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11/01/2024 | CJUE | N°C-363/22

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Planistat Europe et Hervé-Patrick Charlot contre Commission européenne., 11/01/2024, C-363/22


 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

11 janvier 2024 ( *1 )

« Pourvoi – Article 340, deuxième alinéa, TFUE – Responsabilité non contractuelle de l’Union européenne – Règlement (CE) no 1073/1999 – Enquêtes effectuées par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) – Enquête externe de l’OLAF – Affaire “Eurostat” – Transmission par l’OLAF à des autorités judiciaires nationales d’informations relatives à des faits susceptibles de poursuites pénales avant l’issue de l’enquête – Dépôt d’une plainte par la Com

mission européenne avant l’issue de l’enquête de
l’OLAF – Procédure pénale nationale – Non-lieu définitif – Notion de “violat...

 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

11 janvier 2024 ( *1 )

« Pourvoi – Article 340, deuxième alinéa, TFUE – Responsabilité non contractuelle de l’Union européenne – Règlement (CE) no 1073/1999 – Enquêtes effectuées par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) – Enquête externe de l’OLAF – Affaire “Eurostat” – Transmission par l’OLAF à des autorités judiciaires nationales d’informations relatives à des faits susceptibles de poursuites pénales avant l’issue de l’enquête – Dépôt d’une plainte par la Commission européenne avant l’issue de l’enquête de
l’OLAF – Procédure pénale nationale – Non-lieu définitif – Notion de “violation suffisamment caractérisée” d’une règle de droit de l’Union ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers – Préjudices moral et matériel prétendument subis par les requérants – Recours en indemnité »

Dans l’affaire C‑363/22 P,

ayant pour objet un pourvoi au titre de l’article 56 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, introduit le 6 juin 2022,

Planistat Europe SARL, établie à Paris (France),

Hervé-Patrick Charlot, demeurant à Paris,

représentés par Me F. Martin Laprade, avocat,

parties requérantes,

l’autre partie à la procédure étant :

Commission européenne, représentée par M. J. Baquero Cruz et Mme F. Blanc, en qualité d’agents,

partie défenderesse en première instance,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. E. Regan, président de chambre, MM. Z. Csehi, M. Ilešič (rapporteur), I. Jarukaitis et D. Gratsias, juges,

avocat général : Mme L. Medina,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocate générale en ses conclusions à l’audience du 13 juillet 2023,

rend le présent

Arrêt

1 Par leur pourvoi, Planistat Europe SARL et M. Hervé-Patrick Charlot demandent l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 6 avril 2022, Planistat Europe et Charlot/Commission, (T‑735/20, ci‑après l’ arrêt attaqué , EU:T:2022:220), par lequel celui-ci a rejeté leur recours tendant à obtenir réparation, d’une part, du préjudice moral que M. Charlot aurait subi en raison de la transmission par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) aux autorités nationales d’informations
relatives à des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale ainsi que de la plainte déposée par la Commission européenne devant ces autorités et, d’autre part, du préjudice matériel qu’ils auraient subi en raison de la résiliation des contrats conclus entre Planistat Europe et la Commission.

I. Le cadre juridique

2 Les considérants 1, 5, 10 et 13 du règlement (CE) no 1073/1999 du Parlement européen et du Conseil, du 25 mai 1999, relatif aux enquêtes effectuées par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) (JO 1999, L 136, p. 1), applicable ratione temporis à la présente affaire, énonçaient :

« (1) considérant que les institutions et les États membres attachent une grande importance à la protection des intérêts financiers des Communautés [européennes] et à la lutte contre la fraude et toute autre activité illégale préjudiciable aux intérêts financiers communautaires ; [...]

[...]

(5) considérant que la responsabilité de l’[OLAF], tel qu’institué par la Commission, concerne, au-delà de la protection des intérêts financiers, l’ensemble des activités liées à la sauvegarde d’intérêts communautaires contre des comportements irréguliers susceptibles de poursuites administratives ou pénales ;

[...]

(10) considérant que ces enquêtes doivent être conduites conformément au traité, et notamment au protocole sur les privilèges et immunités, dans le respect du statut des fonctionnaires des Communautés européennes et du régime applicable aux autres agents [...] ainsi que dans le plein respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et notamment du principe d’équité, du droit pour la personne impliquée de s’exprimer sur les faits qui la concernent et du droit à ce que seuls les éléments
ayant une valeur probante puissent fonder les conclusions d’une enquête ; que, à cet effet, les institutions, organes et organismes devront prévoir les conditions et modalités selon lesquelles ces enquêtes internes sont exécutées ; que, en conséquence, il conviendra de modifier [ce] statut afin d’y prévoir les droits et obligations des fonctionnaires et autres agents en matière d’enquêtes internes.

[...]

(13) considérant qu’il incombe aux autorités nationales compétentes ou, le cas échéant, aux institutions, organes ou organismes de décider des suites à donner aux enquêtes terminées, sur la base du rapport établi par l’[OLAF] ; qu’il convient, cependant, de prévoir l’obligation pour le directeur de l’[OLAF] de transmettre directement aux autorités judiciaires de l’État membre concerné les informations que l’[OLAF] aura recueillies lors d’enquêtes internes sur des faits susceptibles de poursuites
pénales ».

3 Aux termes de l’article 2 de ce règlement, intitulé « Enquêtes administratives » :

« Au sens du présent règlement, on entend par “enquêtes administratives” [...] tous les contrôles, vérifications et actions entrepris par des agents de l’[OLAF] dans l’exercice de leurs fonctions, conformément aux articles 3 et 4, en vue d’atteindre les objectifs définis à l’article 1er et d’établir, le cas échéant, le caractère irrégulier des activités contrôlées. Ces enquêtes n’affectent pas la compétence des États membres en matière de poursuites pénales. »

4 L’article 8 dudit règlement, intitulé « Confidentialité et protection des données », prévoyait :

« 1.   Les informations obtenues dans le cadre des enquêtes externes, sous quelque forme que ce soit, sont protégées par les dispositions relatives à ces enquêtes.

2.   Les informations communiquées ou obtenues dans le cadre des enquêtes internes, sous quelque forme que ce soit, sont couvertes par le secret professionnel et bénéficient de la protection accordée par les dispositions applicables aux institutions des Communautés européennes.

Ces informations ne peuvent notamment être communiquées à des personnes autres que celles qui, au sein des institutions des Communautés européennes ou des États membres sont, par leurs fonctions, appelées à les connaître ni être utilisées à des fins différentes de la lutte contre la fraude, contre la corruption et contre toute autre activité illégale.

3.   Le directeur veille à ce que les agents de l’[OLAF] et les autres personnes agissant sous son autorité respectent les dispositions communautaires et nationales relatives à la protection des données à caractère personnel, et notamment celles prévues par la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données [(JO 1995, L 281,
p. 31)].

4.   Le directeur de l’[OLAF] et les membres du comité de surveillance visé à l’article 11 veillent à l’application des dispositions du présent article ainsi que des articles 286 et 287 du traité CE. »

5 L’article 9 du même règlement, intitulé « Rapport d’enquête et suites des enquêtes », disposait :

« 1.   À l’issue d’une enquête effectuée par l’[OLAF], celui-ci établit sous l’autorité du directeur un rapport qui comporte notamment les faits constatés, le cas échéant le préjudice financier et les conclusions de l’enquête, y compris les recommandations du directeur de l’[OLAF] sur les suites qu’il convient de donner.

2.   Ces rapports sont établis en tenant compte des exigences de procédure prévues par la loi nationale de l’État membre concerné. Les rapports ainsi dressés constituent, au même titre et dans les mêmes conditions que les rapports administratifs établis par les contrôleurs administratifs nationaux, des éléments de preuve admissibles dans les procédures administratives ou judiciaires de l’État membre où leur utilisation s’avère nécessaire. Ils sont soumis aux mêmes règles d’appréciation que celles
applicables aux rapports administratifs établis par les contrôleurs administratifs nationaux et ont une valeur identique à ceux-ci.

3.   Le rapport établi à la suite d’une enquête externe et tout document utile y afférent sont transmis aux autorités compétentes des États membres concernés conformément à la réglementation relative aux enquêtes externes.

4.   Le rapport établi à la suite d’une enquête interne et tout document utile y afférent sont transmis à l’institution, à l’organe ou à l’organisme concerné. Les institutions, organes et organismes donnent aux enquêtes internes les suites, notamment disciplinaires et judiciaires, que leurs résultats appellent et informent le directeur de l’[OLAF], dans un délai que celui-ci aura fixé dans les conclusions de son rapport, des suites données aux enquêtes. »

6 L’article 10 du règlement no 1073/1999, intitulé « Transmission d’informations par l’[OLAF] », était libellé comme suit :

« 1.   Sans préjudice des articles 8, 9 et 11 du présent règlement et des dispositions du règlement (Euratom, CE) no 2185/96 [du Conseil, du 11 novembre 1996, relatif aux contrôles et vérifications sur place effectués par la Commission pour la protection des intérêts financiers des Communautés européennes contre les fraudes et autres irrégularités (JO 1996, L 292, p. 2)], l’[OLAF] peut transmettre à tout moment aux autorités compétentes des États membres concernés des informations obtenues au
cours d’enquêtes externes.

2.   Sans préjudice des articles 8, 9 et 11 du présent règlement, le directeur de l’[OLAF] transmet aux autorités judiciaires de l’État membre concerné les informations obtenues par l’[OLAF] lors d’enquêtes internes sur des faits susceptibles de poursuites pénales. Sous réserve des nécessités de l’enquête, il en informe simultanément l’État membre concerné.

3.   Sans préjudice des articles 8 et 9 du présent règlement, l’[OLAF] peut transmettre à tout moment à l’institution, organe ou organisme concerné des informations obtenues au cours d’enquêtes internes. »

II. Les antécédents du litige

7 Les antécédents du litige ont été exposés par le Tribunal aux points 2 à 18 de l’arrêt attaqué et, pour les besoins de la présente procédure, peuvent être résumés de la manière suivante.

8 Au cours de l’année 1996, l’Office statistique des Communautés européennes (Eurostat) a créé un réseau de points de vente d’informations statistiques (datashops). Dans les États membres, ces datashops, dénués de la personnalité juridique, étaient en principe intégrés dans les instituts nationaux de statistique, à l’exception de la Belgique, de l’Espagne et du Luxembourg où ils étaient gérés par des sociétés commerciales. À cette fin, des conventions tripartites ont été conclues entre Eurostat,
l’Office des publications des Communautés européennes (OPOCE) et l’entité abritant le datashop.

9 De l’année 1996 à l’année 1999, Planistat Europe, dirigée par M. Charlot, a bénéficié de contrats-cadres signés avec Eurostat pour diverses prestations de services incluant notamment la mise à disposition de personnel au sein des datashops.

10 À partir du 1er janvier 2000, Planistat Europe s’est vu confier la gestion des datashops de Bruxelles (Belgique), de Madrid (Espagne) et de Luxembourg (Luxembourg). Elle devait verser à la Commission l’intégralité du chiffre d’affaires réalisé dans ces trois datashops.

11 Au mois de septembre 1999, le service d’audit interne d’Eurostat a réalisé un rapport faisant état d’irrégularités dans la gestion des datashops assurée par Planistat Europe.

12 Le 17 mars 2000, la direction générale du contrôle financier de la Commission a transmis ce rapport à l’OLAF.

13 Le 18 mars 2003, à la suite d’une enquête interne (IO/2000/4097) ayant pour objet d’examiner les modalités de mise en place du réseau des datashops, les circuits de facturation, l’utilisation de l’enveloppe financière et l’implication éventuelle de fonctionnaires de l’Union européenne, l’OLAF a décidé d’ouvrir l’enquête externe OF/2002/0510 visant Planistat Europe.

14 Le 19 mars 2003, l’OLAF a transmis aux autorités judiciaires françaises une information relative à des faits susceptibles, selon lui, de recevoir une qualification pénale dans le cadre de l’enquête en cours (ci‑après la « note du 19 mars 2003 »). Sur cette base, le 4 avril 2003, le procureur de la République de Paris (France) a ouvert devant le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Paris (France) une information judiciaire pour recel et complicité d’abus de confiance.

15 Le 16 mai 2003, cette transmission a été évoquée dans la presse et a fait l’objet de questions écrites adressées à la Commission par des députés européens.

16 La Commission et l’OLAF ont publié plusieurs communiqués de presse, dont seulement deux mentionnaient Planistat Europe. Ainsi, le communiqué de presse de la Commission du 9 juillet 2003 faisait pour la première fois référence à Planistat Europe tandis que, dans celui du 23 juillet 2003, la Commission confirmait sa décision de résilier les contrats conclus avec Planistat Europe.

17 Le 10 juillet 2003, la Commission a déposé une plainte contre X avec constitution de partie civile auprès du procureur de la République de Paris pour délit d’abus de confiance et tous autres délits qui auraient pu se déduire des faits énoncés dans cette plainte.

18 Le 10 septembre 2003, M. Charlot a été mis en examen des chefs d’abus de confiance et de recel d’abus de confiance.

19 Le 23 juillet 2003, la Commission a résilié les contrats conclus avec Planistat Europe en cause.

20 Le 25 septembre 2003, l’OLAF a clôturé tant l’enquête interne IO/2000/4097 que l’enquête externe OF/2002/0510.

21 Le 9 septembre 2013, le juge d’instruction du tribunal de grande instance de Paris a rendu, à l’égard de l’ensemble des personnes mises en examen dans le cadre de la procédure pénale engagée devant les autorités judiciaires françaises, une ordonnance de non‑lieu contre laquelle la Commission a interjeté appel.

22 Par un arrêt du 23 juin 2014, la cour d’appel de Paris (France) a rejeté cet appel de la Commission en confirmant cette ordonnance de non‑lieu.

23 Par un arrêt du 15 juin 2016, la Cour de cassation (France) a rejeté le pourvoi formé par la Commission contre cet arrêt du 23 juin 2014, mettant ainsi un terme à la procédure judiciaire.

24 Le 10 septembre 2020, les requérants ont adressé à la Commission une lettre de mise en demeure lui enjoignant de leur verser la somme de 11,6 millions d’euros en réparation de préjudices prétendument subis en raison, notamment, de la plainte déposée par celle-ci et des communiqués de presse publiés sur le sujet.

25 Le 15 octobre 2020, la Commission a rejeté la demande des requérants en considérant que les conditions d’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union n’étaient pas réunies.

III. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

26 Par une requête déposée au greffe du Tribunal le 15 décembre 2020, Planistat Europe et M. Charlot ont introduit un recours fondé sur l’article 268 TFUE tendant à obtenir réparation, d’une part, du préjudice moral que M. Charlot aurait subi en raison de la transmission par l’OLAF aux autorités nationales d’informations relatives à des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale ainsi que de la plainte déposée par la Commission devant ces autorités avant que l’enquête de l’OLAF n’ait
été clôturée et, d’autre part, du préjudice matériel qu’ils auraient subi en raison de la résiliation des contrats conclus entre Planistat Europe et la Commission.

27 À l’appui de ce recours, les requérants ont soutenu que l’OLAF et la Commission avaient méconnu le devoir de sollicitude, les principes de bonne administration et de présomption d’innocence ainsi que les droits de la défense tels qu’ils sont consacrés par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »). Ils invoquaient, en substance l’existence de fautes commises par l’OLAF et par la Commission du fait, d’une part, de la transmission aux autorités judiciaires
françaises d’informations relatives à des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale ainsi que, d’autre part, d’avoir déposé une plainte contre X ayant conduit à l’ouverture d’une procédure pénale contre eux et d’avoir poursuivi cette procédure de manière injustifiée. Selon les requérants, ces fautes commises par l’OLAF et par la Commission présentaient un lien de causalité direct avec les préjudices moraux et matériels dont ils demandent réparation.

28 Le Tribunal a rejeté ledit recours comme étant, en partie, irrecevable, en raison de la prescription par cinq ans prévue à l’article 46 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, et, en partie, non fondé.

IV. Les conclusions des parties devant la Cour

29 Par leur pourvoi, les requérants demandent à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué en ce qu’il a, d’une part, déclaré prescrite une partie de l’action des requérants et, d’autre part, rejeté l’action en responsabilité non contractuelle de la Commission ;

– d’accueillir les conclusions présentées en première instance ;

– de condamner la Commission à reconnaître publiquement qu’elle a commis une erreur d’appréciation à leur égard, et

– de condamner la Commission aux dépens.

30 La Commission demande à la Cour :

– de rejeter le pourvoi et

– de condamner les requérants aux dépens.

V. Sur le pourvoi

31 À titre liminaire, il convient de rappeler que, aux termes de l’article 169, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, « les conclusions du pourvoi tendent à l’annulation, totale ou partielle, de la décision du Tribunal telle qu’elle figure au dispositif de cette décision ». En outre, conformément à l’article 170, paragraphe 1, de ce règlement, les conclusions du pourvoi tendent, si celui‑ci est déclaré fondé, à ce qu’il soit fait droit, en tout ou en partie, aux conclusions présentées
en première instance, à l’exclusion de toute conclusion nouvelle.

32 Or, le troisième chef de conclusions des requérants, tendant à la condamnation de la Commission à reconnaître publiquement qu’elle a commis une erreur d’appréciation à leur égard, ne tend ni à l’annulation de la décision du Tribunal ni à ce qu’il soit fait droit aux conclusions présentées en première instance, dans la mesure où, ainsi qu’il ressort de l’arrêt attaqué et que cela est confirmé à la lecture de la requête en première instance, figurant dans le dossier de première instance transmis à
la Cour conformément à l’article 167, paragraphe 2, du règlement de procédure, les requérants n’avaient pas présenté un tel chef de conclusions en première instance. Il s’ensuit que le troisième chef de conclusions des requérants constitue une conclusion nouvelle et doit être écarté comme étant irrecevable.

33 Pour le surplus, à l’appui de leur pourvoi, les requérants soulèvent trois moyens. Par leur premier moyen, soulevé à titre principal, ils reprochent au Tribunal d’avoir commis une erreur en retenant une interprétation erronée du fait générateur des préjudices invoqués. Par leur deuxième moyen, soulevé à titre subsidiaire, ils font valoir que le Tribunal a commis des erreurs relatives à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union. Par leur troisième moyen, ils reprochent au
Tribunal d’avoir commis une erreur en estimant qu’il n’était pas nécessaire d’examiner la réalité des préjudices allégués et l’existence d’un lien de causalité.

A. Sur le premier moyen

34 Par son premier moyen, divisé en deux branches, qui concernent, respectivement, le préjudice moral et le préjudice matériel, les requérants soutiennent que le Tribunal, en retenant, au point 36 de l’arrêt attaqué, qu’ils reprochaient à la Commission d’avoir causé un préjudice moral à M. Charlot en raison de sa mise en cause dans la procédure pénale devant les autorités répressives françaises ainsi qu’un préjudice matériel en raison de la résiliation de tous les contrats conclus avec Planistat
Europe, a dénaturé leur argumentation. Cette dénaturation aurait conduit le Tribunal à commettre une erreur dans la définition des fautes constituant le fait générateur des préjudices dont ils demandent réparation, ce qui entacherait l’intégralité de son analyse, en particulier le point 116 de l’arrêt attaqué, auquel le Tribunal a rejeté leur recours comme étant, en partie, irrecevable et, en partie, non fondé.

1.   Sur la première branche du premier moyen

a)   Argumentation des parties

35 Par la première branche de leur premier moyen, les requérants reprochent au Tribunal d’avoir commis une erreur en définissant de manière erronée le fait générateur du préjudice moral allégué.

36 À cet égard, ils font valoir que le Tribunal a dénaturé leur argumentation lorsqu’il a considéré que leur recours visait uniquement le préjudice moral prétendument subi en raison de la transmission de la note du 19 mars 2003 par l’OLAF et non celui résultant de la « large médiatisation » de cette transmission. Ils soutiennent que le Tribunal s’est trompé dans la définition des fautes constituant le fait générateur des préjudices dont ils demandent la réparation.

37 À cet égard, il ressortirait de la requête en première instance que, selon les requérants, l’OLAF et la Commission ont commis plusieurs fautes consistant à avoir, d’une part, procédé à une « dénonciation calomnieuse », par la note du 19 mars 2003, qu’ils ont adressée aux autorités judiciaires françaises, et, d’autre part, déposé la plainte avec constitution de partie civile visée au point 17 du présent arrêt, accompagnée d’une large médiatisation et d’un communiqué de presse dans lequel ils
auraient laissé délibérément « fuiter » des informations se rapportant à cette note et proféré des propos « diffamatoires ». Ce serait la combinaison de ces fautes qui aurait porté atteinte à l’honneur et à la réputation de M. Charlot, le dirigeant de Planistat Europe.

38 La Commission considère que l’argumentation des requérants découle d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué.

b)   Appréciation de la Cour

39 Il convient, tout d’abord, de constater, que, contrairement à ce qu’allèguent, en substance, les requérants, le Tribunal n’a pas ignoré qu’ils avaient invoqué un préjudice moral résultant de la médiatisation de la transmission de la note du 19 mars 2003 par l’OLAF. Il ressort, en effet, du point 47 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a pris en considération ce préjudice moral allégué, tout en considérant qu’il revêtait un caractère instantané et que, partant, il était prescrit, en application de
l’article 46 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne ainsi que des principes jurisprudentiels énoncés aux points 34 et 35 de cet arrêt. Il s’ensuit que, dans la mesure où, par la première branche du premier moyen, les requérants reprochent au Tribunal d’avoir dénaturé leur requête en première instance en ayant ignoré le préjudice moral allégué résultant de la médiatisation de cette note, cette première branche repose sur une lecture erronée de l’arrêt attaqué et doit, partant, être
rejetée comme étant non fondée.

40 Pour autant que ladite première branche doit être comprise comme étant tirée d’une dénaturation de l’argumentation des requérants en ce que le Tribunal aurait ignoré que le préjudice allégué résultait d’une combinaison de la transmission de ladite note et de sa médiatisation, il convient de rappeler que, conformément à une jurisprudence constante, il résulte de l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE, de l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne
ainsi que de l’article 168, paragraphe 1, sous d), et de l’article 169, paragraphe 2, du règlement de procédure qu’un pourvoi doit indiquer de façon précise les éléments critiqués de l’arrêt dont l’annulation est demandée ainsi que les arguments juridiques qui soutiennent de manière spécifique cette demande, sous peine d’irrecevabilité du pourvoi ou du moyen concerné (arrêt du 21 septembre 2023, China Chamber of Commerce for Import and Export of Machinery and Electronic Products e.a./Commission,
C‑478/21 P, EU:C:2023:685, point 162 ainsi que jurisprudence citée).

41 Ne répond pas aux exigences de motivation résultant de ces dispositions un pourvoi qui, sans même comporter une argumentation visant spécifiquement à identifier l’erreur de droit dont seraient entachés l’arrêt ou l’ordonnance attaqués, se limite à répéter ou à reproduire les moyens et les arguments qui ont déjà été présentés devant le Tribunal, y compris ceux qui étaient fondés sur des faits expressément rejetés par cette juridiction. En effet, un tel pourvoi constitue en réalité une demande
visant à obtenir un simple réexamen de la requête présentée devant le Tribunal, ce qui échappe à la compétence de la Cour (voir, en ce sens, arrêt du 27 avril 2023, PL/Commission, C‑537/21 P, EU:C:2023:363, point 125 et jurisprudence citée).

42 À cet égard, il convient de relever que, si les requérants font valoir que leur argumentation développée devant le Tribunal a été présentée, par ce dernier, de manière erronée dans l’arrêt attaqué, il n’en demeure pas moins que ces mêmes requérants n’identifient aucune erreur de droit découlant de cette présentation prétendument erronée et entachant cet arrêt (voir, par analogie, arrêt du 4 juin 2015, Andechser Molkerei Scheitz/Commission, C‑682/13 P, EU:C:2015:356, point 59).

43 En particulier, ainsi que la Commission l’a fait observer à juste titre, les requérants n’avancent aucun argument en vue de remettre en cause la considération du Tribunal figurant au point 47 de l’arrêt attaqué et rappelée au point 39 du présent arrêt, pas plus que les principes jurisprudentiels énoncés aux points 34 et 35 de l’arrêt attaqué.

44 En conséquence, il convient de rejeter la première branche du premier moyen comme étant, pour partie, irrecevable et, pour partie, non fondée.

2.   Sur la seconde branche du premier moyen

a)   Argumentation des parties

45 Par la seconde branche de leur premier moyen, les requérants reprochent au Tribunal d’avoir commis une erreur en concluant que le fait générateur du préjudice matériel allégué découlait de la résiliation des contrats conclus entre Planistat Europe et la Commission au cours de l’année 2003, alors qu’il ressortait clairement de la requête en première instance que ce préjudice consistait en une perte de valeur des parts de cette société ainsi qu’en une « asphyxie » et en une « quasi‑disparition
d’une entreprise florissante » ayant résulté du comportement diffamatoire de l’OLAF et de la Commission. Ledit préjudice serait continu, contrairement au préjudice instantané qui aurait résulté de la résiliation de ces contrats. La confirmation par la Cour de cassation, le 15 juin 2016, de l’ordonnance de non-lieu du juge d’instruction du tribunal de grande instance de Paris, par laquelle l’innocence de M. Charlot a été confirmée, permettrait, a posteriori, de qualifier d’« illicite » ce
comportement diffamatoire. Ainsi, les requérants soutiennent que le Tribunal aurait dû analyser d’une manière totalement différente leur demande en réparation, visée au point 24 du présent arrêt, notamment en ce qui concerne la prescription de leur action contre l’Union en matière de responsabilité non contractuelle.

46 La Commission conteste cette argumentation.

b)   Appréciation de la Cour

47 S’il est vrai que, dans leur requête en première instance, les requérants ont fait valoir que le préjudice matériel qu’ils allèguent avoir subi consistait en une perte de valeur des parts de Planistat Europe ainsi qu’en une « asphyxie » et en une « quasi-disparition d’une entreprise florissante » ayant résulté du comportement diffamatoire de l’OLAF et de la Commission, il n’en demeure pas moins que, selon les termes mêmes de cette requête, cette perte de valeur aurait résulté, d’une part, de la
suspension, puis de la résiliation des contrats conclus entre cette société et la Commission ainsi que, d’autre part, de la résiliation de contrats conclus avec d’autres clients. Il ne saurait donc être considéré que le Tribunal a dénaturé leur argumentation sur ce point, si bien que, dans la mesure où elle est tirée d’une prétendue dénaturation de l’argumentation des requérants, la seconde branche du premier moyen doit être rejetée comme étant non fondée.

48 En outre, il y a lieu de constater que, s’agissant de la résiliation des contrats conclus entre ladite société et la Commission, les requérants se bornent à reprocher au Tribunal d’avoir considéré, aux points 58 à 61 de l’arrêt attaqué, que ce préjudice matériel revêtait un caractère instantané, de telle sorte que la demande de réparation de ce préjudice était prescrite, sans toutefois indiquer, en méconnaissance de la jurisprudence rappelée aux points 40 et 41 du présent arrêt, en quoi ce
raisonnement était entaché d’une erreur de droit, cette partie de leur pourvoi visant ainsi, par une répétition des arguments avancés en première instance, à obtenir un réexamen de leur requête devant le Tribunal et devant, dès lors, être rejetée comme étant irrecevable.

49 Quant au préjudice matériel résultant de la résiliation des contrats conclus avec d’autres clients, il convient de rappeler que, au point 62 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a jugé que les requérants n’ont apporté aucun élément de preuve permettant d’établir, notamment, le moment précis où un tel préjudice se serait concrétisé.

50 Or, il ressort d’une jurisprudence constante que, lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié les faits, la Cour est seulement compétente pour exercer, en vertu de l’article 256 TFUE, un contrôle sur la qualification juridique de ceux‑ci et les conséquences de droit qui en ont été tirées (arrêt du 14 octobre 2021, NRW.Bank/CRU, C‑662/19 P, EU:C:2021:846, point 35 et jurisprudence citée). L’appréciation des faits ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments de preuve
produits devant le Tribunal, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour (arrêt du 25 mars 2021, Deutsche Telekom/Commission, C‑152/19 P, EU:C:2021:238, point 68 et jurisprudence citée).

51 Dès lors que les requérants n’allèguent aucune dénaturation des faits ou des éléments de preuve, leur argumentation doit également être rejetée comme étant irrecevable sur ce point.

52 Il convient, dès lors, de rejeter la seconde branche du premier moyen comme étant, en partie, non fondée et, en partie, irrecevable.

53 Par conséquent, il convient de rejeter le premier moyen dans son intégralité.

B. Sur le deuxième moyen

54 Le deuxième moyen, par lequel les requérants font valoir une erreur de droit relative à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, est divisé en trois branches, tirées, en substance, la première, d’une erreur qu’aurait commise le Tribunal, relative à l’illégalité du comportement diffamatoire de l’OLAF et de la Commission à l’égard des requérants, la deuxième, d’une erreur relative à l’illégalité du comportement de l’OLAF, en ce que ce dernier a, en l’absence d’indices
suffisants, transmis aux autorités françaises des informations relatives à des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale, et, la troisième, d’une erreur relative à l’illégalité du comportement de la Commission.

1.   Sur le premier grief de la deuxième branche du deuxième moyen

a)   Argumentation des parties

55 Par le premier grief de la deuxième branche de leur deuxième moyen, les requérants soutiennent que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que l’OLAF n’avait pas commis de faute en transmettant aux autorités judiciaires françaises des informations relatives à des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale.

56 Par ailleurs, les requérants soutiennent, en substance, que l’illégalité en cause était la conséquence d’une violation, par l’OLAF, de son obligation de diligence et qu’il lui appartenait de vérifier les informations qu’il transmettait aux autorités nationales.

57 Les requérants font valoir que le Tribunal a commis une erreur, aux points 82 à 92 de l’arrêt attaqué, en estimant qu’il résultait de l’article 10 et du considérant 13 du règlement no 1073/1999 que l’OLAF est en droit de saisir l’autorité judiciaire, y compris avant la fin de l’enquête externe, s’il estime disposer d’informations ou d’éléments pouvant justifier l’ouverture d’une enquête judiciaire ou constituer des éléments de preuve utiles à une telle enquête. À cet égard, le Tribunal a relevé,
au point 88 de cet arrêt, que l’OLAF disposait déjà, le 19 mars 2003, des informations ou des éléments permettant de considérer que les faits en cause étaient susceptibles de recevoir une qualification pénale. Le Tribunal aurait conclu, à tort, aux points 90 et 91 dudit arrêt, que l’OLAF n’avait commis aucune faute et, notamment, qu’il n’avait violé ni le principe de bonne administration ni celui du respect d’un délai raisonnable.

58 Selon les requérants, en transmettant de fausses informations aux autorités françaises, l’OLAF n’aurait pas pris suffisamment de précautions, ce qui constituerait une violation de son devoir de vérification des données et donc du principe de bonne administration.

59 La Commission fait valoir qu’il y a lieu de rejeter le premier grief de la deuxième branche du deuxième moyen comme étant, en partie, manifestement irrecevable et, en partie, non fondé.

60 Selon la Commission, les requérants cherchent à obtenir un réexamen des faits, sans toutefois alléguer une dénaturation de ceux-ci ni identifier l’erreur de droit qu’aurait commise le Tribunal.

61 Quant au fond, la Commission soutient que les arguments avancés par les requérants ne sont pas fondés. S’agissant de l’appréciation du Tribunal selon laquelle, à la date de la transmission de la note du 19 mars 2003, l’OLAF disposait d’informations suffisantes pour procéder à cette transmission, le Tribunal aurait, aux points 87 et 89 de l’arrêt attaqué, tenu compte à juste titre, d’une part, du fait que les informations contenues dans cette note étaient le résultat d’une enquête ayant commencé
au cours de l’année 1999 sur la base d’un rapport d’audit réalisé par Eurostat et, d’autre part, du fait que l’enquête OF/2002/0510 constituait le volet externe de l’enquête interne IO/2000/4097.

62 En outre, selon la Commission, le fait que les juridictions françaises sont parvenues à une autre conclusion que l’OLAF ne saurait remettre en cause l’enquête de l’OLAF et ne permet pas, à lui seul, de démontrer que l’OLAF a commis une faute constituant une violation du principe de bonne administration à l’égard des requérants.

b)   Appréciation de la Cour

1) Sur la recevabilité

63 Il convient de constater que, si la présentation de certains des arguments avancés au soutien du premier grief de la deuxième branche du deuxième moyen aurait pu être plus claire, il n’en demeure pas moins que ceux-ci visent, en substance, à remettre en cause non pas l’appréciation, en tant que telle, des faits par le Tribunal, mais la conclusion de cette juridiction, selon laquelle les faits constatés ne permettaient pas de considérer que l’OLAF avait commis une faute en transmettant aux
autorités judiciaires françaises des informations, en d’autres termes la qualification juridique, par le Tribunal, de ces faits. Or, conformément à la jurisprudence rappelée au point 50 du présent arrêt, la qualification juridique des faits est une question de droit pouvant être soulevée dans le cadre d’un pourvoi et relevant de la compétence du contrôle de la Cour.

64 Partant, il y a lieu de considérer que le premier grief de la deuxième branche du deuxième moyen est recevable.

2) Sur le fond

65 Par le premier grief de la deuxième branche du deuxième moyen, les requérants font valoir, en substance, que le Tribunal a commis une erreur de droit en ce qu’il a considéré que l’OLAF n’avait pas violé le principe de bonne administration en informant les autorités judiciaires françaises avant d’avoir finalisé le rapport établi à la suite de l’enquête externe.

66 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, parmi les conditions requises pour l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union, en vertu de l’article 340, deuxième alinéa, TFUE, figure l’exigence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers (arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil, C‑45/15 P, EU:C:2017:402, point 29).

67 Une telle violation est établie lorsqu’elle implique une méconnaissance manifeste et grave, par l’institution concernée, des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation. Les éléments à prendre en considération à cet égard sont le degré de clarté et de précision de la règle violée ainsi que l’étendue de la marge d’appréciation que la règle enfreinte laisse à l’autorité de l’Union (arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil, C‑45/15 P, EU:C:2017:402, point 30 et jurisprudence citée).

68 Ainsi que Mme l’avocate générale l’a rappelé au point 42 de ses conclusions, le droit à une bonne administration, consacré à l’article 41 de la Charte, comporte une obligation de diligence de l’administration de l’Union, laquelle doit agir avec soin et prudence, la méconnaissance de cette obligation constituant une violation d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers [voir, en ce sens, arrêt du 16 décembre 2008, Masdar (UK)/Commission, C‑47/07 P, EU:C:2008:726,
points 91 à 93].

69 S’agissant, plus particulièrement, des implications du principe de bonne administration et du devoir de diligence qui lui est inhérent, quant à la possibilité, pour l’OLAF, de transmettre des informations aux autorités judiciaires nationales, il ressort de l’article 10, paragraphe 1, du règlement no 1073/1999, que « l’[OLAF] peut transmettre à tout moment aux autorités compétentes des États membres concernés des informations obtenues au cours d’enquêtes externes ».

70 Il ressort également du considérant 1 de ce règlement que cette faculté doit être exercée à la lumière des objectifs de protection des intérêts financiers de l’Union et de lutte contre la fraude et toute autre activité illégale préjudiciable aux intérêts financiers de l’Union.

71 En outre, selon le considérant 5 dudit règlement, la responsabilité de l’OLAF concerne, au-delà de la protection des intérêts financiers, l’ensemble des activités liées à la sauvegarde des intérêts de l’Union contre des comportements irréguliers susceptibles de poursuites administratives ou pénales. C’est donc pour atteindre ces objectifs que l’OLAF effectue des enquêtes internes et externes, dont les résultats sont, selon l’article 9 du même règlement, présentés dans un rapport d’enquête
transmis aux autorités compétentes des États membres, dans le cas d’une enquête externe, ou à l’institution, à l’organe ou à l’organisme concerné, dans le cas d’une enquête interne, conformément, respectivement, aux paragraphes 3 et 4 de cet article.

72 À cet égard, il ressort du paragraphe 2 dudit article que les rapports dressés par l’OLAF « constituent, au même titre et dans les mêmes conditions que les rapports administratifs établis par les contrôleurs administratifs nationaux, des éléments de preuve admissibles dans les procédures administratives ou judiciaires de l’État membre où leur utilisation s’avère nécessaire ».

73 Il s’ensuit, comme le confirme le considérant 13 du règlement no 1073/1999, que les conclusions d’une enquête de l’OLAF contenues dans un rapport final ne sauraient aboutir d’une manière automatique à l’ouverture de procédures judiciaires, dès lors que les autorités compétentes sont libres de décider de la suite à donner à ce rapport et sont donc les seules autorités à pouvoir arrêter des décisions susceptibles d’affecter la situation juridique des personnes à l’égard desquelles ledit rapport
aurait recommandé l’engagement de telles procédures.

74 En effet, comme Mme l’avocate générale l’a relevé au point 45 de ses conclusions, les éléments apportés par l’OLAF peuvent être complétés et vérifiés par les autorités nationales, qui disposent d’un éventail plus large de pouvoirs d’investigation que cet office.

75 Il découle des considérations qui précèdent que si, certes, l’OLAF a non seulement la faculté, mais aussi l’obligation de transmettre aux autorités compétentes nationales, y compris judiciaires, même avant la clôture de son enquête et la rédaction du rapport final, toute information pertinente, susceptible de justifier l’adoption de mesures par ces autorités, y compris l’ouverture d’une enquête pénale, il n’en demeure pas moins, comme Mme l’avocate générale l’a, en substance, relevé au point 47
de ses conclusions, que, lorsqu’il prend la décision de procéder à une telle transmission, l’OLAF doit tenir compte de son obligation de diligence, évoquée au point 68 du présent arrêt, et faire preuve d’une certaine prudence, dans la mesure où cet office agit non pas en tant que « lanceur d’alerte quelconque », mais en tant qu’office doté de pouvoirs d’enquête, et qu’une telle transmission d’informations a lieu entre deux autorités dotées de tels pouvoirs. Tel est d’autant plus le cas que le
fait de saisir les autorités nationales peut servir de base à l’engagement de procédures judiciaires, civiles et pénales.

76 Il en ressort que, afin de respecter son obligation de diligence, l’OLAF doit, avant de transmettre, au titre du règlement no 1073/1999, des informations aux autorités nationales, s’assurer, conformément au considérant 10 de ce règlement, que ces informations présentent un degré de plausibilité et de vraisemblance suffisant pour justifier l’adoption, par ces autorités, de mesures relevant de leur compétence, y compris l’ouverture, le cas échéant, d’une enquête judiciaire.

77 Il en résulte, ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé au point 49 de ses conclusions, que, lorsque, comme en l’occurrence, le Tribunal est appelé à déterminer si l’OLAF a respecté son obligation de diligence s’agissant de la transmission d’informations aux autorités nationales, il doit vérifier que, au moment de cette transmission, l’OLAF disposait de plus d’éléments qu’un simple doute, sans pour autant exiger une preuve caractérisée qui ne nécessite plus d’actes d’enquête.

78 Partant, en l’espèce, il incombait au Tribunal, d’une part, de vérifier la crédibilité et le contenu des informations ou des éléments figurant dans la note du 19 mars 2003 ainsi que l’intention dans laquelle la transmission de ces informations ou de ces éléments aux autorités judiciaires françaises a été effectuée et, d’autre part, de déterminer si lesdites informations ou lesdits éléments pouvaient justifier l’ouverture d’une enquête judiciaire ou constituer des éléments de preuve utiles à une
telle enquête. À cet effet, il appartenait au Tribunal d’établir si l’OLAF disposait d’indices matériels suffisamment précis démontrant qu’il y avait des raisons plausibles de considérer que les informations transmises contenaient des faits susceptibles de recevoir une qualification pénale.

79 Or, le Tribunal a constaté, au point 87 de l’arrêt attaqué, d’une part, qu’il ressortait de la note du 19 mars 2003 que les informations qui y sont contenues étaient le résultat d’une enquête ayant commencé sur la base d’un rapport d’audit interne d’Eurostat daté du mois de septembre 1999, soit près de trois ans et demi auparavant, et, d’autre part, que cette note exposait le cadre institutionnel dans lequel celle-ci s’inscrivait, présentait l’historique des faits visés par l’enquête en partant
de la création du réseau des datashops au cours des années 1995 et 1996, expliquait les relations financières au sein de ce réseau et détaillait les constatations faites au cours de l’enquête. Au point 88 de cet arrêt, le Tribunal a conclu que l’OLAF disposait déjà, le 19 mars 2003, des informations ou des éléments permettant de considérer que les faits en cause étaient susceptibles de recevoir une qualification pénale.

80 Ce faisant, le Tribunal n’a vérifié ni la crédibilité et le contenu des informations ou des éléments figurant dans la note du 19 mars 2003, ni l’intention dans laquelle la transmission de ces informations ou de ces éléments aux autorités judiciaires françaises a été effectuée, ni si lesdites informations ou lesdits éléments pouvaient justifier l’ouverture d’une enquête judiciaire ou constituer des éléments de preuve utiles à une telle enquête. Dans cette mesure, le Tribunal a commis une erreur de
droit.

81 Par conséquent, il y a lieu d’accueillir le premier grief de la deuxième branche du deuxième moyen.

2.   Sur la première branche du deuxième moyen

a)   Argumentation des parties

82 Par la première branche de leur deuxième moyen, les requérants soutiennent que le Tribunal aurait dû reconnaître l’existence de la dénonciation calomnieuse commise par l’OLAF et la Commission, qui relève de la notion de diffamation et constitue à la fois une infraction pénale et une faute civile dans 25 des 27 pays de l’Union. Le Tribunal aurait commis une erreur, en considérant, aux points 74 et 76 de l’arrêt attaqué, que les requérants se sont fondés, afin d’invoquer l’existence d’une
dénonciation calomnieuse, sur des dispositions de droit pénal français, sur la jurisprudence des juridictions françaises ainsi que sur la doctrine française. Le Tribunal aurait dû examiner les arguments des requérants à la lumière du droit à la vie privée et du droit à une bonne administration, consacrés respectivement à l’article 7 et à l’article 41 de la Charte. À cet égard, la jurisprudence française concernant la dénonciation calomnieuse n’aurait été invoquée qu’à titre d’exemple, afin de
démontrer qu’une telle faute enfreint les principes généraux communs aux droits des États membres.

83 La Commission estime que ces arguments sont irrecevables à défaut d’avoir été invoqués en première instance. En effet, dans le cadre de leur requête devant le Tribunal, les requérants auraient soutenu l’existence d’une dénonciation calomnieuse en faisant explicitement référence au code pénal français et à la jurisprudence nationale y afférente. Aucune argumentation relative à l’existence d’une diffamation ayant violé un principe général du droit de l’Union ne figurerait dans leur requête. En
outre, cette dernière ne permettrait d’identifier aucune argumentation relative à l’existence d’une diffamation en violation d’une disposition ou d’un principe général de droit de l’Union. En tout état de cause, lesdits arguments seraient non fondés dans la mesure où la dénonciation calomnieuse suppose que des faits dont l’auteur connaît la fausseté soient révélés dans l’intention de nuire, ce que les requérants n’auraient pas démontré en l’espèce.

b)   Appréciation de la Cour

84 S’agissant de la recevabilité de la première branche du deuxième moyen, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, permettre à une partie de soulever pour la première fois devant la Cour un moyen qu’elle n’a pas soulevé devant le Tribunal reviendrait à lui permettre de saisir la Cour, dont la compétence en matière de pourvoi est limitée, d’un litige plus étendu que celui dont a eu à connaître le Tribunal. Dans le cadre d’un pourvoi, la compétence de la Cour est en effet
limitée à l’appréciation de la solution légale qui a été donnée aux moyens débattus devant le Tribunal (arrêt du 27 avril 2023, Casa Regina Apostolorum della Pia Società delle Figlie di San Paolo/Commission, C‑492/21 P, EU:C:2023:354, point 100 et jurisprudence citée).

85 Toutefois, en l’occurrence, il y a lieu de constater que, contrairement à ce que soutient la Commission, les requérants ont fait valoir, dans leur requête en première instance, que la dénonciation calomnieuse résultant de la transmission des informations en cause aux autorités judiciaires françaises était accompagnée d’une communication diffamatoire, en raison des fuites dans la presse relatives à cette transmission, et qu’ils ont explicitement invoqué à cet égard une violation, notamment, du
droit à une bonne administration, tel que consacré à l’article 41 de la Charte, ainsi que des droits de la défense, du droit à la présomption d’innocence et de l’obligation de confidentialité, lesquels sont également consacrés par celle-ci.

86 Partant, il convient de rejeter les allégations de la Commission concernant la recevabilité de la première branche du deuxième moyen.

87 S’agissant du bien-fondé de celle-ci, il y a lieu de relever que, au point 74 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a constaté que les requérants se sont fondés sur des dispositions de droit pénal français, sur la jurisprudence des juridictions françaises ainsi que sur la doctrine française en la matière. Il a toutefois considéré, au point 75 de cet arrêt, que, s’il est vrai que les juridictions de l’Union ont une compétence exclusive pour statuer sur les recours en réparation d’un préjudice imputable
aux institutions de l’Union, l’interprétation et l’encadrement juridique en droit pénal français des faits allégués par les requérants ne relèvent pas de la compétence du juge de l’Union. Dans ces circonstances, le Tribunal a, au point 76 dudit arrêt, rejeté comme étant inopérants les arguments des requérants tirés de l’existence d’une dénonciation calomnieuse.

88 Ainsi que Mme l’avocate générale l’a relevé, en substance, au point 83 de ses conclusions, ce raisonnement du Tribunal procède d’une lecture manifestement erronée de la requête en première instance. En effet, il ressort de cette dernière, ainsi qu’il a déjà été indiqué au point 85 du présent arrêt, que les requérants ont invoqué, à l’appui de leur argumentation tirée de l’illégalité du comportement de l’OLAF et de la Commission en raison d’une dénonciation calomnieuse, des principes généraux du
droit de l’Union, en particulier le droit à une bonne administration consacré à l’article 41 de la Charte. Si les requérants ont invoqué le droit français à l’appui de cette argumentation, ce n’était clairement qu’à titre d’exemple.

89 Il s’ensuit que le Tribunal a commis une erreur de droit lorsqu’il a rejeté comme étant inopérante ladite l’argumentation.

90 Partant, il convient d’accueillir la première branche du deuxième moyen.

91 Par conséquent, il y a lieu, sans qu’il soit nécessaire d’examiner le second grief de la deuxième branche de ce moyen, la troisième branche dudit moyen ni le troisième moyen, d’annuler l’arrêt attaqué, dans la mesure où, par cet arrêt, le Tribunal a rejeté le recours, pour autant qu’il tendait à l’indemnisation du préjudice moral prétendument subi par M. Charlot en raison de la procédure pénale engagée contre lui devant les autorités judiciaires françaises. Le pourvoi doit être rejeté pour le
surplus.

VI. Sur le renvoi de l’affaire devant le Tribunal

92 Conformément à l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour annule la décision du Tribunal. Elle peut alors soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.

93 En l’occurrence, ainsi qu’il a été constaté dans le cadre de l’examen du premier grief de la deuxième branche du deuxième moyen, le Tribunal a commis une erreur de droit, aux points 82 à 92 et 104 de l’arrêt attaqué, en n’ayant examiné ni la crédibilité et le contenu des informations et des éléments figurant dans la note du 19 mars 2003, ni l’intention dans laquelle la transmission de ces informations ou de ces éléments aux autorités judiciaires françaises a été effectuée, ni si lesdites
informations ou lesdits éléments pouvaient justifier l’ouverture d’une enquête judiciaire ou constituer des éléments de preuve utiles à une telle enquête. Par ailleurs, il ressort de l’examen de la première branche du deuxième moyen que le Tribunal a commis une erreur de droit, aux points 74 à 76 de l’arrêt attaqué, lorsqu’il a rejeté comme étant inopérante l’argumentation des requérants reprochant à l’OLAF et à la Commission d’avoir effectué une dénonciation calomnieuse.

94 Or, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a conclu à l’absence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle du droit de l’Union, sans avoir procédé à l’examen des autres conditions qui sont cumulativement nécessaires afin d’engager la responsabilité non contractuelle de l’Union [voir, en ce sens, arrêts du 19 avril 2007, Holcim (Deutschland)/Commission, C‑282/05 P, EU:C:2007:226, point 57, et du 10 septembre 2019, HTTS/Conseil, C‑123/18 P, EU:C:2019:694, point 108].

95 Dans ces conditions, la Cour considère que le présent litige concernant la demande de réparation du préjudice moral prétendument subi par M. Charlot en raison de la procédure pénale engagée contre lui devant les autorités judiciaires françaises n’est pas en état d’être jugé et qu’il y a lieu de renvoyer l’affaire devant le Tribunal, afin qu’il puisse procéder à un nouvel examen de l’éventuelle existence d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit de l’Union pour engager la
responsabilité non contractuelle de l’Union. Si cet examen révèle l’existence d’une telle violation, il incombera au Tribunal de procéder à l’examen des autres conditions nécessaires à l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union.

VII. Sur les dépens

96 L’affaire étant renvoyée devant le Tribunal, il convient de réserver les dépens afférents à la présente procédure de pourvoi.

  Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) déclare et arrête :

  1) L’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 6 avril 2022, Planistat Europe et Charlot/Commission (T‑735/20, EU:T:2022:220), est annulé, dans la mesure où, par cet arrêt, le Tribunal a rejeté le recours, pour autant qu’il tendait à l’indemnisation du préjudice moral prétendument subi par M. Hervé-Patrick Charlot en raison de la procédure pénale engagée contre lui devant les autorités judiciaires françaises.

  2) Le pourvoi est rejeté pour le surplus.

  3) L’affaire est renvoyée devant le Tribunal de l’Union européenne.

  4) Les dépens sont réservés.

Regan

Csehi

Ilešič

Jarukaitis

Gratsias
 
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 11 janvier 2024.

Le greffier

A. Calot Escobar

Le président de chambre

E. Regan

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( *1 ) Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : C-363/22
Date de la décision : 11/01/2024

Analyses

Pourvoi – Article 340, deuxième alinéa, TFUE – Responsabilité non contractuelle de l’Union européenne – Règlement (CE) no 1073/1999 – Enquêtes effectuées par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) – Enquête externe de l’OLAF – Affaire “Eurostat” – Transmission par l’OLAF à des autorités judiciaires nationales d’informations relatives à des faits susceptibles de poursuites pénales avant l’issue de l’enquête – Dépôt d’une plainte par la Commission européenne avant l’issue de l’enquête de l’OLAF – Procédure pénale nationale – Non-lieu définitif – Notion de “violation suffisamment caractérisée” d’une règle de droit de l’Union ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers – Préjudices moral et matériel prétendument subis par les requérants – Recours en indemnité.


Parties
Demandeurs : Planistat Europe et Hervé-Patrick Charlot
Défendeurs : Commission européenne.

Origine de la décision
Date de l'import : 13/01/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2024:20

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