La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

18/04/2024 | CJUE | N°C-359/22

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, AHY contre Minister for Justice., 18/04/2024, C-359/22


 ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

18 avril 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique d’asile – Détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale – Règlement (UE) no 604/2013 – Transfert du demandeur d’asile vers l’État membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale – Article 17, paragraphe 1 – Clause discrétionnaire – Article 27, paragraphes 1 et 3, et article 29, paragraphe 3 – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Un

ion européenne – Voies de recours – Effet
suspensif »

Dans l’affaire C‑359/22,

ayant pour objet une demande de...

 ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

18 avril 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique d’asile – Détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale – Règlement (UE) no 604/2013 – Transfert du demandeur d’asile vers l’État membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale – Article 17, paragraphe 1 – Clause discrétionnaire – Article 27, paragraphes 1 et 3, et article 29, paragraphe 3 – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Voies de recours – Effet
suspensif »

Dans l’affaire C‑359/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par la High Court (Haute Cour, Irlande), par décision du 28 avril 2022, parvenue à la Cour le 3 juin 2022, dans la procédure

AHY

contre

Minister for Justice,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme A. Prechal, présidente de chambre, MM. F. Biltgen, N. Wahl (rapporteur), J. Passer et Mme M. L. Arastey Sahún, juges,

avocat général : M. P. Pikamäe,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour AHY, par M. B. Burns, solicitor, M. E. Dornan, BL, et M. C. Power, SC,

– pour le Minister for Justice et l’Irlande, par Mme M. Browne, Chief State Solicitor, MM. A. Joyce, M. Tierney et G. Wells, en qualité d’agents, assistés de Mme S.‑J. Hillery, BL, et de M. D. Colan Smyth, SC,

– pour le gouvernement hellénique, par Mme M. Michelogiannaki, en qualité d’agent,

– pour la Commission européenne, par Mme L. Grønfeldt et M. J. Tomkin, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 14 septembre 2023,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 17, paragraphe 1, et de l’article 27, paragraphes 1 et 3, du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (JO 2013, L 180, p. 31, ci-après le « règlement
Dublin III »), ainsi que de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant AHY, un ressortissant somalien, au Minister for Justice (Ministre de la Justice, Irlande, ci-après le « ministre ») au sujet de la décision de ce dernier refusant d’exercer son pouvoir discrétionnaire au titre de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III pour examiner la demande de protection internationale d’AHY et indiquant que celui-ci sera transféré en Suède.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 Aux termes des considérants 4, 5, 17 et 19 du règlement Dublin III :

« (4) Les conclusions [de la réunion spéciale du Conseil européen, tenue à Tampere les 15 et 16 octobre 1999,] ont également précisé que le [régime d’asile européen commun] devrait comporter à court terme une méthode claire et opérationnelle pour déterminer l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile.

(5) Une telle méthode devrait être fondée sur des critères objectifs et équitables tant pour les États membres que pour les personnes concernées. Elle devrait, en particulier, permettre une détermination rapide de l’État membre responsable afin de garantir un accès effectif aux procédures d’octroi d’une protection internationale et ne pas compromettre l’objectif de célérité dans le traitement des demandes de protection internationale.

[...]

(17) Il importe que tout État membre puisse déroger aux critères de responsabilité, notamment pour des motifs humanitaires et de compassion, afin de permettre le rapprochement de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent et examiner une demande de protection internationale introduite sur son territoire ou sur le territoire d’un autre État membre, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères obligatoires fixés dans le présent règlement.

[...]

(19) Afin de garantir une protection efficace des droits des personnes concernées, il y a lieu d’instaurer des garanties juridiques et le droit à un recours effectif à l’égard de décisions de transfert vers l’État membre responsable conformément, notamment, à l’article 47 [de la Charte]. Afin de garantir le respect du droit international, un recours effectif contre de telles décisions devrait porter à la fois sur l’examen de l’application du présent règlement et sur l’examen de la situation en
fait et en droit dans l’État membre vers lequel le demandeur est transféré. »

4 L’article 3, paragraphe 1, de ce règlement dispose :

« Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l’un quelconque d’entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. »

5 L’article 17 dudit règlement, intitulé « Clauses discrétionnaires », fait partie du chapitre IV du même règlement et prévoit, à son paragraphe 1 :

« Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement.

L’État membre qui décide d’examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l’État membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. Le cas échéant, il en informe, au moyen du réseau de communication électronique « DubliNet » établi au titre de l’article 18 du règlement (CE) no 1560/2003 [de la Commission, du 2 septembre 2003, portant modalités d’application du règlement no 343/2003 (JO 2003, L 222, p. 3)], l’État membre
antérieurement responsable, l’État membre menant une procédure de détermination de l’État membre responsable ou celui qui a été requis aux fins de prise en charge ou de reprise en charge.

L’État membre qui devient responsable en application du présent paragraphe l’indique immédiatement dans Eurodac conformément au règlement (UE) no 603/2013 [du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, relatif à la création d’Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l’application efficace du règlement no 604/2013 et relatif aux demandes de comparaison avec les données d’Eurodac présentées par les autorités répressives des États membres et Europol à des fins
répressives, et modifiant le règlement (UE) no 1077/2011 portant création d’une agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d’information à grande échelle au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice (JO 2013, L 180, p. 1)] en ajoutant la date à laquelle la décision d’examiner la demande a été prise. »

6 L’article 27 du règlement Dublin III, intitulé « Voies de recours », est ainsi libellé :

« 1.   Le demandeur ou une autre personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point c) ou d), dispose d’un droit de recours effectif, sous la forme d’un recours contre la décision de transfert ou d’une révision, en fait et en droit, de cette décision devant une juridiction.

2.   Les États membres accordent à la personne concernée un délai raisonnable pour exercer son droit à un recours effectif conformément au paragraphe 1.

3.   Aux fins des recours contre des décisions de transfert ou des demandes de révision de ces décisions, les États membres prévoient les dispositions suivantes dans leur droit national :

a) le recours ou la révision confère à la personne concernée le droit de rester dans l’État membre concerné en attendant l’issue de son recours ou de sa demande de révision ; ou

b) le transfert est automatiquement suspendu et une telle suspension expire au terme d’un délai raisonnable, pendant lequel une juridiction, après un examen attentif et rigoureux de la requête, aura décidé s’il y a lieu d’accorder un effet suspensif à un recours ou une demande de révision ; ou

c) la personne concernée a la possibilité de demander dans un délai raisonnable à une juridiction de suspendre l’exécution de la décision de transfert en attendant l’issue de son recours ou de sa demande de révision. Les États membres veillent à ce qu’il existe un recours effectif, le transfert étant suspendu jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la première demande de suspension. La décision de suspendre ou non l’exécution de la décision de transfert est prise dans un délai raisonnable, en
ménageant la possibilité d’un examen attentif et rigoureux de la demande de suspension. La décision de ne pas suspendre l’exécution de la décision de transfert doit être motivée.

4.   Les États membres peuvent prévoir que les autorités compétentes peuvent décider d’office de suspendre l’exécution de la décision de transfert en attendant l’issue du recours ou de la demande de révision.

[...] »

7 L’article 29 de ce règlement dispose :

« 1.   Le transfert du demandeur ou d’une autre personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l’État membre requérant vers l’État membre responsable s’effectue conformément au droit national de l’État membre requérant, après concertation entre les États membres concernés, dès qu’il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l’acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la
personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l’effet suspensif est accordé conformément à l’article 27, paragraphe 3.

[...]

2.   Si le transfert n’est pas exécuté dans le délai de six mois, l’État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l’État membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s’il n’a pas pu être procédé au transfert en raison d’un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite.

[...] »

Le droit irlandais

8 L’article 3 de l’European Union (Dublin System) Regulations 2018 [règlement relatif à l’Union européenne (système de Dublin) de 2018] (S.I. no 62 de 2018, ci-après le « règlement de 2018 ») confère aux officiers de la protection internationale, qui font partie de l’International Protection Office (Office de la protection internationale, Irlande, ci-après l’« IPO »), la compétence pour déterminer l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale conformément aux
critères énoncés par les dispositions du chapitre III du règlement Dublin III et pour adopter les décisions de transfert.

9 L’article 6 du règlement de 2018 prévoit que l’International Protection Appeals Tribunal (tribunal d’appel pour la protection internationale, Irlande) est compétent pour examiner un recours contre une décision de transfert.

10 L’article 8, paragraphe 1, du règlement de 2018 met en œuvre l’effet suspensif prévu à l’article 27, paragraphe 3, sous a), du règlement Dublin III, et prévoit, en substance, qu’un demandeur de protection internationale, qui introduit un recours en vertu de l’article 6 du règlement de 2018, a le droit de rester en Irlande en attendant l’issue de ce recours.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

11 Le requérant au principal, AHY, est un ressortissant somalien. Le 21 janvier 2020, il a introduit une demande de protection internationale en Irlande en indiquant avoir été victime d’un attentat à la bombe en Somalie, lequel avait détruit son magasin, tué l’un de ses employés et lui avait laissé des cicatrices sur les mains ainsi que sur le bras.

12 Il est ressorti d’une recherche Eurodac qu’AHY avait déjà fait deux demandes de protection internationale en Suède, le 5 novembre 2012 et le 2 octobre 2017, et que ces demandes avaient été rejetées.

13 Les autorités irlandaises ont, par conséquent, adressé, sur le fondement de l’article 18, paragraphe 1, sous b), du règlement Dublin III, une requête de reprise en charge au Royaume de Suède. Cet État membre l’a acceptée le 19 février 2020.

14 Le 23 juillet 2020, un avis de décision de transfert vers la Suède a été communiqué à AHY. Ce dernier a saisi, le 5 août 2020, l’International Protection Appeals Tribunal (tribunal d’appel pour la protection internationale) d’un recours contre cette décision de l’IPO en demandant l’application de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III et en faisant, notamment, valoir qu’il souffrait de dépression.

15 L’International Protection Appeals Tribunal (tribunal d’appel pour la protection internationale) a rejeté ce recours le 5 octobre 2021 et a confirmé la décision de transfert.

16 Après avoir été informé qu’il devait se présenter à la Garda National Immigration Bureau (bureau national de l’immigration, Irlande) le 16 décembre de la même année afin de préparer son transfert vers la Suède, qui devait être effectué au plus tard le 6 avril 2022, AHY a saisi, le 15 novembre 2021, le ministre d’une demande pour que ce dernier exerce le pouvoir discrétionnaire visé à l’article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III. Cette demande a été rejetée le 16 février 2022.

17 AHY a introduit un recours contre cette décision du ministre devant la juridiction de renvoi, la High Court (Haute Cour, Irlande). À l’appui de ce recours, il fait notamment valoir que, en vertu de l’article 27 du règlement Dublin III, les recours contre les décisions refusant de faire usage du pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 17, paragraphe 1, de ce règlement ont un effet suspensif automatique.

18 En premier lieu, la juridiction de renvoi indique que, en Irlande, la décision de procéder, ou non, au transfert d’un demandeur de protection internationale relève de la compétence de l’IPO, alors que la décision d’exercer, ou non, le pouvoir discrétionnaire au titre de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III rentre dans les prérogatives du ministre. En outre, les recours contre les décisions de transfert, prévus à l’article 27 de ce règlement, devraient être formés devant
l’International Protection Appeals Tribunal (tribunal d’appel pour la protection internationale) en vertu de l’article 6 du règlement de 2018, alors que les décisions du ministre pourraient être contestées devant la High Court (Haute Cour) dans le cadre exclusif du recours en judicial review, qui constitue un recours juridictionnel spécifique visant à contrôler la légalité de l’action administrative.

19 Ce système générerait de nombreuses difficultés en raison du défaut de coordination des procédures et des délais dans lesquels ces décisions et ces recours doivent intervenir. Ainsi, un demandeur de protection internationale faisant l’objet d’une décision de transfert pourrait, comme le requérant au principal, demander, après le rejet de son recours contre la décision de transfert par l’International Protection Appeals Tribunal (tribunal d’appel pour la protection internationale), l’application
de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III.

20 En second lieu, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’effet suspensif qu’un recours contre une décision du ministre refusant d’exercer le pouvoir discrétionnaire que lui reconnaît l’article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III peut avoir sur une décision de transfert, notamment lorsque cette dernière a déjà fait l’objet d’un recours au titre de l’article 27 de ce règlement. À cet égard, elle fait référence à l’arrêt du 23 janvier 2019, M.A. e.a. (C‑661/17, ci-après l’« arrêt M.A. e.a. ,
EU:C:2019:53), et précise que, dans cet arrêt, la Cour ne semble pas avoir tranché la question de savoir si les dispositions relatives à l’effet suspensif figurant à l’article 27 dudit règlement s’appliquent lorsqu’un recours est formé contre une décision prise en vertu de l’article 17 de ce même règlement.

21 C’est dans ces conditions que la High Court (Haute Cour) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Le droit à un recours effectif, sous la forme d’un recours contre la “décision de transfert” ou d’une révision, en fait et en droit, de cette décision, conformément aux dispositions de l’article 27, paragraphe 1, du règlement [Dublin III] inclut-il le droit à un tel recours effectif contre une décision prise par l’État membre en vertu de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III quant à l’exercice, au titre de cette disposition, de son pouvoir discrétionnaire en ce qui concerne
l’opportunité d’examiner la demande de protection internationale dont il a été saisi par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne relève pas de sa responsabilité en vertu des critères énoncés dans le règlement Dublin III ?

2) En cas de réponse affirmative à la première question :

a) s’ensuit-il qu’un État membre requérant ne saurait exécuter une décision de transfert tant qu’il n’a pas été statué sur la demande d’exercice du pouvoir discrétionnaire présentée par un demandeur en vertu de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III ?

b) les dispositions de l’article 27, paragraphe 3, du règlement [Dublin III], qui exigent des États membres qu’ils prévoient dans leur droit national l’une des trois formes d’effet suspensif aux fins des recours contre les décisions de transfert ou de leur révision, incluent-elles un recours contre une décision adoptée au titre de l’article 17, paragraphe 1, [de ce règlement] et refusant d’exercer la faculté d’assumer la responsabilité d’une demande de protection internationale [...] ?

c) si aucune législation nationale spécifique ne prévoit l’une des trois formes d’effet suspensif énoncées à l’article 27, paragraphe 3, du règlement [Dublin III] en cas de recours contre une décision de refus [adoptée au titre de l’article 17, paragraphe 1, de ce règlement], les tribunaux saisis de ce recours sont-ils tenus d’accorder l’effet suspensif dans leur droit national, sous l’une de ces trois formes et, le cas échéant, laquelle ?

d) chacune des voies de recours suspensives en vertu de l’article 27, paragraphe 3, du règlement [Dublin III] doit-elle être interprétée comme ayant pour effet de suspendre le délai d’exécution d’une décision de transfert en vertu de l’article 29, paragraphe 1, du règlement [Dublin III] ?

3) En cas de réponse négative à la première question :

a) le droit à un recours effectif prévu à l’article 47 de la [Charte] s’oppose-t-il à ce qu’un État membre requérant exécute une décision de transfert tant qu’il n’a pas été statué sur la demande d’un requérant que l’État exerce son pouvoir discrétionnaire au titre de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III ?

b) le droit à un recours effectif prévu à l’article 47 de la [Charte] s’oppose-t-il à ce qu’un État membre requérant exécute une décision de transfert tant qu’il n’a pas été statué sur une contestation par voie de recours juridictionnel spécifique visant à contrôler la légalité de l’action administrative (judicial review), formé en vertu des dispositions du droit national contre une décision de refus [adoptée au titre de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III] ?

c) À titre subsidiaire, une contestation par voie de recours en judicial review formé en vertu des dispositions du droit national contre une décision de refus [adoptée au titre de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III] a-t-elle pour effet de suspendre le délai d’exécution d’une décision de transfert en vertu de l’article 29, paragraphe 1, [de ce] règlement ou a-t-elle un effet suspensif sur la décision de transfert d’une autre manière ? »

La procédure devant la Cour

22 La juridiction de renvoi a demandé que l’affaire soit soumise à la procédure préjudicielle d’urgence prévue à l’article 23 bis du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et à l’article 107 du règlement de procédure de la Cour.

23 Le 21 juin 2022, la deuxième chambre de la Cour a décidé, sur proposition du juge rapporteur, l’avocat général entendu, de ne pas faire droit à cette demande.

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

24 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 27, paragraphe 1, du règlement Dublin III doit être interprété en ce sens qu’il impose aux États membres de prévoir un recours effectif contre une décision adoptée au titre de la clause discrétionnaire visée à l’article 17, paragraphe 1, de ce règlement.

25 À cet égard, l’article 27, paragraphe 1, du règlement Dublin III prévoit que la personne faisant l’objet d’une décision de transfert dispose d’un droit de recours effectif, sous la forme d’un recours contre cette décision ou d’une révision, en fait et en droit, de ladite décision devant une juridiction.

26 La portée de ce recours est précisée au considérant 19 de ce règlement, qui indique que, afin de garantir le respect du droit international, le recours effectif instauré par ledit règlement contre des décisions de transfert doit porter, d’une part, sur l’examen de l’application du même règlement et, d’autre part, sur l’examen de la situation en fait et en droit dans l’État membre vers lequel le demandeur est transféré (arrêt du 2 avril 2019, H. et R., C‑582/17 et C‑583/17, EU:C:2019:280, point 39
ainsi que jurisprudence citée).

27 Après avoir relevé, au point 75 de l’arrêt M.A. e.a., que l’article 27, paragraphe 1, du règlement Dublin III ne prévoit pas expressément de recours contre une décision d’un État membre de ne pas faire usage de la faculté prévue à l’article 17, paragraphe 1, de ce règlement, la Cour a dit pour droit, au point 4 du dispositif de cet arrêt, que cette première disposition devait être interprétée en ce sens qu’elle n’impose pas aux États membres de prévoir un tel recours contre la décision de ne pas
faire usage de la faculté prévue à l’article 17, paragraphe 1, dudit règlement, sans préjudice de la possibilité de contester cette décision à l’occasion d’un recours contre la décision de transfert.

28 En l’occurrence, AHY fait cependant valoir, devant la juridiction de renvoi ainsi que dans ses observations écrites devant la Cour, que le droit à un recours effectif contre une décision de transfert, prévu à l’article 27, paragraphe 1, du règlement Dublin III, doit également inclure le droit à un recours effectif contre une décision adoptée au titre de l’article 17, paragraphe 1, de ce règlement au motif que la Cour a également affirmé, au point 64 de l’arrêt M.A. e.a., que le pouvoir
d’appréciation conféré aux États membres par cette dernière disposition fait partie intégrante des mécanismes de détermination de l’État membre responsable d’une demande de protection internationale prévus par ledit règlement.

29 Les dispositions du règlement Dublin III ne sauraient être interprétées de la sorte.

30 Il est certes vrai que la Cour a déjà indiqué que le recours prévu à l’article 27, paragraphe 1, du règlement Dublin III ne saurait faire l’objet d’une interprétation restrictive (voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2016, Ghezelbash, C‑63/15, EU:C:2016:409, point 53).

31 Ainsi, la Cour a déjà jugé que, au regard notamment de l’évolution générale qu’a connue le système de détermination de l’État membre responsable d’une demande de protection internationale présentée dans l’un des États membres du fait de l’adoption du règlement Dublin III et des objectifs visés par ce règlement, l’article 27, paragraphe 1, de celui-ci doit être interprété en ce sens que le recours qu’il prévoit contre une décision de transfert doit pouvoir porter tant sur le respect des règles
attribuant la responsabilité d’examiner une demande de protection internationale que sur les garanties procédurales prévues par ledit règlement (arrêt du 2 avril 2019, H. et R., C‑582/17 et C‑583/17, EU:C:2019:280, point 40 ainsi que jurisprudence citée).

32 Toutefois, même si l’article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III doit être considéré comme faisant partie intégrante des mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale prévus par ce règlement, cette disposition ne peut, en raison de sa nature, être assimilée aux autres critères de détermination de l’État membre responsable d’une demande de protection internationale prévus par ledit règlement.

33 Il convient en effet de rappeler que, conformément à l’article 3, paragraphe 1, du règlement Dublin III, une demande de protection internationale présentée par un ressortissant d’un pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l’un des États membres, quel qu’il soit, est, en principe, examinée par le seul État membre que les critères énoncés au chapitre III de ce règlement désignent comme responsable.

34 Le système de détermination de l’État membre responsable élaboré par le législateur de l’Union, dans lequel s’inscrit ledit règlement, tend, ainsi qu’il découle des considérants 4 et 5 de celui-ci, à permettre, en particulier, une détermination rapide de l’État membre responsable afin de garantir un accès effectif aux procédures d’octroi d’une protection internationale et de ne pas compromettre l’objectif de célérité dans le traitement des demandes de protection internationale.

35 Dans ce contexte, un État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite est tenu de suivre les procédures prévues au chapitre VI du même règlement aux fins de déterminer l’État membre responsable de l’examen de cette demande, de requérir de cet État membre qu’il prenne en charge la personne concernée et, une fois cette requête acceptée, de transférer cette personne vers ledit État membre.

36 Toutefois, par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, du règlement Dublin III, l’article 17, paragraphe 1, de ce règlement prévoit que chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu de tels critères.

37 L’objectif de cette disposition est de préserver les prérogatives des États membres dans l’exercice du droit d’octroyer une protection internationale (arrêt du 5 juillet 2018, X, C‑213/17, EU:C:2018:538, point 61 et jurisprudence citée).

38 En outre, il ressort clairement du libellé de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III que cette disposition est de nature facultative dans la mesure où elle laisse à la discrétion de chaque État membre la décision de procéder à l’examen d’une demande de protection internationale qui lui est présentée, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères de détermination de l’État membre responsable définis par ce règlement. L’exercice de cette faculté n’est, par ailleurs,
soumis à aucune condition particulière. Ladite faculté vise à permettre à chaque État membre de décider souverainement, en fonction de considérations politiques, humanitaires ou pratiques, d’accepter d’examiner une demande de protection internationale, même s’il n’est pas responsable en application des critères définis par ledit règlement [arrêt du 30 novembre 2023, Ministero dell’Interno e.a. (Brochure commune – Refoulement indirect), C‑228/21, C‑254/21, C‑297/21, C‑315/21 et C‑328/21,
EU:C:2023:934, point 146 ainsi que jurisprudence citée].

39 Au regard de l’étendue du pouvoir d’appréciation ainsi accordé aux États membres, il appartient à l’État membre concerné de déterminer les circonstances dans lesquelles il souhaite faire usage de la faculté conférée par la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III et d’accepter d’examiner lui-même une demande de protection internationale pour laquelle il n’est pas responsable en vertu des critères définis par ce règlement [arrêt du 30 novembre 2023,
Ministero dell’Interno e.a. (Brochure commune – Refoulement indirect), C‑228/21, C‑254/21, C‑297/21, C‑315/21 et C‑328/21, EU:C:2023:934, point 147 ainsi que jurisprudence citée].

40 Dans ce contexte, la Cour a itérativement jugé qu’aucune circonstance, même si elle relève des droits fondamentaux, ne saurait obliger un État membre à faire usage de cette clause et à examiner lui-même une demande qui ne lui incombe pas (voir, par analogie, arrêt du 14 novembre 2013, Puid, C‑4/11, EU:C:2013:740, point 37, ainsi que arrêts du 16 février 2017, C. K. e.a., C‑578/16 PPU, EU:C:2017:127, point 97, et M.A. e.a., points 61 et 72).

41 Certes, ainsi que cela a été rappelé au point 31 du présent arrêt, la Cour a jugé à plusieurs reprises que l’article 27, paragraphe 1, du règlement Dublin III doit être interprété en ce sens que le recours qu’il prévoit contre une décision de transfert doit pouvoir porter tant sur le respect des règles attribuant la responsabilité d’examiner une demande de protection internationale que sur les garanties procédurales prévues par ce règlement. Toutefois, comme M. l’avocat général l’a souligné aux
points 62 et 63 de ses conclusions, cette jurisprudence, issue notamment des arrêts du 7 juin 2016, Ghezelbash (C‑63/15, EU:C:2016:409), du 7 juin 2016, Karim (C‑155/15, EU:C:2016:410), et du 26 juillet 2017, Mengesteab (C‑670/16, EU:C:2017:587), repose sur la prémisse selon laquelle chacune des dispositions de ce règlement en cause dans ces arrêts relevait du cadre dans lequel le processus de détermination de l’État membre responsable doit avoir lieu. Ces dispositions, telles que l’article 19,
paragraphe 2, second alinéa, de ce règlement ou l’article 21, paragraphe 1, dudit règlement, énoncent en effet des règles que l’État membre concerné est tenu d’appliquer en vertu du même règlement et qui, par conséquent, confèrent au demandeur de protection internationale un droit à ce que cet État respecte ses obligations en ce sens.

42 Or, ainsi qu’il découle du considérant 17 du règlement Dublin III, ce règlement établit, par les dispositions de son chapitre III, les « critères obligatoires » aux fins de déterminer l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale, tout en octroyant aux États membres, à l’article 17 dudit règlement, qui relève de son chapitre IV, la faculté de déroger à ces critères de responsabilité et d’examiner une demande de protection internationale introduite sur leur
territoire ou sur le territoire d’un autre État membre, même si cet examen ne leur incombe pas en vertu de ces critères obligatoires. Par conséquent, la décision d’un État d’exercer, ou non, le pouvoir visé à l’article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III et d’examiner, ou non, une demande de protection internationale, est une décision discrétionnaire qui n’est pas fondée sur les critères obligatoires auxquels cet État membre est tenu de se conformer en vertu dudit règlement.

43 Il s’ensuit qu’une décision adoptée au titre de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III ne saurait être assimilée à une décision de transfert, au sens de l’article 27, paragraphe 1, de ce règlement, de telle sorte que cette dernière disposition n’impose pas aux États membres de prévoir un recours effectif contre une telle décision discrétionnaire.

44 Cette interprétation ne saurait être remise en cause par la circonstance que, dans l’arrêt M.A. e.a., la Cour a dit pour droit que le fait que l’article 27, paragraphe 1, dudit règlement n’impose pas aux États membres de prévoir un tel recours n’empêchait pas la personne concernée de contester une telle décision discrétionnaire à l’occasion d’un recours contre la décision de transfert dont elle fait l’objet.

45 En effet, il ne ressort nullement de cette considération que la possibilité de contester un tel refus de faire usage de la clause discrétionnaire à l’occasion d’un recours contre la décision de transfert trouve son fondement dans le droit de l’Union.

46 Au contraire, dès lors que la Cour a jugé que l’article 27, paragraphe 1, du règlement Dublin III n’exige pas que les États membres prévoient un recours spécifique contre la décision refusant d’exercer le pouvoir discrétionnaire prévu à l’article 17, paragraphe 1, de ce règlement, la possibilité de contester cette décision lors d’un recours contre la décision de transfert ne peut reposer que sur le droit national.

47 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 27, paragraphe 1, du règlement Dublin III doit être interprété en ce sens qu’il n’impose pas aux États membres de prévoir un recours effectif contre une décision adoptée au titre de la clause discrétionnaire visée à l’article 17, paragraphe 1, de ce règlement.

Sur la deuxième question

48 La deuxième question est posée dans l’hypothèse d’une réponse affirmative à la première question. Compte tenu de la réponse apportée à la première question, il n’y a pas lieu de répondre à la deuxième question.

Sur la troisième question

49 Par sa troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, et en cas de réponse négative à la première question, si l’article 47 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre exécute une décision de transfert tant qu’il n’a pas été statué sur la demande visant à ce que cet État exerce son pouvoir discrétionnaire au titre de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III ou sur un recours juridictionnel spécifique, formé en vertu des
dispositions du droit national, contre la réponse apportée à une telle demande. À titre subsidiaire, elle demande si l’article 29, paragraphe 1, de ce règlement doit être interprété en ce sens que le délai de six mois pour procéder au transfert du demandeur de protection internationale que vise cette disposition commence à courir à partir de l’acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision
définitive sur le recours ou la révision contre une décision de transfert lorsque l’effet suspensif est accordé conformément à l’article 27, paragraphe 3, dudit règlement et non à partir de la date de la décision définitive relative à un recours formé contre la décision de l’État membre requérant, prise postérieurement à l’adoption de la décision de transfert, de ne pas faire usage de la clause discrétionnaire visée à l’article 17, paragraphe 1, de ce même règlement pour examiner la demande de
protection internationale.

50 S’agissant, en premier lieu, des interrogations de la juridiction de renvoi relatives à l’article 47 de la Charte, celles-ci visent à déterminer si cette disposition impose un effet suspensif de l’exécution de la décision de transfert lorsque le demandeur de protection internationale a sollicité l’application de la clause discrétionnaire visée à l’article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III ou lorsque le demandeur a introduit un recours contre la réponse apportée à une telle sollicitation.

51 À cet égard, il y a lieu de constater que, dès lors que, comme il a été rappelé au point 32 du présent arrêt, l’article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III doit être considéré comme faisant partie intégrante des mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale prévus par ce règlement, la situation en cause au principal, en ce qu’elle concerne l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire que confère ladite disposition aux États
membres, comporte une « mise en œuvre du droit de l’Union », au sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, de sorte que, de manière générale, celle-ci s’applique à ladite situation (voir, en ce sens, arrêt du 19 novembre 2019, TSN et AKT, C‑609/17 et C‑610/17, EU:C:2019:981, point 50 et jurisprudence citée).

52 Toutefois, il importe de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’article 47 de la Charten’a vocation à s’appliquer que si la personne qui l’invoque se prévaut de droits ou de libertés garantis par le droit de l’Union ou si cette personne fait l’objet de poursuites constituant une mise en œuvre du droit de l’Union [arrêt du 22 février 2022, RS (Effet des arrêts d’une cour constitutionnelle), C‑430/21, EU:C:2022:99, point 34 et jurisprudence citée].

53 Or, il découle de la réponse apportée à la première question qu’un État membre ne saurait être dans l’obligation de faire usage de la clause discrétionnaire visée à l’article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III.

54 En l’absence d’une telle obligation, un demandeur de protection internationale ne dispose d’aucun droit garanti par le droit de l’Union à ce qu’un État membre fasse usage de cette clause et du pouvoir discrétionnaire qu’elle lui confère.

55 La situation en cause au principal ne concernant pas celle dans laquelle la personne invoquant l’article 47 de la Charte se prévaut de droits ou de libertés garantis par le droit de l’Union ni d’ailleurs, à l’évidence, une situation dans laquelle une telle personne fait l’objet de poursuites constituant une mise en œuvre du droit de l’Union, il découle de la jurisprudence rappelée au point 52 du présent arrêt que cet article 47 n’est pas applicable à une situation telle que celle en cause au
principal. Par conséquent, l’article 47 de la Charte ne s’oppose pas à ce qu’un État membre exécute une décision de transfert avant d’avoir statué sur une demande introduite au titre de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III ou sur un recours contre la réponse apportée à une telle demande.

56 S’agissant, en second lieu, des interrogations de la juridiction de renvoi formulées à titre subsidiaire, celles-ci visent à déterminer si l’article 29, paragraphe 1, du règlement Dublin III doit être interprété en ce sens que le délai de six mois que prévoit cette disposition commence à courir à partir de la date de la décision définitive relative à un recours formé contre la décision de l’État membre requérant, prise postérieurement à l’adoption de la décision de transfert, de ne pas faire
usage de la clause discrétionnaire visée à l’article 17, paragraphe 1, de ce règlement pour examiner la demande de protection internationale.

57 Force est de constater que le libellé de cet article 29, paragraphe 1, est clair et précis à cet égard.

58 En effet, cette disposition prévoit que le délai de six mois commence à courir à compter de l’acceptation par un autre État membre de la requête de prise ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l’effet suspensif est accordé conformément à l’article 27, paragraphe 3, du règlement Dublin III.

59 Ladite disposition ne prévoyant pas que ce délai commence à courir à compter de la décision définitive relative à un recours formé contre la décision de l’État membre requérant, prise postérieurement à l’adoption de la décision de transfert, de ne pas faire usage de la clause discrétionnaire visée à l’article 17, paragraphe 1, de ce règlement pour examiner la demande de protection internationale, il ne saurait être considéré qu’un tel recours a pour effet de suspendre le délai d’exécution d’une
décision de transfert prévu à l’article 29, paragraphe 1, dudit règlement ou a d’une autre manière un effet suspensif sur la décision de transfert.

60 Dès lors, le délai de six mois pour procéder au transfert du demandeur de protection internationale commence à courir, dans une situation telle que celle en cause au principal, à partir de la date de rejet du recours contre la décision de transfert de la personne concernée et non à partir de la date de la décision définitive relative à un recours formé contre la décision de l’État membre requérant, prise postérieurement à l’adoption de la décision de transfert, de ne pas faire usage de la clause
discrétionnaire visée à l’article 17, paragraphe 1, du même règlement pour examiner la demande de protection internationale.

61 Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la troisième question de la manière suivante :

– L’article 47 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il n’est pas applicable à une situation dans laquelle un demandeur de protection internationale faisant l’objet d’une décision de transfert a demandé à l’État membre ayant adopté cette décision d’exercer son pouvoir discrétionnaire au titre de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III ou a formé un recours juridictionnel contre la réponse apportée à une telle demande, de telle sorte que cette disposition de la Charte ne
s’oppose a fortiori pas à ce qu’un État membre exécute, dans ces conditions, une décision de transfert avant qu’il ait été statué sur cette demande ou sur un recours contre la réponse apportée à une telle demande.

– L’article 29, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement Dublin III doit être interprété en ce sens que le délai de six mois pour procéder au transfert du demandeur de protection internationale que vise cette disposition commence à courir à partir de l’acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision contre une décision de transfert lorsque l’effet suspensif
est accordé conformément à l’article 27, paragraphe 3, de ce règlement et non à partir de la date de la décision définitive relative à un recours formé contre la décision de l’État membre requérant, prise postérieurement à l’adoption de la décision de transfert, de ne pas faire usage de la clause discrétionnaire visée à l’article 17, paragraphe 1, dudit règlement pour examiner la demande de protection internationale.

Sur les dépens

62 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

  1) L’article 27, paragraphe 1, du règlement (UE) no 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride,

doit être interprété en ce sens que :

il n’impose pas aux États membres de prévoir un recours effectif contre une décision adoptée au titre de la clause discrétionnaire visée à l’article 17, paragraphe 1, de ce règlement.

  2) – L’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne

doit être interprété en ce sens que :

il n’est pas applicable à une situation dans laquelle un demandeur de protection internationale faisant l’objet d’une décision de transfert a demandé à l’État membre ayant adopté cette décision d’exercer son pouvoir discrétionnaire au titre de l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 604/2013 ou a formé un recours juridictionnel contre la réponse apportée à une telle demande, de telle sorte que cette disposition de la charte des droits fondamentaux ne s’oppose a fortiori pas à ce qu’un
État membre exécute, dans ces conditions, une décision de transfert avant qu’il ait été statué sur cette demande ou sur un recours contre la réponse apportée à une telle demande.

– L’article 29, paragraphe 1, premier alinéa, du règlement no 604/2013

doit être interprété en ce sens que :

le délai de six mois pour procéder au transfert du demandeur de protection internationale que vise cette disposition commence à courir à partir de l’acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision contre une décision de transfert lorsque l’effet suspensif est accordé conformément à l’article 27, paragraphe 3, de ce règlement et non à partir de la date de
la décision définitive relative à un recours formé contre la décision de l’État membre requérant, prise postérieurement à l’adoption de la décision de transfert, de ne pas faire usage de la clause discrétionnaire visée à l’article 17, paragraphe 1, dudit règlement pour examiner la demande de protection internationale.

  Signatures

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : C-359/22
Date de la décision : 18/04/2024

Analyses

Renvoi préjudiciel – Politique d’asile – Détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale – Règlement (UE) no 604/2013 – Transfert du demandeur d’asile vers l’État membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale – Article 17, paragraphe 1 – Clause discrétionnaire – Article 27, paragraphes 1 et 3, et article 29, paragraphe 3 – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Voies de recours – Effet suspensif.


Parties
Demandeurs : AHY
Défendeurs : Minister for Justice.

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:334

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award