La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/10/2024 | CJUE | N°C-228/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Association AFAÏA contre Institut national de l’origine et de la qualité (INAO)., 04/10/2024, C-228/23


ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

4 octobre 2024 (*)

« Renvoi préjudiciel – Agriculture – Production biologique et étiquetage des produits biologiques – Règlement (UE) 2018/848 – Utilisation de certains produits et substances dans la production biologique et liste de ces produits et substances – Dérogation – Règlement d’exécution (UE) 2021/1165 – Annexe II – Notions d’“élevage industriel” et d’“élevage hors sol” – Confiance des consommateurs – Bien-être animal – Respect de l’environnement et du climat – Critères »r>
Dans l’affaire C‑228/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFU...

ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

4 octobre 2024 (*)

« Renvoi préjudiciel – Agriculture – Production biologique et étiquetage des produits biologiques – Règlement (UE) 2018/848 – Utilisation de certains produits et substances dans la production biologique et liste de ces produits et substances – Dérogation – Règlement d’exécution (UE) 2021/1165 – Annexe II – Notions d’“élevage industriel” et d’“élevage hors sol” – Confiance des consommateurs – Bien-être animal – Respect de l’environnement et du climat – Critères »

Dans l’affaire C‑228/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Conseil d’État (France), par décision du 12 avril 2023, parvenue à la Cour le 12 avril 2023, dans la procédure

Association AFAÏA

contre

Institut national de l’origine et de la qualité (INAO),

en présence de :

Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de chambre, MM. T. von Danwitz, P. G. Xuereb, A. Kumin et M^me I. Ziemele, juges,

avocat général : M. M. Campos Sánchez-Bordona,

greffier : M^me R. Şereş, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 21 février 2024,

considérant les observations présentées :

–        pour l’association AFAÏA, par M^es B. Le Bret, R. Rard, avocats, et M. A. Tricaud, expert,

–        pour le gouvernement français, par MM. G. Bain, J.-L. Carré, B. Fodda et M. de Lisi, en qualité d’agents,

–        pour le gouvernement finlandais, par M^me M. Pere, en qualité d’agent,

–        pour la Commission européenne, par MM. A. Dawes et B. Hofstötter, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 25 avril 2024,

rend le présent

Arrêt

1        La présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’annexe II du règlement d’exécution (UE) 2021/1165 de la Commission, du 15 juillet 2021, autorisant l’utilisation de certains produits et substances dans la production biologique et établissant la liste de ces produits et substances (JO 2021, L 253, p. 13, et rectificatif JO 2022, L 115, p. 230) (ci-après le « règlement d’exécution 2021/1165 »), adopté aux fins de l’application du règlement (UE) 2018/848 du
Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2018, relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques, et abrogeant le règlement (CE) n^o 834/2007 du Conseil (JO 2018, L 150, p. 1, et rectificatif JO 2019, L 305, p. 59) (ci-après le « règlement 2018/848 »).

2        Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant l’association AFAÏA, qui est un syndicat professionnel français ayant pour objet la défense des intérêts collectifs des producteurs d’engrais organiques, à l’Institut national de l’origine et de la qualité (INAO), qui est un établissement public administratif français, au sujet de la définition de la notion d’ « élevage industriel » retenue par l’INAO dans son Guide de lecture pour l’application des règlements (CE)
n^o 834/2007 du Conseil, du 28 juin 2007, relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques et abrogeant le règlement (CEE) n^o 2092/91 [JO 2007, L 189, p. 1)], et (CE) n^o 889/2008 de la Commission, du 5 septembre 2008, portant modalités d’application du règlement (CE) n^o 834/2007 du Conseil relatifs à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques en ce qui concerne la production biologique, l’étiquetage et les contrôles [JO 2008, L 250, p. 1)]
(ci-après le « guide de lecture »).

 Le cadre juridique

 La directive EIE

3        L’article 2, paragraphe 1, de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (JO 2012, L 26, p. 1), telle que modifiée par la directive 2014/52/UE du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014 (JO 2014, L 124, p. 1) (ci‑après la « directive EIE »), dispose :

« Les États membres prennent les dispositions nécessaires pour que, avant l’octroi de l’autorisation, les projets susceptibles d’avoir des incidences notables sur l’environnement, notamment en raison de leur nature, de leurs dimensions ou de leur localisation, soient soumis à une procédure de demande d’autorisation et à une évaluation en ce qui concerne leurs incidences sur l’environnement. Ces projets sont définis à l’article 4. »

4        L’article 4, paragraphe 1, de cette directive prévoit :

« Sous réserve de l’article 2, paragraphe 4, les projets énumérés à l’annexe I sont soumis à une évaluation, conformément aux articles 5 à 10. »

5        Aux termes de l’annexe I, point 17, de ladite directive :

« Installations destinées à l’élevage intensif de volailles ou de porcs disposant de plus :

a)      de 85 000 emplacements pour poulets, 60 000 emplacements pour poules ;

b)      de 3 000 emplacements pour porcs de production (de plus de 30 kilogrammes) ; ou

c)      de 900 emplacements pour truies. »

 Le règlement 2018/848

6        Les considérants 1, 2, 4, 6, 15, 40, 43, 44, 63 et 123 du règlement 2018/848 énoncent :

« (1)      La production biologique est un système global de gestion agricole et de production alimentaire qui allie les meilleures pratiques en matière d’environnement et d’action pour le climat, un degré élevé de biodiversité, la préservation des ressources naturelles et l’application de normes élevées en matière de bien-être animal et des normes de production élevées répondant à la demande exprimée par un nombre croissant de consommateurs désireux de se procurer des produits obtenus grâce à des
substances et à des procédés naturels. La production biologique joue ainsi un double rôle sociétal : d’une part, elle approvisionne un marché spécifique répondant à la demande de produits biologiques émanant des consommateurs et, d’autre part, elle fournit des biens accessibles au public qui contribuent à la protection de l’environnement et du bien-être animal ainsi qu’au développement rural.

(2)      Le respect, dans la production de produits biologiques, de normes élevées en matière de santé, d’environnement et de bien-être animal est inhérent au niveau de qualité élevé de ces produits. Comme la Commission [européenne] l’a souligné dans sa communication du 28 mai 2009 sur la politique de qualité des produits agricoles, la production biologique fait partie intégrante des systèmes de qualité des produits agricoles de l’Union [européenne], au même titre que les indications géographiques
et les spécialités traditionnelles garanties conformément au règlement (UE) n^o 1151/2012 du Parlement européen et du Conseil[, du 21 novembre 2012, relatif aux systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires (JO 2012, L 343, p. 1),] et les produits des régions ultrapériphériques de l’Union conformément au règlement (UE) n^o 228/2013 du Parlement européen et du Conseil[, du 13 mars 2013, portant mesures spécifiques dans le domaine de l’agriculture en faveur des
régions ultrapériphériques de l’Union et abrogeant le règlement (CE) n^o 247/2006 du Conseil (JO 2013,L 78, p. 23)]. En ce sens, la production biologique poursuit, dans le cadre de la politique agricole commune (PAC), les objectifs inhérents à tous les systèmes de qualité de l’Union applicables aux produits agricoles.

[...]

(4)      De plus, la production biologique est un système qui contribue à l’intégration des exigences relatives à la protection de l’environnement dans la PAC et qui favorise une production agricole durable. [...]

[...]

(6)      Compte tenu des objectifs de la politique de l’Union en matière de production biologique, il convient que le cadre juridique établi pour la mise en œuvre de cette politique vise à assurer des conditions de concurrence loyale et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur des produits biologiques, à conserver et à justifier la confiance que les consommateurs ont dans les produits étiquetés en tant que produits biologiques, et viser à créer des conditions permettant à cette politique
de se développer en fonction de l’évolution de la production et du marché.

[...]

(15)      Des études ont montré que la confiance des consommateurs est cruciale pour le marché des denrées alimentaires biologiques. À long terme, l’application de règles peu fiables peut compromettre la confiance du public et entraîner une défaillance du marché. Il convient dès lors que le développement durable de la production biologique dans l’Union repose sur des règles de production solides qui soient harmonisées à l’échelle de l’Union et qui répondent aux attentes des opérateurs et des
consommateurs en ce qui concerne la qualité des produits biologiques et le respect des principes et des règles établis dans le présent règlement.

[...]

(40)      Étant donné que la production animale va naturellement de pair avec la gestion de terres agricoles et que les effluents sont épandus comme fertilisants pour la production végétale, il y a lieu d’interdire la production animale hors sol, sauf en ce qui concerne l’apiculture. [...]

[...]

(43)      La gestion de la santé animale devrait être essentiellement axée sur la prophylaxie. Il convient par ailleurs de prévoir des mesures spécifiques en matière de nettoyage et de désinfection. L’utilisation préventive de médicaments allopathiques chimiques de synthèse, y compris des antibiotiques, ne devrait pas être autorisée en production biologique. En cas de maladie ou de blessure d’un animal nécessitant un traitement immédiat, l’utilisation de tels produits devrait être limitée au strict
minimum nécessaire pour rétablir le bien-être de l’animal. [...]

(44)      Il y a lieu que les conditions de logement et les pratiques d’élevage applicables aux animaux biologiques répondent aux besoins comportementaux des animaux et garantissent un niveau élevé de bien-être animal qui, à certains égards, devrait aller au-delà des normes de l’Union en matière de bien-être des animaux applicables à la production animale en général. Dans la très grande majorité des cas, les animaux d’élevage devraient bénéficier d’un accès permanent à des espaces de plein air leur
permettant de prendre de l’exercice. Toute souffrance, douleur ou détresse devrait être évitée ou réduite au minimum à toutes les étapes de la vie des animaux. L’attache des animaux et les mutilations, comme la coupe de la queue chez les ovins, l’épointage du bec au cours des trois premiers jours de vie et l’ablation des bourgeons de corne, ne devraient être possibles que si ces pratiques ont été autorisées par les autorités compétentes et seulement sous certaines conditions.

[...]

(63)      Il convient que l’utilisation, dans la production biologique, de certains produits ou substances actives dans des produits phytopharmaceutiques relevant du champ d’application du règlement (CE) n^o 1107/2009 [du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/CEE et 91/414/CEE (JO 2009, L 309, p. 1)], d’engrais, d’amendements du sol, d’éléments nutritifs, de composants non
biologiques de l’alimentation animale d’origines diverses, d’additifs pour l’alimentation animale, d’auxiliaires technologiques et de produits de nettoyage et de désinfection soit limitée au minimum et obéisse aux conditions spécifiques énoncées dans le présent règlement [...]

[...]

(123)      [...] les objectifs du présent règlement [...] consistent en particulier à garantir une concurrence loyale et le bon fonctionnement du marché intérieur des produits biologiques, ainsi qu’à susciter la confiance des consommateurs dans ces produits et dans le logo de production biologique de l’Union européenne, [...] »

7        L’article 3, paragraphe 1, du règlement 2018/848 prévoit que la « production biologique » désigne « l’utilisation [...] de méthodes de production conformes au présent règlement à toutes les étapes de la production, de la préparation et de la distribution ».

8        L’article 4 de ce règlement mentionne, parmi les objectifs généraux de la production biologique :

« a)      contribuer à la protection de l’environnement et du climat ;

b)      préserver la fertilité à long terme des sols ;

c)      contribuer à atteindre un niveau élevé de biodiversité ;

d)      apporter une contribution notable à un environnement non toxique ;

e)      contribuer à des normes élevées en matière de bien-être animal et, en particulier, répondre aux besoins comportementaux propres à chaque espèce animale ;

[...] »

9        Aux termes de l’article 5 dudit règlement, intitulé « Principes généraux » :

« La production biologique est un système de gestion durable qui repose sur les principes généraux suivants :

a)      respecter les systèmes et cycles naturels et maintenir et améliorer l’état du sol, de l’eau et de l’air, la santé des végétaux et des animaux, ainsi que l’équilibre entre ceux-ci ;

[...]

d)      produire une grande variété de denrées alimentaires et autres produits agricoles et aquacoles de haute qualité qui répondent à la demande des consommateurs pour des biens produits par l’utilisation de procédés qui ne nuisent pas à l’environnement, à la santé humaine, à la santé des végétaux ou à la santé et au bien-être des animaux ;

e)      garantir l’intégrité de la production biologique à toutes les étapes de la production, de la préparation et de la distribution des denrées alimentaires et des aliments pour animaux ;

[...]

g)      restreindre l’utilisation d’intrants extérieurs ; lorsque des intrants extérieurs sont nécessaires, ou en l’absence des pratiques et méthodes de gestion appropriées visées au point f), leur utilisation est limitée aux :

i)      intrants provenant de la production biologique ; [...]

ii)      substances naturelles ou substances dérivées de substances naturelles ;

[...]

[...]

j)      assurer un niveau élevé de bien-être animal en respectant les besoins propres à chaque espèce. »

10      L’article 6 du même règlement prévoit :

«Dans le cadre des activités agricoles et de l’aquaculture, la production biologique repose, en particulier, sur les principes spécifiques suivants :

a)      préserver et développer la vie et la fertilité naturelle des sols [...], prévenir et combattre l’appauvrissement des sols en matières organiques, le tassement et l’érosion des sols et nourrir les végétaux principalement par l’écosystème du sol ;

b)      réduire au minimum l’utilisation de ressources non renouvelables et d’intrants extérieurs ;

[...]

k)      pratiquer un élevage adapté au site et lié au sol ;

l)      mettre en œuvre des pratiques d’élevage qui renforcent le système immunitaire et les défenses naturelles contre les maladies, y compris la pratique régulière de l’exercice et l’accès à des espaces de plein air et à des pâturages ;

[...] »

11      L’article 9, paragraphe 3, premier alinéa, du règlement 2018/848 dispose :

« Aux fins et utilisations visées aux articles 24 et 25 et à l’annexe II, seuls les produits et substances qui ont été autorisés en vertu de ces dispositions peuvent être utilisés en production biologique, à condition que leur utilisation dans la production non biologique ait également été autorisée conformément aux dispositions applicables du droit de l’Union et, le cas échéant, conformément aux dispositions nationales fondées sur le droit de l’Union. »

12      Aux termes de l’article 12, paragraphe 1, de ce règlement :

« Les opérateurs produisant des végétaux ou des produits végétaux se conforment en particulier aux règles détaillées qui figurent à l’annexe II, partie I. »

13      L’article 24 dudit règlement, intitulé « Autorisation des produits et substances utilisés en agriculture biologique », dispose :

« 1.      La Commission peut autoriser l’utilisation de certains produits et de certaines substances en production biologique et inscrit ces produits et substances autorisés sur des listes limitatives, aux fins suivantes :

[...]

b)      en tant qu’engrais, amendements du sol et éléments nutritifs ;

[...] »

14      L’annexe II du même règlement comprend une partie I, intitulée « Règles applicables à la production de végétaux », qui prévoit :

« [...]

1.9.2.      La fertilité et l’activité biologique du sol sont préservées et augmentées de la manière suivante :

[...]

c)      dans tous les cas, par l’épandage d’effluents d’élevage ou de matières organiques, de préférence compostés, provenant de la production biologique.

[...]

1.9.3.      Lorsque les mesures prévues aux points 1.9.1 et 1.9.2 ne permettent pas de couvrir les besoins nutritionnels des végétaux, seuls les engrais et amendements du sol dont l’utilisation est autorisée en production biologique conformément à l’article 24 sont utilisés, et uniquement dans la mesure nécessaire. [...] »

 Le règlement d’exécution 2021/1165

15      L’article 2 du règlement d’exécution 2021/1165 dispose :

« Aux fins de l’article 24, paragraphe 1, point b), du règlement [2018/848], seuls les produits et substances énumérés à l’annexe II du présent règlement peuvent être utilisés dans la production biologique en tant qu’engrais, amendements du sol et éléments nutritifs pour la nutrition des végétaux [...], à condition qu’ils soient conformes aux dispositions pertinentes du droit de l’Union. [...] »

16      L’annexe II de ce règlement d’exécution prévoit :

« Les engrais, amendements du sol et éléments nutritifs [...] énumérés dans la présente annexe peuvent être utilisés en production biologique pour autant qu’ils soient conformes :

–        aux législations applicables de l’Union et nationales sur les fertilisants, en particulier, le cas échéant, le règlement (CE) n^o 2003/2003 [du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 2003, relatif aux engrais (JO 2003, L 304, p. 1),] et le règlement (UE) 2019/1009 [du Parlement européen et du Conseil, du 5 juin 2019, établissant les règles relatives à la mise à disposition sur le marché des fertilisants UE, modifiant les règlements (CE) n^o 1069/2009 et (CE) n^o 1107/2009 et
abrogeant le règlement (CE) n^o 2003/2003 (JO 2019, L 170, p. 1)] ; et

–        à la législation de l’Union sur les sous-produits animaux, en particulier le règlement (CE) n^o 1069/2009 [du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, établissant des règles sanitaires applicables aux sous-produits animaux et produits dérivés non destinés à la consommation humaine et abrogeant le règlement (CE) n^o 1774/2002 (JO 2009, L 300, p. 1),] et le règlement [(UE)] n^o 142/2011 de la Commission, du 25 février 2011, portant application du règlement (CE) n^o 1069/2009
établissant des règles sanitaires applicables aux sous-produits animaux et produits dérivés non destinés à la consommation humaine et portant application de la directive 97/78/CE du Conseil en ce qui concerne certains échantillons et articles exemptés des contrôles vétérinaires effectués aux frontières en vertu de cette directive (JO 2011, L 54, p. 1)], et notamment ses annexes V et XI.

Conformément à l’annexe II, partie I, point 1.9.6, du règlement [2018/848], les préparations de micro-organismes peuvent être utilisées pour améliorer l’état général du sol ou la disponibilité d’éléments nutritifs dans le sol ou les cultures.

Elles ne peuvent être utilisées que conformément aux spécifications et restrictions d’utilisation des législations nationales et de l’Union respectives. Des conditions plus restrictives pour une utilisation dans le cadre de la production biologique sont indiquées dans la colonne de droite des tableaux.

+------------------------------------------------------+
|Dénomination | |
| | |
|Produits composés ou| |
|produits contenant |Description, limites et |
|uniquement les |conditions spécifiques |
|matières reprises | |
|dans la liste | |
|ci-dessous: | |
|--------------------+---------------------------------|
| |Produits constitués d’un mélange |
| |d’excréments d’animaux et de |
| |matière végétale (litières et |
|Fumiers |matières premières pour aliments |
| |des animaux) |
| | |
| |Provenance d’élevages industriels|
| |interdite |
|--------------------+---------------------------------|
|Fumier séché et |Provenance d’élevages industriels|
|fiente de volaille |interdite |
|déshydratée | |
|--------------------+---------------------------------|
|Compost d’excréments| |
|d’animaux solides, y|Provenance d’élevages industriels|
|compris les fientes |interdite |
|de volaille et les | |
|fumiers compostés | |
|--------------------+---------------------------------|
| |Utilisation après fermentation |
| |contrôlée et/ou dilution |
|Excréments d’animaux|appropriée |
|liquides | |
| |Provenance d’élevages industriels|
| |interdite |
+------------------------------------------------------+

[...] »

 Les faits au principal et les questions préjudicielles

17      Il ressort de la demande de décision préjudicielle que l’INAO a, au mois de janvier 2020, modifié son guide de lecture. À cette occasion, il a interprété l’interdiction, énoncée à l’annexe I du règlement n^o 889/2008 et figurant désormais à l’annexe II du règlement d’exécution 2021/1165, de l’utilisation sur des terres biologiques des engrais et amendements du sol d’origine animale en « provenance d’élevages industriels » comme excluant les effluents « d’élevages en système caillebotis ou
grilles intégral et dépassant les seuils définis en annexe I de la directive [2011/92] » ainsi que ceux « d’élevages en cages et dépassant » les mêmes seuils.

18      Devant le Conseil d’État (France), qui est la juridiction de renvoi, l’association AFAÏA a demandé l’annulation de la décision du 4 février 2020 par laquelle l’INAO a rejeté sa demande de modification du guide de lecture en tant que celui-ci définit la notion d’« élevage industriel », qu’il utilise, et qu’il soit enjoint à l’INAO de modifier en conséquence ce guide dans un délai d’un mois à compter de la notification de la décision de cette juridiction ainsi que d’assortir la modification en
question de mesures de publicité de nature à mettre en évidence que l’interprétation de cette notion que ledit guide contenait n’est plus en vigueur.

19      L’INAO soutient avoir tiré, dans le guide de lecture, les conséquences du changement de terminologie opéré par le législateur de l’Union dans la version française des règlements n^o 834/2007 et n^o 889/2008, abrogés par le règlement 2018/848, en ce que ce législateur y a substitué la notion d’« élevage industriel » à la notion d’« élevage hors sol », qui figurait dans le règlement précédant les règlements n^o 834/2007 et n^o 889/2008. En interprétant la notion d’ « élevage industriel » comme
se référant aux conditions de logement des animaux, tant en termes de liberté de se mouvoir et d’accès à des espaces extérieurs qu’en termes de densité de peuplement, et en suivant l’acception courante de cette notion, c’est-à-dire comme renvoyant à la mécanisation des procédés et au caractère massif de la production, les autorités françaises auraient entendu exclure les exploitations dont la taille et les conditions d’élevage ne sont pas compatibles avec les objectifs du règlement 2018/848, au
nombre desquels figurent le bien-être animal et la confiance des consommateurs dans la chaîne de production de l’agriculture biologique.

20      La juridiction de renvoi relève qu’il résulte des dispositions pertinentes du règlement 2018/848 et du règlement d’exécution 2021/1165 que, pour la production végétale biologique, les effluents d’élevage employés à des fins de fertilisation du sol doivent en principe provenir eux-mêmes de la production biologique, mais que lorsque cela ne permet pas de couvrir les besoins nutritionnels des végétaux, et seulement dans la mesure nécessaire, il est permis de recourir aux engrais et amendements
du sol autorisés en agriculture biologique, tels que définis à l’annexe II de ce règlement d’exécution.

21      Il résulterait également de ces dispositions que, en matière de production animale biologique, la production hors sol est interdite, les cages, boxes et cases à plancher en caillebotis ne sont utilisés pour élever aucune espèce animale, et les bâtiments hébergeant les animaux doivent, pour les bovins, ovins et porcins, disposer d’une aire de couchage ou de repos en dur non pourvue de caillebotis, pour les volailles, comporter au moins un tiers de surface en dur, non constituée de caillebotis
ou de grilles, et, pour les poules pondeuses, une partie suffisante de surface destinée à récolter les déjections. Pour autant, ces éléments ne suffiraient pas à déterminer si la notion d’« élevage industriel », figurant à l’annexe II du règlement d’exécution 2021/1165, doit être assimilée à la notion d’« élevage hors sol » et si, à défaut, elle inclut nécessairement, au-delà d’un certain nombre d’animaux, l’usage de systèmes intégralement composés de caillebotis, de grilles ou de cages.

22      La juridiction de renvoi relève que la notion d’« élevage industriel », employée dans la version française du règlement d’exécution 2021/1165, n’est définie ni par celui-ci, ni par le règlement 2018/848, ni par les règlements antérieurs qui faisaient usage de cette notion. Si ladite notion se retrouve dans la plupart des versions linguistiques de ce règlement d’exécution, quelques versions comprennent la notion d’« élevage hors sol », notion qui n’est pas davantage définie dans ce règlement
et ledit règlement d’exécution.

23      Cette juridiction précise en outre qu’il ressort de la note du groupe d’experts réuni par la Commission au mois de mai 2021 afin de cerner la portée de la notion d’« élevage industriel » que, à défaut de pouvoir en donner une définition précise, la mise en œuvre de cette notion devrait se faire sur la base d’un faisceau d’indices.

24      La juridiction de renvoi relève également que la divergence susmentionnée entre les différentes versions linguistiques du règlement d’exécution 2021/1165 existait déjà entre les versions linguistiques du règlement n^o 889/2008 et que la notion d’« élevage industriel » fait l’objet d’une interprétation différente selon les États membres.

25      C’est dans ce contexte que le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’annexe II du règlement [d’exécution 2021/1165] pris pour l’application du règlement [2018/848] doit-elle être interprétée en ce sens que la notion d’élevage industriel qui y figure est équivalente à celle d’élevage hors sol ?

2)      Si la notion d’élevage industriel est distincte de la notion d’élevage hors sol, quels sont les critères à prendre en compte pour déterminer si un élevage doit être qualifié d’industriel au sens de l’annexe II du règlement [d’exécution 2021/1165] ? »

 Sur les questions préjudicielles

 Sur la première question

26      Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’annexe II, troisième alinéa, du règlement d’exécution 2021/1165 doit être interprétée en ce sens que, en ce qui concerne les préparations de micro-organismes qui peuvent être utilisées pour améliorer l’état général du sol ou la disponibilité d’éléments nutritifs dans le sol ou les cultures, l’expression « provenance d’élevages industriels interdite », employée dans le tableau figurant à cette annexe, équivaut à
une interdiction des seules préparations provenant des élevages « hors sol ».

27      Il convient, à titre liminaire, de relever que ce règlement d’exécution a été adopté sur le fondement du règlement 2018/848, dont l’article 12 prévoit que les opérateurs produisant des végétaux ou des produits végétaux se conforment en particulier aux règles détaillées qui figurent à l’annexe II, partie I, de ce règlement.

28      Le point 1.9.1 de cette partie I prévoit, pour la gestion et la fertilisation des sols, que la production végétale biologique a recours à des pratiques de travail du sol et des pratiques culturales qui préservent ou accroissent la matière organique du sol, améliorent la stabilité du sol et sa biodiversité, et empêchent son tassement et son érosion. Conformément au point 1.9.2, sous c), de ladite partie I, la fertilité et l’activité biologique du sol sont préservées et augmentées, en
principe, par l’épandage d’effluents d’élevage ou de matières organiques, de préférence compostés, provenant de la production biologique.

29      Cela étant, ainsi qu’il ressort du point 1.9.3 de cette même partie I, lorsque les mesures prévues à ces points 1.9.1 et 1.9.2 ne permettent pas de couvrir les besoins nutritionnels des végétaux, seuls les engrais et amendements du sol dont l’utilisation est autorisée en production biologique conformément à l’article 24 du règlement 2018/848 sont utilisés, et uniquement dans la mesure nécessaire.

30      En vertu de l’article 24, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, la Commission peut autoriser l’utilisation de certains produits et de certaines substances en production biologique et, par la suite, elle inscrit ces produits et substances autorisés sur des listes limitatives, en tant qu’engrais, amendement du sol et éléments nutritifs.

31      Ces engrais, amendements du sol et éléments nutritifs font l’objet de l’annexe II du règlement d’exécution 2021/1165, qui prévoit, à son deuxième alinéa, que, conformément à l’annexe II, partie I, point 1.9.6, du règlement 2018/848, les préparations de micro-organismes peuvent être utilisées pour améliorer l’état général du sol ou la disponibilité d’éléments nutritifs dans le sol ou les cultures.

32      En vertu du troisième alinéa de cette annexe, ces préparations ne peuvent être utilisées que conformément aux spécifications et restrictions d’utilisation prévues par les législations nationales et de l’Union respectives. Des conditions plus restrictives pour une utilisation dans le cadre de la production biologique sont indiquées dans la colonne de droite du tableau figurant sous cet alinéa.

33      Ce tableau précise que, dans la production biologique, la « [p]rovenance d’élevages industriels » est interdite pour les produits tels que les fumiers, le fumier séché et les fientes de volailles déshydratées, le compost d’excréments d’animaux solides y compris les fientes de volaille et les fumiers compostés, ainsi que les excréments d’animaux liquides.

34      Ainsi, il résulte de la lecture combinée des dispositions susmentionnées du règlement 2018/848 et du règlement d’exécution 2021/1165 que les opérateurs qui produisent des végétaux ou des produits végétaux en production biologique peuvent, de manière dérogatoire et uniquement dans la mesure nécessaire, utiliser certains produits et substances issus de la production non biologique autorisés par la Commission, dont ceux mentionnés au point précédent du présent arrêt à condition que ces derniers
ne proviennent pas d’« élevages industriels ».

35      Les interrogations de la juridiction de renvoi s’expliquent, notamment, par le fait que l’expression « élevage industriel » ainsi que l’expression « élevage hors sol » sont toutes deux présentes dans les différentes versions linguistiques du règlement 2018/848 et du règlement d’exécution 2021/1165, et qu’elles ont été utilisées de façon alternative ou successive dans les règlements antérieurs à ceux-ci.

36      Il y a lieu de relever que, dans la version en langue française du règlement d’exécution 2021/1165, l’annexe II de celui-ci utilise une seule et même expression, à savoir « Provenance d’élevages industriels interdite ». La plupart des autres versions linguistiques de cette annexe, telles que les versions allemande, estonienne, grecque, anglaise, italienne ou roumaine, emploient également une seule et même expression (respectivement, « Erzeugnis darf nicht aus industrieller Tierhaltung
stammen », « tööstuslikust tootmisest pärit toote kasutamine on keelatud », « η προέλευση από εντατικοποιημένη εκτροφή απαγορεύεται », « factory farming origin forbidden », « proibiti se proveniente da allevamenti industriali » et « proveniența din ferme industriale este interzisă »), dont le sens correspond à celui de l’expression utilisée dans la version en langue française, ou les expressions proches d’ « élevage intensif » ou d’ « élevage à grande échelle », dans les versions bulgare, espagnole
ou tchèque (respectivement, « забранен е произходът от интензивни животновъдни стопанства », « Prohibida la procedencia de ganaderías intensivas » et « Nesmí pocházet z velkochovu »).

37      Trois versions linguistiques de cette annexe, à savoir les versions danoise, néerlandaise et portugaise utilisent cependant les notions distinctes d’« élevage sans terre » ou « hors terre » (respectivement, « ikke fra jordløst husdyrbrug », « Het product mag niet afkomstig zijn van niet-grondgebonden veehouderij » et « Proibidos os produtos provenientes das explorações pecuárias ‘sem terra’ »).

38      À cet égard, il convient de rappeler que toutes les versions linguistiques d’un acte de l’Union devant, par principe, se voir reconnaître la même valeur, il importe, en cas de divergences entre ces versions, d’interpréter la disposition concernée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (arrêt du 15 juin 2023, Saint-Louis Sucre (Reconnaissance d’une organisation de producteurs), C‑183/22, EU:C:2023:486, point 28 et jurisprudence
citée).

39      En outre, selon la jurisprudence de la Cour, il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition et de l’objectif poursuivi par la
réglementation en cause (arrêts du 18 janvier 1984, Ekro, 327/82, EU:C:1984:11, point 11, et du 30 mars 2023, Hauptpersonalrat der Lehrerinnen und Lehrer, C‑34/21, EU:C:2023:270, point 40).

40      En effet, une approche fondamentalement différente pourrait être source de différences entre les États membres susceptibles d’entraver le fonctionnement du marché intérieur (voir, en ce sens, arrêt du 18 novembre 2021, Visma Enterprise, C‑306/20, EU:C:2021:935, point 38).

41      En l’occurrence, il ressort, précisément, du dossier dont dispose la Cour que, compte tenu des versions, également divergentes, des dispositions applicables antérieurement aux dispositions pertinentes du règlement d’exécution 2021/1165, certains États membres assimilent la notion d’« élevage industriel » à celle d’« élevage hors sol », tandis que d’autres États membres distinguent les deux notions et définissent la notion d’« élevage industriel » par référence à des exigences techniques et à
des seuils en matière de nombre d’animaux, qui sont variables, voire également à des exigences en termes d’alimentation. Or, de telles divergences sont susceptibles de créer des distorsions de concurrence et de porter atteinte à la réalisation des objectifs de la politique de l’Union en matière de production biologique ainsi qu’en matière d’environnement.

42      Conformément à la jurisprudence rappelée au point 38 du présent arrêt, il convient d’examiner si les notions d’« élevage industriel » et d’« élevage hors sol » revêtent, eu égard à leur sens habituel dans le langage courant, la même signification.

43      Il convient, à cet égard, de relever que ni le règlement d’exécution 2021/1165 ni aucun autre texte du droit de l’Union ne définit les termes « élevage industriel » ou « élevage hors sol ».

44      Selon leur sens habituel, les termes « industriel » ou « intensif » font référence à une forme d’élevage à grande échelle, qui vise à optimiser le rendement de cette activité, notamment en augmentant la densité d’animaux sur l’exploitation ou en s’affranchissant plus ou moins fortement du milieu environnant par confinement de ces animaux. Le bétail y est généralement parqué, soumis à des conditions créées et contrôlées artificiellement et élevé à l’aide de méthodes visant à maximiser la
production dans le laps de temps le plus court possible.

45      Ainsi que l’a en outre relevé M. l’avocat général au point 38 de ses conclusions, l’élevage industriel nécessite en général d’importants investissements, le recours à des aliments enrichis et à l’utilisation préventive d’antibiotiques. Il est caractérisé par une productivité élevée et peut entraîner une pollution significative de l’environnement. Par ailleurs, la protection spécifique du bien-être animal ne figure généralement pas au nombre de ses priorités.

46      S’agissant de la notion d’« élevage hors sol », il y a lieu de constater que l’annexe II, partie II, point 1.1, du règlement 2018/848 indique que la « production animale hors sol » est interdite lorsque l’agriculteur envisageant de produire des animaux d’élevage biologique ne gère pas de terres agricoles et n’a pas conclu d’accord de coopération écrit avec un agriculteur quant à l’utilisation d’unités de production biologique pour ces animaux. En outre, l’article 16 du règlement n^o 889/2008
précise que la production animale hors sol, dans laquelle l’éleveur ne gère pas les terres agricoles et/ou n’a pas établi d’accord de coopération écrit avec un autre opérateur conformément à l’article 3, paragraphe 3, de ce règlement, est interdite.

47      Selon son acception habituelle dans le langage courant, un élevage « hors sol » correspond, en effet, à un mode d’élevage « industriel » ou « intensif » dans lequel l’approvisionnement alimentaire des animaux ne provient pas, pour l’essentiel ou en totalité, de l’exploitation agricole où se trouve l’élevage.

48      Dès lors, si les notions d’« élevage industriel » et d’« élevage hors sol » renvoient toutes deux à la mécanisation des procédés de production ainsi qu’au caractère massif de celle-ci, il y a lieu de constater que, contrairement à ce que fait valoir l’association AFAÏA, elles n’ont pas la même signification. Ainsi qu’il ressort des points 44 à 47 du présent arrêt, la notion d’« élevage industriel » est sensiblement plus large que celle d’« élevage hors sol » et, partant, ces notions doivent
être considérées comme étant différentes.

49      Il convient encore de se pencher sur l’économie générale de l’annexe II du règlement d’exécution 2021/1165 et la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément.

50      S’agissant de l’économie générale de cette annexe, ainsi qu’il a été relevé aux points 27 à 34 du présent arrêt, il résulte de la lecture combinée de l’article 12, paragraphe 1, de l’article 24, paragraphe 1, ainsi que de l’annexe II, partie I, point 1.9, du règlement 2018/848 que les opérateurs qui produisent des végétaux ou des produits végétaux en production biologique peuvent déroger aux règles prévues par cette annexe, utiliser certains produits et substances issus de la production non
biologique qui ont été autorisés par la Commission, et ce uniquement dans la mesure nécessaire.

51      Il y a lieu, à cet égard de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, des dispositions dérogatoires doivent faire l’objet d’une interprétation stricte [voir, en ce sens, arrêt du 7 février 2023, Confédération paysanne e.a. (Mutagenèse aléatoire in vitro), C‑688/21, EU:C:2023:75, point 49 ainsi que jurisprudence citée].

52      Ainsi en va-t-il de la dérogation prévue à l’annexe II du règlement d’exécution 2021/1165, ce qui implique que les limites que pose cette annexe à cette dérogation, à savoir, notamment, l’interdiction d’utiliser des préparations en « provenance d’élevages industriels », doivent, au contraire, être interprétées largement.

53      Or, l’interprétation, soutenue par l’association AFAÏA, selon laquelle la notion d’« élevage industriel » correspond uniquement à la notion d’« élevage hors sol » aboutit à ce que les effluents provenant de tous les élevages « industriels » autres que ceux « hors sol » soient autorisés aux fins d’épandages en agriculture biologique. Cette interprétation revient donc à interpréter largement le champ d’application de ladite dérogation et est donc contraire au principe rappelé au point 51 du
présent arrêt.

54      L’association AFAÏA fait encore valoir que la production animale biologique est intrinsèquement liée à l’utilisation des sols, ce dont il devrait être déduit, a contrario, que l’interdiction en cause au principal vise seulement les produits en provenance d’élevages « hors sol ».

55      Certes, conformément à l’approche globale qui caractérise l’agriculture biologique, telle qu’elle est rappelée, notamment, au considérant 40 du règlement 2018/848, et ainsi qu’il ressort des exigences posées à l’article 5, sous a), et d), de ce règlement, la production animale doit être liée au sol. Toutefois, cela implique uniquement que le mode d’élevage « hors sol » n’est pas compatible avec les principes de l’agriculture biologique et, partant, est purement et simplement interdit dans ce
cadre.

56      De surcroît, il ressort de l’article 6, sous l), dudit règlement que l’agriculture biologique repose également sur la mise en œuvre de pratiques d’élevage qui renforcent le système immunitaire et les défenses naturelles des animaux contre les maladies, y compris la pratique régulière de l’exercice et l’accès à des espaces de plein air et à des pâturages. Par ailleurs, le même règlement interdit les organismes génétiquement modifiés dans les aliments pour animaux et limite considérablement
l’utilisation des produits phytopharmaceutiques.

57      Il ne saurait donc être affirmé que l’agriculture biologique est caractérisée uniquement par un certain mode de gestion des terres et, partant, que le motif de l’interdiction en cause au principal est exclusivement lié à l’utilisation des sols.

58      Ce mode d’agriculture est, de façon plus large, lié à des méthodes de production vertueuses, tel que l’expose, en substance, le considérant 2 du règlement 2018/848, et, en particulier, aux conditions de logement des animaux, tant en termes de liberté de se mouvoir et d’accès à des espaces extérieurs qu’en termes de densité de peuplement.

59      En effet, en soulignant à plusieurs reprises sa volonté d’assurer un niveau élevé de bien-être animal dans le cadre de l’agriculture biologique, le législateur de l’Union a entendu mettre en exergue le fait que ce mode de production agricole se caractérise par l’observation de normes renforcées en matière de bien-être animal dans tous les lieux et à tous les stades de cette production où il est possible d’améliorer encore davantage ce bien-être (voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2019,
Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs, C‑497/17, EU:C:2019:137, point 38).

60      Eu égard à ces exigences, il ne saurait être admis que les effluents issus des élevages « industriels » ou « intensifs » soient autorisés en tant qu’effluents de l’agriculture biologique.

61      Cette interprétation est corroborée par les objectifs du règlement 2018/848.

62      En effet, il y a lieu de relever que la production biologique est, ainsi qu’il ressort du considérant 1 du règlement 2018/848, un système global de gestion agricole et de production alimentaire qui allie les meilleures pratiques en matière d’environnement et d’action pour le climat, un degré élevé de biodiversité, la préservation des ressources naturelles ainsi que l’application de normes élevées en matière de bien-être animal et des normes de production élevées répondant à la demande
exprimée par un nombre croissant de consommateurs désireux de se procurer des produits obtenus grâce à des substances et à des procédés naturels.

63      Comme le prévoit l’article 4 du règlement 2018/848, ce mode de production vise, de façon large, la protection de l’environnement et du climat, un degré élevé de biodiversité ainsi que la préservation de la fertilité à long terme des sols. Il tend à contribuer de façon notable à un environnement non toxique ainsi qu’à des normes élevées en matière de bien-être animal et, en particulier, à répondre aux besoins comportementaux propres à chaque espèce animale. Il cherche également à favoriser
les circuits courts de distribution et les productions locales dans les divers territoires de l’Union ainsi qu’à encourager la préservation des races rares et autochtones menacées d’extinction.

64      Il est, en outre, important de veiller à ce que les consommateurs aient l’assurance que les produits porteurs du logo biologique de l’Union ont effectivement été obtenus dans le respect des normes les plus élevées, notamment en matière de respect de l’environnement et de bien-être animal (voir, en ce sens, arrêt du 28 février 2019, C‑497/17, Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs, EU:C:2019:137, point 51).

65      Ainsi que l’a, en substance, relevé M. l’avocat général aux points 52 et 54 de ses conclusions, il y a lieu de considérer que les attentes légitimes des consommateurs sont garanties si les effluents utilisés dans l’agriculture biologique proviennent de sources biologiques ou, lorsque celles-ci ne suffisent pas et uniquement dans ce cas, si des effluents non biologiques sont utilisés mais sans qu’ils proviennent d’élevages industriels.

66      Ainsi, une dérogation permettant, de façon large, d’utiliser des produits provenant d’élevages industriels ou intensifs se heurterait manifestement à ces objectifs et contreviendrait aux exigences de cohérence ainsi qu’aux principes éthiques et environnementaux aux fondements même de l’agriculture biologique.

67      Il y a lieu d’ajouter que cette interprétation est également conforme à l’objectif poursuivi par l’annexe II, partie I, point 1.9.3, du règlement 2018/848, qui vise à fournir aux agriculteurs biologiques une alternative aux effluents d’élevages biologiques lorsque ceux-ci ne sont pas disponibles, cela uniquement dans la mesure nécessaire et tout en limitant la présence dans ces effluents de résidus indésirables.

68      Partant, il y a lieu de considérer que la notion d’« élevage industriel » figurant à l’annexe II du règlement d’exécution 2021/1165 ne correspond pas à celle d’« élevage hors sol » et que l’interdiction que cette annexe prévoit vise l’ensemble des élevages « industriels » et non uniquement les élevages « hors sol ».

69      Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’annexe II, troisième alinéa, du règlement d’exécution 2021/1165 doit être interprétée en ce sens que, en ce qui concerne les préparations de micro-organismes qui peuvent être utilisées pour améliorer l’état général du sol ou la disponibilité d’éléments nutritifs dans le sol ou les cultures, l’expression « provenance d’élevages industriels interdite », employée dans le tableau figurant à cette
annexe, n’équivaut pas à une interdiction des seules préparations provenant des élevages « hors sol », étant précisé que, conformément à cette disposition, les engrais, amendements du sol et éléments nutritifs dont ladite annexe interdit l’utilisation en agriculture biologique sont ceux issus de l’élevage industriel et non uniquement ceux provenant de l’élevage hors sol.

 Sur la seconde question

70      Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’annexe II, troisième alinéa, du règlement d’exécution 2021/1165 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à une réglementation nationale en vertu de laquelle l’interdiction de l’utilisation, sur des terres biologiques, des engrais et amendements du sol d’origine animale en « provenance d’élevages industriels » vise les effluents d’élevages en système caillebotis ou grilles intégral et dépassant les seuils
définis à l’annexe I de la directive EIE ainsi que ceux d’élevages en cages et dépassant les mêmes seuils.

71      D’emblée, il convient de relever que, si la notion d’« élevage industriel », aux fins de la définition du champ d’application de cette interdiction, doit, conformément à la jurisprudence mentionnée au point 39 du présent arrêt, faire l’objet d’une interprétation autonome et uniforme, il n’en demeure pas moins que, en l’état actuel du droit de l’Union, les critères à prendre en compte pour déterminer si un élevage doit être qualifié d’« industriel » au sens de l’annexe II du règlement
d’exécution 2021/1165 ne font pas l’objet de mesures générales d’harmonisation.

72      Cela étant, il découle de la réponse à la première question qu’il y a lieu de retenir une interprétation de la notion d’« élevage industriel » qui conduit à exclure, en tant qu’alternative aux effluents d’élevages biologiques, les effluents issus d’élevages à grande échelle utilisant des méthodes de production intensives.

73      Afin de déterminer l’existence d’un tel élevage, l’analyse des critères pertinents doit faire l’objet d’une appréciation d’ensemble, étant précisé que, en règle générale, c’est un faisceau d’indices qui sera susceptible de révéler cette existence.

74      À cet égard, et ainsi que l’a relevé M. l’avocat général aux points 64, 66 et 80 de ses conclusions, peuvent être pris en considération des critères tels que le système d’élevage des animaux, leur mobilité, leur densité ainsi que la disponibilité des terres sur l’élevage, la productivité et les impacts environnementaux de celui-ci.

75      Il en va de même s’agissant du type d’alimentation des animaux, des systèmes de prophylaxie ainsi que de l’utilisation généralisée soit de substances destinées à stimuler la croissance ou la production, soit d’hormones ou de substances analogues en vue, notamment, de maîtriser la reproduction. L’utilisation préventive d’antibiotiques et celle d’aliments pour animaux contenant des organismes génétiquement modifiés, interdites par le règlement 2018/848, peuvent également constituer des
critères afin de qualifier un élevage d’« industriel ».

76      Il y a lieu, à cet égard, de constater que l’utilisation de cages, de boxes et de cases à plancher en caillebotis pour l’élevage des animaux est une caractéristique propre à l’élevage industriel, tout comme l’utilisation de systèmes empêchant les animaux de se mouvoir à 360 degrés ou les systèmes d’élevage hors sol.

77      S’agissant, en particulier, de l’impact environnemental de l’élevage, il convient de relever que l’article 4 de la directive EIE soumet à une évaluation de leurs incidences sur l’environnement les projets visés à l’annexe I de cette directive, parmi lesquels figurent certaines « [i]nstallations destinées à l’élevage intensif de volailles ou de porcs ».

78      À cet égard, et à l’instar de M. l’avocat général au point 69 de ses conclusions, il y a lieu de considérer que les critères minimaux prévus par ces dispositions de la directive EIE, qui visent certes les procédures d’évaluation environnementale, peuvent servir de pistes pour déterminer le caractère industriel d’un élevage donné.

79      Cela étant, dans la mesure où ces critères se réfèrent à des considérations quantitatives, ils ne sauraient suffire pour qualifier une exploitation d’« élevage industriel », de sorte qu’il convient, à cette fin, de prendre également en compte des critères qualitatifs, tels que ceux mentionnés aux points 74 à 76 du présent arrêt.

80      Eu égard à l’ensemble de ces considérations, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’annexe II, troisième alinéa, du règlement d’exécution 2021/1165 doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle l’interdiction de l’utilisation, sur des terres biologiques, des engrais et amendements du sol d’origine animale en « provenance d’élevages industriels » vise également les effluents d’élevages en système caillebotis ou
grilles intégral et dépassant les seuils définis à l’annexe I de la directive EIE ainsi que ceux d’élevages en cages et dépassant les mêmes seuils. Il convient cependant, aux fins de cette qualification, de se fonder sur un faisceau d’indices ayant trait, à tout le moins, à la préservation du bien-être animal, au respect de la biodiversité ainsi qu’à la protection de l’environnement et du climat.

 Sur les dépens

81      La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

1)      L’annexe II, troisième alinéa, du règlement d’exécution (UE) 2021/1165 de la Commission, du 15 juillet 2021, autorisant l’utilisation de certains produits et substances dans la production biologique et établissant la liste de ces produits et substances, adopté aux fins de l’application du règlement (UE) 2018/848 du Parlement européen et du Conseil, du 30 mai 2018, relatif à la production biologique et à l’étiquetage des produits biologiques et abrogeant le règlement (CE) n^o 834/2007 du
Conseil,

doit être interprétée en ce sens que :

en ce qui concerne les préparations de micro-organismes qui peuvent être utilisées pour améliorer l’état général du sol ou la disponibilité d’éléments nutritifs dans le sol ou les cultures, l’expression « provenance d’élevages industriels interdite », employée dans le tableau figurant à cette annexe, n’équivaut pas à une interdiction des seules préparations provenant des élevages « hors sol », étant précisé que, conformément à cette disposition, les engrais, amendements du sol et éléments nutritifs
dont ladite annexe interdit l’utilisation en agriculture biologique sont ceux issus de l’élevage industriel et non uniquement ceux provenant de l’élevage hors sol.

2)      L’annexe II, troisième alinéa, du règlement d’exécution 2021/1165

doit être interprétée en ce sens que :

elle ne s’oppose pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle l’interdiction de l’utilisation, sur des terres biologiques, des engrais et amendements du sol d’origine animale en « provenance d’élevages industriels » vise également les effluents d’élevages en système caillebotis ou grilles intégral et dépassant les seuils définis à l’annexe I de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant l’évaluation des incidences de certains projets
publics et privés sur l’environnement, telle que modifiée par la directive 2014/52/UE du Parlement européen et du Conseil, du 16 avril 2014, ainsi que ceux d’élevages en cages et dépassant les mêmes seuils. Il convient cependant, aux fins de cette qualification, de se fonder sur un

faisceau d’indices ayant trait, à tout le moins, à la préservation du bien-être animal, au respect de la biodiversité ainsi qu’à la protection de l’environnement et du climat.

Arabadjiev von Danwitz Xuereb

Kumin   Ziemele

Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 4 octobre 2024.

Le greffier   Le président de chambre

A. Calot Escobar   A. Arabadjiev

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

*      Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C-228/23
Date de la décision : 04/10/2024

Analyses

Renvoi préjudiciel – Agriculture – Production biologique et étiquetage des produits biologiques – Règlement (UE) 2018/848 – Utilisation de certains produits et substances dans la production biologique et liste de ces produits et substances – Dérogation – Règlement d’exécution (UE) 2021/1165 – Annexe II – Notions d’“élevage industriel” et d’“élevage hors sol” – Confiance des consommateurs – Bien-être animal – Respect de l’environnement et du climat – Critères.


Parties
Demandeurs : Association AFAÏA
Défendeurs : Institut national de l’origine et de la qualité (INAO).

Origine de la décision
Date de l'import : 08/10/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:829

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award