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20/06/2024 | CJUE | N°C-801/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle contre Indo European Foods Ltd., 20/06/2024, C-801/21


 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

20 juin 2024 ( *1 )

« Pourvoi – Marque de l’Union européenne – Demande de marque de l’Union européenne figurative Abresham Super Basmati Selaa Grade One World’s Best Rice – Marque verbale antérieure non enregistrée du Royaume-Uni BASMATI – Règlement (CE) no 207/2009 – Article 8, paragraphe 4 – Règlement (UE) 2017/1001 – Article 72 – Motif relatif de refus – Opposition – Recours devant la chambre de recours – Rejet – Recours devant le Tribunal – Accord sur le retrait du Royaum

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Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomiq...

 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

20 juin 2024 ( *1 )

« Pourvoi – Marque de l’Union européenne – Demande de marque de l’Union européenne figurative Abresham Super Basmati Selaa Grade One World’s Best Rice – Marque verbale antérieure non enregistrée du Royaume-Uni BASMATI – Règlement (CE) no 207/2009 – Article 8, paragraphe 4 – Règlement (UE) 2017/1001 – Article 72 – Motif relatif de refus – Opposition – Recours devant la chambre de recours – Rejet – Recours devant le Tribunal – Accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du
Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique – Articles 126 et 127 – Période de transition – Conséquences de la fin de la période de transition sur la protection de la marque antérieure – Circonstances postérieures à l’adoption de la décision litigieuse – Persistance de l’objet du recours et de l’intérêt à agir »

Dans l’affaire C‑801/21 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 17 décembre 2021,

Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO), représenté par MM. D. Gaja, D. Hanf, E. Markakis et V. Ruzek, en qualité d’agents,

partie requérante,

soutenu par :

République fédérale d’Allemagne, représentée par MM. J. Heitz, M. Hellmann, D. Klebs et J. Möller, en qualité d’agents,

partie intervenante au pourvoi,

l’autre partie à la procédure étant :

Indo European Foods Ltd, établie à Harrow (Royaume-Uni), représentée par M. A. Norris, KC, et Mme N. Welch, solicitor,

partie demanderesse en première instance,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. E. Regan, président de chambre, MM. Z. Csehi, M. Ilešič, I. Jarukaitis et D. Gratsias (rapporteur), juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : Mme A. Lamote, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 14 septembre 2023,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 23 novembre 2023,

rend le présent

Arrêt

1 Par son pourvoi, l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 6 octobre 2021, Indo European Foods/EUIPO – Chakari (Abresham Super Basmati Selaa Grade One World’s Best Rice) (T‑342/20, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2021:651), par lequel celui-ci a, d’une part, annulé la décision de la quatrième chambre de recours de l’EUIPO, du 2 avril 2020 (affaire R 1079/2019–4) (ci-après la « décision
litigieuse »), relative à une procédure d’opposition entre Indo European Foods Ltd et M. Hamid Ahmad Chakari, et, d’autre part, rejeté le recours d’Indo European Foods pour le surplus.

Le cadre juridique

L’accord de retrait

2 Les premier, quatrième et huitième alinéas du préambule de l’accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique (JO 2020, L 29, p. 7, ci-après l’« accord de retrait »), conclu le 30 janvier 2020 et entré en vigueur le 1er février 2020, énoncent :

« Considérant que, le 29 mars 2017, le [Royaume-Uni], à la suite du résultat d’un référendum tenu au Royaume-Uni et de sa décision souveraine de quitter l’Union européenne, a notifié son intention de se retirer de l’[Union] [...] conformément à l’[a]rticle [50 TUE] [...],

[...]

Rappelant qu’en vertu de l’[a]rticle [50 TUE] [...] et sous réserve des modalités définies dans le présent accord, le droit de l’Union [...] dans son ensemble cesse d’être applicable au Royaume-Uni à partir de la date d’entrée en vigueur du présent accord,

[...]

Considérant qu’il est dans l’intérêt tant de l’Union que du Royaume-Uni de définir une période de transition ou de mise en œuvre au cours de laquelle [...] le droit de l’Union [...] devrait être applicable au Royaume-Uni et sur son territoire, avec, en règle générale, le même effet qu’en ce qui concerne les États membres, afin d’éviter les perturbations au cours de la période durant laquelle le ou les accords sur les relations futures seront négociés ».

3 L’article 1er de l’accord de retrait, intitulé « Objectif », dispose :

« Le présent accord fixe les modalités du retrait du [Royaume-Uni] de l’Union [...]. »

4 Aux termes de l’article 126 du même accord, intitulé « Période de transition » :

« Une période de transition ou de mise en œuvre est fixée, laquelle commence à la date d’entrée en vigueur du présent accord et se termine le 31 décembre 2020. »

5 L’article 127 de l’accord de retrait, intitulé « Portée des dispositions transitoires », dispose, à ses paragraphes 1, 3 et 6 :

« 1.   Sauf disposition contraire du présent accord, le droit de l’Union est applicable au Royaume-Uni et sur son territoire pendant la période de transition.

[...]

3.   Pendant la période de transition, le droit de l’Union applicable en vertu du paragraphe 1 produit à l’égard du Royaume-Uni et de son territoire les mêmes effets juridiques que ceux qu’il produit au sein de l’Union et de ses États membres, et est interprété et appliqué selon les mêmes méthodes et principes généraux que ceux applicables au sein de l’Union.

[...]

6.   Sauf disposition contraire du présent accord, pendant la période de transition, toute référence aux États membres dans le droit de l’Union applicable en vertu du paragraphe 1, y compris dans sa mise en œuvre et son application par les États membres, s’entend comme incluant le Royaume-Uni. »

Le règlement no 207/2009

6 Les considérants 3, 4 et 7 du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque communautaire (JO 2009, L 78, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) 2015/2424 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2015 (JO 2015, L 341, p. 21) (ci-après le « règlement no 207/2009 »), énoncent :

« (3) [...] [I]l apparaît nécessaire de prévoir un régime communautaire des marques conférant aux entreprises le droit d’acquérir, selon une procédure unique, des marques communautaires qui jouissent d’une protection uniforme et produisent leurs effets sur tout le territoire de la Communauté. Le principe du caractère unitaire de la marque communautaire ainsi exprimé devrait s’appliquer sauf disposition contraire du présent règlement.

(4) Le rapprochement des législations nationales est impuissant à lever l’obstacle de la territorialité des droits que les législations des États membres confèrent aux titulaires de marques. Afin de permettre aux entreprises d’exercer sans entraves une activité économique dans l’ensemble du marché intérieur, des marques régies par un droit communautaire unique, directement applicable dans tous les États membres, sont nécessaires.

[...]

(7) Le droit sur la marque communautaire ne peut s’acquérir que par l’enregistrement, et celui-ci est refusé notamment [...] si des droits antérieurs s’y opposent. »

7 L’article 1er, paragraphe 2, du règlement no 207/2009 dispose :

« La marque de l’Union européenne a un caractère unitaire. Elle produit les mêmes effets dans l’ensemble de l’Union : elle ne peut être enregistrée, transférée, faire l’objet d’une renonciation, d’une décision de déchéance des droits du titulaire ou de nullité, et son usage ne peut être interdit, que pour l’ensemble de l’Union. Ce principe s’applique sauf disposition contraire du présent règlement. »

8 L’article 8 dudit règlement, intitulé « Motifs relatifs de refus », prévoit, à son paragraphe 4 :

« Sur opposition du titulaire d’une marque non enregistrée ou d’un autre signe utilisé dans la vie des affaires dont la portée n’est pas seulement locale, la marque demandée est refusée à l’enregistrement, lorsque et dans la mesure où, selon la législation de l’Union ou le droit de l’État membre qui est applicable à ce signe :

a) des droits à ce signe ont été acquis avant la date de dépôt de la demande de marque de l’Union européenne ou, le cas échéant, avant la date de la priorité invoquée à l’appui de la demande de marque de l’Union européenne ;

b) ce signe donne à son titulaire le droit d’interdire l’utilisation d’une marque plus récente. »

Le règlement (UE) 2017/1001

9 Le règlement no 207/2009 a été abrogé et remplacé, avec effet au 1er octobre 2017, par le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p. 1).

10 L’article 1er, paragraphe 2, et l’article 8, paragraphe 4, de ce dernier règlement sont libellés dans les mêmes termes que, respectivement, l’article 1er, paragraphe 2, et l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009.

11 L’article 72 du règlement 2017/1001, intitulé « Recours devant la Cour de justice », prévoit :

« 1   Les décisions des chambres de recours statuant sur un recours sont susceptibles d’un recours devant le Tribunal.

2.   Le recours est ouvert pour incompétence, violation des formes substantielles, violation du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, violation du présent règlement ou de toute règle de droit relative à leur application, ou détournement de pouvoir.

3.   Le Tribunal a compétence aussi bien pour annuler que pour réformer la décision attaquée.

[...]

6.   L’[EUIPO] prend les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt du Tribunal ou, en cas de pourvoi contre cet arrêt, de celui de la Cour de justice. »

12 L’article 139 de ce règlement, intitulé « Requête en vue de l’engagement de la procédure nationale », énonce, à ses paragraphes 1 à 3 :

« 1.   Le demandeur ou le titulaire d’une marque de l’Union européenne peut requérir la transformation de sa demande ou de sa marque de l’Union européenne en demande de marque nationale :

a) dans la mesure où la demande de marque de l’Union européenne est rejetée, retirée ou réputée retirée ;

[...]

2.   La transformation n’a pas lieu :

[...]

b) en vue d’une protection dans un État membre où, selon la décision de l’[EUIPO] ou de la juridiction nationale, la demande ou la marque de l’Union européenne est frappée d’un motif de refus d’enregistrement, de révocation ou de nullité.

3.   La demande de marque nationale issue de la transformation d’une demande ou d’une marque de l’Union européenne bénéficie, dans l’État membre concerné, de la date de dépôt ou de la date de priorité de cette demande ou de cette marque [...] »

Les antécédents du litige

13 Les faits à l’origine du litige, tels qu’exposés aux points 1 à 12 de l’arrêt attaqué, peuvent être résumés comme suit.

14 Le 14 juin 2017, M. Chakari a présenté une demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne à l’EUIPO, laquelle a été publiée au Bulletin des marques de l’Union européenne no 169/2017, du 6 septembre 2017.

15 La marque demandée est le signe figuratif suivant :

Image

16 L’enregistrement a été demandé pour des produits à base de riz relevant des classes 30 et 31, au sens de l’arrangement de Nice concernant la classification internationale des produits et des services aux fins de l’enregistrement des marques, du 15 juin 1957, tel que révisé et modifié.

17 Le 13 octobre 2017, Indo European Foods a formé opposition à l’enregistrement de la marque demandée pour les produits visés au point précédent. L’opposition reposait sur la marque verbale antérieure non enregistrée du Royaume–Uni BASMATI, désignant du riz. Le motif invoqué à l’appui de l’opposition était celui visé à l’article 8, paragraphe 4, du règlement 2017/1001. Indo European Foods faisait valoir, en substance, qu’elle pouvait, en vertu du droit applicable au Royaume-Uni, empêcher l’usage de
la marque demandée, sur le fondement de la forme dite « extensive » de l’action en usurpation d’appellation (« action for passing off »).

18 Par décision du 5 avril 2019, la division d’opposition a rejeté l’opposition dans son intégralité, au motif que les éléments de preuve produits par Indo European Foods n’étaient pas suffisants pour établir, conformément à l’article 8, paragraphe 4, du règlement 2017/1001, que la marque antérieure concernée avait été utilisée dans la vie des affaires dont la portée n’était pas seulement locale avant la date pertinente et sur le territoire en cause.

19 Le 16 mai 2019, Indo European Foods a formé un recours auprès de l’EUIPO contre cette décision de la division d’opposition.

20 Par la décision litigieuse, la quatrième chambre de recours de l’EUIPO a rejeté ce recours comme étant non fondé au motif qu’Indo European Foods n’avait pas démontré que le nom « basmati » lui permettait d’interdire l’utilisation de la marque demandée au Royaume-Uni sur le fondement de la forme dite « extensive » de l’usurpation d’appellation.

La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

21 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 2 juin 2020, Indo European Foods a introduit un recours tendant à l’annulation et à la réformation de la décision litigieuse.

22 À l’appui de son recours, la requérante a invoqué un moyen unique, tiré de la violation de l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009.

23 Dans son mémoire en réponse, l’EUIPO a, notamment, soutenu que, dans la mesure où l’opposition à l’enregistrement de la marque demandée était fondée sur une marque antérieure non enregistrée du Royaume-Uni, la protection conférée à celle-ci par le droit du Royaume-Uni restait pertinente pendant la période de transition prévue aux articles 126 et 127 de l’accord de retrait (ci-après la « période de transition ») mais que, à l’expiration de cette période, la procédure d’opposition et le recours
devant le Tribunal seraient privés de leur objet. Par ailleurs, il a fait valoir que, puisque l’annulation de la décision litigieuse ne pourrait plus procurer aucun bénéfice à la demanderesse en première instance, celle-ci n’aurait plus d’intérêt à agir dans la procédure devant le Tribunal.

24 En premier lieu, aux points 15 à 23 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a examiné l’argumentation de l’EUIPO relative à l’objet de la procédure d’opposition et du recours.

25 Après avoir rappelé, au point 16 dudit arrêt, que la période de transition allait du 1er février au 31 décembre 2020, il a relevé, au point 17 de celui-ci, que l’objet du litige était, en l’occurrence, la décision litigieuse, dans laquelle la chambre de recours s’était prononcée sur l’existence du motif d’opposition invoqué par la demanderesse en première instance. Par ailleurs, à ce même point 17, le Tribunal a, à la lumière de sa jurisprudence, considéré que l’existence d’un motif relatif
d’opposition devait s’apprécier, au plus tard, au moment où l’EUIPO statue sur l’opposition. En effet, il a relevé que, si, dans un arrêt récent, il avait jugé que la marque antérieure servant de base à l’opposition devait être valide non seulement au moment de la publication de la demande d’enregistrement de la marque demandée, mais également au moment où l’EUIPO statue sur l’opposition, il existait une certaine ligne de jurisprudence contraire selon laquelle, afin d’apprécier l’existence d’un
motif relatif d’opposition, il convenait de se placer au moment du dépôt de la demande d’enregistrement de marque de l’Union européenne contre laquelle avait été formée opposition en s’appuyant sur une marque antérieure.

26 Ainsi, il a considéré, au point 18 de l’arrêt attaqué, qu’il n’y avait pas lieu de trancher cette question en l’espèce, étant donné que la décision litigieuse était intervenue durant la période de transition, c’est-à-dire à une date à laquelle, en l’absence de dispositions contraires de l’accord de retrait, le règlement 2017/1001 continuait de s’appliquer aux marques antérieures non enregistrées du Royaume-Uni utilisées dans la vie des affaires, et que, partant, la marque antérieure concernée
continuait de bénéficier de la même protection que celle dont elle aurait bénéficié en l’absence du retrait du Royaume-Uni de l’Union.

27 Ensuite, au point 19 de cet arrêt, le Tribunal a jugé que, en tout état de cause, considérer que l’objet du litige disparaît lorsque survient, en cours d’instance, un événement, tel que l’éventuel retrait de l’État membre concerné de l’Union, à la suite duquel une marque antérieure pourrait perdre le statut de marque non enregistrée ou d’autre signe utilisé dans la vie des affaires dont la portée n’est pas seulement locale, reviendrait à prendre en compte des motifs apparus postérieurement à
l’adoption de la décision contestée qui n’ont pas vocation à affecter le bien-fondé de celle-ci. Or, le Tribunal a précisé qu’il devait, en principe, pour apprécier la légalité des décisions des chambres de recours de l’EUIPO, se placer à la date de ces décisions.

28 Enfin, au point 20 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a déduit des considérations rappelées aux points 25 à 27 du présent arrêt que, indépendamment du moment décisif auquel il était choisi de se référer, à savoir le moment du dépôt de la demande de marque ou celui de la décision de la chambre de recours, la marque antérieure invoquée à l’appui de l’opposition était susceptible de fonder celle-ci. Aux points 21 et 22 de l’arrêt attaqué, il en a outre considéré que cette conclusion n’était pas remise
en cause par les arrêts du 14 février 2019, Beko/EUIPO – Acer (ALTUS) (T‑162/18, EU:T:2019:87), et du 2 juin 2021, Style & Taste/EUIPO – The Polo/Lauren Company (Représentation d’un joueur de polo) (T‑169/19, EU:T:2021:318). Au point 23 de l’arrêt attaqué, il a conclu que le retrait du Royaume-Uni de l’Union n’avait pas entraîné la perte de l’objet du litige.

29 En second lieu, aux points 24 à 28 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté l’argumentation de l’EUIPO relative à la disparition alléguée de l’intérêt à agir d’Indo European Foods.

30 À cet égard, tout d’abord, au point 25 de l’arrêt attaqué, il a rappelé la jurisprudence constante selon laquelle l’intérêt à agir doit, au vu de l’objet du recours, exister au stade de l’introduction de celui-ci et perdurer jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle sous peine de non-lieu à statuer, ce qui suppose que le recours soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a introduit, et a indiqué que, si cet intérêt à agir disparaît au cours de la
procédure, une décision du Tribunal sur le fond ne saurait procurer aucun bénéfice à la partie requérante en cause.

31 Ensuite, au point 26 de cet arrêt, le Tribunal a écarté l’argument de l’EUIPO, selon lequel l’absence d’intérêt à agir de la demanderesse en première instance résultait du fait que le demandeur de la marque de l’Union européenne en cause serait en mesure de transformer sa demande en demandes de marques nationales dans tous les États membres de l’Union, au motif que cette considération valait, en principe, pour toute procédure d’opposition.

32 Enfin, au point 27 dudit arrêt, le Tribunal a estimé que l’argument de l’EUIPO, selon lequel la chambre de recours devant laquelle le litige serait renvoyé si le Tribunal annulait la décision litigieuse serait contrainte de rejeter le recours faute de marque antérieure protégée par le droit d’un État membre, partait de la prémisse erronée que la chambre de recours devrait se placer, pour l’appréciation des faits, au moment de sa nouvelle décision. En effet, selon le Tribunal, dans cette
situation, il appartiendrait à cette dernière de statuer sur le même recours en fonction de la situation qui se présentait au moment de l’introduction de celui-ci devant elle, ce dernier redevenant pendant au même stade auquel il se trouvait avant la décision litigieuse. Le Tribunal a, par conséquent, considéré que la jurisprudence citée par l’EUIPO à l’appui de son raisonnement était dénuée de pertinence et ne faisait que confirmer que, en tout état de cause, il ne pouvait être exigé que la
marque sur laquelle se fonde l’opposition continue d’exister postérieurement à la décision de la chambre de recours.

33 Au point 28 du même arrêt, le Tribunal a conclu que l’affaire n’avait pas perdu son objet et que l’intérêt à agir d’Indo European Foods perdurait. En conséquence, il a examiné, aux points 31 à 72 de l’arrêt attaqué, la demande en annulation de la décision litigieuse et le moyen unique au soutien de cette demande. Il a considéré que ce moyen était fondé et qu’il y avait donc lieu d’annuler cette décision. En revanche, après avoir examiné, aux points 73 à 79 de cet arrêt, sa demande tendant à ce
qu’il soit fait droit à l’opposition, le Tribunal a conclu que les conditions pour l’exercice de son pouvoir de réformation n’étaient pas réunies et a rejeté cette demande.

34 Sur la base de ces considérations, le Tribunal a, d’une part, annulé la décision litigieuse et, d’autre part, rejeté le recours pour le surplus.

La procédure et les conclusions des parties devant la Cour

35 Par un acte déposé à la même date que le présent pourvoi, l’EUIPO a demandé, au titre de l’article 170 bis, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, que son pourvoi soit admis, conformément à l’article 58 bis, troisième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

36 Par ordonnance du 7 avril 2022, EUIPO/Indo European Foods (C‑801/21 P, EU:C:2022:295), le pourvoi a été admis.

37 Par décision du président de la Cour du 16 juin 2022, la République fédérale d’Allemagne a été admise à intervenir au soutien des conclusions de l’EUIPO.

38 Par ordonnance du président de la Cour du 16 décembre 2022, EUIPO/Indo European Foods (C‑801/21 P, EU:C:2022:1049), la demande d’intervention de Walsall Conduits Ltd au soutien des conclusions de la demanderesse en première instance a été rejetée.

39 Par son pourvoi, l’EUIPO, soutenu par la République fédérale d’Allemagne, demande à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué ;

– de déclarer qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours formé par la demanderesse en première instance contre la décision litigieuse ;

– de condamner la demanderesse en première instance aux dépens de la présente procédure et de la procédure devant le Tribunal.

40 Indo European Foods demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi et

– de condamner l’EUIPO aux dépens de la présente procédure.

Sur le pourvoi

41 À l’appui de son pourvoi, l’EUIPO soulève un moyen unique, tiré de la violation de l’exigence de la persistance de l’intérêt à agir de la partie requérante. Ce moyen est articulé en trois branches, la première tirée d’une erreur de droit, en ce que le Tribunal aurait confondu l’appréciation de la persistance de l’intérêt à agir avec le contrôle de légalité de l’acte litigieux, la deuxième, d’une erreur de droit et d’une insuffisance de motivation, en ce que le Tribunal n’aurait pas apprécié, in
concreto, la persistance de l’intérêt à agir d’Indo European Foods au regard des spécificités du droit des marques de l’Union européenne, et, la troisième, d’une violation de l’article 72, paragraphe 6, du règlement 2017/1001, en ce que le Tribunal aurait imposé à l’EUIPO de ne pas tenir compte des effets juridiques de la fin de la période de transition prévue par l’accord de retrait.

Sur la recevabilité

42 Indo European Foods conteste la recevabilité du pourvoi pour deux motifs. D’une part, l’EUIPO ferait valoir, dans son pourvoi, une argumentation nouvelle qu’il n’avait pas présentée devant le Tribunal. En particulier, l’EUIPO aurait modifié l’argumentation qu’il avait initialement présentée devant le Tribunal en faisant valoir pour la première fois devant la Cour qu’il existerait, s’agissant de la question de la persistance de l’objet du litige, des courants jurisprudentiels divergents au sein du
Tribunal. D’autre part, le constat effectué par le Tribunal selon lequel le recours devant lui n’a pas perdu son objet se rapporterait à des éléments de fait.

43 En premier lieu, il convient de rappeler que, si, certes, la compétence de la Cour, dans le cadre de l’examen d’un pourvoi est limitée à l’appréciation en droit de la solution qui a été donnée aux moyens et aux arguments débattus devant les premiers juges, un requérant est, toutefois, recevable à former un pourvoi en faisant valoir, devant la Cour, des moyens et des arguments nés de l’arrêt contesté lui-même et qui visent à en critiquer, en droit, le bien-fondé (voir, en ce sens, arrêt du
2 février 2023, Espagne e.a./Commission, C‑649/20 P, C‑658/20 P et C‑662/20 P, EU:C:2023:60, points 29 et 30 ainsi que jurisprudence citée).

44 Or, en l’occurrence, l’EUIPO fait valoir que le Tribunal a commis des erreurs de droit en constatant, dans l’arrêt attaqué, que le recours d’Indo European Foods n’avait pas perdu son objet et que cette partie avait conservé son intérêt à obtenir l’annulation de la décision litigieuse nonobstant la fin de la période de transition intervenue au cours de l’instance devant le Tribunal, lequel se serait, à cet égard, appuyé sur un courant de jurisprudence qui ne serait pas conforme à la jurisprudence
de la Cour relative à l’exigence d’une appréciation in concreto de la persistance de l’intérêt à agir.

45 Ce pourvoi met donc en cause le bien-fondé en droit de l’appréciation de la persistance de l’objet du litige porté devant le Tribunal et de l’intérêt à agir de la partie demanderesse en première instance qui a été effectuée par le Tribunal dans l’arrêt attaqué, la question du non-lieu à statuer en raison de l’absence d’une telle persistance devant, en toute hypothèse, être examinée d’office par celui-ci (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2018, Bank Mellat/Conseil, C‑430/16 P, EU:C:2018:668,
point 49 et jurisprudence citée).

46 Le premier motif d’irrecevabilité invoqué par Indo European Foods doit donc être écarté.

47 En second lieu, il suffit de rappeler que, si l’appréciation des faits ne constitue pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi, celle-ci est, en revanche, compétente pour exercer, en vertu de l’article 256 TFUE, un contrôle sur la qualification juridique de ces faits et les conséquences de droit qui en ont été tirées par le Tribunal (voir, en ce sens, arrêts du 24 mars 2022, PJ et PC/EUIPO,
C‑529/18 P et C‑531/18 P, EU:C:2022:218, point 55 ainsi que jurisprudence citée, et du 22 juin 2023, Gmina Miasto Gdynia et Port Lotniczy Gdynia-Kosakowo/Commission, C‑163/22 P, EU:C:2023:515, points 79 et 99).

48 Or, en l’occurrence, l’EUIPO conteste non pas l’appréciation des faits opérée par le Tribunal aux points 17 à 28 de l’arrêt attaqué, mais leur qualification juridique par celui-ci et les conséquences juridiques qu’il en a tirées, à savoir que l’objet du recours et l’intérêt à agir d’Indo European Foods avaient perduré. Le second motif d’irrecevabilité invoqué par Indo European Foods doit donc également être écarté.

49 Il s’ensuit que le pourvoi est recevable.

Sur le fond

50 À titre liminaire, il convient de rappeler que la demande d’enregistrement de la marque en cause a été déposée le 14 juin 2017, mais que l’opposition à l’enregistrement de cette marque a été formée le 13 octobre 2017. Par conséquent, le présent litige est régi, d’une part, par les dispositions matérielles du règlement no 207/2009, en vigueur à la date du 14 juin 2017, et, d’autre part, par les dispositions procédurales du règlement 2017/1001 (voir, par analogie, arrêt du 8 mai 2014, Bimbo/OHMI,
C‑591/12 P, EU:C:2014:305, point 12 et jurisprudence citée).

Sur la première branche, tirée d’une prétendue confusion entre, d’une part, l’appréciation de la persistance de l’intérêt à agir et, d’autre part, le contrôle de légalité de l’acte litigieux

– Argumentation des parties

51 L’EUIPO, soutenu par la République fédérale d’Allemagne, fait valoir que, aux points 17 à 23 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé à tort que l’objet du recours persistait au seul motif que la fin de la période de transition n’était pas susceptible d’affecter la légalité de la décision litigieuse à la date à laquelle celle-ci avait été adoptée.

52 D’une part, il résulterait de la jurisprudence de la Cour que l’appréciation de l’exigence de la persistance de l’objet du recours et de l’intérêt à agir est préalable et distincte de celle qui doit être effectuée dans le cadre du contrôle de légalité de l’acte litigieux. En effet, l’appréciation de cette exigence impliquerait de prendre en considération les éventuelles conséquences d’une annulation de cet acte sur la situation juridique de la partie requérante tandis que le contrôle de légalité
nécessiterait de tenir compte du contexte factuel et juridique du litige tel qu’il se présentait lors de l’adoption dudit acte.

53 Ainsi, l’EUIPO soutient, en substance, que, en tirant des conclusions définitives concernant la persistance de l’objet du litige du seul fait qu’un événement n’est pas de nature à affecter la légalité de l’acte contesté, le Tribunal a commis une erreur de droit.

54 L’EUIPO ajoute que le fait de considérer qu’un recours conserve nécessairement un objet en cas de disparition du droit antérieur après l’adoption de la décision contestée prive l’exigence de la persistance d’un intérêt à agir d’une grande partie de son effectivité, dès lors que, dans cette hypothèse, cette exigence serait pertinente uniquement dans les situations dans lesquelles la décision contestée est devenue caduque en raison de la disparition dudit droit antérieur avant l’adoption de cette
décision. Une telle considération serait également en contradiction avec la jurisprudence de la Cour, selon laquelle il serait nécessaire d’examiner in concreto l’intérêt personnel réel des parties à agir.

55 D’autre part, l’EUIPO affirme que la conclusion énoncée au point 19 de l’arrêt attaqué repose sur une interprétation erronée de l’arrêt du 8 octobre 2014, Fuchs/OHMI – Les Complices (Étoile dans un cercle) (T‑342/12, EU:T:2014:858). Dans ce dernier arrêt, le Tribunal aurait examiné l’intérêt né et actuel de la partie requérante en se prononçant sur le bénéfice qu’elle aurait pu obtenir de l’annulation de la décision en cause dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, par rapport à une décision
de non-lieu à statuer, dans un contexte où l’opposition avait été accueillie. Ainsi, selon l’EUIPO, ledit arrêt confirmerait plutôt l’obligation du Tribunal de procéder à une appréciation in concreto du bénéfice que l’annulation de la décision contestée serait susceptible de procurer à la partie requérante.

56 Indo European Foods conteste le bien-fondé de cette argumentation.

– Appréciation de la Cour

57 En premier lieu, il convient de relever que, par la première branche de son moyen unique, l’EUIPO fait valoir, en substance, que, aux points 17 à 23 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a confondu la question de la persistance de l’intérêt à agir avec la date à laquelle la légalité d’une décision contestée doit être appréciée. Or, cette argumentation repose sur une lecture erronée de cet arrêt. En effet, ainsi qu’il ressort des points 24 à 28 du présent arrêt, le Tribunal s’est, à ces points, limité à
examiner la question de la persistance de l’objet du litige au regard de la fin de la période de transition qui était intervenue au cours de l’instance devant lui. Par conséquent, il ne saurait avoir, à ces points, commis la confusion qui lui est reprochée par l’EUIPO. Cette argumentation doit, par suite, être écartée comme étant non fondée.

58 En second lieu, pour autant que, par cette première branche du moyen unique, l’EUIPO entende reprocher au Tribunal d’avoir, à tort, considéré, aux points 17 à 23 de l’arrêt attaqué, qu’un recours conserve nécessairement un objet en cas de disparition du droit antérieur après l’adoption de la décision contestée, il importe de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, l’objet du litige doit perdurer, de même que l’intérêt à agir, jusqu’au prononcé de la décision juridictionnelle,
sous peine de non-lieu à statuer, ce qui suppose que le recours ou, le cas échéant, le pourvoi soit susceptible, par son résultat, de procurer un bénéfice à la partie qui l’a intenté (voir, en ce sens, arrêt du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission, C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 43 et jurisprudence citée, ainsi que ordonnance du 30 avril 2020, Chypre/EUIPO, C‑608/18 P, C‑609/18 P et C‑767/18 P, EU:C:2020:347, points 27 et 28 ainsi que jurisprudence citée).

59 En outre, il convient de relever que la Cour a itérativement jugé que, dès lors qu’une décision faisant l’objet d’un recours en annulation devant le Tribunal n’avait pas été formellement retirée, ce dernier était fondé à constater que le litige conservait son objet (voir, en ce sens, arrêts du 7 juin 2007, Wunenburger/Commission, C‑362/05 P, EU:C:2007:322, points 48 et 49 ; du 4 septembre 2018, ClientEarth/Commission, C‑57/16 P, EU:C:2018:660, point 45, ainsi que du 21 janvier 2021,
Leino-Sandberg/Parlement, C‑761/18 P, EU:C:2021:52, point 33). Enfin, toujours selon la jurisprudence, un tel constat n’est pas remis en cause par la caducité de la décision contestée, survenue après l’introduction du recours (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2007, Wunenburger/Commission, C‑362/05 P, EU:C:2007:322, point 47).

60 En l’occurrence, il ressort des points 17 à 23 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a considéré que le recours d’Indo European Foods n’avait pas perdu son objet en se fondant, notamment, sur le constat que l’objet du litige était la décision litigieuse, adoptée le 2 avril 2020, dans laquelle cette chambre s’est prononcée sur l’existence du motif d’opposition invoqué par Indo European Foods, et que cette décision était intervenue avant la fin de la période de transition.

61 Or, l’EUIPO ne conteste pas que, ainsi qu’il se déduit des points 17 à 23 de l’arrêt attaqué, à la date à laquelle le Tribunal a statué, la décision litigieuse n’avait pas été formellement retirée. En outre, l’EUIPO ne soutient nullement que la fin de la période de transition a eu pour effet de faire disparaître rétroactivement cette décision.

62 Il s’ensuit que, en tant qu’elle vise l’examen, par le Tribunal, de la persistance de l’objet du litige, l’argumentation de l’EUIPO est également dépourvue de fondement, de sorte que la première branche du moyen unique doit, dans son ensemble, être écartée comme étant non fondée.

Sur la deuxième branche, tirée d’un prétendu défaut d’appréciation in concreto de la persistance de l’intérêt à agir de la demanderesse en première instance

– Argumentation des parties

63 Par la deuxième branche de son moyen unique, l’EUIPO, soutenu, en substance, par la République fédérale d’Allemagne, fait grief au Tribunal de ne pas avoir apprécié in concreto la persistance de l’intérêt à agir d’Indo European Foods.

64 À cet égard, l’EUIPO reproche au Tribunal d’avoir considéré que la question décisive en l’espèce était celle de savoir si, au moment du dépôt de la demande de marque contestée ou de la décision litigieuse, la marque antérieure était susceptible de fonder l’opposition, alors que cette considération ne permettrait pas de répondre à la question de savoir si, malgré les conséquences juridiques qui s’attachent à la fin de la période de transition, l’enregistrement de la marque demandée était encore
susceptible de porter atteinte aux intérêts juridiques d’Indo European Foods tels que protégés par le règlement 2017/1001 et si, partant, son intérêt à agir persistait.

65 Ainsi, d’une part, le Tribunal aurait omis de prendre en compte, dans le cadre de l’appréciation de la persistance de l’intérêt à agir de la demanderesse en première instance, la nature spécifique de la procédure d’opposition ainsi que la fonction essentielle de la marque.

66 En effet, il ressortirait de la jurisprudence du Tribunal qu’une procédure d’opposition a essentiellement pour but d’assurer qu’une marque antérieure puisse conserver sa fonction d’identification d’origine, en prévoyant la possibilité de refuser l’enregistrement d’une nouvelle marque qui entrerait en conflit avec cette marque antérieure en raison d’un risque de confusion. Or, aucun conflit ne pourrait survenir entre une demande de marque de l’Union européenne et une marque antérieure qui avait
disparu pendant la procédure d’opposition, étant donné que la marque demandée ne pourrait être enregistrée qu’après la fin de la procédure d’opposition.

67 D’autre part, le Tribunal aurait omis de tenir compte du principe de territorialité de la marque de l’Union européenne ainsi que du caractère unitaire de celle-ci.

68 À cet égard, l’EUIPO fait valoir que, en raison de l’effet suspensif du recours introduit devant le Tribunal, la décision litigieuse n’a pu être mise en œuvre avant la fin de la période de transition, de sorte que la marque demandée ne sera pas protégée sur le territoire du Royaume-Uni, même si elle est finalement enregistrée. Quant à la marque antérieure concernée, elle continuerait de bénéficier d’une protection totale au Royaume-Uni, sans courir le risque d’une atteinte en raison de
l’enregistrement ou de l’usage de la marque demandée sur le territoire de l’Union.

69 Le recours de première instance aurait déjà procuré à Indo European Foods un bénéfice concret en empêchant l’exécution de la décision litigieuse avant la fin de la période de transition, de sorte que l’objectif de la procédure d’opposition en cause, à savoir empêcher un conflit avec la marque demandée sur le territoire du Royaume-Uni, aurait déjà été atteint. Les intérêts juridiques de cette partie, tels que protégés par le règlement 2017/1001, ne pourraient donc plus être affectés par une
décision sur le fond, quelle que soit son issue.

70 Cette position serait confirmée par l’économie générale du règlement 2017/1001. En effet, selon l’EUIPO, même dans l’hypothèse où le recours serait accueilli, l’autre partie pourrait, en tout état de cause, compte tenu de l’article 139 du règlement 2017/1001, transformer sa demande en demandes de marques nationales dans tous les États membres de l’Union à compter du 1er janvier 2021, en conservant la priorité de la demande initiale, et ainsi obtenir la protection de la marque demandée sur le même
territoire que si l’opposition formée contre ladite demande était rejetée. Or, au point 26 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait omis de prendre en compte cet aspect spécifique de l’affaire en rejetant ces considérations au seul motif qu’elles vaudraient, en principe, pour toute procédure d’opposition.

71 À la lumière de ces éléments, l’EUIPO soutient que les points 24 à 26 de l’arrêt attaqué sont entachés de trois erreurs de droit. Premièrement, le Tribunal aurait violé les règles régissant la répartition de la charge de la preuve en ce qui concerne l’exigence de la persistance d’un intérêt à agir. En effet, il se serait contenté de rejeter l’argumentation de l’EUIPO, au lieu d’examiner les arguments d’Indo European Foods selon lesquels elle conservait un intérêt à agir.

72 Deuxièmement, en fondant son appréciation sur le point de savoir si, de manière abstraite, le droit antérieur était, à un moment donné, susceptible de constituer le fondement de l’opposition, le Tribunal aurait omis de procéder à une appréciation in concreto de la persistance de l’intérêt à agir à la lumière des éléments rappelés aux points 65 à 70 du présent arrêt.

73 Troisièmement, l’arrêt attaqué, en particulier son point 26, ne permettrait pas de comprendre pourquoi le Tribunal a rejeté l’argumentation de l’EUIPO relative à l’absence de persistance d’un intérêt à agir d’Indo European Foods, ce qui constituerait une violation de l’obligation de motivation.

74 Indo European Foods conteste le bien-fondé de cette argumentation.

– Appréciation de la Cour

75 S’agissant, en premier lieu, de la prétendue violation des règles régissant la répartition de la charge de la preuve relative à la persistance de l’intérêt à agir, il suffit de relever que, certes, le Tribunal a formellement lié son raisonnement relatif au maintien de l’intérêt à agir d’Indo European Foods à l’examen des arguments exposés par l’EUIPO. Toutefois, il peut être déduit du raisonnement exposé par le Tribunal aux points 24 à 28 de l’arrêt attaqué que, indépendamment de la pertinence
des arguments exposés par l’EUIPO, le Tribunal a dûment vérifié qu’Indo European Foods disposait bien d’un intérêt à agir et constaté que tel était le cas.

76 En outre, il résulte d’une jurisprudence constante de la Cour que le Tribunal est fondé à soulever d’office et à tout moment de la procédure le défaut d’intérêt d’une partie à maintenir sa demande, en raison de la survenance d’un fait intervenu postérieurement à la date de l’acte introductif d’instance (voir, en ce sens, arrêt du 18 octobre 2018, Gul Ahmed Textile Mills/Conseil, C‑100/17 P, EU:C:2018:842, point 38 ainsi que jurisprudence citée), le non-respect de cette condition de recevabilité
étant une fin de non-recevoir d’ordre public (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2018, Bank Mellat/Conseil, C‑430/16 P, EU:C:2018:668, point 49 et jurisprudence citée). De plus, tout en ne devant statuer que sur la demande des parties, auxquelles il appartient de délimiter le cadre du litige, le juge de l’Union ne saurait nécessairement être tenu par les seuls arguments invoqués par les parties au soutien de leurs prétentions, sauf à se voir contraint, le cas échéant, de fonder sa décision
sur des considérations juridiques erronées (voir, en ce sens, arrêt du 20 janvier 2021, Commission/Printeos, C‑301/19 P, EU:C:2021:39, point 58 et jurisprudence citée).

77 Au vu de ces éléments, ce premier volet de la présente branche doit être écarté comme étant non fondé.

78 S’agissant, en deuxième lieu, de l’argumentation selon laquelle le Tribunal aurait omis, aux points 24 à 27 de l’arrêt attaqué, de prendre en compte, dans le cadre de l’appréciation de la persistance de l’intérêt à agir d’Indo European Foods, la nature spécifique de la procédure d’opposition, la fonction essentielle de la marque, le principe de territorialité ainsi que le caractère unitaire de la marque de l’Union européenne, il convient de relever que celle-ci est fondée sur la prémisse que,
s’agissant d’un recours dirigé contre une décision d’une chambre de recours rejetant une opposition, le maintien d’un intérêt à agir devant le Tribunal doit être apprécié au regard des seuls intérêts juridiques protégés par le règlement sur la marque de l’Union européenne applicable et dépend ainsi du seul point de savoir si un risque de conflit peut encore survenir lorsque le Tribunal statue.

79 Or, cette prémisse, qui supposerait de limiter d’emblée les éléments pouvant être pris en considération par le Tribunal afin d’apprécier la persistance de l’intérêt à agir d’un requérant formant un recours au titre de l’article 72 du règlement 2017/1001 par rapport à celui formant un recours au titre de l’article 263 TFUE, ne trouve d’appui ni dans les textes applicables ni dans la jurisprudence.

80 À cet égard, il ressort seulement de la jurisprudence que l’existence d’un intérêt à agir en annulation suppose que, par son résultat, le recours soit susceptible de procurer un bénéfice à la personne qui l’a introduit (arrêts du 17 septembre 2015, Mory e.a./Commission, C‑33/14 P, EU:C:2015:609, point 55, ainsi que du 13 juillet 2023, D & A Pharma/EMA, C‑136/22 P, EU:C:2023:572 point 43).

81 Ainsi, la question de savoir si, s’agissant d’une décision rejetant une opposition à l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne, la personne ayant formé une telle opposition est susceptible de retirer un bénéfice d’un recours porté devant le Tribunal et visant à l’annulation de cette décision doit être appréciée de manière concrète, à l’aune de l’ensemble des conséquences susceptibles de découler du constat d’une éventuelle illégalité ayant entaché cette décision et de la nature du
préjudice prétendument subi (voir, en ce sens, arrêt du 28 mai 2013, Abdulrahim/Conseil et Commission, C‑239/12 P, EU:C:2013:331, point 65).

82 Or, en l’espèce, d’une part, il ressort de l’examen de la première branche du moyen unique du présent pourvoi que le Tribunal était fondé à constater que l’objet du recours introduit par Indo European Foods n’avait pas disparu. D’autre part, il résulte, en substance, des points 10 à 12 de l’arrêt attaqué que la décision litigieuse a confirmé le rejet de l’opposition introduite par cette partie sur la base du constat que les conditions d’application de l’article 8, paragraphe 4, du règlement
2017/1001 n’étaient pas satisfaites, de sorte qu’Indo European Foods ne pouvait, selon cette décision, bénéficier, pour la marque antérieure en cause, de la protection prévue par cette disposition. Partant, dès lors que c’est précisément la violation de ladite disposition par la chambre de recours qu’Indo European Foods a invoquée au soutien de son recours devant le Tribunal et que ladite décision est préjudiciable, en particulier, aux intérêts économiques d’Indo European Foods, l’annulation de
celle-ci serait susceptible de lui procurer un bénéfice.

83 Enfin, s’agissant de l’argument selon lequel, au point 26 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait omis de prendre en compte le fait que, conformément à l’article 139 du règlement 2017/1001, l’autre partie devant la chambre de recours pourrait, si le recours devant cette instance était accueilli, transformer sa demande de marque en demandes de marques nationales dans tous les États membres à compter de la fin de la période de transition, il suffit de relever que, eu égard à ce qui a été constaté
précédemment, cette circonstance est sans influence sur l’intérêt à agir d’Indo European Foods contre la décision litigieuse.

84 Il s’ensuit que le deuxième volet de la présente branche, reposant sur une prémisse erronée, doit également être écarté comme étant non fondé.

85 S’agissant, en troisième lieu, du prétendu défaut de motivation de l’arrêt attaqué en ce qui concerne les raisons ayant conduit le Tribunal à rejeter les arguments de l’EUIPO portant sur l’absence de persistance d’un intérêt à agir d’Indo European Foods, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’obligation de motivation n’impose pas au Tribunal de fournir un exposé qui suivrait exhaustivement et un par un tous les raisonnements articulés par les parties au litige, la
motivation pouvant être implicite à condition qu’elle permette aux intéressés de connaître les motifs sur lesquels le Tribunal se fonde et à la Cour de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle dans le cadre d’un pourvoi (arrêt du 9 mars 2023, PlasticsEurope/ECHA, C‑119/21 P, EU:C:2023:180, point 144 et jurisprudence citée).

86 Or, comme l’a relevé en substance M. l’avocat général au point 60 de ses conclusions, il ressort clairement, quoique implicitement, des points 25 à 27 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a considéré que les arguments exposés par l’EUIPO au sujet de l’intérêt à agir d’Indo European Foods n’étaient pas fondés dans la mesure où cet intérêt à agir existait au moment de l’introduction du recours et n’avait pas disparu au cours de l’instance devant lui.

87 Ce troisième volet de la présente branche est, par suite, dénué de fondement, de sorte que la deuxième branche du moyen unique doit être écartée comme étant non fondée.

Sur la troisième branche, tirée de la violation de l’article 72, paragraphe 6, du règlement 2017/1001

– Argumentation des parties

88 L’EUIPO, soutenu, en substance, par la République fédérale d’Allemagne, fait valoir que le point 27 de l’arrêt attaqué lui impose, en violation de l’article 72, paragraphe 6, du règlement 2017/1001, de ne pas examiner si la demanderesse en première instance conserve un intérêt à obtenir l’annulation de la décision de la division d’opposition et de ne pas tenir compte des effets de l’article 50, paragraphe 3, TUE ainsi que des articles 126 et 127 de l’accord de retrait. Ainsi, l’adoption des
mesures nécessaires pour se conformer à l’obligation établie à ce point 27 impliquerait que l’EUIPO examine, voire rejette, la demande d’enregistrement en cause, en violation de ces dispositions.

89 En particulier, l’EUIPO soutient que l’obligation mentionnée audit point 27 lui impose d’examiner le motif relatif de refus en cause à l’égard d’un territoire sur lequel la marque demandée ne pourrait bénéficier d’aucune protection, ce qui serait en contradiction flagrante avec la logique et l’économie générale du système de la marque de l’Union européenne. Le règlement 2017/1001 ne fournirait aucune base juridique autorisant une telle déconnexion entre le territoire pertinent pour l’examen dudit
motif relatif de refus et le territoire sur lequel la protection sera accordée. Cette obligation violerait donc également l’exigence de la persistance d’un intérêt à agir ainsi que l’article 1er, paragraphe 2, et l’article 8, paragraphe 4, du règlement 2017/1001.

90 Indo European Foods conteste le bien-fondé de cette argumentation.

– Appréciation de la Cour

91 Aux termes de l’article 72, paragraphe 6, du règlement 2017/1001, l’EUIPO prend les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt du Tribunal ou, en cas de pourvoi contre cet arrêt, de celui de la Cour.

92 Selon une jurisprudence constante relative à l’article 266 TFUE, qui vaut mutatis mutandis pour cet article 72, paragraphe 6, dont le libellé est analogue, l’institution, l’organe ou l’organisme dont émane l’acte annulé est tenu, afin de se conformer à un arrêt d’annulation et de lui donner pleine exécution, de respecter non seulement le dispositif de cet arrêt, mais également les motifs qui en constituent le soutien nécessaire, en ce sens qu’ils sont indispensables pour déterminer le sens exact
de ce qui a été jugé dans ce dispositif (arrêt du 22 septembre 2022, IMG/Commission, C‑619/20 P et C‑620/20 P, EU:C:2022:722, point 101 ainsi que jurisprudence citée).

93 Cependant, il résulte dudit article 72, paragraphe 6, qu’il n’appartient pas au Tribunal d’adresser des injonctions à l’EUIPO (voir, en ce sens, ordonnance du 29 juin 2006, Creative Technology/OHMI, C‑314/05 P, EU:C:2006:441, points 40 à 42, ainsi que, par analogie, arrêt du 2 octobre 2014, Strack/Commission, C‑127/13 P, EU:C:2014:2250, point 145 et jurisprudence citée).

94 Or, en l’espèce, il suffit de relever que le point 27 de l’arrêt attaqué constitue uniquement une réponse du Tribunal à l’argument de l’EUIPO selon lequel Indo European Foods aurait perdu, au cours de l’instance devant le Tribunal, son intérêt à obtenir l’annulation de la décision litigieuse dès lors que, en cas d’annulation de celle-ci, la chambre de recours serait tenue de rejeter le recours redevenu pendant devant elle, faute de marque antérieure protégée par le droit d’un État membre.

95 Partant, ce point se limite, en substance, à constater l’intérêt d’Indo European Foods à agir devant le Tribunal et ne constitue donc le soutien indispensable que du constat de l’existence d’un tel intérêt. Ainsi, il ne saurait être considéré que, par celui-ci, le Tribunal aurait, en violation de la jurisprudence rappelée au point 93 du présent arrêt, imposé à l’EUIPO les prétendues obligations qu’il identifie dans le cadre de la présente branche de son pourvoi.

96 Il s’ensuit que cette troisième branche du moyen unique, reposant sur une lecture erronée du point 27 de l’arrêt attaqué, ainsi que, par voie de conséquence, ce moyen et le pourvoi dans son ensemble doivent être rejetés comme étant non fondés.

Sur les dépens

97 En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens.

98 Selon l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi conformément à l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, toute personne qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

99 Indo European Foods ayant conclu à la condamnation de l’EUIPO et celui-ci ayant succombé en son moyen unique, il y a lieu de le condamner aux dépens afférents au pourvoi.

100 Conformément à l’article 140, paragraphe 1, du même règlement de procédure, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de celui-ci, les États membres et les institutions qui sont intervenus au litige supportent leurs propres dépens.

101 En conséquence, la République fédérale d’Allemagne, partie intervenante dans le cadre du présent pourvoi, supportera ses propres dépens.

  Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) déclare et arrête :

  1) Le pourvoi est rejeté.

  2) L’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) est condamné aux dépens.

  3) La République fédérale d’Allemagne supporte ses propres dépens.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : C-801/21
Date de la décision : 20/06/2024

Analyses

Pourvoi – Marque de l’Union européenne – Demande de marque de l’Union européenne figurative Abresham Super Basmati Selaa Grade One World’s Best Rice – Marque verbale antérieure non enregistrée du Royaume-Uni BASMATI – Règlement (CE) no 207/2009 – Article 8, paragraphe 4 – Règlement (UE) 2017/1001 – Article 72 – Motif relatif de refus – Opposition – Recours devant la chambre de recours – Rejet – Recours devant le Tribunal – Accord sur le retrait du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne et de la Communauté européenne de l’énergie atomique – Articles 126 et 127 – Période de transition – Conséquences de la fin de la période de transition sur la protection de la marque antérieure – Circonstances postérieures à l’adoption de la décision litigieuse – Persistance de l’objet du recours et de l’intérêt à agir.


Parties
Demandeurs : Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle
Défendeurs : Indo European Foods Ltd.

Origine de la décision
Date de l'import : 22/06/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:528

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