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26/09/2024 | CJUE | N°C-164/23

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, VOLÁNBUSZ Zrt. contre Bács-Kiskun Vármegyei Kormányhivatal., 26/09/2024, C-164/23


 ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

26 septembre 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Transports par route – Harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale – Règlement (CE) no 561/2006 – Article 9, paragraphe 3 – Notion d’“établissement de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché” – Lieu de prise en charge, par un conducteur, d’un véhicule entrant dans le champ d’application de ce règlement – Notion d’“autre tâche” – Temps passé par ce conducteur à conduire un véhicule n’e

ntrant pas dans le champ d’application dudit règlement
pour se rendre à cet établissement ou pour en revenir »

Dans l’a...

 ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)

26 septembre 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Transports par route – Harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale – Règlement (CE) no 561/2006 – Article 9, paragraphe 3 – Notion d’“établissement de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché” – Lieu de prise en charge, par un conducteur, d’un véhicule entrant dans le champ d’application de ce règlement – Notion d’“autre tâche” – Temps passé par ce conducteur à conduire un véhicule n’entrant pas dans le champ d’application dudit règlement
pour se rendre à cet établissement ou pour en revenir »

Dans l’affaire C‑164/23,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la Szegedi Törvényszék (cour de Szeged, Hongrie), par décision du 14 mars 2023, parvenue à la Cour le 16 mars 2023, dans la procédure

VOLÁNBUSZ Zrt.

contre

Bács-Kiskun Vármegyei Kormányhivatal,

LA COUR (troisième chambre),

composée de Mme K. Jürimäe, présidente de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la troisième chambre, MM. N. Piçarra (rapporteur), N. Jääskinen et M. Gavalec, juges,

avocat général : Mme T. Ćapeta,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour VOLÁNBUSZ Zrt., par Mme K. Mészáros et M. P. Varsányi, jogtanácsosok,

– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de M. A. Lipari, procuratore dello Stato, et M. G. Santini, avvocato dello Stato,

– pour la Commission européenne, par MM. C. Kovács et P. A. Messina, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocate générale entendue, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 9, paragraphe 3, du règlement (CE) no 561/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, relatif à l’harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route, modifiant les règlements (CEE) no 3821/85 et (CE) no 2135/98 du Conseil et abrogeant le règlement (CEE) no 3820/85 du Conseil (JO 2006, L 102, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant VOLÁNBUSZ Zrt. (ci‑après « Volánbusz »), une société anonyme de transport public en Hongrie, au Bács‑Kiskun Vármegyei Kormányhivatal (services administratifs du département de Bács‑Kiskun, Hongrie) au sujet de la légalité d’un avertissement adressé à cette société pour violation de l’obligation d’enregistrement du temps de travail des conducteurs qu’elle emploie.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 2002/15/CE

3 L’article 3 de la directive 2002/15/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mars 2002, relative à l’aménagement du temps de travail des personnes exécutant des activités mobiles de transport routier (JO 2002, L 80, p. 35), dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

a) “temps de travail” :

1) dans le cas des travailleurs mobiles : toute période comprise entre le début et la fin du travail, durant laquelle le travailleur mobile est à son poste de travail, à la disposition de l’employeur et dans l’exercice de ses fonctions ou de ses activités, c’est‑à‑dire :

– le temps consacré à toutes les activités de transport routier. Ces activités sont notamment les suivantes :

i) la conduite,

ii) le chargement et le déchargement,

iii) l’assistance aux passagers à la montée et à la descente du véhicule,

iv) le nettoyage et l’entretien technique,

v) tous les autres travaux visant à assurer la sécurité du véhicule, du chargement et des passagers ou à remplir les obligations légales ou réglementaires directement liées au transport spécifique en cours, y compris le contrôle des opérations de chargement et déchargement et les formalités administratives avec les autorités policières, douanières, les services de l’immigration, etc. ;

– les périodes durant lesquelles le travailleur mobile ne peut disposer librement de son temps et est tenu de se trouver à son poste de travail, prêt à entreprendre son travail normal, assurant certaines tâches associées au service, notamment les périodes d’attente de chargement ou de déchargement, lorsque leur durée prévisible n’est pas connue à l’avance, c’est-à-dire soit avant le départ ou juste avant le début effectif de la période considérée, soit selon les conditions générales
négociées entre les partenaires sociaux et/ou définies par la législation des États membres ;

[...] »

Le règlement no 561/2006

4 Les considérants 5 et 17 du règlement no 561/2006 énoncent :

« (5) Les mesures prévues par le présent règlement concernant les conditions de travail ne devraient pas porter atteinte au droit des partenaires sociaux d’établir, au moyen de conventions de travail collectives ou dans un autre cadre, des dispositions plus favorables aux travailleurs.

[...]

(17) Le présent règlement vise à améliorer les conditions sociales pour les travailleurs auxquels il s’applique, ainsi qu’à améliorer la sécurité routière en général. Il vise à atteindre cet objectif principalement au moyen des dispositions relatives au temps de conduite maximum par jour, par semaine et par période de deux semaines consécutives, de la disposition obligeant un conducteur à prendre un temps de repos hebdomadaire normal au moins une fois sur une période de deux semaines consécutives,
et des dispositions qui prévoient qu’en aucun cas un temps de repos journalier ne peut être inférieur à une période ininterrompue de neuf heures. [...] »

5 L’article 1er de ce règlement prévoit :

« Le présent règlement fixe les règles relatives aux durées de conduite, aux pauses et aux temps de repos qui doivent être observés par les conducteurs assurant le transport de marchandises et de voyageurs par route afin d’harmoniser les conditions de concurrence entre les modes de transport terrestre, en particulier en ce qui concerne le secteur routier, et d’améliorer des conditions de travail et la sécurité routière. Le présent règlement vise également à promouvoir de meilleures pratiques de
contrôle et d’application des règles par les États membres et de meilleures méthodes de travail dans le secteur du transport routier. »

6 L’article 3 dudit règlement dispose :

« Le présent règlement ne s’applique pas aux transports routiers effectués par des :

a) véhicules affectés au transport de voyageurs par des services réguliers dont le parcours de la ligne ne dépasse pas 50 km ;

[...] »

7 Aux termes de l’article 4, sous e), du même règlement :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

[...]

e) “autre tâche” : toute activité, à l’exception de la conduite, définie comme temps de travail à l’article 3, point a), de la directive [2002/15], y compris toute activité accomplie pour le même ou un autre employeur dans le secteur du transport ou en dehors ».

8 L’article 9, paragraphe 3, du règlement no 561/2006 dispose :

« Tout temps passé par un conducteur conduisant un véhicule n’entrant pas dans le champ d’application du présent règlement pour se rendre sur le lieu de prise en charge d’un véhicule entrant dans le champ d’application du présent règlement ou en revenir, lorsque celui‑ci ne se trouve ni au lieu de résidence du conducteur ni à l’établissement de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché, est considéré comme une autre tâche. »

Le droit hongrois

9 L’article 86 de l’a munka törvénykönyvéről szóló 2012. évi I. törvény (loi no I de 2012, établissant le code du travail) (Magyar Közlöny 2012/2., ci‑après le « code du travail hongrois ») prévoit, à son paragraphe 3 :

« Ne fait pas partie du temps de travail :

[...]

b) la durée du trajet du travailleur de son domicile ou lieu de résidence à son lieu de travail effectif et de son lieu de travail à son domicile ou lieu de résidence. »

10 L’article 134, paragraphe 1, sous a), de ce code dispose :

« L’employeur tient un registre :

a) de la durée du temps de travail ordinaire et extraordinaire.

[…] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

11 Volánbusz est une société anonyme de transport public, dont l’unique actionnaire est l’État hongrois. Elle assure le transport régulier de voyageurs par autobus sur différents itinéraires dont certains dépassent 50 kilomètres et d’autres ne dépassent pas 50 kilomètres. Seuls les autobus qui sont exclusivement affectés à ce dernier type d’itinéraire n’entrent pas dans le champ d’application du règlement no 561/2006, conformément à l’article 3, sous a), de celui‑ci.

12 Certains conducteurs employés par Volánbusz prennent en charge et déposent les autobus dans des dépôts externes de cette société, au départ desquels ils effectuent régulièrement leur service et vers lesquels ils retournent à la fin de celui‑ci, dans l’exercice normal de leurs fonctions, c’est‑à‑dire sans instructions particulières de ladite société. Ces dépôts externes, dont la plupart sont des parkings, ne comportent pas d’installations au service des conducteurs, à savoir des installations
sanitaires ou des espaces de convivialité ou de repos. Lesdits dépôts externes ne sont pas inscrits au registre du commerce en tant que lieux d’établissement ou succursales de Volánbusz. Ils sont néanmoins désignés comme lieux de prise en charge des véhicules de celle-ci, d’où débute et d’où s’achève l’itinéraire assigné par la feuille de route, et se trouvent plus proches des lieux de résidence des conducteurs que le lieu d’établissement ou les succursales de Volánbusz. Cette proximité assure à
ces conducteurs des temps de trajet plus courts pour prendre en charge ces véhicules et pour rejoindre leur résidence après leur service.

13 Conformément à l’article 86, paragraphe 3, sous b), du code du travail hongrois, le temps passé par les conducteurs employés par Volánbusz à conduire leur propre véhicule pour se rendre sur le lieu de prise en charge des véhicules entrant dans le champ d’application du règlement no 561/2006 et pour en revenir à la fin de leur service ne fait pas partie de leur temps de travail. Une indemnité de trajet leur est, cependant, versée à ce titre.

14 Toutefois, à la suite de plusieurs contrôles, les services administratifs du département de Bács-Kiskun ont constaté que, pour 67 conducteurs employés par Volánbusz, le temps passé, au cours du mois de mars 2022, pour se rendre de leur lieu de résidence jusqu’aux dépôts externes de cette société et pour en revenir à la fin de leur service aurait dû être enregistré en tant que temps de travail, en application de l’article 134 du code du travail hongrois. Par une décision du 19 octobre 2022, les
services administratifs du département de Bács-Kiskun ont donc adressé un avertissement à Volánbusz.

15 Ces services administratifs soulignent que plusieurs des dépôts externes de Volánbusz ne sont que de simples parkings. Or, un parking ne serait pas une installation, au sens de la jurisprudence issue des arrêts du 18 janvier 2001, Skills Motor Coaches e.a. (C‑297/99, EU:C:2001:37), ainsi que du 29 avril 2010, Smit Reizen (C‑124/09, EU:C:2010:238). Dans ces conditions, ces dépôts externes ne sauraient être qualifiés d’« établissement de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché »,
au sens de l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 561/2006. Par conséquent, tout temps passé par un conducteur à conduire un véhicule n’entrant pas dans le champ d’application de ce règlement pour se rendre à de tels dépôts externes, ainsi que pour en revenir à la fin de son service, devrait être qualifié d’« autre tâche », au sens de cette disposition du droit de l’Union, et être enregistré conformément à l’article 134 du code du travail hongrois. Lesdits services sont d’avis que la notion
d’« établissement de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché », au sens de ladite disposition du droit de l’Union, est équivalente à celle de « centre d’exploitation » qui figure dans ces arrêts.

16 Volánbusz a introduit devant la Szegedi Törvényszék (cour de Szeged, Hongrie), qui est la juridiction de renvoi, un recours en annulation contre la décision du 19 octobre 2022 mentionnée au point 14 du présent arrêt. Elle fait valoir que les dépôts externes d’autobus à caractère permanent sur lesquels a porté l’inspection doivent être qualifiés d’établissements de l’employeur auxquels les conducteurs concernés sont normalement rattachés, au sens de l’article 9, paragraphe 3, du
règlement no 561/2006. Dans ces conditions, conformément à cette disposition, tout temps passé par ces conducteurs à conduire un véhicule n’entrant pas dans le champ d’application de ce règlement pour se rendre à de tels dépôts externes, ainsi que pour en revenir à la fin de leur service, ne saurait être qualifié d’« autre tâche », au sens de ladite disposition, si bien qu’il n’y aurait pas d’obligation de l’enregistrer en tant que telle.

17 Une interprétation contraire de l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 561/2006 aboutirait, selon Volánbusz, à une situation paradoxale. En effet, alors que le temps de trajet passé à conduire un véhicule n’entrant pas dans le champ d’application de ce règlement pour se rendre à un dépôt externe devrait être enregistré comme temps de travail, tel ne serait pas le cas du temps de trajet pour prendre en charge un véhicule, non pas audit dépôt externe, mais au lieu d’établissement de cette
entreprise ou de ses succursales, quand bien même le dépôt externe concerné a été déterminé pour réduire ce temps de trajet. Les entreprises de transport seraient ainsi découragées de désigner de tels dépôts externes comme lieu de prise en charge d’un véhicule entrant dans le champ d’application dudit règlement.

18 Une telle pratique viserait pourtant à améliorer les conditions de travail des conducteurs ainsi que la sécurité routière, conformément à l’article 1er du même règlement, lu à la lumière du considérant 17 de celui-ci. Volánbusz a précisé, à cet égard, que le lieu de rattachement concret des conducteurs concernés a été établi sur la base de plusieurs critères et tient compte, dans le cadre de l’organisation du travail, des aspirations personnelles de ces conducteurs afin de réduire au maximum le
temps de trajet entre leur résidence et le lieu de prise en charge des véhicules entrant dans le champ d’application dudit règlement.

19 La juridiction de renvoi relève, tout d’abord, que la solution du litige au principal dépend de l’interprétation de la notion d’« établissement de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché », au sens de l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 561/2006. En particulier, elle dépend du point de savoir si cette notion couvre un lieu dépourvu de toute installation et servant uniquement au dépôt de véhicules entrant dans le champ d’application de ce règlement. De plus, il
conviendrait de déterminer si la présence de certaines installations, comme des installations sanitaires ou des espaces de convivialité ou de repos, est nécessaire à la qualification d’« établissement de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché », au sens de cette disposition. La convention collective conclue entre Vólanbusz et l’organisation syndicale représentative des salariés du secteur concerné qualifierait comme tel le lieu de rattachement concret du conducteur concerné,
c’est-à-dire l’endroit, qu’il s’agisse d’une installation, d’un parking de l’entreprise ou encore de tout autre point géographique où débute l’itinéraire assigné par la feuille de route, au départ duquel ce conducteur effectue régulièrement son service et vers lequel il retourne à la fin de celui-ci, dans le cadre de l’exercice normal de ses fonctions et sans se conformer à des instructions particulières de son employeur.

20 Ensuite, cette juridiction se réfère à l’arrêt du 29 avril 2010, Smit Reizen (C‑124/09, EU:C:2010:238), dans lequel la Cour a défini la notion de « centre d’exploitation de l’entreprise » en des termes qui ont été repris dans la définition de la notion d’« établissement de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché » figurant dans la convention collective mentionnée au point précédent. Selon ladite juridiction, « une installation de l’entreprise de transport routier de voyageurs,
un parking [ou] tout autre point géographique défini comme étant le point de départ de l’itinéraire qui est assigné [au conducteur] par la feuille de route peuvent faire office de lieu de rattachement concret ».

21 Enfin, à l’instar de Volánbusz, la juridiction de renvoi estime qu’une interprétation de l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 561/2006 selon laquelle devrait être qualifié de temps de travail tout temps de trajet passé par un conducteur conduisant son propre véhicule pour se rendre à l’« établissement de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché », pour prendre en charge un véhicule entrant dans le champ d’application de ce règlement, serait contraire aux objectifs
poursuivis par ledit règlement.

22 Dans ces conditions, la Szegedi Törvényszék (cour de Szeged) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) La notion d’“établissement de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché” figurant à l’article 9, paragraphe 3, du règlement [no 561/2006] doit‑elle être comprise en ce sens qu’elle vise le lieu de rattachement concret du conducteur, c’est‑à‑dire l’endroit, qu’il s’agisse d’une installation, d’un parking de l’entreprise, ou encore de tout autre point géographique défini comme étant le lieu où débute l’itinéraire assigné par la feuille de route, au départ duquel ce conducteur
effectue régulièrement son service et vers lequel il retourne à la fin de celui‑ci, dans le cadre de l’exercice normal de ses fonctions et sans se conformer à des instructions particulières de son employeur ?

2) Est‑il ou non pertinent, pour qualifier un endroit d’“établissement de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché”, au sens de l’article 9, paragraphe 3, du règlement [no 561/2006], que celui‑ci soit pourvu d’installations appropriées (par exemple, de commodités, d’espaces de convivialité ou de lieu de repos) ?

3) Est‑il pertinent, pour qualifier un endroit d’établissement de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché, au sens de l’article 9, paragraphe 3, du règlement [no 561/2006], que l’emplacement de ces lieux de rattachement concrets soit favorable aux travailleurs (conducteurs), puisqu’ils sont dans tous les cas plus proches de leurs lieux de résidence respectifs que les lieux d’établissement ou succursales de l’entreprise inscrits au registre du commerce, de sorte que les
conducteurs ont des temps de trajet moins longs que s’ils commençaient et finissaient leur travail dans les lieux d’établissement ou succursales de l’entreprise inscrits au registre du commerce ?

4) Dans l’hypothèse où la notion d’“établissement de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché” figurant à l’article 9, paragraphe 3, du règlement [no 561/2006] ne peut pas être comprise comme visant le lieu de rattachement concret du conducteur, c’est‑à‑dire l’endroit, qu’il s’agisse d’une installation, d’un parking de l’entreprise, ou encore de tout autre point géographique défini comme étant le lieu où débute l’itinéraire assigné par la feuille de route, au départ duquel ce
conducteur effectue régulièrement son service et vers lequel il retourne à la fin de celui‑ci, dans le cadre de l’exercice normal de ses fonctions et sans se conformer à des instructions particulières de son employeur, la définition de cette notion du règlement [no 561/2006] peut‑elle alors être considérée comme étant une mesure concernant les conditions de travail, au regard de laquelle, compte tenu du considérant 5 de ce règlement, les partenaires sociaux peuvent établir, au moyen de
conventions de travail collectives ou d’autres arrangements, des dispositions plus favorables aux travailleurs ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur les première à troisième questions

23 Par ses première à troisième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 561/2006 doit être interprété en ce sens que la notion d’« établissement de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché » figurant à cette disposition couvre un lieu, tel qu’un dépôt externe de véhicules entrant dans le champ d’application de ce règlement, au départ duquel le conducteur concerné effectue
régulièrement son service et vers lequel il retourne à la fin de celui‑ci, dans l’exercice normal de ses fonctions et sans instructions particulières de son employeur à cet égard. Cette juridiction demande également si, à cette fin, sont pertinentes, d’une part, la présence, dans un tel lieu, d’installations sanitaires ou d’espaces de convivialité ou de repos et, d’autre part, la proximité géographique de ce lieu avec le lieu de résidence de ce conducteur.

24 L’article 9, paragraphe 3, du règlement no 561/2006 prévoit que tout temps passé par un conducteur à conduire un véhicule n’entrant pas dans le champ d’application de ce règlement pour se rendre sur le lieu de prise en charge d’un véhicule entrant dans le champ d’application dudit règlement est considéré comme étant une autre tâche, lorsque ce dernier véhicule ne se trouve ni au lieu de résidence de ce conducteur ni au lieu de l’établissement de l’employeur auquel ledit conducteur est normalement
rattaché.

25 La notion d’« établissement de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché », visée à cet article 9, paragraphe 3, n’est pas définie par le règlement no 561/2006, lequel, à cette fin, n’opère aucun renvoi exprès au droit des États membres. Une telle notion doit donc être qualifiée de notion autonome du droit de l’Union et interprétée de manière uniforme.

26 Il ressort du libellé de l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 561/2006 que cette disposition n’établit aucune exigence concernant la présence, dans l’« établissement de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché », de certaines installations, telles que des installations sanitaires ou des espaces de convivialité ou de repos. Ladite disposition n’exige pas non plus que cet établissement soit proche du lieu de résidence de ce conducteur. En revanche, ce libellé ne permet pas de
résoudre le point de savoir si la notion d’« établissement de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché », au sens de la même disposition, est le lieu au départ duquel ledit conducteur effectue régulièrement son service et vers lequel il retourne à la fin de ce service, en l’absence d’instructions particulières de son employeur.

27 Un examen de la genèse de cette notion et de la disposition dans laquelle elle s’insère permet de lever cette interrogation.

28 En effet, ainsi que le relève, en substance, la Commission européenne dans ses observations écrites, l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 561/2006 codifie la solution retenue par la Cour dans l’arrêt du 18 janvier 2001, Skills Motor Coaches e.a. (C‑297/99, EU:C:2001:37), qui portait sur le règlement (CEE) no 3821/85 du Conseil, du 20 décembre 1985, concernant l’appareil de contrôle dans le domaine des transports par route (JO 1985, L 370, p. 8). Dans cet arrêt, la Cour a jugé que
l’obligation, pour un conducteur, d’enregistrer tous les autres temps de travail concerne également les périodes consacrées aux déplacements nécessaires pour prendre en charge un véhicule soumis à l’obligation d’installer et d’utiliser un appareil de contrôle (tachygraphe) et situé en un lieu autre que le domicile de ce conducteur ou le centre de l’exploitation de l’employeur de celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 18 janvier 2001, Skills Motor Coaches e.a., C‑297/99, EU:C:2001:37, point 35).

29 La Cour a précisé que cette notion de « centre d’exploitation de l’employeur » ne saurait être définie exclusivement en fonction de critères liés à l’employeur, notamment à la structure ou à l’organisation de l’entreprise de transport concernée, mais devrait également tenir compte de critères relatifs à la personne du conducteur concerné. Partant, cette notion ne saurait être assimilée à celle de « siège social » ni interprétée en ce sens que tout dépôt de véhicules appartenant à l’entreprise de
transport concernée pourrait être considéré comme étant un centre d’exploitation de l’employeur. Ladite notion vise ainsi le lieu de rattachement concret ou le « point d’attache » de ce conducteur, à savoir le lieu où ledit conducteur se rend de manière régulière pour prendre en charge et conduire un véhicule relevant du champ d’application du règlement no 3821/85, ou le lieu au départ duquel il effectue régulièrement son service et vers lequel il retourne à la fin de celui‑ci, dans l’exercice
normal de ses fonctions et sans instructions particulières de son employeur à cet égard (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2010, Smit Reizen, C‑124/09, EU:C:2010:238, points 24 à 28 et 31).

30 Compte tenu de ce qui précède, il y a lieu de considérer que la notion de « centre d’exploitation de l’employeur » ainsi définie correspond, en substance, à celle d’« établissement de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché », qui figure à l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 561/2006.

31 De même, la notion d’« autre tâche », figurant à cette disposition et définie à l’article 4, sous e), de ce règlement comme étant « toute activité, à l’exception de la conduite, définie comme temps de travail à l’article 3, [sous] a), de la directive [2002/15], y compris toute activité accomplie pour le même ou un autre employeur dans le secteur du transport ou en dehors », correspond, en substance, à celle de « tous les autres temps de travail » figurant à l’article 15 du règlement no 3821/85.

32 Partant, lorsqu’un conducteur prend en charge un véhicule entrant dans le champ d’application du règlement no 561/2006 à un lieu qui est « l’établissement de l’employeur auquel [ce] conducteur est normalement rattaché », tout temps qu’il passe à conduire un véhicule n’entrant pas dans le champ d’application de ce règlement pour se rendre à cet établissement et pour en revenir ne saurait être qualifié d’« autre tâche », au sens de l’article 4, sous e), dudit règlement.

33 Il apparaît ainsi que l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 561/2006 a vocation à régir une situation spécifique, à l’exclusion de toute autre, à savoir celle dans laquelle le conducteur prend en charge le véhicule entrant dans le champ d’application de ce règlement en un lieu autre que son lieu de résidence ou l’établissement de l’employeur auquel il est normalement rattaché.

34 Une telle interprétation est conforme aux objectifs poursuivis par ce règlement, lequel vise notamment, ainsi qu’il résulte de son article 1er, lu en combinaison avec son considérant 17, à améliorer les conditions de travail des conducteurs concernés et la sécurité routière. En tenant compte de ces objectifs, la notion d’« établissement de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché », au sens de l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 561/2006, ne saurait être définie
exclusivement au regard de critères fonctionnels liés à l’organisation interne de l’entreprise de transport, mais doit également tenir compte de critères relatifs à la personne du conducteur concerné (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2010, Smit Reizen, C‑124/09, EU:C:2010:238, point 24).

35 Toutefois, le fait qu’un tel lieu soit plus favorable au conducteur concerné, notamment en raison d’une localisation géographique plus proche de son lieu de résidence, ne constitue pas un critère suffisant pour le qualifier d’« établissement de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché ». En l’occurrence, il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier, compte tenu de l’ensemble des circonstances qui caractérisent la situation du conducteur concerné, que le lieu en cause au
principal est bien le lieu de rattachement concret de ce conducteur (voir, en ce sens, arrêt du 29 avril 2010, Smit Reizen, C‑124/09, EU:C:2010:238, point 30).

36 Il importe d’ajouter, pour répondre à une interrogation spécifique de la juridiction de renvoi, que, sans préjudice de l’objectif d’améliorer les conditions de travail des conducteurs concernés, le règlement no 561/2006 n’impose pas la présence d’installations sanitaires, d’espaces de convivialité ou de repos afin de qualifier un lieu, tel que celui en cause au principal, d’« établissement de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché », au sens de l’article 9, paragraphe 3, du
règlement no 561/2006.

37 Eu égard à l’ensemble des motifs qui précèdent, il y a lieu de répondre aux première à troisième questions que l’article 9, paragraphe 3, du règlement no 561/2006 doit être interprété en ce sens que la notion d’« établissement de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché » figurant à cette disposition désigne un lieu, tel qu’un dépôt externe de véhicules entrant dans le champ d’application de ce règlement, au départ duquel le conducteur concerné effectue régulièrement son service
et vers lequel il retourne à la fin de celui‑ci, dans l’exercice normal de ses fonctions et sans se conformer à des instructions particulières à cet égard. L’éventuelle présence, dans un tel lieu, d’installations sanitaires ou d’espaces de convivialité ou de repos est sans incidence à cet égard. En revanche, la proximité géographique du lieu de résidence de ce conducteur est susceptible d’être prise en compte, sans pour autant être, à elle seule, déterminante.

Sur la quatrième question

38 Compte tenu de la réponse apportée aux première à troisième questions, il n’y a pas lieu de répondre à la quatrième question.

Sur les dépens

39 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle‑ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) dit pour droit :

  L’article 9, paragraphe 3, du règlement (CE) no 561/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2006, relatif à l’harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale dans le domaine des transports par route, modifiant les règlements (CEE) no 3821/85 et (CE) no 2135/98 du Conseil et abrogeant le règlement (CEE) no 3820/85 du Conseil,

  doit être interprété en ce sens que :

  la notion d’« établissement de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché » figurant à cette disposition désigne un lieu, tel qu’un dépôt externe de véhicules entrant dans le champ d’application de ce règlement, au départ duquel le conducteur concerné effectue régulièrement son service et vers lequel il retourne à la fin de celui‑ci, dans l’exercice normal de ses fonctions et sans se conformer à des instructions particulières à cet égard. L’éventuelle présence, dans un tel lieu,
d’installations sanitaires ou d’espaces de convivialité ou de repos est sans incidence à cet égard. En revanche, la proximité géographique du lieu de résidence de ce conducteur est susceptible d’être prise en compte, sans pour autant être, à elle seule, déterminante.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le hongrois.


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : C-164/23
Date de la décision : 26/09/2024

Analyses

Renvoi préjudiciel – Transports par route – Harmonisation de certaines dispositions de la législation sociale – Règlement (CE) nº 561/2006 – Article 9, paragraphe 3 – Notion d’“établissement de l’employeur auquel le conducteur est normalement rattaché” – Lieu de prise en charge, par un conducteur, d’un véhicule entrant dans le champ d’application de ce règlement – Notion d’“autre tâche” – Temps passé par ce conducteur à conduire un véhicule n’entrant pas dans le champ d’application dudit règlement pour se rendre à cet établissement ou pour en revenir.


Parties
Demandeurs : VOLÁNBUSZ Zrt.
Défendeurs : Bács-Kiskun Vármegyei Kormányhivatal.

Origine de la décision
Date de l'import : 28/09/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:801

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