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18/01/2024 | CJUE | N°C-656/22

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Askos Properties EOOD contre Zamestnik izpalnitelen direktor na Darzhaven fond „Zemedelie“., 18/01/2024, C-656/22


 ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

18 janvier 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Agriculture – Politique agricole commune (PAC) – Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) – Mesures de soutien au développement rural – Règlement (CE) no 1974/2006 – Contrat de bail ou d’affermage – Contrat de bail conclu entre une administration municipale et le bénéficiaire d’une aide – Engagements sur cinq ans – Résiliation du contrat de bail à la suite d’une modification législative – Obligation de rembourser une p

artie ou la totalité de l’aide perçue –
Impossibilité de l’adaptation des engagements à une nouvelle situation ...

 ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

18 janvier 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Agriculture – Politique agricole commune (PAC) – Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) – Mesures de soutien au développement rural – Règlement (CE) no 1974/2006 – Contrat de bail ou d’affermage – Contrat de bail conclu entre une administration municipale et le bénéficiaire d’une aide – Engagements sur cinq ans – Résiliation du contrat de bail à la suite d’une modification législative – Obligation de rembourser une partie ou la totalité de l’aide perçue –
Impossibilité de l’adaptation des engagements à une nouvelle situation de l’exploitation – Notions de “force majeure” et de “circonstances exceptionnelles” – Notion d’“expropriation de l’exploitation” »

Dans l’affaire C‑656/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême, Bulgarie), par décision du 28 septembre 2022, parvenue à la Cour le 19 octobre 2022, dans la procédure

Askos Properties EOOD

contre

Zamestnik izpalnitelen direktor na Darzhaven fond « Zemedelie »,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. M. Safjan, faisant fonction de président de chambre, MM. N. Jääskinen et M. Gavalec (rapporteur), juges,

avocat général : M. G. Pitruzzella,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour le Zamestnik izpalnitelen direktor na Darzhaven fond « Zemedelie », par Mme Y. Kancheva,

– pour la Commission européenne, par Mme G. Koleva et M. A. Sauka, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 2, sous f), du règlement (UE) no 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune et abrogeant les règlements (CEE) no 352/78, (CE) no 165/94, (CE) no 2799/98, (CE) no 814/2000, (CE) no 1290/2005 et no 485/2008 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 549), ainsi que de l’article 47, paragraphe 3, du règlement (UE)
no 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et abrogeant le règlement (CE) no 1698/2005 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 487).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant Askos Properties EOOD, société de droit bulgare, au Zamestnik izpalnitelen direktor na Darzhaven fond « Zemedelie » (directeur exécutif adjoint du Fonds national agricole, Bulgarie) au sujet d’une décision imposant à cette société le remboursement de 50 % d’une subvention perçue par ladite société au titre de la mesure 211 du programme de développement rural 2007-2013.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le règlement (CE) no 1698/2005

3 Le règlement (CE) no 1698/2005 du Conseil, du 20 septembre 2005, concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (JO 2005, L 277, p. 1), a été abrogé par le règlement no 1305/2013. Toutefois, en vertu de l’article 88 du règlement no 1305/2013, le règlement no 1698/2005 continuait à s’appliquer aux opérations mises en œuvre en application des programmes que la Commission européenne avait approuvés en vertu de ce règlement avant le
1er janvier 2014.

4 L’article 36 du règlement no 1698/2005, intitulé « Mesures », disposait :

« L’aide prévue au titre de la présente section concerne :

a) les mesures axées sur l’utilisation durable des terres agricoles grâce à :

i) des paiements destinés aux agriculteurs situés dans des zones de montagne qui visent à compenser les handicaps naturels,

ii) des paiements destinés aux agriculteurs situés dans des zones qui présentent des handicaps autres que ceux des zones de montagne,

[...]

[...] »

5 L’article 37 de ce règlement, intitulé « Paiements destinés à compenser les handicaps naturels des zones de montagne et paiements en faveur d’autres zones présentant des handicaps », prévoyait :

« 1.   Les paiements prévus à l’article 36, points a) i) et ii), sont accordés annuellement par hectare de superficie agricole utile [...] au sens de la décision 2000/115/CE de la Commission, du 24 novembre 1999, concernant les définitions des caractéristiques, la liste des produits agricoles, les exceptions aux définitions ainsi que les régions et circonscriptions pour les enquêtes sur la structure des exploitations agricoles [(JO 2000, L 38, p. 1)].

Ils sont destinés à compenser les coûts supplémentaires supportés par les agriculteurs ainsi que la perte de revenus subie en raison du handicap de la zone concernée pour la production agricole.

2.   Les paiements sont accordés aux exploitants qui s’engagent à poursuivre leur activité agricole dans les zones délimitées conformément à l’article 50, paragraphes 2 et 3, pendant une période minimale de cinq ans à compter du premier paiement.

[...] »

Le règlement no 1974/2006

6 Le règlement (CE) no 1974/2006 de la Commission, du 15 décembre 2006, portant modalités d’application du règlement (CE) no 1698/2005 du Conseil concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (JO 2006, L 368, p. 15), tel que modifié par le règlement (CE) no 434/2007 de la Commission, du 20 avril 2007 (JO 2007, L 104, p. 8) (ci-après le « règlement no 1974/2006 »), a été abrogé par le règlement délégué (UE) no 807/2014 de la
Commission, du 11 mars 2014, complétant le règlement (UE) no 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et introduisant des dispositions transitoires (JO 2014, L 227, p. 1). Toutefois, en vertu de l’article 19 du règlement délégué no 807/2014, le règlement no 1974/2006 restait applicable aux opérations mises en œuvre en application des programmes que la Commission avait approuvés en
vertu du règlement no 1698/2005 avant le 1er janvier 2014.

7 Le considérant 37 du règlement no 1974/2006 énonçait :

« Il y a lieu d’arrêter des règles communes à plusieurs mesures, notamment en ce qui concerne la mise en œuvre des actions intégrées, les mesures d’investissement, les transferts d’exploitations pendant la période d’exécution d’un engagement souscrit comme condition d’octroi d’un soutien, l’accroissement de la superficie des exploitations et la définition des différentes catégories de cas de force majeure ou de circonstances exceptionnelles. »

8 Ce règlement comportait un chapitre III, intitulé « Mesures de développement rural », dont la section 2, intitulée « Dispositions communes applicables à plusieurs mesures », contenait les articles 42 à 47 de celui-ci.

9 Aux termes de l’article 45, paragraphe 4, dudit règlement :

« Si le bénéficiaire se trouve dans l’impossibilité de continuer à honorer les engagements souscrits du fait que son exploitation fait l’objet d’un remembrement ou de mesures d’aménagement foncier décidées ou approuvées par les autorités publiques compétentes, les États membres prennent les mesures nécessaires pour permettre d’adapter les engagements à la nouvelle situation de l’exploitation. Si l’adaptation se révèle impossible, l’engagement prend fin sans qu’il soit exigé de remboursement pour
la période pendant laquelle l’engagement a été effectif. »

10 L’article 47 du règlement no 1974/2006 était ainsi libellé :

« 1.   Les États membres peuvent reconnaître, en particulier, les catégories suivantes de cas de force majeure ou de circonstances exceptionnelles, pour lesquels ils n’exigeront pas le remboursement d’une partie ou de la totalité de l’aide reçue par le bénéficiaire :

a) décès du bénéficiaire ;

b) incapacité professionnelle de longue durée du bénéficiaire ;

c) expropriation d’une partie importante de l’exploitation, si cette expropriation n’était pas prévisible le jour de la souscription de l’engagement ;

d) catastrophe naturelle grave ayant des effets importants sur les terres de l’exploitation ;

e) destruction accidentelle des bâtiments de l’exploitation destinés à l’élevage ;

f) épizootie touchant tout ou partie du cheptel de l’exploitant.

2.   Le bénéficiaire ou son ayant droit notifient par écrit à l’autorité compétente les cas de force majeure ou de circonstances exceptionnelles, dans un délai de dix jours ouvrables à compter du jour où ils sont en mesure de le faire, et y joignent, à la satisfaction de l’autorité compétente, les justificatifs correspondants. »

Le règlement no 1305/2013

11 Le considérant 36 du règlement no 1305/2013 dispose :

« Certaines mesures liées à la surface dans le cadre du présent règlement exigent que les bénéficiaires prennent des engagements sur cinq ans au moins. Au cours de cette période, il est possible que des changements se produisent dans la situation de l’exploitation ou du bénéficiaire. Il convient donc de fixer des règles pour déterminer ce qui devrait se produire dans ces cas. »

12 L’article 47 de ce règlement, intitulé « Règles régissant les paiements liés à la surface », prévoit, à ses paragraphes 3 et 4 :

« 3.   Si le bénéficiaire se trouve dans l’impossibilité de continuer à honorer les engagements souscrits du fait que son exploitation ou une partie de son exploitation fait l’objet d’un remembrement ou de mesures d’aménagement foncier décidées ou approuvées par les autorités publiques compétentes, les États membres prennent les mesures nécessaires pour permettre d’adapter les engagements à la nouvelle situation de l’exploitation. Si l’adaptation se révèle impossible, l’engagement prend fin et le
remboursement ne peut être exigé pour la période pendant laquelle l’engagement a été effectif.

4.   Le remboursement de l’aide perçue n’est pas requis dans les cas de force majeure et dans les circonstances exceptionnelles visées à l’article 2 du règlement (UE) no 1306/2013. »

Le règlement no 1306/2013

13 Le considérant 5 du règlement no 1306/2013 énonce :

« Afin de garantir la cohérence entre les pratiques des États membres ainsi qu’une application harmonisée de la clause de force majeure par les États membres, il convient que le présent règlement prévoie, le cas échéant, des dérogations en cas de force majeure et de circonstances exceptionnelles, ainsi qu’une liste non exhaustive des cas possibles de force majeure et des circonstances exceptionnelles que les autorités nationales compétentes devront reconnaître. Ces autorités devraient prendre des
décisions relatives à la force majeure ou aux circonstances exceptionnelles au cas [par] cas, sur la base de preuves convaincantes et en appliquant la notion de force majeure à la lumière du droit agricole de l’Union, y compris la jurisprudence de la Cour de justice. »

14 L’article 2 de ce règlement, intitulé « Termes utilisés dans le présent règlement », dispose, à son paragraphe 2 :

« Aux fins du financement, de la gestion et du suivi de la [politique agricole commune (PAC)], peuvent notamment être reconnus comme cas de force majeure ou circonstances exceptionnelles les cas suivants :

a) le décès du bénéficiaire ;

b) l’incapacité professionnelle de longue durée du bénéficiaire ;

c) une catastrophe naturelle grave qui affecte de façon importante l’exploitation ;

d) la destruction accidentelle des bâtiments de l’exploitation destinés à l’élevage ;

e) une épizootie ou une maladie des végétaux affectant tout ou partie du cheptel ou du capital végétal de l’agriculteur ;

f) l’expropriation de la totalité ou d’une grande partie de l’exploitation pour autant que cette expropriation n’ait pu être anticipée le jour de l’introduction de la demande. »

15 Aux termes l’article 121 du règlement no 1306/2013 :

« 1.   Le présent règlement entre en vigueur le jour de sa publication au Journal officiel de l’Union européenne.

Il est applicable à partir du 1er janvier 2014.

2.   Toutefois, en ce qui concerne les dispositions suivantes :

a) les articles 7, 8, 16, 25, 26 et 43 s’appliquent à partir du 16 octobre 2013 ;

b) les articles 18 et 40 s’appliquent aux dépenses effectuées à partir du 16 octobre 2013 ;

c) l’article 52 s’applique à partir du 1er janvier 2015. »

Le droit bulgare

Le ZSPZZ

16 L’article 37i du zakon za sobstvenostta i polzvaneto na zemedelskite zemi (loi sur la propriété et l’exploitation des terres agricoles) (DV no 17, du 1er mars 1991, ci-après le « ZSPZZ ») est ainsi libellé :

« (1)   Les pâturages, prés et prairies du fonds foncier de l’État et du fonds foncier communal sont loués ou donnés en affermage, conformément à l’article 24a, paragraphe 2, aux propriétaires ou aux utilisateurs d’exploitations d’élevage détenant des animaux de pâturage enregistrés dans le système intégré d’information dе la Balgarska agentsia po bezopasnost na hranite [Agence bulgare de sécurité alimentaire], en fonction du nombre et du type d’animaux enregistrés, à un prix déterminé par un
mécanisme de marché. Les pâturages, prés et prairies du fonds foncier de l’État et du fonds foncier communal sont loués ou donnés en affermage à des personnes qui n’ont pas de dettes fiscales, ni de dettes envers le Fonds national agricole, le fonds foncier de l’État ou le fonds foncier communal, ni encore d’obligations relatives aux terres au titre de l’article 37c, paragraphe 3, point 2.

[...]

(4)   Les pâturages, prés et prairies sont répartis entre les ayants droit qui ont des élevages enregistrés dans la zone foncière respective, en fonction du nombre et du type d’animaux de pâturage enregistrés, selon les pâturages, prés et prairies possédés ou utilisés à titre légal, mais dans la limite de 15 décares par unité de gros bétail dans les propriétés des première à septième catégories et/ou de 30 décares par unité de gros bétail dans les propriétés des huitième à dixième catégories. Les
personnes éligibles élevant des bovins pour la production de viande et des animaux de races indigènes (autochtones) se voient attribuer jusqu’à 20 décares par unité animale dans les propriétés de la première à la septième catégorie et jusqu’à 40 décares par unité animale dans les propriétés de la huitième à la dixième catégorie. Les ayants droit élevant des bovins pour le lait ou la viande, des ovins et/ou des caprins approuvés pour un soutien dans le cadre des activités des sous-mesures
“Paiements pour la conversion à l’agriculture biologique” et “Paiements pour le maintien de l’agriculture biologique” incluses dans le volet “élevage biologique” se voient attribuer des terres à raison de jusqu’à 0,15 unité de gros bétail par hectare, indépendamment de la catégorie de la propriété. »

La loi modifiant le ZSPZZ

17 Le paragraphe 15 des dispositions transitoires et finales de la loi modifiant le ZSPZZ dispose :

« (1) Les bénéficiaires qui ont conclu, avant le 24 février 2015, des contrats de bail ou d’affermage de pâturages, prés et prairies du fonds foncier de l’État et du fonds foncier communal sont tenus de mettre les contrats en conformité avec les exigences de l’article 37i, paragraphes 1 et 4, avant le 1er février 2016.

(2) Les bénéficiaires approuvés dans le cadre du volet visé à l’article 3, paragraphe 3, de l’arrêté no 4 du 24 février 2015 relatif à la mise en œuvre de la mesure 11 “Agriculture biologique” du Programme de développement rural 2014-2020 [...] qui ont conclu, avant le 24 février 2015, des contrats de bail ou d’affermage de pâturages, prés et prairies du fonds foncier de l’État et du fonds foncier communal et dont tous les animaux de pâturage et les pâturages sont agréés pour le soutien, sont
tenus, avant le 1er février 2016, de mettre les contrats en conformité avec les exigences de l’article 37i, paragraphe 1, en respectant le rapport d’au moins 0,15 unité d’animal par hectare, quelle que soit la catégorie.

(3) Les contrats de bail ou d’affermage de pâturages, prés et prairies du fonds foncier de l’État et du fonds foncier communal, qui ne sont pas mis en conformité dans le délai prévu au paragraphe 1 ou 2, sont résiliés par le maire de la commune, ou par le directeur de la direction régionale “Agriculture”. »

L’arrêté no 11/2008

18 Le naredba no 11 za usloviata i reda za prilagane na myarka 211 « Plashtania na zemedelski stopani za prirodni ogranichenia v planinskite rayoni » i myarka 212 « Plashtania na zemedelski stopani v rayoni s ogranichenia, razlichni ot planinskite rayoni » ot Programata za razvitie na selskite rayoni za perioda 2007 - 2013 (arrêté no 11 relatif aux conditions et aux modalités de mise en œuvre de la mesure 211 « Paiements destinés aux agriculteurs situés dans des zones de montagne qui visent à
compenser les handicaps naturels » et de la mesure 212 « Paiements destinés aux agriculteurs situés dans des zones qui présentent des handicaps autres que ceux des zones de montagne » du programme de développement rural pour la période 2007-2013), du 3 avril 2008 (DV no 40, du 18 avril 2008, ci-après l’« arrêté no 11/2008 »), adopté par le ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, prévoit à son article 1er, paragraphe 1 :

« Le présent arrêté régit les conditions et les modalités de mise en œuvre des mesures suivantes du programme de développement rural 2007-2013, financé par le Fonds européen agricole pour le développement rural :

1. “Paiements destinés aux agriculteurs situés dans des zones de montagne qui visent à compenser les handicaps naturels” ;

2. “Paiements destinés aux agriculteurs situés dans des zones qui présentent des handicaps autres que ceux des zones de montagne”. »

19 Selon l’article 2 de cet arrêté, les agriculteurs qui ont présenté une demande de soutien pour l’une des mesures visées à l’article 1er, paragraphe 1, de celui-ci exercent une activité agricole dans les zones de montagne ou dans les zones qui présentent des handicaps, autres que celles de montagne, pendant toute la durée du soutien.

20 L’article 4 dudit arrêté énonce, à son paragraphe 1 :

« [...] Les demandeurs de soutien au titre du présent arrêté sont tenus :

[...]

3. de présenter chaque année après le premier paiement compensatoire une demande de soutien en y déclarant des terres situées dans la zone défavorisée concernée ;

[...] »

21 Aux termes de l’article 14 de l’arrêté no 11/2008 :

« (1)   Un agriculteur qui ne présente pas de demande de soutien financier au cours de la période d’engagement de cinq ans est exclu du bénéfice de l’aide au titre du présent arrêté et est tenu de restituer les montants perçus au titre des paiements compensatoires pour les zones défavorisées jusqu’à ce point, ou une partie de ces montants, en fonction de l’année au cours de laquelle il a mis fin à sa participation aux mesures, de la manière suivante :

1) après la première année, à 100 % ;

2) après la deuxième année, à 75 % ;

3) après la troisième année, à 50 % ;

4) après la quatrième année, à 25 %.

[...]

(3)   Les fonds visés au paragraphe 1 sont recouvrés, avec les intérêts légaux à compter de la notification à l’agriculteur de l’obligation de rembourser ce montant jusqu’à la date du remboursement effectif ou de la déduction effective du montant. »

22 L’article 15 de cet arrêté est ainsi libellé :

« (1)   En cas de force majeure ou de circonstances exceptionnelles, l’article 14 ne s’applique pas, l’engagement est résilié et aucun remboursement partiel ou total de l’aide perçue par l’agriculteur n’est exigé.

(2)   Les cas de force majeure ou de circonstances exceptionnelles ainsi que les preuves pertinentes (documents délivrés par l’autorité administrative compétente) sont notifiés par écrit au Fonds national agricole – Organisme payeur par l’agriculteur, par toute autre personne mandatée par lui ou par son héritier dans un délai de 10 jours ouvrables à compter de la date à laquelle l’agriculteur, son mandataire ou son héritier est en mesure de le faire ».

23 Aux termes des dispositions complémentaires, au sens dudit arrêté on entend par « force majeure » ou « circonstances exceptionnelles » :

« а) le décès du bénéficiaire ;

b) l’incapacité professionnelle de longue durée du bénéficiaire ;

c) l’expropriation d’une grande partie de l’exploitation si cela n’était pas prévisible le jour où l’engagement a été pris ;

d) une catastrophe naturelle majeure qui affecte gravement les terres de l’exploitation ;

[...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

24 De l’année 2013 à l’année 2015, Askos Properties a déposé plusieurs demandes de soutien financier auprès du Fonds national agricole au titre de la mesure 211 du programme de développement rural 2007-2013.

25 Dans ce cadre, elle s’est engagée à maintenir les terres agricoles communales, louées au cours de l’année 2012 par des contrats de bail conclus pour cinq ans avec deux communes bulgares, dans de bonnes conditions agricoles et environnementales ainsi qu’à exercer une activité agricole dans la zone défavorisée concernée pendant une période d’au moins cinq années consécutives.

26 Pour l’année 2013, Askos Properties n’a pas perçu de subvention. Pour les années 2014 et 2015, les montants qui lui ont été alloués étaient, respectivement, de 15866 leva bulgares (BGN) (environ 8112 euros) et de 21796 BGN (environ 11144 euros).

27 Au cours de l’année 2015, une modification de l’article 37i, paragraphes 1 et 4, du ZSPZZ a été adoptée, pour que les pâturages, les prés et les prairies des fonds fonciers de l’État ou des communes soient loués ou distribués exclusivement aux propriétaires ou aux utilisateurs d’exploitations détenant des herbivores, en fonction du nombre et du type d’animaux qu’ils ont enregistrés.

28 Un délai courant jusqu’au 1er février 2016 a été accordé aux utilisateurs des terres ayant conclu, avant le 24 février 2015, un contrat de bail ou d’affermage pour des pâturages, des prés et des prairies appartenant à des fonds fonciers de l’État ou des communes pour mettre un tel contrat en conformité avec les nouvelles exigences en vigueur prévues par ladite modification.

29 Ces exigences n’ayant pas été respectées par Askos Properties, les deux communes concernées ont résilié, au cours de l’année 2016, les contrats de bail de terres agricoles conclus avec cette société.

30 Le directeur exécutif adjoint du Fonds national agricole a émis, le 23 janvier 2020, un acte constatant une créance publique de l’État à l’égard de Askos Properties, pour un montant de 18831 BGN (environ 9628 euros), correspondant à 50 % du montant total qui lui avait été versé au titre de la mesure 211 pour les campagnes de développement rural 2013 à 2015.

31 Le recours introduit contre cet acte ayant été rejeté par le jugement de l’Administrativen sad Sofia-grad (tribunal administratif de la ville de Sofia, Bulgarie), Askos Properties a formé un pourvoi en cassation contre ce jugement devant le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême, Bulgarie), la juridiction de renvoi.

32 Dans son pourvoi, Askos Properties soutient que la résiliation des contrats de bail par les communes concernées constitue un « cas de force majeure » et/ou une « circonstance exceptionnelle », au sens de l’article 15 de l’arrêté no 11/2008, de sorte qu’elle ne serait pas tenue de rembourser la subvention perçue.

33 La juridiction de renvoi s’interroge, d’une part, sur le point de savoir si les résiliations de contrats de bail, intervenues à la suite d’une modification de la législation nationale, qui ne pouvait pas être anticipée par le bénéficiaire à la date de son engagement sont susceptibles d’être qualifiées de « cas de force majeure » ou de « circonstances exceptionnelles », voire d’« expropriation », au sens de l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 1306/2013.

34 Elle se demande, d’autre part, si de telles résiliations de contrats de bail relèvent des dispositions de l’article 47, paragraphe 3, du règlement no 1305/2013.

35 Dans ces conditions, le Varhoven administrativen sad (Cour administrative suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Comment convient-il d’interpréter l’article 2, paragraphe 2, sous f), du règlement [no 1306/2013], en vertu duquel, aux fins du financement, de la gestion et du suivi de la PAC, peut notamment être reconnue comme cas de force majeure ou comme des circonstances exceptionnelles l’expropriation de la totalité ou d’une grande partie de l’exploitation, pour autant que cette expropriation n’ait pu être anticipée le jour de l’introduction de la demande ? Plus précisément, la résiliation d’un
contrat conclu entre une administration communale et un bénéficiaire de la mesure 211 “Paiements destinés aux agriculteurs situés dans des zones de montagne qui visent à compenser les handicaps naturels” du programme de développement rural 2007-2013 et portant sur le droit d’utilisation de terres agricoles communales (pâturages, prés et prairies), constitue-t-elle un cas de force majeure ou des circonstances exceptionnelles, ou encore une expropriation de la totalité ou d’une grande partie
de l’exploitation, lorsque ladite résiliation est intervenue à la suite d’une modification de la législation bulgare qui ne pouvait être anticipée par le bénéficiaire à la date de l’engagement ?

2) La situation visée à l’article 47, paragraphe 3, du règlement [no 1305/2013] [survient-elle] dans le cas de la résiliation d’un contrat de bail de terres communales conclu avec un bénéficiaire au titre de la mesure 21[1] “Paiements destinés aux agriculteurs situés dans des zones de montagne qui visent à compenser les handicaps naturels”, lorsque cette résiliation est intervenue à la suite d’une modification de la législation nationale – les modifications et ajouts apportés par la loi modifiant
et complétant [le ZSPZZ] ayant introduit une obligation pour l’agriculteur de disposer d’un site d’élevage et d’enregistrer un certain nombre d’animaux d’élevage auprès de l’Agence bulgare de sécurité alimentaire (Balgarska agentsia po bezopasnost na hranite), selon les proportions visées à l’article [37i], paragraphe 4, du [ZSPZZ], pour que ledit agriculteur puisse obtenir des terres agricoles en bail ou en affermage – et que, au jour de l’engagement, ni le bénéficiaire ni l’autorité
administrative ne pouvaient anticiper cette modification ? »

Sur les questions préjudicielles

Observations liminaires

36 Selon une jurisprudence constante, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises. En outre, la Cour peut être amenée à prendre en considération des normes du droit de l’Union auxquelles le
juge national n’a pas fait référence dans l’énoncé de sa question (arrêt du 7 septembre 2023, Groenland Poultry, C‑169/22, EU:C:2023:638, point 47 et jurisprudence citée).

37 Il ressort de la demande de décision préjudicielle que l’application de l’arrêté no 11/2008 au litige pendant devant la juridiction de renvoi n’est pas contesté. Il convient de rappeler que, selon l’article 1er, paragraphe 1, de cet arrêté, celui-ci régit les conditions et les modalités de mise en œuvre, notamment, de la mesure 211 du programme de développement rural 2007-2013, financé par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader).

38 Or, en vertu de l’article 88 du règlement no 1305/2013, qui a abrogé le règlement no 1698/2005, ce dernier règlement continue à s’appliquer aux opérations mises en œuvre en application des programmes que la Commission approuve en vertu dudit règlement avant le 1er janvier 2014. De même, conformément à l’article 19 du règlement délégué no 807/2014, qui a abrogé le règlement no 1974/2006, ce dernier règlement reste applicable aux opérations mises en œuvre en application des programmes que la
Commission approuve en vertu du règlement no 1698/2005 avant le 1er janvier 2014.

39 Étant donné que la mesure 211 du programme de développement rural 2007-2013 constitue une telle opération et que sont en cause au principal des obligations de maintenir des terres agricoles et d’exercer une activité agricole, dans une zone défavorisée, pendant au moins cinq années consécutives, les circonstances du non-respect de ces obligations doivent être appréciées au regard des dispositions du règlement no 1698/2005 et du règlement no 1974/2006 (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2019,
Järvelaev, C‑580/17, EU:C:2019:391, points 37, 38 et 42).

40 Il importe d’ajouter que, lorsque le recouvrement des sommes indûment versées dans le cadre d’un programme d’aide, approuvé et cofinancé par le Feader au titre de la période de programmation 2007-2013, intervient après la fin de cette période de programmation, à savoir après le 1er janvier 2014, ce recouvrement doit être fondé sur les dispositions du règlement no 1306/2013 (voir, en ce sens, arrêt du 8 mai 2019, Järvelaev, C‑580/17, EU:C:2019:391, point 42). Toutefois, la demande de décision
préjudicielle ne concerne pas les modalités du recouvrement des montants alloués à Askos Properties pour les campagnes 2014 et 2015.

41 Dans ces conditions, il convient de considérer que les questions préjudicielles soumises à la Cour dans la présente affaire visent les dispositions du règlement no 1974/2006.

Sur la première question

42 Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 47, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006 doit être interprété en ce sens que la résiliation, par une administration communale, d’un contrat de bail ou d’affermage portant sur une terre agricole et conclu pour cinq ans avec le bénéficiaire d’une aide agricole, qui a été octroyée dans le cadre de programmes de développement rural d’un État membre au financement desquels le Feader a contribué, intervenue à la
suite d’une modification de la législation nationale introduisant de nouvelles exigences conditionnant le maintien de tels contrats, relève de la notion de « cas de force majeure » ou de celle de « circonstances exceptionnelles », au sens de cet article 47, paragraphe 1, notamment un cas d’« expropriation de l’exploitation », au sens dudit article 47, paragraphe 1, sous c).

43 L’article 47, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006 dispose que les États membres peuvent reconnaître, en particulier, les catégories figurant à ce paragraphe 1, sous a) à f), de cas de force majeure ou de circonstances exceptionnelles, pour lesquels ils n’exigeront pas le remboursement d’une partie ou de la totalité de l’aide reçue par le bénéficiaire.

44 Cette disposition prévoit une exception facultative au principe du remboursement de l’aide par le bénéficiaire en cas du non-respect de l’engagement auquel ce bénéficiaire a souscrit comme condition d’octroi de ladite aide pendant la période d’exécution de cet engagement.

45 En l’occurrence, les informations contenues dans la décision de renvoi ne permettent pas de déterminer sans équivoque si, conformément à ce qui ressort de l’article 15, paragraphe 1, de l’arrêté no 11/2008, l’exception prévue à l’article 47, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006 est mise en œuvre, en droit bulgare, de manière à ce que relèvent de celle-ci tous les cas de force majeure ou de circonstances exceptionnelles, au sens dudit article 47, paragraphe 1, ou si la portée de cette exception
est limitée aux seuls cas de figure visés aux dispositions complémentaires de cet arrêté, parmi lesquels figure celui de l’« expropriation de l’exploitation ».

46 Afin de donner à la juridiction de renvoi une réponse utile en toute hypothèse, il convient de répondre à la question tant au regard de la notion de « cas de force majeure » ou de celle de « circonstances exceptionnelles », au sens de l’article 47, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006, que de la catégorie particulière de l’« expropriation de l’exploitation », figurant au point c) de cette disposition, étant entendu qu’il appartiendra à cette juridiction de vérifier la portée exacte de la mise
en œuvre dudit article 47, paragraphe 1, dans son droit national.

47 S’agissant, en premier lieu, de la question de savoir si la résiliation des contrats de bail en cause au principal peut constituer un « cas de force majeure » ou une « circonstance exceptionnelle », au sens de l’article 47, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006, il importe de rappeler que, dans le contexte du Feader, la Cour a déjà jugé que constitue un cas de force majeure tout événement dû à des circonstances étrangères à l’opérateur, anormales et imprévisibles, dont les conséquences
n’auraient pas pu être évitées malgré toutes les diligences déployées par ce dernier (arrêts du 17 décembre 2015, Szemerey, C‑330/14, EU:C:2015:826, point 58 ; du 16 février 2023, Zamestnik izpalnitelen direktor na Darzhaven fond « Zemedelie », C‑343/21, EU:C:2023:111, point 58, et du 7 septembre 2023, Groenland Poultry, C‑169/22, EU:C:2023:638, point 39).

48 Il découle du considérant 37 et de l’article 47, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006 que la liste visée à cette dernière disposition n’est pas exhaustive et que la notion de « cas de force majeure » ou celle de « circonstances exceptionnelles », au sens de ladite disposition, est donc susceptible de couvrir les cas ne figurant pas sur cette liste. Ainsi, selon les circonstances de l’affaire au principal, les comportements des autorités publiques peuvent également constituer un « cas de force
majeure » ou une « circonstance exceptionnelle » (voir, en ce sens, arrêt du 7 décembre 1993, Huygen e.a., C‑12/92, EU:C:1993:914, point 31).

49 Il importe de relever que, si ladite liste ne contient que des faits objectifs, l’intéressé qui se prévaut de l’existence d’un « cas de force majeure » ou de « circonstances exceptionnelles » doit également être en mesure d’établir qu’il s’est prémuni contre les conséquences de l’événement anormal, conformément à la jurisprudence rappelée au point 47 du présent arrêt, en prenant des mesures appropriées sans consentir des sacrifices excessifs (voir, en ce sens, arrêt du 19 juin 2019,
RF/Commission, C‑660/17 P, EU:C:2019:509, point 37 et jurisprudence citée).

50 Il s’ensuit qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier, d’une part, si la modification de la législation nationale introduisant de nouvelles exigences à l’article 37i du ZSPZZ, dont le respect est une condition pour le maintien des contrats de bail ou d’affermage tels que ceux en cause au principal, ainsi que la résiliation, par les deux communes concernées, des contrats de bail conclus avec Askos Properties constituent, du point de vue de cette dernière, des événements étrangers,
anormaux et imprévisibles et, d’autre part, si Askos Properties a pris toutes les mesures qu’il lui était possible de prendre, sans s’exposer à un sacrifice excessif, pour mettre ces contrats en conformité avec lesdites nouvelles exigences.

51 Dans ce cadre, il y a lieu d’apprécier, entre autres, si le délai prévu pour se conformer aux nouvelles exigences introduites par la modification de l’article 37i du ZSPZZ a été suffisamment long. Il convient également d’apprécier si, en vue de se conformer à ces nouvelles exigences, Askos Properties avait une réelle possibilité d’acquérir un site d’élevage et d’enregistrer le nombre d’animaux requis auprès des autorités compétentes. Il en va de même pour la question de savoir si, pour honorer
ses engagements, Askos Properties avait la possibilité d’utiliser d’autres terres que celles mises à sa disposition par les communes en cause au principal et s’il lui a été possible de se procurer des terres éligibles à la mesure 211 du programme de développement rural 2007‑2013 auprès de personnes physiques et morales privées.

52 S’agissant, en second lieu, de la question de savoir si la résiliation d’un contrat tel que ceux en cause au principal peut relever de la notion d’« expropriation de l’exploitation », au sens de l’article 47, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1974/2006, il y a lieu de relever que cette notion n’est pas définie dans ce règlement ni, de manière indirecte, par renvoi aux droits nationaux des États membres. Ainsi, ladite notion doit être considérée comme étant une notion autonome du droit de
l’Union, qui doit être interprétée de manière uniforme sur le territoire de cette dernière, en tenant compte non seulement des termes de ladite disposition, mais également du contexte dans lequel celle-ci s’inscrit et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie [voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2021, Venezuela/Conseil (Affectation d’un État tiers), C‑872/19 P, EU:C:2021:507, point 42 et jurisprudence citée].

53 En ce qui concerne, premièrement, les termes de cet article 47, paragraphe 1, sous c), ceux-ci se limitent à indiquer que l’« expropriation d’une partie importante de l’exploitation », lorsque celle-ci « n’était pas prévisible le jour de la souscription de l’engagement », est, notamment, susceptible d’être reconnue par les États membres, en tant qu’une catégorie de cas de force majeure ou de circonstances exceptionnelles, pour lesquels ils n’exigeront pas le remboursement d’une partie ou de la
totalité de l’aide perçue par le bénéficiaire. Le libellé dudit article 47, paragraphe 1, sous c), ne fournit donc pas d’élément utile pour définir la notion d’« expropriation de l’exploitation », au sens de celui-ci.

54 Deuxièmement, s’agissant du contexte dans lequel s’insère l’article 47, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1974/2006, il y a lieu de relever, tout d’abord, qu’aucune autre disposition de ce règlement ne comporte la définition de la notion d’« expropriation de l’exploitation », au sens de celui-ci. Ensuite, la précision selon laquelle l’« expropriation d’une partie importante de l’exploitation » ne doit pas être « prévisible le jour de la souscription de l’engagement » a vocation à déterminer
les situations dans lesquelles un remboursement de l’aide n’a pas lieu et non pas à éclairer la signification de cette notion. Enfin, les autres catégories figurant à l’article 47, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006 ne contiennent pas d’avantage d’éléments permettant de définir ladite notion.

55 Troisièmement, quant à l’objectif poursuivi par ce règlement, celui-ci établit, ainsi qu’il ressort de son intitulé, les modalités d’application du règlement no 1698/2005 concernant le soutien au développement rural par le Feader. Or, selon l’article 37 de ce dernier règlement, les paiements destinés à compenser les handicaps naturels des zones de montagne et les paiements en faveur d’autres zones présentant des handicaps sont en principe accordés aux exploitants qui s’engagent à poursuivre leur
activité agricole dans les zones concernées pendant une période minimale de cinq ans à compter du premier paiement. La réalisation de cet objectif suppose donc que les exploitants qui ont conclu des contrats de bail pour une période d’au moins cinq ans afin de disposer des terres se trouvant dans de telles zones en vue d’exercer leur activité agricole et d’en percevoir les revenus puissent se servir de ces terres pendant cette période.

56 À cet égard, il peut être déduit de la jurisprudence de la Cour que la notion d’« expropriation », au sens de l’article 47, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1974/2006, inclut les mesures privatives de propriété ainsi que les mesures qui peuvent être assimilées à celles-ci (voir, par analogie, arrêt du 12 décembre 1990, van der Laan-Velzeboer, C‑285/89, EU:C:1990:460, points 14 et 15).

57 En outre, la Cour a déjà jugé que constitue une privation de propriété, au sens de l’article 17, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), la suppression, de manière forcée, intégrale et définitive d’un droit d’usufruit, dans la mesure où un tel droit constitue un démembrement du droit de propriété, en ce qu’il confère à son titulaire deux attributs essentiels de ce dernier droit, à savoir le droit de se servir du bien concerné et le droit
d’en percevoir les revenus [voir, en ce sens, arrêt du 21 mai 2019, Commission/Hongrie (Usufruits sur terres agricoles), C‑235/17, EU:C:2019:432, points 81 et 82].

58 Ainsi, lorsqu’une réglementation nationale, de par son contenu ou du fait de sa mise en œuvre par une autorité nationale, supprime de manière forcée, intégrale et définitive les droits de se servir des terres concernées et d’en percevoir les revenus dans le chef d’un exploitant ayant conclu un contrat de bail aux fins de disposer desdites terres pendant la période pluriannuelle exigée pour être éligible à un financement par le Feader, il convient de considérer que cette réglementation comporte
une privation du droit de propriété, au sens de l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, et constitue, de ce fait, une « expropriation de l’exploitation », au sens de l’article 47, paragraphe 1, sous c), du règlement no 1974/2006.

59 Il ressort du dossier dont dispose la Cour que le paragraphe 15 des dispositions transitoires et finales de la loi modifiant le ZSPZZ n’impose la résiliation des contrats de bail ou d’affermage qu’à la condition que ceux-ci n’aient pas été mis en conformité avec les nouvelles exigences prévues à l’article 37i du ZSPZZ dans le délai imparti à cet effet. Sous réserve des vérifications qui incombent à la juridiction de renvoi, la résiliation d’un contrat de bail ou d’affermage sur la base d’une
telle réglementation n’implique donc pas la suppression, de manière forcée, intégrale et définitive, des droits que tire le preneur d’un tel contrat.

60 Cependant, selon la jurisprudence de la Cour, afin d’établir l’existence d’une privation de propriété, au sens de l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, il convient non seulement d’examiner s’il y a eu une expropriation formelle, mais encore de rechercher si la situation litigieuse équivaut à une expropriation de fait (voir, en ce sens, arrêt du 5 mai 2022, BPC Lux 2 e.a., C‑83/20, EU:C:2022:346, point 44).

61 Il appartient à la juridiction de renvoi, qui ne fournit aucune indication quant au point de savoir si Askos Properties avait la possibilité de prendre des mesures pour se conformer aux nouvelles exigences imposées par l’article 37i du ZSPZZ et si elle a pris des mesures à cet égard, d’examiner les effets concrets et les incidences réelles de l’introduction de ces exigences sur la situation d’Askos Properties ainsi que tous les éléments pertinents afin de déterminer s’il y a eu, dans l’affaire au
principal, une privation du droit de propriété. Dans ce contexte, il incombe à cette juridiction d’effectuer, entre autres, les appréciations indiquées au point 51 du présent arrêt.

62 Eu égard aux motifs qui précèdent, il convient de répondre à la première question que l’article 47, paragraphe 1, du règlement no 1974/2006 doit être interprété en ce sens que la résiliation, par une administration communale, d’un contrat de bail ou d’affermage portant sur une terre agricole et conclu pour cinq ans avec le bénéficiaire d’une aide agricole, qui a été octroyée dans le cadre de programmes de développement rural d’un État membre au financement desquels le Feader a contribué,
intervenue à la suite d’une modification de la législation nationale introduisant de nouvelles exigences conditionnant le maintien d’un tel contrat, est susceptible de constituer

– un « cas de force majeure » ou une « circonstance exceptionnelle », au sens de cet article 47, paragraphe 1, lorsque cette résiliation constitue un événement étranger, anormal et imprévisible pour ce bénéficiaire et celui-ci a pris toutes les mesures qu’il lui était possible de prendre, sans s’exposer à un sacrifice excessif, pour mettre le contrat de bail concerné en conformité avec les nouvelles exigences introduites,

– un cas d’« expropriation de l’exploitation », au sens dudit article 47, paragraphe 1, sous c), lorsque ladite résiliation constitue une mesure privative de propriété privant ledit bénéficiaire des droits de se servir des terres agricoles louées et d’en percevoir les revenus.

Sur la seconde question

63 Par sa seconde question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 45, paragraphe 4, du règlement no 1974/2006 doit être interprété en ce sens qu’il s’applique à une situation dans laquelle l’impossibilité, pour le bénéficiaire d’une aide agricole, de continuer à honorer les engagements auxquels il a souscrit résulte de la résiliation, par une administration communale, du contrat de bail ou d’affermage portant sur une terre agricole et conclu pour cinq ans avec ce bénéficiaire,
intervenue à la suite d’une modification de la législation nationale introduisant de nouvelles exigences, selon lesquelles ledit bénéficiaire est tenu de disposer d’un site d’élevage et d’enregistrer un certain nombre d’animaux d’élevage auprès des autorités nationales compétentes, dont le respect est une condition pour le maintien d’un tel contrat.

64 Afin de répondre à cette question, il y a lieu de rappeler que l’article 45, paragraphe 4, du règlement no 1974/2006 couvre le cas du bénéficiaire se trouvant dans l’impossibilité de continuer à honorer les engagements souscrits du fait que son exploitation fait l’objet d’un remembrement ou de mesures d’aménagement foncier décidées ou approuvées par les autorités publiques compétentes.

65 La Cour a déjà jugé qu’est susceptible de relever des notions de « remembrement » ou de « mesures d’aménagement foncier » décidées ou approuvées par les autorités publiques compétentes toute opération qui vise à la reconfiguration et au réarrangement de parcelles agricoles afin de constituer des exploitations agricoles plus rationnelles dans l’utilisation des sols et qui est décidée ou approuvée par les autorités publiques compétentes (arrêt du 16 février 2023, Zamestnik izpalnitelen direktor na
Darzhaven fond  Zemedelie , C‑343/21, EU:C:2023:111, point 39).

66 Cette disposition ne s’applique pas lorsque l’impossibilité de continuer à honorer les engagements pris par un bénéficiaire d’une aide agraire résulte du fait que, ce bénéficiaire ne remplissant pas les nouvelles exigences lui imposant de disposer d’un site d’élevage et d’enregistrer un certain nombre d’animaux d’élevage auprès des autorités nationales compétentes, l’administration communale est tenue, en vertu du droit national, de résilier le contrat de bail ou d’affermage, conclu pour cinq ans
avec ledit bénéficiaire, portant sur les terres nécessaires à son exploitation.

67 En effet, dans une telle hypothèse, l’impossibilité, pour le bénéficiaire concerné, de continuer à honorer ses engagements en raison de la perte du droit d’utiliser les terres nécessaires à son exploitation au cours de la période d’exécution desdits engagements résulte non pas d’une mesure de restructuration des sols, mais d’une modification des conditions d’octroi de l’aide agraire.

68 Dès lors, il y a lieu de répondre à la seconde question que l’article 45, paragraphe 4, du règlement no 1974/2006 doit être interprété en ce sens qu’il ne s’applique pas à une situation dans laquelle l’impossibilité, pour le bénéficiaire d’une aide agricole, de continuer à honorer les engagements auxquels il a souscrit résulte de la résiliation, par une administration communale, du contrat de bail ou d’affermage portant sur une terre agricole et conclu pour cinq ans avec ce bénéficiaire,
intervenue à la suite d’une modification de la législation nationale introduisant de nouvelles exigences, selon lesquelles ledit bénéficiaire est tenu de disposer d’un site d’élevage et d’enregistrer un certain nombre d’animaux d’élevage auprès des autorités nationales compétentes, dont le respect est une condition pour le maintien d’un tel contrat.

Sur les dépens

69 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

  1) L’article 47, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1974/2006 de la Commission, du 15 décembre 2006, portant modalités d’application du règlement (CE) no 1698/2005 du Conseil concernant le soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader), tel que modifié par le règlement (CE) no 434/2007 de la Commission, du 20 avril 2007,

doit être interprété en ce sens que :

la résiliation, par une administration communale, d’un contrat de bail ou d’affermage portant sur une terre agricole et conclu pour cinq ans avec le bénéficiaire d’une aide agricole, qui a été octroyée dans le cadre de programmes de développement rural d’un État membre au financement desquels le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) a contribué, intervenue à la suite d’une modification de la législation nationale introduisant de nouvelles exigences conditionnant le
maintien d’un tel contrat, est susceptible de constituer

– un « cas de force majeure » ou une « circonstance exceptionnelle », au sens de cet article 47, paragraphe 1, lorsque cette résiliation constitue un événement étranger, anormal et imprévisible pour ce bénéficiaire et celui-ci a pris toutes les mesures qu’il lui était possible de prendre, sans s’exposer à un sacrifice excessif, pour mettre le contrat de bail concerné en conformité avec les nouvelles exigences introduites,

– un cas d’« expropriation de l’exploitation », au sens dudit article 47, paragraphe 1, sous c), lorsque ladite résiliation constitue une mesure privative de propriété privant ledit bénéficiaire des droits de se servir des terres agricoles louées et d’en percevoir les revenus.

  2) L’article 45, paragraphe 4, du règlement no 1974/2006, tel que modifié par le règlement no 434/2007,

doit être interprété en ce sens que :

il ne s’applique pas à une situation dans laquelle l’impossibilité, pour le bénéficiaire d’une aide agricole, de continuer à honorer les engagements auxquels il a souscrit résulte de la résiliation, par une administration communale, du contrat de bail ou d’affermage portant sur une terre agricole et conclu pour cinq ans avec ce bénéficiaire, intervenue à la suite d’une modification de la législation nationale introduisant de nouvelles exigences, selon lesquelles ledit bénéficiaire est tenu de
disposer d’un site d’élevage et d’enregistrer un certain nombre d’animaux d’élevage auprès des autorités nationales compétentes, dont le respect est une condition pour le maintien d’un tel contrat.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le bulgare.


Synthèse
Formation : Huitième chambre
Numéro d'arrêt : C-656/22
Date de la décision : 18/01/2024

Analyses

Renvoi préjudiciel – Agriculture – Politique agricole commune (PAC) – Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) – Mesures de soutien au développement rural – Règlement (CE) no 1974/2006 – Contrat de bail ou d’affermage – Contrat de bail conclu entre une administration municipale et le bénéficiaire d’une aide – Engagements sur cinq ans – Résiliation du contrat de bail à la suite d’une modification législative – Obligation de rembourser une partie ou la totalité de l’aide perçue – Impossibilité de l’adaptation des engagements à une nouvelle situation de l’exploitation – Notions de “force majeure” et de “circonstances exceptionnelles” – Notion d’“expropriation de l’exploitation”.


Parties
Demandeurs : Askos Properties EOOD
Défendeurs : Zamestnik izpalnitelen direktor na Darzhaven fond „Zemedelie“.

Origine de la décision
Date de l'import : 20/01/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:56

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