ARRÊT DE LA COUR (grande chambre)
10 septembre 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) – Mesures restrictives eu égard aux actions de la Fédération de Russie déstabilisant la situation en Ukraine – Décision 2014/512/PESC – Article 2, paragraphe 2, sous a) – Compétence de la Cour – Article 24, paragraphe 1, second alinéa, dernière phrase, TUE – Article 275 TFUE – Article 215 TFUE – Article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit de propriété – Principes de sécurité juridique et de
légalité des peines – Services de courtage en rapport avec des équipements militaires – Interdiction de fournir de tels services – Absence de notification aux autorités nationales compétentes – Infraction administrative – Amende – Confiscation automatique des sommes perçues en contrepartie de l’opération interdite »
Dans l’affaire C‑351/22,
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Tribunalul Bucureşti (tribunal de grande instance de Bucarest, Roumanie), par décision du 2 novembre 2021, parvenue à la Cour le 31 mai 2022, dans la procédure
Neves 77 Solutions SRL
contre
Agenţia Naţională de Administrare Fiscală – Direcţia Generală Antifraudă Fiscală,
LA COUR (grande chambre),
composée de M. K. Lenaerts, président, M. L. Bay Larsen, vice‑président, M. A. Arabadjiev, Mmes A. Prechal, K. Jürimäe, MM. T. von Danwitz (rapporteur), Z. Csehi et Mme O. Spineanu‑Matei, présidents de chambre, MM. J.‑C. Bonichot, S. Rodin, I. Jarukaitis, A. Kumin et M. Gavalec, juges,
avocat général : Mme T. Ćapeta,
greffier : Mme K. Hötzel, administratrice,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 27 juin 2023,
considérant les observations présentées :
– pour Neves 77 Solutions SRL, par Me S. Donescu, avocată,
– pour le gouvernement roumain, par Mmes E. Gane, L. Ghiță et O.‑C. Ichim, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement néerlandais, par Mme M. K. Bulterman, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement autrichien, par Mmes J. Schmoll et E. Samoilova, en qualité d’agents, ainsi que M. M. Meisel, expert,
– pour le Conseil de l’Union européenne, par MM. M. Bishop et A. Ştefănuc, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par M. J.-F. Brakeland, Mme M. Carpus Carcea, M. L. Gussetti et Mme Y. Marinova, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 23 novembre 2023,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 2, sous a), ainsi que des articles 5 et 7 de la décision 2014/512/PESC du Conseil, du 31 juillet 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2014, L 229, p. 13), telle que modifiée par la décision 2014/659/PESC du Conseil, du 8 septembre 2014 (JO 2014, L 271, p. 54) (ci-après la « décision 2014/512 »), lus à la lumière des principes de
sécurité juridique et de légalité des peines.
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Neves 77 Solutions SRL (ci-après « Neves ») à l’Agenţia Naţională de Administrare Fiscală – Direcţia Generală Antifraudă Fiscală (agence nationale de l’administration fiscale – direction générale contre la fraude fiscale, Roumanie) (ci-après l’« ANAF ») au sujet d’un procès‑verbal d’infraction administrative imposant à cette société une amende et la confiscation des sommes perçues en contrepartie d’une opération de courtage pour
non-respect, notamment, de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision 2014/512.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
Les traités UE et FUE
3 Le titre V du traité UE est intitulé « Dispositions générales relatives à l’action extérieure de l’Union [européenne] et dispositions spécifiques concernant la politique étrangère et de sécurité commune ». Sous le chapitre 2 de ce titre, intitulé « Dispositions spécifiques concernant la politique étrangère et de sécurité commune », l’article 24, paragraphe 1, second alinéa, TUE énonce :
« La politique étrangère et de sécurité commune est soumise à des règles et procédures spécifiques. Elle est définie et mise en œuvre par le Conseil européen et le Conseil [de l’Union européenne], qui statuent à l’unanimité, sauf dans les cas où les traités en disposent autrement. L’adoption d’actes législatifs est exclue. Cette politique est exécutée par le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et par les États membres, conformément aux traités. Les
rôles spécifiques du Parlement européen et de la Commission [européenne] dans ce domaine sont définis par les traités. La Cour de justice de l’Union européenne n’est pas compétente en ce qui concerne ces dispositions, à l’exception de sa compétence pour contrôler le respect de l’article 40 [TUE] et pour contrôler la légalité de certaines décisions visées à l’article 275, second alinéa, [TFUE]. »
4 Figurant également à ce chapitre 2, l’article 40 TUE prévoit :
« La mise en œuvre de la politique étrangère et de sécurité commune n’affecte pas l’application des procédures et l’étendue respective des attributions des institutions prévues par les traités pour l’exercice des compétences de l’Union visées aux articles 3 à 6 [TFUE].
De même, la mise en œuvre des politiques visées auxdits articles n’affecte pas l’application des procédures et l’étendue respective des attributions des institutions prévues par les traités pour l’exercice des compétences de l’Union au titre du présent chapitre. »
5 La cinquième partie du traité FUE porte sur l’action extérieure de l’Union. Figurant au titre IV de cette cinquième partie, intitulé « Les mesures restrictives », l’article 215 TFUE dispose :
« 1. Lorsqu’une décision, adoptée conformément au chapitre 2 du titre V du traité [UE], prévoit l’interruption ou la réduction, en tout ou en partie, des relations économiques et financières avec un ou plusieurs pays tiers, le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, sur proposition conjointe du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et de la Commission, adopte les mesures nécessaires. Il en informe le Parlement européen.
2. Lorsqu’une décision, adoptée conformément au chapitre 2 du titre V du traité [UE], le prévoit, le Conseil peut adopter, selon la procédure visée au paragraphe 1, des mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales, de groupes ou d’entités non étatiques.
[...] »
6 La sixième partie du traité FUE contient des dispositions institutionnelles et financières. Le titre I de cette sixième partie est intitulé « Dispositions institutionnelles ». La section 5 de ce titre I, portant sur la Cour de justice de l’Union européenne, contient l’article 275 TFUE, qui est libellé comme suit :
« La Cour de justice de l’Union européenne n’est pas compétente en ce qui concerne les dispositions relatives à la politique étrangère et de sécurité commune, ni en ce qui concerne les actes adoptés sur leur base.
Toutefois, la Cour est compétente pour contrôler le respect de l’article 40 [TUE] et se prononcer sur les recours, formés dans les conditions prévues à l’article 263, quatrième alinéa, [TFUE], concernant le contrôle de la légalité des décisions prévoyant des mesures restrictives à l’encontre de personnes physiques ou morales adoptées par le Conseil sur la base du titre V, chapitre 2, du traité [UE]. »
La décision 2014/512
7 L’article 2 de la décision 2014/512 dispose :
« 1. Sont interdits la vente et la fourniture à la Russie, ainsi que le transfert et l’exportation à destination de ce pays, directement ou indirectement, par des ressortissants des États membres ou depuis le territoire des États membres, ou au moyen de navires battant leur pavillon ou d’aéronefs immatriculés dans les États membres, d’armements et de matériel connexe de tous types, y compris des armes et des munitions, des véhicules et des équipements militaires, des équipements paramilitaires
et des pièces détachées pour ces articles, qu’il proviennent ou non de leur territoire.
2. Il est interdit :
a) de fournir une assistance technique, des services de courtage ou d’autres services en rapport avec des activités militaires et la fourniture, la fabrication, l’entretien et l’utilisation d’armements et de matériel connexe de tous types, y compris des armes et des munitions, des véhicules et des équipements militaires, des équipements paramilitaires et des pièces détachées pour ces articles, directement ou indirectement, à toute personne physique ou morale, toute entité ou tout organisme en
Russie ou aux fins d’une utilisation dans ce pays ;
[...] »
8 Aux termes de l’article 5 de cette décision :
« Afin que les mesures visées dans la présente décision aient le plus grand impact possible, l’Union encourage les États tiers à adopter des mesures restrictives analogues à celles qui y sont prévues. »
9 L’article 7 de ladite décision dispose :
« 1. Il n’est fait droit à aucune demande à l’occasion de tout contrat ou de toute opération dont l’exécution a été affectée, directement ou indirectement, en tout ou en partie, par les mesures instituées en vertu de la présente décision, y compris à des demandes d’indemnisation ou à toute autre demande de ce type, telle qu’une demande de compensation ou une demande à titre de garantie, en particulier une demande visant à obtenir la prorogation ou le paiement d’une obligation, d’une garantie ou
d’une contre-garantie, notamment financière, quelle qu’en soit la forme, présentée par :
a) les entités visées à l’article 1er, paragraphe 1, point b) ou c)[,] et à l’article 1er, paragraphe 2, point c) ou d), ou figurant à l’annexe I, II, III ou IV[ ;]
b) toute autre personne, toute autre entité ou tout autre organisme russe ; ou
c) toute personne, toute entité ou tout organisme agissant par l’intermédiaire ou pour le compte d’une des personnes, entités ou organismes visés au point a) ou b) du présent paragraphe.
2. Dans toute procédure visant à donner effet à une demande, la charge de la preuve que la satisfaction de la demande n’est pas interdite par le paragraphe 1 incombe à la personne cherchant à donner effet à cette demande.
3. Le présent article s’applique sans préjudice du droit des personnes, entités et organismes visés au paragraphe 1 au contrôle juridictionnel de la légalité du non‑respect d’obligations contractuelles conformément à la présente décision. »
Le règlement (UE) no 833/2014
10 L’article 1er du règlement (UE) no 833/2014 du Conseil, du 31 juillet 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2014, L 229, p. 1), dispose :
« Aux fins du présent règlement, on entend par :
[...]
d) “services de courtage”:
i) la négociation ou l’organisation d’opérations en vue de l’achat, de la vente ou de la fourniture de biens et de technologies, ou de services financiers et techniques, y compris d’un pays tiers vers un autre pays tiers, ou
ii) la vente ou l’achat de biens et de technologies, ou de services financiers et techniques, y compris si ces biens et technologies se situent dans des pays tiers en vue de leur transfert vers un autre pays tiers ;
[...] »
11 Aux termes de l’article 4, paragraphe 1, sous a), de ce règlement :
« Il est interdit :
a) de fournir, directement ou indirectement, une assistance technique en rapport avec les biens et technologies énumérés dans la liste commune des équipements militaires [...], ou liée à la fourniture, à la fabrication, à l’entretien et à l’utilisation de biens figurant dans cette liste, à toute personne physique ou morale, à toute entité ou à tout organisme se trouvant en Russie ou aux fins d’une utilisation dans ce pays ».
Le règlement (UE) 2023/1214
12 L’article 1er, point 19, du règlement (UE) 2023/1214 du Conseil, du 23 juin 2023, modifiant le règlement (UE) no 833/2014 concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2023, L 159 I, p. 1), a remplacé le libellé de l’article 4, paragraphe 1, sous a), du règlement no 833/2014, en ajoutant les termes « et des services de courtage », comme suit :
« Il est interdit :
a) de fournir, directement ou indirectement, une assistance technique et des services de courtage en rapport avec les biens et technologies énumérés dans la liste commune des équipements militaires [...], ou liée à la fourniture, à la fabrication, à l’entretien et à l’utilisation de biens figurant dans cette liste, à toute personne physique ou morale, à toute entité ou à tout organisme se trouvant en Russie ou aux fins d’une utilisation dans ce pays ».
La position commune 2008/944/PESC
13 Aux termes de l’article 12 de la position commune 2008/944/PESC du Conseil, du 8 décembre 2008, définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d’équipements militaires (JO 2008, L 335, p. 99) :
« Les États membres font en sorte que leur législation nationale leur permette de contrôler l’exportation de la technologie et des équipements figurant sur la liste commune des équipements militaires de l’Union européenne. Cette liste sert de référence pour les listes nationales de technologie et d’équipements militaires des États membres, mais elle ne les remplace pas directement. »
La liste commune des équipements militaires de l’Union européenne
14 Le 26 février 2018, le Conseil a adopté une nouvelle version de la liste commune des équipements militaires de l’Union européenne (JO 2018, C 98, p. 1), visée à l’article 12 de la position commune 2008/944. Le 18 février 2019, le Conseil a adopté une version actualisée de cette liste (JO 2019, C 95, p. 1).
15 Le point « ML 11 » de ladite liste, dans ces deux versions, contenait une énumération de matériel électronique, de « véhicules spatiaux » et de composants, non visés par ailleurs dans la liste commune des équipements militaires de l’Union européenne.
Le droit roumain
L’OUG no 202/2008
16 L’article 1er, paragraphe 1, de l’Ordonanța de urgență a Guvernului nr. 202/2008 privind punerea în aplicare a sancțiunilor internaționale (ordonnance d’urgence du gouvernement no 202/2008, relative à l’application des sanctions internationales), du 4 décembre 2008 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 825 du 8 décembre 2008) (ci-après l’« OUG no 202/2008 »), dispose :
« La présente ordonnance d’urgence régit les modalités d’application au niveau national des sanctions internationales infligées par :
a) les résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies ou autres actes adoptés sur le fondement de l’article 41 de la charte des Nations unies ;
b) les règlements, décisions, positions communes, actions communes et autres instruments juridiques de l’Union européenne. »
17 Aux termes de l’article 3 de l’OUG no 202/2008 :
« 1. Les actes visés à l’article 1er, paragraphe 1, sont contraignants en droit national pour toutes les autorités et institutions publiques de Roumanie, ainsi que pour les personnes physiques ou morales roumaines ou situées sur le territoire de la Roumanie, conformément aux réglementations établissant le régime juridique de chaque catégorie d’actes.
2. Les dispositions législatives nationales ne peuvent être invoquées pour justifier la non‑application des sanctions internationales visées à l’article 1er, paragraphe 1. »
18 L’article 7 de l’OUG no 202/2008 prévoit :
« 1. Toute personne qui possède des données et des informations concernant des personnes ou des entités désignées, qui détient ou contrôle des biens ou qui possède des données et des informations relatives à ceux-ci, à des transactions liées à des biens ou dans lesquelles sont impliquées des personnes ou des entités désignées, est tenue d’en informer l’autorité compétente conformément à la présente ordonnance d’urgence dès qu’elle prend connaissance de l’existence de la situation nécessitant
cette information.
2. L’autorité ou l’institution publique informée en vertu du paragraphe 1, si elle constate qu’elle n’est pas une autorité compétente en vertu de la présente ordonnance d’urgence, transmet l’information à l’autorité compétente dans les 24 heures. Si l’autorité compétente ne peut être identifiée, l’information est transmise au ministère des Affaires étrangères, en sa qualité de coordinateur du comité interinstitutionnel visé à l’article 13.
3. L’information doit contenir des indications minimales permettant d’identifier et de contacter son auteur. »
19 L’article 24, paragraphe 1, de l’OUG no 202/2008 est libellé comme suit :
« Les personnes physiques ou morales qui, ayant établi un rapport de droit ou se trouvant dans une situation de fait à l’égard de tout bien faisant l’objet d’une sanction internationale, apprennent l’existence des situations exigeant une information ou un signalement en vertu, respectivement, de l’article 7 ou de l’article 18, sont tenues, sans délai et sans notification préalable aux autorités compétentes, de n’effectuer aucune opération à l’égard de ce bien autre que celles prévues par la
présente ordonnance d’urgence et d’en informer immédiatement les autorités compétentes. »
20 L’article 26, paragraphe 1, sous b), de l’OUG no 202/2008 dispose :
« Les infractions suivantes constituent des infractions administratives et sont passibles d’une amende comprise entre 10000 et 30000 [lei roumains (RON)] ainsi que de la confiscation des biens destinés à l’infraction, utilisés pour celle-ci ou en résultant :
[...]
b) le non‑respect de l’obligation prévue à l’article 24, paragraphe 1, si l’acte ne constitue pas une infraction pénale ».
Les arrêtés no 156/2018 et no 901/2019
21 L’Ordinul ministrului afacerilor externe nr. 156/2018 pentru aprobarea Listei cuprinzând produsele militare supuse regimului de control al exporturilor, importurilor și altor operațiuni (arrêté du ministre des Affaires étrangères no 156/2018, portant approbation de la liste des produits militaires soumis au régime de contrôle des exportations, importations et autres opérations), du 18 janvier 2018 (Monitorul Oficial al României, partie I, no 86 du 30 janvier 2018, ci-après l’ « arrêté
no 156/2018 »), en vigueur du 5 mars 2018 au 4 juillet 2019, a été abrogé et remplacé par l’Ordinul ministrului afacerilor externe nr. 901/2019 pentru aprobarea Listei cuprinzând produsele militare supuse regimului de control al exporturilor, importurilor și altor operațiuni (arrêté du ministre des Affaires étrangères no 901/2019, portant approbation de la liste des produits militaires soumis au régime de contrôle des exportations, importations et autres opérations), du 4 juin 2019 (Monitorul
Oficial al României, partie I, no 477 du 12 juin 2019, ci-après l’ « arrêté no 901/2019 »), en vigueur du 5 juillet 2019 au 6 octobre 2021.
22 La catégorie « ML 11 » de ces arrêtés contenait une liste de matériel électronique, de « véhicules spatiaux » et de composants, non visés par ailleurs dans la liste établie par lesdits arrêtés.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
23 Neves, dont l’activité principale est le courtage dans la vente de produits dans le domaine de l’aviation, a servi d’intermédiaire pour une transaction entre SFTE Spetstechnoexport (ci-après « SFTE »), une société ukrainienne, et une société indienne.
24 Le 4 janvier 2019, Neves, en tant que vendeur, a conclu avec SFTE, en tant qu’acheteur, un contrat portant sur le transfert des droits de propriété de 32 stations radio R-800L2E, devant être livrées aux Émirats arabes unis (ci-après le « contrat du 4 janvier 2019 »). Le 8 janvier 2019, Neves a acheté à une société portugaise ces 32 stations radio, dont 20 ont été fabriquées en Russie et exportées aux Émirats arabes Unis. Par la suite, à la demande de SFTE, Neves a transféré lesdites 32 stations
radio à cette société indienne, qui les a reçues le 31 janvier 2019.
25 Par des courriers des 26 et 29 juillet 2019, le Departamentul pentru Controlul Exporturilor (ANCEX) din cadrul Ministerului Afacerilor Externe [département du contrôle des exportations (ANCEX) du ministère des affaires étrangères, Roumanie] (ci-après l’ « ANCEX ») a informé Neves que les stations radio R-800L2E relevaient de la catégorie ML 11 de la liste des produits militaires approuvée par l’arrêté no 901/2019, que les opérations de commerce portant sur celles-ci ne pouvaient être effectuées
que sur la base d’un enregistrement et de licences délivrées par ce département, conformément à l’Ordonanța de urgență a Guvernului nr. 158/1999 privind regimul de control al exporturilor, importurilor și altor operațiuni cu produse militare (ordonnance d’urgence du gouvernement no 158/1999, sur le régime de contrôle des exportations, importations et autres opérations avec des produits militaires), et que l’opération de courtage portant sur ces stations radio relevait de la décision 2014/512.
26 En réponse à ces courriers, Neves a contesté le caractère militaire desdites stations radio et fait valoir que l’arrêté no 901/2019 n’était pas applicable au moment de la livraison de celles-ci. Neves a ajouté que l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision 2014/512 ne s’appliquait pas non plus, dès lors que les mêmes stations radio n’avaient pas été vendues en Russie, celles-ci ayant été livrées en Inde.
27 Les 6 et 9 août 2019, Neves a reçu de SFTE, respectivement, les sommes de 577746,08 euros, à titre d’acompte, et de 2407215,32 euros, à titre de paiement des biens livrés conformément au contrat du 4 janvier 2019.
28 Le 12 mai 2020, l’ANAF a dressé un procès-verbal d’infraction administrative, conformément à l’article 26, paragraphe 1, sous b), de l’OUG no 202/2008, infligeant à Neves, à titre principal, une amende administrative d’un montant de 30000 lei roumains (RON) (environ 6066 euros) et, à titre complémentaire, la confiscation de la somme totale de 14113003 RON (environ 2984961,40 euros), encaissée les 6 et 9 août 2019 au titre du contrat du 4 janvier 2019.
29 L’ANAF a considéré que Neves avait violé l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision 2014/512 ainsi que l’article 3, paragraphe 1, l’article 7, paragraphe 1, et l’article 24, paragraphe 1, de l’OUG no 202/2008. À l’annexe de ce procès-verbal, elle a précisé, notamment, que, si, par un courrier du 27 juin 2019, Neves avait informé l’ANCEX que le pays d’origine des stations radio était la Fédération de Russie, elle avait poursuivi l’exécution de ce contrat et encaissé cette somme malgré les
courriers de l’ANCEX des 26 et 29 juillet 2019.
30 Neves a formé un recours tendant à l’annulation dudit procès-verbal devant la Judecătoria Sectorului 1 București (tribunal de première instance du 1er arrondissement de Bucarest, Roumanie), qui a rejeté ce recours par un jugement du 2 novembre 2020.
31 Le Tribunalul Bucureşti (tribunal de grande instance de Bucarest, Roumanie), la juridiction de renvoi, est saisi de l’appel formé par Neves contre ce jugement. Neves conteste, à titre principal, avoir commis l’infraction administrative retenue contre elle par l’ANAF et soutient, à titre subsidiaire, que la mesure de confiscation qui lui est imposée en raison de cette infraction n’est pas proportionnée et constitue une violation de son droit de propriété, tel que garanti à l’article 1er du
protocole additionnel no 1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signé à Paris le 20 mars 1952 (ci-après le « premier protocole additionnel »).
32 La juridiction de renvoi considère que, dans sa jurisprudence, notamment dans l’arrêt du 28 mars 2017, Rosneft (C‑72/15, EU:C:2017:236), la Cour n’a pas encore interprété l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision 2014/512, et qu’il est nécessaire de clarifier, en particulier, si cette décision permet une mesure de confiscation totale telle que celle en cause au principal. Ladite juridiction s’interroge également sur le caractère proportionné de celle‑ci, notamment au regard de la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
33 Dans ces conditions, le Tribunalul Bucureşti (tribunal de grande instance de Bucarest) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) La [décision 2014/512], notamment ses articles 5 et 7, peut-elle être interprétée, à la lumière des principes de sécurité juridique et de [légalité des peines (nulla poena sine lege)], en ce sens qu’elle autorise une mesure nationale qui permet la confiscation totale (à titre de sanction civile) des sommes résultant d’une opération telle que celle visée à l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la [décision 2014/512], lorsqu’il est constaté qu’un acte qualifié d’infraction administrative par
le droit national a été commis ?
2) L’article 5 de la [décision 2014/512] doit-il être interprété en ce sens qu’il autorise les États membres à adopter des mesures nationales prévoyant la confiscation automatique de toute somme résultant d’une violation de l’obligation de notifier une transaction relevant de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la [décision 2014/512] ?
3) L’interdiction prévue à l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la [décision 2014/512] est-elle applicable si le matériel militaire ayant fait l’objet des opérations de courtage n’a jamais été physiquement importé sur le territoire de l’État membre ? »
Sur la compétence de la Cour
34 Les gouvernements roumain et néerlandais ainsi que le Conseil considèrent que, en vertu de l’article 24, paragraphe 1, second alinéa, dernière phrase, TUE et de l’article 275 TFUE, la Cour n’est pas compétente pour interpréter une disposition de portée générale relevant de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) qui sert de fondement à des mesures nationales de sanction, telle que l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision 2014/512. Neves, le gouvernement autrichien et la
Commission estiment, quant à eux, que la Cour est compétente pour interpréter une telle disposition.
35 À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à l’article 24, paragraphe 1, second alinéa, dernière phrase, TUE et à l’article 275, premier alinéa, TFUE, la Cour n’est, en principe, pas compétente en ce qui concerne les dispositions relatives à la PESC ainsi que les actes adoptés sur leur base. Ces dispositions introduisent une dérogation à la règle de la compétence générale que l’article 19 TUE confère à la Cour pour assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application des
traités et, par conséquent, elles doivent être interprétées restrictivement (arrêts du 24 juin 2014, Parlement/Conseil, C‑658/11, EU:C:2014:2025, points 69 et 70 ; du 19 juillet 2016, H/Conseil e.a., C‑455/14 P, EU:C:2016:569, points 39 et 40, ainsi que du 6 octobre 2020, Bank Refah Kargaran/Conseil, C‑134/19 P, EU:C:2020:793, points 26 et 32).
36 En outre, l’article 24, paragraphe 1, second alinéa, dernière phrase, TUE et l’article 275, second alinéa, TFUE établissent explicitement deux exceptions à ce principe, à savoir la compétence de la Cour pour contrôler, d’une part, le respect de l’article 40 TUE ainsi que, d’autre part, la légalité des décisions du Conseil, adoptées sur le fondement des dispositions relatives à la PESC, qui prévoient des mesures restrictives à l’égard de personnes physiques ou morales (voir, en ce sens, arrêt du
28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, points 60 et 81).
37 La Cour a précisé que, en ce qui concerne les actes adoptés sur le fondement des dispositions relatives à la PESC, c’est la nature individuelle de ces actes qui ouvre, conformément aux termes de l’article 275, second alinéa, TFUE, l’accès aux juridictions de l’Union (arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 103 et jurisprudence citée).
38 Toutefois, l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision 2014/512, dont le champ d’application est défini par référence non pas à des personnes physiques ou morales identifiées, mais à des critères objectifs, constitue en tout état de cause une mesure de portée générale ne relevant pas des mesures restrictives visées à l’article 275, second alinéa, TFUE (voir, par analogie, arrêts du 28 novembre 2013, Conseil/Manufacturing Support & Procurement Kala Naft, C‑348/12 P, Rec, EU:C:2013:776,
point 99, ainsi que du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, points 97 et 98).
39 En outre, conformément à une jurisprudence constante, la compétence de la Cour ne se trouve aucunement limitée s’agissant d’un règlement adopté sur le fondement de l’article 215 TFUE, qui donne effet aux positions de l’Union arrêtées dans le contexte de la PESC. En effet, de tels règlements constituent des actes de l’Union adoptés sur le fondement du traité FUE et à l’égard desquels les juridictions de l’Union disposent de l’ensemble des compétences que leur accorde le droit primaire de l’Union
(voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 106 et jurisprudence citée).
40 Tel est le cas, notamment, du règlement no 833/2014 (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, EU:C:2017:236, points 105 et 107).
41 Cela étant, dès lors que l’interdiction de fournir des services de courtage prévue à l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision 2014/512, qui sert de fondement aux mesures nationales de sanction imposées à Neves, n’avait pas été mise en œuvre dans le règlement no 833/2014 à la date des faits en cause au principal, la question se pose de savoir si la Cour est compétente pour interpréter cet article 2, paragraphe 2, sous a).
42 Dans ce contexte, il convient d’examiner si la Cour est compétente pour interpréter une mesure restrictive de portée générale, telle que ledit article 2, paragraphe 2, sous a), dans l’hypothèse où cette mesure, qui sert de fondement à des mesures nationales de sanction imposées à une personne physique ou morale, aurait dû être mise en œuvre dans un règlement au titre de l’article 215 TFUE, afin d’assurer une application uniforme de ladite mesure à l’échelle de l’Union.
43 En premier lieu, s’agissant de la compétence de la Cour pour contrôler le respect de l’article 40 TUE, il convient de relever que les traités ne prévoient aucune modalité particulière pour effectuer un tel contrôle juridictionnel. Dans ces conditions, ce contrôle relève de la compétence générale que l’article 19 TUE confère à la Cour pour assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités (arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 62). En prévoyant
cette compétence générale, l’article 19, paragraphe 3, sous b), TUE indique, par ailleurs, que la Cour statue, à titre préjudiciel, à la demande des juridictions nationales, sur l’interprétation du droit de l’Union ou la validité d’actes adoptés par les institutions de l’Union.
44 Dans le cadre dudit contrôle, conformément à l’article 40, premier alinéa, TUE, il incombe à la Cour de veiller à ce que la mise en œuvre de la PESC par le Conseil n’affecte pas l’application des procédures et l’étendue respective des attributions des institutions prévues par les traités pour l’exercice des compétences de l’Union au titre du traité FUE.
45 Ceci implique en particulier de veiller à ce que, en ce qui concerne la mise en œuvre de l’article 215 TFUE, lequel établit une passerelle entre les objectifs du traité UE en matière de PESC et les actions de l’Union comportant des mesures restrictives relevant du traité FUE (voir, en ce sens, arrêts du 19 juillet 2012, Parlement/Conseil, C‑130/10, EU:C:2012:472, point 59, et du 6 octobre 2020, Bank Refah Kargaran/Conseil, C‑134/19 P, EU:C:2020:793, point 38), le Conseil ne puisse contourner la
compétence de la Cour s’agissant d’un règlement au titre de cet article.
46 À cet égard, il ressort du libellé clair de l’article 215, paragraphe 1, TFUE, en particulier de l’emploi du verbe « adopte », qui se distingue des termes « peut adopter » utilisés au paragraphe 2 de cet article, qu’il incombe au Conseil d’adopter les mesures nécessaires visées à ce paragraphe 1, pour donner effet à une décision PESC arrêtant la position de l’Union concernant l’interruption ou à la réduction des relations économiques et financières avec un pays tiers. Cette institution se trouve
donc, dans l’hypothèse couverte par ce dernier paragraphe, en situation de compétence liée.
47 En second lieu, il ressort également de la jurisprudence de la Cour que, en ce qui concerne les actes de l’Union produisant des effets juridiques à l’égard des tiers, le contrôle juridictionnel conféré à la Cour par les traités n’est pas limité par la qualification, la nature ou la forme de ces actes. Ainsi, s’agissant du recours en annulation prévu à l’article 263 TFUE, dès lors que ce recours tend à assurer le respect du droit dans l’interprétation et l’application des traités, il est ouvert à
l’égard de toutes les dispositions prises par les institutions, organes et organismes de l’Union, indépendamment de la nature ou de la forme de celles-ci, qui visent à produire des effets de droit obligatoires [voir, en ce sens, arrêts du 31 mars 1971, Commission/Conseil, 22/70, EU:C:1971:32, points 40, 42 et 55, ainsi que du 14 juillet 2022, Parlement/Conseil (Siège de l’Autorité européenne du travail), C‑743/19, EU:C:2022:569, point 36 et jurisprudence citée].
48 Il découle des considérations qui précédent que la compétence conférée à la Cour par les traités en vue d’assurer la protection juridictionnelle des tiers ne saurait être limitée par la circonstance que le Conseil n’a pas pris toutes les mesures nécessaires sur le fondement de l’article 215, paragraphe 1, TFUE, alors que, ainsi qu’il a été souligné au point 46 du présent arrêt, sa compétence à ce titre est liée.
49 Par conséquent, la possibilité de saisir la Cour à titre préjudiciel prévue par les traités concernant un règlement adopté sur le fondement de l’article 215, paragraphe 1, TFUE doit être ouverte à l’égard de toutes les dispositions qu’il aurait incombé au Conseil d’inclure dans un tel règlement et qui servent de fondement à une mesure nationale de sanction prise à l’égard des tiers (voir, par analogie, arrêt du 31 mars 1971, Commission/Conseil, 22/70, EU:C:1971:32, points 38 à 40 ).
50 Une telle interprétation est corroborée par l’objectif essentiel de l’article 267 TFUE, qui est d’assurer une application uniforme du droit de l’Union par les juridictions nationales. En effet, s’agissant de mesures de portée générale qu’il aurait incombé au Conseil de mettre en œuvre dans un règlement au titre de l’article 215 TFUE, des divergences entre les juridictions des États membres quant à l’interprétation d’une telle mesure de portée générale seraient susceptibles de compromettre l’unité
même de l’ordre juridique de l’Union et de porter atteinte à l’exigence fondamentale de la sécurité juridique (voir, par analogie, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 80).
51 L’interprétation retenue au point 49 du présent arrêt permet également d’assurer la nécessaire cohérence du système de protection juridictionnelle prévu par le droit de l’Union. En effet, ainsi qu’il résulte tant de l’article 2 TUE, figurant dans les dispositions communes du traité UE, que de l’article 21 TUE, concernant l’action extérieure de l’Union, auquel renvoie l’article 23 TUE, relatif à la PESC, l’Union est fondée, notamment, sur la valeur de l’État de droit. L’existence même d’un
contrôle juridictionnel effectif destiné à assurer le respect des dispositions du droit de l’Union est inhérente à l’existence d’un État de droit (voir, en ce sens, arrêt du 6 octobre 2020, Bank Refah Kargaran/Conseil, C‑134/19 P, EU:C:2020:793, points 35 et 36 ainsi que jurisprudence citée).
52 Or, la procédure du renvoi préjudiciel, prévue à l’article 19, paragraphe 3, sous b), TUE et à l’article 267 TFUE, laquelle constitue la clef de voûte du système juridictionnel de l’Union, contribue de manière essentielle à la préservation de cette valeur [voir, en ce sens, avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014, EU:C:2014:2454, point 176 et jurisprudence citée].
53 Il y a donc lieu de considérer que, eu égard aux articles 19, 24 et 40 TUE ainsi qu’à l’article 215, paragraphe 1, TFUE, lus à la lumière des articles 2 et 21 TUE, la Cour est compétente pour statuer à titre préjudiciel, en vertu de l’article 267 TFUE, sur l’interprétation d’une mesure de portée générale d’un acte adopté sur le fondement des dispositions relatives à la PESC dans l’hypothèse où il aurait incombé au Conseil de mettre en œuvre cette mesure, qui sert de fondement à des mesures
nationales de sanction imposées à une personne physique ou morale, dans un règlement au titre de l’article 215 TFUE.
54 C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’apprécier la compétence de la Cour pour interpréter l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision 2014/512.
55 Ainsi, il y a lieu de vérifier si l’interdiction de fournir des services de courtage en rapport avec des équipements militaires, prévue à l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision 2014/512, relève des mesures nécessaires, au sens de l’article 215, paragraphe 1, TFUE, qu’il incombe au Conseil d’adopter, ainsi qu’il ressort du point 46 du présent arrêt, lorsqu’une telle décision prévoit l’interruption ou la réduction, en tout ou en partie, des relations économiques et financières avec un
ou plusieurs pays tiers, pour donner effet à cette décision.
56 À cet égard, il suffit de constater que cette interdiction vise à restreindre la capacité des opérateurs économiques à accomplir des opérations relevant du champ d’application du traité FUE, de sorte qu’elle ne peut être mise à exécution à l’échelle de l’Union que si elle est suivie de l’adoption d’un règlement au titre de l’article 215 TFUE, afin de garantir son application uniforme dans tous les États membres (voir, par analogie, arrêt du 1er mars 2016, National Iranian Oil Company/Conseil,
C‑440/14 P, EU:C:2016:128, point 54).
57 En effet, les armes et les équipements militaires visés à l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision 2014/512, de même que les services connexes, entrent dans le champ d’application du traité FUE. En particulier, ainsi que la Commission l’a mentionné lors de l’audience, le commerce de ces armes, de ces équipements et de ces services relève de la compétence de l’Union en vertu des articles 114 et 207 TFUE. Lesdits armes et équipements, figurant sur la liste commune des équipements
militaires de l’Union européenne visée à l’article 12 de la position commune 2008/944 et qui sert de référence pour les listes nationales de technologie et d’équipements militaires des États membres, sont ainsi soumis au tarif douanier commun, comme le confirme le règlement (CE) no 150/2003 du Conseil, du 21 janvier 2003, portant suspension des droits de douane sur certains armements et équipements militaires (JO 2003, L 25, p. 1).
58 Par ailleurs, cette conclusion ne saurait être mise en cause par la faculté offerte aux États membres à l’article 346, paragraphe 1, sous b), TFUE, lequel permet à tout État membre, sous certaines conditions, de prendre les mesures qu’il estime nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité et qui se rapportent à la production ou au commerce d’armes, de munitions et de matériel de guerre. Ainsi que la Commission l’a fait valoir lors de l’audience, cette faculté n’est pas de
nature à limiter la compétence liée du Conseil, découlant de l’article 215, paragraphe 1, TFUE, de prendre les mesures nécessaires à la mise en œuvre, dans l’Union, de l’interruption ou de la réduction des relations économiques et financières avec un pays tiers prévue dans la décision arrêtant la position de l’Union à cet égard.
59 Au demeurant, il convient d’observer que, par l’adoption du règlement 2023/1214, le Conseil a mis en œuvre l’interdiction de fournir des services de courtage en rapport avec des équipements militaires visée à l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision 2014/512, ce qui tend à confirmer qu’une telle mesure fait partie de celles devant être adoptées dans un règlement basé sur l’article 215, paragraphe 1, TFUE.
60 Il s’ensuit que cette interdiction de fournir des services de courtage en rapport avec des équipements militaires relève des mesures nécessaires, au sens de l’article 215, paragraphe 1, TFUE, pour donner effet à cette décision à l’échelle de l’Union, qu’il aurait incombé au Conseil de mettre en œuvre dans le règlement no 833/2014.
61 Partant, la Cour est compétente pour répondre aux questions préjudicielles.
Sur les questions préjudicielles
Sur la troisième question
62 Par sa troisième question, qu’il convient de traiter en premier lieu, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision 2014/512 doit être interprété en ce sens que l’interdiction de fournir des services de courtage énoncée à cette disposition est applicable même lorsque les équipements militaires faisant l’objet de l’opération de courtage concernée n’ont jamais été importés sur le territoire d’un État membre.
63 Aux termes de cette disposition, « [i]l est interdit de fournir une assistance technique, des services de courtage ou d’autres services en rapport avec des activités militaires et la fourniture, la fabrication, l’entretien et l’utilisation d’armements et de matériel connexe de tous types, y compris des armes et des munitions, des véhicules et des équipements militaires, des équipements paramilitaires et des pièces détachées pour ces articles, directement ou indirectement, à toute personne
physique ou morale, toute entité ou tout organisme en Russie ou aux fins d’une utilisation dans ce pays ».
64 Il ressort du libellé de ladite disposition, en particulier de l’emploi des termes « directement ou indirectement », que l’interdiction qu’elle prévoit s’applique largement, notamment lorsque des services de courtage en rapport avec des équipements militaires sont fournis à une personne, à une entité ou à un organisme en Russie, sans que ce libellé prévoie une condition exigeant l’importation de ces équipements sur le territoire d’un État membre. Selon ledit libellé, il suffit que ces services
soient fournis, directement ou indirectement, à un opérateur en Russie, indépendamment de la destination finale desdits équipements, contrairement à ce que soutient Neves.
65 Le contexte et les objectifs de la réglementation dans laquelle s’inscrit l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision 2014/512 corroborent une telle interprétation.
66 À cet égard, bien que cette décision ne comporte pas de disposition définissant la notion de « services de courtage », le règlement no 833/2014, qui met cette décision en œuvre à l’échelle de l’Union, définit cette notion à son article 1er, paragraphe 1, sous d), dont le libellé fait clairement apparaître qu’aucune condition relative à l’importation des biens faisant l’objet de l’opération de courtage en cause sur le territoire d’un État membre n’est imposée.
67 En effet, selon cette disposition, les services de courtage comprennent la négociation ou l’organisation d’opérations en vue de l’achat, de la vente ou de la fourniture de biens, « y compris d’un pays tiers vers un autre pays tiers », ou la vente ou l’achat de biens « y compris si ces biens [...] se situent dans des pays tiers en vue de leur transfert vers un autre pays tiers ».
68 En outre, la Cour a souligné l’importance des objectifs poursuivis par la décision 2014/512 et le règlement no 833/2014, à savoir la protection de l’intégrité territoriale, de la souveraineté et de l’indépendance de l’Ukraine ainsi que la promotion d’un règlement pacifique de la crise dans ce pays, qui s’inscrivent dans l’objectif plus large du maintien de la paix et de la sécurité internationale (voir, en ce sens, arrêt du 28 mars 2017, Rosneft, C‑72/15, EU:C:2017:236, point 150).
69 Or, l’interprétation de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de cette décision selon laquelle l’interdiction énoncée à cette disposition s’applique même lorsque les services de courtage concernés portent sur des armes et des équipements militaires qui, indépendamment de leur destination finale, n’ont pas été importés sur le territoire d’un État membre, permet d’assurer l’effet utile de cette interdiction et contribue à la réalisation des objectifs de ladite décision, rappelés au point précédent du
présent arrêt. En effet, une telle interdiction pourrait être facilement contournée s’il suffisait, pour échapper à celle-ci, que ces armes et équipements militaires transitent sans passer par le territoire de l’Union.
70 L’interprétation figurant au point 64 du présent arrêt permet également d’assurer la cohérence de l’interprétation du droit de l’Union, en conférant la même portée à la notion de « services de courtage » figurant dans différents actes relevant du domaine de la PESC.
71 Il s’ensuit qu’il convient de répondre à la troisième question que l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision 2014/512 doit être interprété en ce sens que l’interdiction de fournir des services de courtage énoncée à cette disposition est applicable même lorsque les équipements militaires faisant l’objet de l’opération de courtage concernée n’ont jamais été importés sur le territoire d’un État membre.
Sur les première et deuxième questions
72 À titre liminaire, il y a lieu de relever, d’une part, que, par ses première et deuxième questions, qu’il convient de traiter ensemble et en second lieu, la juridiction de renvoi s’est référée tant à l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision 2014/512 qu’aux articles 5 et 7 de cette décision. Toutefois, il ressort de la demande de décision préjudicielle que ces articles 5 et 7 ne sont pas pertinents au regard des faits en cause au principal.
73 En effet, ledit article 5 se limite à indiquer que l’Union encourage les États tiers à adopter des mesures restrictives analogues à celles qui sont prévues dans ladite décision. Quant audit article 7, il concerne les éventuelles demandes à l’occasion de tout contrat ou de toute opération, dont l’exécution a été affectée par les mesures instituées en vertu de la décision 2014/512, qui seraient présentées par une des catégories de personnes et d’entités énumérées au même article 7, paragraphe 1,
sous a) à c). Or, selon les indications fournies par la juridiction de renvoi, le litige au principal ne porte pas sur une telle demande et Neves ne relève d’aucune de ces catégories.
74 D’autre part, il résulte de la demande de décision préjudicielle que cette juridiction s’interroge également sur la conformité d’une mesure de confiscation, telle que celle imposée à Neves, avec le droit de propriété garanti à l’article 1er du premier protocole additionnel et consacré, dans l’ordre juridique de l’Union, à l’article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).
75 Par conséquent, il convient de considérer que, par ses première et deuxième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision 2014/512, lu à la lumière du droit de propriété consacré à l’article 17 de la Charte ainsi que des principes de sécurité juridique et de légalité des peines, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une mesure nationale de confiscation de la totalité du produit d’une opération de courtage visée à cet
article 2, paragraphe 2, sous a), intervenant, de manière automatique, à la suite de la constatation, par les autorités nationales compétentes, d’une violation de l’interdiction d’effectuer cette opération et de l’obligation de notifier celle-ci.
76 À cet égard, il convient de rappeler, en premier lieu, que, en l’absence d’harmonisation de la législation de l’Union dans le domaine des sanctions applicables en cas d’inobservation des conditions prévues par un régime institué par cette législation, les États membres, tout en conservant le choix des sanctions, doivent veiller à ce que les violations du droit de l’Union soient sanctionnées dans des conditions, de fond et de procédure, qui soient analogues à celles applicables aux violations du
droit national d’une nature et d’une importance similaires et qui, en tout état de cause, confèrent à la sanction un caractère effectif, proportionné et dissuasif (voir, en ce sens, arrêts du 16 juillet 2015, Chmielewski, C‑255/14, EU:C:2015:475, point 21, et du 2 mai 2018, Scialdone, C‑574/15, EU:C:2018:295, point 28 ainsi que jurisprudence citée).
77 En particulier, les mesures de sanction prévues par une législation nationale ne doivent pas aller au-delà de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimement poursuivis par cette législation ni être démesurées par rapport à ces objectifs et la rigueur des sanctions doit également être en adéquation avec la gravité des violations qu’elles répriment, notamment en assurant un effet réellement dissuasif (voir, en ce sens, arrêt du 24 février 2022, Agenzia delle dogane e
dei monopoli et Ministero dell’Economia e delle Finanze, C‑452/20, EU:C:2022:111, points 37 à 39 ainsi que jurisprudence citée).
78 En deuxième lieu, s’agissant du droit de propriété consacré à l’article 17 de la Charte, il y a lieu de rappeler que, aux termes du paragraphe 1 de cet article, « [t]oute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et [des] conditions prévus par une loi et moyennant, en temps utile, une juste indemnité pour sa
perte. L’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général ».
79 Ainsi que la Cour l’a déjà jugé, l’article 17 de la Charte constitue une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers [arrêt du 21 mai 2019, Commission/Hongrie (Usufruits sur terres agricoles), C‑235/17, EU:C:2019:432, point 68 et jurisprudence citée].
80 Conformément à l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, dans la mesure où celle-ci contient des droits correspondant à des droits garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère cette convention. Cette disposition ne fait toutefois pas obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue. Il s’ensuit que, aux fins de
l’interprétation de l’article 17 de la Charte, il y a lieu de prendre en considération la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 1er du premier protocole additionnel, qui consacre la protection du droit de propriété, en tant que seuil de protection minimale [voir, en ce sens, arrêt du 21 mai 2019, Commission/Hongrie (Usufruits sur terres agricoles), C‑235/17, EU:C:2019:432, point 72 et jurisprudence citée].
81 Tout comme la Cour européenne des droits de l’homme l’a jugé de manière constante à l’égard de l’article 1er du premier protocole additionnel, il convient de préciser que l’article 17, paragraphe 1, de la Charte contient trois normes distinctes. La première, qui s’exprime à la première phrase de cette dernière disposition et revêt un caractère général, concrétise le principe du respect de la propriété. La deuxième, figurant à la deuxième phrase de ladite disposition, vise la privation de
propriété et la soumet à certaines conditions. Quant à la troisième, figurant à la troisième phrase de la même disposition, elle reconnaît aux États le pouvoir, notamment, de réglementer l’usage des biens dans la mesure nécessaire à l’intérêt général. Il ne s’agit pas pour autant de règles dépourvues de rapport entre elles. La deuxième et la troisième règles ont trait à des exemples particuliers d’atteinte au droit de propriété, et doivent être interprétées à la lumière du principe consacré à la
première de ces règles (arrêt du 5 mai 2022, BPC Lux 2 e.a., C‑83/20, EU:C:2022:346, point 38).
82 À cet égard, il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme que des mesures de confiscation portant sur le produit d’une infraction ou d’une activité illégale ou un instrument ayant servi à une infraction n’appartenant pas à un tiers de bonne foi, relèvent, de manière générale, de la réglementation de l’usage des biens, même si elles privent, par leur nature même, une personne de sa propriété (voir, notamment, Cour EDH, 24 octobre 1986, Agosi c. Royaume-Uni,
CE:ECHR:1986:1024JUD000911880, § 51 ; Cour EDH, 12 mai 2015, Gogitidze et autres c. Géorgie, CE:ECHR:2015:0512JUD003686205, § 94, ainsi que Cour EDH, 15 octobre 2020, Karapetyan c. Géorgie, CE:ECHR:2020:1015JUD006123312, § 32).
83 En l’occurrence, la mesure de confiscation imposée à Neves a porté sur une somme d’argent qui lui avait été versée à titre de paiement pour la livraison, en exécution du contrat du 4 janvier 2019, de stations radio considérées comme étant des équipements militaires. Cette mesure vise à faire respecter l’interdiction de fournir des services de courtage en rapport avec des équipements militaires prévue par la décision 2014/512, à titre de mesure restrictive de portée générale en réponse aux actions
de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine. Ainsi, ladite mesure se rattache à l’interdiction d’achat et de vente d’armements et de matériel militaire à la Russie également prévue par cette décision ainsi que, plus généralement, à la réglementation relative au commerce des armes.
84 Dans ces conditions, une telle mesure de confiscation constitue une limitation à l’exercice du droit de propriété, relevant de la réglementation de l’usage des biens, au sens de l’article 17, paragraphe 1, troisième phrase, de la Charte.
85 À cet égard, il y a lieu de rappeler que le droit de propriété garanti par l’article 17 de la Charte n’est pas une prérogative absolue et que son exercice peut faire l’objet de restrictions justifiées par des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union (arrêt du 20 septembre 2016, Ledra Advertising e.a./Commission et BCE, C‑8/15 P à C‑10/15 P, EU:C:2016:701, point 69).
86 Toutefois, conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, toute limitation de l’exercice des droits et des libertés reconnus par celle-ci doit être prévue par la loi, respecter leur contenu essentiel et, dans le respect du principe de proportionnalité, être nécessaire et répondre effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.
87 Or, premièrement, une mesure de confiscation telle que celle imposée à Neves est prévue par la loi, au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte. En effet, cette mesure repose sur l’OUG no 202/2008 ainsi que sur la liste nationale de technologie et d’équipements militaires visée à l’article 12 de la position commune 2008/944 et établie, en ce qui concerne la Roumanie, par les arrêtés no 156/2018 et no 901/2019.
88 Deuxièmement, dès lors que, ainsi qu’il découle de la jurisprudence visée au point 82 du présent arrêt, cette mesure relève de la réglementation de l’usage des biens, au sens de l’article 17, paragraphe 1, troisième phrase, de la Charte et ne constitue pas une privation de propriété, au sens de cet article 17, paragraphe 1, deuxième phrase, elle respecte le contenu essentiel du droit de propriété (voir, en ce sens, arrêt du 5 mai 2022, BPC Lux 2 e.a., C‑83/20, EU:C:2022:346, point 53).
89 Troisièmement, ladite mesure vise à la réalisation des objectifs poursuivis par la décision 2014/512, dont l’importance a été soulignée par la Cour, ainsi qu’il a été rappelé au point 68 du présent arrêt, et répond, ainsi, à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union, au sens de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.
90 Quatrièmement, quant au respect du principe de proportionnalité, il apparaît, tout d’abord, que la limitation à l’exercice du droit de propriété découlant de la même mesure est apte à atteindre ces objectifs.
91 En effet, il ressort de la demande de décision préjudicielle que la mesure de confiscation en cause au principal, complémentaire à une mesure d’amende, est intervenue à la suite de la constatation, par les autorités roumaines compétentes, du non-respect de l’interdiction d’effectuer une opération à l’égard d’un bien faisant l’objet d’une sanction internationale, résultant, en l’occurrence, de la décision 2014/512, et de l’obligation d’informer immédiatement ces autorités de cette opération.
L’imposition de cette mesure de confiscation est de nature à dissuader les opérateurs concernés d’effectuer de telles opérations et à les inciter à respecter tant cette interdiction que cette obligation d’information, laquelle facilite le contrôle, par les autorités compétentes des États membres, des opérations portant sur les produits concernés, en l’occurrence des équipements militaires.
92 Ensuite, concernant le caractère nécessaire d’une telle mesure de confiscation, il y a lieu de relever que le montant maximal de l’amende prévue à titre de sanction principale par la réglementation nationale en cause au principal est de 30000 RON (environ 6066 euros). Compte tenu du faible plafond de cette amende en comparaison de l’avantage économique potentiellement escompté des opérations de courtage portant sur des équipements militaires, la seule imposition de cette amende ne saurait suffire
pour dissuader les opérateurs économiques d’enfreindre l’interdiction de fournir des services de courtage en rapport avec ces équipements ainsi que l’obligation d’en informer les autorités nationales compétentes. Cela est illustré par les circonstances de l’affaire au principal, dès lors que, selon les indications fournies par la juridiction de renvoi, la contrepartie de l’opération de courtage en cause au principal s’élevait à une somme de près de trois millions d’euros.
93 Dans ces circonstances, la confiscation de la contrepartie intégrale du produit de l’opération de courtage interdite apparaît ainsi comme étant nécessaire pour dissuader réellement et de manière efficace les opérateurs économiques d’enfreindre l’interdiction de fournir des services de courtage en rapport avec des équipements militaires.
94 De même, le fait qu’une mesure de confiscation intervienne de manière automatique, par un procès-verbal de constat établi par l’autorité administrative compétente, est nécessaire pour assurer la pleine efficacité de la sanction d’une violation tant de l’interdiction d’effectuer une opération de courtage relevant de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision 2014/512 que de l’obligation de notifier celle-ci, sous réserve du droit à un recours effectif afin de faire contrôler la régularité
de ce procès-verbal et d’obtenir, le cas échéant, la restitution des sommes confisquées, notamment s’il devait s’avérer, en définitive, que l’opération concernée ne tombe pas sous le coup de cette interdiction.
95 S’agissant d’un tel recours, il convient de relever qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 1er du premier protocole additionnel que, dans les cas où une sanction de confiscation est imposée indépendamment d’une condamnation pénale, il importe que la procédure dans son ensemble donne à l’intéressé la possibilité de se défendre tant devant les autorités nationales qui lui ont infligé cette sanction que devant les juridictions saisies du
recours contre les décisions de ces autorités, afin qu’elles puissent procéder à un examen global des différents intérêts en présence (voir, en ce sens, Cour EDH, 15 octobre 2020, Karapetyan c. Géorgie, CE:ECHR:2020:1015JUD006123312, § 35).
96 À cet égard, la personne concernée doit, notamment, se voir offrir une occasion adéquate d’exposer sa cause aux autorités compétentes, de manière à permettre une contestation effective des mesures en cause (voir, en ce sens, arrêt du 3 septembre 2008, Kadi et Al Barakaat International Foundation/Conseil et Commission, C‑402/05 P et C‑415/05 P, EU:C:2008:461, point 368).
97 Dès lors, il appartient à la juridiction de renvoi de s’assurer que Neves bénéficie de garanties procédurales suffisantes dans le cadre de la procédure au principal, notamment quant à l’établissement de la matérialité de l’infraction administrative qui lui est reprochée. En particulier, dans la mesure où cette société conteste la nature d’équipement militaire des stations radio en cause au principal, cette juridiction doit s’assurer que ces stations radio relèvent de la liste commune des
équipements militaires de l’Union européenne, visée à l’article 12 de la position commune 2008/944, ayant servi de référence à la liste nationale de ces équipements établie par les arrêtés no 156/2018 et no 901/2019.
98 Sous réserve du respect de ces conditions, qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, une mesure de confiscation telle que celle en cause au principal ne paraît pas aller au-delà de ce qui est nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis.
99 S’agissant, enfin, du caractère proportionné au sens strict d’une telle mesure et, notamment, de l’adéquation de sa rigueur par rapport à la gravité de l’infraction qu’elle vise à sanctionner, il convient de relever que, bien que ladite mesure porte sur la totalité du produit de l’opération de courtage interdite et intervienne de manière automatique, le montant de l’amende accompagnant la même mesure est, en revanche, modulable. En outre, ces sanctions ne s’appliquent qu’aux personnes ayant
appris qu’elles se trouvaient dans une situation exigeant une information ou un signalement aux autorités nationales compétentes, concernant un bien faisant l’objet d’une sanction internationale, ainsi que cela résulte de l’article 24, paragraphe 1, et de l’article 26, paragraphe 1, sous b), de l’OUG no 202/2008. Dans une telle situation, ces personnes sont tenues, sans délai et sans notification préalable à ces autorités, de n’effectuer aucune opération portant sur ce bien autres que celles
prévues par cette ordonnance. Sont ainsi visées seulement des personnes qui, en connaissance de cause, se sont abstenues de procéder à ce signalement ou qui ont tout de même effectué une telle opération.
100 Il ressort de ces éléments que la rigueur des sanctions prévues par une réglementation nationale telle que celle en cause au principal apparaît comme étant en adéquation avec la gravité de l’infraction qu’elles visent à réprimer, en tenant compte de l’importance des objectifs légitimes poursuivis.
101 Dès lors, la limitation à l’exercice du droit de propriété découlant d’une telle mesure de confiscation paraît respecter le principe de proportionnalité et, par conséquent, être justifiée au regard des conditions prévues à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.
102 En troisième lieu, concernant le principe général de sécurité juridique, qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union, ce principe exige que les règles de droit soient claires, précises et prévisibles dans leurs effets. Si ce principe s’oppose à ce qu’une règle de droit nouvelle s’applique rétroactivement, à savoir à une situation acquise antérieurement à son entrée en vigueur, ledit principe exige que toute situation de fait soit normalement, et sauf indication expresse contraire,
appréciée à la lumière des règles de droit qui en sont contemporaines (voir, en ce sens, arrêt du 25 janvier 2022, VYSOČINA WIND, C‑181/20, EU:C:2022:51, point 47 et jurisprudence citée).
103 Quant au principe de légalité des délits et des peines, qui constitue une expression particulière du principe général de sécurité juridique et qui est consacré à l’article 49 de la Charte, il implique, notamment, que la loi définisse clairement les infractions et les peines qui les répriment afin d’assurer la prévisibilité en ce qui concerne tant la définition de l’infraction que la détermination de la peine [voir, en ce sens, arrêts du 8 mars 2022, Bezirkshauptmannschaft Hartberg-Fürstenfeld
(Effet direct), C‑205/20, EU:C:2022:168, point 47, et du 24 juillet 2023, Lin, C‑107/23 PPU, EU:C:2023:606, point 104 ainsi que jurisprudence citée].
104 Concernant ces principes, la juridiction de renvoi s’est limitée à indiquer que Neves faisait valoir que l’arrêté no 901/2019, qui a établi, en ce qui concerne la Roumanie, la liste nationale de technologie et d’équipements militaires visée à l’article 12 de la position commune 2008/944, n’était pas en vigueur à la date des faits au principal, de sorte qu’il n’était pas applicable aux stations radio en cause au principal, lesquelles ne pouvaient donc pas être considérées comme étant des
équipements militaires relevant de la catégorie ML 11 de cette liste.
105 À cet égard, il y a lieu de relever que, à cette date, l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision 2014/512, interdisant la fourniture de services de courtage en rapport avec ces équipements, de même que la liste commune des équipements militaires de l’Union européenne mentionnée au point 14 du présent arrêt, étaient en vigueur. Selon les indications figurant dans la décision de renvoi, il semble que la catégorie ML 11 de l’arrêté no 901/2019, qui a abrogé et remplacé l’arrêté
no 156/2018, en vigueur du 5 mars 2018 au 4 juillet 2019, était identique à la catégorie ML 11 de ce dernier arrêté, de sorte que, ainsi que l’a observé la Commission, il n’apparaît pas que soit en cause l’application rétroactive d’une règle de droit nouvelle au sens de la jurisprudence citée au point 102 du présent arrêt.
106 Il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, conformément aux règles du droit roumain applicables à la date des faits du litige au principal, dont la détermination et l’appréciation relèvent de la seule compétence de cette juridiction, si les dispositions de ce droit reprenant cette liste étaient en vigueur à cette date, de même que si les exigences de clarté et de prévisibilité rappelées aux points 102 et 103 du présent arrêt ont été respectées.
107 Eu égard à ce qui précède, il convient de répondre aux première et deuxième questions que l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision 2014/512, lu à la lumière du droit de propriété consacré à l’article 17 de la Charte ainsi que des principes de sécurité juridique et de légalité des peines, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une mesure nationale de confiscation de la totalité du produit d’une opération de courtage visée à cet article 2, paragraphe 2, sous a),
intervenant, de manière automatique, à la suite de la constatation, par les autorités nationales compétentes, d’une violation de l’interdiction d’effectuer cette opération et de l’obligation de notifier celle-ci.
Sur les dépens
108 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (grande chambre) dit pour droit :
1) L’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision 2014/512/PESC du Conseil, du 31 juillet 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine, telle que modifiée par la décision 2014/659/PESC du Conseil, du 8 septembre 2014,
doit être interprété en ce sens que :
l’interdiction de fournir des services de courtage énoncée à cette disposition est applicable même lorsque les équipements militaires faisant l’objet de l’opération de courtage concernée n’ont jamais été importés sur le territoire d’un État membre.
2) L’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision 2014/512, telle que modifiée par la décision 2014/659, lu à la lumière de l’article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ainsi que des principes de sécurité juridique et de légalité des peines,
doit être interprété en ce sens que :
il ne s’oppose pas à une mesure nationale de confiscation de la totalité du produit d’une opération de courtage visée à cet article 2, paragraphe 2, sous a), intervenant, de manière automatique, à la suite de la constatation, par les autorités nationales compétentes, d’une violation de l’interdiction d’effectuer cette opération et de l’obligation de notifier celle-ci.
Signatures
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
( *1 ) Langue de procédure : le roumain.