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18/01/2024 | CJUE | N°C-562/22

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, JD contre OB., 18/01/2024, C-562/22


 ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

18 janvier 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 63 TFUE – Libre circulation des capitaux – Restrictions – Acquisitions de terres agricoles dans un État membre – Obligation pour l’acquéreur d’avoir la qualité de résident depuis plus de cinq ans »

Dans l’affaire C‑562/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Rayonen sad Burgas (tribunal d’arrondissement de Burgas, Bulgarie), par décision du 15 août

2022, parvenue à la Cour le 25 août 2022, dans la procédure

JD

contre

OB,

LA COUR (huitième chambre),

...

 ARRÊT DE LA COUR (huitième chambre)

18 janvier 2024 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 63 TFUE – Libre circulation des capitaux – Restrictions – Acquisitions de terres agricoles dans un État membre – Obligation pour l’acquéreur d’avoir la qualité de résident depuis plus de cinq ans »

Dans l’affaire C‑562/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Rayonen sad Burgas (tribunal d’arrondissement de Burgas, Bulgarie), par décision du 15 août 2022, parvenue à la Cour le 25 août 2022, dans la procédure

JD

contre

OB,

LA COUR (huitième chambre),

composée de M. N. Piçarra, président de chambre, MM. M. Safjan (rapporteur) et M. Gavalec, juges,

avocat général : M. N. Emiliou,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour la Commission européenne, par MM. M. Mataija, G. von Rintelen et I. Zaloguin, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation des articles 18, 49, 63 et 345 TFUE ainsi que de l’article 45 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant JD, ressortissant autrichien, à OB, ressortissant bulgare, au sujet d’une demande tendant à faire constater la nullité de contrats, eu égard à leur caractère prétendument fictif, relatifs à l’acquisition de terres agricoles en Bulgarie.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 L’article 1er, paragraphe 1, de la directive 88/361/CEE du Conseil, du 24 juin 1988, pour la mise en œuvre de l’article [63 TFUE] (JO 1988, L 178, p. 5), dispose :

« Les États membres suppriment les restrictions aux mouvements de capitaux intervenant entre les personnes résidant dans les États membres, sans préjudice des dispositions figurant ci-après. Pour faciliter l’application de la présente directive, les mouvements de capitaux sont classés selon la nomenclature établie à l’annexe I. »

4 Ainsi qu’il ressort de son point II, A, la nomenclature établie à l’annexe I de la directive 88/361 prévoit que les mouvements de capitaux visés par cette dernière comprennent les « Investissements immobiliers effectués sur le territoire national par des non-résidents ».

5 La partie de cette nomenclature intitulée « Notes explicatives » est libellée comme suit :

« Au sens de la présente nomenclature et aux seules fins de la [présente] directive, on entend par :

[...]

Investissements immobiliers

Les achats de propriétés bâties et non bâties ainsi que la construction de bâtiments par des personnes privées à des fins lucratives ou personnelles. Cette catégorie comprend également les droits d’usufruit, les servitudes foncières et les droits de superficie.

[...] »

Le droit bulgare

6 L’article 3c du zakon za sobstvenostta i polzvaneto na zemedelskite zemi (loi sur la propriété et l’utilisation des terres agricoles), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après la « ZSPZZ »), prévoit :

« (1)   Peuvent acquérir un droit de propriété sur des terres agricoles les personnes physiques ou morales qui résident ou sont établies en Bulgarie depuis plus de cinq ans.

(2)   Les personnes morales enregistrées en vertu du droit bulgare depuis moins de cinq ans peuvent acquérir un droit de propriété sur des terres agricoles lorsque les associés de la société, les membres de l’association ou les fondateurs de la société anonyme satisfont aux exigences du paragraphe 1.

[...]

(4)   Le paragraphe 1 ne s’applique pas en cas d’acquisition d’un droit de propriété sur des terres agricoles par succession légale. »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

7 Au cours des années 2004 et 2005, EF, de nationalité bulgare, père et de cujus de la partie défenderesse au principal, OB, a proposé à JD, un ressortissant autrichien, d’acquérir, avec d’autres personnes, une part indivise dans trois parcelles de terres agricoles distinctes situées en Bulgarie (ci-après les « terres agricoles en cause »).

8 JD a donné suite à cette proposition en versant une somme de 51000 euros pour l’acquisition des parts indivises dans les terres agricoles en cause et une somme de 9000 euros au titre de frais de transaction. Dans le cadre de cette opération, EF a informé JD que, en raison de l’interdiction, alors applicable en droit bulgare aux étrangers, d’acquérir des droits de propriété sur des terres agricoles situées en Bulgarie, les actes notariés relatifs à l’achat des terres agricoles en cause devraient
mentionner le nom de EF en qualité d’acquéreur pour les parts indivises de JD, étant précisé que ce dernier en serait le véritable acquéreur. EF a également indiqué que ces parts indivises seraient officiellement cédées à JD par acte notarié après l’abrogation de cette interdiction en droit bulgare.

9 La vente des terres agricoles en cause aux différents indivisaires a fait l’objet de trois contrats conclus par actes notariés au cours des années 2004 et 2005, mentionnant le nom de EF en tant qu’acquéreur des parts indivises devant revenir à JD.

10 Au cours de l’année 2006, EF a établi, pour chacune des terres agricoles en cause, trois déclarations sous serment devant notaire par lesquelles il indiquait que JD était le véritable propriétaire de ces parts indivises.

11 Le 3 avril 2021, EF est décédé, laissant pour seul héritier son fils, OB.

12 Le recours introduit par JD devant le Rayonen sad Burgas (tribunal d’arrondissement de Burgas, Bulgarie), qui est la juridiction de renvoi, tend à faire constater, d’une part, qu’il est le véritable propriétaire desdites parts indivises et, d’autre part, la nullité des trois contrats de vente des terres agricoles en cause. À ce dernier égard, JD fait valoir que ces contrats sont fictifs, dès lors qu’il doit être considéré comme le véritable propriétaire, aux termes des déclarations sous serment
établies par EF, qui n’a agi qu’en qualité de prête‑nom.

13 OB fait valoir que les déclarations invoquées par JD n’étaient pas de nature à démontrer la qualité de prête-nom de son père, dès lors qu’elles n’étaient pas signées par les deux parties, à savoir par JD et EF.

14 La juridiction de renvoi indique que, conformément à la législation bulgare actuellement en vigueur, plus précisément l’article 3c de la ZSPZZ, seules les personnes physiques et morales qui résident ou sont établies en Bulgarie depuis plus de cinq ans peuvent acquérir un droit de propriété sur des terres agricoles situées sur le territoire de cet État membre.

15 Elle précise qu’elle doit se prononcer dans la présente affaire sur le point de savoir si les trois contrats de vente conclus par EF sont fictifs et, dans l’affirmative, si la convention dissimulée par ces trois contrats doit produire ses effets. Pour ce faire, il lui serait nécessaire, conformément à la réglementation nationale actuellement en vigueur, de vérifier que les conditions de validité de la convention dissimulée sont remplies, l’une de ces conditions étant que l’acheteur ait le droit
d’acquérir des terres agricoles en Bulgarie. Or, JD ne satisferait pas à cette condition, dès lors qu’il ne remplirait pas la condition de résidence posée à l’article 3c de la ZSPZZ.

16 Dans ce même contexte, se poserait la question de savoir si l’article 3c de la ZSPZZ méconnaît le droit de l’Union en ce qu’il constitue une restriction, notamment, à la liberté d’établissement et à la libre circulation des capitaux consacrées respectivement aux articles 49 et 63 TFUE. La réponse à cette question serait d’autant plus pertinente que la Commission européenne aurait ouvert une procédure d’infraction à l’égard de la République de Bulgarie et portant, notamment, sur cette disposition
de droit bulgare.

17 Dans ces conditions, le Rayonen sad Burgas (tribunal d’arrondissement de Burgas) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Sur le fondement de l’article 19, paragraphe 3, sous b), TUE et de l’article 267, paragraphe 1, sous b), et paragraphe 3, TFUE, la réglementation en cause au principal de la République de Bulgarie en tant qu’État membre de l’Union [européenne], qui subordonne l’acquisition d’un droit de propriété sur des terres agricoles en Bulgarie à une condition de résidence de cinq années sur le territoire de cet État membre constitue-t-elle une restriction contraire aux articles 18, 49, 63 et 345 TFUE ?

2) Plus particulièrement, la condition précitée relative à l’acquisition de la propriété constitue-t-elle une mesure disproportionnée qui viole en substance l’interdiction de discrimination et les principes de libre circulation des capitaux et de liberté d’établissement des personnes dans le cadre de l’Union, prévus aux articles 18, 49 et 63 TFUE, ainsi qu’à l’article 45 de la [charte des droits fondamentaux] ? »

Sur les questions préjudicielles

18 Par ses questions, qu’il y a lieu d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si les articles 18, 49, 63 et 345 TFUE doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation d’un État membre en vertu de laquelle l’acquisition d’un droit de propriété sur des terres agricoles situées sur son territoire est subordonnée à la condition que l’acquéreur ait la qualité de résident depuis plus de cinq ans.

Sur la compétence de la Cour

19 Il ressort d’une jurisprudence constante que la Cour est compétente pour interpréter le droit de l’Union pour ce qui concerne l’application de celui-ci dans un nouvel État membre à partir de la date d’adhésion de ce dernier à l’Union (arrêt du 6 mars 2018, SEGRO et Horváth, C‑52/16 et C‑113/16, EU:C:2018:157, point 39 ainsi que jurisprudence citée).

20 En l’occurrence, il y a lieu de relever que les contrats de vente relatifs aux terres agricoles en cause ont été conclus au cours des années 2004 et 2005, soit avant l’adhésion de la République de Bulgarie à l’Union, intervenue le 1er janvier 2007. Sont également antérieures à cette adhésion les déclarations sous serment établies par EF au cours de l’année 2006.

21 Il ressort cependant de la demande de décision préjudicielle que, en raison des exigences de la réglementation bulgare, la juridiction de renvoi pourrait être amenée à apprécier la validité de la convention dissimulée au regard de la législation nationale en vigueur à la date à laquelle elle est appelée à statuer. En l’occurrence, la juridiction serait amenée à appliquer l’article 3c de la ZSPZZ, adopté au cours de l’année 2014. Dans une telle situation, les droits de propriété de JD pourraient
donc être reconnus par une règle de droit introduite après l’adhésion de la République de Bulgarie à l’Union.

22 Par ailleurs, il découle de la décision de renvoi que seule l’application de la réglementation nationale actuellement en vigueur est susceptible de procurer un droit de propriété à JD, dès lors que la réglementation bulgare antérieure à l’adoption de cet article 3c interdisait à toute personne physique et morale étrangère d’acquérir un droit de propriété sur des terres agricoles bulgares.

23 Il découle de ce qui précède que la question posée par la juridiction de renvoi porte sur la compatibilité avec le droit de l’Union d’une réglementation nationale, adoptée par un État membre après la date de son adhésion à l’Union, susceptible d’avoir des effets juridiques sur des contrats de vente et des déclarations établis avant cette date.

24 Dans ces conditions, la Cour est compétente pour répondre aux questions posées dans la présente affaire.

Sur le fond

Sur l’applicabilité de l’article 49 TFUE, relatif à la liberté d’établissement, et/ou de l’article 63 TFUE, relatif à la libre circulation des capitaux, au litige au principal

25 À titre liminaire, il convient de rappeler que l’article 18 TFUE, évoqué par la juridiction de renvoi dans ses questions préjudicielles, n’a vocation à s’appliquer de façon autonome que dans des situations régies par le droit de l’Union pour lesquelles le traité FUE ne prévoit pas de règles spécifiques de non-discrimination. Or, ce traité prévoit une telle règle spécifique à l’article 49 TFUE dans le domaine de la liberté d’établissement et à l’article 63 TFUE dans le domaine relevant de la libre
circulation des capitaux, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’examiner la réglementation nationale en cause au principal au regard de l’article 18 TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 5 février 2014, Hervis Sport- és Divatkereskedelmi, C‑385/12, EU:C:2014:47, points 25 et 26, ainsi que du 30 avril 2020, Société Générale, C‑565/18, EU:C:2020:318, point 16).

26 En outre, s’agissant de l’article 345 TFUE, auquel se réfère également la juridiction de renvoi dans ses questions préjudicielles, celui-ci exprime le principe de la neutralité des traités à l’égard du régime de propriété dans les États membres. Toutefois, cet article n’a pas pour effet de soustraire les régimes de propriété existant dans les États membres aux règles fondamentales du traité FUE. Ainsi, si ledit article ne remet pas en cause la faculté, pour les États membres, d’instituer un
régime d’acquisition de la propriété foncière prévoyant des mesures spécifiques s’appliquant aux transactions portant sur des terres agricoles, un tel régime n’échappe pas, notamment, à la règle de non-discrimination, ni aux règles relatives à la liberté d’établissement et à la libre circulation des capitaux (voir, en ce sens, arrêt du 6 mars 2018, SEGRO et Horváth, C‑52/16 et C‑113/16, EU:C:2018:157, point 51 ainsi que jurisprudence citée).

27 Ces précisions étant faites, les questions préjudicielles se réfèrent tant à la liberté d’établissement, consacrée à l’article 49 TFUE, qu’à la libre circulation des capitaux, garantie à l’article 63 TFUE. Il importe, dès lors, de déterminer la liberté en cause dans le litige au principal, en prenant en considération, pour ce faire, l’objet de la réglementation nationale en cause dans ce litige (voir, en ce sens, arrêt du 6 mars 2018, SEGRO et Horváth, C‑52/16 et C‑113/16, EU:C:2018:157,
points 52 et 53 ainsi que jurisprudence citée).

28 En l’occurrence, la réglementation nationale en cause au principal, à savoir l’article 3c de la ZSPZZ, a pour objet de régir, en le limitant, le droit, pour les personnes physiques et morales non-résidentes, d’acquérir des terres agricoles situées sur le territoire bulgare. Or, il convient de rappeler que, lorsque le droit d’acquérir, d’exploiter et d’aliéner des biens immobiliers sur le territoire d’un autre État membre est exercé, en tant que complément du droit d’établissement, il génère des
mouvements de capitaux (voir, en ce sens, arrêt du 6 mars 2018, SEGRO et Horváth, C‑52/16 et C‑113/16, EU:C:2018:157, point 54 ainsi que jurisprudence citée).

29 Ainsi, bien que, en l’occurrence, l’article 3c de la ZSPZZ soit, a priori, susceptible de relever des deux libertés fondamentales évoquées par la juridiction de renvoi, il n’en demeure pas moins que, dans le contexte caractérisant l’affaire au principal, les éventuelles restrictions à la liberté d’établissement résultant de cette réglementation nationale constitueraient une conséquence inévitable de la restriction à la libre circulation des capitaux et ne justifient pas, dès lors, un examen
autonome de celle-ci au regard de l’article 49 TFUE (voir, par analogie, arrêt du 6 mars 2018, SEGRO et Horváth, C‑52/16 et C‑113/16, EU:C:2018:157, point 55 ainsi que jurisprudence citée).

30 En effet, les mouvements de capitaux comprennent notamment les opérations par lesquelles des non‑résidents effectuent des investissements immobiliers sur le territoire d’un État membre, ainsi qu’il ressort de la nomenclature des mouvements de capitaux figurant à l’annexe I de la directive 88/361, cette nomenclature conservant la valeur indicative qui était la sienne pour définir la notion de mouvements de capitaux (arrêt du 6 mars 2018, SEGRO et Horváth, C‑52/16 et C‑113/16, EU:C:2018:157,
point 56 ainsi que jurisprudence citée).

31 Or, relèvent de cette notion, notamment, les investissements immobiliers portant sur l’acquisition de droits de propriété sur des terres agricoles ainsi qu’en atteste, en particulier, la précision, contenue dans les notes explicatives de ladite nomenclature, selon laquelle la catégorie des investissements immobiliers couverts par cette dernière inclut « les achats de propriétés bâties et non bâties ».

32 En l’occurrence, il ressort de la demande de décision préjudicielle que le litige au principal porte sur la question de l’acquisition par un non‑résident, à savoir un ressortissant autrichien, de droits de propriété sur des terres agricoles situées sur le territoire de la République de Bulgarie.

33 Cette situation relevant de la libre circulation des capitaux, au sens de l’article 63 TFUE, il convient d’examiner la réglementation nationale en cause au principal exclusivement au regard de cette liberté.

Sur l’existence d’une restriction à la libre circulation des capitaux

34 Selon une jurisprudence constante, l’article 63, paragraphe 1, TFUE interdit de manière générale les entraves aux mouvements de capitaux entre les États membres. Les mesures interdites par cette disposition, en tant que restrictions aux mouvements de capitaux, comprennent celles qui sont de nature à dissuader les non‑résidents de faire des investissements dans un État membre ou à dissuader les résidents de cet État membre d’en faire dans d’autres États [arrêt du 29 avril 2021, Veronsaajien
oikeudenvalvontayksikkö (Revenus versés par des OPCVM), C‑480/19, EU:C:2021:334, point 26 et jurisprudence citée].

35 Or, force est de constater que, par son objet même, la condition de résidence prévue à l’article 3c de la ZSPZZ constitue une entrave à la libre circulation des capitaux (voir, par analogie, arrêt du 25 janvier 2007, Festersen, C‑370/05, EU:C:2007:59, point 25). Cette réglementation nationale est, par ailleurs, de nature à dissuader les non-résidents de faire des investissements en Bulgarie [voir, par analogie, arrêt du 21 mai 2019, Commission/Hongrie (Usufruits sur terres agricoles), C‑235/17,
EU:C:2019:432, point 58 et jurisprudence citée].

36 Ainsi, ladite réglementation nationale établit une restriction à la libre circulation des capitaux garantie à l’article 63 TFUE.

Sur la justification de la restriction à la libre circulation des capitaux

37 Ainsi qu’il découle de la jurisprudence de la Cour, une mesure telle que la réglementation nationale en cause au principal, qui restreint la libre circulation des capitaux, ne saurait être admise qu’à la condition d’être justifiée par des raisons impérieuses d’intérêt général et de respecter le principe de proportionnalité, ce qui exige qu’elle soit propre à garantir la réalisation de l’objectif légitime qu’elle poursuit et qu’elle n’aille pas au-delà de ce qui est nécessaire pour qu’il soit
atteint [voir, en ce sens, arrêt du 21 mai 2019, Commission/Hongrie (Usufruits sur terres agricoles), C‑235/17, EU:C:2019:432, point 59 et jurisprudence citée].

38 Il importe également de rappeler, à cet égard, qu’une réglementation nationale n’est propre à garantir la réalisation de l’objectif invoqué que si elle répond véritablement au souci de l’atteindre d’une manière cohérente et systématique [voir, en ce sens, arrêt du 21 mai 2019, Commission/Hongrie (Usufruits sur terres agricoles), C‑235/17, EU:C:2019:432, point 61 et jurisprudence citée].

39 En l’occurrence, s’agissant des objectifs poursuivis par l’article 3c de la ZSPZZ, la demande de décision préjudicielle ne contient pas d’indications précises à cet égard. À la suite d’une demande d’informations adressée par la Cour à la juridiction de renvoi, cette dernière a indiqué que cette disposition nationale vise, en introduisant des restrictions aux investissements immobiliers dans les terres agricoles bulgares, à ce que ces terres agricoles demeurent exploitées conformément à leur
affectation. Cette juridiction a précisé que les opérations spéculatives relatives à de telles terres agricoles ainsi que la vente de celles-ci à des investisseurs étrangers en vue de les exploiter à d’autres fins auraient induit une réduction significative des terres arables, ainsi qu’une disparition corrélative des grands comme des petits producteurs agricoles bulgares.

40 À cet égard, il y a lieu de relever que, si de tels objectifs présentent, en eux-mêmes, un caractère d’intérêt général et sont susceptibles de justifier des restrictions à la libre circulation des capitaux (voir, en ce sens, arrêt du 25 janvier 2007, Festersen, C‑370/05, EU:C:2007:59, point 28 et jurisprudence citée), il n’en reste pas moins que ces restrictions doivent être appropriées et nécessaires à la réalisation des objectifs mentionnés au point précédent du présent arrêt.

41 En ce qui concerne, en premier lieu, le caractère approprié de la réglementation nationale en cause au principal, il doit être observé qu’elle ne comporte qu’une obligation de résidence et n’est pas assortie d’une obligation d’exploiter personnellement le bien immobilier. Une telle mesure n’apparaît donc pas, par elle-même, de nature à garantir la réalisation de l’objectif allégué visant à ce que les terres agricoles situées sur le territoire bulgare demeurent exploitées conformément à leur
affectation (voir, par analogie, arrêt du 25 janvier 2007, Festersen, C‑370/05, EU:C:2007:59, point 30).

42 S’agissant de l’objectif visant à prévenir l’acquisition des terres agricoles à des fins purement spéculatives, il est vrai que la réglementation en cause au principal peut avoir pour effet de réduire le nombre des acquéreurs potentiels de terres agricoles, de sorte qu’elle est susceptible de faire diminuer la pression foncière sur celles-ci. Toutefois, la condition de résidence que cette réglementation prévoit ne garantit pas, en soi et à elle seule, que les terres agricoles soient acquises en
vue d’une exploitation à des fins d’agriculture ou, à tout le moins, à des fins non spéculatives.

43 En second lieu et en tout état de cause, il importe encore de vérifier si l’obligation de résidence prévue par la réglementation nationale constitue une mesure qui ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis par cette réglementation.

44 En vue d’une telle appréciation, il y a lieu de tenir compte de la circonstance que ladite obligation restreint non seulement la libre circulation des capitaux, mais également le droit pour l’acquéreur de choisir librement sa résidence, droit qui lui est pourtant garanti par l’article 2, paragraphe 1, du protocole no 4 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (voir, par analogie, arrêt du 25 janvier 2007,
Festersen, C‑370/05, EU:C:2007:59, point 35).

45 L’obligation de résidence prévue par la réglementation nationale en cause au principal, portant ainsi atteinte à un droit fondamental garanti par cette convention, s’avère dès lors particulièrement contraignante (arrêt du 25 janvier 2007, Festersen, C‑370/05, EU:C:2007:59, point 37). Se pose en conséquence la question de savoir si d’autres mesures, moins attentatoires à la libre circulation des capitaux que celles prévues par cette réglementation, auraient pu être adoptées aux fins d’atteindre
les objectifs poursuivis par ladite réglementation.

46 Or, ainsi que l’a relevé la Commission dans ses observations écrites, les objectifs poursuivis par la réglementation en cause au principal tenant, d’une part, à ce que les terres agricoles demeurent exploitées conformément à leur affectation et, d’autre part, à la prévention de l’acquisition de ces terres à des fins spéculatives sont susceptibles d’être atteints au moyen de mesures instituant, notamment, une taxation plus élevée des opérations de revente de terres agricoles intervenant peu de
temps après l’acquisition, ou encore l’exigence d’une durée minimale significative pour les contrats de location de terres agricoles (voir, par analogie, arrêt du 25 janvier 2007, Festersen, C‑370/05, EU:C:2007:59, point 39). Est également susceptible de constituer une mesure moins attentatoire à la libre circulation des capitaux l’instauration d’un droit de préemption au profit des preneurs de baux à ferme qui permettrait, dans l’hypothèse où ces derniers ne se porteraient pas acquéreurs, à des
personnes physiques ou morales dont l’activité ne ressortit pas au secteur agricole d’en faire l’acquisition, à charge néanmoins pour celles-ci de maintenir l’affectation agricole du bien en question (voir, en ce sens, arrêt du 23 septembre 2003, Ospelt et Schlössle Weissenberg, C‑452/01, EU:C:2003:493, point 52).

47 Il résulte de l’ensemble de ces considérations, au vu des éléments dont dispose la Cour, que l’obligation de résidence établie à l’article 3c de la ZSPZZ apparaît aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis par cette réglementation nationale.

48 Eu égard à tout ce qui précède, il y a lieu de répondre aux questions posées que l’article 63 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre en vertu de laquelle l’acquisition d’un droit de propriété sur des terres agricoles situées sur son territoire est subordonnée à la condition que l’acquéreur ait la qualité de résident depuis plus de cinq ans.

Sur les dépens

49 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (huitième chambre) dit pour droit :

  L’article 63 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation d’un État membre en vertu de laquelle l’acquisition d’un droit de propriété sur des terres agricoles situées sur son territoire est subordonnée à la condition que l’acquéreur ait la qualité de résident depuis plus de cinq ans.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le bulgare.


Synthèse
Formation : Huitième chambre
Numéro d'arrêt : C-562/22
Date de la décision : 18/01/2024

Analyses

Renvoi préjudiciel – Article 63 TFUE – Libre circulation des capitaux – Restrictions – Acquisitions de terres agricoles dans un État membre – Obligation pour l’acquéreur d’avoir la qualité de résident depuis plus de cinq ans.


Parties
Demandeurs : JD
Défendeurs : OB.

Origine de la décision
Date de l'import : 20/01/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:55

Source

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