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16/11/2023 | CJUE | N°C-415/22

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, JD contre Acerta - Caisse d'assurances sociales ASBL e.a., 16/11/2023, C-415/22


 ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

16 novembre 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Fonctionnaires de l’Union européenne – Statut des fonctionnaires de l’Union européenne – Affiliation obligatoire au régime de sécurité sociale des institutions de l’Union européenne – Fonctionnaire de l’Union européenne retraité exerçant une activité professionnelle à titre d’indépendant – Assujettissement aux cotisations sociales par la législation de l’État membre dans lequel cette activité est exercée »

Dans l’affaire C‑41

5/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le tribuna...

 ARRÊT DE LA COUR (septième chambre)

16 novembre 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Fonctionnaires de l’Union européenne – Statut des fonctionnaires de l’Union européenne – Affiliation obligatoire au régime de sécurité sociale des institutions de l’Union européenne – Fonctionnaire de l’Union européenne retraité exerçant une activité professionnelle à titre d’indépendant – Assujettissement aux cotisations sociales par la législation de l’État membre dans lequel cette activité est exercée »

Dans l’affaire C‑415/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le tribunal du travail francophone de Bruxelles (Belgique), par décision du 9 juin 2022, parvenue à la Cour le 20 juin 2022, dans la procédure

JD

contre

Acerta – Caisse d’assurances sociales ASBL,

Institut national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants (Inasti),

État belge,

LA COUR (septième chambre),

composée de M. F. Biltgen (rapporteur), président de chambre, M. N. Wahl et Mme M. L. Arastey Sahún, juges,

avocat général : M. A. Rantos,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour JD, par Me J. Buekenhoudt, avocat,

– pour le gouvernement belge, par M. S. Baeyens, Mmes C. Pochet et L. Van den Broeck, en qualité d’agents, assistés de Mes S. Rodrigues et A. Tymen, avocats,

– pour le gouvernement tchèque, par MM. M. Smolek et J. Vláčil, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement français, par M. R. Bénard et Mme A. Daniel, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par MM. T. S. Bohr et D. Martin, en qualité d’agents,

vu la décision prise, l’avocat général entendu, de juger l’affaire sans conclusions,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du principe de l’unicité de la législation applicable en matière de sécurité sociale, tel qu’exprimé dans le règlement (CEE) no 1408/71 du Conseil, du 14 juin 1971, relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté, dans sa version modifiée et mise à jour par le règlement (CE) no 118/97 du
Conseil, du 2 décembre 1996 (JO 1997, L 28, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) no 307/1999 du Conseil, du 8 février 1999 (JO 1999, L 38, p. 1) (ci-après le « règlement no 1408/71 »), puis dans le règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant JD, fonctionnaire retraité de la Commission européenne, à Acerta – Caisse d’assurances sociales ASBL, à l’Institut national d’assurances sociales pour travailleurs indépendants (Inasti) et à l’État belge au sujet de l’assujettissement obligatoire de JD au régime de sécurité sociale belge au titre des années 2007 à 2020.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

Le protocole

3 L’article 12 du protocole (no 7) sur les privilèges et immunités de l’Union européenne (JO 2010, C 83, p. 266, ci-après le « protocole »), est libellé comme suit :

« Dans les conditions et suivant la procédure fixée par le Parlement européen et le Conseil [de l’Union européenne] statuant par voie de règlements conformément à la procédure législative ordinaire et après consultation des institutions concernées, les fonctionnaires et autres agents de l’Union [européenne] sont soumis au profit de celle-ci à un impôt sur les traitements, salaires et émoluments versés par elle.

Ils sont exempts d’impôts nationaux sur les traitements, salaires et émoluments versés par l’Union. »

4 L’article 14 du protocole énonce :

« Le [Parlement] et Conseil, statuant par voie de règlements conformément à la procédure législative ordinaire et après consultation des institutions concernées, fixent le régime des prestations sociales applicables aux fonctionnaires et autres agents de l’Union. »

Le statut

5 L’article 72, paragraphes 1, 1 bis, 2 et 2 bis, du statut des fonctionnaires de l’Union européenne, dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « statut »), dispose :

« 1.   Dans la limite de 80 % des frais exposés, et sur la base d’une réglementation établie d’un commun accord par les institutions [de l’Union] après avis du comité du statut, le fonctionnaire [...] [est couvert] contre les risques de maladie. [...]

[...]

1 bis.   Le fonctionnaire qui cesse définitivement ses fonctions et qui n’exerce pas d’activité professionnelle lucrative peut demander, au plus tard dans le mois qui suit la cessation de ses fonctions, de continuer à bénéficier pendant une période de six mois au maximum après la cessation de ses fonctions de la couverture contre les risques de maladie prévue au paragraphe 1. La contribution visée au paragraphe précédent est calculée sur le dernier traitement de base du fonctionnaire et supportée
à raison de la moitié par celui-ci.

[...]

2.   Le fonctionnaire resté au service de l’Union jusqu’à l’âge de la retraite ou titulaire d’une allocation d’invalidité bénéficie après la cessation de ses fonctions des dispositions prévues au paragraphe 1. La contribution est calculée sur la base de la pension ou de l’allocation.

[...]

2 bis.   Bénéficient également des dispositions prévues au paragraphe 1, à condition qu’ils n’exercent pas d’activité professionnelle lucrative :

i) l’ancien fonctionnaire titulaire d’une pension d’ancienneté ayant quitté le service avant l’âge de la retraite,

ii) le titulaire d’une pension de survie, résultant du décès d’un ancien fonctionnaire ayant quitté le service avant l’âge de la retraite.

[...] »

La réglementation commune

6 Aux fins de définir les conditions d’application de l’article 72 du statut, les institutions de l’Union ont adopté une réglementation commune relative à la couverture des risques de maladie des fonctionnaires de l’Union européenne (ci-après la « réglementation commune »).

7 L’article 1er de la réglementation commune dispose que, en application de l’article 72 du statut, il est institué un régime d’assurance maladie commun aux institutions de l’Union (RCAM).

8 L’article 2 de la réglementation commune prévoit :

« 1.   Sont affiliés au présent régime :

– le fonctionnaire,

– l’agent temporaire,

[...]

3.   Sont affiliés au présent régime :

– les anciens fonctionnaires, agents temporaires, bénéficiaires d’une pension d’ancienneté,

– les anciens agents contractuels bénéficiaires d’une pension d’ancienneté à condition d’avoir été employés pendant plus de trois ans en qualité d’agent contractuel,

– les bénéficiaires d’une pension d’invalidité ou d’une allocation d’invalidité,

[...] »

9 L’article 4 de la réglementation commune est libellé comme suit :

« Lorsqu’un fonctionnaire, agent temporaire ou agent contractuel est affecté dans un pays où, en vertu de sa législation, il est assujetti à un régime obligatoire d’assurance contre les risques de maladie, les cotisations dues à ce titre sont versées intégralement à charge du budget de l’institution dont relève l’intéressé. Dans ce cas, l’article 22 est applicable. »

10 L’article 22 de la réglementation commune énonce :

« 1.   Lorsqu’un affilié ou une personne assurée de son chef peut prétendre à des remboursements de frais au titre d’une autre assurance maladie légale ou réglementaire, l’affilié est tenu :

a) d’en faire la déclaration auprès du Bureau liquidateur ;

b) de demander ou, le cas échéant, de faire demander par priorité le remboursement garanti par l’autre régime.

Toutefois s’il y a obligation de cotisation à deux régimes, les affiliés au présent régime peuvent choisir le régime auquel ils s’adresseront pour le remboursement des prestations dont ils ont bénéficié, sachant que le régime commun intervient à titre de régime complémentaire pour les cas où il n’intervient pas comme régime primaire ;

c) de joindre à chaque demande de remboursement introduite au titre du présent régime un relevé original et détaillé, accompagné de pièces justificatives, des remboursements que l’affilié ou la personne assurée de son chef a obtenus au titre de l’autre régime.

2.   Le régime commun intervient à titre de régime complémentaire dans le remboursement des prestations pour autant que l’autre régime soit intervenu préalablement pour les prestations couvertes par celui-ci.

Si une prestation n’est pas couverte par le régime primaire mais que celle-ci est couverte par le régime commun, ce dernier interviendra à titre primaire. »

Les règlements nos 1408/71 et 883/2004

11 Conformément à l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 1408/71, celui-ci « s’applique aux travailleurs salariés ou non-salariés et aux étudiants qui sont ou ont été soumis à la législation d’un ou de plusieurs États membres et qui sont des ressortissants de l’un des États membres ou bien des apatrides ou des réfugiés résidant sur le territoire d’un des États membres ainsi qu’aux membres de leur famille et à leurs survivants ».

12 L’article 13, paragraphe 1, de ce règlement prévoyait que « les personnes auxquelles le présent règlement est applicable ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre. Cette législation est déterminée conformément aux dispositions du présent titre ».

13 Le règlement no 1408/71 a été abrogé à partir du 1er mai 2010, date d’application du règlement no 883/2004.

14 Toutefois, les libellés de l’article 2, paragraphe 1, et de l’article 13, paragraphe 1, du règlement no 1408/71 sont, en substance, identiques à ceux, respectivement, de l’article 2, paragraphe 1, et de l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 883/2004.

Le droit belge

15 L’article 1er de l’arrêté royal no 38, du 27 juillet 1967, organisant le statut social des travailleurs indépendants (Moniteur belge du 29 juillet 1967, p. 8071), dans sa version applicable au litige au principal (ci‑après l’« arrêté royal no 38/1967 »), prévoit :

« Le présent arrêté organise le statut social en faveur des travailleurs indépendants et des aidants.

Ce statut social s’étend :

[...]

2° aux prestations de retraite et de survie ;

[...] »

16 L’article 2 de cet arrêté dispose :

« Sont assujettis au présent arrêté et doivent, à ce titre, accomplir les obligations qu’il impose : les travailleurs indépendants et les aidants. »

17 L’article 3, paragraphe 1, dudit arrêté énonce :

« Le présent arrêté entend par travailleur indépendant toute personne physique, qui exerce en Belgique une activité professionnelle en raison de laquelle elle n’est pas engagée dans les liens d’un contrat de louage de travail ou d’un statut.

Est présumée, jusqu’à preuve du contraire, se trouver dans les conditions d’assujettissement visées à l’alinéa précédent toute personne qui exerce en Belgique une activité professionnelle susceptible de produire des revenus [...] »

18 Aux termes de l’article 13, paragraphe 1, de l’arrêté royal no 38/1967 :

« À partir du trimestre au cours duquel il atteint l’âge légal de la pension ou obtient le paiement effectif d’une pension de retraite anticipée en qualité de travailleur indépendant ou de travailleur salarié, l’assujetti n’est redevable d’aucune cotisation si ses revenus professionnels en qualité de travailleur indépendant, acquis au cours de l’année de cotisation visée à l’article 11, paragraphe 2, n’atteignent pas 811,20 euros par mois.

Lorsque lesdits revenus atteignent au moins 811,20 euros, l’assujetti est redevable des cotisations annuelles suivantes [...] »

Le litige au principal et la question préjudicielle

19 JD, né le 4 octobre 1940, de nationalité britannique, était fonctionnaire au service de la Commission, à Bruxelles (Belgique), jusqu’au 1er mars 2006, date à laquelle il a pris sa retraite.

20 Après cette date, il a notamment exercé des activités de consultant en tant que travailleur indépendant.

21 En raison de ces activités, l’Inasti l’a assujetti, à titre obligatoire et à partir du 12 février 2007, sur le fondement de l’article 13 de l’arrêté royal no 38/1967, au statut social des travailleurs indépendants.

22 Après des échanges de courriers infructueux avec l’Acerta, JD a introduit, le 15 janvier 2021, un recours devant le tribunal du travail francophone de Bruxelles (Belgique), la juridiction de renvoi, en vue d’obtenir notamment le remboursement des cotisations qu’il estime avoir été indûment versées pour un montant total de 50732,50 euros. D’une part, il fait valoir que le principe de l’unicité de la législation applicable en matière de sécurité sociale interdit son affiliation obligatoire au
régime de la sécurité sociale belge. D’autre part, dans la mesure où il ne bénéficierait d’aucune prestation sociale en contrepartie de cette affiliation, il contribuerait à fonds perdus depuis l’année 2007.

23 Les défendeurs au principal rétorquent, en substance, que, si un fonctionnaire de l’Union à la retraite, qui exerce une activité indépendante en Belgique, n’était redevable d’aucune cotisation sociale au régime de sécurité sociale belge, l’égalité de traitement entre les fonctionnaires de l’Union et tout autre fonctionnaire, travailleur indépendant ou salarié exerçant une activité en Belgique serait rompue, et ce alors même que, selon la réglementation nationale, les cotisations sociales seraient
considérées comme des cotisations « de solidarité ».

24 En outre, ils relèvent que la situation des fonctionnaires en matière de sécurité sociale relève du droit de l’Union en raison de leur lien d’emploi avec celle-ci, de sorte que le principe d’unicité de la législation applicable en matière de sécurité sociale ne trouverait à s’appliquer que lorsqu’un lien d’emploi avec l’Union est concerné. Or, comme, en l’occurrence, un tel lien d’emploi avec l’Union ferait défaut depuis l’année 2007, il conviendrait d’appliquer, conformément à l’article 11,
paragraphe 3, sous a), du règlement no 883/2004, la législation du lieu d’exercice de l’activité concernée, à savoir le droit belge.

25 La juridiction de renvoi relève que la notion d’« affilié » au RCAM doit être largement interprétée et doit couvrir, à tout le moins, les fonctionnaires restés au service de l’Union jusqu’à l’âge de la retraite.

26 C’est dans ces conditions que le tribunal du travail francophone de Bruxelles a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Le principe du droit de l’Union fondé sur l’unicité du régime de sécurité sociale applicable aux travailleurs, salariés ou non-salariés, actifs ou retraités, fait[-il] obstacle à ce qu’un État membre de résidence impose, comme en l’espèce, l’assujettissement d’un fonctionnaire retraité de la [Commission], qui exerce une activité indépendante à son régime de sécurité sociale et le paiement de cotisations sociales de pure “solidarité”, alors que ce fonctionnaire retraité est assujetti au régime
obligatoire de sécurité sociale de l’Union et ne retire aucun bénéfice, ni en termes de prestations contributives ni en termes de prestations non‑contributives, du régime national auquel il est assujetti de force ? »

Sur la question préjudicielle

27 À titre liminaire, il convient de constater que, bien que la juridiction de renvoi ait, dans sa question, uniquement fait référence au principe de l’unicité de la législation applicable en matière de sécurité sociale, une telle circonstance ne fait pas obstacle à ce que la Cour lui fournisse tous les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, que cette juridiction y ait fait référence ou non dans l’énoncé de ses questions.
Il appartient, à cet égard, à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments du droit de l’Union qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige dont elle est saisie (voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2018, Crespo Rey, C‑2/17, EU:C:2018:511, point 41 et jurisprudence citée).

28 Ainsi, il y a lieu de comprendre la question posée en ce sens que, par celle-ci, la juridiction de renvoi demande si l’article 14 du protocole et les dispositions du statut, en particulier l’article 72 de celui-ci, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à l’assujettissement obligatoire, par la législation d’un État membre, au régime de sécurité sociale de cet État d’un fonctionnaire de l’Union qui est resté au service d’une institution de l’Union jusqu’à l’âge de la retraite et qui
exerce une activité professionnelle à titre indépendant sur le territoire dudit État membre.

29 À cet égard, il y a lieu de rappeler que, en ce qui concerne le principe de l’unicité de la législation applicable en matière de sécurité sociale, tel qu’exprimé à l’article 13 du règlement no 1408/71 et repris à l’article 11 du règlement no 883/2004, ces règlements ont mis en place un système de coordination portant notamment sur la détermination de la ou des législations applicables aux travailleurs salariés et non salariés qui font usage, dans différentes circonstances, de leur droit à la
libre circulation. Le caractère complet de ce système de règles de conflit a comme effet de soustraire au législateur de chaque État membre le pouvoir de déterminer à sa guise l’étendue et les conditions d’application de sa législation nationale quant aux personnes qui y sont soumises et quant au territoire à l’intérieur duquel les dispositions nationales produisent leurs effets (voir, en ce sens, arrêts du 26 février 2015, de Ruyter, C‑623/13, EU:C:2015:123, points 34 à 35 et jurisprudence
citée, ainsi que du 15 septembre 2022, Rechtsanwaltskammer Wien, C‑58/21, EU:C:2022:691, points 43 et 49).

30 Ainsi, l’article 13, paragraphe 1, du règlement no 1408/71 et l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 884/2004 disposent expressément que les personnes auxquelles ces règlements sont applicables ne sont soumises qu’à la législation d’un seul État membre, ce qui exclut dès lors, en principe, toute possibilité de cumul de plusieurs législations nationales pour une même période.

31 Or, le principe de l’unicité de la législation applicable en matière de sécurité sociale énoncé dans le règlement no 1408/71 et dans le règlement no 883/2004 n’est pas applicable aux fonctionnaires de l’Union, lesquels ne sont pas soumis à une législation nationale en matière de sécurité sociale, telle que visée à l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 1408/71 et à l’article 2, paragraphe 1, du règlement no 883/2004, qui définissent le champ d’application personnel desdits règlements. Les
fonctionnaires de l’Union ne peuvent donc pas être qualifiés de « travailleurs », au sens des mêmes règlements (voir, en ce sens, arrêt du 10 mai 2017, de Lobkowicz, C‑690/15, EU:C:2017:355, point 35 et jurisprudence citée).

32 En effet, l’Union est seule compétente, à l’exclusion des États membres, pour déterminer les règles applicables aux fonctionnaires de l’Union en ce qui concerne leurs obligations en matière de sécurité sociale (arrêt du 10 mai 2017, de Lobkowicz, C‑690/15, EU:C:2017:355, point 44).

33 Le régime de sécurité sociale commun aux institutions de l’Union a été fixé, conformément à l’article 14 du protocole, par le Parlement et le Conseil au moyen du règlement fixant le statut (voir, en ce sens, arrêt du 10 mai 2017, de Lobkowicz, C‑690/15, EU:C:2017:355, point 36).

34 En effet, d’une part, cet article 14 doit être considéré comme impliquant la soustraction à la compétence des États membres de l’obligation d’affiliation des fonctionnaires de l’Union à un régime national de sécurité sociale et de l’obligation, pour ces fonctionnaires, de contribuer au financement d’un tel régime (voir, en ce sens, arrêt du 10 mai 2017, de Lobkowicz, C‑690/15, EU:C:2017:355, points 40 et 41).

35 D’autre part, le statut, qui revêt toutes les caractéristiques énoncées à l’article 288 TFUE, est obligatoire dans tous ses éléments et directement applicable dans tout État membre, de sorte que le respect de ses dispositions s’impose également aux États membres (voir, en ce sens, arrêts du 10 mai 2017, de Lobkowicz, C‑690/15, EU:C:2017:355, point 42, ainsi que du 4 février 2021, Ministre de la Transition écologique et solidaire et Ministre de l’Action et des Comptes publics, C‑903/19,
EU:C:2021:95, point 36).

36 Dans ce contexte, il convient de relever que, aux termes de l’article 72, paragraphe 1, du statut, tout fonctionnaire et agent temporaire au service d’une institution de l’Union est couvert contre les risques de maladie.

37 Conformément à l’article 72, paragraphe 2, du statut, le fonctionnaire qui est resté au service de l’Union jusqu’à l’âge de la retraite ou qui est titulaire d’une allocation d’invalidité bénéficie de la même couverture, la contribution étant calculée sur la base de la pension ou de l’allocation.

38 L’article 72, paragraphe 2 bis, du statut précise que le fonctionnaire titulaire d’une pension d’ancienneté qui a quitté le service avant l’âge de la retraite reste également couvert à condition, toutefois, qu’il n’exerce pas d’activité professionnelle lucrative.

39 De même, il ressort de l’article 72, paragraphe 1 bis, du statut que le fonctionnaire qui cesse définitivement ses fonctions et qui n’exerce pas d’activité professionnelle lucrative peut demander de continuer à bénéficier pendant une période de six mois de la couverture contre les risques de maladie.

40 Il découle de ces dispositions que le fonctionnaire dont le lien d’emploi avec l’Union a perduré jusqu’à l’âge de la retraite continue de relever du régime de sécurité sociale de l’Union, à l’opposé du fonctionnaire qui a quitté les institutions avant d’avoir atteint l’âge de la retraite pour entamer une activité professionnelle lucrative dans un État membre. Ce dernier ne relève plus du régime de sécurité sociale de l’Union et la législation applicable en matière de sécurité sociale est
déterminée à son égard conformément aux dispositions du règlement no 883/2004.

41 En l’occurrence, il n’est pas contesté que le requérant au principal a travaillé au service de la Commission jusqu’à l’âge de la retraite, de sorte que, conformément au paragraphe 2 de l’article 72 du statut, il est resté affilié au RCAM nonobstant le fait qu’il a exercé, une fois retraité, une activité professionnelle lucrative dans un État membre.

42 Or, une réglementation d’un État membre qui assujettit au régime de sécurité sociale de cet État un fonctionnaire de l’Union qui est resté au service d’une institution jusqu’à l’âge de la retraite et qui exerce une activité professionnelle à titre indépendant dans ledit État membre méconnaît la compétence exclusive attribuée à l’Union, tant par l’article 14 du protocole que par les dispositions pertinentes du statut, pour déterminer les règles applicables aux fonctionnaires de l’Union en ce qui
concerne leurs obligations en matière de sécurité sociale.

43 En effet, si les États membres conservent leur compétence pour aménager leurs systèmes de sécurité sociale, ils doivent néanmoins, dans l’exercice de cette compétence, respecter le droit de l’Union, y compris les dispositions du protocole et du statut qui sont relatives aux règles en matière de sécurité sociale qui gouvernent la situation juridique des fonctionnaires de l’Union, tant pendant leur activité au service d’une institution qu’après l’âge de la retraite (voir, en ce sens, arrêt du
10 mai 2017, de Lobkowicz, C‑690/15, EU:C:2017:355, points 34, 38 et 39 ainsi que jurisprudence citée).

44 Cette interprétation n’est remise en cause par aucun des arguments invoqués par JD ou les parties intéressées, au sens de l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, ayant déposé des observations écrites.

45 Tout d’abord, l’argument selon lequel le principe de l’unicité de la législation applicable en matière de sécurité sociale, tel que précisé par l’arrêt du 26 février 2015, de Ruyter (C‑623/13, EU:C:2015:123), serait lié à la condition de l’existence d’un lien d’emploi avec l’Union peut être écarté dans la mesure où il ressort des points 37 à 40 du présent arrêt que c’est précisément en raison du lien d’emploi avec une institution de l’Union jusqu’à l’âge de la prise de la retraite que le
fonctionnaire continue à relever, conformément à l’article 72, paragraphe 2, du statut, du RCAM.

46 Ensuite, le fait que les fonctionnaires de l’Union, en activité ou retraités, relèvent du RCAM n’est pas susceptible de constituer une situation discriminatoire par rapport aux autres travailleurs de l’État membre considéré, à l’égard desquels le règlement no 883/2004 détermine la législation applicable comme étant celle de l’État membre dans lequel l’intéressé exerce son activité professionnelle. À supposer même que le droit de l’Union puisse avoir comme conséquence de mettre le fonctionnaire de
l’Union dans une situation prétendument plus avantageuse, une telle situation ne présenterait pas, pour autant, un caractère discriminatoire à l’égard des travailleurs résidents, en ce que les fonctionnaires de l’Union ne se trouvent pas dans une situation comparable à celle desdits travailleurs.

47 Quant à la circonstance que la réglementation nationale qualifierait de « pure solidarité » les cotisations en cause au principal, il y a lieu de souligner que la Cour a itérativement jugé, d’une part, que la circonstance qu’un prélèvement soit qualifié notamment d’« impôt » par une législation nationale n’exclut pas que ce prélèvement puisse être considéré comme visé par la règle du non-cumul de législations sociales applicables, du moment qu’il s’agit d’une contribution sociale (voir, en ce
sens, arrêt du 26 octobre 2016, Hoogstad, C‑269/15, EU:C:2016:802, point 29 et jurisprudence citée). D’autre part, l’existence ou l’absence de contrepartie en termes de prestations est dépourvue de pertinence dans le cadre de la question de savoir si le prélèvement en cause relève du régime de sécurité sociale (arrêt du 26 février 2015, de Ruyter, C‑623/13, EU:C:2015:123, point 26).

48 Enfin, il importe de rappeler qu’il existe une nette distinction entre les obligations en matière de sécurité sociale des fonctionnaires de l’Union, qu’ils soient en activité ou en retraite, et les obligations fiscales de ces fonctionnaires, qui ne bénéficient, en vertu de l’article 12 du protocole, que d’une exemption des impôts nationaux sur leurs traitements, salaires et émoluments versés par l’Union. Si ces traitements, salaires et émoluments sont exclusivement soumis, quant à leur
imposabilité éventuelle, au droit de l’Union, les autres revenus des fonctionnaires restent soumis à l’imposition des États membres (voir, en ce sens, arrêt du 21 mai 2015, Pazdziej, C‑349/14, EU:C:2015:338, point 15 et jurisprudence citée).

49 Eu égard aux considérations qui précèdent, il convient de répondre à la question posée que l’article 14 du protocole et les dispositions du statut, en particulier l’article 72 de celui-ci, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à l’assujettissement obligatoire, par la législation d’un État membre, au régime de sécurité sociale de cet État d’un fonctionnaire de l’Union qui est resté au service d’une institution de l’Union jusqu’à l’âge de la retraite et qui exerce une activité
professionnelle à titre indépendant sur le territoire dudit État membre.

Sur les dépens

50 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (septième chambre) dit pour droit :

  L’article 14 du protocole (no 7) sur les privilèges et immunités de l’Union européenne et les dispositions du statut des fonctionnaires de l’Union européenne, en particulier l’article 72 de ce statut, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à l’assujettissement obligatoire, par la législation d’un État membre, au régime de sécurité sociale de cet État d’un fonctionnaire de l’Union européenne qui est resté au service d’une institution de l’Union jusqu’à l’âge de la retraite et qui
exerce une activité professionnelle à titre indépendant sur le territoire dudit État membre.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Septième chambre
Numéro d'arrêt : C-415/22
Date de la décision : 16/11/2023

Analyses

Renvoi préjudiciel – Fonctionnaires de l’Union européenne – Statut des fonctionnaires de l’Union européenne – Affiliation obligatoire au régime de sécurité sociale des institutions de l’Union européenne – Fonctionnaire de l’Union européenne retraité exerçant une activité professionnelle à titre d’indépendant – Assujettissement aux cotisations sociales par la législation de l’État membre dans lequel cette activité est exercée.


Parties
Demandeurs : JD
Défendeurs : Acerta - Caisse d'assurances sociales ASBL e.a.

Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:881

Source

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