ARRÊT DE LA COUR (troisième chambre)
26 septembre 2024 ( *1 )
« Pourvoi – Marchés publics de services – Irrégularités dans la procédure de passation d’un marché public – Décision de recouvrement de la Commission européenne adoptée après la signature du contrat – Nature juridique – Décision ne produisant pas exclusivement des effets dans le cadre de ce contrat – Protection des intérêts financiers de l’Union européenne – Mesures administratives – Exercice de prérogatives de puissance publique – Recours en annulation – Article 263 TFUE – Compétence du juge de
l’Union »
Dans les affaires jointes C‑160/22 P et C‑161/22 P,
ayant pour objet deux pourvois au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduits le 3 mars 2022,
Commission européenne, représentée initialement par MM. B. Araujo Arce, J. Baquero Cruz et J. Estrada de Solà, en qualité d’agents, puis par M. J. Baquero Cruz, Mme F. Blanc, MM. J. Estrada de Solà et P. Ortega Sánchez de Lerín, en qualité d’agents,
partie requérante,
l’autre partie à la procédure étant :
HB, représentée par Me L. Levi, avocate,
partie demanderesse en première instance,
LA COUR (troisième chambre),
composée de Mme K. Jürimäe, présidente de chambre, M. K. Lenaerts, président de la Cour, faisant fonction de juge de la troisième chambre, MM. N. Piçarra (rapporteur), N. Jääskinen et M. Gavalec, juges,
avocat général : Mme J. Kokott,
greffier : Mme A. Lamote, administratrice,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 27 septembre 2023,
ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 25 janvier 2024,
rend le présent
Arrêt
1 Par ses pourvois, la Commission européenne demande l’annulation partielle des arrêts du Tribunal de l’Union européenne du 21 décembre 2021, HB/Commission (T‑795/19, ci-après le « premier arrêt attaqué », EU:T:2021:917), et du 21 décembre 2021, HB/Commission (T‑796/19, ci-après le « second arrêt attaqué », EU:T:2021:918) (ci-après, ensemble, les « arrêts attaqués »), par lesquels il a rejeté comme étant irrecevables les recours en annulation introduits par HB contre, respectivement, la décision
C(2019) 7319 final de la Commission, du 15 octobre 2019, relative à la réduction des montants dus au titre du marché CARDS/2008/166-429 et au recouvrement des montants indûment versés (ci‑après la « décision de recouvrement CARDS »), ainsi que la décision C(2019) 7318 final de la Commission, du 15 octobre 2019, relative à la réduction des montants dus au titre du marché TACIS/2006/101-510 et au recouvrement des montants indûment versés (ci-après la « décision de recouvrement TACIS ») (ci‑après,
ensemble, les « décisions litigieuses »).
Le cadre juridique
Le règlement (CE, Euratom) no 2988/95
2 L’article 1er du règlement (CE, Euratom) no 2988/95 du Conseil, du 18 décembre 1995, relatif à la protection des intérêts financiers des Communautés européennes (JO 1995, L 312, p. 1), dispose, à son paragraphe 2 :
« Est constitutive d’une irrégularité toute violation d’une disposition du droit communautaire résultant d’un acte ou d’une omission d’un opérateur économique qui a ou aurait pour effet de porter préjudice au budget général des Communautés ou à des budgets gérés par celles‑ci, soit par la diminution ou la suppression de recettes provenant des ressources propres perçues directement pour le compte des Communautés, soit par une dépense indue. »
3 L’article 2, paragraphe 1, de ce règlement prévoit :
« Les contrôles et les mesures et sanctions administratives sont institués dans la mesure où ils sont nécessaires pour assurer l’application correcte du droit communautaire. Ils doivent revêtir un caractère effectif, proportionné et dissuasif, afin d’assurer une protection adéquate des intérêts financiers des Communautés. »
4 Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, dudit règlement :
« Toute irrégularité entraîne, en règle générale, le retrait de l’avantage indûment obtenu :
– par l’obligation de verser les montants dus ou de rembourser les montants indûment perçus,
– par la perte totale ou partielle de la garantie constituée à l’appui de la demande d’un avantage octroyé ou lors de la perception d’une avance. »
Le règlement financier de 2002
5 L’article 103 du règlement (CE, Euratom) no 1605/2002 du Conseil, du 25 juin 2002, portant règlement financier applicable au budget général des Communautés européennes (JO 2002, L 248, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE, Euratom) no 1995/2006 du Conseil, du 13 décembre 2006 (JO 2006, L 390, p. 1) (ci-après le « règlement financier de 2002 »), qui a été abrogé avec effet au 31 décembre 2012, prévoyait :
« Lorsque la procédure de passation d’un marché se révèle entachée d’erreurs substantielles, d’irrégularités ou de fraude, les institutions la suspendent et prennent toutes les mesures nécessaires, y compris l’annulation de la procédure.
Si, après l’attribution du marché, la procédure de passation ou l’exécution du marché se révèle entachée d’erreurs substantielles, d’irrégularités ou de fraude, les institutions peuvent s’abstenir de conclure le contrat, suspendre l’exécution du marché ou, le cas échéant, résilier le contrat, selon le stade atteint par la procédure.
Si ces erreurs, irrégularités ou fraudes sont le fait du contractant, les institutions peuvent en outre refuser d’effectuer le paiement, recouvrer les montants déjà versés ou résilier tous les contrats conclus avec ledit contractant, proportionnellement à la gravité desdites erreurs, irrégularités ou fraudes. »
Le règlement financier de 2018
6 Intitulé « Recettes affectées », l’article 21 du règlement (UE, Euratom) 2018/1046 du Parlement européen et du Conseil, du 18 juillet 2018, relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union, modifiant les règlements (UE) no 1296/2013, (UE) no 1301/2013, (UE) no 1303/2013, (UE) no 1304/2013, (UE) no 1309/2013, (UE) no 1316/2013, (UE) no 223/2014, (UE) no 283/2014 et la décision no 541/2014/UE, et abrogeant le règlement (UE, Euratom) no 966/2012 (JO 2018, L 193, p. 1) (ci‑après
le « règlement financier de 2018 »), dispose, à son paragraphe 3, sous b) :
« Constituent des recettes affectées internes :
[...]
b) les recettes provenant de la restitution, conformément à l’article 101, des sommes qui ont été indûment payées ».
7 L’article 131 du règlement financier de 2018, intitulé « Suspension, résiliation et réduction », prévoit, à ses paragraphes 2 et 4 :
« 2. Si, après l’octroi, il se révèle que la procédure d’attribution est entachée d’irrégularités ou de fraude, l’ordonnateur compétent peut :
a) refuser de contracter l’engagement juridique ou annuler l’attribution d’un prix ;
b) suspendre des paiements ;
c) suspendre l’exécution de l’engagement juridique ;
d) le cas échéant, résilier l’engagement juridique dans sa totalité ou pour la partie qui concerne un ou plusieurs destinataires particuliers.
[...]
4. En plus des mesures visées au paragraphe 2 ou 3, l’ordonnateur compétent peut réduire la subvention, le prix attribué, la contribution au titre de la convention de contribution ou le prix à payer dans le cadre d’un contrat en proportion de la gravité des irrégularités, de la fraude ou de la violation des obligations, y compris en cas d’inexécution, de mauvaise exécution ou d’exécution partielle ou tardive des activités en question.
[...] »
Les antécédents des litiges
8 Les antécédents des deux litiges en cause ont été exposés par le Tribunal, respectivement, aux points 1 à 29 du premier arrêt attaqué et aux points 1 à 24 du second arrêt attaqué et peuvent, pour les besoins de la présente procédure, être résumés comme suit.
9 S’agissant de l’affaire ayant donné lieu au second arrêt attaqué, le 25 janvier 2006, l’Union européenne, représentée par sa délégation en Ukraine, a lancé un appel d’offres afin de conclure un marché pour la fourniture de services d’assistance technique aux autorités ukrainiennes en vue du rapprochement de la législation ukrainienne à celle de l’Union. Ce marché s’inscrivait dans le cadre du programme d’assistance technique à la Communauté des États indépendants (TACIS), dont l’objet était de
favoriser la transition vers une économie de marché et de renforcer la démocratie et l’État de droit dans les États partenaires d’Europe orientale et d’Asie centrale.
10 Le 17 juillet 2006, le marché TACIS/2006/101-510 (ci-après le « marché TACIS ») a été attribué au consortium coordonné par HB parmi huit soumissionnaires ayant déposé des offres. Le contrat y afférent (ci-après le « contrat TACIS ») a été signé le même jour pour une valeur maximale du marché de 4410000 euros.
11 S’agissant de l’affaire ayant donné lieu au premier arrêt attaqué, le 24 octobre 2007, l’Union, représentée par l’Agence européenne pour la reconstruction (AER), a lancé un appel d’offres afin de conclure un marché pour la fourniture de services d’assistance technique au Haut Conseil judiciaire en Serbie. Ce marché s’inscrivait dans le cadre du programme d’assistance communautaire pour la reconstruction, le développement et la stabilisation (CARDS), dont l’objet était de fournir une assistance
communautaire aux pays de l’Europe du Sud-Est en vue de leur participation au processus de stabilisation et d’association à l’Union.
12 Le 10 juin 2008, le marché CARDS/2008/166-429 (ci-après le « marché CARDS ») a été attribué au consortium coordonné par HB parmi cinq soumissionnaires ayant déposé des offres. Le contrat y afférent (ci-après le « contrat CARDS ») a été signé le 30 juillet 2008 pour une valeur maximale du marché de 1999125 euros.
13 Tant le contrat CARDS que le contrat TACIS (ci-après, ensemble, les « contrats litigieux ») stipulaient notamment que toute question non couverte par le contrat respectif serait régie par le droit belge et que tout litige relatif à ce contrat ne pouvant être réglé à l’amiable relèverait de la compétence exclusive des juridictions de Bruxelles (Belgique). Dans l’hypothèse où le cocontractant de l’Union se rendrait coupable d’erreurs, d’irrégularités ou d’actes de fraude lors de la passation du
marché, ces contrats prévoyaient que l’Union pourrait, d’une part, refuser d’effectuer les paiements dus et/ou recouvrer, de manière proportionnelle, les montants déjà payés et, d’autre part, résilier le contrat, notamment dans l’hypothèse où son cocontractant se rendrait coupable de fautes professionnelles graves.
14 À la suite d’une mission d’enquête réalisée par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF), celui-ci a relevé, dans un rapport du 7 avril 2009, l’existence d’irrégularités graves et de possibles actes de corruption relatifs à la participation de HB aux appels d’offres concernant tant le marché CARDS que le marché TACIS. L’OLAF, dans des rapports d’enquête finaux transmis à la Commission respectivement le 19 avril 2010 et le 28 novembre 2011, a confirmé l’existence de ces irrégularités et de ces
actes et a recommandé la résiliation des contrats litigieux, dont l’exécution avait entre-temps été suspendue, ainsi que le recouvrement des montants indûment versés.
15 Le 19 mars 2013, la délégation de l’Union en Ukraine a informé HB que le contrat TACIS pouvait être considéré comme étant exécuté à la suite de l’approbation du rapport final, du paiement de la facture finale et du remboursement de la garantie bancaire. Le 24 mai 2018, cette délégation a notifié à HB son intention de recouvrer toutes les sommes versées au titre de ce contrat, correspondant à un montant de 4241507 euros. À la suite de l’opposition de HB, ladite délégation a confirmé cette
intention par lettre du 5 décembre 2018.
16 Le 15 octobre 2019, la Commission a adopté la décision de recouvrement TACIS.
17 Le 11 juillet 2014, la délégation de l’Union en Serbie, à laquelle le contrat CARDS avait été transféré à la suite de la disparition de l’AER, a informé HB de son intention de résilier ce contrat en raison des allégations graves concernant l’attribution irrégulière du marché CARDS et a confirmé cette intention par une lettre du 8 mai 2015. Le 9 novembre 2015, cette délégation a transmis à HB un ordre de recouvrement d’un montant de 1197055,86 euros.
18 Le 15 octobre 2019, la Commission a adopté la décision de recouvrement CARDS.
19 Par les décisions litigieuses, portant, notamment, les visas de l’article 103 du règlement financier de 2002, de l’article 131 du règlement financier de 2018 et de l’article 4 du règlement no 2988/95, la Commission a considéré que les procédures de passation des marchés CARDS et TACIS avaient fait l’objet d’une irrégularité, au sens de ces articles 103 et 131, imputable aux consortiums respectifs coordonnés par HB (article premier). En conséquence, les montants de ces marchés étaient réduits à
zéro euro (article 2) et tous les paiements effectués au titre desdits marchés étaient considérés comme ayant été indûment versés et comme devant faire l’objet d’un recouvrement (article 3). L’article 5 de ces décisions précisait que, conformément à l’article 263 TFUE, celles-ci pourraient « faire l’objet d’un recours en annulation devant la Cour de justice de l’Union européenne dans un délai de deux mois ».
Les procédures devant le Tribunal et les arrêts attaqués
L’affaire T‑795/19
20 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 novembre 2019, HB a introduit un recours au titre de l’article 263 TFUE et de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, tendant à :
– annuler la décision de recouvrement CARDS ;
– ordonner le remboursement de tous les montants éventuellement recouvrés par la Commission sur la base de la décision de recouvrement CARDS, augmentés des intérêts de retard calculés sur la base du taux appliqué par la Banque centrale européenne (BCE) majoré de sept points ;
– condamner la Commission au paiement de la dernière facture émise, d’un montant de 437649,39 euros, augmentée des intérêts de retard calculés sur la base du taux appliqué par la BCE majoré de sept points ;
– ordonner la libération de la garantie bancaire et la réparation du préjudice matériel subi du fait de sa libération tardive ;
– condamner la Commission au paiement d’un euro symbolique à titre de dommages-intérêts, « sous réserve de parfaire », et
– condamner la Commission aux entiers dépens.
21 La Commission a demandé au Tribunal :
– de rejeter la demande d’annulation de la décision de recouvrement CARDS comme étant non fondée ;
– de rejeter les autres demandes comme étant irrecevables ou, en tout état de cause, comme étant non fondées, et
– de condamner HB aux dépens.
22 Par le premier arrêt attaqué, le Tribunal a soulevé d’office l’irrecevabilité du recours en ce qu’il tendait à l’annulation de la décision de recouvrement CARDS. Après avoir examiné, aux points 67 à 88 de cet arrêt, le contenu de cette décision, le Tribunal a considéré, au point 89 dudit arrêt, que celle-ci était uniquement susceptible de produire des effets dans le cadre du contrat CARDS et qu’elle ne pouvait pas être détachée de ce contrat. Le Tribunal en a déduit, au point 90 du même arrêt,
que la décision de recouvrement CARDS n’était pas, compte tenu de sa nature, un acte pouvant faire l’objet d’un recours en annulation sur le fondement de l’article 263 TFUE. Il a ainsi rejeté comme étant irrecevable le chef de conclusions tendant à l’annulation de cette décision. Par ailleurs, dans la mesure où ledit recours tendait à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, le Tribunal l’a rejeté, aux points 97 à 103 du premier arrêt attaqué, comme étant non fondé. Enfin,
aux points 107 et 108 de cet arrêt, le Tribunal a estimé que, en l’espèce, l’article 5 de ladite décision avait été à l’origine du litige et, partant, a condamné également la Commission aux dépens de HB, quand bien même celle-ci a succombé en ses conclusions.
L’affaire T‑796/19
23 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 19 novembre 2019, HB a introduit un recours au titre de l’article 263 et de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, tendant à :
– annuler la décision de recouvrement TACIS ;
– ordonner le remboursement de tous les montants éventuellement recouvrés par la Commission sur la base de la décision de recouvrement TACIS, augmentés des intérêts de retard calculés sur la base du taux appliqué par la BCE majoré de 7 points ;
– condamner la Commission au paiement d’un euro symbolique à titre de dommages-intérêts, « sous réserve de parfaire », et
– condamner la Commission aux entiers dépens.
24 La Commission a demandé au Tribunal :
– de rejeter le recours en annulation de la décision de recouvrement TACIS comme non fondée ;
– de rejeter comme irrecevable ou comme non fondée l’ensemble de la demande indemnitaire, et
– de condamner HB aux dépens.
25 Par le second arrêt attaqué, le Tribunal a soulevé d’office l’irrecevabilité du recours, en ce qu’il tendait à l’annulation de la décision de recouvrement TACIS. Après avoir examiné, aux points 62 à 85 de cet arrêt, le contenu de cette décision, il a jugé, au point 86 dudit arrêt, que celle-ci était uniquement susceptible de produire des effets dans le cadre du contrat TACIS et ne pouvait pas être détachée de ce contrat. Le Tribunal en a déduit, au point 87 du même arrêt, que la décision de
recouvrement TACIS n’était pas, compte tenu de sa nature, un acte pouvant faire l’objet d’un recours en annulation sur le fondement de l’article 263 TFUE. En conséquence, il a rejeté comme étant irrecevable le chef de conclusions tendant à l’annulation de cette décision. Par ailleurs, dans la mesure où ledit recours tendait à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, le Tribunal l’a rejeté, aux points 93 à 99 du second arrêt attaqué, comme étant non fondé. Enfin, aux
points 103 et 104 de cet arrêt, le Tribunal a estimé que, en l’espèce, l’article 5 de ladite décision avait été à l’origine du litige et, partant, a condamné également la Commission aux dépens de HB, quand bien même celle-ci a succombé en ses conclusions.
Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour
26 Dans son pourvoi dans l’affaire C‑160/22 P, la Commission demande à la Cour :
– d’annuler le premier arrêt attaqué, en ce qu’il a rejeté comme étant irrecevable le recours en annulation formé par HB contre la décision de recouvrement CARDS et a condamné la Commission aux dépens, y compris à ceux afférents à la procédure de référé ;
– de renvoyer l’affaire au Tribunal pour qu’il statue sur le fond quant au recours en annulation, ainsi que sur les dépens, et
– de condamner HB aux dépens.
27 Dans son pourvoi dans l’affaire C‑161/22 P, la Commission demande à la Cour :
– d’annuler le second arrêt attaqué, en ce qu’il a rejeté comme étant irrecevable le recours en annulation formé par HB contre la décision de recouvrement TACIS et a condamné la Commission aux dépens, y compris à ceux afférents à la procédure de référé ;
– de renvoyer l’affaire au Tribunal pour qu’il statue sur le fond quant au recours en annulation, ainsi que sur les dépens, et
– de condamner HB aux dépens.
28 Dans son mémoire en réponse relatif aux deux pourvois, HB demande à la Cour :
– de rejeter les deux pourvois et
– de condamner la Commission à supporter l’ensemble des dépens.
29 Par décision du président de la Cour du 11 mai 2022, les affaires C‑160/22 P et C‑161/22 P ont été jointes aux fins des phases écrite et orale de la procédure ainsi que de l’arrêt.
Sur les pourvois
30 Au soutien des pourvois introduits dans les affaires C‑160/22 P et C‑161/22 P, la Commission invoque trois moyens qui sont, selon elle, « intimement liés », dès lors que les articles que comportent les décisions litigieuses constituent une unité indissociable, qui serait dépourvue de sens juridique en l’absence de l’un quelconque de ces articles.
Sur la recevabilité
Argumentation des parties
31 HB soutient que, dans la mesure où les recours formés contre les décisions litigieuses ont été rejetés par le Tribunal comme étant irrecevables, les pourvois introduits par la Commission sont eux‑mêmes irrecevables, cette institution n’ayant pas, même partiellement, succombé en ses conclusions en première instance, ainsi que l’exige l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.
32 La Commission rétorque que, dans la mesure où le Tribunal a rejeté les recours en annulation dirigés contre les décisions litigieuses comme étant irrecevables, elle a succombé en sa conclusion tendant à déclarer ces recours comme étant non fondés, laquelle présupposait la compétence du Tribunal et, partant, la recevabilité desdits recours.
Appréciation de la Cour
33 Aux termes de l’article 56, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, un pourvoi peut être formé par toute partie ayant partiellement ou totalement succombé en ses conclusions.
34 En l’espèce, ainsi qu’il est rappelé aux points 21 et 24 du présent arrêt, la Commission a conclu, en première instance, au rejet des recours en annulation dirigés contre les décisions litigieuses comme étant non fondés.
35 Or, en rejetant ces recours comme étant irrecevables, le Tribunal a écarté la prémisse tirée de la compétence de cette juridiction pour connaître desdits recours, sur laquelle reposait le raisonnement de la Commission. Il convient, par conséquent, de considérer que la Commission a succombé en ses conclusions en première instance.
36 Il s’ensuit que les pourvois dans les affaires C‑160/22 P et C‑161/22 P sont recevables.
Sur le fond
Argumentation des parties
37 Par les trois moyens des pourvois dans les affaires C‑160/22 P et C‑161/22 P, visant respectivement les points 67 à 90 du premier arrêt attaqué et les points 62 à 87 du second arrêt attaqué, qu’il convient, en raison de leur connexité, d’examiner ensemble, la Commission reproche au Tribunal d’avoir erronément « contractualisé » les prérogatives de puissance publique qui lui sont conférées notamment par l’article 103 du règlement financier de 2002 et par lesquelles elle peut constater des
irrégularités entachant un marché public et, par suite, réduire le prix de ce marché et recouvrer les montants indûment payés.
38 La Commission soutient, en premier lieu, que le Tribunal « bouleverse le système juridique de l’Union », en considérant, aux points 75 et 76 du premier arrêt attaqué et aux points 70 et 71 du second arrêt attaqué, que les contrats litigieux « absorberaient » les mesures de puissance publique adoptées sur le fondement des dispositions combinées de cet article 103 et de l’article 4 du règlement no 2988/95, visés aux articles 1er à 3 des décisions litigieuses, avec pour conséquence de soumettre ces
mesures au contrôle du juge du contrat. En ne prenant pas en considération la nature juridique de ces décisions et en s’appuyant sur le seul fait qu’un contrat avait été signé avant l’adoption desdites décisions, le Tribunal aurait méconnu l’arrêt du 16 juillet 2020, ADR Center/Commission (C‑584/17 P, EU:C:2020:576, points 69 à 72).
39 En considérant, aux points 76 et 77 du premier arrêt attaqué ainsi qu’aux points 71 et 72 du second arrêt attaqué, que les décisions litigieuses avaient une nature « contractuelle », alors qu’elles étaient l’expression de prérogatives de puissance publique, le Tribunal aurait également agi en violation de « l’esprit et de la lettre » du règlement no 2988/95 ainsi que des règlements financiers de 2002 et de 2018 et aurait modifié la nature même des pouvoirs conférés à la Commission par le
législateur de l’Union.
40 En outre, en jugeant, au point 77 du premier arrêt attaqué et au point 72 du second arrêt attaqué, que la Commission devrait faire valoir ces prérogatives devant le juge du contrat, le Tribunal dénaturerait celles-ci. En effet, une administration qui doit s’adresser au juge du contrat et attendre le jugement de celui-ci pour suspendre une relation contractuelle à l’égard de laquelle elle a des soupçons de fraude ne serait pas efficace dans la lutte contre la fraude et les irrégularités. Cela
contreviendrait également à l’article 325, paragraphe 1, TFUE.
41 En second lieu, selon la Commission, aux points 78 et 86 du premier arrêt attaqué ainsi qu’aux points 73 et 83 du second arrêt attaqué, le Tribunal a commis des erreurs de droit en qualifiant de mesures ou d’actes « contractuels » les articles 1er à 3 des décisions litigieuses. Le Tribunal aurait ainsi méconnu la compétence propre de la Commission pour déterminer unilatéralement ce qui constitue une irrégularité, même lorsque celle-ci a été commise pendant la phase administrative précédant la
conclusion du contrat. Par ailleurs, les mesures que, à cette occasion ou ultérieurement, la Commission pourrait adopter, en vertu, notamment, de l’article 103 du règlement financier de 2002 ou de l’article 131 du règlement financier de 2018, ne viseraient pas à réparer un dommage contractuel. De plus, le recouvrement des sommes versées en fonction de la gravité de l’irrégularité, tel que prévu à cet article 131, serait une mesure étrangère au cadre contractuel. En outre, la réduction du montant
du marché à zéro euro et le recouvrement intégral du montant versé ne sauraient être considérés comme des conséquences directes du constat d’irrégularités commises par HB, en sa qualité de cocontractante, qui ont affecté l’attribution des marchés TACIS et CARDS et, partant, la conclusion des contrats litigieux.
42 De surcroît, la Commission reproche au Tribunal d’avoir jugé, au point 73 du premier arrêt attaqué et au point 68 du second arrêt attaqué, qu’elle « entendait, en substance, établir le constat d’un vice affectant la conclusion [du] contrat », alors qu’il ressortirait du contenu des décisions litigieuses qu’elle entendait adopter des mesures relevant de l’exercice de ses prérogatives de puissance publique afin de protéger les intérêts financiers de l’Union.
43 Selon la Commission, dans la mesure où, au moment où les irrégularités ont été commises, HB avait, tout au plus, la qualité de soumissionnaire, le Tribunal aurait commis également une erreur de droit, au point 79 du premier arrêt attaqué et au point 74 du second arrêt attaqué, en se référant aux irrégularités substantielles commises par HB « en sa qualité de cocontractante ».
44 Enfin, aux points 80 et 81 du premier arrêt attaqué ainsi qu’aux points 77 et 78 du second arrêt attaqué, le Tribunal aurait jugé à tort que les mesures de recouvrement pourraient être adoptées par la Commission en tant que mesures d’exécution des contrats litigieux et que les mesures visées aux articles 2 et 3 des décisions litigieuses consistent en une « constatation de la résiliation du contrat avec, en conséquence, l’annulation du contrat ». Le Tribunal aurait ainsi confondu les notions de
résiliation et d’annulation ex tunc des contrats ainsi que leurs effets. En tout état de cause, le règlement no 2988/95 n’établirait, à son article 4, ni la nullité ni la résiliation du contrat comme condition d’application des mesures administratives de recouvrement. L’article 131, paragraphe 4, du règlement financier de 2018 ne subordonnerait pas non plus l’adoption d’une mesure de réduction de prix à une résiliation ou à une autre mesure de nature contractuelle.
45 HB rétorque que la Commission confère aux arrêts attaqués une portée qu’ils n’ont pas. En effet, le raisonnement suivi par le Tribunal au point 72 du premier arrêt attaqué et au point 67 du second arrêt attaqué, selon lequel les pouvoirs que la Commission tire du règlement financier de 2002 ou d’autres règles de droit dérivé s’inscrivent, à compter de la signature du contrat, dans le cadre de relations contractuelles, n’aurait rien de novateur ni ne bouleverserait le système juridique de l’Union.
Il découlerait de l’arrêt du 16 juillet 2020, ADR Center/Commission (C‑584/17 P, EU:C:2020:576, point 67), d’une part, que, si les règlements financiers et le règlement no 2988/95 confèrent à la Commission le pouvoir de contraindre un contractant à s’acquitter de ses obligations de nature financière, l’existence d’un contrat s’opposerait à ce que la Commission exerce les compétences que ces règlements lui confèrent de façon unilatérale. D’autre part, il découlerait du point 73 de cet arrêt que,
si l’adoption d’une décision formant titre exécutoire relève de l’exercice, par la Commission, de ses prérogatives de puissance publique, cette institution excède sa compétence en adoptant une telle décision en présence de relations contractuelles et lorsque le juge de l’Union n’est pas le juge du contrat.
46 En outre, il ressortirait de l’arrêt du 9 septembre 2015, Lito Maieftiko Gynaikologiko kai Cheirourgiko Kentro/Commission (C‑506/13 P, EU:C:2015:562, point 21), que, dans l’hypothèse où la Commission choisit, pour allouer des contributions financières, la voie contractuelle en vertu de l’article 272 TFUE, elle est tenue de rester dans les limites de cette voie. Ainsi, selon HB, le fait que la Commission ait voulu exercer ses compétences propres ne signifie pas qu’elle soit autorisée à le faire ou
que, le faisant, elle exerce ces compétences en dehors de la sphère contractuelle.
47 Enfin, HB fait valoir que c’est à bon droit que le Tribunal l’a qualifiée de partie contractante et a considéré, pour les motifs exposés aux points 67 à 78 du premier arrêt attaqué et aux points 62 à 73 du second arrêt attaqué, que les irrégularités doivent être appréciées dans le cadre de la relation contractuelle, les décisions litigieuses ayant été adoptées après la conclusion des contrats litigieux. Il en irait de même de la qualification de la réduction à zéro euro du montant des marchés
d’annulation rétroactive du contrat et de la constatation que la résiliation a pour effet l’annulation ex tunc des effets obligatoires du contrat. Il résulterait de l’article 103 du règlement financier de 2002 que la résiliation du contrat conclu est envisagée avec ou sans recouvrement des montants déjà versés. En l’espèce, la Commission aurait décidé de recouvrer l’entièreté des montants déjà versés, ce qui équivaudrait à une résiliation du contrat.
Appréciation de la Cour
48 Il importe de rappeler que le recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE est ouvert de manière générale contre tous les actes pris par les institutions de l’Union, quelle qu’en soit la nature ou la forme, qui visent à produire des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts du requérant, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celui-ci. Le juge de l’Union n’est toutefois pas compétent pour connaître d’un tel recours lorsque la situation
juridique du requérant s’inscrit exclusivement dans le cadre de relations contractuelles qui sont régies par la réglementation nationale désignée par les parties contractantes (arrêts du 9 septembre 2015, Lito Maieftiko Gynaikologiko kai Cheirourgiko Kentro/Commission, C‑506/13 P, EU:C:2015:562, points 16 et 18 ; du 16 juillet 2020, Inclusion Alliance for Europe/Commission, C‑378/16 P, EU:C:2020:575, points 71 et 72, ainsi que du 16 juillet 2020, ADR Center/Commission, C‑584/17 P, EU:C:2020:576,
points 62 et 63).
49 En effet, d’une part, l’article 274 TFUE précise que les litiges auxquels l’Union est partie ne sont pas, de ce chef, soustraits à la compétence des juridictions nationales. D’autre part, il ressort de l’article 272 TFUE que la Cour n’est compétente pour statuer sur les litiges découlant d’un contrat de droit public ou d’un contrat de droit privé passé par l’Union, ou pour son compte, que si ce contrat contient une clause compromissoire en ce sens.
50 Il s’ensuit que, si, en l’absence d’une clause compromissoire, le juge de l’Union se reconnaissait compétent pour connaître du contentieux de l’annulation d’actes s’inscrivant exclusivement dans un cadre contractuel, il risquerait non seulement de priver de tout effet utile l’article 272 TFUE, mais aussi d’étendre sa compétence juridictionnelle au-delà des limites fixées par l’article 274 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 9 septembre 2015, Lito Maieftiko Gynaikologiko kai Cheirourgiko
Kentro/Commission, C‑506/13 P, EU:C:2015:562, point 19 ; du 16 juillet 2020, Inclusion Alliance for Europe/Commission, C‑378/16 P, EU:C:2020:575, point 73 et jurisprudence citée, ainsi que du 16 juillet 2020, ADR Center/Commission, C‑584/17 P, EU:C:2020:576, points 63 et 64).
51 Partant, en présence d’un contrat liant le requérant à l’une des institutions de l’Union, les juridictions de l’Union ne peuvent être saisies d’un recours sur le fondement de l’article 263 TFUE que si l’acte attaqué vise à produire des effets juridiques contraignants qui se situent en dehors de la relation contractuelle liant les parties et qui impliquent l’exercice de prérogatives de puissance publique conférées à l’institution contractante en sa qualité d’autorité administrative (arrêts du
9 septembre 2015, Lito Maieftiko Gynaikologiko kai Cheirourgiko Kentro/Commission, C‑506/13 P, EU:C:2015:562, point 20, ainsi que du 16 juillet 2020, Inclusion Alliance for Europe/Commission, C‑378/16 P, EU:C:2020:575, point 74 et jurisprudence citée).
52 Dans l’hypothèse où une institution choisit, pour allouer des contributions financières, la voie contractuelle dans le cadre de l’article 272 TFUE, elle est tenue de rester dans ce cadre. Ainsi, il lui incombe, notamment, d’éviter l’utilisation, dans ses relations avec ses cocontractants, de formulations ambiguës susceptibles d’être perçues par les cocontractants comme relevant de pouvoirs décisionnels unilatéraux dépassant les stipulations contractuelles (arrêt du 9 septembre 2015, Lito
Maieftiko Gynaikologiko kai Cheirourgiko Kentro/Commission, C‑506/13 P, EU:C:2015:562, point 21).
53 En l’espèce, le Tribunal a constaté, aux points 71 et 72 du premier arrêt attaqué et aux points 66 et 67 du second arrêt attaqué, que, sans préjudice de la nature administrative des procédures d’appel d’offres, les prérogatives conférées au pouvoir adjudicateur par des dispositions du droit dérivé s’inscrivent, à compter de la signature du contrat, dans le cadre de relations contractuelles.
54 Aux points 75 et 76 du premier arrêt attaqué ainsi qu’aux points 70 et 71 du second arrêt attaqué, le Tribunal, en se fondant sur la jurisprudence citée au point 51 du présent arrêt, a écarté l’argument de la Commission selon lequel les décisions litigieuses, du seul fait qu’elles portent les visas, notamment, de l’article 103 du règlement financier de 2002, de l’article 131 du règlement financier de 2018 et de l’article 4 du règlement no 2988/95, relèveraient, en tout ou en partie, de la sphère
administrative. Selon le Tribunal, à supposer même que ces dispositions autorisent la Commission, sous certaines conditions, à adopter des mesures relevant de l’exercice de prérogatives de puissance publique, cela ne suffirait pas à exclure d’emblée ces mesures du cadre contractuel, dès lors que c’est en conséquence des manquements imputés à une partie engagée dans une relation contractuelle avec l’Union que lesdites dispositions ont été mises en œuvre.
55 Dans ces conditions, après avoir relevé, au point 80 du premier arrêt attaqué et au point 75 du second arrêt attaqué, que les décisions litigieuses ont été adoptées à un moment où les parties étaient engagées l’une envers l’autre au titre des contrats litigieux et que ces parties avaient déjà exécuté une partie substantielle, voire la totalité, de leurs obligations respectives, le Tribunal a jugé, aux points 89 et 90 du premier arrêt attaqué ainsi qu’aux points 86 et 87 du second arrêt attaqué,
que ces décisions étaient uniquement susceptibles de produire des effets relevant de ces contrats, qu’elles ne pouvaient en être détachées et, partant, qu’elles n’appartenaient pas à la catégorie des actes dont l’annulation peut être demandée au juge de l’Union au titre de l’article 263 TFUE.
56 Ainsi que la Commission le soutient à bon droit, en statuant ainsi, le Tribunal a méconnu la jurisprudence de la Cour rappelée aux points 48 à 52 du présent arrêt.
57 En effet, ainsi qu’il résulte tout particulièrement de la jurisprudence citée aux points 48 et 51 du présent arrêt, le recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE n’est pas ouvert au requérant dont la situation juridique s’inscrit exclusivement dans le cadre de relations contractuelles qui sont régies par la réglementation nationale désignée par les parties contractantes. Partant, en présence d’un contrat liant le requérant à l’une des institutions de l’Union, les juridictions de l’Union
ne peuvent être saisies d’un tel recours qu’à la double condition que l’acte attaqué vise à produire des effets juridiques contraignants qui, d’une part, se situent en dehors de la relation contractuelle liant les parties et, d’autre part, impliquent l’exercice de prérogatives de puissance publique conférées à l’institution contractante en sa qualité d’autorité administrative.
58 En l’espèce, il y a lieu de constater que les décisions litigieuses impliquent l’exercice de prérogatives de puissance publique et qu’elles ne s’inscrivent pas exclusivement dans le cadre de relations contractuelles.
59 En effet, premièrement, par ces décisions, qui ont été adoptées sur le fondement notamment de l’article 103 du règlement financier de 2002, de l’article 131 du règlement financier de 2018 et de l’article 4 du règlement no 2988/95, la Commission entendait remédier à des irrégularités, au sens de l’article 1er, paragraphe 2, de ce dernier règlement, qui ont affecté le déroulement des procédures de passation des marchés TACIS et CARDS et qui ont donc été commises antérieurement à la conclusion des
contrats litigieux.
60 Deuxièmement, lesdites décisions visaient non pas à sanctionner une mauvaise exécution des contrats litigieux, mais à tirer les conséquences du non-respect par HB du principe d’égalité de traitement lors des procédures de passation des marchés TACIS et CARDS, procédures dont le Tribunal a souligné, à juste titre, la nature administrative, respectivement au point 71 du premier arrêt attaqué et au point 66 du second arrêt attaqué.
61 Troisièmement, il résulte du libellé des décisions litigieuses que la Commission entendait récupérer auprès de HB des sommes dont elle estimait qu’elles lui avaient été indûment versées. En justifiant le remboursement de ces sommes non par la gravité du dommage subi, mais par celle de l’irrégularité commise par HB lors de la procédure de passation des marchés TACIS et CARDS, la Commission entendait, conformément à l’article 2 du règlement no 2988/95, imposer à cette dernière une mesure
administrative revêtant un caractère effectif, proportionné et dissuasif afin d’assurer une protection juridique adéquate des intérêts financiers de l’Union.
62 Dans cette perspective, la Commission a d’ailleurs précisé, dans ses pourvois, que les sommes indûment versées à HB avaient vocation à être réutilisées pour l’action ou le programme initialement prévu, dans la mesure où elles constituent des recettes affectées, au sens de l’article 21, paragraphe 3, sous b), du règlement financier de 2018, et où elles sont, à ce titre, restituées à la ligne budgétaire d’origine pour pouvoir être réutilisées.
63 Quatrièmement, contrairement à ce qu’a jugé le Tribunal au point 80 du premier arrêt attaqué et au point 75 du second arrêt attaqué, la temporalité des mesures adoptées par la Commission, c’est-à-dire la circonstance que celles‑ci interviennent avant ou après l’attribution d’un marché et, par voie de conséquence, avant ou après la conclusion des contrats en cause, ne saurait constituer le facteur déterminant à prendre en considération en vue d’établir la nature, contractuelle ou non, d’un litige.
64 Au contraire, est déterminante la circonstance que les décisions litigieuses sanctionnent une irrégularité commise avant la conclusion des contrats litigieux et qu’elles ne se rapportent pas à l’exécution de ces contrats. Dans ce contexte, il est indifférent que les parties contractantes aient déjà exécuté une partie substantielle, voire la totalité, de leurs obligations respectives ou encore que lesdites décisions aient des répercussions sur l’exécution des contrats litigieux. En particulier, la
circonstance qu’une partie substantielle du contrat ait déjà été exécutée peut, certes, avoir une incidence sur l’appréciation au fond du caractère proportionné de la décision ordonnant la récupération de l’intégralité des sommes dont la Commission estime qu’elles ont été indûment allouées à son cocontractant. En revanche, cette circonstance n’influe aucunement l’appréciation de la nature, administrative ou contractuelle, de cette décision.
65 En réalité, la double condition, rappelée au point 57 du présent arrêt, et, par conséquent, la compétence pour connaître d’un litige opposant la Commission à son cocontractant, doit être examinée au travers de la finalité poursuivie par la Commission. Si cette dernière cherche à obtenir l’exécution du contrat, le recours doit être porté devant le juge du contrat. En revanche, si la Commission entend assurer la protection des intérêts financiers de l’Union et si elle exerce pour cela des
prérogatives que lui confèrent tant le règlement no 2988/95 que le règlement financier applicable ratione temporis, le litige doit être porté devant le juge de l’Union.
66 Dans ces conditions, les décisions litigieuses doivent être qualifiées d’« acte attaquable », au sens de l’article 263 TFUE, de sorte qu’un recours tendant à obtenir leur annulation doit être porté devant le juge de l’Union.
67 Il convient, par conséquent, de constater que le Tribunal a commis une erreur de droit en considérant, dans les arrêts attaqués, que les décisions litigieuses s’inscrivaient dans le cadre de relations contractuelles.
68 Eu égard à l’ensemble des motifs qui précèdent, il y a lieu d’accueillir les pourvois et d’annuler les arrêts attaqués.
Sur les recours devant le Tribunal
69 Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour annule la décision du Tribunal. Elle peut alors soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui‑ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire au Tribunal pour qu’il statue.
70 Considérant que les litiges ne sont pas en état d’être jugés, il y a lieu de renvoyer les affaires au Tribunal.
Sur les dépens
71 Les affaires étant renvoyées devant le Tribunal, il convient de réserver les dépens afférents à la procédure de pourvoi.
Par ces motifs, la Cour (troisième chambre) déclare et arrête :
1) L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 21 décembre 2021, HB/Commission (T‑795/19, EU:T:2021:917), et l’arrêt du 21 décembre 2021, HB/Commission (T‑796/19, EU:T:2021:918), sont annulés.
2) Les affaires sont renvoyées au Tribunal de l’Union européenne.
3) Les dépens sont réservés.
Jürimäe
Lenaerts
Piçarra
Jääskinen
Gavalec
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 26 septembre 2024.
Le greffier
A. Calot Escobar
La présidente de chambre
K. Jürimäe
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( *1 ) Langue de procédure : le français.