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12/09/2024 | CJUE | N°C-548/22

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, M.M. contre Presidenza del Consiglio dei ministri e.a., 12/09/2024, C-548/22


 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

12 septembre 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée – Clause 4 et 5 – Principe de non-discrimination – Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail – Magistrats honoraires et magistrats ordinaires – Mesures visant à sanctionner le recours abusif aux contrats à durée déterminée – Travail à durée déterminée – Procédure de stabilisation des fonctions – Renonciation ex lege à toute prétention pour la période se s

ituant avant la stabilisation des
fonctions – Réparation des dommages découlant de l’absence de mise en œuvre appr...

 ARRÊT DE LA COUR (première chambre)

12 septembre 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée – Clause 4 et 5 – Principe de non-discrimination – Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail – Magistrats honoraires et magistrats ordinaires – Mesures visant à sanctionner le recours abusif aux contrats à durée déterminée – Travail à durée déterminée – Procédure de stabilisation des fonctions – Renonciation ex lege à toute prétention pour la période se situant avant la stabilisation des
fonctions – Réparation des dommages découlant de l’absence de mise en œuvre appropriée du droit de l’Union »

Dans l’affaire C‑548/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Giudice di pace di Fondi (juge de paix de Fondi, Italie), par décision du 18 août 2022, parvenue à la Cour le 18 août 2022, dans la procédure

M.M.

contre

Presidenza del Consiglio dei ministri,

Ministero della Giustizia,

Ministero dell’Economia e delle Finanze,

LA COUR (première chambre),

composée de M. A. Arabadjiev (rapporteur), président de chambre, MM. T. von Danwitz, P. G. Xuereb, A. Kumin et Mme I. Ziemele, juges,

avocat général : Mme J. Kokott,

greffier : M. C. Di Bella, administrateur,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 1er février 2024,

considérant les observations présentées :

– pour M.M., par Mes G. Falso et E. Iorio, avvocati,

– pour le gouvernement italien, par Mme G. Palmieri, en qualité d’agent, assistée de Mme L. Fiandaca et M. F. Sclafani, avvocati dello Stato,

– pour la Commission européenne, par M. B.-R. Killmann et Mme D. Recchia, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 29 février 2024,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 288 TFUE, des articles 17, 31, 34 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), de l’article 7 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil, du 4 novembre 2003, concernant certains aspects de l’aménagement du temps de travail (JO 2003, L. 299, p. 9), de la clause 4 de l’accord-cadre sur le travail à temps partiel, conclu le 6 juin 1997 (ci-après
l’« accord-cadre sur le travail à temps partiel »), qui figure à l’annexe de la directive 97/81/CE du Conseil, du 15 décembre 1997, concernant l’accord-cadre sur le travail à temps partiel conclu par l’UNICE, le CEEP et la CES (JO 1998, L 14, p. 9), ainsi que de la clause 4 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu le 18 mars 1999 (ci-après l’« accord-cadre sur le travail à durée déterminée »), qui figure à l’annexe de la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999,
concernant l’accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée (JO 1999, L 175, p. 43).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant M.M., procureur honoraire adjoint, à la Presidenza del Consiglio dei ministri (présidence du Conseil des ministres, Italie) au Ministero della Giustizia (ministère de la Justice, Italie) et au Ministero dell’Economia e delle Finanze (ministère de l’Économie et des Finances, Italie) au sujet de la demande de M.M. visant à obtenir le versement de sommes qui lui seraient prétendument dues au titre de l’exercice de ses fonctions de
magistrat honoraire.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

L’accord-cadre sur le travail à temps partiel

3 La clause 4 de l’accord-cadre sur le travail à temps partiel, intitulée « Principe de non-discrimination », dispose, à son point 1 :

« Pour ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à temps partiel ne sont pas traités d’une manière moins favorable que les travailleurs à temps plein comparables au seul motif qu’ils travaillent à temps partiel, à moins qu’un traitement différent soit justifié par des raisons objectives. »

L’accord-cadre sur le travail à durée déterminée

4 La clause 2 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, intitulée « Champ d’application », prévoit, à son point 1 :

« Le présent accord s’applique aux travailleurs à durée déterminée ayant un contrat ou une relation de travail défini par la législation, les conventions collectives ou les pratiques en vigueur dans chaque État membre. »

5 La clause 4 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, intitulée « Principe de non-discrimination », énonce, à son point 1 :

« Pour ce qui concerne les conditions d’emploi, les travailleurs à durée déterminée ne sont pas traités d’une manière moins favorable que les travailleurs à durée indéterminée comparables au seul motif qu’ils travaillent à durée déterminée, à moins qu’un traitement différent soit justifié par des raisons objectives. »

6 La clause 5 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, intitulée « Mesures visant à prévenir l’utilisation abusive », se lit comme suit :

« 1. Afin de prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs, les États membres, après consultation des partenaires sociaux, conformément à la législation, aux conventions collectives et pratiques nationales, et/ou les partenaires sociaux, quand il n’existe pas des mesures légales équivalentes visant à prévenir les abus, introduisent d’une manière qui tienne compte des besoins de secteurs spécifiques et/ou de catégories de
travailleurs, l’une ou plusieurs des mesures suivantes :

a) des raisons objectives justifiant le renouvellement de tels contrats ou relations de travail ;

b) la durée maximale totale de contrats ou relations de travail à durée déterminée successifs ;

c) le nombre de renouvellements de tels contrats ou relations de travail.

2. Les États membres, après consultation des partenaires sociaux et/ou les partenaires sociaux, lorsque c’est approprié, déterminent sous quelles conditions les contrats ou relations de travail à durée déterminée :

a) sont considérés comme “successifs” ;

b) sont réputés conclus pour une durée indéterminée. »

La directive 2003/88

7 L’article 7 de la directive 2003/88, intitulé « Congé annuel », dispose, à son paragraphe 1 :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour que tout travailleur bénéficie d’un congé annuel payé d’au moins quatre semaines, conformément aux conditions d’obtention et d’octroi prévues par les législations et/ou pratiques nationales. »

Le droit italien

8 L’article 29, paragraphes 1 à 3 et 5, du decreto legislativo n. 116 – Riforma organica della magistratura onoraria e altre disposizioni sui giudici di pace, nonché disciplina transitoria relativa ai magistrati onorari in servizio, a norma della legge 28 aprile 2016, n. 57 (décret législatif no 116, portant réforme organique de la magistrature honoraire et d’autres dispositions relatives aux juges de paix, ainsi que régime transitoire applicable aux magistrats honoraires en service, en exécution de
la loi no 57, du 28 avril 2016), du 13 juillet 2017 (GURI no 177, du 31 juillet 2017, p. 1, ci-après le « décret législatif no 116 »), tel que remplacé par l’article 1er, paragraphe 629, de la legge n. 234 – Bilancio di previsione dello Stato per l’anno finanziario 2022 e bilancio pluriennale per il triennio 2022-2024 (loi no 234, portant bilan prévisionnel de l’État pour l’année budgétaire 2022 et bilan pluriannuel 2022-2024), du 30 décembre 2021 (GURI no 310, du 31 décembre 2021, p. 1) (ci-après
« l’article 29 du décret législatif no 116 »), dispose :

« 1.   Les magistrats honoraires en fonction à la date de l’entrée en vigueur du présent décret peuvent être confirmés sur demande jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge de 70 ans.

2.   Les magistrats honoraires en fonction à la date de l’entrée en vigueur du présent décret qui n’obtiennent pas leur confirmation, tant parce qu’ils n’ont pas présenté la demande que parce qu’ils n’ont pas passé avec succès la procédure d’évaluation prévue au paragraphe 3, ont droit, sans préjudice de la faculté de refuser, à une indemnité égale, respectivement, à 2500 euros bruts de déductions fiscales, pour chaque année de service au cours de laquelle le magistrat a participé à des audiences
pendant au moins 80 jours, et à 1500 euros bruts de déductions fiscales, pour chaque année de service au cours de laquelle le magistrat a participé à des audiences pendant moins de 80 jours, et en tout cas dans la limite globale par personne de 50000 euros, bruts de déductions fiscales. Pour le calcul de l’indemnité prévue à la phrase précédente, les périodes de service supérieures à six mois sont assimilées à une année. Le fait de recevoir l’indemnité entraîne la renonciation à toute autre
prétention de quelque nature que ce soit découlant de la cessation des fonctions de magistrat honoraire.

3.   Aux fins de la confirmation visée au paragraphe 1, le Conseil supérieur de la magistrature procède par décision à l’organisation de trois procédures d’évaluation distinctes qui se tiendront annuellement au cours de la période triennale 2022‑2024. Elles concernent les magistrats honoraires en fonction qui, respectivement, à la date de l’entrée en vigueur du présent décret, ont accompli :

a) plus de 16 ans de service ;

b) entre 12 et 16 ans de service ;

c) moins de 12 ans de service.

[...]

5.   La demande de participation aux procédures d’évaluation visées au paragraphe 3 implique la renonciation à toute autre prétention, de quelque nature que ce soit, découlant des fonctions de magistrat honoraire exercées antérieurement, sans préjudice du droit à l’indemnité visée au paragraphe 2 en cas de non-confirmation. »

Le litige au principal et la question préjudicielle

9 M.M. est une magistrate honoraire exerçant, depuis le 4 avril 2001, la fonction de procureur honoraire adjoint. Il ressort de la décision de renvoi que la fonction de M.M. est comparable à celle d’un magistrat ordinaire exerçant l’activité de procureur, et que M.M. a le même statut juridique et bénéficie du même traitement économique que ceux dont bénéficient les juges honoraires de paix. Depuis son entrée en service, cette magistrate a été renouvelée à plusieurs reprises dans ses fonctions, en
dernier lieu par décision du Conseil supérieur de la magistrature du 29 avril 2020.

10 Depuis le 4 avril 2001, M.M. a participé, notamment, à dix audiences pénales, lesquelles font l’objet du litige au principal, en tant que représentante du ministère public, pour lesquelles elle a perçu une indemnité d’un montant de 98 euros par audience, sur lequel des déductions fiscales ont été effectuées. Il ressort de la décision de renvoi qu’aucune cotisation de sécurité sociale ou de prévoyance n’a été versée pour le compte de M.M., la privant de toute protection sociale. En revanche, la
rémunération journalière brute d’un magistrat ordinaire, exerçant ses fonctions à durée indéterminée, s’élève à 248 euros, et l’État verse, pour chaque magistrat ordinaire, des cotisations aux institutions compétentes en vue d’assurer leur protection sociale.

11 S’estimant victime d’une différence de traitement illégale quant à la rétribution de ses fonctions, M.M. a introduit un recours devant le Tribunale di Roma (tribunal de Rome, Italie) tendant à obtenir une indemnisation pour le préjudice qu’elle aurait subi en raison du défaut de transposition, dans l’ordre juridique italien, des directives 1999/70 et 2003/88et de la directive 92/85/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la
sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail (dixième directive particulière au sens de l’article 16 paragraphe 1 de la directive 89/391/CEE) (JO 1992, L 348, p. 1). Par une ordonnance du 13 janvier 2021, cette juridiction a condamné la Presidenza del Consiglio dei ministri (présidence du Conseil des ministres) à réparer le préjudice patrimonial et extrapatrimonial causé à M.M. pour défaut de transposition desdites directives, bien que, à la date de
l’introduction de la décision de renvoi, aucune indemnité au titre de cette condamnation n’ait été encore versée à cette dernière.

12 Par la suite, M.M. a saisi le Giudice di pace di Fondi (juge de paix de Fondi, Italie), qui est la juridiction de renvoi, d’un recours tendant à l’obtention, en ce qui concerne lesdites audiences, du paiement d’un montant supplémentaire de 150 euros par audience, soit un total de 1500 euros, à titre de dommages et intérêts, en raison du défaut persistant de transposition desdites directives. Au soutien de son recours, elle fait valoir que la différence de traitement existant entre son traitement
économique et celui des magistrats ordinaires constitue une discrimination prohibée par les directives 1999/70, 97/81 et 2003/88.

13 À cet égard, il ressort de la décision de renvoi que, selon M.M., bien qu’ayant exercé les fonctions de procureur honoraire de manière continue depuis le 4 avril 2001, elle a été contrainte, afin d’éviter la cessation immédiate de ces fonctions le 28 juin 2022, de présenter une demande de participation à la procédure d’évaluation prévue à l’article 29 du décret législatif no 116.

14 En vertu de cet article, un magistrat honoraire en service peut demander à participer à une procédure d’évaluation et de stabilisation lui permettant, en cas de succès à la procédure d’évaluation, de rester en service jusqu’à l’âge de 70 ans. Il lui est également possible de ne pas présenter de demande de participation à cette procédure et, en conséquence, de cesser ses fonctions. Dans ce cas, il peut prétendre, dans la limite globale de 50000 euros bruts, à une indemnité dont le montant est égal
à 1500 euros bruts par année de service au cours de laquelle il a participé à des audiences pendant moins de 80 jours ou à une indemnité dont le montant est égal à 2500 euros bruts pour chaque année de service au cours de laquelle il a participé à des audiences pendant au moins 80 jours. Cette indemnité serait octroyée également aux magistrats honoraires qui, tout en ayant demandé de participer à ladite procédure, ne l’ont pas passée avec succès.

15 Or, la demande de participer à la procédure de stabilisation ou la perception de ladite indemnité entraînerait pour un magistrat honoraire tel que M.M. la renonciation, ex lege, à toute autre prétention de quelque nature que ce soit découlant de l’exercice des fonctions de magistrat honoraire exercées antérieurement. La seule possibilité de ne pas renoncer à une telle prétention consiste à quitter le service sans recevoir aucune indemnité.

16 Par conséquent, M.M. soutient, devant la juridiction de renvoi, que la législation italienne ne lui permet pas de prétendre aux sommes auxquelles elle aurait droit pour non-transposition des directives 1999/70, 2003/88 et 92/85, de sorte que, d’une part, cette législation serait contraire au droit de l’Union et, d’autre part, il incomberait à cette juridiction de laisser inappliquée ladite législation.

17 Ladite juridiction indique que, dans ses arrêts du 16 juillet 2020, Governo della Repubblica italiana (Statut des juges de paix italiens) (C‑658/18, EU:C:2020:572), et du 7 avril 2022, Ministero della Giustizia e.a. (Statut des juges de paix italiens) (C‑236/20, EU:C:2022:263), la Cour a jugé que les États membres doivent assurer la transposition des directives visées au point 16 du présent arrêt en ce qui concerne les juges de paix, dont la fonction est assimilée par la loi italienne à celle des
procureurs adjoints honoraires.

18 Or, en l’occurrence, si l’article 29 du décret législatif no 116 était appliqué à M.M., elle serait tenue de renoncer à toute créance de quelque nature que ce soit résultant de l’exercice des fonctions de magistrat honoraire et serait, ainsi, privée de la protection de ses droits garantie par ces directives.

19 Par ailleurs, la juridiction de renvoi indique, en substance, que, aux fins de lutter contre la précarité des magistrats honoraires, la législation italienne a prévu, par cette disposition nationale, une pérennisation incertaine de leurs fonctions, au moyen de leur participation à des procédures d’évaluation et de pérennisation ou du versement d’une indemnité dérisoire eu égard au préjudice subi en lien avec la cessation de leurs fonctions.

20 Dans ces conditions, le Giudice di pace di Fondi (juge de paix de Fondi) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« [L]’article 288 [TFUE], les articles 17, 31, 34 et 47 de la [Charte], ainsi que l’article 7 de la [directive 2003/88], la clause 4 de [l’accord-cadre sur le travail à temps partiel] et la clause 4 de [l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée] doivent[-ils] être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale, telle que celle prévue [à l’article 29 du décret législatif no 116 ], qui prévoit la renonciation automatique ex lege à toute prétention concernant la mise
en œuvre des directives [1999/70, 97/81 et 2003/88], avec la perte de toute autre protection en matière de rémunération, d’emploi et de protection sociale garantie par le droit de l’Union :

a) dans le cas de la simple présentation de la demande de participation d’un magistrat honoraire, en tant que travailleur européen à temps partiel, comparable à celle d’un magistrat professionnel en tant que travailleur européen à temps plein et à durée indéterminée, à des procédures de pérennisation qui ne mettent en œuvre que formellement la clause 5, point 1, de [l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée],

b) ou, en cas de non-réussite de ces procédures ou de non-présentation d’une demande, par l’octroi d’une indemnité dont le montant est manifestement insuffisant et disproportionné par rapport aux préjudices subis du fait de la non-transposition de ces directives ? »

La procédure devant la Cour

21 La juridiction de renvoi a demandé que le présent renvoi préjudiciel soit soumis à la procédure accélérée prévue à l’article 105 du règlement de procédure de la Cour. À l’appui de sa demande, cette juridiction relève que, en vertu de l’article 29 du décret législatif no 116, la requérante au principal est tenue de choisir entre, d’une part, la renonciation à toute prétention qu’elle pourrait revendiquer à l’encontre de l’État italien et, d’autre part, la cessation immédiate de ses fonctions
judiciaires, sans compensation pour les dommages subis du fait de la non-transposition, par la République italienne, des directives 97/81, 1999/70 et 2003/88. Ce choix serait constitutif d’une atteinte grave à l’indépendance de la magistrature, ce qui justifierait que la présente affaire soit examinée dans les plus brefs délais.

22 À cet égard, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure, à la demande de la juridiction de renvoi ou, à titre exceptionnel, d’office, le président de la Cour peut, lorsque la nature de l’affaire exige son traitement dans de brefs délais, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, décider de soumettre un renvoi préjudiciel à une procédure accélérée dérogeant aux dispositions de ce règlement.

23 En l’occurrence, le 30 septembre 2022, le président de la Cour a décidé, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, de rejeter la demande visée au point 21 du présent arrêt.

24 En effet, la décision de renvoi ne permet pas à la Cour de comprendre ni les conséquences que M.M. subirait en l’absence de procédure accélérée ni de quelle manière cette absence pourrait porter concrètement atteinte à l’indépendance de la magistrature.

25 En tout état de cause, il convient de rappeler que, en l’absence d’éléments de preuve indiquant qu’un traitement de l’affaire par la procédure accélérée permettrait d’éviter de telles conséquences, l’incertitude juridique affectant la requérante au principal n’est pas, à elle seule, susceptible de justifier le recours à cette procédure (voir, en ce sens, ordonnance du président de la Cour du 27 juin 2016, S., C‑283/16, EU:C:2016:482, point 11).

Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

26 Selon une jurisprudence constante, la procédure instituée à l’article 267 TFUE est un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales, grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution du litige qu’elles sont appelées à trancher (arrêt du 22 février 2024, Ente Cambiano società cooperativa per azioni, C‑660/22, EU:C:2024:152, point 20 et jurisprudence citée).

27 Dès lors que la décision de renvoi sert de fondement à cette procédure, la juridiction nationale est tenue d’expliciter, dans la décision de renvoi elle-même, le cadre factuel et réglementaire du litige au principal et de fournir les explications nécessaires sur les raisons du choix des dispositions du droit de l’Union dont elle demande l’interprétation ainsi que sur le lien qu’elle établit entre ces dispositions et la législation nationale applicable au litige qui lui est soumis (arrêt du
22 février 2024, Ente Cambiano società cooperativa per azioni, C‑660/22, EU:C:2024:152, point 21 et jurisprudence citée).

28 À cet égard, il importe de souligner également que les informations contenues dans les décisions de renvoi doivent permettre, d’une part, à la Cour d’apporter des réponses utiles aux questions posées par la juridiction nationale et, d’autre part, aux gouvernements des États membres ainsi qu’aux autres intéressés d’exercer le droit qui leur est conféré par l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne de présenter des observations. Il incombe à la Cour de veiller à ce que ce
droit soit sauvegardé, compte tenu du fait que, en vertu de cette disposition, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux intéressés (arrêt du 22 février 2024, Ente Cambiano società cooperativa per azioni, C‑660/22, EU:C:2024:152, point 22 et jurisprudence citée).

29 Ces exigences cumulatives concernant le contenu d’une décision de renvoi figurent de manière explicite à l’article 94 du règlement de procédure, dont la juridiction de renvoi est censée, dans le cadre de la coopération instaurée à l’article 267 TFUE, avoir connaissance et qu’elle est tenue de respecter scrupuleusement. Elles sont, en outre, rappelées aux points 13, 15 et 16 des recommandations de la Cour de justice de l’Union européenne à l’attention des juridictions nationales, relatives à
l’introduction de procédures préjudicielles (JO 2019, C 380, p. 1) (arrêt du 22 février 2024, Ente Cambiano società cooperativa per azioni, C‑660/22, EU:C:2024:152, point 23 et jurisprudence citée).

30 Il convient de relever que, par sa question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 288 TFUE, les articles 17, 31, 34 et 47 de la Charte, l’article 7 de la directive 2003/88, la clause 4 de l’accord-cadre sur le travail à temps partiel ainsi que la clause 4 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale prévoyant que les magistrats honoraires, afin de pouvoir continuer à exercer leurs
fonctions, sont tenus de participer à une procédure d’évaluation, laquelle, d’une part, en cas de résultat positif, leur permet d’obtenir la transformation de leur relation de travail à durée déterminée en une relation de travail à durée indéterminée, et ce jusqu’à l’âge de 70 ans et, d’autre part, en cas de résultat négatif, permet à ces magistrats de percevoir une indemnité, lorsque tant la réussite que la non-réussite de l’évaluation avec acceptation de l’indemnité entraînent la renonciation,
ex lege, à toute prétention qu’ils pourraient faire valoir, sur la base de ces dispositions, en ce qui concerne les fonctions de magistrat honoraire exercées antérieurement.

31 À cet égard, il y a lieu de relever, premièrement, que la juridiction de renvoi ne demande pas une interprétation autonome de l’article 288 TFUE ou des articles 17, 31, 34 et 47 de la Charte, ces dispositions étant invoquées uniquement à l’appui de la demande d’interprétation de la directive 2003/88, de l’accord-cadre sur le travail à temps partiel ainsi que de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée [voir, par analogie, arrêt du 7 avril 2022, Ministero della Giustizia e.a. (Statut des
juges de paix italiens), C‑236/20, EU:C:2022:263, point 26].

32 Deuxièmement, s’agissant de l’article 7 de la directive 2003/88, il convient de constater que cet article n’est pas pertinent pour la solution du litige au principal dès lors que, dans le cadre de ce litige, M.M. invoque non pas le respect du droit aux congés annuels payés, consacré par ladite disposition, mais, en substance, le paiement d’une rétribution égale à celle perçue par un magistrat ordinaire.

33 Troisièmement, en ce qui concerne la clause 4 de l’accord-cadre sur le travail à temps partiel, il y a lieu de relever qu’aucun élément résultant de la décision de renvoi ne permet d’établir que M.M. travaille à temps partiel, au sens de cet accord-cadre.

34 Quatrièmement, s’agissant de la clause 4 de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, il convient de constater que, par sa question, le juge de renvoi s’interroge, en substance, sur la légalité, au regard de cette clause, du mécanisme prévu à l’article 29 du décret législatif no 116, en ce que cette disposition nationale, tout en permettant la transformation de la relation de travail à durée déterminée d’un magistrat honoraire en une relation de travail à durée indéterminée, empêcherait
ce magistrat d’obtenir la même rétribution que celle dont bénéficient les magistrats ordinaires exerçant des fonctions comparables, dès lors que cette transformation impliquerait la renonciation, ex lege, à toute prétention découlant de la cessation des fonctions de magistrat honoraire exercées antérieurement.

35 Aux fins de répondre à cette question, il est nécessaire d’établir, au préalable, si ladite clause de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée impose d’octroyer la même rétribution, au titre des fonctions exercées, aux magistrats honoraires et aux magistrats ordinaires. À cet égard, en particulier, il y a lieu d’apprécier, premièrement, si un magistrat honoraire se trouvant dans la situation de M.M. peut être qualifié de « travailleur » à durée déterminée, au sens de la clause 2 de
l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, deuxièmement, si la différence de traitement alléguée porte sur une « condition d’emploi », au sens de la clause 4 de cet accord-cadre, troisièmement, si ce magistrat se trouve dans une situation comparable à celle d’un magistrat ordinaire et, quatrièmement, si et, le cas échéant, dans quelle mesure cette différence de traitement peut être justifiée sur la base d’une « raison objective », au sens de cette dernière clause (voir, en ce sens, arrêt
du 27 juin 2024, Peigli, C‑41/23, EU:C:2024:554, points 39 à 50).

36 Or, il convient de constater que, à supposer même que les trois premières conditions exposées au point précédent du présent arrêt soient remplies, la Cour ne dispose pas des éléments lui permettant de procéder à l’appréciation de l’éventuelle existence d’une « raison objective », au sens de la clause 4, paragraphe 1, de cet accord-cadre. Dans ce contexte, la Cour ne dispose pas des informations permettant de clarifier si des éventuelles différences concernant, notamment, le type et la valeur du
contentieux que ces catégories de magistrats sont appelés à traiter ou encore les modalités de recrutement desdits magistrats permettraient de justifier la légalité d’une différence de traitement telle que celle en cause. Enfin, les informations à disposition de la Cour ne permettent pas d’évaluer les différences de rémunération entre les magistrats honoraires et les magistrats ordinaires.

37 Il convient également de relever qu’il ressort de la décision de renvoi que, alors que M.M. revendique la même « rétribution journalière » que celle perçue par un magistrat ordinaire, elle invoque une différence de traitement en se référant à la rétribution qu’elle percevrait non pas pour une journée de travail mais pour la participation à des audiences ne dépassant pas la durée de cinq heures. Dans ces conditions, la Cour ne dispose pas d’informations lui permettant de savoir si les
revendications de la requérante au principal portent sur le même type de prestations que celles effectuées par les magistrats ordinaires.

38 D’ailleurs, il ressort, en substance, des points 34 et 36 des conclusions de Mme l’avocate générale que la demande de décision préjudicielle ne permet pas de savoir si, ou dans quelle mesure, la rémunération perçue par la requérante au principal, qui est moindre que celle des magistrats ordinaires, doit être considérée comme un traitement moins favorable injustifié, au sens de la clause 4, point 1, de l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée.

39 Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de considérer que la demande de décision préjudicielle ne satisfait pas aux exigences prévues à l’article 94 du règlement de procédure et qu’elle doit, partant, être déclarée irrecevable.

40 Il convient cependant de rappeler que la juridiction de renvoi conserve la faculté de soumettre une nouvelle demande de décision préjudicielle en fournissant à la Cour l’ensemble des éléments permettant à celle-ci de statuer (arrêt du 22 février 2024, Ente Cambiano società cooperativa per azioni, C‑660/22, EU:C:2024:152, point 35).

Sur les dépens

41 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (première chambre) dit pour droit :

  La demande de décision préjudicielle introduite par le Giudice di pace di Fondi (juge de paix de Fondi, Italie), par décision du 18 août 2022, est irrecevable.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’italien.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C-548/22
Date de la décision : 12/09/2024

Analyses

Renvoi préjudiciel – Accord-cadre CES, UNICE et CEEP sur le travail à durée déterminée – Clause 4 et 5 – Principe de non-discrimination – Égalité de traitement en matière d’emploi et de travail – Magistrats honoraires et magistrats ordinaires – Mesures visant à sanctionner le recours abusif aux contrats à durée déterminée – Travail à durée déterminée – Procédure de stabilisation des fonctions – Renonciation ex lege à toute prétention pour la période se situant avant la stabilisation des fonctions – Réparation des dommages découlant de l’absence de mise en œuvre appropriée du droit de l’Union.


Parties
Demandeurs : M.M.
Défendeurs : Presidenza del Consiglio dei ministri e.a.

Origine de la décision
Date de l'import : 14/09/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:730

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