié par les objectifs poursuivis dans le cadre de la politique commune des transports, conformément à l’article 90 TFUE. Ces objectifs comprennent, notamment, l’amélioration des conditions d’emploi, visée dans
le préambule du traité FUE et à l’article 151, premier alinéa, TFUE, ainsi que la garantie d’une protection sociale adéquate, visée à l’article 9 et à l’article 151, premier alinéa, de ce traité.

1230 En ce qui concerne, en troisième lieu, l’argumentation spécifique avancée par la République de Bulgarie et la République de Chypre, tirée d’une violation de l’article 95, paragraphe 1, TFUE, il convient de rappeler que cette disposition interdit, dans le trafic à l’intérieur de l’Union, « les discriminations qui consistent en l’application par un transporteur, pour les mêmes marchandises sur les mêmes relations de trafic, de prix et conditions de transport différents en raison du pays d’origine
ou de destination des produits transportés ».

1231 En ce que la République de Bulgarie et la République de Chypre soutiennent que les transporteurs seront incités à facturer des tarifs différents pour les mêmes marchandises et les mêmes trajets en fonction du pays d’origine ou de destination de ces marchandises, afin de faire face aux coûts salariaux et administratifs différents résultant des dispositions attaquées de l’article 1^er de la directive 2020/1057, il convient de relever, d’une part, que ces dispositions visent à assurer des
conditions de travail satisfaisantes et une protection sociale accrue aux conducteurs par la fixation des critères d’application des règles relatives au détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier. Lesdites dispositions ne régissent ainsi aucunement les prix ou les conditions de transport en tant que tels et ne sauraient, dès lors, être considérées comme relevant des mesures visées à l’article 95, paragraphe 1, TFUE.

1232 D’autre part, ainsi qu’il ressort des points 1213 à 1224 du présent arrêt, la différence établie à l’article 1^er de la directive 2020/1057 concernant l’application des règles en matière de détachement aux opérations de transport bilatérales et aux opérations de transport tiers se fonde non pas sur le pays d’origine ou de destination des marchandises en question, mais sur le fait que le service fourni dans le cadre de ces deux types d’opérations ne présente pas le même lien de rattachement avec
l’État membre d’établissement.

1233 En quatrième lieu, dans la mesure où la Roumanie invoque, sous le second moyen de son recours, tiré formellement d’une violation du principe de non‑discrimination, une violation de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE, son argumentation se confond avec celle présentée par la République de Bulgarie et la République de Chypre dans le cadre des quatrièmes moyens de leurs recours respectifs ainsi qu’avec celle présentée par la République de Pologne dans le cadre des deuxième et
troisième moyens de son recours. Cette argumentation sera donc examinée dans ce contexte.

1234 Eu égard à ce qui précède, il ne saurait être considéré que méconnaît les principes d’égalité de traitement et de non‑discrimination l’approche suivie par le législateur de l’Union à l’article 1^er, paragraphes 3 et 4, de la directive 2020/1057, lu ensemble avec le considérant 13 de celle–ci, qui consiste, de manière générale, à distinguer entre différents types d’opérations de transport en fonction du lien de rattachement entre le conducteur et le service fourni, d’une part, et le territoire
de l’État membre d’accueil ou le territoire de l’État membre d’établissement, d’autre part, aux fins de l’application des règles en matière de détachement et, en particulier, à rendre ces règles applicables aux opérations de transport tiers, tout en exemptant desdites règles les opérations de transport bilatérales ainsi que certaines activités supplémentaires qui y sont liées.

–       Sur le prétendu traitement discriminatoire des opérations de transport combiné par rapport aux opérations de transport bilatérales

1235 Par son argumentation visant l’article 1^er, paragraphe 6, de la directive 2020/1057, relatif au transport combiné, la Hongrie soutient que, lorsque le même conducteur accompagne le véhicule et sa cargaison pendant toute la durée d’une opération de transport combiné, cette opération dans son ensemble devrait être assimilée à une opération de transport bilatérale, de sorte que les deux trajets routiers puissent bénéficier de l’exemption des règles en matière de détachement, étant donné que seul
le mode de transport varie entre les différentes parties d’une telle opération de transport combiné. Cette argumentation repose ainsi sur la prémisse selon laquelle une telle opération de transport combiné, prise dans son ensemble, est comparable à une opération de transport bilatérale, au regard de l’objectif poursuivi par les règles prévues à l’article 1^er de la directive 2020/1057.

1236 À cet égard, il ressort de la définition figurant à l’article 1^er de la directive 92/106, auquel l’article 1^er, paragraphe 6, de la directive 2020/1057 renvoie, que les opérations de transport combiné consistent en des transports de marchandises entre États membres pour lesquels la route est utilisée pour la partie initiale ou finale du trajet, tandis que le chemin de fer, une voie navigable ou un parcours maritime excédant une distance minimale est utilisé pour l’autre partie du trajet.

1237 Or, ainsi qu’il découle de son intitulé même, la directive 2020/1057 a pour objet d’établir des règles spécifiques pour le détachement des conducteurs dans le seul secteur du transport routier. De même, ainsi qu’il ressort du point 1210 du présent arrêt, l’objectif poursuivi par cette directive, et plus spécifiquement par l’article 1^er de celle-ci, consiste à prévoir des règles aux fins de la détermination de l’État membre dont les conditions de travail et d’emploi sont garanties aux
conducteurs, qui prennent en compte les particularités de ce secteur, l’application des règles en matière de détachement à un conducteur donné dépendant de l’existence d’un lien suffisant rattachant celui-ci et le service qu’il fournit au territoire de l’État membre d’accueil.

1238 C’est dans cette optique que l’article 1^er, paragraphe 6, de la directive 2020/1057, qui porte sur le traitement qui doit être accordé aux trajets routiers faisant partie d’une opération de transport combiné, exempte des règles en matière de détachement le trajet routier, initial ou final, d’une telle opération lorsque ce trajet routier, pris isolément, se compose d’opérations de transport bilatérales, au sens de l’article 1^er, paragraphe 3, de cette directive.

1239 Or, il convient de rappeler que le législateur de l’Union, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée au point 247^ du présent arrêt, dispose d’une large marge d’appréciation pour définir la politique commune des transports, dont relèvent les mesures prévues par la directive 2020/1057. Cette dernière, adoptée sur le fondement de l’article 91, paragraphe 1, TFUE, implique des choix de nature politique et des appréciations complexes concernant les incidences économiques et sociales de ces
mesures.

1240 Dès lors, et eu égard à la jurisprudence rappelée au point 309 du présent arrêt, dont il ressort que la comparabilité des situations respectives en cause s’apprécie au regard de l’objet et des objectifs de l’acte du droit de l’Union à interpréter, il ne saurait être reproché au législateur de l’Union d’avoir considéré, dans l’exercice de cette marge d’appréciation, que sont susceptibles d’être assimilées à une opération de transport bilatérale aux fins de l’application des règles en matière de
détachement les seules parties d’une opération de transport combiné qui s’effectuent par route et non pas cette dernière opération dans son ensemble.

1241 Cette constatation n’est pas remise en cause par l’argument selon lequel il serait artificiel de scinder une opération de transport combiné en deux trajets routiers séparés lorsque le transport est assuré, pour l’ensemble de cette opération, par le même conducteur. En effet, la circonstance que les marchandises puissent être accompagnées par le même conducteur pendant toute la durée de ladite opération est dépourvue de pertinence à cet égard, dès lors qu’il est constant que l’un des modes de
transport dont est composée cette même opération ne relève pas du champ d’application de la directive 2020/1057, dont l’objet est d’établir des règles spécifiques pour le détachement des conducteurs dans le seul secteur du transport routier.

1242 La constatation exposée au point 1240 du présent arrêt n’est pas non plus remise en cause par la circonstance que, le cas échéant, une opération de transport combiné devrait être considérée comme étant une opération unique poursuivant des fins autres que celles pour lesquelles sont prévues les règles figurant à l’article 1^er de la directive 2020/1057. En effet, à supposer même que cela soit le cas, une telle circonstance n’est pas de nature à démontrer que le législateur de l’Union aurait
méconnu, étant donné la large marge d’appréciation dont il dispose pour définir la politique commune des transports, les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination en considérant que seules les parties d’une opération de transport combiné qui s’effectuent par route sont susceptibles d’être assimilées à une opération de transport bilatérale aux fins de l’application des règles en matière de détachement.

1243 Enfin, le fait qu’un seul des deux trajets routiers dont est composée une opération de transport combiné est considéré comme remplissant les conditions prévues à l’article 1^er, paragraphe 6, de la directive 2020/1057, lu ensemble avec l’article 1^er, paragraphe 3, de cette directive, aux fins de bénéficier d’une exemption au titre de cette disposition, n’est que la conséquence de la prise en compte des caractéristiques spécifiques à chacun de ces trajets. En effet, ainsi qu’il découle du
considérant 12 de ladite directive, lorsqu’un tel trajet routier, pris isolément, peut être assimilé à une opération de transport bilatérale, la nature du service fourni durant ce trajet routier est étroitement liée à l’État membre d’établissement, ce qui justifie l’extension de l’exemption prévue à ce paragraphe 3 audit trajet routier.

1244 Eu égard à ce qui précède, il y a lieu de constater que, en n’assimilant pas les opérations de transport combiné, lorsque le même conducteur accompagne le véhicule et sa cargaison, aux opérations de transport bilatérales visées à l’article 1^er, paragraphe 3, de la directive 2020/1057, le législateur de l’Union n’a pas violé les principes d’égalité de traitement et de non-discrimination.

1245 Cette conclusion n’est pas susceptible d’être remise en cause par l’allégation de la Roumanie, tirée de l’effet discriminatoire global qui résulterait de l’ensemble des dispositions relevant du « Paquet mobilité », faisant l’objet des trois recours introduits par cet État membre dans les affaires C‑546/20 à C‑548/20. En effet, il suffit de relever que la Roumanie n’a pas démontré, dans l’affaire C‑548/20, qu’une discrimination découlerait de la directive 2020/1057 et que les arguments de cet
État membre à cet égard dirigés contre les règlements 2020/1054 et 2020/1055, déjà examinés dans le cadre des recours correspondant aux affaires C‑546/20 et C‑547/20, ont été rejetés.

1246 Il convient, dès lors, de rejeter comme étant non fondés le premier moyen de la République de Lituanie, le deuxième moyen de la République de Bulgarie, le second moyen de la Roumanie, le deuxième moyen de la République de Chypre et le second moyen de la Hongrie avancé à titre subsidiaire.

c)      Sur la violation du principe de proportionnalité 

1247 La République de Lituanie, par ses deuxième et troisième moyens, la République de Bulgarie, par son premier moyen, la Roumanie, par son premier moyen, la République de Chypre, par son premier moyen, la Hongrie, par son premier moyen avancé à titre subsidiaire, et la République de Pologne, par son premier moyen, font valoir que l’article 1^er de la directive 2020/1057 ou certaines dispositions de celui–ci ne respectent pas les exigences découlant du principe de proportionnalité.

1248 D’une part, ces États membres contestent que le législateur de l’Union ait procédé à l’examen de la proportionnalité des dispositions figurant à l’article 1^er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057, notamment en raison de l’absence d’analyse d’impact portant sur la version finale de ces dispositions ou de certaines d’entre elles. En particulier, si le troisième moyen de la République de Lituanie est formellement tiré d’une violation du principe de « bonne législation » et des « formes
substantielles », il ressort de l’argumentation avancée à son appui que cet État membre vise, en réalité, à démontrer une violation du principe de proportionnalité au motif que les effets de l’article 1^er, paragraphe 3, de cette directive n’ont pas été dûment évalués. De même, à cet égard, si, dans le cadre de son premier moyen avancé à titre subsidiaire, la Hongrie fait formellement valoir une erreur manifeste d’appréciation et une violation du principe de proportionnalité, son argumentation dans
ce contexte vise uniquement à démontrer une violation de ce dernier principe.

1249 D’autre part, lesdits États membres, à l’exception de la Hongrie, contestent la proportionnalité en tant que telle des critères ou de certains d’entre eux, prévus à l’article 1^er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057, aux fins de la détermination des situations dans lesquelles les règles en matière de détachement sont applicables aux conducteurs dans le secteur du transport routier.

1)      Sur l’accomplissement par le législateur de l’Union d’un examen de la proportionnalité de l’article 1^er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057

i)      Argumentation des parties

1250 La République de Bulgarie et la République de Chypre rappellent que le législateur de l’Union a décidé d’appliquer aux opérations de transport tiers, sans seuil temporel, les règles en matière de détachement, tout en exemptant de ces règles les opérations de transport bilatérales. Or, le Parlement et le Conseil n’auraient disposé d’aucune analyse d’impact de cette législation, alors même qu’une telle analyse aurait été demandée à plusieurs reprises par plusieurs États membres, ni d’aucune autre
information qui aurait pu confirmer que cette différence de traitement entre opérations de transport bilatérales et opérations de transport tiers était proportionnée. En effet, la proposition de directive « détachement » prévoyait une approche fondamentalement différente.

1251 La République de Lituanie fait valoir que l’article 1^er, paragraphe 3, de la directive 2020/1057 méconnaît le principe de « bonne législation », en ce que les effets de cette disposition n’ont pas été dûment évalués.

1252 Cet État membre souligne, à cet égard, que, en vertu de l’article 11, paragraphe 3, TUE, la Commission a l’obligation, en vue d’assurer la cohérence et la transparence des actions de l’Union, de procéder à de larges consultations des parties concernées. L’article 2 du protocole sur les principes de subsidiarité et de proportionnalité imposerait également à la Commission une obligation analogue de procéder à de larges consultations. Il en irait de même de l’article 5 de ce protocole, qui dispose
que les projets d’actes législatifs sont motivés au regard des principes de subsidiarité et de proportionnalité et exige que tout projet d’acte législatif comporte des éléments circonstanciés permettant d’apprécier le respect de ces principes, ce dont il découlerait que ces projets doivent tenir compte de la nécessité de faire en sorte que toute charge incombant aux opérateurs économiques soit la moins élevée possible et à la mesure de l’objectif à atteindre. Par ailleurs, en vertu de l’accord
interinstitutionnel, il appartiendrait à la Commission de procéder à une analyse d’impact de ses initiatives législatives qui sont susceptibles d’avoir une incidence économique, environnementale ou sociale importante.

1253 Certes, il serait possible de ne pas effectuer d’analyse d’impact dans certains cas. Toutefois, en l’espèce, aucune raison objective n’aurait justifié l’absence d’analyse d’impact et, du reste, les institutions de l’Union n’auraient pas motivé leur décision de ne pas réaliser une telle analyse. L’arrêt du 3 décembre 2019, République tchèque/Parlement et Conseil (C‑482/17, EU:C:2019:1035), invoqué par le Conseil, ne serait pas pertinent en l’espèce, puisque, dans l’affaire ayant donné lieu à cet
arrêt, une analyse d’impact aurait été effectuée, alors que, en l’occurrence, l’incidence des dispositions attaquées n’aurait pas été analysée.

1254 Selon la République de Lituanie, le caractère approprié et nécessaire des analyses d’impact ne saurait être interprété comme relevant d’une appréciation purement subjective, dépendant exclusivement de la volonté du législateur de l’Union. Au contraire, cette appréciation devrait être fondée sur des données objectives existantes, puisqu’il s’agirait du seul moyen de garantir que ce législateur n’abuse pas de sa marge d’appréciation.

1255 La Roumanie formule des critiques en substance analogues à l’égard de l’article 1^er, paragraphes 3 à 6, de la directive 2020/1057. Elle fait notamment valoir que les documents analysant exclusivement la nécessité d’une intervention législative en matière de détachement seraient insuffisants. En effet, l’identification des solutions nécessaires et appropriées pour lutter contre les déficiences constatées n’aurait pu se fonder uniquement sur une évaluation de la situation préexistante du marché
des transports. Il aurait également fallu procéder à une évaluation réelle et exhaustive des conséquences attendues des mesures envisagées. À cet égard, le simple fait que, lors du processus législatif, la Commission aurait indiqué que l’approche du législateur de l’Union garantirait le même objectif que la proposition de directive « détachement » ne pallierait pas l’absence d’analyse d’impact.

1256 La République de Pologne fait valoir que, en l’espèce, rien n’indique que le Parlement et le Conseil disposaient des données nécessaires permettant d’apprécier les effets des dispositions attaquées de l’article 1^er de la directive 2020/1057 sur l’environnement, la situation économique des différents transporteurs et le secteur dans son ensemble. S’agissant, en particulier, des effets économiques, les transporteurs devraient supporter des coûts élevés en raison, d’une part, de la nécessité
d’ajuster la rémunération des conducteurs aux tarifs en vigueur dans les États membres traversés. Selon les informations figurant dans l’analyse d’impact – volet social (partie 1/2, p. 9 et 10), il existerait des différences fondamentales entre les États membres en ce qui concerne les niveaux de salaire des conducteurs. Ces charges seraient disproportionnées par rapport aux avantages retirés par les conducteurs et en termes de concurrence loyale lorsque les opérations de transport dans l’État membre
concerné sont rares ou peu importantes, en particulier, en raison de leur durée. D’autre part, les coûts administratifs liés à l’application de la réglementation nationale de l’État membre d’accueil relative au salaire des conducteurs pourraient atteindre jusqu’à 14 000 euros par an pour un seul transporteur, sans compter les frais liés aux contrôles et aux amendes éventuelles.

1257 La hausse des coûts et les difficultés liées aux opérations de transport tiers et de cabotage limiteraient le nombre de ce type d’opérations, ce qui, à son tour, aurait une incidence sur l’augmentation des parcours à vide et conduirait, par conséquent, à une baisse générale du niveau de sécurité du trafic routier sur les principales voies de communication dans l’Union ainsi qu’à une baisse de performance du transport routier. Ceci se traduirait également par une augmentation des émissions
polluantes.

1258 Pour des raisons en substance analogues à celles résumées aux points 1250 à 1257 du présent arrêt, la Hongrie fait valoir que l’absence totale d’analyse d’impact est constitutive d’une erreur manifeste d’appréciation du législateur de l’Union et d’une violation du principe de proportionnalité.

1259 En particulier, dans une communication du 15 avril 2020 (Communication de la Commission au Parlement européen conformément à l’article 294, paragraphe 6, [TFUE] concernant la position du Conseil sur l’adoption d’un règlement modifiant le règlement n^o 1071/2009, le règlement n^o 1072/2009 et le règlement n^o 1024/2012 en vue de les adapter aux évolutions du secteur ; d’un règlement modifiant le règlement n^o 561/2006 en ce qui concerne les exigences minimales relatives aux durées maximales de
conduite journalière et hebdomadaire et à la durée minimale des pauses et des temps de repos journalier et hebdomadaire, et le règlement n^o 165/2014 en ce qui concerne la localisation au moyen de tachygraphes ; et d’une directive modifiant la directive 2006/22 quant aux exigences en matière de contrôle et établissant des règles spécifiques en ce qui concerne la directive 96/71 et la directive 2014/67 pour le détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier et modifiant le
règlement n^o 1024/2012 [COM(2020) 151 final]), la Commission aurait estimé que les restrictions applicables aux opérations de transport combiné seraient source de problèmes, notamment en raison du fait que ces restrictions pourraient réduire l’efficacité du soutien aux opérations de transport de marchandises multimodal.

1260 Le Parlement et le Conseil font valoir que ces moyens et ces arguments ne sont pas fondés.

ii)    Appréciation de la Cour

1261 S’agissant de l’argumentation relative à la prétendue absence d’analyse d’impact ou insuffisance de celle-ci, il y a lieu de rappeler que, dans la proposition de directive « détachement », la Commission avait proposé un système dans le cadre duquel, en partant de la prémisse selon laquelle la directive 96/71 s’appliquait au secteur du transport routier, deux des neuf éléments des conditions de travail et d’emploi de l’État membre d’accueil énumérés à l’article 3, paragraphe 1, de cette
directive, à savoir la durée minimale des congés annuels payés et la rémunération, ne s’appliqueraient pas aux détachements d’une durée égale ou inférieure à trois jours par mois lorsque les conducteurs effectuent des opérations de transport international, au sens des règlements n^os 1072/2009 et 1073/2009. En revanche, selon cette proposition, si la période de détachement dépassait ce seuil de trois jours, l’ensemble des neuf éléments desdites conditions de travail et d’emploi aurait été applicable
à toute la période de détachement pendant le mois visé.

1262 Ainsi, selon ladite proposition, les conducteurs effectuant des opérations de transport international auraient, dans tous les cas, été détachés et la plupart des conditions de travail et d’emploi de l’État membre d’accueil énumérées à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 96/71 auraient été applicables à ces conducteurs. En outre, il aurait appartenu aux employeurs de comptabiliser le temps que chaque conducteur passe chaque mois dans différents États membres afin de déterminer si les
règles de ces derniers concernant la durée minimale des congés annuels payés et la rémunération, visées à cette disposition, s’appliquent également.

1263 Ayant estimé que cette solution n’était pas satisfaisante, le législateur de l’Union a opté finalement pour une mesure consistant à distinguer entre différents types d’opérations de transport. Ainsi, l’article 1^er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057, lu à la lumière du considérant 13 de celle–ci, prévoit l’exemption des règles en matière de détachement, et donc de l’ensemble des conditions de travail et d’emploi de l’État membre d’accueil, pour toute opération de transport
bilatérale, pour toute opération de transit ainsi que pour certaines parties d’une opération de transport combiné, tandis qu’il soumet, en principe, tant les opérations de transport tiers que les opérations de cabotage à ces règles.

1264 Il est donc constant que l’analyse d’impact – volet social n’a pas examiné les effets découlant de la solution finalement retenue et que cette dernière n’a pas fait l’objet d’une analyse d’impact complémentaire.

1265 Il convient, toutefois, de souligner que, conformément à la jurisprudence rappelée aux points 218 à 226^ du présent arrêt, une analyse d’impact ne lie pas le législateur de l’Union, celui–ci restant libre d’adopter des mesures autres que celles qui en ont fait l’objet. Il découle également de cette jurisprudence que, aux fins de l’appréciation de la proportionnalité des mesures qu’il adopte, le législateur de l’Union peut tenir compte non seulement de l’analyse d’impact concernée, mais
également de toute autre source d’information, y compris de celles se trouvant dans le domaine public.

1266 Partant, le seul fait que, en l’occurrence, le législateur de l’Union a adopté, dans la directive 2020/1057, des dispositions différentes et, du reste, pour certaines, plus contraignantes pour les entreprises de transport par route que celles proposées initialement par la Commission dans la proposition de directive « détachement » et qui avaient fait l’objet de l’analyse d’impact – volet social ne saurait, à lui seul, démontrer que le législateur de l’Union a méconnu le principe de
proportionnalité.

1267 Contrairement à ce que suggèrent la République de Lituanie et, dans une moindre mesure, la Roumanie, ces considérations ne sont en rien remises en cause par les stipulations de l’accord interinstitutionnel. En effet, s’il est vrai que le point 15 de cet accord indique que « le Parlement et le Conseil effectueront des analyses d’impact des modifications substantielles qu’ils apportent à la proposition de la Commission », ce point ne contient, ainsi qu’il a déjà été indiqué aux points 224 et 231
du présent arrêt, aucune obligation ferme à charge de ces institutions, puisqu’il prévoit uniquement la faculté de procéder à une telle analyse d’impact lorsque, selon ses termes explicites, le Parlement et le Conseil « le jugeront approprié et nécessaire aux fins du processus législatif ».

1268 Par conséquent, il convient, en premier lieu, d’examiner les autres sources d’informations dont font état le Parlement et le Conseil afin de vérifier si, ainsi que le soutiennent ces institutions, elles permettaient, ensemble avec l’analyse d’impact – volet social, d’apprécier les effets découlant de la distinction opérée à l’article 1^er, paragraphes 3 et 4, de la directive 2020/1057, lu ensemble avec son considérant 13, entre opérations de transport tiers et opérations de transport
bilatérales.

1269 À cet égard, il y a lieu de relever que, compte tenu de la nature des règles prévues à l’article 1^er de la directive 2020/1057, les coûts d’exploitation et de mise en conformité ainsi que les économies éventuellement réalisées, induits pour une entreprise donnée par la mise en œuvre de ces règles, dépendent de la mesure dans laquelle cette entreprise effectue différents types d’opérations de transport. Or, ainsi que le souligne le Conseil, le législateur de l’Union disposait des données
publiées par Eurostat relatives aux différents types d’opérations menées, en particulier de celles figurant dans une étude concernant la période 2014-2018 [« Road freight transport by journey characteristics » (Transport de fret par route selon les caractéristiques du trajet), p. 3 à 5, 10 et 11] et dans un tableau relatif à l’année 2018. Dès lors que ces données permettaient de déterminer le volume des opérations de transport tiers et des opérations de transport bilatérales effectué par année entre
une paire donnée d’États membres, elles pouvaient constituer une source d’informations pertinentes pour le législateur de l’Union en vue d’apprécier la proportionnalité de la distinction entre opérations de transport tiers et opérations de transport bilatérales finalement retenue dans la directive 2020/1057. 

1270 Par ailleurs, de telles données permettent, à leur tour, d’apprécier la mesure dans laquelle les conducteurs des différents États membres seront considérés comme étant détachés dans d’autres États membres, aux fins des règles prévues à l’article 1^er, paragraphes 3 et 4, de la directive 2020/1057, lu ensemble avec son considérant 13.

1271 Ainsi que le Conseil l’a également soutenu devant la Cour, ces données relatives aux différents types d’opérations de transport, associées aux informations contenues dans l’analyse d’impact – volet social (partie 1/2, p. 62 à 65) et à celles qui figurent dans les études accessibles au public sur lesquelles repose cette analyse, telles que, en particulier, l’étude de la Commission (DG Move), intitulée « Support study for an impact assessment for the revision of the social legislation in road
transport. Final report » [(« Étude soutenant l’analyse d’impact en vue de la révision de la législation sociale dans le transport routier. Rapport final »), mai 2017, p. 62 à 76], et qui portent, notamment, sur les écarts de salaire entre différentes paires d’États membres, permettent d’estimer les coûts découlant de la distinction établie à l’article 1^er, paragraphes 3 et 4, de la directive 2020/1057, lu ensemble avec son considérant 13, entre opérations de transport tiers et opérations de
transport bilatérales.

1272 À cet égard, il importe de souligner que les États membres requérants ayant contesté l’absence ou l’insuffisance d’analyse d’impact de la directive 2020/1057 n’ont pas expliqué en quoi les constatations du Conseil, telles qu’exposées aux points 1269 à 1271 du présent arrêt, seraient erronées. De même, il n’a pas non plus été expliqué en quoi les conclusions générales figurant dans l’analyse d’impact – volet social (partie 1/2, p. 60), selon lesquelles les incidences sur la sécurité routière et
la santé au travail seront marginales, ne seraient pas transposables au modèle finalement retenu.

1273 Dans ces conditions, le législateur de l’Union disposait d’éléments suffisants pour évaluer les effets découlant de la distinction entre opérations de transport bilatérales et opérations de transport tiers, figurant à l’article 1^er, paragraphes 3 et 4, de la directive 2020/1057, lu ensemble avec le considérant 13 de celle-ci.

1274 En deuxième lieu, il ne saurait être reproché au législateur de l’Union de ne pas avoir examiné les effets découlant de l’article 1^er, paragraphe 5, de la directive 2020/1057, en vertu duquel les opérations de transit bénéficient d’une exemption des règles en matière de détachement, et de l’article 1^er, paragraphe 7, de cette directive, en vertu duquel les opérations de cabotage sont considérées comme impliquant une situation de détachement, de telle sorte que lesdites règles doivent être
appliquées.

1275 À cet égard, il suffit de relever que, ainsi qu’il ressort du point 1179 du présent arrêt, la Cour a déjà jugé, dans le cadre de son interprétation de la directive 96/71 telle qu’elle s’appliquait avant l’entrée en vigueur de la directive 2020/1057, que les règles en matière de détachement prévues par la directive 96/71 ne s’appliquaient pas aux opérations de transit, tandis que, en revanche, elles s’appliquaient, en principe, aux opérations de cabotage se déroulant entièrement sur le
territoire de l’État membre d’accueil.

1276 Aucune modification des règles de fond applicables ne pouvant ainsi être spécifiquement attribuée à l’article 1^er, paragraphes 5 et 7, de la directive 2020/1057, l’argument visant à démontrer qu’une analyse d’impact complémentaire aurait été nécessaire concernant ces dispositions doit être rejeté.

1277 En troisième lieu, pour autant que la Hongrie reproche, en substance, au législateur de l’Union d’avoir commis une violation du principe de proportionnalité en adoptant l’article 1^er, paragraphe 6, de la directive 2020/1057 sans avoir examiné les effets de cette disposition, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort du considérant 12 de cette directive, le législateur de l’Union a considéré que la nature du service fourni durant le trajet routier, initial ou final, d’une opération de
transport combiné est étroitement liée à l’État membre d’établissement si ce trajet routier, pris isolément, est une opération de transport bilatérale et que l’existence, dans un tel cas, d’un lien de rattachement suffisant avec le territoire d’un État membre d’accueil fait défaut, de sorte que l’application des règles en matière de détachement ne se justifie pas. En revanche, lorsque l’opération de transport durant le trajet routier en question est effectuée dans l’État membre d’accueil ou à titre
d’opération de transport tiers, il existe un tel lien de rattachement suffisant avec le territoire d’un État membre d’accueil, de sorte que les règles en matière de détachement doivent s’appliquer.

1278 Or, il est constant que l’application des règles en matière de détachement au transport combiné, telles que prévues à l’article 1^er, paragraphe 6, de la directive 2020/1057, n’a pas non plus été abordée dans l’analyse d’impact – volet social. En effet, alors que, ainsi qu’il ressort des points 1261 à 1264 du présent arrêt, la Commission avait envisagé, dans la proposition de directive « détachement » élaborée sur la base de cette analyse d’impact, d’adopter un critère relatif à la durée de
l’opération de transport afin de déterminer les circonstances dans lesquelles lesdites règles seraient d’application, le législateur de l’Union a finalement opté, dans la directive 2020/1057, pour une approche consistant à distinguer entre différentes catégories d’opérations de transport, parmi lesquelles figurent les opérations de transport combiné.

1279 Il convient, dès lors, d’examiner si, en l’occurrence, les éléments dont avaient connaissance le Parlement et le Conseil étaient suffisants pour leur permettre d’apprécier la proportionnalité de l’exemption figurant à l’article 1^er, paragraphe 6, de la directive 2020/1057.

1280 À cet égard, il ressort des éléments soumis à la Cour que le législateur de l’Union disposait d’un nombre important d’informations sur le transport combiné provenant des travaux préparatoires relatifs aux modifications proposées de la directive 92/106. Ces informations figuraient, notamment, dans l’analyse d’impact concernant la révision de cette directive [analyse d’impact de la Commission accompagnant la proposition COM(2017) 648, SWD(2017) 362], dans un document établi au cours de
l’année 2015 à la demande de la Commission et contenant des données sur le transport combiné [KombiConsult, « Analysis of the EU Combined Transport » (Analyse du transport combiné UE), 2015], dans la mise à jour de ces données effectuée au cours de l’année 2017 [ISL/KombiConsult, « Updating EU combined transport data » (Mise à jour des données sur le transport combiné UE), 2017], dans un complément datant de l’année 2018 sur ces mêmes données [TRT Trasporti e Territorio srl, « Gathering additional
data on EU combined transport » (Compilation de données supplémentaires sur le transport combiné UE), 2017] ainsi que dans une consultation commandée par la Commission à l’appui de l’analyse d’impact (KombiConsult, « Consultations and related analysis in the framework of impact assessment for the amendment of Combined Transport Directive (92/106/EEC) » [Consultations et analyses y relatives dans le cadre de l’évaluation de l’impact des amendements à la directive sur le transport combiné
(92/106/CEE)], 2017).

1281 En particulier, l’étude intitulée « Analysis of the EU Combined Transport » (« Analyse du transport combiné UE ») (p. 175 à 177) proposait un examen détaillé du marché du transport combiné accompagné et non accompagné, en offrant, notamment, une présentation des services de l’ensemble des six entreprises fournissant des services routiers accompagnés dans l’Union ainsi que des plus grands fournisseurs du transport combiné par route/rail non accompagné. Cette étude exposait aussi des données
relatives aux distances impliquées par le trajet initial ou final du transport combiné par route/rail (p. 67 à 70). Par ailleurs, l’analyse d’impact de la Commission accompagnant la proposition de directive modifiant la directive 92/106, visée au point 1280 du présent arrêt, présentait des données relatives, d’une part, aux distances moyennes, médianes et plus larges des trajets routiers et non routiers du transport combiné et, d’autre part, au type ainsi qu’au volume du transport multimodal qui
relève de la notion de « transport combiné », au sens de la directive 92/106 et, dès lors, tombe dans le champ d’application de l’article 1^er, paragraphe 6, de la directive 2020/1057.

1282 Il ressort ainsi des éléments contenus dans les documents communiqués à la Cour dans le cadre des présents recours, dont l’utilité n’est pas spécifiquement contestée par la Hongrie, que, aux fins de l’adoption de la directive 2020/1057, le législateur de l’Union disposait de données de base pertinentes relatives au marché du transport combiné. Ces données, associées à d’autres informations que détenait le législateur de l’Union, notamment à celles portant sur les écarts de salaire entre
différentes paires d’États membres, auxquelles il est fait référence au point 1271 du présent arrêt, lui ont permis d’apprécier l’incidence des critères relatifs à l’application des règles en matière de détachement au transport combiné prévus à l’article 1^er, paragraphe 6, de la directive 2020/1057. Ainsi, le législateur de l’Union avait en sa possession des éléments suffisants lui permettant de fonder le choix de ces critères dans le cadre de l’exercice de sa large marge d’appréciation.

1283 Les considérations qui précèdent ne sauraient être remises en cause par l’argumentation de la République de Pologne relative à la prétendue absence de prise en compte de l’effet cumulatif négatif des dispositions attaquées de la directive 2020/1057 et de celles du règlement 2020/1055. En effet, si, par cette argumentation, cet État membre semble reprocher au législateur de l’Union une incohérence dans les choix sous–tendant les dispositions attaquées de chacun de ces actes, il suffit de relever
à cet égard que, ainsi que le soutient le Parlement, le « Paquet mobilité » se compose de plusieurs actes législatifs qui poursuivent des objectifs, certes complémentaires, mais néanmoins différents. Il ne saurait, dès lors, être considéré que ce législateur a violé le principe de proportionnalité au seul motif que les conditions imposées par le règlement 2020/1055 pour démontrer qu’une entité économique dispose d’un établissement stable et effectif dans un État membre seraient différentes des
critères prévus par les dispositions de la directive 2020/1057 aux fins de l’application des règles en matière de détachement aux conducteurs de transport routier.

1284 Il convient, dès lors, de rejeter comme étant non fondée l’argumentation selon laquelle le législateur de l’Union n’aurait pas procédé à l’examen de la proportionnalité de l’article 1^er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057.

2)      Sur la proportionnalité de l’article 1^er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057

i)      Argumentation des parties

1285 Selon la République de Bulgarie et la République de Chypre, des effets néfastes découleraient de la distinction retenue, dans la directive 2020/1057, entre les opérations de transport tiers et les opérations de transport bilatérales en termes de coûts de mise en conformité avec les nouvelles exigences ainsi que de coûts liés à la documentation de chaque détachement et à l’application des règles de l’État membre d’accueil. Les conducteurs cumuleraient souvent des opérations de transport tiers
avec des opérations de transport bilatérales. Or, l’exonération de l’application des règles en matière de détachement ne profiterait pas à toutes les opérations de transport tiers effectuées en même temps que des opérations de transport bilatérales. Il serait donc très compliqué pour le transporteur d’apprécier quand il y a détachement et quand il n’y en a pas. La directive 2020/1057 omettrait également de préciser comment calculer les heures durant lesquelles un conducteur doit être considéré comme
étant détaché dans un État membre particulier. Il en résulterait une lourde charge pour ces transporteurs, dont la majorité sont des PME.

1286 La charge imposée aux transporteurs effectuant des opérations de transport tiers, devenue ainsi difficile à supporter, pourrait entraîner une réorientation vers d’autres types d’activités, une délocalisation dans des pays tiers, une réduction du chiffre d’affaires, voire la faillite de transporteurs. Il serait, par ailleurs, probable que cette charge génère des inefficiences et aggrave l’impact environnemental du transport routier. Elle risquerait, en outre, de fausser la concurrence, dans la
mesure où la directive 2020/1057 n’impose aucune obligation et ne s’applique pas aux transporteurs établis en dehors de l’Union.

1287 Il serait possible de distinguer trois objectifs légitimes poursuivis par la directive 2020/1057, à savoir, premièrement, des conditions de travail ainsi qu’une protection sociale satisfaisantes pour les conducteurs, deuxièmement, des conditions adéquates pour les entreprises de transport et la nécessité d’une concurrence loyale entre celles-ci, ainsi que, troisièmement, la liberté de fournir des services transfrontaliers. Toutefois, non seulement cette directive ne parviendrait pas à maintenir
un équilibre entre lesdits objectifs, mais, en outre, elle ne permettrait la réalisation d’aucun d’entre eux.

1288 En effet, en ce qui concerne le premier objectif, la rémunération plus élevée dont pourraient profiter les conducteurs ne porterait, le plus souvent, que sur de brèves périodes passées dans l’État membre de chargement ou de déchargement, si bien que les conditions de travail et la protection sociale des conducteurs n’en seraient que très légèrement améliorées.

1289 S’agissant du deuxième objectif, le fait pour les entreprises effectuant des opérations de transport tiers de se voir appliquer les règles en matière de détachement, alors que les entreprises effectuant des opérations de transport bilatérales en sont exemptées, favoriserait la concurrence déloyale. En effet, l’avantage comparatif des transporteurs établis dans les États membres situés à la périphérie de l’Union résiderait dans leurs coûts plus faibles, lesquels découleraient, notamment, d’un
coût de la vie moins élevé et de salaires plus bas. En raison des dispositions attaquées de l’article 1^er de la directive 2020/1057, les transporteurs impliqués dans les opérations de transport tiers seraient désormais placés dans une position moins compétitive que les transporteurs effectuant des opérations de transport bilatérales. Cela fausserait la concurrence entre le centre de l’Union, où les transporteurs pratiquent surtout des opérations de transport bilatérales, et les États membres, tels
que la République de Bulgarie et la République de Chypre, où les transporteurs effectuent surtout des opérations de transport tiers.

1290 Pour ce qui est du troisième objectif, ces dispositions restreindraient la liberté de fournir des services transfrontaliers en raison de l’augmentation des coûts qu’elles induisent.

1291 Selon la République de Bulgarie et la République de Chypre, il ne serait ni approprié ni nécessaire de distinguer entre opérations de transport bilatérales et opérations de transport tiers aux fins de l’application des règles en matière de détachement. Il n’existerait, dans l’un comme dans l’autre cas, pas de lien de rattachement suffisamment fort avec chacun des pays que le conducteur traverse. Abstraction faite de l’État membre de départ ou de destination, les travailleurs effectuant une
opération de transport bilatérale accompliraient le même travail que les travailleurs effectuant une opération de transport tiers. L’État membre de départ ou de destination n’aurait aucune incidence sur le lien entre le conducteur et l’État membre d’accueil. En revanche, il existerait un rattachement évident à un territoire dans le cadre des opérations de cabotage.

1292 De l’avis de la République de Bulgarie et de la République de Chypre, la mesure appropriée consisterait à exempter intégralement le transport international de l’application des règles en matière de détachement. Une telle exemption serait justifiée par la situation particulière du transport international et sa nature extrêmement mobile, situation caractérisée par l’absence de lien de rattachement suffisant avec le territoire des États membres autres que l’État membre d’établissement. Ainsi, une
exemption totale permettrait d’atteindre tous les objectifs poursuivis. Quant à la solution consistant à appliquer, avec un seuil temporel, les règles en matière de détachement à l’ensemble du secteur du transport international, elle serait, certes, plus appropriée que le modèle retenu, mais elle n’en poserait pas moins de graves problèmes, puisque son impact serait toujours disproportionné en termes de coûts, de charges administratives imposées aux PME ainsi que de difficultés liées à
l’interprétation et à l’application des règles. Une approche alternative qui apporterait de la clarté serait celle suivie par la Cour au point 48 de l’arrêt du 1^er décembre 2020, Federatie Nederlandse Vakbeweging (C‑815/18, EU:C:2020:976), consistant à présumer l’existence d’un lien de rattachement suffisant en cas d’accomplissement, dans le cadre d’opérations de transport tiers, d’un minimum de tâches déterminées, dans un État membre spécifique et au cours d’un mois donné, par exemple des travaux
de chargement ou de déchargement de marchandises, d’entretien ou de nettoyage des véhicules de transport.

1293 La République de Lituanie fait valoir que l’article 1^er, paragraphe 3, de la directive 2020/1057 viole le principe de proportionnalité, puisque les critères prévus à cette disposition sont manifestement inappropriés en raison des conséquences économiques et sociales néfastes qu’elle génère. En effet, les règles relatives au détachement seraient destinées, en principe, à compenser les frais supplémentaires que le travailleur supporte du fait qu’il exécute ses obligations de travail dans un État
membre autre que celui de sa résidence habituelle. Cependant, dans les cas de cabotage de courte durée et de transport tiers, les conducteurs n’auraient habituellement aucun lien de rattachement avec l’État membre d’accueil, ne passeraient généralement que très peu de temps dans ce dernier et supporteraient, dès lors, seulement des frais minimaux dans celui-ci.

1294 En outre, le critère fondé sur le type d’opérations de transport aux fins de l’application ou non des règles relatives au détachement engendrerait une discrimination indirecte pour les entreprises de transport établies dans les États membres situés à la périphérie de l’Union, découragerait la prestation de services à court terme et, en substance, restreindrait la concurrence, aux dépens, en particulier, des PME qui représentent 99 % du marché du transport routier dans l’Union. Il serait
d’ailleurs probable que ces règles aient pour effet d’inciter les PME à cesser d’effectuer des opérations de transport tiers ou à transférer leurs activités dans les États membres situés au centre de l’Union ou autour de celui–ci. Jusqu’à l’adoption de la directive 2020/1057, aucune charge administrative n’aurait existé en la matière.

1295 La République de Lituanie souligne que le critère de la durée constitue un exemple de critère objectif qui établirait l’existence d’un lien factuel avec l’État membre dans lequel le travail est effectivement accompli, sans que soit cependant rejetée la possibilité d’appliquer d’autres critères si ceux–ci sont objectivement justifiés, assurent un lien de rattachement suffisant avec l’État membre dans lequel le travail est accompli et sont conformes au principe de proportionnalité. En outre,
lorsque la Cour a apprécié le critère temporel dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 1er décembre 2020, Federatie Nederlandse Vakbeweging (C815/18, EU:C:2020:976Federatie Nederlandse Vakbeweging), elle ne se serait prononcée que sur les opérations de cabotage, et non pas sur les opérations de transport bilatérales et de transport tiers.

1296 La Roumanie fait également valoir que le critère visant à l’identification d’un lien de rattachement suffisant avec un État membre, tel que retenu par le législateur de l’Union, pour l’application des règles en matière de détachement dans le domaine des transports routiers est manifestement inapproprié, car il ne serait pas de nature à établir l’existence d’un lien de rattachement suffisant entre le conducteur et l’État membre d’accueil.

1297 En outre, l’application de ce critère génèrerait des incertitudes en termes d’identification de l’État membre d’accueil et, par conséquent, de la législation applicable. Ainsi, il ne serait pas clairement établi si l’application dudit critère suppose l’identification d’un seul État membre d’accueil avec lequel le conducteur a un lien de rattachement suffisant dans le contexte général de l’opération de transport concernée ou bien si les dispositions légales en vigueur dans tous les États membres
où le chargement ou le déchargement est effectué sont cumulativement applicables.

1298 En tout état de cause, le fait que l’article 1^er, paragraphe 3, troisième et quatrième alinéas, de la directive 2020/1057 prend en considération, en vue de déterminer le lien suffisant rattachant le conducteur au territoire d’un État membre d’accueil, l’existence d’une activité de chargement et/ou de déchargement de marchandises ne serait pas optimal. En effet, ce ne serait qu’occasionnellement, à savoir dans 29 % des cas, que les conducteurs réalisent de telles activités. En outre, la
réglementation du détachement dans le domaine des transports à l’aune du critère de l’opération de transport aurait des conséquences directes sur le marché, à savoir que tant les opérations de transport tiers que les opérations de transport combiné seraient découragées, alors que ces dernières seraient importantes pour la réduction des émissions polluantes des transports. 

1299 Ainsi qu’il ressortirait également de l’analyse d’impact – volet social, le manque de souplesse des règles sociales applicables au domaine des transports génèrerait des situations de non–respect de la législation. Ainsi, en cas de modification, durant l’activité de transport, du nombre d’activités supplémentaires associées à une opération de transport bilatérale, de nature à rendre le régime de détachement applicable, le transporteur pourrait être dans l’impossibilité de soumettre une
déclaration de détachement aux autorités nationales compétentes, étant donné que l’article 1^er, paragraphe 11, sous a), de la directive 2020/1057 exigerait le dépôt d’une telle déclaration au plus tard au début du détachement. Le respect de cette disposition serait, dès lors, difficile dans certaines situations en raison des dispositions attaquées de l’article 1^er de cette directive.

1300 Compte tenu des problèmes ainsi mentionnés, tenant au respect du principe de sécurité juridique, la directive 2020/1057 serait de nature à perturber la prestation des services de transport par les PME et à mettre à leur charge des obligations disproportionnées par rapport aux avantages qu’elle implique pour les conducteurs.

1301 Dans l’arrêt du 15 mars 2011, Koelzsch (C‑29/10, EU:C:2011:151, points 44 à 49), la Cour aurait constaté la nécessité de se rapporter à un cumul d’éléments afin d’identifier l’État membre avec lequel le travail présente un lien de rattachement significatif, lorsque des activités de transport sont effectuées dans plusieurs États membres. Le fait de retenir un seul critère, à l’instar de la directive 2020/1057, serait insuffisant et, partant, ne permettrait pas de prouver l’existence d’un tel
lien de rattachement. À cet égard, la Roumanie fait également valoir que l’application de l’élément temporel, à savoir la durée minimale de l’activité, aurait dû être retenue comme critère par cette directive à des fins d’identification du lien de rattachement suffisant avec le territoire de l’État membre d’accueil, en ce qui concerne les types d’opérations autres que le cabotage. La pertinence de l’application de ce critère résulterait aussi bien de l’analyse d’impact – volet social que de la
lecture du cadre juridique général applicable au détachement. En effet, l’absence de lien de rattachement significatif avec le territoire de l’État membre d’accueil dans l’hypothèse d’une activité effectuée pendant une courte période découlerait, notamment, de l’article 3, paragraphe 4, de la directive 96/71, qui reconnaîtrait aux États membres le droit de déroger aux obligations en matière de détachement lorsque la durée du détachement n’est pas supérieure à un mois.

1302 La République de Pologne fait valoir que l’article 1^er, paragraphes 3, 4, 6 et 7, de la directive 2020/1057 ne respecte pas le principe de proportionnalité en ce que les critères d’application des règles en matière de détachement aux conducteurs, prévus à ces dispositions, ne sont pas objectifs, ne prennent pas en compte des éléments pertinents de la situation qu’ils entendent régir et engendrent des charges disproportionnées pour les entreprises ainsi que des effets négatifs sur
l’environnement.

1303 Ces dispositions ne seraient pas appropriées pour atteindre les objectifs déclarés, puisque, notamment, elles auraient pour effet de limiter les services fournis par les entreprises établies dans les États membres situés à la périphérie de l’Union au lieu d’assurer une concurrence loyale. En effet, les règles en matière de détachement seraient applicables aux opérations de transport tiers et de cabotage dans lesquelles ces entreprises joueraient un rôle prépondérant.

1304 Le législateur de l’Union aurait omis les autres éléments attestant l’existence d’un lien de rattachement entre le conducteur et l’État membre d’accueil, notamment la durée du séjour du conducteur sur le territoire de cet État, ainsi que l’État membre d’établissement. Ainsi qu’il ressortirait de l’analyse d’impact – volet social, le critère temporel correspondrait le mieux au caractère mobile des services de transport. Dans l’arrêt du 15 mars 2001, Mazzoleni et ISA (C‑165/98, EU:C:2001:162), la
Cour aurait jugé qu’il incombait aux autorités compétentes de l’État membre d’accueil, afin de déterminer si l’application de la réglementation de celui-ci imposant un salaire minimal était nécessaire et proportionnée, d’évaluer tous les éléments pertinents, y compris la durée des prestations de services.

1305 En application de la directive 2020/1057, deux conducteurs effectuant une opération de transport sur un même trajet recevraient une rémunération différente selon le lieu du chargement ou du déchargement. En outre, il n’existerait pas de justification objective à l’exemption de certaines opérations de transport entre pays tiers, prévue à l’article 1^er, paragraphes 3 et 4, de cette directive. La République de Pologne ne voit pas non plus d’explication à la réserve selon laquelle l’exemption
relative à deux opérations de transport de marchandises entre pays tiers s’applique au voyage retour à l’issue de l’opération de transport bilatérale en provenance de l’État membre d’établissement, mais pas au trajet jusqu’à l’État membre d’accueil.

1306 De plus, les exemptions prévues par les dispositions attaquées de l’article 1^er de la directive 2020/1057 susciteraient des doutes quant à leur interprétation. Par exemple, il conviendrait de s’interroger sur la détermination du moment où doit commencer l’application des règles de l’État membre d’accueil lorsque le conducteur effectue une activité supplémentaire de chargement ou de déchargement ne relevant pas d’une exemption prévue au paragraphe 3 de cet article 1^er. L’interprétation de
l’article 1^er, paragraphe 4, de cette directive susciterait des doutes analogues. De surcroît, il n’existerait aucune justification objective au fait que deux exemptions pour des activités supplémentaires liées à une opération de transport bilatérale sont autorisées, au titre de ce paragraphe 3, en ce qui concerne le transport de marchandises, alors qu’une seule exemption est prévue pour une activité supplémentaire en cas de transport de personnes.

1307 Le Parlement et le Conseil font valoir que ces moyens et ces arguments ne sont pas fondés.

ii)    Appréciation de la Cour

1308 Il y a lieu de rappeler que l’objectif poursuivi par la directive 2020/1057, au regard duquel la proportionnalité de l’article 1^er, paragraphes 3 à 7, de cette directive doit être examinée, est d’établir, par la fixation de règles spécifiques aux fins de la détermination de l’État membre dont les conditions de travail et d’emploi sont garanties aux conducteurs du transport routier, un équilibre entre, d’une part, l’amélioration des conditions sociales et de travail de ces conducteurs ainsi
que, d’autre part, le fait de rendre plus facile l’exercice de la libre prestation des services de transport routier, sur la base d’une concurrence loyale entre entreprises de transport, cet équilibre tenant compte des particularités liées à l’extrême mobilité de la main d’œuvre dans ce secteur et visant à assurer le bon fonctionnement du marché intérieur. 

1309 La République de Lituanie, la République de Bulgarie, la Roumanie, la République de Chypre et la République de Pologne ne contestent pas la légitimité de cet objectif en tant que tel, mais soutiennent que les critères prévus à l’article 1^er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057 ou certains de ceux-ci méconnaissent, en eux–mêmes, le principe de proportionnalité.

1310 Afin d’apprécier le bien-fondé de tels griefs, il convient, dès lors, d’examiner si ces critères sont aptes à réaliser l’objectif poursuivi, s’ils ne vont pas manifestement au–delà de ce qui est nécessaire pour réaliser cet objectif et s’ils sont proportionnés au regard dudit objectif.

–       Sur l’aptitude de l’article 1^er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057 à réaliser l’objectif poursuivi

1311 En ce qui concerne, en premier lieu, l’aptitude de l’article 1^er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057 à réaliser l’objectif poursuivi, il y a lieu de rappeler que ces dispositions prévoient des critères fondés sur le type d’opérations de transport réalisé et que, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 968 de ses conclusions, chaque type de transport visé dans lesdites dispositions présente un lien de rattachement différent soit avec le territoire de l’État membre
d’établissement du transporteur, soit avec le territoire d’un ou de plusieurs États membres d’accueil.

1312 En particulier, ainsi qu’il ressort de l’article 1^er, paragraphes 3 et 4, de la directive 2020/1057, un conducteur effectuant une opération de transport bilatérale de marchandises ou de voyageurs n’est pas considéré comme étant détaché, aux fins de la directive 96/71, puisque, ainsi qu’il découle du considérant 10 de la directive 2020/1057, dans un tel cas, la nature du service est étroitement liée à l’État membre d’établissement. En revanche, ainsi qu’il ressort du considérant 13 de cette
directive, un conducteur effectuant une opération de transport tiers est considéré comme étant détaché à ces fins, puisque ce conducteur et cette opération présentent un lien de rattachement suffisant avec le territoire de l’État membre d’accueil. Par ailleurs, certaines activités supplémentaires de chargement et/ou de déchargement de marchandises ainsi que de prise en charge et/ou de dépôt de voyageurs dans les États membres ou les pays tiers que le conducteur traverse sont exemptées des règles en
matière de détachement conformément à l’article 1^er, paragraphe 3, troisième à cinquième alinéas, et paragraphe 4, troisième et quatrième alinéas, de ladite directive, au motif que ces activités supplémentaires sont liées à une opération de transport bilatérale, elle–même exemptée en raison de son lien de rattachement avec le territoire de l’État membre d’établissement, et qu’elles ne présentent pas une portée telle qu’elles puissent être de nature à remettre en cause ce lien de rattachement.

1313 Pareillement, il ressort de l’article 1^er, paragraphe 5, de la directive 2020/1057, lu ensemble avec son considérant 11, qu’un conducteur effectuant une opération de transit consistant à traverser un État membre sans effectuer de chargement ou de déchargement de marchandises et sans prendre ou déposer de voyageurs n’est pas considéré comme étant détaché. En effet, dans un tel cas, il n’existe pas de lien de rattachement significatif entre les activités du conducteur et l’État membre de
transit.

1314 En revanche, ainsi qu’il ressort de l’article 1^er, paragraphe 7, de cette directive, lu ensemble avec son considérant 13, un conducteur effectuant une opération de cabotage est considéré comme étant détaché puisque toute l’opération de transport se déroule dans un État membre d’accueil, si bien que le service est étroitement lié au territoire de ce dernier État membre.

1315 Enfin, en vertu de l’article 1^er, paragraphe 6, de la directive 2020/1057, un conducteur effectuant le trajet routier, initial ou final, d’une opération de transport combiné n’est pas considéré comme étant détaché si ce trajet routier, pris isolément, se compose d’opérations de transport bilatérales. En effet, dans un tel cas, ainsi qu’il ressort du considérant 12 de cette directive, la nature du service fourni durant ledit trajet est étroitement liée à l’État membre d’établissement, alors
que, lorsque l’opération de transport durant le trajet routier en question est effectuée dans l’État membre d’accueil ou à titre d’opération de transport tiers, il existe un lien de rattachement suffisant avec le territoire de l’État membre d’accueil, si bien que les règles en matière de détachement s’appliquent.

1316 Il s’ensuit que, ainsi que le Conseil le soutient à juste titre et que M. l’avocat général l’a relevé au point 969 de ses conclusions, en retenant, à l’article 1^er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057, des critères fondés sur le type d’opérations de transport, le législateur de l’Union n’a pas uniquement pris en considération le territoire sur lequel le conducteur est présent, mais il a comparé, pour chaque type de service fourni, le lien le rattachant à l’État membre d’accueil et le
lien le rattachant à l’État membre d’établissement, et ce afin de parvenir à un juste équilibre entre les divers intérêts en cause.

1317 Du reste, dans le cadre de son interprétation des dispositions de la directive 96/71, telles qu’elles s’appliquaient avant l’entrée en vigueur de la directive 2020/1057, la Cour a jugé qu’un travailleur devait être considéré comme étant détaché sur le territoire d’un État membre au sens de la directive 96/71 si l’exécution de son travail présente un lien de rattachement suffisant avec ce territoire (voir, en ce sens, arrêt du 1^er décembre 2020, Federatie Nederlandse Vakbeweging, C‑815/18,
EU:C:2020:976, point 45 et jurisprudence citée).

1318 Après avoir, dans cet arrêt, relevé que le constat de l’existence d’un lien de rattachement suffisant avec le territoire d’un État membre d’accueil supposait de procéder à une appréciation globale de l’ensemble des éléments qui caractérisent l’activité du travailleur concerné, la Cour a identifié, en outre, d’une part, certains types d’opérations de transport routier qui devaient être considérés comme présentant un tel lien de rattachement et, dès lors, comme impliquant une situation de
détachement et, d’autre part, d’autres types d’opérations de transport routier qui, au contraire, ne présentaient pas ce lien de rattachement et qui devaient, partant, être exemptés des règles en matière de détachement. En particulier, la Cour a constaté qu’un conducteur effectuant une opération de transit ou une opération de transport bilatérale ne pouvait pas être considéré comme étant « détaché », aux fins de la directive 96/71, tandis qu’un conducteur effectuant une opération de cabotage devait,
en principe, être considéré comme tel (voir, en ce sens, arrêt du 1^er décembre 2020, Federatie Nederlandse Vakbeweging, C‑815/18, EU:C:2020:976, points 45, 49, 62, 63 et 65 ainsi que jurisprudence citée).

1319 Ce faisant, la Cour a implicitement mais nécessairement reconnu le caractère approprié, aux fins de déterminer l’existence d’un lien de rattachement suffisant entre un conducteur effectuant un transport routier international et l’État membre d’accueil, justifiant l’application à ce conducteur des règles en matière de détachement, d’une part, de l’approche consistant à identifier l’existence d’un tel lien de rattachement en fonction du type d’opération concerné et, d’autre part, de la
pertinence, dans ce contexte, de certains des types particuliers d’opérations énumérés à l’article 1^er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057, lu ensemble avec le considérant 13 de celle–ci, à savoir les opérations de transport bilatérales et de transit, auxquelles ces règles ne sont pas applicables, et les opérations de transport tiers et de cabotage, auxquelles lesdites règles peuvent être applicables.

1320 Certes, les modalités d’application des règles en matière de détachement aux opérations de transport tiers au titre de la directive 96/71, telle qu’interprétée par la Cour dans la jurisprudence exposée aux points 1317 à 1319 du présent arrêt, si elles s’inscrivent dans la même logique, ne sont pas strictement les mêmes que celles résultant de l’application des dispositions de la directive 2020/1057.

1321 En particulier, premièrement, avant l’entrée en vigueur de la directive 2020/1057, il était nécessaire d’effectuer une appréciation globale de l’ensemble des éléments qui caractérisent l’activité du conducteur effectuant des opérations de transport tiers afin de déterminer si l’exécution de son travail présentait un lien de rattachement suffisant avec le territoire de l’État membre d’accueil (voir, en ce sens, arrêt du 1^er décembre 2020, Federatie Nederlandse Vakbeweging, C‑815/18,
EU:C:2020:976, points 45 et 51). En revanche, au titre de l’article 1^er, paragraphes 3 et 4, de cette directive, lu à la lumière du considérant 13 de celle–ci, un tel lien de rattachement est considéré comme existant, en principe, lorsqu’un conducteur effectue une opération de transport tiers.

1322 Toutefois, cette différence n’enlève rien à la pertinence de la distinction opérée par la directive 2020/1057 entre opérations de transport tiers et opérations de transport bilatérales aux fins de l’application des règles en matière de détachement. Tout au contraire, une telle différence tend plutôt à illustrer la sécurité juridique accrue qui résulte du système découlant des règles fixées à l’article 1^er, paragraphes 3 et 4, de cette directive, lu ensemble avec le considérant 13 de celle–ci,
par rapport au système applicable avant son entrée en vigueur, en ce que ce premier système clarifie le fait que les opérations de transport tiers impliquent généralement un détachement du conducteur puisque le service est fourni en dehors de l’État membre d’établissement.

1323 Deuxièmement, en plus de contester le choix du critère général fondé sur le type d’opérations de transport, la Roumanie met en doute la pertinence du critère spécifique relatif au lieu de chargement ou de déchargement des marchandises, prévu à l’article 1^er, paragraphe 3, troisième à cinquième alinéas, de la directive 2020/1057.

1324 À cet égard, il est vrai que cette disposition, à l’instar de l’article 1^er, paragraphe 4, troisième et quatrième alinéas, de cette directive, relatif au transport de voyageurs, se distingue sur ce point du système applicable avant l’entrée en vigueur de ladite directive. En effet, alors que, au titre de ces dispositions, un nombre limité d’activités supplémentaires de chargement et/ou de déchargement bénéficie d’une extension de l’exemption applicable aux opérations de transport bilatérales,
la Cour a jugé, dans le cadre de son interprétation de la directive 96/71 telle qu’elle s’appliquait avant l’entrée en vigueur de la directive 2020/1057, que des opérations de chargement et/ou de déchargement de marchandises comptaient parmi les facteurs pertinents aux fins de l’appréciation du point de savoir si l’exécution du travail par un conducteur présentait un lien de rattachement suffisant avec le territoire de l’État membre d’accueil, de telle sorte que les règles en matière de détachement
prévues par la directive 96/71 lui soient applicables (voir, en ce sens, arrêt du 1^er décembre 2020, Federatie Nederlandse Vakbeweging, C‑815/18, EU:C:2020:976, point 48).

1325 Toutefois, le fait que la Cour a ainsi reconnu la pertinence de telles activités supplémentaires dans l’appréciation globale de l’existence d’un lien de rattachement suffisant entre l’opération de transport et l’État membre d’accueil n’empêchait pas le législateur de l’Union de décider, dans le cadre de la large marge d’appréciation qui lui appartient dans ce contexte, d’en faire un critère spécifique. Ainsi, en l’occurrence, ledit législateur n’a pas méconnu cette marge lorsque, afin de
faciliter la conduite d’opérations considérées comme étant efficaces et, de ce fait, la libre prestation de services, sans pour autant nuire indûment au niveau de protection sociale garanti aux conducteurs effectuant des opérations de transport bilatérales, mais aussi de renforcer la sécurité juridique, il a estimé qu’il convenait de permettre à ces conducteurs d’effectuer un nombre limité d’activités supplémentaires de chargement et/ou de déchargement de marchandises, sans que ces activités aient
pour effet que le service concerné soit considéré comme étant fourni dans le cadre d’un détachement aux fins de la directive 96/71. 

1326 La République de Pologne relève encore que, selon l’article 1^er, paragraphe 3, troisième alinéa, de la directive 2020/1057, une seule activité de chargement et/ou de déchargement est susceptible d’être exemptée, alors que, en vertu de l’article 1^er, paragraphe 3, quatrième alinéa, de cette directive, deux activités de chargement et/ou de déchargement sont susceptibles d’être exemptées.

1327 À cet égard, il est vrai que, ainsi qu’il ressort d’une lecture combinée de ces dispositions, une seule activité supplémentaire de chargement et/ou de déchargement peut être exemptée dans le cadre d’une opération de transport bilatérale au départ de l’État membre d’établissement, alors que deux de ces activités au maximum peuvent être exemptées sur le trajet retour, à savoir lorsque l’opération de transport bilatérale se termine dans l’État membre d’établissement, si aucune opération
supplémentaire n’a été menée lors du voyage au départ de ce dernier.

1328 Toutefois, d’une part, ainsi que M. l’avocat général l’a relevé au point 993 de ses conclusions, et ainsi qu’il ressort, en substance, du point 1324 du présent arrêt, le fait d’imposer des limites au nombre des activités supplémentaires susceptibles de bénéficier d’une extension de l’exemption des règles en matière de détachement prévue pour les opérations de transport bilatérales traduit un choix politique du législateur de l’Union, par lequel celui–ci vise à atteindre un juste équilibre entre
l’objectif consistant à faciliter la libre prestation de services et celui consistant à garantir un certain niveau de protection sociale aux conducteurs dans le secteur du transport routier. Par ailleurs, de telles limites quantitatives sont également de nature à renforcer la sécurité juridique par rapport au régime qui était en vigueur antérieurement dans le cadre de la directive 96/71.

1329 D’autre part, si le nombre d’activités supplémentaires susceptibles de bénéficier d’une exemption à ce titre varie selon que l’opération de transport bilatérale est effectuée depuis ou vers l’État membre d’établissement, il ne saurait pour autant en être déduit que le législateur de l’Union a fait le choix d’une mesure inapte à réaliser l’objectif poursuivi en ayant considéré qu’une telle différenciation permettait au mieux d’assurer, ainsi que le Conseil l’a soutenu, un contrôle effectif par
les autorités nationales des conditions justifiant les exemptions accordées à ce titre. En effet, alors que, lorsque le conducteur quitte l’État membre d’établissement, il est impossible pour ces autorités de déterminer le nombre d’opérations supplémentaires que le conducteur effectuera par la suite sur le trajet retour, lesdites autorités sont en mesure, pendant ce dernier trajet, de vérifier le nombre d’opérations supplémentaires qui ont été réalisées par ce conducteur.

1330 Enfin, s’agissant des opérations de transport combiné, si, dans sa jurisprudence relative à l’interprétation de la directive 96/71 telle qu’applicable avant l’entrée en vigueur de la directive 2020/1057, la Cour n’a pas précisé la manière dont les règles en matière de détachement s’appliquaient à ce type d’opérations, il n’en reste pas moins que le choix effectué par le législateur de l’Union à cet égard, tel que concrétisé à l’article 1^er, paragraphe 6, de la directive 2020/1057, s’inscrit
dans la logique suivie par la Cour dans l’arrêt du 1^er décembre 2020, Federatie Nederlandse Vakbeweging (C‑815/18, EU:C:2020:976). En effet, alors que, au point 49 de cet arrêt, la Cour a constaté que les opérations de transport bilatérales devaient être exemptées des règles en matière de détachement, le législateur de l’Union n’a fait qu’étendre, à cet article 1^er, paragraphe 6, le bénéfice de cette exemption pour les transporteurs aux parties d’une opération de transport combiné effectuées par
route qui peuvent être assimilées à une opération de transport bilatérale.

1331 Il convient, en outre, de relever que, en choisissant d’apporter une telle précision à l’égard du transport combiné, le législateur de l’Union a renforcé la sécurité juridique concernant la manière dont les règles en matière de détachement s’appliquent à ce type de transport particulier et, ce faisant, contrairement à ce que prétend la Roumanie à cet égard, a encouragé ce type d’opérations de transport, conformément à l’objectif plus général de la directive 2020/1057 consistant à faciliter la
libre prestation de services.

1332 Eu égard à ces considérations, il ne saurait être considéré que, en ayant opté, à l’article 1^er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057, pour un critère d’application des règles en matière de détachement fondé sur les différents types d’opérations de transport routier, le législateur de l’Union a retenu un critère inapte à réaliser l’objectif poursuivi.

1333 Aucun des arguments avancés par la République de Lituanie, la République de Bulgarie, la Roumanie, la République de Chypre et la République de Pologne n’est de nature à remettre en cause cette conclusion.

1334 Premièrement, s’agissant de l’argumentation avancée par la Roumanie et la République de Pologne relative aux prétendues incertitude et insécurité juridiques générées par les dispositions attaquées de l’article 1^er de la directive 2020/1057, il convient de relever, d’une part, que, de manière générale, le principe de proportionnalité et, ainsi qu’il ressort du point 159^ du présent arrêt, le principe de sécurité juridique ne s’opposent pas à ce que le législateur de l’Union, dans le cadre d’une
norme qu’il adopte, emploie une notion juridique abstraite, et ces principes n’imposent pas non plus qu’une telle norme abstraite mentionne les différentes hypothèses concrètes dans lesquelles elle est susceptible de s’appliquer, dans la mesure où toutes ces hypothèses ne peuvent pas être déterminées à l’avance par ce législateur.

1335 Plus spécifiquement, pour ce qui est de la question de savoir à partir de quel moment s’appliquent les règles en matière de détachement au titre de l’article 1^er, paragraphe 3, de la directive 2020/1057, il ressort avec suffisamment de clarté de cette disposition que, lorsque l’une ou l’autre des conditions qu’elle prévoit n’est pas remplie, notamment lorsque plus d’une opération supplémentaire est réalisée au cours du voyage aller d’une opération bilatérale particulière, l’exemption prévue
pour les opérations bilatérales ne peut être appliquée.

1336 Il ne saurait non plus être reproché au législateur de l’Union d’avoir adopté un critère inapproprié pour l’application des règles en matière de détachement aux opérations de transport tiers faute d’avoir précisé, lorsqu’une telle opération est réalisée dans plusieurs États membres, lequel ou lesquels de ces États membres sont susceptibles de voir leur législation s’appliquer au conducteur concerné. En effet, ainsi qu’il ressort des points 1321 et 1322 du présent arrêt, le considérant 13 de la
directive 2020/1057 précise, s’agissant de ce type de transport, qu’un lien de rattachement suffisant entre le service fourni et le territoire de l’État membre d’accueil est considéré comme existant, en principe, lorsqu’un conducteur effectue une opération de transport tiers et le libellé de ce considérant fait ressortir la possibilité que le service fourni présente un tel lien de rattachement avec plusieurs États membres d’accueil. Ainsi, il revient aux entreprises de transport et aux autorités
nationales compétentes d’apprécier, conformément aux critères spécifiques prévus à l’article 1^er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057, quel État membre ou quels États membres présentent un tel lien de rattachement justifiant l’application de leur réglementation nationale en matière de conditions de travail et d’emploi.

1337 La Roumanie fait, par ailleurs, valoir que le critère fondé sur les types d’opérations de transport ainsi que, le cas échéant, sur l’existence d’une activité de chargement et/ou de déchargement de marchandises et de prise en charge et/ou de dépôt de voyageurs rend difficile le respect, par les entreprises de transport, de l’obligation, prévue à l’article 1^er, paragraphe 11, sous a), de la directive 2020/1057, de soumettre une déclaration de détachement aux autorités compétentes au plus tard au
début du détachement. À cet égard, il suffit de relever que cet État membre n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles, en cas d’opération non planifiée dans un État membre pour lequel aucune déclaration de détachement n’a été soumise, l’entreprise de transport ne pourrait pas, comme le suggère le Conseil, soumettre une telle déclaration en réutilisant les données déjà fournies et en ajoutant des informations sur l’État membre supplémentaire dans lequel aura lieu le détachement.

1338 D’autre part, la Roumanie n’a pas non plus expliqué en quoi la solution qu’elle aurait souhaité que le législateur de l’Union privilégie, consistant à examiner l’ensemble des caractéristiques de chaque opération, y compris la durée de celle–ci, aux fins de déterminer s’il existe un lien de rattachement suffisant entre l’opération en question et l’État membre d’accueil, créerait davantage de sécurité juridique en facilitant l’identification des situations dans lesquelles un conducteur doit être
considéré comme étant « détaché », au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 96/71.

1339 Deuxièmement, certains États membres requérants soutiennent que les dispositions attaquées de l’article 1^er de la directive 2020/1057 sont, en raison des critères inappropriés retenus par le législateur de l’Union, de nature à décourager, plutôt qu’à faciliter, la libre prestation de services, en particulier, le transport tiers ou le transport combiné.

1340 Toutefois, d’une part, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort des points 1318 et 1319 du présent arrêt, les règles en matière de détachement applicables au transport de cabotage n’ont pas changé par l’effet de l’entrée en vigueur de la directive 2020/1057. D’autre part, pour ce qui est du transport combiné, le législateur de l’Union, ainsi qu’il ressort des points 1330 et 1331 de cet arrêt, n’a fait, en substance, que préciser les circonstances dans lesquelles les parties impliquées
dans une telle opération doivent être exemptées de ces règles, de sorte que les dispositions de l’article 1^er de ladite directive y relatives ne peuvent non plus être considérées comme ayant pour effet de décourager ce type de transport.

1341 En tout état de cause, ainsi que l’a relevé, en substance, M. l’avocat général aux points 995 et 996 de ses conclusions, le législateur de l’Union a pu estimer, dans le cadre de sa large marge d’appréciation, que, compte tenu de la nécessité de rééquilibrer les intérêts concernés, une protection sociale accrue pour les conducteurs pouvait se traduire par une augmentation des coûts supportés par certaines entreprises de transport. Dans un tel contexte, le fait que ce législateur n’a pas favorisé
certaines activités sur le marché de la manière qu’auraient souhaité certains États membres relève de cette marge d’appréciation et n’implique pas que les critères ainsi retenus ne soient pas aptes à réaliser les objectifs poursuivis.

1342 Eu égard à ce qui précède, il convient de constater que les critères fixés par les dispositions attaquées de l’article 1^er de la directive 2020/1057 sont aptes à réaliser l’objectif poursuivi par ces dispositions.

–       Sur le caractère nécessaire de l’article 1^er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057

1343 En ce qui concerne, en deuxième lieu, le caractère nécessaire de l’article 1^er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057, celui-ci est contesté par la République de Lituanie, la République de Bulgarie, la Roumanie, la République de Chypre et la République de Pologne, au motif qu’il existerait des options alternatives moins contraignantes à ces dispositions, à savoir, premièrement, l’octroi au transport international d’une dérogation généralisée aux règles en matière de détachement,
deuxièmement, l’introduction d’un seuil de durée du type de celui figurant dans la proposition de directive « détachement » et, troisièmement, la prise en compte de l’ensemble des éléments caractérisant le service concerné, y compris la durée de celui–ci dans l’État membre d’accueil.

1344 Toutefois, en écartant de telles options, le législateur de l’Union n’a pas excédé sa large marge d’appréciation pour fixer des critères pertinents à ces fins.

1345 En ce qui concerne, premièrement, l’option, mise en avant par la République de Bulgarie et la République de Chypre, qui aurait consisté à exclure entièrement le transport routier international des règles en matière de détachement, il suffit de relever qu’une telle solution ne permettrait pas, par sa nature même, d’atteindre l’équilibre recherché entre les intérêts en cause, puisque, en particulier, elle n’aurait pour effet ni d’accroître la protection sociale des conducteurs ni de créer des
conditions de concurrence plus équitables sur le marché.

1346 En ce qui concerne, deuxièmement, l’option qui aurait consisté à introduire un seuil temporel, le caractère moins restrictif de cette option est mis en avant par la République de Lituanie et, dans une moindre mesure, par la République de Bulgarie et la République de Chypre. Quant à la Roumanie, celle-ci souligne l’importance du critère de la durée du transport, considéré ensemble avec d’autres éléments, en soulignant, notamment, que la pertinence de celui–ci ressort de l’article 3,
paragraphe 4, de la directive 96/71, lequel permet aux États membres de prévoir qu’il peut être dérogé à certaines obligations en matière de détachement lorsque la durée du détachement n’est pas supérieure à un mois.

1347 Toutefois, il convient de constater que la directive 2020/1057 ne fait pas obstacle à la faculté prévue à l’article 3, paragraphes 3 et 4, de la directive 96/71, dont les dispositions permettent aux États membres de déroger à l’application de certaines conditions d’emploi et de travail de l’État membre d’accueil normalement garanties en faveur d’un travailleur détaché lorsque la durée du détachement n’est pas supérieure à un mois. La solution consistant à distinguer entre différents types
d’opérations de transport peut ainsi se combiner, le cas échéant, avec des règles nationales mettant en œuvre ces dispositions.

1348 Pour le reste, il ressort du dossier soumis à la Cour, en particulier de l’analyse d’impact – volet social (partie 1/2, p. 54), que le législateur de l’Union a finalement écarté l’option consistant à faire dépendre d’un seuil temporel l’application des règles en matière de détachement en raison, notamment, du risque de contournement qui résulterait de la possible rotation des conducteurs afin de faire en sorte que ceux–ci passent, dans un État membre particulier, un temps inférieur à la limite
imposée.

1349 En ce qui concerne, troisièmement, l’option, soutenue par la République de Bulgarie, la République de Chypre, la Roumanie et la République de Pologne, qui aurait consisté à exiger, aux fins d’évaluer l’existence d’un lien de rattachement suffisant entre le service fourni et l’État membre d’accueil, une appréciation globale de l’ensemble des éléments caractérisant ce service, il ressort des considérations exposées aux points 1311 à 1331 du présent arrêt que le législateur de l’Union a retenu
certains des critères appliqués par la Cour dans l’arrêt du 1^er décembre 2020, Federatie Nederlandse Vakbeweging (C‑815/18, EU:C:2020:976), tout en ayant prévu des critères supplémentaires qui s’inscrivent dans la même logique. Ainsi, il ne saurait être considéré que, ce faisant, le législateur de l’Union a adopté des critères qui ne sont pas nécessaires pour identifier l’existence d’un lien de rattachement suffisant entre le service de transport et l’État membre d’accueil.

1350 Il s’ensuit que le législateur de l’Union pouvait légitimement considérer que les mesures alternatives envisagées par la République de Lituanie, la République de Bulgarie, la Roumanie, la République de Chypre et la République de Pologne ne parviendraient pas au même résultat que les dispositions de l’article 1^er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057.

–       Sur le caractère proportionné de l’article 1^er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057

1351 En ce qui concerne, en troisième lieu, le caractère proportionné des critères prévus à l’article 1^er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057, il y a lieu de rappeler d’emblée l’importance que revêt, selon le préambule du traité FUE, le « but essentiel » de l’amélioration constante des conditions de vie et d’emploi que le législateur de l’Union est appelé, en vertu des articles 9 et 90 TFUE, à prendre pleinement en compte dans le cadre de l’exercice de ses compétences dans le domaine de
la politique commune des transports. En particulier, ce législateur doit, à cet égard, viser à assurer, selon l’article 151, premier alinéa, TFUE, notamment, la promotion d’un niveau d’emploi élevé, l’amélioration des conditions de vie et de travail, la garantie d’une protection sociale adéquate, ainsi qu’un niveau élevé de protection de la santé humaine.

1352 Or, ainsi qu’il ressort, en substance, du point 1341 du présent arrêt, le renforcement par le législateur de l’Union de la protection sociale de certaines catégories de travailleurs, en l’occurrence, à travers l’obligation, découlant des dispositions de l’article 1^er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057, d’appliquer les règles en matière de détachement à des conducteurs effectuant certains types d’opérations de transport, peut impliquer certains coûts additionnels pour les employeurs
qui doivent en assurer le respect. Le fait qu’une obligation imposée par le législateur de l’Union est susceptible de comporter certains coûts pour les entreprises de transport auxquelles en incombe la charge ne constitue toutefois pas, en elle-même, une violation du principe de proportionnalité, à moins que ces coûts ne soient manifestement disproportionnés par rapport à l’objectif poursuivi.

1353 Premièrement, en ce qui concerne les prétendus effets négatifs pour les entreprises de transport en général découlant de l’article 1^er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057, il convient de rappeler que, ainsi qu’il ressort des points 1311 à 1331 du présent arrêt, d’une part, les critères d’application des règles en matière de détachement prévus à ces dispositions s’inscrivent dans la même logique que les critères applicables avant l’entrée en vigueur de cette directive et, d’autre
part, les différences pouvant exister entre les uns et les autres de ces critères sont dues, en partie, au fait que ladite directive fixe désormais des exemptions claires de ces règles, au bénéfice des transporteurs, qui n’étaient pas prévues spécifiquement par le cadre juridique applicable auparavant.

1354 En particulier, l’article 1^er, paragraphe 3, troisième à cinquième alinéas, et paragraphe 4, troisième et quatrième alinéas, de la directive 2020/1057 prévoit la possibilité, pour un conducteur effectuant une opération de transport bilatérale, de procéder, en outre, à plusieurs activités supplémentaires de chargement et/ou de déchargement de marchandises ainsi que de prise en charge et/ou de dépose de voyageurs dans les États membres ou les pays tiers qu’il traverse, dans les conditions fixées
à ces dispositions, sans que soient considérées comme applicables les règles en matière de détachement et, par conséquent, les conditions de travail et d’emploi garanties dans l’État membre d’accueil. Or, cette possibilité contribue précisément, par l’approche flexible qui l’inspire, à assurer, ainsi qu’il ressort du considérant 10 de cette directive, que l’application de ces règles aux opérations de transport tiers ne restreigne pas au-delà de ce qui est nécessaire la liberté de fournir des
services de transport routier transfrontalier. Par l’adoption d’une règle claire qui permet d’étendre, au bénéfice des transporteurs, l’exemption prévue pour les opérations de transport bilatérales à deux activités supplémentaires au maximum, le législateur de l’Union s’est ainsi assuré que les opérations de transport tiers qui présentent un lien de rattachement étroit avec une opération de transport bilatérale ne sont pas soumises aux règles en matière de détachement.

1355 Il s’ensuit que les prétendus coûts plus élevés résultant, pour les transporteurs, des dispositions attaquées de l’article 1^er de la directive 2020/1057 ne sont, en tout état de cause, pas d’une importance telle qu’ils puissent être considérés comme excédant manifestement les bénéfices qui découlent de ces dispositions en termes, d’une part, de réduction des charges résultant de l’existence d’un cadre réglementaire uniforme et plus clair ainsi que, d’autre part, d’accroissement de la
protection sociale garantie aux conducteurs combiné à une concurrence plus saine sur le marché.

1356 Ainsi qu’il ressort des points 1334 à 1338 du présent arrêt, la prétendue incertitude portant sur l’interprétation des dispositions attaquées de l’article 1^er de la directive 2020/1057 ainsi que l’existence de difficultés pratiques dans la mise en œuvre de ces dispositions n’ayant pas non plus été démontrées, les éventuels effets négatifs engendrés par lesdites dispositions pour les transporteurs en général ne sont pas manifestement disproportionnés par rapport aux objectifs poursuivis.

1357 Deuxièmement, s’agissant de l’argumentation selon laquelle l’application des règles en matière de détachement aux opérations de transport tiers et aux opérations de cabotage est susceptible d’avoir une incidence plus importante sur les États membres situés à la « périphérie de l’Union », dans lesquels les entreprises effectueraient principalement ces types d’opérations de transport, il ressort des considérations exposées aux points 1318 à 1329 du présent arrêt que ces règles s’appliquaient déjà
aux opérations de cabotage et que les dispositions attaquées de l’article 1^er de la directive 2020/1057 ont des effets limités sur les opérations de transport tiers. En outre, il y a lieu de renvoyer à la jurisprudence rappelée aux points 247 et 332 de cet arrêt, relative au principe d’égalité de traitement entre États membres.

1358 Par ailleurs, s’il est vrai que la concurrence par les coûts fait partie des dynamiques qui sous–tendent le marché intérieur, il n’en demeure pas moins que la directive 2020/1057 n’a ni pour objet ni même pour effet d’éliminer toute concurrence fondée sur les coûts, mais vise à assurer la libre prestation des services de transport sur une base équitable – à savoir, dans le cadre d’une concurrence qui ne dépend pas de différences excessives dans les conditions de travail et d’emploi appliquées,
dans un même État membre, aux entreprises de transport de différents États membres – tout en offrant une plus grande protection aux conducteurs détachés.

1359 De surcroît, ainsi qu’il a été rappelé aux points 266^ et 573 du présent arrêt, le législateur de l’Union ne saurait être privé de la possibilité d’adapter un acte législatif à toute modification des circonstances ou à toute évolution des connaissances, eu égard à la tâche qui lui incombe de veiller à la protection des intérêts généraux reconnus par le traité FUE et de prendre en compte les objectifs transversaux de l’Union consacrés par le préambule, par l’article 9 et par l’article 151,
premier alinéa, TFUE, notamment, l’amélioration des conditions d’emploi ainsi que la garantie d’une protection sociale adéquate.

1360 En particulier, conformément à la jurisprudence rappelée au point 267^ du présent arrêt, compte tenu des évolutions importantes ayant affecté le marché intérieur dans le secteur du transport routier, le législateur de l’Union était en droit d’adapter la directive 96/71, afin de procéder à un rééquilibrage des intérêts en présence dans le but d’accroître la protection sociale des conducteurs par la modification des conditions dans lesquelles s’exerce la libre prestation de services et de
garantir une concurrence équitable. À cet égard, la Cour a déjà spécifiquement observé que la nécessité d’adapter l’équilibre sur lequel reposait cette directive aux fins d’atteindre au mieux l’objectif d’une concurrence plus équitable dans un contexte évolutif résultait, notamment, d’une différenciation structurelle des règles salariales et des autres conditions de travail et d’emploi applicables dans les États membres (voir, en ce sens, arrêt du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil,
C‑620/18, EU:C:2020:1001, point 63).

1361 Or, en l’occurrence, en modifiant la réglementation de l’Union relative à l’applicabilité des règles en matière de détachement aux conducteurs dans le secteur du transport routier, le législateur de l’Union a précisément visé à parvenir, ainsi qu’il ressort des considérants 1, 3 et 7 de la directive 2020/1057, à un nouvel équilibre entre la libre prestation de services, la libre circulation des marchandises, l’amélioration des conditions sociales et de travail des conducteurs ainsi que la
garantie d’une concurrence plus loyale sur le marché entre entreprises de transport.

1362 En effet, ce législateur a pu valablement considérer, dans l’exercice de la large marge d’appréciation dont il dispose à cet égard, que les conducteurs impliqués dans les services de transport présentant un lien de rattachement avec le territoire d’un État membre d’accueil devaient pouvoir bénéficier des mêmes conditions de travail et d’emploi que les conducteurs employés par des entreprises de transport établies dans ledit État.

1363 Par conséquent, à les supposer établis, les effets négatifs qui découleraient pour certains États membres, pour les entreprises de transport qui y sont établies ainsi que pour les conducteurs qu’elles emploient, de l’application des règles en matière de détachement aux opérations de transport tiers, telles qu’elles résultent de l’article 1^er, paragraphes 3 et 4, de la directive 2020/1057, lu à la lumière du considérant 13 de celle–ci, ne sont, en tout état de cause, pas manifestement
disproportionnés par rapport aux objectifs poursuivis.

1364 Troisièmement, s’agissant de l’argumentation avancée par la République de Bulgarie et la République de Chypre, selon laquelle la distinction retenue entre opérations de transport tiers et opérations de transport bilatérales risque de fausser la concurrence, dans la mesure où la directive 2020/1057 n’impose aucune obligation et ne s’applique pas aux transporteurs de pays qui ne sont pas membres de l’Union, il y a lieu de relever que, ainsi que l’a soutenu le Conseil lors de la procédure écrite
et de l’audience, les entreprises de transport établies dans des pays tiers ne bénéficient pas du même accès au marché intérieur, de sorte que leur situation n’est pas comparable à celle des entreprises de transport établies dans l’Union (voir, par analogie, arrêt du 17 juillet 1997, SAM Schiffahrt et Stapf, C‑248/95 et C‑249/95, EU:C:1997:377, point 64).

1365 En outre, ainsi qu’il découle de l’article 1^er, paragraphe 10, de la directive 2020/1057 et de l’article 1^er, paragraphe 4, de la directive 96/71, auquel le considérant 15 de la première de ces directives se réfère, les entreprises de transport établies dans des pays tiers ne peuvent pas obtenir un traitement plus favorable que celles établies dans l’Union, y compris en ce qui concerne les règles spécifiques en matière de détachement prévues par la directive 2020/1057.

1366 Quatrièmement, pour ce qui est des arguments relatifs aux prétendus effets négatifs sur l’environnement découlant des dispositions attaquées de l’article 1^er de la directive 2020/1057, ces arguments se recoupent avec l’argumentation présentée par la République de Pologne dans le cadre de son quatrième moyen, de sorte qu’ils seront examinés dans ce contexte.

1367 Partant, les dispositions de l’article 1^er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057 n’entraînent pas des inconvénients manifestement disproportionnés par rapport aux objectifs poursuivis par celles-ci.

1368 En conséquence, il y a lieu de rejeter comme étant non fondés les deuxième et troisième moyens de la République de Lituanie, le premier moyen de la République de Bulgarie, le premier moyen de la Roumanie, le premier moyen de la République de Chypre, le premier moyen de la Hongrie avancé à titre subsidiaire et le premier moyen de la République de Pologne.

d)      Sur la violation de l’article 91, paragraphe 1, TFUE

1)      Argumentation des parties

1369 Par les troisièmes moyens de leurs recours respectifs, la République de Bulgarie et la République de Chypre font valoir que, en adoptant la directive 2020/1057, le législateur de l’Union a violé l’article 91, paragraphe 1, TFUE.

1370 Selon ces États membres, cet article 91, paragraphe 1, qui constitue la base juridique de cette directive, exigeait de ce législateur qu’il statue conformément à la procédure législative ordinaire et après consultation du CESE et du CdR. La distinction, aux fins de l’application des règles en matière de détachement, entre opérations de transport bilatérales et opérations de transport tiers n’aurait pas figuré dans la proposition de directive « détachement », de sorte qu’elle n’aurait pas pu
être examinée par ces comités avant qu’ils ne rendent leurs avis respectifs. En ne consultant pas ultérieurement ces comités sur la modification substantielle apportée à cette proposition, ledit législateur aurait violé ledit article 91, paragraphe 1.

1371 La République de Bulgarie et la République de Chypre font observer que la Cour s’est prononcée sur l’obligation de consultation dans le cadre de la procédure législative à une époque où, sans être colégislateur, le Parlement, à l’instar du CESE et du CdR aujourd’hui, disposait d’un rôle consultatif. Elle aurait jugé que l’exigence de consulter le Parlement impliquait celle de procéder à une nouvelle consultation à chaque fois que le texte finalement adopté, considéré dans son ensemble,
s’écartait dans sa substance même de celui sur lequel le Parlement avait déjà été consulté (voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 1992, Parlement/Conseil, C‑65/90, EU:C:1992:325, point 16).

1372 Puisque ce rôle consultatif serait, à présent, exercé par le CESE et le CdR en vertu de l’article 91, paragraphe 1, TFUE, la jurisprudence mentionnée au point précédent s’appliquerait par analogie à l’obligation de consulter ces deux comités. Par conséquent, dans le cas d’espèce, ces derniers auraient dû être consultés de nouveau au sujet de la modification substantielle consistant à introduire une distinction entre opérations de transport bilatérales et opérations de transport tiers aux fins
de l’application des règles en matière de détachement.

1373 Il serait inexact d’alléguer, à l’instar du Parlement, qu’il n’existe aucun précédent de seconde consultation de ces comités dans le cadre de la procédure législative. En effet, à titre d’exemple, au cours de la procédure législative sur la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant l’évaluation des technologies de la santé et modifiant la directive 2011/24/UE [COM(2018) 51 final], une disposition complémentaire aurait été ajoutée à la base juridique de l’acte
concerné, ce qui aurait obligé le législateur de l’Union à décider de consulter une seconde fois le CESE.

1374 Le Parlement et le Conseil font valoir que ces moyens et ces arguments ne sont pas fondés.

2)      Appréciation de la Cour

1375 La République de Bulgarie et la République de Chypre invoquent, au titre de la méconnaissance de l’article 91, paragraphe 1, TFUE par le législateur de l’Union lors de l’adoption de la directive 2020/1057, les mêmes arguments que ceux avancés par le premier de ces États membres pour contester la légalité de l’article 2, point 4, sous a), du règlement 2020/1055 (affaire C‑545/20). Ainsi, pour les motifs exposés aux points 898 à 909 du présent arrêt, ces arguments ne sauraient être accueillis,
puisqu’il ne découle pas de cet article 91, paragraphe 1, une exigence de nouvelle consultation du CESE et du CdR en cas de modification de la proposition sur laquelle ces comités ont déjà été consultés.

1376 Par conséquent, il y a lieu de rejeter les troisièmes moyens de la République de Bulgarie et de la République de Chypre comme étant non fondés.

e)      Sur la violation de l’article 90 TFUE, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 3, TUE, de l’article 91, paragraphe 2, et de l’article 94 TFUE

1)      Argumentation des parties

1377 Par les quatrièmes moyens de leurs recours respectifs, la République de Bulgarie et la République de Chypre font valoir que l’article 1^er de la directive 2020/1057 méconnaît l’article 90 TFUE, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 3, TUE, l’article 91, paragraphe 2, et l’article 94 TFUE. De son côté, la République de Pologne, par ses deuxième et troisième moyens, soutient que cet article 1^er enfreint l’article 91, paragraphe 2, et l’article 94 TFUE. Enfin, la Roumanie ne présente pas
de moyen autonome à cet égard mais invoque une violation de ces deux dernières dispositions du traité FUE dans le cadre de son second moyen, tiré de la violation du principe de non‑discrimination, en avançant les arguments exposés au point 1194 du présent arrêt.

1378 En particulier, la République de Bulgarie et la République de Chypre reprochent au législateur de l’Union une violation desdites dispositions du droit primaire en raison des effets préjudiciables découlant de la distinction opérée à l’article 1^er, paragraphes 3 et 4, de la directive 2020/1057, lu ensemble avec le considérant 13 de celle–ci, sur le niveau de vie et l’emploi en Bulgarie et à Chypre ainsi que, d’une manière générale, dans les États membres situés à la périphérie de l’Union, de
même que sur la situation économique des transporteurs établis dans ces États membres. En effet, l’application des règles en matière de détachement rendrait le transport tiers impraticable pour ces entreprises. Il en résulterait également un impact négatif sur l’environnement ainsi qu’une augmentation des embouteillages. Or, aucune analyse d’impact n’aurait été réalisée à l’égard de cette distinction et aucune consultation n’aurait été menée à ce sujet avec le CESE ou le CdR.

1379 La République de Pologne soutient que, en adoptant un critère arbitraire pour l’application des règles en matière de détachement aux opérations de transport, le législateur de l’Union a méconnu l’article 91, paragraphe 2, et l’article 94 TFUE, au motif qu’il n’a pas tenu compte du fait que ce critère est susceptible d’affecter gravement le niveau de vie et l’emploi dans certaines régions, l’exploitation des équipements de transport ainsi que la situation économique des transporteurs. Cet État
membre ne souscrit pas à l’interprétation de ces dispositions telle que proposée par le Parlement et le Conseil. En effet, le fait que le législateur de l’Union jouit d’une large marge d’appréciation n’impliquerait pas que l’obligation pour celui-ci de tenir compte de certains effets se limite à prendre connaissance de ces derniers.

1380 En ce qui concerne, en premier lieu, la violation de l’article 91, paragraphe 2, TFUE, il n’aurait pas été tenu compte, lors de l’adoption des dispositions attaquées de l’article 1^er de la directive 2020/1057, de l’incidence résultant de l’augmentation du nombre de parcours à vide des véhicules qui, autrement, participeraient à des opérations de transport tiers ou de cabotage. La justification économique de l’utilisation des véhicules dans le cadre d’opérations de transport tiers résiderait
d’ailleurs dans le fait que les transporteurs peuvent, en tenant compte de la perspective géographique, répondre de manière flexible à l’évolution des besoins en matière de transports, afin de minimiser le nombre de parcours à vide et d’éviter l’attente inutile d’ordres de transport de marchandises vers l’État membre d’établissement. Les opérations de cabotage présenteraient des avantages analogues en matière d’efficacité.

1381 L’application des dispositions des règlements 2020/1054 et 2020/1055 obligerait les entreprises établies en Pologne à réaliser au moins 1 221 120 000 km supplémentaires par an. Les modifications issues de ces règlements ainsi que les restrictions supplémentaires découlant des dispositions attaquées de la directive 2020/1057 auraient des répercussions importantes sur le niveau de vie et l’emploi dans certaines régions ainsi que sur les équipements de transport.

1382 Par ailleurs, les restrictions à l’exercice des opérations de transport tiers et de cabotage, générées par les dispositions attaquées de l’article 1^er de la directive 2020/1057, pourraient même conduire au retrait des transporteurs du marché, ceux-ci n’étant pas en mesure d’exercer une activité rentable dans le cadre d’un modèle de services de transport supposant des opérations de transport moins performantes. Ces conséquences seraient particulièrement ressenties par les transporteurs établis
dans les États membres situés à la périphérie de l’Union, dont les activités seraient principalement fondées sur des opérations de transport tiers et de cabotage.

1383 L’analyse d’impact – volet social se cantonnerait à une évaluation superficielle concernant l’incidence de ces dispositions sur le niveau d’emploi dans certaines régions et porterait, en tout état de cause, sur l’application d’un critère temporel aux fins de l’application des règles en matière de détachement, différent du critère finalement retenu dans la directive 2020/1057, n’impliquant pas les mêmes effets sur les marchés des États membres situés à la périphérie de l’Union. De surcroît, le
fait que 90 % des entreprises de transport emploient moins de dix personnes aurait été constaté dans cette analyse d’impact sans qu’il en soit tenu compte aux fins de l’évaluation de l’incidence desdites dispositions sur le niveau d’emploi. L’incidence sur la détérioration des infrastructures de transport dans l’Union aurait également été signalée dans ladite analyse d’impact, sans cependant qu’une évaluation de cette incidence soit réalisée.

1384 L’augmentation du trafic routier aurait également des conséquences négatives sur le niveau de vie dans les zones situées à proximité des principaux nœuds de transport. Dans ce contexte, il serait utile de signaler, en particulier, le risque que présenteraient les modifications apportées pour la sécurité routière.

1385 Ainsi qu’il ressortirait de l’analyse effectuée par la République de Pologne, les modifications juridiques concernant le transport routier conduiraient, en moyenne, à une hausse de 19 %, au sein des États membres, du nombre des comportements à risque des conducteurs, liés à la possibilité d’enfreindre la réglementation afin de s’adapter ou de contourner les nouvelles obligations en matière de détachement, augmentant, en plus, le nombre d’accidents mortels impliquant certains types de véhicules.

1386 En ce qui concerne, en second lieu, la violation de l’article 94 TFUE, l’analyse d’impact – volet social n’aurait pas tenu compte de la situation économique des transporteurs établis dans les États membres situés à la périphérie de l’Union ayant un niveau de développement économique plus faible, dont l’activité en matière de transport routier international se concentre, dans une plus large mesure, sur les opérations de transport tiers et de cabotage. Les coûts supplémentaires incombant à ces
transporteurs, découlant de l’application des règles en matière de détachement, placeraient ceux–ci dans une position moins avantageuse que celle des entreprises concurrentes situées davantage au centre de l’Union.

1387 L’adoption des dispositions attaquées de l’article 1^er de la directive 2020/1057 durant une période de graves perturbations économiques dues à la pandémie de COVID-19 démontrerait également que la situation économique des transporteurs n’a pas été prise en compte. Les effets économiques de cette pandémie se feraient particulièrement ressentir dans le secteur du transport, très exposé non seulement à la baisse de la demande dans le commerce international, mais également aux restrictions liées
au franchissement des frontières intérieures instaurées par les différents États membres. Ces effets auraient été déjà présents lors des travaux préparatoires de la directive 2020/1057.

1388 Le Parlement et le Conseil font valoir que ces moyens et ces arguments ne sont pas fondés.

2)      Appréciation de la Cour

1389 En premier lieu, s’agissant de l’argumentation, avancée par la République de Bulgarie et la République de Chypre, tirée d’une violation de l’article 90 TFUE, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 3, TUE, du fait que le législateur de l’Union a omis de tenir compte de l’objectif des traités consistant à assurer un niveau élevé de protection et d’amélioration de la qualité de l’environnement, cette argumentation se recoupe avec celle présentée par la République de Pologne dans le cadre
de son quatrième moyen, tiré de la violation de l’article 11 TFUE et de l’article 37 de la Charte. Cette argumentation sera donc examinée dans le contexte de ce moyen.

1390 En deuxième lieu, en ce qui concerne l’argumentation tirée d’une prétendue violation de l’article 94 TFUE, il suffit de relever que cette disposition, qui impose au législateur de l’Union de tenir compte de la situation économique des transporteurs lorsqu’il adopte une mesure « dans le domaine des prix et conditions de transport », est sans pertinence en l’occurrence, dès lors que, comme il a été relevé au point 1231 du présent arrêt, l’article 1^er de la directive 2020/1057 ne régit pas les
prix ou les conditions de transport des marchandises ou des voyageurs, mais détermine les critères d’application des règles relatives au détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier.

1391 En troisième lieu, pour ce qui est de l’argumentation tirée d’une violation de l’article 91, paragraphe 2, TFUE, il convient de rappeler que, selon cette disposition, le législateur de l’Union doit, lorsqu’il adopte des mesures visées au paragraphe 1 de cet article, lesquelles ont pour objet la réalisation de la mise en œuvre de la politique commune des transports compte tenu des aspects spéciaux de ceux-ci, « tenir compte » des cas où l’application de ces mesures serait susceptible d’affecter
« gravement » le niveau de vie et l’emploi dans certaines régions ainsi que l’exploitation des équipements de transport.

1392 À cet égard, dès lors que la directive 2020/1057 a été adoptée par le législateur de l’Union sur le fondement de l’article 91, paragraphe 1, TFUE, cette base juridique n’étant pas contestée dans le cadre des présents recours, il incombait à ce législateur de tenir compte, lorsqu’il a conçu les critères d’application des règles en matière de détachement prévus à l’article 1^er, paragraphes 3 à 7, de cette directive, des exigences découlant de l’article 91, paragraphe 2, TFUE.

1393 Cela étant, ainsi qu’il ressort, en substance, des points 393 à 396 du présent arrêt, l’article 91, paragraphe 2, TFUE ne saurait faire obstacle à ce que le législateur de l’Union, au regard de la large marge d’appréciation dont il dispose pour définir la politique commune des transports, adopte des mesures contraignantes susceptibles d’affecter le niveau de vie et l’emploi ainsi que l’exploitation des équipements de transport davantage dans certains États membres que dans d’autres, pour autant
que ce législateur prenne en compte les effets préjudiciables graves sur ces paramètres dans le cadre plus large de la pondération des différents objectifs et intérêts en jeu.

1394 S’agissant des présents recours, il convient de faire observer que l’argumentation avancée par la République de Bulgarie, la République de Chypre et la République de Pologne se fonde sur la prémisse selon laquelle le législateur de l’Union a omis de tenir compte, en méconnaissance de l’article 91, paragraphe 2, TFUE, des incidences engendrées par la directive 2020/1057, à savoir que l’application des règles en matière de détachement prévues à l’article 1^er de cette directive rendra
impraticables les opérations de transport tiers et les opérations de cabotage.

1395 Toutefois, la Cour a déjà jugé que la directive 96/71, dans sa version applicable avant l’entrée en vigueur de la directive 2020/1057, couvrait, en principe, toute prestation de services transnationale impliquant un détachement de travailleurs, y compris dans le secteur du transport routier, et a, en outre, précisé qu’un chauffeur effectuant des transports de cabotage devait, en principe, être considéré comme étant détaché, au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 96/71 (voir, en
ce sens, arrêt du 1^er décembre 2020, Federatie Nederlandse Vakbeweging, C‑815/18, EU:C:2020:976, points 33, 49, 62, 63 et 65).

1396 Certes, comme il a été relevé au point 1320 du présent arrêt, l’application des règles en matière de détachement aux opérations de transport tiers, telle qu’elle résulte de la directive 2020/1057, même si elle s’inscrit dans la même logique, n’est pas strictement identique à celle résultant de la directive 96/71, telle qu’interprétée par la Cour.

1397 Toutefois, il ne ressort pas des éléments présentés devant la Cour dans le cadre des présents recours que les éventuels coûts plus élevés résultant de l’application des règles en matière de détachement aux opérations de transport tiers, telle qu’elle découle de l’article 1^er, paragraphes 3 et 4, de la directive 2020/1057, lu ensemble avec le considérant 13 de celle–ci, seraient, même pris ensemble, susceptibles d’affecter « gravement » le niveau de vie et l’emploi dans certaines régions, au
sens de l’article 91, paragraphe 2, TFUE. En effet, toute incidence sur ces derniers éléments ne suffit pas à démontrer que le seuil requis pour établir une violation de cette dernière disposition est atteint.

1398 Par ailleurs, dans le cadre de l’appréciation des incidences résultant de l’adoption des dispositions attaquées de l’article 1^er de la directive 2020/1057, le législateur de l’Union était tenu de concilier les divers intérêts en cause afin d’atteindre les objectifs légitimes qu’il poursuivait. Ainsi, comme il a déjà été relevé au point 395 du présent arrêt, le seul fait que celui-ci devait prendre en compte le niveau de vie ainsi que l’emploi dans certaines régions et, partant, les intérêts
économiques des transporteurs ne s’opposait pas à ce que ces derniers fassent l’objet de mesures contraignantes et générant certains coûts pour eux.

1399 Pareillement, à supposer que, comme le prétendent la République de Bulgarie, la République de Chypre et la République de Pologne, certains transporteurs soient obligés de quitter le marché en raison de l’application des règles en matière de détachement aux opérations de transport tiers et aux opérations de cabotage résultant de l’article 1^er de la directive 2020/1057, avec un risque de perte d’emploi pour certains conducteurs, de tels effets négatifs devraient être mis en perspective avec,
d’une part, la protection sociale accrue garantie à de très nombreux conducteurs qui resteront employés dans le secteur du transport routier et, d’autre part, la circonstance que la libre prestation de services sur le marché s’effectue désormais sur le fondement d’une concurrence plus loyale entre les entreprises de transport.

1400 Il importe encore de souligner que, ainsi que le fait valoir, en substance, le Conseil, l’article 91, paragraphe 2, TFUE ne saurait être interprété comme imposant au législateur de l’Union l’obligation de protéger les parts de marché existantes de certains transporteurs, au risque de l’empêcher d’adapter le cadre juridique aux évolutions du marché afin d’assurer une concurrence équitable sur celui–ci.

1401 S’agissant des arguments avancés par la République de Pologne concernant l’augmentation du nombre de comportements à risque et d’accidents mortels qui résultera, de son point de vue, de la mise en œuvre des dispositions attaquées de l’article 1^er de la directive 2020/1057, ceux–ci ne sont pas étayés par des éléments fiables et concordants. Ces arguments revêtent ainsi un caractère spéculatif, si bien qu’ils ne permettent pas de démontrer une violation des exigences découlant de l’article 91,
paragraphe 2, TFUE.

1402 La République de Pologne invoque également les effets négatifs sur l’exploitation des équipements de transport résultant des trajets supplémentaires engendrés par les dispositions attaquées de l’article 1^er de la directive 2020/1057. Toutefois, cet État membre ne fournit pas d’éléments suffisants pour étayer son argument selon lequel ces dispositions entraîneront, comme il le prétend, une « hausse du nombre des kilomètres supplémentaires parcourus ». Au demeurant, l’argumentation analogue
relative aux kilomètres supplémentaires entraînés par la mise en œuvre des règlements 2020/1054 et 2020/1055 a été examinée et rejetée dans le cadre des recours dirigés contre ces règlements.

1403 Les autres allégations avancées dans le cadre des présents moyens, lesquelles sont, du reste, générales et peu étayées, recoupent, en grande partie, les arguments avancés dans le cadre des moyens tirés, respectivement, de la violation du principe de proportionnalité, en raison de l’absence alléguée de prise en compte des effets des règles prévues à l’article 1^er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057, et de la violation de l’article 91, paragraphe 1, TFUE, en raison de l’absence de
nouvelle consultation du CESE et du CdR. Ces autres allégations doivent, dès lors, être écartées pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 1311 à 1368 ainsi que 1375 et 1376 du présent arrêt.

1404 En conséquence, il convient de rejeter comme étant non fondés les quatrièmes moyens de la République de Bulgarie et de la République de Chypre, les deuxième et troisième moyens de la République de Pologne, ainsi que l’argumentation avancée par la Roumanie dans le cadre de son second moyen.

f)      Sur la violation de la libre circulation des marchandises et de la libre prestation de services

1)      Argumentation des parties

1405 Par les cinquièmes moyens de leurs recours respectifs, la République de Bulgarie et la République de Chypre font valoir que l’approche consistant à distinguer entre les opérations de transport bilatérales et les opérations de transport tiers, aux fins de l’application des règles en matière de détachement, constitue une restriction injustifiée tant à la libre circulation des marchandises (premières branches) qu’à la libre prestation des services de transport (deuxièmes branches).

1406 D’une part, en ce qui concerne la libre circulation des marchandises, l’application des règles en matière de détachement aux opérations de transport tiers devrait s’analyser, en raison des effets néfastes qui en découlent, comme une mesure ayant des effets équivalant à des restrictions quantitatives, au sens des articles 34 et 35 TFUE. Or, une telle mesure ne pourrait pas être justifiée au titre de l’article 36 TFUE, puisque cette catégorie d’opérations de transport international ne présente
pas un lien de rattachement suffisant avec l’État membre concerné et crée des contraintes administratives disproportionnées empêchant le bon fonctionnement du marché intérieur.

1407 Dans un communiqué de presse, intitulé « La Commission demande à l’Autriche de faire en sorte que sa législation sur le salaire minimum ne restreigne pas indûment le marché intérieur » (IP/17/1053), cette institution préciserait que l’application de la législation nationale à toutes les opérations de transport international comportant un chargement et/ou un déchargement effectué sur le territoire national constitue une restriction disproportionnée au regard, notamment, de la libre circulation
des marchandises et que l’application de cette mesure aux opérations de transport international n’ayant pas un lien de rattachement suffisant avec l’État membre concerné n’est pas justifiée car disproportionnée.

1408 D’autre part, s’agissant de la libre prestation des services de transport, l’application des règles en matière de détachement aux opérations de transport tiers restreindrait cette liberté, en violation de l’article 58, paragraphe 1, TFUE, lu en combinaison avec l’article 91 TFUE.

1409 À cet égard, ainsi qu’il ressortirait des points 64 et 65 de l’arrêt du 22 mai 1985, Parlement/Conseil (13/83, EU:C:1985:220), d’une part, les obligations imposées à l’article 91, paragraphe 1, sous a) et b), TFUE comprendraient celle d’instaurer la libre prestation des services en matière de transports et, parmi les impératifs découlant de la libre prestation de ces services, figurerait l’élimination de toutes discriminations contre le prestataire desdits services en raison de sa nationalité
ou de la circonstance qu’il est établi dans un État membre autre que celui où la prestation doit être fournie. D’autre part, le législateur de l’Union ne disposerait pas, sur ce point, du pouvoir discrétionnaire dont il peut se prévaloir dans d’autres domaines de la politique commune des transports.

1410 Or, la distinction entre les opérations de transport bilatérales et les opérations de transport tiers aux fins de l’application des règles en matière de détachement réintroduirait une forme de discrimination et constituerait une régression dans l’établissement d’une politique commune des transports.

1411 Dans l’hypothèse où la Cour considérerait que cette question est aussi régie par l’article 56 TFUE, le présent moyen serait également fondé sur cette disposition.

1412 Le Parlement et le Conseil font valoir que ces moyens et ces arguments ne sont pas fondés.

2)      Appréciation de la Cour

i)      Sur la libre circulation des marchandises

1413 S’agissant des premières branches des cinquièmes moyens de leurs recours respectifs, tirées de la violation de la libre circulation des marchandises, la République de Bulgarie et la République de Chypre n’exposent nullement la manière dont la directive 2020/1057 limiterait cette liberté ni en quoi ses effets équivaudraient à une prétendue restriction quantitative à laquelle ces États membres font allusion.

1414 En particulier, hormis un rappel des articles 34 à 36 TFUE et de la jurisprudence de la Cour relative aux circonstances dans lesquelles une telle restriction quantitative peut être considérée comme étant justifiée au titre de l’article 36 TFUE, lesdits États membres se bornent à renvoyer à des arguments invoqués dans le cadre des premiers moyens de leurs recours respectifs.

1415 Or, ainsi qu’il ressort, en substance, des points 1308 à 1368 du présent arrêt, la République de Bulgarie et la République de Chypre n’ont pas démontré que l’application aux opérations de transport tiers des règles en matière de détachement irait manifestement au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif légitime poursuivi par les dispositions attaquées de l’article 1^er de la directive 2020/1057.

1416 Par conséquent, en l’absence de toute argumentation propre à l’appui des premières branches des cinquièmes moyens, il convient de considérer que, à supposer même que ces dispositions puissent être considérées comme constituant une restriction relevant des articles 34 et 35 TFUE, celle-ci serait, en tout état de cause, justifiée au titre de l’article 36 TFUE pour les raisons ayant fondé le rejet de ces premiers moyens.

1417 Pour le reste, s’agissant du communiqué de presse évoqué au point 1407 du présent arrêt, que la République de Bulgarie et la République de Chypre citent sans en expliquer la pertinence, il suffit d’observer qu’un tel document non contraignant ne saurait lier la Cour dans son interprétation ou son appréciation de la validité de la directive 2020/1057.

1418 En tout état de cause, si, dans ce communiqué de presse, la Commission critique l’approche consistant à appliquer la réglementation nationale de l’État membre d’accueil à toute opération de transport international impliquant un chargement et/ou un déchargement sur le territoire de cet État membre, les dispositions attaquées de l’article 1^er, paragraphe 3, de la directive 2020/1057 exemptent de cette application tant les opérations de transport bilatérales que certaines activités
supplémentaires de chargement et/ou de déchargement liées à de telles opérations, et cela précisément afin d’assurer le caractère proportionné de toute restriction éventuelle à la libre circulation des marchandises ainsi qu’à la libre prestation des services de transport qui résulterait de l’application des règles en matière de détachement aux conducteurs de transport routier international.

1419 Par conséquent, les premières branches des cinquièmes moyens de la République de Bulgarie et de la République de Chypre doivent être écartées comme étant non fondées.

ii)    Sur la libre prestation des services

1420 En ce qui concerne les secondes branches des cinquièmes moyens de la République de Bulgarie et de la République de Chypre, tirées de la violation des règles du traité FUE relatives à la libre prestation de services, il importe de souligner que, ainsi qu’il ressort des points 352 à 358^ du présent arrêt, la libre prestation des services dans le domaine des transports est régie non pas par l’article 56 TFUE, qui concerne la libre prestation de services en général, mais par l’article 58,
paragraphe 1, TFUE, disposition spécifique aux termes de laquelle « [l]a libre circulation des services, en matière de transports, est régie par les dispositions du titre relatif aux transports », à savoir du titre VI de la troisième partie du traité FUE, ce titre comprenant les articles 90 à 100 TFUE. Ainsi, les entreprises de transport disposent d’un droit à la libre prestation de services exclusivement dans la mesure où ce droit leur a été octroyé par le biais de mesures de droit dérivé adoptées
par le législateur de l’Union sur le fondement des dispositions du traité FUE relatives à la politique commune des transports, en particulier, de l’article 91, paragraphe 1, TFUE.

1421 Tel est précisément l’objet de la directive 2020/1057, adoptée par le législateur de l’Union sur le fondement de cette disposition, afin, notamment, d’établir des règles spécifiques en ce qui concerne la directive 96/71 et, ainsi, d’harmoniser certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route.

1422 En ce qui concerne les enseignements tirés de l’arrêt du 22 mai 1985, Parlement/Conseil (13/83, EU:C:1985:220, points 64 et 65), dont se prévalent la République de Bulgarie et la République de Chypre, il y a lieu de rappeler que, ainsi qu’il a été exposé au point 982 du présent arrêt, la Cour a certes jugé que le législateur de l’Union ne dispose pas, pour ce qui est de l’instauration de la libre prestation de services en matière de transports, du pouvoir discrétionnaire dont il peut se
prévaloir dans d’autres domaines de la politique commune des transports. Toutefois, cette circonstance ne remet pas en cause le fait que, lorsque le législateur de l’Union exerce ses compétences à ce titre, il dispose à cet égard, et ainsi qu’il a été rappelé aux points 242 à 247 de cet arrêt, d’une large marge d’appréciation.

1423 En tout état de cause, pour autant que la République de Bulgarie et la République de Chypre reprochent au législateur de l’Union d’avoir, en rendant applicables les règles en matière de détachement aux opérations de transport tiers, méconnu les obligations spécifiques qui lui incombent en vertu de l’article 91 TFUE, puisqu’il aurait réintroduit une forme de discrimination à l’égard des transporteurs en raison de leur nationalité ou du lieu où ils sont établis, leur argumentation se recoupe avec
celle avancée dans le cadre des deuxièmes moyens de leurs recours respectifs, tirés d’une violation des principes d’égalité de traitement et de non-discrimination. Elle doit, partant, être rejetée pour les mêmes motifs que ceux figurant aux points 1213 à 1234 du présent arrêt.

1424 Au demeurant, dans la mesure où, indépendamment de l’argumentation rejetée au point précédent, la République de Bulgarie et la République de Chypre reprochent au législateur de l’Union d’avoir fait régresser la politique commune des transports garantissant la libre prestation de services, leur argumentation est dénuée de fondement.

1425 En effet, ainsi qu’il ressort, notamment, des points 1210, 1223, 1308 et 1361 du présent arrêt, l’article 1^er de la directive 2020/1057 vise, tout au contraire, à faciliter la libre prestation des services de transport en précisant les circonstances dans lesquelles les règles en matière de détachement, prévues par la directive 96/71, s’imposent ou non aux conducteurs effectuant une opération de transport routier, y compris à ceux effectuant des opérations de transport tiers, tout en assurant
un meilleur équilibre entre les différents intérêts concernés eu égard aux évolutions sur le marché, remplissant ainsi les obligations qui lui incombent en vertu de l’article 91 TFUE (voir, par analogie, arrêt du 8 décembre 2020, Hongrie/Parlement et Conseil, C‑620/18, EU:C:2020:1001, point 48).

1426 Il convient, de surcroît, de rappeler que, ainsi qu’il a été indiqué au point 266^ du présent arrêt, lorsqu’un acte législatif a déjà coordonné les législations des États membres dans un domaine donné d’action de l’Union, le législateur de l’Union ne saurait être privé de la possibilité d’adapter cet acte à toute modification des circonstances ou à toute évolution des connaissances eu égard à la tâche qui lui incombe de veiller à la protection des intérêts généraux reconnus par le traité FUE et
de prendre en compte les objectifs transversaux de l’Union consacrés à l’article 9 de ce traité, parmi lesquels figure la garantie d’une protection sociale adéquate. En effet, le législateur de l’Union ne peut, dans une telle situation, s’acquitter correctement de la tâche qui lui incombe de veiller à la protection de ces intérêts généraux et de ces objectifs transversaux que s’il lui est loisible d’adapter la législation pertinente de l’Union à de telles modifications ou évolutions.

1427 Il s’ensuit que le seul fait que certains transporteurs pourraient supporter des coûts plus élevés en raison de l’amélioration des conditions d’emploi et de l’augmentation de la protection sociale garantie à certains conducteurs par les dispositions attaquées de l’article 1^er de la directive 2020/1057 ne saurait être considéré comme constituant une régression dans l’établissement d’une politique commune des transports, constitutive d’une violation de l’article 91, paragraphe 2, TFUE.

1428 Par conséquent, il y a lieu de rejeter les secondes branches des cinquièmes moyens de la République de Bulgarie et de la République de Chypre comme étant non fondées et, dès lors, ces moyens dans leur ensemble.

g)      Sur la violation de l’article 11 TFUE et de l’article 37 de la Charte

1)      Argumentation des parties

1429 Par son quatrième moyen, la République de Pologne fait valoir que l’article 11 TFUE et l’article 37 de la Charte doivent être interprétés en ce sens qu’ils imposent aux institutions de l’Union l’obligation de tenir compte des exigences de protection de l’environnement tant lors de la détermination et de la mise en œuvre des autres politiques de l’Union que dans le cadre d’autres actions de l’Union. En effet, l’objectif de protection de l’environnement, fixé à l’article 191 TFUE, ne pourrait
être ni pris en compte ni réalisé par les seules mesures adoptées en application de l’article 192 TFUE dans le cadre d’une politique distincte et autonome. Le principe d’intégration permettrait de concilier les objectifs et les exigences de protection de l’environnement avec les autres intérêts et buts poursuivis par l’Union.

1430 Une interprétation selon laquelle l’article 11 TFUE concernerait des domaines du droit de l’Union, et non des mesures particulières, ne permettrait pas de réaliser l’objectif de cette disposition. L’appartenance de la directive 2020/1057 à un paquet plus vaste visant à réduire les émissions polluantes dans le secteur du transport routier ne prouverait pas que l’incidence de cette directive sur l’environnement, et en particulier sur la possibilité d’atteindre les objectifs environnementaux fixés
dans les documents de programme et les actes adoptés par l’Union dans le domaine de l’environnement, ait été dûment prise en considération. En outre, il ne serait pas non plus possible de considérer que, une fois fixés, les objectifs en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre demeurent invariables, quelles que soient les émissions supplémentaires générées dans le futur à la suite de la réalisation d’obligations découlant d’une nouvelle réglementation de l’Union.

1431 La République de Pologne partage l’interprétation retenue par l’avocat général Geelhoed aux points 59 et 60 de ses conclusions dans l’affaire Autriche/Parlement et Conseil (C‑161/04, EU:C:2006:66), selon laquelle, lorsque les intérêts environnementaux n’ont manifestement pas été pris en compte ou lorsqu’ils ont été complètement ignorés, l’article 11 TFUE peut servir de standard pour contrôler la légalité de la législation de l’Union. Lorsqu’il est établi qu’une mesure particulière prise par le
législateur de l’Union a pour effet de porter préjudice à la réalisation des objectifs fixés par celui-ci dans d’autres actes de droit dérivé adoptés en matière d’environnement, ce législateur serait tenu de mettre en balance les intérêts en conflit et d’apporter, le cas échéant, des modifications adéquates aux actes applicables dans le domaine de l’environnement.

1432 En l’espèce, le législateur de l’Union aurait manqué à cette obligation en ce qu’il n’aurait pas examiné l’incidence de la mise en œuvre des dispositions attaquées de l’article 1^er de la directive 2020/1057 sur les exigences en matière d’environnement. En particulier, il n’aurait pas tenu compte du fait que la mise en œuvre de ces dispositions engendrerait des trajets supplémentaires, y compris des parcours à vide de poids lourds, sur de longues distances, dont il résulterait, ainsi que
l’attestent les données et les études mentionnées au point 416 du présent arrêt, des émissions de CO2 et de polluants atmosphériques à l’origine de nombreux problèmes de santé.

1433 En effet, et alors que, en l’absence desdites dispositions, les véhicules concernés pourraient effectuer des opérations de transport tiers et de cabotage, la réduction de ces deux types d’opérations aurait pour effet d’accroître le nombre d’opérations de transport bilatérales, ce qui conduirait à une augmentation du nombre des parcours à vide. Or, les opérations de transport tiers seraient utiles en ce qu’elles minimisent le nombre de ces parcours à vide, évitent l’attente d’ordres de transport
de marchandises vers l’État membre d’établissement et aident à répondre à une demande de transport qui évolue géographiquement.

1434 Les effets environnementaux des dispositions attaquées de l’article 1^er de la directive 2020/1057 devraient être examinés cumulativement à ceux générés par les règlements 2020/1054 et 2020/1055, qui font également partie du « Paquet mobilité » et qui, eux aussi, contraindraient les poids lourds à effectuer des trajets supplémentaires, souvent à vide, sur de longues distances.

1435 Ces surcroîts d’émissions pourraient avoir, en raison de leur ampleur, une incidence notable sur la réalisation des objectifs environnementaux fixés dans les documents de programmation et les actes adoptés par l’Union dans le domaine de la protection de l’environnement, mentionnés aux points 417 à 419 du présent arrêt, ainsi que sur le respect des obligations imposées par ces actes aux États membres. Or, aucun des actes attaqués composant le « Paquet mobilité » n’aborderait ces différents
risques d’incidence. Dans l’analyse d’impact – volet social, la Commission se bornerait à constater qu’elle n’a identifié aucune incidence sur l’environnement des options envisagées, mais cette constatation ne serait ni étayée ni crédible.

1436 Bien que certains États membres et la Commission aient souligné la nécessité de prendre en compte l’incidence des mesures projetées par le « Paquet mobilité » sur la hausse du nombre des parcours à vide et des émissions de CO2, le législateur de l’Union aurait ignoré ces préoccupations. L’élaboration d’analyses supplémentaires avant la fin de l’année 2020, annoncée par la commissaire, M^me Vălean, portant sur les effets du retour obligatoire des véhicules dans l’État membre d’établissement
toutes les huit semaines et des restrictions applicables aux opérations de transport combiné, ne pallierait nullement ce manquement, voire confirmerait le bien–fondé du présent moyen.

1437 La République de Bulgarie et la République de Chypre reprennent, pour leur part, l’argumentation exposée aux points 1377 et 1378 du présent arrêt, tirée d’une violation de l’article 90 TFUE, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 3, TUE, en raison des effets préjudiciables sur l’environnement découlant de la distinction opérée à l’article 1^er, paragraphes 3 et 4, de la directive 2020/1057, lu ensemble avec le considérant 13 de celle–ci, entre les opérations de transport tiers et les
opérations de transport bilatérales.

1438 Le Parlement  et le Conseil font valoir que ces arguments ne sont pas fondés.

2)      Appréciation de la Cour

1439 Il y a lieu d’écarter d’emblée l’argumentation avancée par la République de Bulgarie et la République de Chypre, tirée d’une violation de l’article 90 TFUE, lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 3, TUE, pour les motifs indiqués aux points 423, 424 et 934 du présent arrêt.

1440 Dans ces conditions, et pour les motifs exposés aux points 428 à 430 de cet arrêt, il convient uniquement d’examiner si, comme le fait valoir la République de Pologne, le législateur de l’Union, lorsqu’il a adopté les dispositions attaquées de l’article 1^er de la directive 2020/1057, a violé les exigences liées à la protection de l’environnement découlant de l’article 11 TFUE, lu en combinaison avec l’article 37 de la Charte.

1441 À cet égard, il y a lieu d’observer que les arguments avancés par la République de Pologne au titre de son quatrième moyen se rapportent quasi exclusivement non pas aux dispositions de la directive 2020/1057, mais aux dispositions des autres actes formant le « Paquet mobilité », en particulier à celles du règlement 2020/1055. En effet, l’essentiel des études et des autres éléments sur lesquels la République de Pologne s’appuie dans ce contexte a trait à l’obligation, prévue à l’article 1^er,
point 3, de ce règlement, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009, relative au retour des véhicules dans un centre opérationnel situé dans l’État membre d’établissement de l’entreprise de transport concernée toutes les huit semaines. Or, cette dernière disposition fait l’objet de moyens distincts dans le cadre des recours dirigés contre le règlement 2020/1055 dans les affaires C‑542/20, C‑545/20, C‑547/20, C‑549/20 à C‑552/20 et C‑554/20. Dans la
mesure où les arguments avancés par la République de Pologne ne se rapportent pas aux dispositions de la directive 2020/1057, ils doivent être jugés inopérants.

1442 Dans la mesure néanmoins où l’argumentation de la République de Pologne, tirée de la violation de l’article 11 TFUE, lu en combinaison avec l’article 37 de la Charte, porte spécifiquement sur les dispositions de la directive 2020/1057, il convient de rappeler, d’une part, que, comme il a été relevé au point 436 du présent arrêt, l’article 11 TFUE revêt un caractère transversal qui implique que le législateur de l’Union doit intégrer les exigences liées à la protection de l’environnement dans
les politiques et les actions de l’Union et, notamment, dans la politique commune des transports dont relève la directive 2020/1057.

1443 D’autre part, le contrôle de légalité que la Cour est appelée à effectuer, en l’occurrence, au regard de l’article 11 TFUE, lu en combinaison avec l’article 37 de la Charte, concerne un acte de l’Union dans le cadre duquel le législateur de celle-ci est tenu d’assurer, ainsi qu’il a été souligné, notamment aux points 1210, 1223, 1308 et 1361 du présent arrêt, un équilibre entre les différents intérêts et objectifs en présence.

1444 Dans ces conditions, il convient de rappeler que, quand bien même les dispositions attaquées de l’article 1^er de la directive 2020/1057, envisagées isolément, auraient des effets négatifs notables sur l’environnement, il y aurait lieu, afin de déterminer si une violation de l’article 11 TFUE, lu en combinaison avec l’article 37 de la Charte, doit être constatée, de tenir compte des autres actions que le législateur de l’Union a entreprises pour limiter de tels effets du transport routier sur
l’environnement et atteindre l’objectif global de réduction des émissions polluantes.

1445 En l’occurrence, par son argumentation tirée de la violation des règles du droit de l’Union en matière de protection de l’environnement, la République de Pologne se fonde sur la prémisse selon laquelle les critères d’application des règles en matière de détachement définis par les dispositions attaquées de l’article 1^er de la directive 2020/1057 aboutiront à des effets néfastes sur l’environnement en raison de l’augmentation des émissions polluantes à laquelle la mise en œuvre de ces critères
mènera. En particulier, cet État membre soutient que lesdites dispositions entraîneront des trajets supplémentaires, souvent à vide, sur de longues distances, puisque les transporteurs remplaceront les opérations de cabotage et les opérations de transport tiers, dont il allègue qu’elles seraient plus favorables pour l’environnement, par des opérations de transport bilatérales afin de bénéficier de l’exemption intégrale desdites règles applicable à ces dernières opérations.

1446 À cet égard, il y a lieu de rappeler, premièrement, que, comme il ressort déjà, notamment, des points 1318, 1321 et 1395 du présent arrêt, l’obligation d’appliquer, en principe, les règles en matière de détachement aux conducteurs effectuant des opérations de transport tiers et des opérations de cabotage découlait déjà du cadre réglementaire qui existait avant l’entrée en vigueur de la directive 2020/1057, tel qu’interprété par la Cour dans l’arrêt du 1^er décembre 2020, Federatie Nederlandse
Vakbeweging (C‑815/18, EU:C:2020:976).

1447 Par conséquent, une grande partie des prétendus effets négatifs sur l’environnement que la République de Pologne attribue aux règles figurant à l’article 1^er de la directive 2020/1057, à les supposer établis, découlent, en réalité, non pas de cette dernière, mais des règles de l’Union qui étaient applicables avant l’entrée en vigueur de celle-ci.

1448 Il convient de relever, deuxièmement et en tout état de cause, que les différents types d’opérations de transport évoqués par la République de Pologne ne sont pas nécessairement substituables. En effet, alors qu’une opération de transport tiers et une opération de transport bilatérale pourraient, en principe, comme le souligne le Conseil, se substituer l’une à l’autre, une opération de cabotage ne saurait, par sa nature même, être remplacée par une opération de transport bilatérale.

1449 Par ailleurs, ainsi qu’il ressort, en substance, du point 358 du présent arrêt, l’article 49 TFUE, tel que mis en œuvre, dans le secteur des transports, par le règlement n^o 1071/2009, garantit à toute entreprise le droit de s’établir à titre permanent, le cas échéant, par la création de filiales, dans l’État membre de son choix afin d’organiser de manière optimale ses activités, tout en se conformant à ses obligations découlant du droit de l’Union. Ainsi, les transporteurs qui entendent
effectuer des transports nationaux dans un autre État membre de façon systématique ou très régulière peuvent y créer une filiale ou tout autre établissement stable, ce qui serait susceptible d’éviter les retours de véhicules sur de longues distances, dont la République de Pologne allègue qu’ils aboutiront à des effets négatifs sur l’environnement en raison de l’augmentation des émissions de CO2 et de polluants atmosphériques.

1450 Partant, l’article 1^er de la directive 2020/1057 ne saurait, comme tel, conduire à des effets négatifs notables sur l’environnement, puisque, en étant susceptible d’inciter certains transporteurs à s’établir plus près de la demande réelle des services de transport que ce n’était le cas avant son entrée en vigueur, elle contribue à ce qu’un lien plus étroit existe entre le lieu d’établissement du prestataire de ces services et le lieu où ces derniers sont effectivement fournis.

1451 Troisièmement, dans le cas où, ainsi que le suggère la République de Pologne, une entreprise de transport choisirait de faire rentrer dans l’État membre d’établissement un véhicule à vide afin que l’opération de transport soit qualifiée de bilatérale, il convient de faire observer que l’exercice d’un tel choix ne suffirait pas, en tout état de cause, à faire qualifier l’opération concernée de bilatérale, au sens de l’article 1^er, paragraphes 3 et 4, de la directive 2020/1057, puisque ces
dispositions exigent que les marchandises ou les voyageurs soient transportés depuis ou vers l’État membre d’établissement pour qu’une opération soit ainsi qualifiée.

1452 Par ailleurs, ainsi qu’il découle du point 377 du présent arrêt, le législateur de l’Union reste en droit, en adaptant un acte législatif afin d’accroître la protection sociale des personnes concernées, de modifier les conditions dans lesquelles s’exerce la libre prestation de services et de garantir une concurrence équitable. En effet, en vertu de l’article 58, paragraphe 1, TFUE, le degré de libéralisation est déterminé non pas directement par l’article 56 TFUE mais par le législateur de
l’Union lui-même dans le cadre de la mise en œuvre de la politique commune des transports.

1453 Pour le reste, revêtent un caractère spéculatif les arguments, mis en avant par la République de Pologne, relatifs aux opérateurs qui seraient obligés de quitter le marché en raison des prétendus coûts accrus résultant des critères d’application des règles en matière de détachement définis à l’article 1^er de la directive 2020/1057, tels qu’ils s’appliquent au transport tiers et au transport de cabotage. Il en va d’autant plus ainsi au regard des considérations exposées aux points 1448 à 1450
du présent arrêt. En tout état de cause, cet État membre ne démontre pas que de telles prétendues sorties du marché entraîneraient des effets négatifs notables sur l’environnement.

1454 Quatrièmement, ainsi que le fait valoir le Conseil, l’argumentation de la République de Pologne ne fait pas ressortir de différence intrinsèque, en termes d’efficacité et d’impact environnemental, entre une opération de transport tiers et une opération de transport bilatérale lorsque ces opérations visent à répondre à des demandes de transport de manière plus ou moins permanente dans une certaine partie de l’Union. Au demeurant, ainsi qu’il ressort, en substance, du point 1354 du présent arrêt,
en vertu de l’article 1^er, paragraphe 3, troisième à cinquième alinéas, de la directive 2020/1057, lu à la lumière de son considérant 10, certaines activités supplémentaires liées aux opérations de transport bilatérales bénéficient d’une extension de l’exemption des règles en matière de détachement prévue pour ces dernières opérations, et cela afin précisément de tenir compte des éventuels gains d’efficacité résultant d’une telle organisation du transport routier.

1455 Enfin, dans la mesure où la République de Pologne soutient que l’application des règles en matière de détachement aux opérations de transport combiné, telle que prévue à l’article 1^er, paragraphe 6, de la directive 2020/1057, découragerait le recours à de telles opérations, dont l’effet favorable sur l’environnement serait reconnu, il suffit de rappeler les considérations exposées aux points 1330, 1331 et 1340 du présent arrêt, dont il ressort que, par rapport au système applicable avant
l’entrée en vigueur de cette directive, cette disposition ne vise qu’à préciser les circonstances dans lesquelles des transporteurs effectuant une opération de transport combiné peuvent bénéficier d’une exemption desdites règles pour certaines parties de cette opération. Ainsi, il n’est pas établi que ladite disposition aurait pour effet de décourager ce type d’opérations.

1456 En tout état de cause, eu égard à la nature de la directive 2020/1057, laquelle vise à atteindre un équilibre entre les divers objectifs qu’elle poursuit, sans, elle–même, relever de la politique de l’Union en matière de protection de l’environnement, une violation de l’article 11 TFUE, lu en combinaison avec l’article 37 de la Charte, ne saurait être établie au seul motif que, en adoptant cet acte, le législateur de l’Union n’a pas favorisé l’ensemble des activités de transport qui pourraient
être considérées comme étant favorables à l’environnement, au détriment d’une protection sociale accrue pour les conducteurs.

1457 Compte tenu de ce qui précède, en l’absence d’effets négatifs notables sur l’environnement découlant des dispositions attaquées de l’article 1^er de la directive 2020/1057 relatives aux opérations de transport tiers, de transport combiné ou de transport de cabotage, il convient de rejeter les arguments soulevés par la République de Pologne, tirés de la violation de l’article 11 TFUE, lu en combinaison avec l’article 37 de la Charte.

1458 Dans ces conditions, il n’y a lieu d’examiner ni les arguments tirés par cet État membre d’autres actes de l’Union, dont les objectifs en matière environnementale seraient prétendument compromis par l’adoption de l’article 1^er de la directive 2020/1057, ni les différentes mesures prises par le législateur de l’Union dans le secteur du transport routier, invoquées par le Parlement et le Conseil, afin d’apprécier dans quelle mesure ce législateur a tenu compte de l’objectif global de réduction
des émissions polluantes dans ce secteur.

1459 En conséquence, le quatrième moyen de la République de Pologne doit être rejeté comme étant non fondé.

1460 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, les recours introduits par la République de Lituanie (affaire C‑541/20), par la République de Bulgarie (affaire C‑544/20), par la Roumanie (affaire C‑548/20) et par la République de Chypre (affaire C‑550/20) doivent être rejetés dans leur intégralité. De même, les recours introduits par la Hongrie (affaire C‑551/20) et par la République de Pologne (affaire C‑555/20) doivent être rejetés en ce qu’ils visent à obtenir l’annulation de
l’article 1^er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057 ou de certaines de ces dispositions.

4.      Sur l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2020/1057

1461 À l’appui de son recours tendant à l’annulation de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2020/1057 en tant que cette disposition fixe au 2 février 2022 la date limite de transposition de cette directive, la République de Pologne (affaire C‑555/20) invoque trois moyens, lesquels peuvent être examinés conjointement, tirés de la violation, pour le premier, du principe de sécurité juridique, pour le deuxième, du principe de proportionnalité et, pour le troisième, de l’article 94 TFUE.

a)      Argumentation des parties

1462 En ce qui concerne, en premier lieu, la violation alléguée du principe de sécurité juridique, la République de Pologne rappelle que ce principe exige que les règles du droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets, afin que les intéressés puissent s’orienter dans des situations et des relations juridiques relevant de l’ordre juridique de l’Union. Ledit principe s’imposerait avec une rigueur particulière lorsque la réglementation dont il s’agit est susceptible de comporter des
charges financières, à l’instar de la directive 2020/1057.

1463 Or, les dispositions attaquées de l’article 1^er de cette directive ne préciseraient pas les obligations des transporteurs. Elles présenteraient, en outre, des problèmes d’interprétation ainsi que des difficultés d’ordre pratique relatives à la détermination du droit applicable aux conditions de travail et d’emploi des conducteurs effectuant des opérations de transport routier. Des clarifications devraient être apportées par les actes nationaux de transposition ainsi que par les documents
d’interprétation et les guides de la Commission, à condition qu’ils soient adoptés.

1464 Par ailleurs, la mise en œuvre de ces dispositions impliquerait de longs travaux législatifs au niveau national. Par conséquent, une partie significative du délai de 18 mois destiné à la transposition de la directive 2020/1057 serait consacrée à la rédaction et à l’adoption de la réglementation nationale. Cela réduirait sensiblement le temps dont les transporteurs pourront disposer pour prendre connaissance de l’objet et de l’étendue des obligations qui leur incombent. En outre, la
réglementation nationale définirait également les conditions d’emploi et de travail et les transporteurs seraient tenus de prendre connaissance des règles pertinentes prévues par plus d’un État membre. Enfin, l’absence d’obligation de fixer une période de transposition spécifique ne saurait être assimilée à un pouvoir discrétionnaire complet du législateur de l’Union à cet égard.

1465 En ce qui concerne, en deuxième lieu, la violation alléguée du principe de proportionnalité, la République de Pologne soutient que la fixation par le législateur de l’Union d’un délai de transposition réduit de 18 mois ne répond pas aux exigences découlant de ce principe.

1466 Le législateur de l’Union n’aurait pas présenté de motifs objectifs justifiant la fixation de ce délai, alors que le délai adopté pour les actes de cette nature serait de deux ans au minimum. Compte tenu de la spécificité du secteur du transport routier, qui serait caractérisé par une forte mobilité et, partant, de la nécessité d’appliquer les règles de nombreux États membres au cours d’une courte période de référence, ce législateur aurait également dû tenir compte du fait que les
transporteurs devront se préparer à appliquer également les exigences découlant des autres actes composant le « Paquet mobilité ».

1467 Le législateur de l’Union n’aurait pas non plus tenu compte de la place dominante occupée sur le marché du transport routier par les PME, pour lesquelles l’adaptation aux nouvelles réglementations impliquerait des difficultés et des coûts spécifiques. De plus, des difficultés supplémentaires auraient été causées par la pandémie de COVID-19. Enfin, des sanctions, parfois sévères, s’appliqueraient aux transporteurs qui ne sont pas en mesure de s’adapter aux nouvelles règles dans le délai imparti.

1468 S’agissant du point de savoir dans quelle mesure la situation juridique et factuelle antérieure des transporteurs a été modifiée par la directive 2020/1057, la question de l’application de la directive 96/71 au transport routier aurait longtemps constitué un point litigieux. Partant, il existerait, ainsi qu’il ressort du considérant 4 de la directive 2020/1057, une série de divergences entre les États membres en matière d’interprétation, d’application et de mise en œuvre des dispositions de la
directive 96/71. L’arrêt du 1^er décembre 2020, Federatie Nederlandse Vakbeweging (C‑815/18, EU:C:2020:976), n’aurait répondu qu’à quelques questions concernant les modalités d’exercice des transports internationaux.

1469 En ce qui concerne, en troisième lieu, la violation alléguée de l’article 94 TFUE, la République de Pologne fait valoir que le délai de transposition prévu à l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2020/1057 ne tient pas compte de la situation économique des transporteurs. Dans ce contexte, cet État membre se réfère également au fait que le secteur est dominé par les PME, que les modifications concernées impliquent des coûts considérables et que ces dernières ont été introduites pendant une
période de crise économique et de perturbation du fonctionnement de l’activité de transport du fait de la pandémie de COVID-19.

1470 Le Parlement et le Conseil font valoir que ces arguments ne sont pas fondés.

b)      Appréciation de la Cour

1471 En vue de l’examen des présents moyens, il convient de rappeler que l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2020/1057 prévoit, à son premier alinéa, que les États membres sont tenus d’adopter et de publier les dispositions nationales nécessaires pour se conformer à cette directive « au plus tard le 2 février 2022 » et ajoute, à son deuxième alinéa, que ces mêmes États membres sont tenus d’appliquer ces mesures à partir de la même date.

1472 En premier lieu, s’agissant de la prétendue violation du principe de sécurité juridique, il convient de faire observer que la République de Pologne reproche au législateur de l’Union non pas d’avoir adopté un délai de transposition imprécis, mais d’avoir fixé un délai de transposition trop court, compte tenu de l’incertitude entourant l’interprétation des règles prévues à l’article 1^er de la directive 2020/1057 et des problèmes pratiques concernant l’application de celles–ci.

1473 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, aux termes de l’article 288, troisième alinéa, TFUE, une directive lie tout État membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. Par conséquent, ainsi que le souligne le Parlement, le résultat à atteindre est déjà exposé dans l’acte juridique même de l’Union. Il s’ensuit que, en l’occurrence, les transporteurs ont eu la possibilité de prendre connaissance, au
moins dès le 31 juillet 2020, date de publication de la directive 2020/1057 au Journal officiel de l’Union européenne, de leurs obligations futures découlant de cette directive.

1474 Par ailleurs, la mesure dans laquelle les dispositions prévues à l’article 1^er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057 créent de nouvelles obligations incombant aux entreprises de transport est, en tout état de cause, nécessairement limitée par le fait que, ainsi qu’il ressort des points 1178 à 1182 du présent arrêt, le régime gouvernant l’application des règles en matière de détachement aux conducteurs découlant des critères fixés à ces dispositions est, dans une certaine mesure,
semblable à celui qui existait antérieurement à l’entrée en vigueur de cette directive.

1475 Pour autant que la République de Pologne fait valoir des problèmes d’interprétation et des difficultés d’ordre pratique que soulèverait la détermination du droit applicable aux conditions de travail et d’emploi des conducteurs, il y a lieu de relever, d’une part, que, contrairement à ce que suggère cet État membre, le droit national applicable dans un cas déterminé dépend non pas des actes nationaux de transposition, mais des dispositions mêmes de l’article 1^er de la directive 2020/1057,
lesquelles énumèrent des types d’opérations de transport clairement définis et précisent à quels types d’opérations de transport les règles en matière de détachement, et donc les règles nationales de l’État membre d’accueil en matière de conditions de travail et d’emploi, doivent être considérées comme étant applicables.

1476 D’autre part, ainsi qu’il découle des considérants 4, 8 et 9 de la directive 2020/1057 et qu’il a été exposé, en substance, au point 1224 du présent arrêt, c’est précisément en raison, en particulier, d’une série de divergences qui avaient été relevées entre les États membres dans l’interprétation, l’application et la mise en œuvre des dispositions du droit de l’Union applicables avant l’entrée en vigueur de cette directive que le législateur de l’Union a entendu adopter une législation
spécifique au secteur routier qui prévoit des critères permettant de déterminer dans quelles situations les conducteurs doivent être soumis aux règles relatives au détachement de longue durée prévues par la directive 96/71.

1477 Dans la mesure où la République de Pologne soutient qu’une partie significative du délai de 18 mois devrait être consacrée à l’adoption de la réglementation nationale nécessaire pour transposer la directive 2020/1057, cet État membre se fonde sur la prémisse erronée selon laquelle les obligations des transporteurs en matière de détermination du droit applicable aux conditions de travail et d’emploi des conducteurs découlent des actes de transposition adoptés par les États membres, alors que,
ainsi qu’il a été exposé au point 1473 du présent arrêt, ces obligations résultent de l’article 1^er de cette directive. Il s’ensuit que le fait que, le cas échéant, le législateur national en Pologne s’est trouvé dans l’obligation de consacrer une partie plus ou moins significative dudit délai pour procéder à l’adoption des actes de transposition nécessaires à cet égard ne démontre pas une violation par le législateur de l’Union de ses obligations découlant du principe de sécurité juridique.

1478 La République de Pologne fait également valoir que les transporteurs auront besoin de temps afin de prendre connaissance des règles pertinentes de plusieurs États membres, et ce notamment parce que le droit de l’Union impose non seulement le paiement d’un taux de salaire minimum, mais en plus, en vertu de la directive 2020/1057, l’application des conditions de travail et d’emploi de l’État membre d’accueil. À cet égard, il convient de faire observer, d’une part, que, comme le souligne le
Conseil, la date limite de transposition du 2 février 2022 a été prévue, ainsi qu’il ressort explicitement de l’article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, de la directive 2020/1057, lu ensemble avec le considérant 43 de celle-ci, comme une date fixe à partir de laquelle les dispositions nationales doivent être appliquées afin d’éviter la création de nouvelles entraves par une mise en application différenciée par les États membres jusqu’à l’échéance du délai de transposition prévu. Dès lors, quelle
que soit la partie du délai de transposition de 18 mois consacrée par un État membre à la transposition de la directive 2020/1057, celui-ci ne pouvait, en tout état de cause, imposer les nouvelles obligations découlant de cette directive aux entreprises de transport avant le 2 février 2022.

1479 D’autre part, ainsi que le souligne la République de Pologne elle–même, l’article 3, paragraphe 3, de la directive 2018/957 a prévu que cette dernière directive s’appliquerait au secteur du transport routier à partir de la date d’application d’un acte législatif modifiant la directive 2006/22 quant aux exigences en matière de contrôle et établissant des règles spécifiques en ce qui concerne les directives 96/71 et 2014/67 pour le détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier.
Par conséquent, s’il est vrai que les conditions prévues par la directive 96/71, telle que modifiée par la directive 2018/957, sont devenues applicables à compter de la date à laquelle la directive 2020/1057 devait être transposée, il n’en reste pas moins que les entreprises de transport étaient informées depuis l’adoption de la directive 2018/957, à savoir le 28 juin 2018, qu’une lex specialis dans le secteur du transport routier était envisagée par le législateur de l’Union et que les
modifications apportées par la directive 2020/1057 à la directive 96/71 entreraient en vigueur une fois que cette lex specialis serait applicable.

1480 Partant, la République de Pologne ne démontre pas, par les difficultés qu’elle allègue relatives à l’interprétation et à l’application de l’article 1^er de la directive 2020/1057, que, en fixant le délai de transposition de cette directive à 18 mois, le législateur de l’Union a enfreint le principe de sécurité juridique.

1481 En deuxième lieu, s’agissant de la prétendue violation du principe de proportionnalité, il convient de faire observer que, au point 42 de l’accord interinstitutionnel, le Parlement, le Conseil et la Commission ont souligné la nécessité, en ce qui concerne la procédure législative ordinaire, de prévoir un délai de transposition des directives aussi court que possible et qui, en règle générale, n’excède pas deux ans. Cette approche s’inscrit dans le cadre de l’objectif plus général consistant à
assurer une application rapide et correcte de la législation de l’Union dans les États membres.

1482 Par ailleurs, le législateur de l’Union dispose d’une marge d’appréciation pour fixer le délai de transposition d’une directive et, contrairement à ce que suggère la République de Pologne, il n’est nullement obligé de préciser les motifs ayant justifié la fixation de ce délai chaque fois que ce dernier est inférieur à deux ans.

1483 Ne saurait non plus prospérer l’argument à caractère tout à fait général selon lequel la prise en compte des obligations découlant des autres actes formant le « Paquet mobilité » aurait dû aboutir à la fixation d’un délai de transposition plus long en ce qui concerne les dispositions de la directive 2020/1057. En effet, le seul fait que différents délais de mise en œuvre sont applicables aux obligations pertinentes de chaque acte de ce « Paquet mobilité » démontre précisément que le législateur
de l’Union a pris en considération la nature des obligations ainsi que les circonstances spécifiques à chacun de ces actes afin de déterminer un délai de transposition ou d’application approprié.

1484 En outre, par son argumentation tout aussi générale relative à la pandémie de COVID-19, la République de Pologne ne démontre pas en quoi les coûts, les restrictions à la fourniture des services ou les modifications apportées aux réglementations des États membres engendrés par cette pandémie étaient susceptibles d’exercer une incidence quelconque sur la fixation du délai de transposition de la directive 2020/1057. En tout état de cause, il n’incombait pas au législateur de l’Union de remédier
aux effets de cette pandémie dans le cadre de la directive 2020/1057, laquelle a pour objectif, notamment, d’améliorer les conditions de travail des conducteurs, et cela d’autant moins que, ainsi qu’il ressort du point 286 du présent arrêt, d’autres actes législatifs spécifiques de l’Union avaient un tel objet.

1485 De surcroît, la République de Pologne ne saurait prétendre établir le caractère disproportionné du délai de transposition de la directive 2020/1057 en spéculant sur la fréquence des comportements violant les obligations découlant de celle-ci en matière de détachement des travailleurs dans le secteur du transport routier, l’éventuelle sévérité des sanctions appliquées par les États membres en cas de non-respect des conditions d’emploi et de travail ou des exigences formelles y afférentes n’étant
d’ailleurs aucunement de nature à remettre en cause la longueur même de ce délai.

1486 Par conséquent, et eu égard aux considérations exposées aux points 1473 à 1476, 1478 et 1479 du présent arrêt, dont il ressort, notamment, que le législateur de l’Union a tenu compte des particularités du secteur du transport routier, y compris de la présence de PME sur le marché, à laquelle fait référence le considérant 20 de la directive 2020/1057, il ne saurait être considéré que, en fixant un délai de transposition de 18 mois à l’article 9, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive,
ce législateur est allé manifestement au-delà de ce qui était nécessaire afin d’atteindre, dans le cadre de la transposition de ladite directive, l’objectif consistant à assurer une application rapide et correcte de la législation de l’Union dans les États membres.

1487 En troisième lieu, s’agissant de la prétendue violation de l’article 94 TFUE, il suffit de rappeler que, ainsi qu’il ressort du point 1390 du présent arrêt, l’article 1^er, paragraphes 3 à 7, de la directive 2020/1057 ne régit pas les « prix ou conditions de transport », au sens de cet article 94, mais se borne à fixer des critères d’application des règles relatives au détachement des conducteurs dans le secteur du transport routier. Ledit article 94 n’étant, dès lors, pas applicable à ces
paragraphes de l’article 1^er de cette directive, l’argumentation tirée d’une violation de celui-ci en raison de la longueur du délai prévu pour la transposition de ceux–ci doit être rejetée.

1488 Aucun des moyens invoqués par la République de Pologne à l’appui des conclusions de son recours tendant à l’annulation de l’article 9, paragraphe 1, de la directive 2020/1057 (affaire C‑555/20) n’ayant été accueilli, il convient de rejeter ces conclusions et, par suite, le recours dans son ensemble.

5.      Conclusion concernant la directive 2020/1057

1489 Il résulte de l’ensemble des développements qui précèdent qu’il convient de rejeter, d’une part, les recours de la République de Lituanie (affaire C‑541/20) et de la Hongrie (affaire C‑551/20), en ce qu’ils portent sur la directive 2020/1057, ainsi que, d’autre part, les recours de la République de Bulgarie (affaire C‑544/20), de la Roumanie (affaire C‑548/20), de la République de Chypre (affaire C‑550/20) et de la République de Pologne (affaire C‑555/20).

D.      Conclusion générale sur les recours

1490 Eu égard à tout ce qui précède, il convient :

–        d’annuler l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009 ;

–        de rejeter les recours pour le surplus.

V.      Sur les dépens

1491 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

1492 L’article 138, paragraphe 3, de ce règlement prévoit que, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. Toutefois, si cela apparait justifié au vu des circonstances de l’espèce, la Cour peut décider que, outre ses propres dépens, une partie supporte une fraction des dépens de l’autre partie.

1493 Le Parlement et le Conseil ayant conclu à la condamnation aux dépens de la République de Lituanie (affaire C‑541/20), de la République de Bulgarie (affaires C‑543/20 et C‑544/20), de la Roumanie (affaires C‑546/20 et C‑548/20), de la République de Chypre (affaire C‑550/20) ainsi que de la République de Pologne (affaires C‑553/20 et C‑555/20), et ces États membres ayant succombé en leurs moyens, il convient de les condamner aux dépens, y compris, en ce qui concerne la République de Lituanie, à
ceux relatifs à la procédure de référé (affaire C‑541/20 R).

1494 La République de Chypre ayant conclu à la condamnation aux dépens du Parlement et du Conseil (affaire C‑549/20) et ces institutions ayant succombé, il y a lieu de les condamner aux dépens relatifs à cette affaire.

1495 La République de Lituanie, la République de Bulgarie, la Roumanie, la Hongrie, la République de Malte et la République de Pologne ayant succombé partiellement en leurs moyens (affaires C‑542/20, C‑545/20, C‑547/20, C‑551/20, C‑552/20 et C‑554/20), chacun de ces États membres supportera ses propres dépens relatifs à ces affaires, y compris, en ce qui concerne la République de Bulgarie, à ceux relatifs à la procédure de référé (affaire C‑545/20 R).

1496 Conformément à l’article 140, paragraphe 1, du même règlement, le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République d’Estonie, la République hellénique, la République française, la République italienne, la République de Lettonie, la République de Lituanie, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche, la Roumanie et le Royaume de Suède supporteront leurs propres dépens exposés en tant que parties intervenantes.

Par ces motifs, la Cour (grande chambre) déclare et arrête :

1)      Dans l’affaire C‑541/20, Lituanie/Parlement et Conseil :

–        le recours est rejeté ;

–        la République de Lituanie est condamnée aux dépens, y compris à ceux relatifs à la procédure de référé (affaire C‑541/20 R) ;

–        le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République d’Estonie, la République française, la République italienne, la République de Lettonie, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche, la Roumanie et le Royaume de Suède supportent leurs propres dépens.

2)      Dans l’affaire C‑542/20, Lituanie/Parlement et Conseil :

–        l’article 1^er, point 3, du règlement (UE) 2020/1055 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2020, modifiant les règlements (CE) n^o 1071/2009, (CE) n^o 1072/2009 et (UE) n^o 1024/2012 en vue de les adapter aux évolutions du secteur du transport par route, est annulé, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement (CE) n^o 1071/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, établissant des règles communes sur les conditions à respecter
pour exercer la profession de transporteur par route, et abrogeant la directive 96/26/CE du Conseil ;

–        le recours est rejeté pour le surplus ;

–        chaque partie supporte ses propres dépens ;

–        le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République d’Estonie, la République hellénique, la République française, la République italienne, la République de Lettonie, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche, la Roumanie et le Royaume de Suède supportent leurs propres dépens.

3)      Dans l’affaire C‑543/20, Bulgarie/Parlement et Conseil :

–        le recours est rejeté ;

–        la République de Bulgarie est condamnée aux dépens ;

–        le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République hellénique, la République française, la République italienne, la République de Lettonie, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche, la Roumanie et le Royaume de Suède supportent leurs propres dépens.

4)      Dans l’affaire C‑544/20, Bulgarie/Parlement et Conseil :

–        le recours est rejeté ;

–        la République de Bulgarie est condamnée aux dépens ;

–        le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République d’Estonie, la République française, la République italienne, la République de Lettonie, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche, la Roumanie et le Royaume de Suède supportent leurs propres dépens.

5)      Dans l’affaire C‑545/20, Bulgarie/Parlement et Conseil :

–        l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055 est annulé, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009 ;

–        le recours est rejeté pour le surplus ;

–        chaque partie supporte ses propres dépens, y compris à ceux relatifs à la procédure de référé (affaire C‑545/20 R) ;

–        le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République d’Estonie, la République hellénique, la République française, la République italienne, la République de Lettonie, la République de Lituanie, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche, la Roumanie et le Royaume de Suède supportent leurs propres dépens.

6)      Dans l’affaire C‑546/20, Roumanie/Parlement et Conseil :

–        le recours est rejeté ;

–        la Roumanie est condamnée aux dépens ;

–        le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République hellénique, la République française, la République italienne, la République de Lettonie, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche et le Royaume de Suède supportent leurs propres dépens.

7)      Dans l’affaire C‑547/20, Roumanie/Parlement et Conseil :

–        l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055 est annulé, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009 ;

–        le recours est rejeté pour le surplus ;

–        chaque partie supporte ses propres dépens ;

–        le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République d’Estonie, la République hellénique, la République française, la République italienne, la République de Lettonie, la République de Lituanie, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche et le Royaume de Suède supportent leurs propres dépens.

8)      Dans l’affaire C‑548/20, Roumanie/Parlement et Conseil :

–        le recours est rejeté ;

–        la Roumanie est condamnée aux dépens ;

–        le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République d’Estonie, la République française, la République italienne, la République de Lettonie, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche et le Royaume de Suède supportent leurs propres dépens.

9)      Dans l’affaire C‑549/20, Chypre/Parlement et Conseil :

–        l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055 est annulé, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009 ;

–        le Parlement et le Conseil sont condamnés aux dépens ;

–        le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République d’Estonie, la République française, la République italienne, la République de Lettonie, la République de Lituanie, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche, la Roumanie et le Royaume de Suède supportent leurs propres dépens.

10)    Dans l’affaire C‑550/20, Chypre/Parlement et Conseil :

–        le recours est rejeté ;

–        la République de Chypre est condamnée aux dépens ;

–        le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République d’Estonie, la République française, la République italienne, la République de Lettonie, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche, la Roumanie et le Royaume de Suède supportent leurs propres dépens.

11)    Dans l’affaire C‑551/20, Hongrie/Parlement et Conseil :

–        l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055 est annulé, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009 ;

–        le recours est rejeté pour le surplus ;

–        chaque partie supporte ses propres dépens ;

–        le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République d’Estonie, la République hellénique, la République française, la République italienne, la République de Lettonie, la République de Lituanie, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche, la Roumanie et le Royaume de Suède supportent leurs propres dépens.

12)    Dans l’affaire C‑552/20, Malte/Parlement et Conseil :

–        l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055 est annulé, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009 ;

–        le recours est rejeté pour le surplus ;

–        chaque partie supporte ses propres dépens ;

–        le Royaume de Belgique, le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République d’Estonie, la République française, la République italienne, la République de Lettonie, la République de Lituanie, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche, la Roumanie et le Royaume de Suède supportent leurs propres dépens.

13)    Dans l’affaire C‑553/20, Pologne/Parlement et Conseil :

–        le recours est rejeté ;

–        la République de Pologne est condamnée aux dépens ;

–        le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République française, la République italienne, la République de Lettonie, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche, la Roumanie et le Royaume de Suède supportent leurs propres dépens.

14)    Dans l’affaire C‑554/20, Pologne/Parlement et Conseil :

–        l’article 1^er, point 3, du règlement 2020/1055 est annulé, en tant qu’il insère un paragraphe 1, sous b), à l’article 5 du règlement n^o 1071/2009 ;

–        le recours est rejeté pour le surplus ;

–        chaque partie supporte ses propres dépens ;

–        le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République d’Estonie, la République française, la République italienne, la République de Lettonie, la République de Lituanie, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche, la Roumanie et le Royaume de Suède supportent leurs propres dépens.

15)    Dans l’affaire C‑555/20, Pologne/Parlement et Conseil :

–        le recours est rejeté ;

–        la République de Pologne est condamnée aux dépens ;

–        le Royaume de Danemark, la République fédérale d’Allemagne, la République d’Estonie, la République française, la République italienne, la République de Lettonie, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas, la République d’Autriche, la Roumanie et le Royaume de Suède supportent leurs propres dépens.

Signatures

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*      Langues de procédure : le bulgare, le grec, l’anglais, le lituanien, le hongrois, le polonais et le roumain.


Synthèse
Formation : Grande chambre
Numéro d'arrêt : C-541/20
Date de la décision : 04/10/2024

Analyses

Recours en annulation – Premier train de mesures sur la mobilité (“Paquet mobilité”) – Règlement (UE) 2020/1054 – Durées maximales de conduite journalières et hebdomadaires – Durée minimale des pauses et des temps de repos journaliers et hebdomadaires – Organisation du travail des conducteurs de telle sorte que ceux-ci soient en mesure de retourner toutes les trois ou quatre semaines, selon le cas, à leur lieu de résidence ou au centre opérationnel de leur employeur pour y entamer ou y passer leur temps de repos hebdomadaire normal ou compensatoire – Interdiction du repos hebdomadaire normal ou compensatoire à bord du véhicule – Délai pour l’installation de tachygraphes intelligents de deuxième génération (V2) – Date d’entrée en vigueur – Règlement (UE) 2020/1055 – Conditions relatives à l’exigence d’établissement – Obligation relative au retour des véhicules dans le centre opérationnel de l’État membre d’établissement – Obligation relative au nombre de véhicules et de conducteurs normalement rattachés au centre opérationnel de l’État membre d’établissement – Cabotage – Période de carence de quatre jours pour le cabotage – Dérogation relative au cabotage dans le cadre d’opérations de transports combinés – Directive (UE) 2020/1057 – Règles spécifiques pour le détachement de conducteurs dans le secteur du transport routier – Délai de transposition – Marché intérieur – Régime spécifique applicable à la libre prestation des services de transport – Politique commune des transports – Articles 91 et 94 TFUE – Libertés fondamentales – Principe de proportionnalité – Analyse d’impact – Principes d’égalité de traitement et de non-discrimination – Principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime – Protection de l’environnement – Article 11 TFUE – Consultation du Comité économique et social européen ainsi que du Comité européen des régions.


Parties
Demandeurs : République de Lituanie e.a.
Défendeurs : Parlement européen et Conseil de l'Union européenne.

Origine de la décision
Date de l'import : 08/10/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:818

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