ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)
5 septembre 2024 ( *1 )
« Renvoi préjudiciel – Politique étrangère et de sécurité commune – Mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine – Règlement (UE) no 833/2014 – Article 5 quindecies, paragraphes 2 et 6 – Interdiction de fournir, directement ou indirectement, des services de conseil juridique au gouvernement russe ou à des personnes morales, des entités ou des organismes établis en Russie – Exemption concernant la prestation de services strictement nécessaires pour
garantir l’accès aux procédures judiciaires, administratives ou d’arbitrage dans un État membre – Authentification et exécution, par un notaire, d’un contrat de vente d’un bien immeuble – Assistance par un interprète lors d’une telle authentification »
Dans l’affaire C‑109/23 [Jemerak] ( i ),
ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Landgericht Berlin (tribunal régional de Berlin, Allemagne), par décision du 16 janvier 2023, parvenue à la Cour le 23 février 2023, dans la procédure
GM,
ON
contre
PR,
LA COUR (deuxième chambre),
composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, MM. F. Biltgen (rapporteur), N. Wahl, J. Passer et Mme M. L. Arastey Sahún, juges,
avocat général : Mme L. Medina,
greffier : Mme A. Juhász-Tóth, administratrice,
vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 25 janvier 2024,
considérant les observations présentées :
– pour PR, par Mes U. Karpenstein et R. Sangi, Rechtsanwälte,
– pour le gouvernement allemand, par MM. J. Möller et N. Scheffel, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement estonien, par Mme M. Kriisa, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et M. H. S. Gijzen, en qualité d’agents,
– pour le gouvernement polonais, par M. B. Majczyna, en qualité d’agent,
– pour le gouvernement finlandais, par Mme H. Leppo, en qualité d’agent,
– pour le Conseil de l’Union européenne, par M. M. Bishop et Mme T. Haas, en qualité d’agents,
– pour la Commission européenne, par Mmes M. Carpus Carcea, C. Georgieva et M. M. Kellerbauer, en qualité d’agents,
ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 11 avril 2024,
rend le présent
Arrêt
1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement (UE) no 833/2014 du Conseil, du 31 juillet 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2014, L 229, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2022/1904 du Conseil, du 6 octobre 2022 (JO 2022, L 259 I, p. 3) (ci-après le « règlement no 833/2014 »).
2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant GM et ON, acquéreurs d’un appartement situé à Berlin (Allemagne) et appartenant à une personne morale établie en Russie, à PR, notaire exerçant en Allemagne, au sujet du refus de ce dernier d’authentifier et d’exécuter le contrat de vente de cet appartement, au motif qu’il ne pouvait être exclu que cette authentification viole l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014, qui interdit de fournir des services de
conseil juridique à des personnes morales établies en Russie.
Le cadre juridique
Le droit de l’Union
Le règlement (UE) no 269/2014
3 L’article 2 du règlement (UE) no 269/2014 du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 6), tel que modifié par le règlement (UE) no 476/2014 du Conseil, du 12 mai 2014 (JO 2014, L 137, p. 1), prévoit :
« 1. Sont gelés tous les fonds et ressources économiques appartenant aux personnes physiques ou morales, entités ou organismes, ou aux personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui leur sont associés, énumérés à l’annexe I, de même que tous les fonds et ressources économiques que ces personnes physiques ou morales, entités ou organismes possèdent, détiennent ou contrôlent.
2. Aucuns fonds ni aucune ressource économique ne sont mis, directement ou indirectement, à la disposition des personnes physiques ou morales, entités ou organismes, ou des personnes physiques ou morales, entités ou organismes qui leur sont associés, énumérés à l’annexe I, ni dégagés à leur profit. »
Le règlement no 833/2014
4 Les considérants 1 et 2 du règlement no 833/2014 énoncent :
« (1) Le règlement [no 269/2014] donne effet à certaines mesures prévues dans la décision 2014/145/PESC[, du Conseil, du 17 mars 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine (JO 2014, L 78, p. 16)]. Ces mesures comprennent le gel des fonds et des ressources économiques de certaines personnes physiques et morales, entités et organismes et l’application de restrictions à certains
investissements, en réponse à l’annexion illégale de la Crimée et de Sébastopol.
(2) Le 22 juillet 2014, le Conseil [de l’Union européenne] a conclu que si la Russie ne répondait pas aux demandes formulées dans les conclusions du Conseil européen du 27 juin 2014 et dans ses propres conclusions du 22 juillet, il serait résolu à introduire sans délai un ensemble de nouvelles mesures restrictives substantielles. Il est donc jugé approprié d’appliquer des mesures restrictives supplémentaires dans le but d’accroître le coût des actions de la Russie visant à compromettre l’intégrité
territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et de promouvoir un règlement pacifique de la crise. [...] »
5 Aux termes de l’article 5 bis bis, paragraphe 1, du règlement no 833/2014 :
« Il est interdit de participer directement ou indirectement à toute transaction avec :
a) une personne morale, une entité ou un organisme établi en Russie, figurant à l’annexe XIX, contrôlé par l’État ou détenu à plus de 50 % par l’État ou dans lequel la Russie, son gouvernement ou sa Banque centrale a le droit de participer à des bénéfices ou avec lequel la Russie, son gouvernement ou la Banque centrale russe entretient d’autres relations économiques importantes ;
b) une personne morale, une entité ou un organisme établi en dehors de l’Union, dont plus de 50 % des droits de propriété sont détenus, directement ou indirectement, par une entité figurant à l’annexe XIX ; ou
c) une personne morale, une entité ou un organisme agissant pour le compte ou selon les instructions d’une entité visée au point a) ou b) du présent paragraphe. »
6 L’article 5 quindecies, paragraphes 1, 2 et 6, de ce règlement dispose :
« 1. Il est interdit de fournir, directement ou indirectement, des services de comptabilité, de contrôle des comptes, y compris de contrôle légal des comptes, de tenue de livres ou de conseils fiscaux, ou des services de conseil en matière d’entreprise et de gestion ou des services de relations publiques :
a) au gouvernement russe ; ou
b) à des personnes morales, des entités ou des organismes établis en Russie.
2. Il est interdit de fournir, directement ou indirectement, des services d’architecture et d’ingénierie, des services de conseil juridique et des services de conseil informatique :
a) au gouvernement russe ; ou
b) à des personnes morales, des entités ou des organismes établis en Russie.
[...]
6. Les paragraphes 1 et 2 ne s’appliquent pas à la prestation de services qui sont strictement nécessaires pour garantir l’accès aux procédures judiciaires, administratives ou d’arbitrage dans un État membre, ou pour la reconnaissance ou l’exécution d’un jugement ou d’une sentence arbitrale rendu dans un État membre, à condition qu’une telle prestation de services soit compatible avec les objectifs du présent règlement et du [règlement no 269/2014]. »
La décision (PESC) 2022/1909
7 Les considérants 5 et 8 à 10 de la décision (PESC) 2022/1909 du Conseil, du 6 octobre 2022, modifiant la décision 2014/512/PESC concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine (JO 2022, L 259 I, p. 122), sont ainsi libellés :
« (5) Dans ses conclusions des 23 et 24 juin 2022, le Conseil européen a déclaré que les travaux sur les sanctions se poursuivraient, notamment pour renforcer leur mise en œuvre et empêcher qu’elles soient contournées.
[...]
(8) Le 30 septembre 2022, les membres du Conseil européen ont adopté une déclaration dans laquelle ils ont rejeté fermement et condamné sans équivoque l’annexion illégale, par la Russie, des régions ukrainiennes de Donetsk, de Kherson, de Louhansk et de Zaporijjia. [...] Les membres du Conseil européen ont affirmé qu’ils allaient renforcer les mesures restrictives de l’Union [européenne] en réponse aux actions illégales de la Russie et intensifier encore la pression exercée sur la Russie pour
qu’elle mette un terme à sa guerre d’agression.
(9) Compte tenu de la gravité de la situation, il convient d’instaurer de nouvelles mesures restrictives.
(10) En particulier, il convient d’étendre l’interdiction de participer à toute transaction avec certaines personnes morales, entités ou organismes détenus ou contrôlés par l’État russe en incluant l’interdiction faite aux ressortissants de l’Union d’occuper des postes au sein des organes directeurs de ces personnes morales, entités ou organismes. Il convient aussi d’ajouter à la liste des entités détenues ou contrôlées par l’État russe faisant l’objet de cette interdiction des transactions
l’entité “Russian Maritime Register of Shipping”, qui est détenue à 100 % par l’État et exerce des activités ayant trait à la classification et à l’inspection, y compris dans le domaine de la sûreté, des navires et engins russes et non russes. [...] »
Le règlement 2022/1904
8 Les considérants 2, 19 et 22 du règlement 2022/1904 énoncent :
« (2) Le règlement [no 833/2014] donne effet à certaines mesures prévues dans la décision [2014/512] [...].
[...]
(19) [...] la [décision 2022/1909] étend l’interdiction actuelle de fournir certains services à la Fédération de Russie en interdisant la fourniture de services d’architecture et d’ingénierie ainsi que de services de conseil informatique et de conseil juridique. [...] Les “services de conseil juridique” couvrent la fourniture de conseils juridiques aux clients en matière gracieuse, y compris les transactions commerciales, impliquant une application ou une interprétation du droit ; la participation
à des opérations commerciales, à des négociations et à d’autres transactions avec des tiers, avec des clients ou pour le compte de ceux-ci ; et la préparation, l’exécution et la vérification des documents juridiques. Les “services de conseil juridique” ne comprennent pas la représentation, les conseils, la préparation de documents ou la vérification des documents dans le cadre des services de représentation juridique, à savoir dans des affaires ou des procédures devant des organes
administratifs, des cours ou d’autres tribunaux officiels dûment constitués, ou dans des procédures d’arbitrage et de médiation.
[...]
(22) Il convient dès lors de modifier le règlement [no 833/2014] en conséquence ».
Le droit allemand
Le BGB
9 L’article 311b, paragraphe 1, première phrase, du Bürgerliches Gesetzbuch (code civil), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « BGB »), prévoit qu’un contrat de vente d’un bien immeuble doit être authentifié par un notaire.
10 Conformément à l’article 873, paragraphe 1, du BGB, le transfert de la propriété d’un bien immeuble nécessite l’accord des deux parties sur ce transfert et l’inscription de celui-ci au registre foncier.
11 Il ressort de l’article 925, paragraphe 1, du BGB qu’un tel accord doit, en principe, être déclaré devant un notaire.
12 Selon l’article 925a du BGB, le notaire ne peut recueillir l’accord sur le transfert de la propriété que si l’acte de vente lui est présenté.
La loi sur l’authentification des documents
13 Conformément à l’article 4 du Beurkundungsgesetz (loi sur l’authentification des documents), du 28 août 1969 (BGBl. 1969 I, p. 1513), tel que modifié par la loi du 15 juillet 2022 (BGBl. 2022 I, p. 1146), le notaire doit refuser l’authentification d’un acte lorsqu’elle n’est pas conciliable avec les devoirs liés à sa fonction, en particulier lorsqu’il est sollicité afin de concourir à des actes poursuivant manifestement un but illicite ou malhonnête.
14 En vertu de l’article 17, paragraphe 1, de la loi sur l’authentification des documents, telle que modifiée par la loi du 15 juillet 2022, le notaire a le devoir d’informer les parties sur la portée juridique de l’acte concerné.
La BNotO
15 Selon l’article 1er de la Bundesnotarordnung (code fédéral du notariat), du 24 février 1961 (BGBl. 1961 I, p. 97), telle que modifiée par la loi du 15 juillet 2022 (BGBl. 2022 I, p. 1146) (ci-après la « BNotO »), le notaire est nommé en qualité d’officier public indépendant chargé de l’authentification d’actes juridiques et d’autres tâches dans le domaine de l’administration préventive de la justice.
16 L’article 14 de la BNotO prévoit, à son paragraphe 1, que le notaire est non pas le représentant de l’une ou de l’autre partie, mais le conseiller indépendant et impartial de toutes les parties. Conformément à cet article 14, paragraphe 2, le notaire doit renoncer à exercer ses fonctions lorsque cela n’est pas conciliable avec les devoirs qui en découlent.
17 L’article 15 de la BNotO prévoit, à son paragraphe 1, que le notaire ne peut refuser de procéder à l’authentification d’un acte sans raison suffisante, et, à son paragraphe 2, qu’un recours est ouvert contre le refus du notaire d’authentifier un acte.
La loi relative à la tenue du registre foncier
18 Conformément à l’article 29, paragraphe 1, de la Grundbuchordnung (loi relative à la tenue du registre foncier), du 26 mai 1994 (BGBl. 1994 I, p. 1114), dans sa version applicable au litige au principal, l’inscription au registre foncier ne peut être effectuée que si les opérations juridiques nécessaires à l’inscription sont attestées par des documents officiels ou des actes authentiques.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
19 GM et ON, ressortissants allemands, s’apprêtaient à acquérir un appartement dans un immeuble en copropriété situé à Berlin. Cet appartement est inscrit au registre foncier de Berlin-Schöneberg (Allemagne), tenu par l’Amtsgericht Schöneberg (tribunal de district de Schöneberg, Allemagne). Conformément à ce registre, la propriétaire dudit appartement est, depuis l’année 2013, Visit-Moscow Ltd, société qui est immatriculée en Russie et a son siège à Moscou (Russie).
20 Aux fins de cette transaction, GM, ON et Visit-Moscow se sont adressés à PR, un notaire exerçant à Berlin, en lui demandant d’établir un contrat de vente sous la forme authentique, conformément à leurs indications relatives à la chose vendue, au prix de vente et aux autres stipulations contractuelles. Ils lui ont également demandé de faire exécuter ce contrat ainsi authentifié, ce qui requiert, notamment, de transcrire dans le registre foncier le transfert de la propriété de l’appartement en
cause à GM et à ON, d’obtenir la radiation des charges grevant cet appartement ainsi que de conserver les fonds de la vente sur un compte séquestre et de les reverser à Visit-Moscow.
21 Par une lettre du 15 décembre 2022, PR a informé GM, ON et Visit‑Moscow qu’il avait provisoirement refusé d’authentifier ledit contrat, au motif qu’il ne pouvait exclure que l’authentification de celui‑ci enfreigne l’interdiction, énoncée à l’article 5 quindecies, paragraphe 2, sous b), du règlement no 833/2014, de fournir des services de conseil juridique à des personnes morales établies en Russie.
22 PR n’a pas déféré à la demande de reconsidérer ce refus introduite par GM, ON et Visit-Moscow, formulée dans leur recours formé contre ledit refus, et il a, conformément aux règles applicables, transmis ce recours au Landgericht Berlin (tribunal régional de Berlin, Allemagne), la juridiction de renvoi.
23 En premier lieu, cette juridiction estime nécessaire de déterminer si l’authentification, par un notaire, d’un contrat de vente d’un bien immeuble enfreint l’interdiction prévue à l’article 5 quindecies, paragraphe 2, sous b), du règlement no 833/2014, lorsque le vendeur est une personne morale établie en Russie.
24 À cet égard, ladite juridiction observe, premièrement, que plusieurs considérations s’opposent à ce qu’une telle authentification relève de cette interdiction.
25 En particulier, un notaire ne fournirait pas un service, mais exercerait des fonctions officielles. Il aurait la qualité d’officier public indépendant chargé de l’authentification d’actes juridiques et d’autres tâches dans le domaine de l’administration préventive de la justice. Dans l’exercice de ses fonctions, le notaire serait non pas le représentant de l’une ou de l’autre partie, mais le conseiller indépendant et impartial de toutes les parties. Il s’acquitterait de missions de service public
que l’État lui a confiées et que l’État devrait, sans cette délégation, accomplir par l’intermédiaire de ses organes. Par conséquent, le notaire ne serait pas un prestataire de services fournissant ses services sur une base contractuelle régie par le droit civil, mais un officier public exerçant, à la demande des parties, des tâches, telles qu’informer les parties contractantes de manière impartiale sur la portée juridique de l’acte concerné, qui trouveraient leur fondement dans le droit public.
Les prérogatives de puissance publique que comporterait la fonction notariale se manifesteraient lorsque le notaire refuse d’authentifier un contrat pour un motif prévu par la loi.
26 Deuxièmement, même si les activités notariales devaient être qualifiées de « services », au sens de l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014, celles parmi ces activités qui sont nécessaires aux fins d’une inscription au registre foncier devraient être exemptées de l’interdiction de fournir des services de conseil juridique à des personnes morales établies en Russie en vertu de l’article 5 quindecies, paragraphe 6, de ce règlement, qui s’applique aux prestations de services
strictement nécessaires pour garantir l’accès aux procédures judiciaires, administratives ou d’arbitrage dans un État membre. En effet, en droit allemand, l’inscription au registre foncier serait constitutive de l’institution et de l’acquisition d’un droit sur un bien immeuble. La tenue du registre foncier, confiée à des sections spécifiques des tribunaux de district et régie par des règles relatives à la procédure judiciaire, serait une procédure judiciaire ou, tout au moins, une procédure
administrative, dans le cadre de laquelle les notaires joueraient un rôle central. Une demande d’inscription dans ce registre ne serait, en effet, valable que si l’opération juridique concernée est attestée par des documents officiels ou des actes authentiques. Cela signifierait que, en règle générale, l’intervention d’un notaire est nécessaire pour procéder à une inscription au registre foncier.
27 En outre, dès lors qu’il ne serait pas interdit aux personnes visées à l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014 de disposer de biens immeubles ou de les exploiter économiquement, il ne serait pas contraire à l’objectif poursuivi par cette disposition de continuer à permettre à ces personnes d’accéder à la procédure d’inscription au registre foncier.
28 Troisièmement, même si l’activité notariale devait être considérée comme impliquant un service de conseil juridique, relevant de l’interdiction figurant à cet article 5 quindecies, paragraphe 2, sans pouvoir être exemptée de cette interdiction au titre dudit article 5 quindecies, paragraphe 6, il existerait des indices importants selon lesquels ladite interdiction ne s’étend pas à la participation d’un notaire à l’établissement de contrats de vente de biens immeubles.
29 En effet, aux fins du transfert de la propriété d’un bien immeuble situé en Allemagne, la loi allemande exigerait, outre l’inscription de l’identité de l’acquéreur au registre foncier, l’accord des deux parties sur le transfert de propriété, lequel devrait être déclaré, en principe, devant un notaire. Un contrat de vente d’un bien immeuble devrait, quant à lui, être authentifié par un notaire. Par conséquent, dans l’hypothèse où l’interdiction prévue à l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du
règlement no 833/2014 s’appliquerait à l’authentification d’un contrat de vente d’un bien immeuble, les personnes morales établies en Russie seraient privées, en droit et en fait, de toute possibilité de disposer de leur patrimoine, étant donné que la participation d’un notaire est requise pour la cession d’un bien immobilier. Or, cela constituerait une atteinte grave au droit fondamental de propriété de ces personnes.
30 Cela étant, les services de la Commission européenne auraient publié un document intitulé « Provision of Services – Frequently asked questions concerning sanctions adopted following Russia’s military aggression against Ukraine and Belarus’ involvement in it » (« Fourniture de services – Questions fréquemment posées s’agissant des sanctions adoptées à la suite de l’agression militaire de la Russie contre l’Ukraine et de l’implication de la Biélorussie dans celle-ci »), dans sa version du
21 décembre 2022. Dans ce document, ces services auraient estimé que l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014 s’appliquait à l’activité notariale pour le compte des personnes morales établies en Russie. Bien que non contraignant, ledit document engendrerait un état d’incertitude quant à l’interprétation correcte de cette disposition.
31 En deuxième lieu, dans l’hypothèse où il serait considéré que l’authentification, par un notaire, d’un contrat de vente d’un bien immeuble appartenant à une personne morale établie en Russie n’enfreint pas l’interdiction prévue à l’article 5 quindecies, paragraphe 2, sous b), du règlement no 833/2014, la juridiction de renvoi se demande si les prestations fournies par un interprète, qui, selon la loi, doit assurer la traduction vers la langue allemande pour une partie ne maîtrisant pas cette
langue, lors de cette authentification enfreignent l’interdiction prévue à cette disposition lorsque ces prestations sont fournies aux représentants d’une telle personne morale.
32 En troisième et dernier lieu, dans l’hypothèse mentionnée au point précédent, cette juridiction éprouve des doutes sur le point de savoir si des tâches accessoires normalement accomplies par le notaire pour assurer l’exécution d’un tel contrat de vente après l’authentification de celui-ci enfreignent l’interdiction prévue à l’article 5 quindecies, paragraphe 2, sous b), du règlement no 833/2014, lorsque le vendeur est une personne morale établie en Russie.
33 Dans ces conditions, le Landgericht Berlin (tribunal régional de Berlin) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :
« 1) Un notaire allemand enfreint-il l’interdiction de fournir, directement ou indirectement, des services de conseil juridique à une personne morale établie en Russie lorsqu’il authentifie un contrat de vente d’un appartement conclu entre ladite personne, en qualité de venderesse, et un ressortissant d’un État membre de l’[Union] ?
2) Un interprète enfreint-il l’interdiction de fournir, directement ou indirectement, des services de conseil juridique lorsque, en vue de l’authentification du contrat de vente, il accepte que le notaire fasse appel à lui afin de traduire le contenu du processus d’authentification au représentant de la personne morale établie en Russie qui ne maîtrise pas suffisamment la langue allemande ?
3) Le notaire enfreint-il l’interdiction de fournir, directement ou indirectement, des services de conseil juridique lorsqu’il assume et accomplit les activités notariales prévues par la loi en vue de rendre exécutoire le contrat de vente (par exemple réalisation de l’opération de paiement du prix de vente via un compte séquestre géré par le notaire, demande de documents pour la [mainlevée] d’hypothèques et la radiation d’autres charges grevant l’objet de la vente, présentation des documents
nécessaires à la transcription du transfert de propriété auprès du service du registre foncier) ? »
Sur les questions préjudicielles
34 Par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5 quindecies, paragraphe 2, sous b), du règlement no 833/2014 doit être interprété en ce sens que,
– l’authentification, par un notaire d’un État membre, d’un contrat de vente d’un bien immeuble situé sur le territoire de cet État membre et appartenant à une personne morale établie en Russie ;
– les actes d’exécution d’un tel contrat authentifié accomplis par ce notaire aux fins de la radiation des charges grevant cet immeuble, du paiement du prix de la vente au vendeur et de la transcription du transfert de propriété au registre foncier ; et/ou
– les prestations de traduction fournies par un interprète lors d’une telle authentification afin d’assister le représentant de cette personne morale qui ne maîtrise pas la langue de la procédure d’authentification
relèvent de l’interdiction de fournir des services de conseil juridique à une telle personne morale, prévue à cette disposition.
35 En premier lieu, s’agissant de l’authentification, par un notaire d’un État membre, d’un contrat de vente d’un bien immeuble situé sur le territoire de cet État membre et appartenant à une personne morale établie en Russie, aux termes de l’article 5 quindecies, paragraphe 2, sous b), du règlement no 833/2014, « [i]l est interdit de fournir, directement ou indirectement, [...] des services de conseil juridique [...] à des personnes morales, des entités ou des organismes établis en Russie ».
36 Premièrement, en ce qui concerne, plus particulièrement, la notion de « services de conseil juridique » visée à cette disposition, elle n’est définie ni à ladite disposition ni à aucune autre disposition du règlement no 833/2014.
37 Ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, la détermination de la signification et de la portée des termes pour lesquels le droit de l’Union ne fournit aucune définition doit être établie conformément au sens habituel de ceux-ci dans le langage courant, tout en tenant compte du contexte dans lequel ils sont utilisés et des objectifs poursuivis par la réglementation dont ils font partie (voir, en ce sens, arrêt du 30 avril 2024, Trade Express-L et DEVNIA TSIMENT, C‑395/22 et C‑428/22,
EU:C:2024:374, point 65 ainsi que jurisprudence citée).
38 Or, selon leur sens habituel dans le langage courant, les termes « conseil juridique » désignent, de manière générale, un avis sur une question de droit. Les termes « conseil juridique », utilisés, à l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014, en association avec le terme « services », renvoient à l’exercice d’une activité à caractère économique, fondé sur une relation entre un prestataire et son client, ayant pour objet la fourniture d’avis juridiques, par laquelle un
prestataire fournit des avis sur des questions de droit à des personnes qui les sollicitent.
39 Cette acception des termes « services de conseil juridique » est confirmée par le considérant 19 du règlement 2022/1904, qui indique que ces services englobent « la fourniture de conseils juridiques aux clients en matière gracieuse, y compris les transactions commerciales, impliquant une application ou une interprétation du droit », « la participation à des opérations commerciales, à des négociations et à d’autres transactions avec des tiers, avec des clients ou pour le compte de ceux-ci » ainsi
que « la préparation, l’exécution et la vérification des documents juridiques ».
40 Les deux premiers types d’activités mentionnées à ce considérant se réfèrent en effet à une relation entre un prestataire et son « client » et évoquent le rôle de ce prestataire en ce qu’il assiste et conseille ce client, dans l’intérêt de ce dernier, quant aux aspects juridiques de ses transactions avec des tiers. Pour sa part, le troisième type d’activités mentionnées audit considérant, consistant en « la préparation, l’exécution et la vérification des documents juridiques », concerne des
activités accessoires à ces deux premiers types d’activités.
41 Or, les activités ainsi visées par la notion de « services de conseil juridique », au sens de l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014, se distinguent nettement de celles que les autorités publiques ou toute autre entité chargée, par l’État, de l’exercice, sous le contrôle de ces autorités, d’une mission d’intérêt général et qui a été dotée, à cet effet, de certains pouvoirs contraignants à l’égard des citoyens peuvent être amenées à accomplir. En effet, lesdites autorités
n’ont pas pour mission de fournir des services consistant à donner des avis sur des questions de droit à des personnes, afin de promouvoir ou de défendre les intérêts particuliers de ces personnes.
42 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que, en vertu du droit allemand, un contrat de vente d’un bien immeuble situé en Allemagne requiert obligatoirement l’intervention d’un notaire, en sa qualité d’officier public indépendant, pour conférer la qualité d’acte authentique à ce contrat. Par cette authentification, le notaire atteste la légalité dudit contrat par l’apposition sur ce dernier d’un sceau officiel aux armes du Land qui l’a nommé. Une telle intervention, qui se fait sur
demande des contractants, relève des missions de service public que l’État a confiées aux notaires et que l’État devrait, sans cette délégation, accomplir par l’intermédiaire de ses organes. Dans le cadre de l’exercice de cette mission, les notaires se voient conférer des pouvoirs contraignants, dès lors qu’ils peuvent refuser d’authentifier un tel contrat de vente pour un motif prévu par la loi.
43 En outre, ainsi que Mme l’avocate générale l’a également relevé aux points 43 et 44 de ses conclusions, l’intervention du notaire paraît se limiter à une authentification du contrat de vente concerné ou, le cas échéant, à un refus d’authentification de ce contrat afin de se conformer, en toute indépendance et impartialité, à une obligation légale lui incombant, sans fournir, outre cette authentification, des conseils juridiques destinés à promouvoir les intérêts spécifiques des parties.
44 Par conséquent, dans le cadre d’une telle authentification, le notaire paraît agir non pas dans le but de promouvoir les intérêts spécifiques de l’une, de l’autre ou des deux parties concernées, mais de manière impartiale, à égale distance par rapport à ces parties et à leurs intérêts respectifs, uniquement dans l’intérêt de la loi et de la sécurité juridique. Au vu des modalités spécifiques de la procédure d’authentification notariale des actes et des effets juridiques attachés aux actes
authentifiés dans l’ordre juridique allemand, mentionnées aux points 42 et 43 du présent arrêt, cette authentification n’apparaît pas correspondre aux activités visées au point 38 de cet arrêt.
45 Il s’ensuit que, ainsi que Mme l’avocate générale l’a souligné, en substance, aux points 35, 37 à 39, 41 à 43 et 47 de ses conclusions, et sous réserve d’une vérification par la juridiction de renvoi, une authentification, par un notaire, telle que celle visée aux points 42 et 43 du présent arrêt, d’un contrat de vente d’un bien immeuble appartenant à une personne morale établie en Russie, ne relève pas de la notion de « services de conseil juridique » visée à l’article 5 quindecies,
paragraphe 2, du règlement no 833/2014, et, par suite, du champ d’application de l’interdiction de fournir de tels services à une telle personne morale, prévue au point b) de cette disposition.
46 Deuxièmement, une telle interprétation littérale de l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014 est corroborée par le contexte normatif dans lequel s’inscrivent cette disposition et ce règlement.
47 En effet, ainsi que Mme l’avocate générale l’a souligné aux points 53 à 55 et 60 à 64 de ses conclusions, d’une part, l’article 5 bis bis, paragraphe 1, du règlement no 833/2014 prévoit une interdiction de participer directement ou indirectement à toute transaction avec des personnes morales qui remplissent certains critères, parmi lesquels figurent ceux d’être établies en Russie ou en dehors de l’Union, de figurer sur la liste des sociétés d’État russes prévue à l’annexe XIX de ce règlement,
d’être contrôlées ou détenues à plus de 50 % par l’État russe ou de présenter des liens étroits avec cet État ou avec des entités figurant à cette annexe. Cela étant, ni cette disposition ni aucune autre disposition de ce règlement ne prévoient une interdiction générale de participer à une transaction avec une personne morale du simple fait que celle-ci est établie en Russie ou une interdiction de cession de biens immeubles situés sur le territoire de l’Union et appartenant à une telle personne.
48 D’autre part, si le règlement no 269/2014 prévoit des mesures restrictives à l’égard des personnes responsables d’actions compromettant ou menaçant l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine, ainsi que des personnes et des entités qui leur sont associées, le gel des fonds et de ressources économiques ainsi que l’interdiction de la mise à disposition de fonds et de ressources économiques qu’il impose, à son article 2, ne s’appliquent qu’à certaines personnes physiques
ou morales, entités ou organismes limitativement énumérés à l’annexe I de ce règlement.
49 Or, si l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014 devait être interprété en ce sens que l’interdiction prévue à cette disposition s’applique à un acte d’authentification tel que celui en cause au principal, cela conduirait, ainsi que Mme l’avocate générale l’a souligné aux points 59 et 64 de ses conclusions, à des incohérences, d’une part, dans l’application de ce règlement et, d’autre part, entre ledit règlement et le règlement no 269/2014.
50 En effet, alors que les transactions portant sur des biens immeubles situés sur le territoire de l’Union et appartenant à des personnes morales établies en Russie restent autorisées en vertu du règlement no 833/2014, ces transactions pourraient se trouver, en pratique, entravées dans certains États membres, tels que la République fédérale d’Allemagne, dans lesquels l’authentification notariale du contrat de vente d’un bien immeuble constitue une condition essentielle pour l’aliénation d’un tel
bien, et ce indépendamment du point de savoir si ces personnes morales font, ou non, l’objet d’une interdiction de disposer de leurs avoirs conformément au règlement no 269/2014.
51 Or, une telle variabilité dans les effets de l’interdiction prévue à l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014 d’un État membre à l’autre, selon le système notarial applicable, n’a pas pu être voulue par le législateur de l’Union.
52 Troisièmement, contrairement à ce que les gouvernements estonien, néerlandais et polonais ont pu laisser entendre dans leurs observations écrites ou lors de l’audience, l’interprétation retenue au point 45 du présent arrêt n’est pas contraire à la finalité du règlement no 833/2014, ni à celle du règlement no 269/2014.
53 Tout d’abord, ainsi qu’il ressort du considérant 8 de la décision 2022/1909 et du considérant 2 du règlement no 833/2014, de nouvelles mesures restrictives, parmi lesquelles figure l’interdiction de fournir des services de conseil juridique, ont été introduites « en réponse aux actions illégales de la Russie », en vue d’« intensifier encore la pression exercée sur la Russie pour qu’elle mette un terme à sa guerre d’agression » ainsi que « dans le but d’accroître le coût des actions de la Russie
visant à compromettre l’intégrité territoriale, la souveraineté et l’indépendance de l’Ukraine et de promouvoir un règlement pacifique de la crise ». Cela étant, il ne ressort ni de cette décision ni de ce règlement ou du règlement 2022/1904 que, en instituant cette interdiction, le Conseil, auteur de ces actes, aurait entendu faire en sorte que, par suite de ladite interdiction, les personnes morales établies en Russie puissent se trouver, dans certains États membres, dans l’impossibilité de
disposer de leurs biens immeubles.
54 Ensuite, lors de l’audience, le Conseil a non seulement réfuté avoir eu l’intention d’imposer une interdiction pour les personnes morales établies en Russie d’aliéner leurs biens immeubles situés sur le territoire de l’Union, mais a précisé, en réponse à une question posée par la Cour, que l’objectif sous-tendant l’interdiction de fournir des services de conseil juridique, prévue à l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014, était de rendre plus difficile pour les personnes
morales russes opérant sur le territoire de l’Union la continuation de leurs activités commerciales sur ce territoire et, par ce biais, d’avoir un impact sur l’économie russe. Or, l’authentification notariale, telle que celle régie par le droit allemand, d’un contrat de vente d’un bien immeuble appartenant à une personne morale établie en Russie ne saurait être considérée comme étant contraire à cet objectif.
55 Enfin, dès lors que l’interdiction prévue à l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014 doit être comprise comme poursuivant l’objectif visé au considérant 5 de la décision 2022/1909 d’empêcher le contournement des sanctions adoptées, il convient de relever, à l’instar de Mme l’avocate générale au point 74 de ses conclusions, que, dans la mesure où les transactions commerciales avec des personnes morales établies en Russie ne font pas l’objet d’une interdiction générale en
vertu de ce règlement, il n’apparaît pas en quoi l’authentification notariale, telle que celle régie par le droit allemand, d’un contrat de vente d’un bien immeuble appartenant à une personne morale établie en Russie pourrait, a priori et de manière généralisée, contribuer à contourner les mesures restrictives adoptées.
56 Il résulte de l’ensemble des éléments qui précèdent qu’il n’apparaît pas que l’authentification, par un notaire allemand, d’un contrat de vente d’un bien immeuble situé en Allemagne appartenant à une personne morale établie en Russie relève du champ d’application de l’interdiction de fournir des services de conseil juridique, prévue à l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014.
57 En deuxième lieu, les doutes de la juridiction de renvoi portent sur la question de savoir si les tâches, prévues par la législation allemande, que le notaire accomplit pour assurer l’exécution d’un contrat de vente authentifié d’un bien immeuble situé en Allemagne appartenant à une personne morale établie en Russie, relèvent de cette interdiction.
58 Selon la décision de renvoi, ces tâches consistent notamment à conserver les fonds de la vente sur un compte séquestre et à les reverser au vendeur, à radier les charges grevant ce bien immeuble et à transcrire au registre foncier le transfert de la propriété de celui-ci.
59 Il appartiendra à la juridiction de renvoi d’apprécier, pour chacune desdites tâches, si elles impliquent la fourniture, par le notaire, d’un conseil juridique aux parties, au sens de l’interprétation de la notion de « services de conseil juridique » retenue au point 38 du présent arrêt.
60 À cet égard et sous réserve également de l’appréciation finale de la juridiction de renvoi, il n’apparaît pas que les tâches en question impliquent la fourniture, par le notaire, d’un quelconque conseil juridique aux parties au contrat de vente d’un bien immeuble.
61 En troisième et dernier lieu, les interrogations de la juridiction de renvoi portent sur les prestations de traduction fournies par un interprète lors de l’authentification d’un contrat de vente d’un bien immeuble situé en Allemagne appartenant à une personne morale établie en Russie, afin d’assister le représentant de cette personne morale qui ne maîtrise pas la langue de la procédure d’authentification.
62 Étant donné que la profession d’interprète n’est pas de nature juridique, les prestations de traduction fournies par un interprète lors de l’authentification d’un acte ne sauraient présenter un élément de « conseil juridique », tel que compris selon le sens habituel de ces termes évoqué au point 38 du présent arrêt, même lorsque la prestation de services concernée consiste à prêter assistance à un professionnel du droit agissant dans un domaine juridique. Par ailleurs, ainsi qu’il ressort du
point 56 du présent arrêt, il n’apparaît pas que l’authentification, par un notaire allemand, d’un acte de vente d’immeuble tel que celui en cause au principal relève du champ d’application de l’interdiction de fournir des services de conseil juridique, prévue à l’article 5 quindecies, paragraphe 2, du règlement no 833/2014. Il s’ensuit que, en fournissant des prestations de traduction dans le cadre du processus d’authentification notariale d’un tel acte, afin d’assister le représentant d’une
telle personne morale qui ne maîtrise pas la langue de la procédure d’authentification, l’interprète ne fournit pas des « services de conseil juridique », au sens de cette disposition, à cette personne morale. Partant, ces dernières prestations ne relèvent pas de l’interdiction prévue à ladite disposition.
63 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 5 quindecies, paragraphe 2, sous b), du règlement no 833/2014 doit être interprété en ce sens que,
– ni l’authentification, par un notaire d’un État membre, d’un contrat de vente d’un bien immeuble situé sur le territoire de cet État membre et appartenant à une personne morale établie en Russie,
– ni les actes d’exécution d’un tel contrat authentifié accomplis par ce notaire aux fins de la radiation des charges grevant cet immeuble, du paiement du prix de la vente au vendeur et de la transcription du transfert de propriété au registre foncier,
– ni les prestations de traduction fournies par un interprète lors d’une telle authentification afin d’assister le représentant de cette personne morale qui ne maîtrise pas la langue de la procédure d’authentification,
ne relèvent de l’interdiction de fournir des services de conseil juridique à une telle personne morale, prévue à cette disposition.
Sur les dépens
64 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.
Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :
L’article 5 quindecies, paragraphe 2, sous b), du règlement (UE) no 833/2014 du Conseil, du 31 juillet 2014, concernant des mesures restrictives eu égard aux actions de la Russie déstabilisant la situation en Ukraine, tel que modifié par le règlement (UE) 2022/1904 du Conseil, du 6 octobre 2022,
doit être interprété en ce sens que :
– ni l’authentification, par un notaire d’un État membre, d’un contrat de vente d’un bien immeuble situé sur le territoire de cet État membre et appartenant à une personne morale établie en Russie,
– ni les actes d’exécution d’un tel contrat authentifié accomplis par ce notaire aux fins de la radiation des charges grevant cet immeuble, du paiement du prix de la vente au vendeur et de la transcription du transfert de propriété au registre foncier,
– ni les prestations de traduction fournies par un interprète lors d’une telle authentification afin d’assister le représentant de cette personne morale qui ne maîtrise pas la langue de la procédure d’authentification,
ne relèvent de l’interdiction de fournir des services de conseil juridique à une telle personne morale, prévue à cette disposition.
Signatures
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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.
( i ) Le nom de la présente affaire est un nom fictif. Il ne correspond au nom réel d’aucune partie à la procédure.