La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/03/2024 | CJUE | N°C-752/22

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, EP contre Maahanmuuttovirasto., 14/03/2024, C-752/22


 ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

14 mars 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique d’immigration – Statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée – Directive 2003/109/CE – Articles 12 et 22 – Protection renforcée contre l’éloignement – Applicabilité – Ressortissant d’un pays tiers séjournant sur le territoire d’un autre État membre que celui lui ayant accordé le statut de résident de longue durée – Décision d’éloignement vers l’État membre lui ayant accordé ce statut prise, par cet autre

tat membre, pour des motifs d’ordre
public et de sécurité publique – Interdiction d’entrée temporaire sur le territo...

 ARRÊT DE LA COUR (deuxième chambre)

14 mars 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Politique d’immigration – Statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée – Directive 2003/109/CE – Articles 12 et 22 – Protection renforcée contre l’éloignement – Applicabilité – Ressortissant d’un pays tiers séjournant sur le territoire d’un autre État membre que celui lui ayant accordé le statut de résident de longue durée – Décision d’éloignement vers l’État membre lui ayant accordé ce statut prise, par cet autre État membre, pour des motifs d’ordre
public et de sécurité publique – Interdiction d’entrée temporaire sur le territoire dudit autre État membre, imposée par celui ci – Manquement à l’obligation de déposer, auprès du même autre État membre, une demande de permis de séjour au titre des dispositions du chapitre III de la directive 2003/109 – Décision d’éloignement de ce ressortissant d’un pays tiers vers son pays d’origine prise par ce dernier État membre pour les mêmes motifs »

Dans l’affaire C‑752/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême, Finlande), par décision du 2 décembre 2022, parvenue à la Cour le 9 décembre 2022, dans la procédure

EP

contre

Maahanmuuttovirasto,

LA COUR (deuxième chambre),

composée de Mme A. Prechal (rapporteure), présidente de chambre, MM. F. Biltgen, N. Wahl, J. Passer et Mme M. L. Arastey Sahún, juges,

avocat général : M. J. Richard de la Tour,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour le gouvernement finlandais, par Mmes A. Laine et H. Leppo, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mmes A. Katsimerou et T. Sevón, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 26 octobre 2023,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 12, paragraphes 1 et 3, et de l’article 22, paragraphe 3, de la directive 2003/109/CE du Conseil, du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée (JO 2004, L 16, p. 44), telle que modifiée par la directive 2011/51/UE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2011 (JO 2011, L 132, p. 1) (ci-après la « directive 2003/109 »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant EP, ressortissant russe titulaire du statut de résident de longue durée lui ayant été accordé par la République d’Estonie, au Maahanmuuttovirasto (Office de l’immigration, Finlande, ci-après l’« Office ») au sujet d’une décision d’éloignement de la Finlande vers la Russie prise par l’Office à son égard pour des motifs d’ordre public et de sécurité publique.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

La directive 2003/109

3 Les considérants 4, 6, 16 et 21 de la directive 2003/109 énoncent :

« (4) L’intégration des ressortissants des pays tiers qui sont installés durablement dans les États membres est un élément clé pour promouvoir la cohésion économique et sociale, objectif fondamental de la Communauté, énoncé dans le traité.

[...]

(6) Le critère principal pour l’acquisition du statut de résident de longue durée devrait être la durée de résidence sur le territoire d’un État membre. Cette résidence devrait avoir été légale et ininterrompue pour témoigner de l’ancrage de la personne dans le pays. [...]

[...]

(16) Les résidents de longue durée devraient bénéficier d’une protection renforcée contre l’expulsion. Cette protection s’inspire des critères fixés par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Afin d’assurer la protection contre l’expulsion, les États membres devraient prévoir le droit à un recours effectif devant des instances juridictionnelles.

[...]

(21) L’État membre dans lequel le résident de longue durée entend exercer son droit de séjour devrait pouvoir vérifier que la personne concernée remplit les conditions prévues pour séjourner sur son territoire. Il devrait pouvoir vérifier également que la personne concernée ne représente pas une menace actuelle pour l’ordre public et la sécurité intérieure ni pour la santé publique. »

4 L’article 1er de cette directive, intitulé « Objet », dispose :

« La présente directive établit :

a) les conditions d’octroi et de retrait du statut de résident de longue durée accordé par un État membre aux ressortissants de pays tiers qui séjournent légalement sur son territoire, ainsi que les droits y afférents, et

b) les conditions de séjour dans des États membres autres que celui qui a octroyé le statut de longue durée pour les ressortissants de pays tiers qui bénéficient de ce statut. »

5 L’article 2 de ladite directive, intitulé « Définitions », est libellé comme suit :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

b) “résident de longue durée”, tout ressortissant d’un pays tiers qui est titulaire du statut de résident de longue durée prévu aux articles 4 à 7 ;

c) “premier État membre”, l’État membre qui a accordé pour la première fois le statut de résident de longue durée à un ressortissant d’un pays tiers ;

d) “deuxième État membre”, tout État membre autre que celui qui a accordé pour la première fois le statut de résident de longue durée à un ressortissant d’un pays tiers et dans lequel ce résident de longue durée exerce son droit de séjour ;

[...] »

6 L’article 3 de la même directive, intitulé « Champ d’application », dispose, à son paragraphe 1 :

« La présente directive s’applique aux ressortissants de pays tiers qui résident légalement sur le territoire d’un État membre. »

7 Le chapitre II de la directive 2003/109, qui comprend les articles 4 à 13 de celle-ci, contient un ensemble de règles relatives au statut de résident de longue durée dans un État membre, en particulier en matière d’octroi et de perte de ce statut.

8 Aux termes de l’article 12 de cette directive, intitulé « Protection contre l’éloignement » :

« 1.   Les États membres ne peuvent prendre une décision d’éloignement à l’encontre d’un résident de longue durée que lorsqu’il représente une menace réelle et suffisamment grave pour l’ordre public ou la sécurité publique.

[...]

3.   Avant de prendre une décision d’éloignement à l’encontre d’un résident de longue durée, les États membres prennent en compte les éléments suivants :

a) la durée de la résidence sur leur territoire ;

b) l’âge de la personne concernée ;

c) les conséquences pour elle et pour les membres de sa famille ;

d) les liens avec le pays de résidence ou l’absence de liens avec le pays d’origine.

[...] »

9 Le chapitre III de ladite directive, intitulé « Séjour dans les autres États membres », contient les articles 14 à 23 de celle-ci.

10 L’article 14, paragraphe 1, de la même directive prévoit :

« Un résident de longue durée acquiert le droit de séjourner sur le territoire d’États membres autres que celui qui lui a accordé son statut de résident de longue durée, pour une période dépassant trois mois, pour autant que les conditions fixées dans le présent chapitre soient remplies. »

11 L’article 15 de la directive 2003/109, intitulé « Conditions de séjour dans un deuxième État membre », énonce, à son paragraphe 1 :

« Dans les plus brefs délais et au plus tard trois mois après son entrée sur le territoire du deuxième État membre, le résident de longue durée dépose une demande de permis de séjour auprès des autorités compétentes de cet État membre.

[...] »

12 L’article 17 de cette directive, intitulé « Ordre public et sécurité publique », dispose, à son paragraphe 1 :

« Les États membres peuvent refuser le séjour du résident de longue durée, ou des membres de sa famille, lorsque l’intéressé représente une menace pour l’ordre public ou la sécurité publique.

Lorsqu’il prend la décision pertinente, l’État membre tient compte de la gravité ou de la nature de l’infraction que soit le résident de longue durée, soit le ou les membres de sa famille, a ou ont commise contre l’ordre public ou la sécurité publique, ou du danger représenté par la personne concernée. »

13 L’article 22 de ladite directive, intitulé « Retrait du titre de séjour et obligation de réadmission », prévoit :

« 1.   Tant que le ressortissant d’un pays tiers n’a pas obtenu le statut de résident de longue durée, le deuxième État membre peut décider de refuser de renouveler le titre de séjour ou de le retirer et d’obliger la personne concernée et les membres de sa famille, conformément aux procédures, y compris d’éloignement, prévues par le droit national, à quitter son territoire dans les cas suivants :

a) pour des raisons d’ordre public ou de sécurité publique, telles que définies à l’article 17 ;

b) lorsque les conditions prévues aux articles 14, 15 et 16 ne sont plus remplies ;

c) lorsque le ressortissant d’un pays tiers ne séjourne pas légalement dans l’État membre concerné.

2.   Si le deuxième État membre adopte l’une des mesures visées au paragraphe 1, le premier État membre réadmet immédiatement sans formalités le résident de longue durée et les membres de sa famille. Le deuxième État membre informe le premier État membre de sa décision.

3.   Tant que le résident de pays tiers n’a pas obtenu le statut de résident de longue durée et sans préjudice de l’obligation de réadmission visée au paragraphe 2, le deuxième État membre peut adopter à son égard une décision d’éloignement du territoire de l’Union [européenne], conformément à l’article 12 et avec les garanties qui y sont prévues, pour des motifs graves relevant de l’ordre public ou de la sécurité publique.

Dans ce cas, lorsqu’il adopte ladite décision, le deuxième État membre consulte le premier État membre.

Quand le deuxième État membre adopte une décision d’éloignement à l’égard du ressortissant d’un pays tiers en question, il prend toutes les mesures nécessaires à la mise en œuvre effective de cette décision. Dans cette hypothèse, le second État membre fournit au premier État membre les informations appropriées concernant la mise en œuvre de la décision d’éloignement.

[...]

4.   Les décisions d’éloignement ne peuvent pas être assorties d’une interdiction de séjour permanente dans les cas visés au paragraphe 1, points b) et c).

5.   L’obligation de réadmission visée au paragraphe 2 s’entend sans préjudice de la possibilité laissée au résident de longue durée et aux membres de sa famille de s’installer dans un troisième État membre. »

La directive 2008/115/CE

14 L’article 2 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008, L 348, p. 98), intitulé « Champ d’application », prévoit, à son paragraphe 1 :

« La présente directive s’applique aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre. »

15 L’article 3 de cette directive, intitulé « Définitions », dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

2) “séjour irrégulier” : la présence sur le territoire d’un État membre d’un ressortissant d’un pays tiers qui ne remplit pas, ou ne remplit plus [...] d’autres conditions d’entrée, de séjour ou de résidence dans cet État membre ;

3) “retour” : le fait, pour le ressortissant d’un pays tiers, de rentrer – que ce soit par obtempération volontaire à une obligation de retour ou en y étant forcé – dans :

– son pays d’origine, ou

– un pays de transit conformément à des accords ou autres arrangements de réadmission communautaires ou bilatéraux, ou

– un autre pays tiers dans lequel le ressortissant concerné d’un pays tiers décide de retourner volontairement et sur le territoire duquel il sera admis ;

4) “décision de retour” : une décision ou un acte de nature administrative ou judiciaire déclarant illégal le séjour d’un ressortissant d’un pays tiers et imposant ou énonçant une obligation de retour ;

[...] »

16 L’article 4 de ladite directive, intitulé « Dispositions plus favorables », énonce, à son paragraphe 2 :

« La présente directive s’applique sans préjudice des dispositions qui relèvent de l’acquis communautaire en matière d’immigration et d’asile et qui s’avéreraient plus favorables pour le ressortissant d’un pays tiers. »

Le droit finlandais

17 L’Ulkomaalaislaki (301/2004) [loi relative aux étrangers (301/2004)], du 30 avril 2004 (ci-après la « loi relative aux étrangers »), prévoit, à son article 11, premier alinéa, que l’entrée d’un étranger est soumise à la condition, entre autres, qu’une interdiction d’entrée ne lui ait pas été imposée et qu’il ne soit pas considéré comme mettant en danger l’ordre public et la sécurité publique.

18 Conformément à l’article 146 a de cette loi, on entend par « retour », au sens de cette loi, une procédure d’éloignement au cours de laquelle un ressortissant d’un pays tiers, qui a fait l’objet d’une décision de refus d’entrée, d’éloignement ou d’expulsion, quitte volontairement le pays ou en est éloigné vers son pays d’origine, vers un pays de transit conformément à un accord ou à d’autres arrangements de réadmission entre l’Union ou la Finlande et un pays tiers ou vers un autre pays tiers dans
lequel le ressortissant concerné d’un pays tiers décide de retourner volontairement et sur le territoire duquel il sera admis.

19 Selon l’article 148, premier alinéa, de ladite loi, un étranger peut être éloigné, notamment, lorsqu’il ne remplit pas les conditions d’entrée sur le territoire prévues à l’article 11, premier alinéa, de la même loi ou lorsqu’il est possible de soupçonner, sur le fondement d’une condamnation à une peine d’emprisonnement ou d’autres motifs justifiés, qu’il va commettre une infraction passible en Finlande d’une peine d’emprisonnement ou qu’il va commettre des infractions répétées.

20 En vertu de l’article 148, deuxième alinéa, de la loi relative aux étrangers, un étranger qui est entré sur le territoire sans permis de séjour peut également être éloigné, lorsque son séjour en Finlande nécessiterait un visa ou un permis de séjour, mais qu’il ne les a pas demandés ou obtenus.

21 L’article 149, quatrième alinéa, de cette loi prévoit qu’un étranger auquel un permis de séjour de résident de longue durée – UE a été délivré en Finlande ne peut être expulsé du pays que lorsqu’il représente une menace réelle et suffisamment grave pour l’ordre public ou la sécurité publique.

22 L’article 149 b de ladite loi dispose que le ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire ou dont la demande de permis de séjour a été rejetée et qui est titulaire d’un permis de séjour en cours de validité ou d’une autre autorisation conférant un droit de séjour délivrés par un autre État membre de l’Union est tenu de se rendre immédiatement sur le territoire de cet autre État membre. En cas de non‑respect de cette obligation par le ressortissant concerné ou lorsque le
départ immédiat de celui-ci est requis pour des motifs relevant de l’ordre public ou de la sécurité publique, une décision est prise sur son éloignement.

Le litige au principal et les questions préjudicielles

23 EP, ressortissant russe, est titulaire d’un permis de séjour de résident de longue durée – UE délivré par la République d’Estonie, pour la période allant du 12 juillet 2019 au 12 juillet 2024, et attestant qu’il bénéficie du statut de résident de longue durée dans cet État membre. Il est également en possession d’un passeport russe valable jusqu’au 26 décembre 2024.

24 Le 9 février 2017, EP a été éloigné une première fois de la Finlande vers l’Estonie. Dans la décision d’éloignement, une interdiction d’entrée en Finlande lui avait été imposée pour une période de deux ans.

25 Il a de nouveau été éloigné de la Finlande vers l’Estonie le 16 mars 2017, puis le 26 novembre 2018. À cette dernière date, une interdiction d’entrée en Finlande lui avait été imposée par l’Office pour une nouvelle période de deux ans.

26 Il a été éloigné une quatrième fois de la Finlande vers l’Estonie en exécution d’une décision de l’Office du 8 juillet 2019, qui était assortie d’une interdiction d’entrée en Finlande pour une période de quatre ans.

27 En Finlande, EP a été condamné à des amendes pour deux infractions à la législation relative aux étrangers, à une peine d’emprisonnement avec sursis de 80 jours pour conduite en état d’ivresse aggravée et conduite d’un véhicule sans permis de conduire, ainsi qu’à une amende pour violation de l’interdiction d’entrée sur le territoire. Il est également soupçonné d’autres infractions.

28 Le 18 novembre 2019, lors d’une audience, EP a déclaré devant l’Office qu’il s’opposait à son éloignement vers la Fédération de Russie, pays avec lequel il n’aurait pas de liens autres que celui de la nationalité, mais qu’il ne s’opposait pas à son éloignement vers son pays de résidence, l’Estonie, dans lequel il aurait résidé presque toute sa vie. Il a indiqué qu’il vivait temporairement en Finlande et qu’il y travaillait dans deux entreprises. Selon ses déclarations, il n’avait pas d’autres
liens avec la Finlande. Il a indiqué que son enfant mineur vivait avec son ancienne épouse en Estonie.

29 Par une décision du 19 novembre 2019, l’Office a décidé d’expulser EP vers son pays d’origine, la Fédération de Russie, au motif, notamment, qu’il mettait en danger l’ordre public et la sécurité publique en Finlande (ci-après la « décision en cause au principal »). Par cette décision, une interdiction d’entrée dans l’espace Schengen pour une période de quatre ans lui a également été imposée. Selon les motifs de ladite décision, EP n’avait pas présenté de documents établissant ses prétendus liens
familiaux en Estonie et n’était pas titulaire d’un permis de séjour lui donnant le droit de travailler en Finlande.

30 À cette même date, l’Office a demandé aux autorités estoniennes si elles pouvaient envisager le retrait du permis de séjour de résident de longue durée – EU qu’elles avaient délivré à EP.

31 Le 9 décembre 2019, la République d’Estonie ayant indiqué qu’elle n’avait pas l’intention de retirer ce permis de séjour, l’Office a modifié la décision en cause au principal en limitant l’interdiction d’entrée sur le territoire finlandais.

32 L’éloignement d’EP vers la Russie en application de cette décision a eu lieu le 24 mars 2020.

33 Par la suite, EP étant de nouveau entré sur le territoire finlandais, il en a été expulsé vers l’Estonie les 8 août 2020 et 16 novembre 2020.

34 Après que son recours introduit contre la décision en cause au principal avait été rejeté par un jugement du Helsingin hallinto-oikeus (tribunal administratif de Helsinki, Finlande), EP a formé un pourvoi contre ce jugement devant le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême, Finlande), qui est la juridiction de renvoi.

35 Cette dernière juridiction relève que l’Office a notamment fait valoir devant elle que, en l’occurrence, la directive 2003/109, en particulier l’article 17 et l’article 22, paragraphe 3, de celle-ci, n’est pas applicable dès lors que EP ne résidait pas légalement sur le territoire finlandais, ainsi que l’exige l’article 3, paragraphe 1, de cette directive. En effet, EP faisait l’objet d’une interdiction d’entrée sur le territoire finlandais et n’avait pas demandé de permis de séjour en Finlande
après y être entré avec un permis de séjour de résident de longue durée – EU délivré par un autre État membre.

36 Partant, la directive 2008/115 serait applicable. Le départ immédiat d’EP étant requis pour des motifs relevant de l’ordre public et de la sécurité publique, une décision de retour aurait été prise à son égard au titre de cette directive. Or, conformément à cette dernière, une telle décision de retour ne pourrait avoir pour objet qu’un retour dans un pays tiers et non dans un autre État membre.

37 Au regard de l’argumentation de l’Office, la juridiction de renvoi considère, en premier lieu, que les dispositions de la directive 2003/109 ne permettent pas de déterminer de manière univoque quelle interprétation de l’article 3, paragraphe 1, de cette directive il y a lieu de retenir dans une hypothèse telle que celle en cause dans le litige dont elle est saisie.

38 En effet, si le séjour d’EP en Estonie est régulier, sur le fondement du statut de résident de longue durée qui lui a été accordé par cet État membre, tel ne serait pas le cas de son séjour en Finlande, dès lors qu’il n’a pas demandé de permis de séjour dans ce dernier État membre au titre des dispositions du chapitre III de la directive 2003/109 et qu’une interdiction d’entrée sur le territoire finlandais lui a été imposée.

39 En second lieu, cette juridiction estime que la loi relative aux étrangers ne contient pas de dispositions transposant expressément l’article 22, paragraphe 3, de la directive 2003/109 en ce qui concerne l’éloignement du territoire de l’Union d’un ressortissant d’un pays tiers auquel un autre État membre a délivré un permis de séjour de résident de longue durée – EU.

40 Ainsi, selon le libellé de l’article 149, quatrième alinéa, de la loi relative aux étrangers, celle-ci ne s’appliquerait qu’à un étranger auquel un tel permis de séjour a été délivré en Finlande.

41 Dès lors, la question se poserait de savoir si l’article 12, paragraphes 1 et 3, et l’article 22, paragraphe 3, de la directive 2003/109 sont inconditionnels et suffisamment précis quant à leur contenu, au sens de la jurisprudence de la Cour, pour qu’un ressortissant d’un pays tiers puisse les invoquer contre un État membre.

42 Dans ces circonstances, le Korkein hallinto-oikeus (Cour administrative suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) La directive 2003/109 est-elle applicable à l’éloignement, en dehors du territoire de l’Union, d’une personne qui est entrée sur le territoire d’un État membre alors qu’elle faisait l’objet d’une interdiction nationale d’entrer sur le territoire, dont le séjour dans cet État membre n’était par conséquent pas régulier au regard de la législation nationale et qui n’avait pas demandé de permis de séjour dans ledit État membre, lorsqu’un permis de séjour de ressortissant de pays tiers résident
de longue durée a été délivré à cette personne dans un autre État membre ?

Si la première question appelle une réponse affirmative :

2) L’article 12, paragraphes 1 et 3, et l’article 22, paragraphe 3, de la directive 2003/109 sont-ils inconditionnels et suffisamment précis quant à leur contenu pour qu’un ressortissant d’un pays tiers puisse les invoquer contre un État membre ? »

Sur les questions préjudicielles

Sur la première question

43 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 22, paragraphe 3, de la directive 2003/109 doit être interprété en ce sens que la protection renforcée contre l’éloignement dont bénéficient, en vertu de cette disposition, les ressortissants de pays tiers résidents de longue durée est applicable dans le cadre de l’adoption, par le deuxième État membre, au sens de l’article 2, sous d), de cette directive, d’une décision d’éloignement du territoire de l’Union
prise, pour des motifs d’ordre public ou de sécurité publique, à l’égard d’un tel ressortissant d’un pays tiers, lorsque celui-ci, d’une part, séjourne sur le territoire de cet État membre en violation d’une interdiction d’entrée sur ce territoire et, d’autre part, n’a pas déposé, auprès des autorités compétentes dudit État membre, une demande de permis de séjour au titre des dispositions du chapitre III de ladite directive.

44 À titre liminaire, il y a lieu de rappeler, en premier lieu, que le droit de séjour dans le « deuxième État membre », au sens de l’article 2, sous d), de la directive 2003/109, est un droit dérivé du statut de résident de longue durée dans le « premier État membre », au sens de l’article 2, sous c), de cette directive [voir, en ce sens, arrêt du 29 juin 2023, Stadt Frankfurt am Main et Stadt Offenbach am Main (Renouvellement d’un permis de séjour dans le deuxième État membre), C‑829/21
et C‑129/22, EU:C:2023:525, point 44].

45 En deuxième lieu, il importe d’observer que, ainsi que l’énonce le considérant 16 de la directive 2003/109, les résidents de longue durée devraient bénéficier d’une « protection renforcée contre l’expulsion » s’inspirant des critères fixés par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

46 En troisième lieu, il est certes vrai, comme l’Office l’a notamment soutenu devant la juridiction de renvoi, que, dès lors que, en l’occurrence, EP faisait l’objet d’une interdiction d’entrée sur le territoire finlandais et n’avait pas demandé de permis de séjour en Finlande après y être entré avec un permis de séjour de résident de longue durée – UE délivré par un autre État membre, son séjour sur ce territoire était illégal au regard du droit finlandais.

47 Toutefois, il n’en découle pas que, en l’occurrence, la directive 2003/109 ne s’appliquerait pas au motif que le ressortissant d’un pays tiers en cause ne résiderait pas légalement sur le territoire d’un État membre, comme l’exige l’article 3, paragraphe 1, de cette directive, et que, partant, il ne relèverait pas du champ d’application de celle-ci.

48 En effet, dès lors que le ressortissant d’un pays tiers en cause bénéficie du statut de résident de longue durée en République d’Estonie, celui-ci a le droit de résider sur le « territoire d’un État membre », au sens de cet article 3, paragraphe 1, à savoir le territoire estonien.

49 En quatrième lieu, ainsi que M. l’avocat général l’a également relevé, en substance, aux points 37 à 39 de ses conclusions, l’éloignement du territoire de l’Union d’un ressortissant d’un pays tiers résident de longue durée tel que celui en cause au principal relève du champ d’application de la directive 2003/109 et non de celui de la directive 2008/115.

50 En effet, dès lors que les dispositions de la directive 2003/109 qui prévoient une protection renforcée contre l’éloignement de ressortissants de pays tiers résidents de longue durée sont, sans aucun doute, « plus favorables » pour de tels ressortissants de pays tiers que les dispositions en matière d’éloignement prévues par la directive 2008/115, ce sont ces premières dispositions qui s’appliquent, en vertu de l’article 4, paragraphe 2, de la directive 2008/115, à un éloignement du territoire de
l’Union d’un ressortissant d’un pays tiers résident de longue durée tel que celui en cause au principal.

51 Ces observations liminaires ayant été énoncées, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union requiert de tenir compte non seulement de ses termes, mais également du contexte dans lequel elle s’inscrit ainsi que des objectifs et de la finalité que poursuit l’acte dont elle fait partie [arrêt du 21 septembre 2023, Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid (Carte diplomatique), C‑568/21, EU:C:2023:683, point 32 et
jurisprudence citée].

52 S’agissant, tout d’abord, du libellé de l’article 22, paragraphe 3, de la directive 2003/109, il ressort de celui-ci que cette disposition impose quatre conditions au deuxième État membre lorsqu’il entend adopter une décision d’éloignement du territoire de l’Union à l’égard d’un ressortissant d’un pays tiers bénéficiant du statut de résident de longue durée dans un autre État membre.

53 En premier lieu, ce ressortissant d’un pays tiers ne doit pas avoir obtenu le statut de résident de longue durée dans le deuxième État membre. En effet, s’il disposait de ce statut dans cet État membre, ce seraient les dispositions du chapitre II de la directive 2003/109 qui s’appliqueraient, notamment en matière d’éloignement. En deuxième lieu, cet État membre est tenu de se conformer à « l’article 12 [de cette directive] et [aux] garanties qui y sont prévues ». En troisième lieu, une telle
décision d’éloignement ne peut être prise que pour des « motifs graves relevant de l’ordre public ou de la sécurité publique ». En quatrième et dernier lieu, lorsqu’il prend une telle décision d’éloignement, le deuxième État membre est tenu de consulter le premier État membre et de prendre toutes les mesures nécessaires à la mise en œuvre effective de cette décision et de fournir à ce premier État membre les informations appropriées concernant cette mise en œuvre.

54 Force est de constater que le libellé de l’article 22, paragraphe 3, de la directive 2003/109 ne saurait fonder une interprétation de cette disposition selon laquelle la protection renforcée contre l’éloignement qu’elle prévoit ne s’appliquerait pas lorsqu’un ressortissant d’un pays tiers titulaire du statut de résident de longue durée dans le premier État membre séjourne sur le territoire du deuxième État membre en violation d’une interdiction d’entrée et lorsque celui-ci n’a pas déposé, auprès
des autorités compétentes de ce dernier État membre, une demande de permis de séjour au titre des dispositions du chapitre III de cette directive.

55 À cet égard, il est vrai que l’intitulé de l’article 22 de la directive 2003/109, à savoir « Retrait du titre de séjour et obligation de réadmission », et la référence, figurant à cet article 22, paragraphe 1, à la faculté, pour le deuxième État membre, de refuser de renouveler ou de retirer un permis de séjour octroyé au titre des dispositions du chapitre III de cette directive, pourraient laisser entendre que ledit article 22 ne concerne qu’une situation dans laquelle il s’agit de retirer ou de
ne pas renouveler un tel permis de séjour.

56 Or, il y a lieu de constater que le libellé de l’article 22, paragraphe 3, de la directive 2003/109 ne se réfère pas à l’obtention d’un permis de séjour dans le deuxième État membre et qu’il est suffisamment large pour couvrir une situation telle que celle en cause au principal dans laquelle le deuxième État membre adopte une décision d’éloignement du territoire de l’Union à l’égard d’un ressortissant d’un pays tiers résident de longue durée, alors que celui-ci ne lui a pas demandé un permis de
séjour au titre des dispositions du chapitre III de cette directive et ne dispose donc pas d’un tel permis de séjour.

57 Ensuite, s’agissant du contexte dans lequel s’inscrit l’article 22, paragraphe 3, de la directive 2003/109, il convient de relever que cette disposition doit être comprise au regard du régime de protection renforcée contre l’éloignement dont bénéficient, en vertu de cet article 22, les ressortissants de pays tiers résidents de longue durée.

58 Ce régime de protection renforcée est constitué, en premier lieu, par l’article 22, paragraphe 1, de la directive 2003/109, qui prévoit des règles, notamment, en matière d’éloignement du territoire du deuxième État membre d’un ressortissant d’un pays tiers titulaire du statut de résident de longue durée pour les motifs y énumérés.

59 Il est constitué, en deuxième lieu, par l’article 22, paragraphe 3, de cette directive qui, ainsi qu’il a été relevé aux points 52 et 53 du présent arrêt, impose quatre conditions qui, si elles sont remplies, permettent à cet État membre d’adopter une décision d’éloignement du territoire de l’Union d’un tel ressortissant d’un pays tiers.

60 En troisième lieu, ledit régime de protection renforcée comprend des dispositions transversales, à savoir, d’une part, l’article 22, paragraphes 2 et 5, de ladite directive, qui, en cas d’éloignement, par le deuxième État membre, d’un résident de longue durée concerné et des membres de sa famille, impose au premier État membre de réadmettre ceux-ci « immédiatement sans formalités », tout en permettant à ceux-ci de s’installer dans un « troisième État membre », et, d’autre part, l’article 22,
paragraphe 4, de la même directive, interdisant que les décisions d’éloignement visées à l’article 22, paragraphe 1, sous b) et c), de celle-ci soient assorties d’une « interdiction de séjour permanente ».

61 Or, certes, ainsi qu’il a été observé au point 54 du présent arrêt, le libellé de l’article 22, paragraphe 3, de la directive 2003/109 ne saurait fonder une interprétation selon laquelle la protection renforcée contre l’éloignement qu’il prévoit ne s’appliquerait pas à une situation telle que celle en cause au principal. Toutefois, il en va autrement du libellé de l’article 22, paragraphe 1, sous b) et c), de cette directive, dès lors qu’il vise expressément ces deux circonstances en tant que
motifs justifiant l’adoption, à l’égard d’un tel ressortissant d’un pays tiers, d’une décision d’éloignement du territoire dudit État membre.

62 En effet, d’une part, l’article 22, paragraphe 1, sous b), de la directive 2003/109, en ce qu’il vise, notamment, une violation des conditions prévues à l’article 15 de cette directive, permet l’adoption d’une telle décision d’éloignement lorsque n’est pas remplie l’obligation prévue à cet article 15, paragraphe 1, à savoir celle imposée au ressortissant d’un pays tiers résident de longue durée de déposer une demande de permis de séjour auprès des autorités compétentes du deuxième État membre
dans les plus brefs délais et au plus tard trois mois après son entrée sur le territoire de cet État membre.

63 D’autre part, l’article 22, paragraphe 1, sous c), de la directive 2003/109, en ce qu’il se réfère à la situation dans laquelle un ressortissant d’un pays tiers « ne séjourne pas légalement » dans le deuxième État membre en tant que motif permettant de justifier que cet État membre adopte, à l’égard de ce ressortissant d’un pays tiers, une décision d’éloignement de son territoire, couvre la situation d’un séjour sur ce territoire en violation d’une interdiction d’entrée sur celui-ci.

64 En outre, la référence explicite, figurant à l’article 22, paragraphe 1, de la directive 2003/109, à ces deux circonstances visées à cet article 22, paragraphe 1, sous b) et c), en tant que motifs pouvant justifier l’adoption, à l’égard d’un ressortissant d’un pays tiers résident de longue durée, d’une décision d’éloignement du territoire du deuxième État membre conforte la conclusion déjà tirée du libellé de l’article 22, paragraphe 3, de cette directive selon laquelle l’existence de ces
circonstances n’a pas pour effet de rendre cette dernière disposition inapplicable.

65 S’agissant, en particulier, du motif tenant au fait que, en violation de l’article 15, paragraphe 1, de la directive 2003/109, un résident de longue durée n’a pas déposé, auprès des autorités compétentes du deuxième État membre, une demande de permis de séjour, il est vrai, ainsi qu’il a déjà été relevé au point 55 du présent arrêt, que les termes utilisés à l’article 22, paragraphe 1, de cette directive, à savoir la référence, figurant à cette dernière disposition, à la faculté, pour cet État
membre, de refuser de renouveler ou de retirer un permis de séjour octroyé au titre des dispositions du chapitre III de ladite directive, pourraient laisser entendre que cet article 22, paragraphe 1, ne concerne qu’une situation dans laquelle il s’agit de retirer ou de ne pas renouveler un tel permis.

66 Toutefois, il n’en demeure pas moins que ledit article 22, paragraphe 1, vise expressément non seulement des mesures de refus de renouvellement ou de retrait, par le deuxième État membre, d’un permis de séjour octroyé au titre des dispositions de ce chapitre III, mais également d’autres mesures telles que, précisément, des décisions d’éloignement du territoire de cet État membre.

67 Ces différents éléments contextuels confirment la conclusion, déjà tirée de l’examen du libellé de l’article 22, paragraphe 3, de la directive 2003/109, selon laquelle l’applicabilité de la protection renforcée contre l’éloignement du territoire de l’Union prévue à cette disposition n’est pas exclue du fait que la personne concernée séjourne sur le territoire du deuxième État membre alors qu’elle fait l’objet d’une interdiction d’entrée sur ce territoire et qu’elle n’a pas déposé, auprès des
autorités compétentes de cet État membre, une demande de permis de séjour au titre des dispositions du chapitre III de cette directive dans les délais impartis.

68 Enfin, une telle interprétation littérale et contextuelle de l’article 22, paragraphe 3, de la directive 2003/109 est également confortée par la finalité de cette disposition.

69 En effet, cette interprétation, en ce qu’elle procède d’une délimitation des champs d’application respectifs des paragraphes 1 et 3 de l’article 22 de la directive 2003/109, selon qu’il s’agit d’un éloignement du territoire du deuxième État membre ou d’un éloignement du territoire de l’Union et de la protection renforcée contre l’éloignement à géométrie variable qui en découle, permet d’éviter l’existence d’une lacune dans le régime de « protection renforcée contre l’expulsion » que vise à
assurer l’article 22 de cette directive, ainsi que cela ressort du considérant 16 de celle-ci, et, partant, d’assurer l’effectivité de ce régime.

70 Ladite interprétation garantit ainsi qu’un ressortissant d’un pays tiers bénéficie dudit régime de protection renforcée même s’il séjourne sur le territoire du deuxième État membre en violation d’une interdiction d’entrée sur ce territoire et n’a pas déposé, auprès des autorités compétentes de cet État membre, une demande de permis de séjour au titre des dispositions du chapitre III de ladite directive.

71 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de répondre à la première question que l’article 22, paragraphe 3, de la directive 2003/109 doit être interprété en ce sens que la protection renforcée contre l’éloignement dont bénéficient, en vertu de cette disposition, les ressortissants de pays tiers résidents de longue durée est applicable dans le cadre de l’adoption, par le deuxième État membre, au sens de l’article 2, sous d), de cette directive, d’une décision d’éloignement
du territoire de l’Union prise, pour des motifs d’ordre public ou de sécurité publique, à l’égard d’un tel ressortissant d’un pays tiers, lorsque celui-ci, d’une part, séjourne sur le territoire de cet État membre en violation d’une interdiction d’entrée sur ce territoire et, d’autre part, n’a pas déposé, auprès des autorités compétentes dudit État membre, une demande de permis de séjour au titre des dispositions du chapitre III de ladite directive.

Sur la seconde question

72 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 12, paragraphe 3, et l’article 22, paragraphe 3, de la directive 2003/109 doivent être interprétés en ce sens qu’ils permettent à un ressortissant d’un pays tiers résident de longue durée d’invoquer ces dispositions contre le deuxième État membre, au sens de l’article 2, sous d), de cette directive, lorsque celui-ci entend prendre, à l’égard de ce ressortissant d’un pays tiers, une décision d’éloignement du
territoire de l’Union pour des motifs d’ordre public ou de sécurité publique.

73 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, selon une jurisprudence constante, dans tous les cas où des dispositions d’une directive apparaissent, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, les particuliers sont fondés à les invoquer contre un État membre soit lorsque celui‑ci s’est abstenu de transposer dans les délais cette directive dans le droit national, soit lorsqu’il en a fait une transposition incorrecte [arrêt du 20 avril 2023, Autorità Garante della
Concorrenza e del Mercato (Commune de Ginosa), C‑348/22, EU:C:2023:301, point 62 et jurisprudence citée].

74 La Cour a précisé qu’une disposition du droit de l’Union est, d’une part, inconditionnelle lorsqu’elle énonce une obligation qui n’est assortie d’aucune condition ni subordonnée, dans son exécution ou dans ses effets, à l’intervention d’aucun acte soit des institutions de l’Union, soit des États membres, autre que l’acte qui la transpose dans le droit national et, d’autre part, suffisamment précise pour être invoquée par un justiciable et appliquée par le juge lorsqu’elle énonce une obligation
dans des termes non équivoques [arrêt du 20 avril 2023, Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato (Commune de Ginosa), C‑348/22, EU:C:2023:301, point 63 et jurisprudence citée].

75 En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que l’article 12, paragraphe 3, et l’article 22, paragraphe 3, de la directive 2003/109 n’ont pas été expressément transposés dans le droit finlandais.

76 Toutefois, au regard de la jurisprudence rappelée aux points 73 et 74 du présent arrêt, il convient de constater que ces dispositions sont de nature à pouvoir produire un effet direct au bénéfice des ressortissants de pays tiers concernés. En effet, lesdites dispositions présentent un caractère inconditionnel et suffisamment précis en ce que, sans prévoir de condition ni rendre nécessaire l’adoption de mesures supplémentaires, elles obligent, dans des termes non équivoques, le deuxième État
membre, lorsqu’il prend, à l’égard d’un ressortissant d’un pays tiers résident de longue durée, une décision d’éloignement du territoire de l’Union pour des motifs d’ordre public ou de sécurité publique, à assurer le respect des différentes conditions et garanties que prévoient les mêmes dispositions en faveur d’un tel ressortissant d’un pays tiers et qui s’inscrivent dans l’objectif de protection renforcée contre l’éloignement poursuivi par la directive 2003/109.

77 Il en va ainsi tant de l’article 22, paragraphe 3, de la directive 2003/109, qui, ainsi qu’il a été rappelé aux points 52 et 53 du présent arrêt, impose, en substance, quatre conditions particulières au deuxième État membre lorsqu’il adopte une décision d’éloignement du territoire de l’Union à l’égard d’un ressortissant d’un pays tiers résident de longue durée, que de l’article 12, paragraphe 3, de cette directive, dès lors que cette dernière disposition énumère quatre éléments que cet
article 22, paragraphe 3, qualifie de « garanties » et que les États membres concernés doivent prendre en compte lors de l’adoption d’une telle décision d’éloignement, à savoir la durée de la résidence sur leur territoire, l’âge de la personne concernée, les conséquences pour elle et pour les membres de sa famille ainsi que les liens avec le pays de résidence ou l’absence de liens avec le pays d’origine.

78 Partant, ces différentes conditions et garanties étant prescrites par des dispositions qui doivent être considérées comme étant, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, il s’ensuit que, conformément au principe consacré par la jurisprudence rappelée au point 73 du présent arrêt, les particuliers sont fondés à les invoquer contre un État membre.

79 Au regard de ce qui précède, il convient de répondre à la seconde question que l’article 12, paragraphe 3, et l’article 22, paragraphe 3, de la directive 2003/109 doivent être interprétés en ce sens qu’ils permettent à un ressortissant d’un pays tiers résident de longue durée d’invoquer ces dispositions contre le deuxième État membre, au sens de l’article 2, sous d), de cette directive, lorsque celui-ci entend prendre, à l’égard de ce ressortissant d’un pays tiers, une décision d’éloignement du
territoire de l’Union pour des motifs d’ordre public ou de sécurité publique.

Sur les dépens

80 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (deuxième chambre) dit pour droit :

  1) L’article 22, paragraphe 3, de la directive 2003/109/CE du Conseil, du 25 novembre 2003, relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée, telle que modifiée par la directive 2011/51/UE du Parlement européen et du Conseil, du 11 mai 2011,

doit être interprété en ce sens que :

la protection renforcée contre l’éloignement dont bénéficient, en vertu de cette disposition, les ressortissants de pays tiers résidents de longue durée est applicable dans le cadre de l’adoption, par le deuxième État membre, au sens de l’article 2, sous d), de cette directive, d’une décision d’éloignement du territoire de l’Union européenne prise, pour des motifs d’ordre public ou de sécurité publique, à l’égard d’un tel ressortissant d’un pays tiers, lorsque celui-ci, d’une part, séjourne sur
le territoire de cet État membre en violation d’une interdiction d’entrée sur ce territoire et, d’autre part, n’a pas déposé, auprès des autorités compétentes dudit État membre, une demande de permis de séjour au titre des dispositions du chapitre III de ladite directive.

  2) L’article 12, paragraphe 3, et l’article 22, paragraphe 3, de la directive 2003/109, telle que modifiée par la directive 2011/51,

doivent être interprétés en ce sens que :

ils permettent à un ressortissant d’un pays tiers résident de longue durée d’invoquer ces dispositions contre le deuxième État membre, au sens de l’article 2, sous d), de cette directive, lorsque celui-ci entend prendre, à l’égard de ce ressortissant d’un pays tiers, une décision d’éloignement du territoire de l’Union européenne pour des motifs d’ordre public ou de sécurité publique.

  Signatures

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( *1 ) Langue de procédure : le finnois.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : C-752/22
Date de la décision : 14/03/2024

Analyses

Renvoi préjudiciel – Politique d’immigration – Statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée – Directive 2003/109/CE – Articles 12 et 22 – Protection renforcée contre l’éloignement – Applicabilité – Ressortissant d’un pays tiers séjournant sur le territoire d’un autre État membre que celui lui ayant accordé le statut de résident de longue durée – Décision d’éloignement vers l’État membre lui ayant accordé ce statut prise, par cet autre État membre, pour des motifs d’ordre public et de sécurité publique – Interdiction d’entrée temporaire sur le territoire dudit autre État membre, imposée par celui ci – Manquement à l’obligation de déposer, auprès du même autre État membre, une demande de permis de séjour au titre des dispositions du chapitre III de la directive 2003/109 – Décision d’éloignement de ce ressortissant d’un pays tiers vers son pays d’origine prise par ce dernier État membre pour les mêmes motifs.


Parties
Demandeurs : EP
Défendeurs : Maahanmuuttovirasto.

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:225

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award