ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)
4 octobre 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Octroi de la protection internationale – Directive 2013/32/UE – Article 38 – Article 18 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Concept de “pays tiers sûr” – Qualification de la République de Turquie comme étant un “pays tiers sûr” – Réadmission des demandeurs de protection internationale dans le pays tiers – Refus »
Dans l’affaire C‑134/23,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d’État, Grèce), par décision du 3 février 2023, parvenue à la Cour le 7 mars 2023, dans la procédure
Somateio « Elliniko Symvoulio gia tous Prosfyges »,
Astiki Mi Kerdoskopiki Etaireia « Ypostirixi Prosfygon sto Aigaio »
contre
Ypourgos Exoterikon,
Ypourgos Metanastefsis kai Asylou,
LA COUR (quatrième chambre),
composée de M. C. Lycourgos, président de chambre, Mme O. Spineanu‑Matei, MM. J.‑C. Bonichot, S. Rodin et Mme L. S. Rossi (rapporteure), juges,
avocat général : M. P. Pikamäe,
greffier : Mme S. Spyropoulos, administratrice,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 mars 2024,
considérant les observations présentées :
– pour Somateio « Elliniko Symvoulio gia tous Prosfyges », par Me V. Papadopoulos, dikigoros,
– pour Astiki Mi Kerdoskopiki Etaireia « Ypostirixi Prosfygon sto Aigaio », par Me E. Spathana, dikigoros,
– pour le gouvernement hellénique, par Mme Z. Chatzipavlou, MM. K. Georgiadis, G. Karipsiadis, Mme T. Papadopoulou et M. S. Spyropoulos, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement tchèque, par Mme A. Edelmannová, MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller et R. Kanitz, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement chypriote, par Mmes I. Neophytou et F. Sotiriou, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement hongrois, par Mme Zs. Biró-Tóth et M. M. Z. Fehér, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et A. Hanje, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mmes A. Azéma et A. Katsimerou, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 13 juin 2024,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 38 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 60), lu à la lumière de l’article 18 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant le Somateio « Elliniko Symvoulio gia tous Prosfyges » (association « Conseil hellénique pour les réfugiés », Grèce) et l’Astiki Mi Kerdoskopiki Etaireia « Ypostirixi Prosfygon sto Aigaio » (société civile à but non lucratif « Soutien aux réfugiés en Mer Égée », Grèce), qui œuvrent toutes deux en faveur des réfugiés, à l’Ypourgos Exoterikon (ministre des Affaires étrangères, Grèce) et à l’Ypourgos Metanastefsis kai Asylou (ministre de
l’Immigration et de l’Asile, Grèce) au sujet de la validité d’arrêtés ministériels, adoptés conjointement par ces derniers et désignant la République de Turquie comme étant un « pays tiers sûr » pour certaines catégories de demandeurs de protection internationale.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
L’accord UE-Turquie sur la réadmission
3 Le 16 décembre 2013, l’Union européenne et la République de Turquie ont conclu un accord concernant la réadmission des personnes en séjour irrégulier (JO 2014, L 134, p. 3, ci-après l’« accord UE-Turquie sur la réadmission »). Cet accord a été ratifié au nom de l’Union européenne par la décision 2014/252/UE du Conseil, du 14 avril 2014 (JO 2014, L 134, p. 1, et rectificatif JO 2014, L 331, p. 40).
4 L’article 4, paragraphe 1, de l’accord UE‑Turquie sur la réadmission stipule :
« À la demande d’un État membre et sans que ce dernier ait à entreprendre d’autres formalités que celles prévues par le présent accord, la Turquie réadmet sur son territoire tout ressortissant de pays tiers ou apatride qui ne remplit pas, ou ne remplit plus, les conditions d’entrée, de présence ou de séjour applicables sur le territoire de l’État membre requérant, s’il est établi, conformément à l’article 10, que cette personne :
[...]
c) est entrée illégalement et directement sur le territoire des États membres après avoir séjourné sur, ou transité par, le territoire de la Turquie. »
5 En vertu de la décision (UE) 2016/551 du Conseil, du 23 mars 2016, établissant la position à prendre au nom de l’Union européenne au sein du comité de réadmission mixte sur une décision dudit comité relative aux modalités d’application des articles 4 et 6 de l’accord entre l’Union européenne et la République de Turquie concernant la réadmission des personnes en séjour irrégulier à compter du 1er juin 2016 (JO 2016, L 95, p. 9), l’obligation énoncée à l’article 4 de l’accord UE-Turquie sur la
réadmission est applicable à compter du 1er juin 2016.
La directive 2013/32
6 Les considérants 18, 43, 44 et 46 de la directive 2013/32 sont rédigés comme suit :
« (18) Il est dans l’intérêt à la fois des États membres et des demandeurs d’une protection internationale que les demandes de protection internationale fassent l’objet d’une décision aussi rapide que possible, sans préjudice de la réalisation d’un examen approprié et exhaustif.
[...]
(43) Les États membres devraient examiner toutes les demandes au fond, c’est-à-dire évaluer si le demandeur concerné peut prétendre à une protection internationale conformément à la directive 2011/95/UE [du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant
bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection (JO 2011, L 337, p. 9)], sauf dispositions contraires de la présente directive, notamment lorsqu’on peut raisonnablement supposer qu’un autre pays procéderait à l’examen ou accorderait une protection suffisante. [...]
(44) Les États membres ne devraient pas être tenus d’examiner une demande de protection internationale au fond lorsqu’ils peuvent raisonnablement s’attendre à ce que le demandeur, du fait d’un lien suffisant avec un pays tiers tel que défini par le droit national, cherche à obtenir une protection dans ce pays tiers et qu’il existe des raisons de penser que le demandeur sera admis ou réadmis dans ce pays. Les États membres ne devraient procéder de la sorte que dans les cas où le demandeur en
question serait en sécurité dans le pays tiers concerné. Afin d’éviter les mouvements secondaires de demandeurs, il convient d’établir des principes communs pour la prise en considération ou la désignation, par les États membres, de pays tiers comme pays sûrs.
[...]
(46) Lorsque les États membres appliquent les concepts de pays tiers sûr au cas par cas ou désignent des pays comme sûrs en adoptant des listes à cet effet, ils devraient tenir compte, entre autres, des lignes directrices et manuels opérationnels, et des informations sur les pays d’origine et des activités, y compris de la méthodologie du [Bureau européen d’appui en matière d’asile (BEAA)] concernant la présentation de rapports d’information sur les pays d’origine, visées dans le règlement (UE)
no 439/2010 du Parlement européen et du Conseil, du 19 mai 2010, portant création d’un Bureau européen d’appui en matière d’asile [JO 2010, L 132, p. 11], ainsi que des orientations pertinentes du [Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR)]. »
7 L’article 2 de cette directive, intitulé « Définitions », prévoit :
« Aux fins de la présente directive, on entend par :
a) “convention de Genève”, la convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, modifiée par le protocole de New York du 31 janvier 1967 ;
[...]
c) “demandeur”, le ressortissant d’un pays tiers ou l’apatride ayant présenté une demande de protection internationale sur laquelle aucune décision finale n’a encore été prise ;
[...]
e) “décision finale”, toute décision établissant si le ressortissant d’un pays tiers ou l’apatride se voit accorder le statut de réfugié ou le statut conféré par la protection subsidiaire en vertu de la directive [2011/95] et qui n’est plus susceptible d’un recours formé dans le cadre du chapitre V de la présente directive, que ce recours ait ou n’ait pas pour effet de permettre à un demandeur de demeurer sur le territoire des États membres concernés en attendant son aboutissement ;
[...] »
8 Figurent au chapitre II de ladite directive, intitulé « Principes de base et garanties fondamentales », les articles 6 à 30.
9 Figurent parmi les dispositions du chapitre III de la même directive, intitulé « Procédures en première instance », notamment les articles 31, 33, 35 et 38.
10 L’article 31 de la directive 2013/32, intitulé « Procédure d’examen », dispose, à ses paragraphes 1 et 2 :
« 1. Les États membres traitent les demandes de protection internationale dans le cadre d’une procédure d’examen conformément aux principes de base et aux garanties fondamentales visés au chapitre II.
2. Les États membres veillent à ce que la procédure d’examen soit menée à terme dans les meilleurs délais, sans préjudice d’un examen approprié et exhaustif. »
11 L’article 33 de cette directive, intitulé « Demandes irrecevables », énonce :
« 1. Outre les cas dans lesquels une demande n’est pas examinée en application du règlement (UE) no 604/2013 [du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JO 2013, L 180, p. 31)], les États membres ne sont pas tenus de vérifier si le demandeur remplit les
conditions requises pour prétendre à une protection internationale en application de la directive [2011/95], lorsqu’une demande est considérée comme irrecevable en vertu du présent article.
2. Les États membres peuvent considérer une demande de protection internationale comme irrecevable uniquement lorsque :
a) une protection internationale a été accordée par un autre État membre ;
b) un pays qui n’est pas un État membre est considéré comme le premier pays d’asile du demandeur en vertu de l’article 35 ;
c) un pays qui n’est pas un État membre est considéré comme un pays tiers sûr pour le demandeur en vertu de l’article 38 ;
[...] »
12 L’article 35 de ladite directive, intitulé « Le concept de premier pays d’asile », prévoit :
« Un pays peut être considéré comme le premier pays d’asile d’un demandeur déterminé, si le demandeur :
a) s’est vu reconnaître la qualité de réfugié dans ce pays et peut encore se prévaloir de cette protection ; ou
b) jouit, à un autre titre, d’une protection suffisante dans ce pays, y compris du bénéfice du principe de non-refoulement,
à condition qu’il soit réadmis dans ce pays.
En appliquant le concept de premier pays d’asile à la situation personnelle d’un demandeur, les États membres peuvent tenir compte de l’article 38, paragraphe 1. Le demandeur est autorisé à contester l’application du concept de premier pays d’asile à sa situation personnelle. »
13 L’article 38 de la même directive, intitulé « Le concept de pays tiers sûr », énonce :
« 1. Les États membres peuvent appliquer le concept de pays tiers sûr uniquement lorsque les autorités compétentes ont acquis la certitude que dans le pays tiers concerné, le demandeur de protection internationale sera traité conformément aux principes suivants :
a) les demandeurs n’ont à craindre ni pour leur vie ni pour leur liberté en raison de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un groupe social particulier ou de leurs opinions politiques ;
b) il n’existe aucun risque d’atteintes graves au sens de la directive [2011/95] ;
c) le principe de non-refoulement est respecté conformément à la convention de Genève ;
d) l’interdiction, prévue par le droit international, de prendre des mesures d’éloignement contraires à l’interdiction de la torture et des traitements cruels, inhumains ou dégradants, y est respectée ; et
e) la possibilité existe de solliciter la reconnaissance du statut de réfugié et, si ce statut est accordé, de bénéficier d’une protection conformément à la convention de Genève.
2. L’application du concept de pays tiers sûr est subordonnée aux règles fixées dans le droit national, et notamment :
a) les règles prévoyant qu’un lien de connexion doit exister entre le demandeur et le pays tiers concerné, sur la base duquel il serait raisonnable que le demandeur se rende dans ce pays ;
b) les règles relatives aux méthodes appliquées par les autorités compétentes pour s’assurer que le concept de pays tiers sûr peut être appliqué à un pays déterminé ou à un demandeur déterminé. Ces méthodes prévoient un examen au cas par cas de la sécurité du pays pour un demandeur déterminé et/ou la désignation par l’État membre des pays considérés comme étant généralement sûrs ;
c) les règles, conformes au droit international, qui autorisent un examen individuel en vue de déterminer si le pays tiers concerné est sûr pour un demandeur déterminé, ce qui, au minimum, permet au demandeur de contester l’application du concept de pays tiers sûr au motif que le pays tiers n’est pas sûr dans son cas particulier. Le demandeur est en outre autorisé à contester l’existence d’un lien entre lui-même et le pays tiers conformément au point a).
3. Lorsqu’ils exécutent une décision uniquement fondée sur le présent article, les États membres :
a) en informent le demandeur ; et
b) lui fournissent un document informant les autorités du pays tiers, dans la langue de ce pays, que la demande n’a pas été examinée quant au fond.
4. Lorsque le pays tiers ne permet pas au demandeur d’entrer sur son territoire, les États membres veillent à ce que cette personne puisse engager une procédure conformément aux principes de base et garanties fondamentales énoncés au chapitre II.
5. Les États membres informent régulièrement la Commission [européenne] des pays tiers auxquels ce concept est appliqué conformément aux dispositions du présent article. »
Le règlement (UE) 2024/1348
14 La directive 2013/32 a été abrogée par le règlement (UE) 2024/1348 du Parlement européen et du Conseil, du 14 mai 2024, instituant une procédure commune en matière de protection internationale dans l’Union et abrogeant la directive 2013/32/UE (JO L, 2024/1348), avec effet à compter du 12 juin 2026, conformément à l’article 79, paragraphe 2, de ce règlement.
Le droit grec
La loi sur la protection internationale
15 La Nomos 4636/2019 peri diethnous prostasias kai alles diatakseis (loi 4636/2019 sur la protection internationale et autres dispositions) (FEK A’ 169/1.11.2019), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « loi sur la protection internationale »), transpose dans l’ordre juridique hellénique la directive 2013/32.
16 Conformément à l’article 84, paragraphe 1, sous d), de la loi sur la protection internationale, les autorités compétentes rejettent une demande de protection internationale comme étant irrecevable lorsqu’un pays qui n’est pas un État membre est considéré comme étant un pays tiers sûr pour le demandeur en vertu de l’article 86 de cette loi.
17 L’article 86, paragraphe 1, de la loi sur la protection internationale fixe les conditions cumulatives pour qu’un pays tiers soit qualifié de « pays tiers sûr ».
18 En vertu du paragraphe 2 de l’article 86 de cette loi, le respect des conditions posées au paragraphe 1 de cet article est examiné au cas par cas et pour chaque demandeur pris séparément, sauf si le pays tiers en cause a été désigné comme étant généralement sûr et figure sur la liste nationale des pays tiers sûrs. Si tel est le cas, le demandeur de protection internationale peut contester l’application du concept de « pays tiers sûr » au motif que le pays tiers en cause n’est pas sûr dans les
circonstances particulières qui sont propres à ce demandeur. Conformément à l’article 86, paragraphe 3, de ladite loi, un arrêté ministériel conjoint détermine les pays tiers désignés comme étant sûrs pour certaines catégories de demandeurs d’asile, en fonction de leurs caractéristiques propres, aux fins de l’examen des demandes de protection internationale.
19 Aux termes de l’article 86, paragraphe 5, de la même loi, lorsque ledit pays tiers en cause ne permet pas au demandeur d’entrer sur son territoire, sa demande est examinée au fond par les autorités qui sont compétentes pour décider.
Le premier arrêté ministériel conjoint et le second arrêté ministériel conjoint
20 Sur le fondement de l’article 86, paragraphe 3, de la loi sur la protection internationale, a été adoptée la Koini Ypourgiki Apofasi 42799/3.6.2021« Kathorismos triton choron pou charaktirizontai os asfaleis kai katartisi ethnikou katalogou, kata ta orizomena sto arthro 86 tou nomou 4636/2019 (A’169) » [arrêté ministériel conjoint 42799/3.6.2021, « Détermination des pays tiers désignés comme sûrs et établissement d’une liste nationale, conformément aux dispositions de l’article 86 de la loi
4636/2019 (A’169) »] (FEK B 2425/7.6.2021) (ci-après le « premier arrêté ministériel conjoint »).
21 Cet arrêté ministériel conjoint qualifie la République de Turquie de « pays tiers sûr » pour les demandeurs de protection internationale ayant comme pays d’origine la Syrie, l’Afghanistan, le Pakistan, le Bangladesh ou la Somalie.
22 Le premier arrêté ministériel conjoint a été remplacé par la Koini Ypourgiki Apofasi 458568/15.12.2021« Tropopoiisi tis yp.ar. 42799/03.06.2021 koinis apofasis ton Ypourgon Exoterikon kai Metanastefsis kai Asylou “Kathorismos triton choron pou charaktirizontai os asfaleis kai katartisi ethnikou katalogou, kata ta orizomena sto arthro 86 tou nomou 4636/2019 (A’169)” (B’ 2425) » [arrêté ministériel conjoint 458568/15.12.2021« Modification de l’arrêté conjoint 42799/03.06.2021 des ministres des
Affaires étrangères et de l’Immigration et de l’Asile “Détermination des pays tiers désignés comme sûrs et établissement d’une liste nationale, conformément aux dispositions de l’article 86 de la loi 4636/2019 (A’169)” (B’ 2425) »] (FEK Β’ 5949/16.12.2021) (ci-après le « second arrêté ministériel conjoint »).
23 Cet arrêté ministériel conjoint désigne à nouveau la République de Turquie comme étant un « pays tiers sûr » pour les demandeurs ayant comme pays d’origine la Syrie, l’Afghanistan, le Pakistan, le Bangladesh ou la Somalie.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
24 Les requérantes au principal ont introduit un recours en annulation devant le Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d’État, Grèce), qui est la juridiction de renvoi, contre le premier arrêté ministériel conjoint et contre le second arrêté ministériel conjoint, au motif, notamment, de leur contrariété à l’article 86 de la loi sur la protection internationale et à l’article 38 de la directive 2013/32.
25 En particulier, les requérantes au principal font valoir, d’une part, que la possibilité de réadmettre en Turquie les demandeurs de protection internationale visés par ces arrêtés n’est pas garantie « par des accords internationaux » et, d’autre part, qu’il n’existe pas de perspective raisonnable que les demandeurs de protection internationale soient réadmis en Turquie puisque ce pays tiers a, depuis le mois de mars 2020 et la pandémie de COVID-19, gelé les réadmissions de tels demandeurs sur son
territoire.
26 Il ressort de la demande de décision préjudicielle que, après avoir constaté que le recours en annulation était uniquement recevable en tant qu’il était dirigé contre le second arrêté ministériel conjoint, la juridiction de renvoi a jugé que, pour autant que les requérantes au principal reprochaient l’absence d’obligation légale dans le chef de la République de Turquie de réadmettre depuis la Grèce des demandeurs de protection internationale, ce grief devait être rejeté. En effet, compte tenu
notamment de l’accord UE-Turquie sur la réadmission, la juridiction de renvoi a considéré que la République de Turquie était soumise à une telle obligation légale.
27 En revanche, la juridiction de renvoi s’interroge sur le respect effectif par la République de Turquie de ladite obligation légale, compte tenu de la circonstance, également admise par les autorités grecques, que ce pays tiers a cessé de réadmettre sur son territoire, depuis le mois de mars 2020 et sans qu’une telle circonstance semble pouvoir changer dans un avenir proche, les demandeurs de protection internationale dont les demandes ont été rejetées comme étant irrecevables en Grèce en vertu du
concept de « pays tiers sûr ».
28 À cet égard, la juridiction de renvoi fait état, en son sein, de deux interprétations distinctes de l’article 38 de la directive 2013/32 sur cette question.
29 Selon la première interprétation, qui serait partagée par la majorité des membres qui composent la juridiction de renvoi, la possibilité d’une réadmission du demandeur de protection internationale dans le pays tiers concerné serait une condition préalable pour la désignation de ce pays comme étant un « pays tiers sûr », au sens de l’article 38 de cette directive, eu égard, en particulier, à l’objectif, rappelé notamment à son considérant 18 et qui trouve également son expression à l’article 31,
paragraphe 2, de ladite directive, de garantir un traitement aussi rapide que possible des demandes de protection internationale. Une autre interprétation ne ferait que prolonger la durée d’examen de la demande de protection internationale et l’incertitude quant au séjour du demandeur dans le pays où il a présenté sa demande, sans écarter le risque qu’il soit renvoyé vers un pays où il pourrait être persécuté ni l’éventualité d’une perturbation des relations internationales. Il s’ensuivrait qu’un
État membre ne peut pas désigner, par un acte de portée générale, un pays tiers comme étant généralement sûr, comme l’y autoriserait l’article 38, paragraphe 2, de la directive 2013/32, lorsque ce pays tiers ne garantit pas le respect effectif de l’obligation à laquelle il est soumis d’admettre ou de réadmettre les demandeurs de protection internationale concernés sur son territoire. Dans ces conditions, il y aurait lieu d’accueillir le recours en annulation dirigé contre le second arrêté
ministériel conjoint.
30 Toutefois, la juridiction de renvoi indique que, selon une seconde interprétation des dispositions de la directive 2013/32, la condition relative à l’admission ou à la réadmission effectives des demandeurs de protection internationale constituerait un élément de validité non de l’acte réglementaire désignant un pays comme étant généralement sûr, mais soit de l’acte individuel par lequel une demande concrète de protection internationale est rejetée comme étant irrecevable en application du concept
de « pays tiers sûr », soit de l’exécution d’un tel acte individuel. Dans ces conditions, il y aurait lieu de rejeter comme étant non fondé le recours en annulation dirigé contre le second arrêté ministériel conjoint.
31 Dans ces conditions, le Symvoulio tis Epikrateias (Conseil d’État) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Convient-il d’interpréter l’article 38 de la directive 2013/32, lu en combinaison avec l’article 18 de la [Charte], en ce sens qu’il s’oppose à une norme nationale (de nature réglementaire), laquelle désigne comme généralement sûr pour certaines catégories de demandeurs de protection internationale un pays tiers, lorsque celui-ci a certes souscrit une obligation légale de permettre la réadmission sur son territoire de ces catégories de demandeurs de protection internationale mais qu’il
s’avère que ledit pays refuse la réadmission depuis une longue période (laquelle excède en l’espèce les [20] mois) et lorsque la possibilité d’un changement de position de ce pays dans un avenir proche n’a pas été examinée ?
ou
2) Cette disposition doit-elle être interprétée en ce sens que la réadmission dans le pays tiers ne constitue pas l’une des conditions cumulatives pour l’adoption de l’acte (réglementaire) national par lequel un pays tiers est désigné comme généralement sûr pour certaines catégories de demandeurs de protection internationale, mais constitue l’une des conditions cumulatives pour l’adoption de l’acte individuel par lequel une demande concrète de protection internationale est rejetée comme
irrecevable en application du concept de “pays tiers sûr” ?
ou
3) [Ladite] disposition doit-elle être interprétée en ce sens que la réadmission dans le “pays tiers sûr” ne doit être vérifiée qu’au moment de l’exécution d’une décision, lorsque cette décision de rejet de la demande de protection internationale est fondée sur le concept de “pays tiers sûr” » ?
La procédure devant la Cour
32 Dans sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi a demandé à la Cour que la présente affaire soit soumise à la procédure accélérée, en application de l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, au motif qu’un grand nombre de personnes seraient affectées par la décision de la Cour et que le domaine en cause serait particulièrement sensible.
33 Le 31 mars 2023, le président de la Cour a décidé, la juge rapporteure et l’avocat général entendus, qu’il n’y avait pas lieu de faire droit à cette demande.
34 En effet, la procédure accélérée constitue un instrument procédural destiné à répondre à une situation d’urgence extraordinaire. Or, le nombre important de personnes ou de situations juridiques potentiellement concernées par les questions posées n’est pas susceptible, en tant que tel, de constituer une circonstance exceptionnelle de nature à justifier le recours à une procédure accélérée [voir, en ce sens, arrêt du 22 septembre 2022, Bundesrepublik Deutschland (Suspension administrative de la
décision de transfert), C‑245/21 et C‑248/21, EU:C:2022:709, points 33 à 35]. En outre, la juridiction de renvoi n’a fait état d’aucun élément permettant de caractériser la présente affaire comme relevant d’une situation exceptionnelle de crise qui ne permettrait notamment pas aux autorités nationales compétentes de prévoir les mesures nécessaires pour assurer l’examen des demandes de protection internationale ou qui entraverait notablement le fonctionnement du système européen commun d’asile
dans l’attente de la réponse de la Cour [voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 19 septembre 2017, Magamadov, C‑438/17, EU:C:2017:723, point 18, ainsi que arrêt du 22 septembre 2022, Bundesrepublik Deutschland (Suspension administrative de la décision de transfert), C‑245/21 et C‑248/21, EU:C:2022:709, point 36].
Sur les questions préjudicielles
Sur la première question
35 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 38 de la directive 2013/32, lu à la lumière de l’article 18 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à la réglementation d’un État membre désignant un pays tiers comme étant généralement sûr à l’égard de certaines catégories de demandeurs de protection internationale alors que, en dépit de l’obligation juridique à laquelle il est soumis, ce pays tiers a suspendu, de manière générale et sans
perspective prévisible d’évolution en sens contraire, l’admission ou la réadmission de ces demandeurs sur son territoire.
36 À titre liminaire, il convient de rappeler que l’article 33, paragraphe 2, de la directive 2013/32 énumère de manière exhaustive les situations dans lesquelles les États membres peuvent considérer une demande de protection internationale comme étant irrecevable [arrêt du 8 février 2024, Bundesrepublik Deutschland (Recevabilité d’une demande ultérieure), C‑216/22, EU:C:2024:122, point 26 et jurisprudence citée].
37 Ainsi, l’article 33, paragraphe 2, sous c), de cette directive prévoit la faculté pour un État membre de considérer une telle demande comme étant irrecevable lorsqu’un pays, qui n’est pas un État membre, est considéré comme étant un « pays tiers sûr » pour le demandeur en vertu de l’article 38 de ladite directive. Selon les indications fournies par la juridiction de renvoi, cette faculté a été transposée en droit interne en vertu de l’article 84, paragraphe 1, sous d), de la loi sur la protection
internationale.
38 Il ressort de l’article 38 de la directive 2013/32 que l’application du concept de « pays tiers sûr » est subordonnée au respect des conditions cumulatives prévues à ses paragraphes 1 à 4 [arrêts du 19 mars 2020, Bevándorlási és Menekültügyi Hivatal (Tompa), C‑564/18, EU:C:2020:218, point 36, et du 16 novembre 2021, Commission/Hongrie (Incrimination de l’aide aux demandeurs d’asile), C‑821/19, EU:C:2021:930, point 36 ainsi que jurisprudence citée].
39 Premièrement, l’article 38, paragraphe 1, de cette directive prévoit que les États membres ne peuvent appliquer le concept de « pays tiers sûr » que s’ils ont acquis la certitude que le demandeur de protection internationale sera traité dans le pays tiers concerné conformément aux principes expressément énoncés aux points a) à e) de cette disposition.
40 En l’occurrence, il ressort de la motivation de la demande de décision préjudicielle que la juridiction de renvoi a définitivement rejeté le moyen exposé par les requérantes au principal, tiré du non-respect par la République de Turquie de ces principes, de telle sorte que cette juridiction n’interroge pas la Cour sur l’interprétation desdits principes.
41 Deuxièmement, aux termes de l’article 38, paragraphe 2, de ladite directive, l’application du concept de « pays tiers sûr » est subordonnée aux règles fixées par le droit national. Ces règles doivent inclure, notamment, celles prévoyant l’existence d’un lien de connexion entre le demandeur d’une protection internationale et le pays tiers concerné tel qu’il rend raisonnable le déplacement de ce demandeur vers ledit pays, celles relatives aux méthodes appliquées par les autorités compétentes pour
s’assurer que le concept de « pays tiers sûr » peut être appliqué à un pays déterminé ou à un demandeur d’une protection internationale déterminé, étant précisé que ces méthodes doivent prévoir un examen au cas par cas de la sécurité du pays pour un demandeur particulier et/ou la désignation par l’État membre des pays considérés comme étant généralement sûrs, et celles, conformes au droit international, autorisant un examen individuel en vue de déterminer si le pays tiers concerné est sûr pour un
demandeur d’une protection internationale déterminé et permettant à ce demandeur de contester tant l’application du concept de « pays tiers sûr » par rapport à sa situation particulière que l’existence d’un lien de connexion entre lui-même et ce pays.
42 Troisièmement, l’article 38, paragraphe 3, de la directive 2013/32 exige des États membres, lorsqu’ils exécutent une décision uniquement fondée sur le concept de « pays tiers sûr », qu’ils informent le demandeur et qu’ils lui fournissent un document informant les autorités de ce pays, dans la langue de celui‑ci, que la demande de protection internationale n’a pas été examinée au fond. En outre, en vertu de l’article 38, paragraphe 4, de cette directive, lorsque le pays tiers concerné ne permet
pas au demandeur de cette protection d’entrer sur son territoire, les États membres doivent veiller à ce que cette personne puisse engager une procédure conformément aux principes de base et aux garanties fondamentales énoncés au chapitre II de ladite directive.
43 Il résulte ainsi, en premier lieu, du libellé de l’article 38 de la directive 2013/32 que celui-ci autorise un État membre à désigner, par un acte de portée générale, tel que le second arrêté ministériel conjoint, un pays comme étant un pays tiers généralement sûr pour des demandeurs de protection internationale déterminés.
44 En effet, premièrement, il convient, d’une part, de relever que les méthodes qui doivent être mises en œuvre par les États membres pour s’assurer que le concept de « pays tiers sûr » peut être appliqué à un pays déterminé et auxquelles se réfère l’article 38, paragraphe 2, sous b), de cette directive prévoient un examen au cas par cas de la sécurité du pays concerné pour un demandeur déterminé « et/ou la désignation par l’État membre des pays [tiers] considérés comme étant généralement sûrs ».
D’autre part, le fait que l’article 38, paragraphe 2, sous c), de ladite directive oblige les États membres à établir des règles qui autorisent un examen individuel en vue de déterminer si le pays tiers concerné est sûr pour un demandeur déterminé, lui garantissant, notamment, la possibilité de contester l’application du concept de « pays tiers sûr » au motif que le pays tiers concerné ne l’est pas dans son cas particulier, implique nécessairement qu’un État membre est autorisé à désigner, dans
un acte de portée générale, un tel pays tiers comme étant généralement sûr.
45 Deuxièmement, cette interprétation est corroborée par les considérants 44 et 46 de la directive 2013/32 qui font expressément référence, respectivement, à l’établissement de « principes communs pour [...] la désignation, par les États membres, de pays tiers comme pays sûrs » et à la prise en compte d’un certain nombre d’informations et de documents lorsque les États membres « désignent des pays comme sûrs en adoptant des listes à cet effet ».
46 Troisièmement, il importe de relever que l’article 38 de la directive 2013/32 ne subordonne pas la validité de l’acte de portée générale par lequel un État membre désigne un pays tiers comme étant généralement sûr à la condition qu’il soit avéré que les demandeurs de protection internationale concernés soient effectivement admis ou réadmis sur le territoire de ce pays tiers.
47 En effet, d’une part, l’admission ou la réadmission avérées de ces demandeurs dans ledit pays tiers ne figurent pas parmi les règles énumérées à l’article 38, paragraphe 2, de cette directive, auxquelles est subordonnée l’application du concept de « pays tiers sûr » dans les États membres. D’autre part, il résulte implicitement de l’article 38, paragraphe 4, de ladite directive, qui précise que, « [l]orsque le pays tiers [sûr concerné] ne permet pas au demandeur d’entrer sur son territoire, les
États membres veillent à ce que cette personne puisse engager une procédure conformément aux principes de base et aux garanties fondamentales énoncés au chapitre II [de la directive 2013/32] », que la qualification d’un tel pays tiers de « pays tiers sûr » est compatible avec le refus de ce pays d’admettre ou de réadmettre des demandeurs de protection internationale sur son territoire.
48 Ainsi, il résulte de cette dernière disposition que, lorsqu’un État membre a, par un acte de portée générale, désigné un pays tiers comme étant généralement sûr, en dépit de la suspension par ce dernier de la possibilité, pour des demandeurs de protection internationale, d’entrer sur son territoire, cet État membre doit assurer à chacun des demandeurs concernés le droit d’engager une procédure en vue de l’examen de sa demande de protection internationale.
49 S’agissant, en deuxième lieu, du contexte de l’article 38 de la directive 2013/32, il importe de prendre en considération l’article 35 de cette directive, qui se réfère à un autre motif d’irrecevabilité d’une demande de protection internationale que celui mentionné au point 37 du présent arrêt.
50 Ainsi que le précise cet article 35, un pays peut être considéré comme étant le « premier pays d’asile » d’un demandeur déterminé si celui-ci soit s’est vu reconnaître la qualité de réfugié dans ce pays et peut encore se prévaloir de cette protection, soit jouit, à un autre titre, d’une protection suffisante dans ledit pays, y compris du bénéfice du principe de non-refoulement, « à condition [dans les deux cas] que [ce demandeur] soit réadmis dans ce pays ».
51 Partant, à la différence de ce qui ressort de l’article 38, paragraphe 4, de la directive 2013/32 concernant le concept de « pays tiers sûr », l’article 35 de cette directive subordonne l’application, dans les États membres, du concept de « premier pays d’asile » à la condition que le demandeur soit effectivement réadmis dans le pays ainsi désigné.
52 En troisième lieu, l’interprétation de l’article 38 de la directive 2013/32 selon laquelle cet article ne subordonne pas la désignation d’un pays tiers comme étant généralement sûr à la condition que le pays tiers concerné admette ou réadmette, dans les faits, les demandeurs de protection internationale sur son territoire, qui se déduit de son libellé et de son contexte, ne se heurte pas, contrairement à ce qu’indique la juridiction de renvoi, aux objectifs de la directive 2013/32. Elle ne heurte
pas, en particulier, l’objectif, mis en exergue au considérant 18 de cette directive, selon lequel, dans l’intérêt, notamment, des demandeurs de protection internationale, les demandes d’une telle protection doivent faire l’objet d’une décision aussi rapide que possible, sans préjudice de la réalisation d’un examen approprié et exhaustif (voir, en ce sens, arrêt du 29 juillet 2019, Torubarov, C‑556/17, EU:C:2019:626, point 53 et jurisprudence citée).
53 En effet, ainsi qu’il a été indiqué au point 48 du présent arrêt, il ressort de l’article 38, paragraphe 4, de la directive 2013/32 que la suspension de l’admission ou de la réadmission de demandeurs de protection internationale sur le territoire d’un pays tiers désigné comme étant généralement sûr par un État membre a pour conséquence que cet État membre devra assurer à ces demandeurs qu’ils puissent engager une procédure conformément aux principes de base et aux garanties fondamentales énoncés
aux articles 6 à 30 de la directive 2013/32, figurant dans le chapitre II de celle-ci.
54 Il s’ensuit que, dans le cas où il est établi que le pays tiers désigné comme étant généralement sûr par un État membre n’admet ou ne réadmet pas, dans les faits, les demandeurs de protection internationale concernés, cet État membre ne peut rejeter leurs demandes de protection internationale comme étant irrecevables, sur le fondement de l’article 33, paragraphe 2, sous c), de la directive 2013/32. En outre, ledit État membre ne peut pas différer, de manière injustifiée, l’examen de ces demandes
et doit, notamment, veiller à ce que cet examen soit mené de manière individuelle, conformément à l’article 10, paragraphe 3, sous a), de la même directive et dans le respect des délais qui sont énoncés à l’article 31 de cette dernière.
55 Au vu des considérations qui précèdent, l’interprétation de l’article 38 de la directive 2013/32 retenue au point 52 du présent arrêt n’est pas davantage de nature à priver d’effet utile le droit reconnu au demandeur de protection internationale, tel qu’il est consacré à l’article 18 de la Charte et concrétisé par cette directive, d’obtenir le statut de bénéficiaire d’une protection internationale, dès lors que les conditions requises par le droit de l’Union sont réunies [voir, en ce sens, arrêt
du 8 février 2024, Bundesrepublik Deutschland (Recevabilité d’une demande ultérieure), C‑216/22, EU:C:2024:122, point 39].
56 Par conséquent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 38 de la directive 2013/32, lu à la lumière de l’article 18 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à la réglementation d’un État membre désignant un pays tiers comme étant généralement sûr à l’égard de certaines catégories de demandeurs de protection internationale alors que, en dépit de l’obligation juridique à laquelle il est soumis, ce pays tiers a suspendu, de manière générale et sans
perspective prévisible d’évolution en sens contraire, l’admission ou la réadmission de ces demandeurs sur son territoire.
Sur les deuxième et troisième questions
57 Compte tenu de la réponse apportée à la première question, au regard de laquelle la juridiction de renvoi sera en mesure de trancher le litige au principal, qui porte uniquement sur la validité d’une disposition réglementaire désignant la République de Turquie comme étant un « pays tiers sûr » pour certaines catégories de demandeurs de protection internationale, il n’y a pas lieu de répondre aux deuxième et troisième questions.
Sur les dépens
58 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :
L’article 38 de la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale, lu à la lumière de l’article 18 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,
doit être interprété en ce sens que :
il ne s’oppose pas à la réglementation d’un État membre désignant un pays tiers comme étant généralement sûr à l’égard de certaines catégories de demandeurs de protection internationale alors que, en dépit de l’obligation juridique à laquelle il est soumis, ce pays tiers a suspendu, de manière générale et sans perspective prévisible d’évolution en sens contraire, l’admission ou la réadmission de ces demandeurs sur son territoire.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : le grec.