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26/10/2023 | CJUE | N°C-249/22

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, BM contre Gebühren Info Service GmbH (GIS)., 26/10/2023, C-249/22


 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

26 octobre 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 2, paragraphe 1, sous c) – Prestation de services à titre onéreux – Notion – Activités d’un organisme public de radiotélévision financées par une redevance obligatoire versée par les détenteurs d’un récepteur de radio et de télévision se trouvant dans la zone de diffusion terrestre – Article 378, paragraphe 1, et annexe X, partie A, point 2 – Acte d

adhésion de la République d’Autriche –
Dérogation – Champ d’application »

Dans l’affaire C‑249/22,

ayant po...

 ARRÊT DE LA COUR (cinquième chambre)

26 octobre 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 2, paragraphe 1, sous c) – Prestation de services à titre onéreux – Notion – Activités d’un organisme public de radiotélévision financées par une redevance obligatoire versée par les détenteurs d’un récepteur de radio et de télévision se trouvant dans la zone de diffusion terrestre – Article 378, paragraphe 1, et annexe X, partie A, point 2 – Acte d’adhésion de la République d’Autriche –
Dérogation – Champ d’application »

Dans l’affaire C‑249/22,

ayant pour objet une demande de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduite par le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche), par décision du 16 mars 2022, parvenue à la Cour le 11 avril 2022, dans la procédure

BM

contre

Gebühren Info Service GmbH (GIS),

en présence de :

Bundesministerium für Finanzen,

Österreichischer Rundfunk,

LA COUR (cinquième chambre),

composée de M. E. Regan, président de chambre, MM. F. Biltgen, M. Ilešič, I. Jarukaitis et D. Gratsias (rapporteur), juges,

avocat général : M. M. Szpunar,

greffier : Mme M. Siekierzyńska, administratrice,

vu la procédure écrite et à la suite de l’audience du 15 février 2023,

considérant les observations présentées :

– pour BM, par Me F. List, Rechtsanwältin, et Me W. List, Rechtsanwalt,

– pour Gebühren Info Service GmbH (GIS), par Me S. Lenzhofer, Rechtsanwalt,

– pour l’Österreichischer Rundfunk, par Mes T. Wenger et H. Wollmann, Rechtsanwälte,

– pour le gouvernement autrichien, par MM. A. Posch , F. Koppensteiner et B. Kuder, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement danois, par Mmes J. F. Kronborg et V. Pasternak Jørgensen, en qualité d’agents,

– pour le gouvernement français, par M. R. Bénard, en qualité d’agent,

– pour la Commission européenne, par Mme J. Jokubauskaitė et M. B. Martenczuk, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 25 mai 2023,

rend le présent

Arrêt

1 La demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2, paragraphe 1, sous c), et de l’article 378, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée (JO 2006, L 347, p. 1, ci-après la « directive TVA »), lus en combinaison avec l’article 151, paragraphe 1, et l’annexe XV, partie IX, point 2, sous h), premier alinéa, second tiret, de l’acte relatif aux conditions d’adhésion de la République
d’Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union européenne (JO 1994, C 241, p. 21, et JO 1995, L 1, p. 1, ci-après l’« acte d’adhésion »).

2 Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant BM à Gebühren Info Service GmbH (GIS) au sujet d’une demande de la première tendant au remboursement, par la seconde, de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur la redevance de programme relative à la période allant du 1er octobre 2013 au 31 octobre 2018.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

L’acte d’adhésion

3 L’article 151, paragraphe 1, de l’acte d’adhésion dispose :

« Les actes figurant dans la liste de l’annexe XV du présent acte s’appliquent à l’égard des nouveaux États membres dans les conditions prévues dans cette annexe. »

4 L’annexe XV de l’acte d’adhésion comporte une partie IX, intitulée « Fiscalité », dont le point 2 est rédigé comme suit :

« 377 L 0388 : Sixième directive (77/388/CEE) du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d’harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d’affaires – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée : assiette uniforme (JO [1977, L 145], p. 1), modifiée en dernier lieu par :

– 394 L 0005 : Directive 94/5/CE du Conseil, du 14 février 1994 (JO [1994, L 60], p. 16).

Autriche

[...]

h) Aux fins de l’application de l’article 28 paragraphe 3 point a), la République d’Autriche peut taxer :

[...]

– les opérations énumérées au point 7 de l’annexe E.

[...] »

La directive TVA

5 La directive 77/388 (ci-après la « sixième directive ») a été abrogée en vertu de l’article 411, paragraphe 1, de la directive TVA. Aux termes du paragraphe 2 de cet article, les références faites à la sixième directive s’entendent comme faites à la directive TVA et sont à lire selon le tableau de correspondance figurant à l’annexe XII de cette directive.

6 L’article 1er, paragraphe 1, de ladite directive énonce :

« La présente directive établit le système commun de [TVA]. »

7 Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la même directive, les prestations de services, effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel, sont soumises à la TVA.

8 Selon le tableau de correspondance figurant à l’annexe XII de la directive TVA, l’article 132, paragraphe 1, sous q), de cette directive correspond à l’article 13, A, paragraphe 1, sous q), de la sixième directive. Il dispose que les États membres exonèrent « les activités des organismes publics de radiotélévision autres que celles ayant un caractère commercial ».

9 L’article 370 de ladite directive, qui correspond à l’article 28, paragraphe 3, sous a), de la sixième directive, dispose :

« Les États membres qui, au 1er janvier 1978, taxaient les opérations dont la liste figure à l’annexe X, partie A, peuvent continuer à les taxer. »

10 L’article 378, paragraphe 1, de la même directive, qui correspond à l’annexe XV, partie IX, point 2, sous h), premier alinéa, second tiret, de l’acte d’adhésion, prévoit :

« L’Autriche peut continuer à taxer les opérations figurant à l’annexe X, partie A, point 2). »

11 L’annexe X, partie A, point 2, de la directive TVA vise « les activités des organismes publics de radiotélévision autres que celles ayant un caractère commercial ». Ces activités étaient précédemment visées à l’annexe E, point 7, de la sixième directive.

Le droit autrichien

Le RGG

12 Aux termes de l’article 2, paragraphe 1, du Bundesgesetz betreffend die Einhebung von Rundfunkgebühren (loi fédérale sur la redevance de radiodiffusion, BGBl. I, 159/1999), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après le « RGG »), toute personne qui utilise à l’intérieur de bâtiments un équipement récepteur de radiodiffusion doit s’acquitter de la redevance prévue à l’article 3 du RGG (ci‑après la « redevance de radiodiffusion »). Le fait de disposer d’un équipement récepteur de
radiodiffusion opérationnel est assimilé à l’utilisation d’un tel équipement.

13 L’article 4, paragraphe 1, du RGG prévoit que le recouvrement de la redevance de radiodiffusion et de toutes autres taxes et rémunérations en lien avec celle-ci incombe à GIS, laquelle est également compétente pour statuer sur les demandes d’exonération en la matière.

L’ORF-G

14 En vertu de son article 1er, paragraphe 1, le Bundesgesetz über den Österreichischen Rundfunk (loi fédérale sur l’Österreichischer Rundfunk, BGBl. 379/1984), dans sa version applicable au litige au principal (BGBl. I, 55/2014) (ci‑après l’ORF-G), a institué une fondation de droit public dénommée « Österreichischer Rundfunk (ORF) ».

15 L’article 31 de l’ORF-G, intitulé « Redevance de programme », dispose, à ses paragraphes 1, 10 et 17 :

« (1)   Toute personne a le droit de recevoir les émissions radiophoniques ou télévisuelles de l’[ORF] en contrepartie d’une redevance de programme à caractère continu (redevance radio, redevance télévision). Le montant de la redevance de programme est fixé par le Conseil de fondation à la demande du directeur général. [...]

[...]

(10)   La redevance de programme est due indépendamment de la fréquence et de la qualité des émissions ou de leur réception, pourvu que le lieu de réception de l’usager (article 2, paragraphe 1, du RGG) se trouve dans une zone couverte par la radiodiffusion terrestre (analogique ou DVB-T) des programmes de l’[ORF] [...] Le début et la fin de l’obligation d’acquitter la redevance de programme ainsi que l’exonération de cette obligation sont régis par les dispositions de la législation fédérale
applicables aux redevances de radiodiffusion.

[...]

(17)   La redevance de programme doit être collectée en même temps que la redevance de radiodiffusion, et de la même manière que celle-ci ; aucun autre mode de règlement n’éteint la dette. »

L’UStG

16 L’article 1er du Bundesgesetz über die Besteuerung der Umsätze (loi fédérale relative à la taxe sur le chiffre d’affaires, BGBl. 663/1994), dans sa version applicable au litige au principal (ci-après l’« UStG 1994 »), dispose, à son paragraphe 1 :

« Sont soumises à la taxe sur le chiffre d’affaires les opérations suivantes :

1. les livraisons et autres prestations effectuées à titre onéreux sur le territoire national par un entrepreneur dans le cadre de son entreprise. L’opération effectuée sur la base d’un acte législatif ou administratif, ou réputée effectuée en vertu d’une disposition législative, n’en demeure pas moins imposable ;

[...] »

17 L’article 10 de l’UStG 1994, intitulé « Taux d’imposition », énonce :

« (1)   Le taux de la taxe s’élève à 20 % de la base d’imposition pour toutes les opérations imposables (articles 4 et 5).

(2)   Le taux de la taxe est réduit à 10 % pour

[...]

5. les prestations des entreprises de radiodiffusion, pour autant que celles-ci donnent lieu à la perception de redevances radio et télévision, ainsi que les autres prestations d’entreprises de télévision par câble, dans la mesure où elles consistent en la diffusion simultanée, intégrale et inchangée d’émissions de radio et de télévision nationales et étrangères, qui sont rendues accessibles au public au moyen de canaux, en contrepartie d’une rémunération devant être payée en continu ;

[...] »

Le litige au principal et les questions préjudicielles

18 BM est enregistrée auprès de GIS en tant qu’usagère de services de radiodiffusion, dans une zone couverte par la radiodiffusion numérique terrestre des programmes de l’ORF, dont la réception est possible par antenne d’intérieur.

19 Le 23 octobre 2018, BM a demandé à GIS de constater par décision son droit au remboursement du montant total de 100,57 euros, correspondant à la TVA payée sur la redevance de programme dont elle était redevable conformément à l’article 31, paragraphe 1, de l’ORF‑G, pour la période allant du 1er octobre 2013 au 31 octobre 2018. À l’appui de sa demande, BM a fait valoir, en substance, que l’assujettissement de la redevance de programme à la TVA était contraire à la directive TVA, lue à la lumière
de l’arrêt du 22 juin 2016, Český rozhlas (C‑11/15, EU:C:2016:470).

20 GIS a adopté une décision rejetant la demande de BM. Cette dernière a formé un recours contre cette décision devant le Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral, Autriche), qui a été rejeté. BM a formé un recours en Revision contre le jugement du Bundesverwaltungsgericht (tribunal administratif fédéral) devant la juridiction de renvoi.

21 La juridiction de renvoi expose que la collecte tant de la redevance de radiodiffusion que de la redevance de programme incombe à GIS. Toutefois, alors que la première est due par tout usager utilisant ou disposant d’un équipement récepteur de radiodiffusion opérationnel tel qu’un téléviseur ou une radio, quel que soit le lieu de réception, la seconde, qui est la seule à être soumise à la TVA, n’est due que si le lieu de réception se trouve dans une zone couverte par la radiodiffusion terrestre
des programmes de l’ORF.

22 À cet égard, la juridiction de renvoi relève que, dans un arrêt du 4 septembre 2008, elle avait jugé que la redevance de programme n’était due que si la personne concernée disposait d’un équipement permettant de recevoir effectivement les programmes de l’ORF. Or, en 2011, à la suite de cet arrêt, l’article 31, paragraphe 10, de l’ORF‑G aurait été modifié par l’ajout des termes « pourvu que le lieu de réception de l’usager (article 2, paragraphe 1, du RGG) se trouve dans une zone couverte par la
radiodiffusion terrestre (analogique ou DVB‑T) des programmes de l’[ORF] ». Il ressortirait de l’exposé des motifs de cette modification que la détention d’un équipement technique concret permettant de recevoir des programmes de l’ORF, le cas échéant après une adaptation mineure, comme l’acquisition d’un module de réception d’émissions de télévision numérique, serait déterminante pour l’obligation de s’acquitter de la redevance de programme. En revanche, lorsque la réception des programmes de
l’ORF ne pourrait être réalisée qu’au moyen de mesures complexes ou coûteuses, il n’existerait aucune obligation de s’acquitter de cette redevance. Il serait ainsi possible qu’un usager ne soit tenu de payer que la seule redevance de radiodiffusion lorsqu’il dispose d’un poste de télévision ou de radio qui n’est pas situé dans une zone de réception terrestre des programmes de l’ORF.

23 La juridiction de renvoi considère que les circonstances de la présente affaire se distinguent de celles de l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 22 juin 2016, Český rozhlas, (C‑11/15, EU:C:2016:470). D’une part, en droit autrichien, il existerait, en vertu d’une fiction légale, un rapport contractuel de droit civil entre l’usager et l’ORF.

24 D’autre part, les programmes de l’ORF seraient cryptés et leur réception nécessiterait un module de réception conforme aux normes de la télévision numérique (DVB‑T, DVB‑S ou DVB‑C), ou la conclusion d’un contrat avec un opérateur de télévision par câble proposant des programmes de l’ORF dans son bouquet. Il serait, ainsi, possible de considérer que, par l’acquisition d’un tel équipement ou par la conclusion d’un tel contrat, l’usager exprimerait son intention de faire usage de son droit de
recevoir les programmes de l’ORF, ce qui ferait naître une relation de droit entre lui et l’ORF. S’appuyant, par analogie, sur l’arrêt du 21 mars 2002, Kennemer Golf (C‑174/00, EU:C:2002:200), la juridiction de renvoi estime que la fréquence à laquelle les programmes de l’ORF sont effectivement regardés ou écoutés par un usager n’est, à cet égard, pas pertinente.

25 En outre, la juridiction de renvoi expose que le droit fiscal autrichien prévoyait déjà, avant l’adhésion de la République d’Autriche à l’Union européenne, la perception d’une TVA à taux réduit sur les prestations des entreprises de radiodiffusion, pour autant que celles-ci donnent lieu à la perception de redevances radio et télévision. Selon la juridiction de renvoi, il ressort des documents relatifs aux négociations d’adhésion de la République d’Autriche à l’Union que l’objectif de la
dérogation accordée à la République d’Autriche en vertu de l’annexe XV, partie IX, point 2, sous h), de l’acte d’adhésion était d’autoriser la République d’Autriche à maintenir cette taxation après son adhésion à l’Union.

26 C’est ainsi que le Verwaltungsgerichtshof (Cour administrative, Autriche) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Une redevance telle que la redevance de programme de l’ORF autrichien, qui est fixée par l’organisme de radiodiffusion public lui‑même afin de financer son fonctionnement, doit-elle être considérée, compte tenu de la disposition de droit primaire de l’article 151, paragraphe 1, lue en combinaison avec l’annexe XV, partie IX, point 2, sous h), premier alinéa, second tiret, de l’[acte d’adhésion], comme étant la rémunération d’un service au sens des dispositions combinées de l’article 2 et de
l’article 378, point 1, de la directive [TVA] ?

2) Si la réponse à cette première question est affirmative, la redevance de programme de l’ORF susmentionnée doit-elle également être considérée comme étant la rémunération d’un service, au sens de la directive [TVA], lorsqu’elle doit être acquittée par des personnes qui, certes, utilisent un appareil récepteur de radiodiffusion à l’intérieur d’un bâtiment qui se trouve dans une zone de réception de la radiodiffusion télévisuelle terrestre de l’ORF, mais qui, ne disposant pas du module de
réception nécessaire à cet effet, ne peuvent pas recevoir les programmes en question ? »

Sur les questions préjudicielles

27 À titre liminaire, il convient de rappeler que, dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. Dans cette optique, il incombe, le cas échéant, à la Cour de reformuler les questions qui lui sont soumises (arrêt du 14 septembre 2023, Volkswagen Group Italia et Volkswagen Aktiengesellschaft, C‑27/22,
EU:C:2023:663, point 79 ainsi que jurisprudence citée).

28 En l’occurrence, le litige au principal trouve son origine dans une demande adressée à GIS tendant au remboursement de la TVA sur la redevance de programme de l’ORF payée prétendument en violation du droit de l’Union et, plus spécifiquement, des dispositions de la directive TVA. Il ressort, par ailleurs, de la demande de décision préjudicielle que, alors que, dans le libellé des questions posées, la juridiction de renvoi se focalise spécifiquement sur la notion de « prestations de services
effectuées à titre onéreux », laquelle notion est expressément prévue à l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA et non pas à l’article 378, paragraphe 1, de celle‑ci, cette juridiction cherche, en définitive, plus généralement, à obtenir une réponse de la Cour sur la compatibilité de la TVA ainsi payée avec les dispositions de cette directive, en particulier eu égard à la dérogation prévue à cet article 378, paragraphe 1, permettant à la République d’Autriche de continuer à taxer
certaines opérations.

29 Dans ces circonstances, il y a lieu de considérer que, par ses questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, paragraphe 1, sous c), et l’article 378, paragraphe 1, de la directive TVA, lus en combinaison avec l’article 151, paragraphe 1, et l’annexe XV, partie IX, point 2, sous h), premier alinéa, second tiret, de l’acte d’adhésion, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à ce que la République d’Autriche soumette à la
TVA une activité de radiodiffusion publique, financée par une redevance légale obligatoire et versée par toute personne utilisant un équipement récepteur de radiodiffusion à l’intérieur d’un bâtiment situé dans une zone couverte par la radiodiffusion terrestre de l’organisme public de radiodiffusion concerné.

30 D’emblée, il convient de rappeler que la directive TVA établit un système commun de TVA fondé, notamment, sur une définition uniforme des opérations taxables (arrêt du 13 juin 2018, Gmina Wrocław, C‑665/16, EU:C:2018:431, point 30 et jurisprudence citée).

31 Ainsi, selon l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA, lequel figure sous le titre I de cette directive, intitulé « Objet et champ d’application », sont soumises à la TVA les prestations de services, effectuées à titre onéreux sur le territoire d’un État membre par un assujetti agissant en tant que tel.

32 À cet égard, il est de jurisprudence constante que les opérations taxables supposent l’existence d’une transaction entre les parties comportant la stipulation d’un prix ou d’une contre-valeur. Ainsi, lorsque l’activité d’un prestataire consiste à fournir exclusivement des prestations sans contrepartie directe, il n’existe pas de base d’imposition et ces prestations ne sont donc pas soumises à la TVA (arrêt du 22 juin 2016, Český rozhlas, C‑11/15, EU:C:2016:470, point 20 et jurisprudence citée).

33 Il en résulte qu’une prestation de services n’est effectuée « à titre onéreux », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive TVA, et n’est dès lors taxable que s’il existe entre le prestataire et le bénéficiaire un rapport juridique au cours duquel des prestations réciproques sont échangées, la rétribution perçue par le prestataire constituant la contre‑valeur effective du service fourni au bénéficiaire. Dans ce contexte, la Cour a itérativement jugé que la notion de
« prestations de services effectuées à titre onéreux », au sens de cet article 2, paragraphe 1, sous c), suppose l’existence d’un lien direct entre le service rendu et la contre-valeur reçue (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2016, Český rozhlas, C‑11/15, EU:C:2016:470, points 21 et 22 ainsi que jurisprudence citée).

34 Lorsqu’une activité est qualifiée d’opération effectuée « à titre onéreux », au sens de cette disposition, elle relève, à ce titre, du champ d’application de la directive TVA. En revanche, une activité qui n’est pas qualifiée comme telle ne relève pas du champ d’application de cette directive (voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2016, Český rozhlas, C‑11/15, EU:C:2016:470, points 34 et 36).

35 Si l’article 132, paragraphe 1, sous q), de la directive TVA prévoit, pour sa part, l’exonération des « activités des organismes publics de radiotélévision autres que celles ayant un caractère commercial », cette disposition n’est toutefois applicable qu’à la condition que ces activités soient« soumises à la TVA », au sens de l’article 2, paragraphe 1, de cette directive, et ne saurait être interprétée de manière à étendre le champ d’application de ladite directive, tel que défini à cet article 2
(voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2016, Český rozhlas, C‑11/15, EU:C:2016:470, point 32).

36 Toutefois, l’article 378, paragraphe 1, de la directive TVA, qui reflète l’annexe XV, partie IX, point 2, sous h), premier alinéa, second tiret, de l’acte d’adhésion, permet à la République d’Autriche de déroger à ces dispositions en donnant la faculté à cet État membre de continuer à taxer les opérations figurant à l’annexe X, partie A, point 2, de cette directive, laquelle vise les activités des organismes publics de radiotélévision autres que celles ayant un caractère commercial.

37 En effet, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, le maintien de ce régime dérogatoire reflète le caractère progressif et encore partiel de l’harmonisation des législations nationales en matière de TVA. L’harmonisation envisagée n’est pas encore réalisée dans la mesure où des dispositions dérogatoires, telles que l’article 378 de la directive TVA, autorisent les États membres à continuer à maintenir certaines dispositions de leur législation nationale qui seraient, sans ces autorisations, incompatibles
avec cette directive (voir, par analogie, arrêt du 13 mars 2014, Jetair et BTWE Travel4you, C‑599/12, EU:C:2014:144, point 48 et jurisprudence citée).

38 Cela étant, la faculté prévue à l’article 378, paragraphe 1, de la directive TVA est accordée à titre dérogatoire, en application de l’article 151, paragraphe 1, et de l’annexe XV, partie IX, point 2, sous h), premier alinéa, second tiret, de l’acte d’adhésion, sous réserve de respecter les conditions propres à ces dispositions. Il convient ainsi d’examiner la portée de cette dérogation afin de déterminer si la taxe en cause au principal relève du champ d’application de celle‑ci.

39 Pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie.

40 Par ailleurs, il est de jurisprudence constante que, lorsqu’une disposition du droit de l’Union est susceptible de faire l’objet de plusieurs interprétations, il convient de privilégier celle qui est de nature à sauvegarder son effet utile (arrêt du 7 mars 2018, Cristal Union, C‑31/17, EU:C:2018:168, point 41 et jurisprudence citée).

41 En l’occurrence, s’agissant du libellé de l’article 378, paragraphe 1, de la directive TVA, ainsi qu’il ressort du point 36 du présent arrêt, cette disposition, lue en combinaison avec l’annexe X, partie A, point 2, de cette directive, autorise la République d’Autriche à « continuer à taxer » les activités des organismes publics de radiotélévision autres que celles ayant un caractère commercial.

42 Partant, selon les termes de ladite disposition, la République d’Autriche est uniquement autorisée à maintenir un système de taxation des activités susmentionnées déjà existant et non pas à introduire une nouvelle taxation de ces activités (voir, par analogie, arrêt du 2 mai 2019, Grupa Lotos, C‑225/18, EU:C:2019:349, point 31 et jurisprudence citée).

43 Dans la mesure où cette disposition vise de manière spécifique la taxation de ces activités par la République d’Autriche à la date de son adhésion à l’Union, les modalités de cette taxation depuis cette date doivent être restées en substance inchangées pour que ladite taxation continue d’être couverte par la dérogation prévue à l’article 378, paragraphe 1, de la directive TVA.

44 À cet égard, il ressort des éléments soumis à la Cour que la réglementation nationale prévoyant la redevance de programme a été modifiée en 2011, de telle sorte que, désormais, cette redevance doit être payée pourvu que le lieu de réception de l’usager se trouve dans une zone couverte par la radiodiffusion terrestre des programmes de l’ORF, quand bien même cet usager n’aurait pas effectué l’adaptation mineure nécessaire de son équipement pour pouvoir recevoir les émissions de télévision numérique
de l’ORF.

45 Or, il ressort des indications de la juridiction de renvoi que cette modification législative s’est bornée à tenir compte des innovations technologiques intervenues entre-temps, sans modifier le fait générateur de l’obligation de payer la redevance de programme par rapport à ce qu’il était à la date de l’adhésion de la République d’Autriche à l’Union.

46 Pour ce qui est de l’objectif poursuivi par l’article 378, paragraphe 1, de la directive TVA, ainsi qu’il ressort de l’annexe XII de cette directive, cette disposition vise à mettre en œuvre la dérogation accordée à la République d’Autriche en vertu de l’article 151, paragraphe 1, de l’acte d’adhésion, lu en combinaison avec l’annexe XV, partie IX, point 2, sous h), premier alinéa, second tiret, de cet acte. Or, il ressort de la documentation relative aux négociations antérieures à l’adhésion de
la République d’Autriche à l’Union, invoquée par GIS, l’ORF, la République d’Autriche et la Commission européenne, que la République d’Autriche avait demandé à bénéficier d’une dérogation lui permettant de continuer à soumettre à la TVA les activités des organismes publics de radiotélévision autres que celles ayant un caractère commercial et que les États membres de l’Union ont accédé à cette demande.

47 Les éléments mentionnés aux points 41 à 46 du présent arrêt conduisent à interpréter l’article 378, paragraphe 1, de la directive TVA, lu en combinaison avec l’annexe X, partie A, point 2, de cette directive, en ce sens que cette disposition permet à la République d’Autriche de continuer à soumettre à la TVA la redevance de programme.

48 Une telle interprétation est, au demeurant, la seule à même de sauvegarder l’effet utile de cette disposition, conformément à la jurisprudence citée au point 40 du présent arrêt.

49 En effet, il ressort de la décision de renvoi que la République d’Autriche, à la date de son adhésion à l’Union, soumettait à la TVA les activités de l’organisme public de radiotélévision autres que celles ayant un caractère commercial en percevant cette taxe sur la redevance de programme. Ainsi, dans la mesure où l’article 378, paragraphe 1, de la directive TVA n’autorise la République d’Autriche qu’à « continuer à taxer » de telles activités et non pas à introduire une nouvelle taxation,
interpréter cette disposition en ce sens qu’elle n’autorise pas la perception de la TVA sur la redevance de programme viderait de sens ladite disposition.

50 Ne saurait conduire à une appréciation différente l’arrêt du 22 juin 2016, Český rozhlas (C‑11/15, EU:C:2016:470, point 32), par lequel la Cour a relevé que l’article 13, A, paragraphe 1, sous q), de la sixième directive, libellé de manière identique à l’article 132, paragraphe 1, sous q), de la directive TVA, ne prévoit l’exonération des « activités des organismes publics de radiotélévision autres que celles ayant un caractère commercial » qu’à la condition que ces activités soient « soumises à
la TVA », conformément à l’article 2 de la sixième directive, qui correspond à l’article 2 de la directive TVA, et que, partant, l’article 13, A, paragraphe 1, sous q), de la sixième directive ne saurait être interprété de manière à étendre le champ d’application de cette dernière directive.

51 Il suffit de rappeler, à cet égard, que, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 22 juin 2016, Český rozhlas (C‑11/15, EU:C:2016:470), la Cour n’avait pas à interpréter une disposition dérogatoire telle que, en l’occurrence, l’article 378, paragraphe 1, de la directive TVA. Or, il est dans la nature d’une telle disposition d’introduire des exceptions au champ d’application de la réglementation dont elle fait partie. En effet, la taxation permise par cette disposition n’est pas une taxation
harmonisée qui fait partie intégrante du régime de la TVA tel qu’organisé par la directive TVA. Au contraire, la faculté y prévue permet à la République d’Autriche de maintenir sa législation relative à la taxation des services concernés, sans que les différences qui peuvent en résulter entre elle et d’autres États membres soient contraires au droit de l’Union (voir, par analogie, arrêts du 7 décembre 2006, Eurodental, C‑240/05, EU:C:2006:763, point 52 et jurisprudence citée, ainsi que du 13 mars
2014, Jetair et BTWE Travel4you, C‑599/12, EU:C:2014:144, points 46 et 50).

52 Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il convient de répondre aux questions posées que l’article 2, paragraphe 1, sous c), et l’article 378, paragraphe 1, de la directive TVA, lus en combinaison avec l’article 151, paragraphe 1, et l’annexe XV, partie IX, point 2, sous h), premier alinéa, second tiret, de l’acte d’adhésion, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à ce que la République d’Autriche soumette à la TVA une activité de radiodiffusion publique,
financée par une redevance légale obligatoire et versée par toute personne utilisant un équipement récepteur de radiodiffusion à l’intérieur d’un bâtiment situé dans une zone couverte par la radiodiffusion terrestre de l’organisme public de radiodiffusion concerné, indépendamment du point de savoir si l’activité de radiodiffusion publique concernée relève de la notion de « prestations de services effectuées à titre onéreux », au sens de cet article 2, paragraphe 1, sous c).

Sur les dépens

53 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (cinquième chambre) dit pour droit :

  L’article 2, paragraphe 1, sous c), et l’article 378, paragraphe 1, de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée, lus en combinaison avec l’article 151, paragraphe 1, et l’annexe XV, partie IX, point 2, sous h), premier alinéa, second tiret, de l’acte relatif aux conditions d’adhésion de la République d’Autriche, de la République de Finlande et du Royaume de Suède et aux adaptations des traités sur lesquels est fondée l’Union
européenne,

  doivent être interprétés en ce sens que :

  ils ne s’opposent pas à ce que la République d’Autriche soumette à la taxe sur la valeur ajoutée une activité de radiodiffusion publique, financée par une redevance légale obligatoire et versée par toute personne utilisant un équipement récepteur de radiodiffusion à l’intérieur d’un bâtiment situé dans une zone couverte par la radiodiffusion terrestre de l’organisme public de radiodiffusion concerné, indépendamment du point de savoir si l’activité de radiodiffusion publique concernée relève de la
notion de « prestations de services effectuées à titre onéreux », au sens de cet article 2, paragraphe 1, sous c).

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’allemand.


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : C-249/22
Date de la décision : 26/10/2023
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Verwaltungsgerichtshof.

Renvoi préjudiciel – Système commun de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) – Directive 2006/112/CE – Article 2, paragraphe 1, sous c) – Prestation de services à titre onéreux – Notion – Activités d’un organisme public de radiotélévision financées par une redevance obligatoire versée par les détenteurs d’un récepteur de radio et de télévision se trouvant dans la zone de diffusion terrestre – Article 378, paragraphe 1, et annexe X, partie A, point 2 – Acte d’adhésion de la République d’Autriche – Dérogation – Champ d’application.

Taxe sur la valeur ajoutée

Fiscalité


Parties
Demandeurs : BM
Défendeurs : Gebühren Info Service GmbH (GIS).

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: Gratsias

Origine de la décision
Date de l'import : 28/10/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:813

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