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07/09/2023 | CJUE | N°C-303/22

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. M. Campos Sánchez-Bordona, présentées le 7 septembre 2023., CROSS Zlín a.s. contre Úřad pro ochranu hospodářské soutěže., 07/09/2023, C-303/22


 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 7 septembre 2023 ( 1 )

Affaire C‑303/22

CROSS Zlín a.s.

contre

Úřad pro ochranu hospodářské soutěže

avec l’intervention de :

Statutární město Brno

[demande de décision préjudicielle formée par le Krajský soud v Brně (cour régionale de Brno, République tchèque)]

« Renvoi préjudiciel – Recours en matière de marchés publics de fournitures et de travaux – Directive 89/665/CE

E – Obligation pour les États membres de prévoir des mécanismes de recours – Accès aux recours – Conclusion du marché avant l’introduction d’un recours ju...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 7 septembre 2023 ( 1 )

Affaire C‑303/22

CROSS Zlín a.s.

contre

Úřad pro ochranu hospodářské soutěže

avec l’intervention de :

Statutární město Brno

[demande de décision préjudicielle formée par le Krajský soud v Brně (cour régionale de Brno, République tchèque)]

« Renvoi préjudiciel – Recours en matière de marchés publics de fournitures et de travaux – Directive 89/665/CEE – Obligation pour les États membres de prévoir des mécanismes de recours – Accès aux recours – Conclusion du marché avant l’introduction d’un recours juridictionnel – Efficacité de l’arrêt – Mesure provisoire de suspension des effets du contrat »

1. Une juridiction de la République tchèque interroge la Cour sur la compatibilité du régime national de recours en matière de marchés publics avec la directive 89/665/CEE ( 2 ) et l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »).

2. Cette juridiction doute, en particulier, de la conformité à la directive 89/665 et à l’article 47 de la Charte des règles internes permettant de conclure des marchés publics avant qu’une juridiction statue sur le recours, introduit par un soumissionnaire, par lequel ce dernier conteste son exclusion de la procédure et l’attribution du marché à l’un de ses concurrents.

I. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union : la directive 89/665 ( 3 )

3. L’article 1er de cette directive, intitulé « Champ d’application et accessibilité des procédures de recours », dispose :

« 1.   La présente directive s’applique aux marchés visés par la directive 2014/24/UE du Parlement européen et du Conseil[, du 26 février 2014, sur la passation des marchés publics et abrogeant la directive 2004/18/CE (JO 2014, L 94, p. 65)], sauf si ces marchés sont exclus en application des articles 7, 8, 9, 10, 11, 12, 15, 16, 17 et 37 de ladite directive.

[...]

Les États membres prennent, en ce qui concerne les procédures de passation des marchés relevant du champ d’application de la directive [2014/24] [...], les mesures nécessaires pour garantir que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l’objet de recours efficaces et, en particulier, aussi rapides que possible, dans les conditions énoncées aux articles 2 à 2 septies de la présente directive, au motif que ces décisions ont violé le droit de l’Union en matière de marchés
publics ou les règles nationales transposant ce droit.

[...]

3.   Les États membres s’assurent que les procédures de recours sont accessibles, selon des modalités que les États membres peuvent déterminer, au moins à toute personne ayant ou ayant eu un intérêt à obtenir un marché déterminé et ayant été ou risquant d’être lésée par une violation alléguée.

[...] »

4. L’article 2 de ladite directive, intitulé « Exigences en matière de procédures de recours », dispose :

« 1.   Les États membres veillent à ce que les mesures prises aux fins des recours visés à l’article 1er prévoient les pouvoirs permettant :

a) de prendre, dans les délais les plus brefs et par voie de référé, des mesures provisoires ayant pour but de corriger la violation alléguée ou d’empêcher qu’il soit encore porté atteinte aux intérêts concernés, y compris des mesures destinées à suspendre ou à faire suspendre la procédure de passation de marché public en cause ou l’exécution de toute décision prise par le pouvoir adjudicateur ;

b) d’annuler ou de faire annuler les décisions illégales, y compris de supprimer les spécifications techniques, économiques ou financières discriminatoires figurant dans les documents de l’appel à la concurrence, dans les cahiers des charges ou dans tout autre document se rapportant à la procédure de passation du marché en cause ;

c) d’accorder des dommages et intérêts aux personnes lésées par une violation.

2.   Les pouvoirs visés au paragraphe 1 et aux articles 2 quinquies et 2 sexies peuvent être conférés à des instances distinctes responsables d’aspects différents des procédures de recours.

3.   Lorsqu’une instance de premier ressort, indépendante du pouvoir adjudicateur, est saisie d’un recours portant sur la décision d’attribution du marché, les États membres s’assurent que le pouvoir adjudicateur ne peut conclure le marché avant que l’instance de recours statue soit sur la demande de mesures provisoires soit sur le recours. La suspension prend fin au plus tôt à l’expiration du délai de suspension visé à l’article 2 bis, paragraphe 2, et à l’article 2 quinquies, paragraphes 4
et 5.

4.   Sauf dans les cas prévus au paragraphe 3 et à l’article 1er, paragraphe 5, les procédures de recours ne doivent pas nécessairement avoir des effets suspensifs automatiques sur les procédures de passation de marché auxquelles elles se rapportent.

5.   Les États membres peuvent prévoir que l’instance responsable des procédures de recours peut tenir compte des conséquences probables des mesures provisoires pour tous les intérêts susceptibles d’être lésés, ainsi que de l’intérêt public, et décider de ne pas accorder ces mesures lorsque leurs conséquences négatives pourraient l’emporter sur leurs avantages.

[...]

6.   Les États membres peuvent prévoir que, lorsque des dommages et intérêts sont réclamés au motif que la décision a été prise illégalement, la décision contestée doit d’abord être annulée par une instance ayant la compétence nécessaire à cet effet.

7.   Sauf dans les cas prévus aux articles 2 quinquies à 2 septies, les effets de l’exercice des pouvoirs visés au paragraphe 1 du présent article sur le contrat conclu à la suite de l’attribution d’un marché sont déterminés par le droit national.

En outre, sauf si une décision doit être annulée préalablement à l’octroi de dommages et intérêts, un État membre peut prévoir que, après la conclusion du contrat intervenue conformément à l’article 1er, paragraphe 5, au paragraphe 3 du présent article ou aux articles 2 bis à 2 septies, les pouvoirs de l’instance responsable des procédures de recours se limitent à l’octroi de dommages et intérêts à toute personne lésée par une violation.

[...]

9.   Lorsque les instances responsables des procédures de recours ne sont pas de nature juridictionnelle, leurs décisions sont toujours motivées par écrit. En outre, dans ce cas, des dispositions doivent être prises pour garantir les procédures par lesquelles toute mesure présumée illégale prise par l’instance de base ou tout manquement présumé dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés peuvent faire l’objet d’un recours juridictionnel ou d’un recours auprès d’une autre instance qui est
une juridiction au sens de l’article 234 du traité et qui est indépendante par rapport au pouvoir adjudicateur et à l’instance de base.

[...] »

5. L’article 2 bis de cette même directive, intitulé « Délai de suspension », est libellé comme suit :

« 1.   Les États membres veillent à ce que les personnes visées à l’article 1er, paragraphe 3, disposent de délais permettant des recours efficaces contre les décisions d’attribution de marché prises par les pouvoirs adjudicateurs, en adoptant les dispositions nécessaires qui respectent les conditions minimales énoncées au paragraphe 2 du présent article et à l’article 2 quater.

2.   La conclusion du contrat qui suit la décision d’attribution d’un contrat relevant du champ d’application de la directive [2014/24] [...] ne peut avoir lieu avant l’expiration d’un délai d’au moins dix jours calendaires à compter du lendemain du jour où la décision d’attribution du contrat a été envoyée aux soumissionnaires et candidats concernés si un télécopieur ou un moyen électronique est utilisé ou, si d’autres moyens de communication sont utilisés, avant l’expiration d’un délai d’au
moins quinze jours calendaires à compter du lendemain du jour où la décision d’attribution du contrat est envoyée aux soumissionnaires et candidats concernés, ou d’au moins dix jours calendaires à compter du lendemain du jour de réception de la décision d’attribution du contrat.

Les soumissionnaires sont réputés concernés s’ils n’ont pas encore été définitivement exclus. Une exclusion est définitive si elle a été notifiée aux soumissionnaires concernés et a été jugée licite par une instance de recours indépendante ou ne peut plus faire l’objet d’un recours.

Les candidats sont réputés concernés si le pouvoir adjudicateur n’a pas communiqué les informations relatives au rejet de leur candidature avant que la décision d’attribution du marché soit notifiée aux soumissionnaires concernés.

[...] »

B.   Le droit tchèque

1. Zákon č. 134/2016 Sb., o zadávání veřejných zakázek (loi no 134/2016 relative à la passation des marchés publics)

6. Aux termes de l’article 246, paragraphe 1, de cette loi :

« Le pouvoir adjudicateur ne peut conclure un contrat avec un fournisseur : [...]

d) dans les 60 jours à compter de la date d’ouverture de la procédure de contrôle des actes du pouvoir adjudicateur, si une demande en ce sens a été introduite dans le délai – toutefois, le pouvoir adjudicateur peut conclure le contrat même dans ce délai si l’Úřad [pro ochranu hospodářské soutěže (bureau de protection de la concurrence, ci-après l’« ÚOHS »)] a rejeté la demande ou si la procédure administrative concernant la demande a été close et que cette décision est devenue définitive. »

7. En vertu de l’article 257, sous j), de ladite loi :

« L’ÚOHS clôt, par une ordonnance, la procédure ouverte lorsque :

[...]

j) le pouvoir adjudicateur a conclu, dans le cours de la procédure administrative, un contrat pour l’exécution de l’objet du marché public visé par le contrôle.

[...] »

2. Zákon č. 500/2004 Sb., správního řádu (loi no 500/2004 portant code de procédure administrative)

8. L’article 61 de cette loi dispose :

« 1.   L’autorité administrative peut, d’office ou à la demande d’une partie, ordonner par une décision, avant la fin de la procédure, une mesure provisoire si cela est nécessaire pour régler provisoirement la situation des parties. [...] Une mesure provisoire peut ordonner à une partie ou à une autre personne de faire quelque chose, de s’abstenir de faire quelque chose ou de supporter quelque chose, ou de saisir un objet pouvant servir de preuve ou une chose pouvant faire l’objet d’une exécution
forcée.

[...]

3.   L’autorité administrative révoque, sans délai, par une décision, la mesure provisoire après la cessation du motif pour lequel elle a été ordonnée. Si elle ne le fait pas, la mesure provisoire cesse de produire ses effets à la date à laquelle la décision au fond est devenue exécutoire ou a commencé à produire d’autres effets juridiques.

[...] »

3. Zákon č. 150/2002 Sb., soudní řád správní (loi no 150/2002 portant code de justice administrative)

9. L’article 38 de cette loi dispose :

« 1.   Si une demande introductive de procédure a été déposée et qu’il est nécessaire de régler provisoirement la situation des parties en raison de l’imminence d’un préjudice grave, la juridiction peut, par ordonnance, sur une demande de mesures provisoires, ordonner aux parties de faire quelque chose, de s’abstenir de faire quelque chose ou de supporter quelque chose. Pour les mêmes raisons, la juridiction peut imposer une telle obligation également à un tiers s’il peut raisonnablement lui être
demandé de le faire.

[...] »

10. L’article 72, paragraphe 1, de ladite loi est libellé comme suit :

« Un recours peut être formé dans les deux mois à compter de la date à laquelle la décision a été notifiée au requérant par la remise d’une copie écrite ou de toute autre manière prévue par la loi, si un délai différent n’est pas fixé par une loi spéciale. »

11. L’article 78 de la même loi dispose :

« (1)   Si le recours est fondé, la juridiction annule la décision attaquée pour illégalité ou pour vice de procédure. La juridiction annule la décision attaquée pour illégalité également si elle constate que l’autorité administrative a excédé les limites, prévues par la loi, du pouvoir d’appréciation de l’administration ou en a abusé.

[...]

(4)   Si la juridiction annule la décision, elle déclare en même temps que l’affaire est renvoyée au défendeur.

[...] »

II. Les faits, le litige et la question préjudicielle

12. Le 27 septembre 2019, le Statutární město Brno (ville de Brno, République tchèque) a lancé une procédure en vue de l’attribution d’un marché public pour l’extension des fonctions du centre de contrôle de la circulation (concernant le système des feux de signalisation) ( 4 ).

13. Les sociétés CROSS Zlín, a.s. (ci-après « CROSS »), et Siemens Mobility, s.r.o., ont participé à la procédure en présentant chacune leur offre.

14. Le 6 avril 2020, le pouvoir adjudicateur a exclu CROSS de la procédure pour non‑respect du cahier des charges.

15. Le 7 avril 2020, le pouvoir adjudicateur a sélectionné le fournisseur Siemens Mobility.

16. CROSS a introduit une réclamation contre la décision du 6 avril 2020 devant le pouvoir adjudicateur, qui l’a rejetée le 4 mai 2020.

17. CROSS a déposé une demande de contrôle contre la décision du 4 mai 2020 auprès de l’ÚOHS et a demandé l’annulation de l’avis d’exclusion adopté à son égard ainsi que celle de la sélection du fournisseur Siemens Mobility.

18. Le 3 juillet 2020, l’ÚOHS a ordonné d’office une mesure provisoire consistant à imposer au pouvoir adjudicateur une interdiction de conclure le contrat de marché public jusqu’à la clôture définitive de la procédure de contrôle.

19. Le 5 août 2020, l’ÚOHS a rejeté la demande de contrôle déposée par CROSS.

20. CROSS a introduit une réclamation devant le président de l’ÚOHS contre la décision du 5 août 2020.

21. Le 9 novembre 2020, le président de l’ÚOHS a rejeté cette réclamation. Sa décision est devenue définitive (par voie administrative) ( 5 ) le 13 novembre 2020.

22. Le 18 novembre 2020, le pouvoir adjudicateur a conclu le contrat de marché public avec Siemens Mobility.

23. Le 13 janvier 2021, CROSS a introduit un recours contentieux administratif devant le Krajský soud v Brně (cour régionale de Brno, République tchèque) contre la décision du président de l’ÚOHS du 9 novembre 2020.

24. CROSS a introduit devant la juridiction de renvoi une demande d’effet suspensif dudit recours et d’adoption d’une mesure provisoire consistant à imposer au pouvoir adjudicateur une interdiction de conclure le contrat.

25. Le 11 février 2021, le Krajský soud v Brně (cour régionale de Brno) a rejeté les demandes de CROSS, jugeant que :

– le contrat ayant déjà été conclu, il n’y avait pas de sens à interdire au pouvoir adjudicateur de le conclure ;

– même si la décision attaquée était annulée, la conséquence serait de renvoyer le dossier à l’ÚOHS, qui clôturerait la procédure ;

– il ne serait pas non plus possible d’interdire au pouvoir adjudicateur d’exécuter ce contrat, étant donné qu’aucun obstacle juridique ne s’opposait à sa conclusion au moment où il a été signé, la décision du président de l’ÚOHS étant devenue définitive.

26. Le 28 mars 2022, le Krajský soud v Brně (cour régionale de Brno) a entendu les parties à la procédure sur l’opportunité d’introduire une demande de décision préjudicielle, eu égard aux doutes quant à la compatibilité des règles nationales avec la directive 89/665 et avec l’article 47 de la Charte.

27. Selon elle, ces règles nationales, qui permettent la conclusion d’un marché public dès que la décision du président de l’ÚOHS est devenue définitive (par voie administrative), pourraient être contraires à l’article 2, paragraphe 3, et à l’article 2 bis, paragraphe 2, de la directive 89/665, car elles ne garantissent pas une protection juridictionnelle effective aux soumissionnaires exclus de la procédure de sélection.

28. Après avoir entendu les parties, le Krajský soud v Brně (cour régionale de Brno) a décidé de saisir la Cour de la question préjudicielle suivante :

« La réglementation tchèque qui permet au pouvoir adjudicateur de conclure un contrat de marché public avant l’introduction d’un recours auprès de la juridiction compétente pour contrôler la légalité de la décision d’exclusion d’un soumissionnaire, rendue en deuxième ressort, par [l’ÚOHS] est-elle conforme à l’article 2, paragraphe 3, et à l’article 2 bis, paragraphe 2, de la [directive 89/665], interprétés à la lumière de l’article 47 de la [Charte] ? »

III. La procédure devant la Cour

29. La demande de décision préjudicielle a été enregistrée à la Cour le 9 mai 2022.

30. Des observations écrites ont été déposées par l’ÚOHS, par les gouvernements tchèque et chypriote ainsi que par la Commission européenne. Les mêmes parties, ainsi que CROSS, ont pris part à l’audience qui s’est tenue le 25 mai 2023.

IV. Analyse

A.   Observations liminaires

1. Nature non juridictionnelle de l’ÚOHS

31. Selon la décision de renvoi, même si les dispositions légales tchèques considèrent que l’ÚOHS est une « instance de recours » aux fins de la directive 89/665, elle ne saurait être qualifiée de « juridiction indépendante et impartiale », au sens de l’article 47 de la Charte et du point 73 de l’arrêt du 21 décembre 2021, Randstad Italia ( 6 ).

32. La Cour doit s’en tenir au cadre juridique national, tel que décrit par la juridiction de renvoi, qui a autorité pour interpréter son droit interne ( 7 ). Il convient donc d’admettre ce que soutient la juridiction de renvoi quant à la nature juridique de l’ÚOHS.

33. En réalité, dans ses observations écrites devant la Cour, l’ÚOHS n’a pas revendiqué sa nature juridictionnelle ( 8 ), mais simplement sa qualité d’« instance responsable des procédures de recours », au sens de l’article 2 de la directive 89/665.

2. Objet de la contestation de CROSS

34. Nonobstant les doutes exprimés par la Commission ( 9 ), la contestation de CROSS était également dirigée contre l’attribution du marché à Siemens Mobility. C’est ce qui ressort de l’ordonnance de renvoi ( 10 ).

35. Cette circonstance est cohérente avec le contenu de la question préjudicielle, par laquelle la Cour est invitée à interpréter l’article 2, paragraphe 3, de la directive 89/665, autrement dit, la règle régissant les effets suspensifs des « recours portant sur la décision d’attribution du marché ».

B.   Interprétation de l’article 2, paragraphe 3, de la directive 89/665

36. Face aux décisions des pouvoirs adjudicateurs (lorsqu’il s’agit, évidemment, de marchés relevant du champ d’application de la directive 2014/24), les États membres ont l’obligation de garantir que les intéressés disposent de voies de recours rapides et efficaces leur permettant de les attaquer si elles ont enfreint le droit de l’Union en matière de marchés publics ou les règles nationales qui transposent celles-ci dans les ordres juridiques des États membres. Tel est, en définitive, l’objet de
la directive 89/665.

37. L’article 1er, paragraphe 5, de cette directive autorise les États membres à exiger que la personne souhaitant introduire un recours contre une décision du pouvoir adjudicateur le fasse, en premier lieu, auprès de ce même pouvoir adjudicateur.

38. L’autonomie procédurale des États membres s’étend donc à l’instauration – optionnelle – d’un recours (réclamation) ( 11 ) initial auprès du pouvoir adjudicateur. L’introduction d’une telle réclamation emporte la suspension de la possibilité de conclure le marché, comme tel a été le cas en l’espèce.

39. Outre cette réclamation auprès du pouvoir adjudicateur, la directive 89/665 prévoit de véritables recours devant les « instances responsables des procédures de recours ». L’article 2 de cette directive fait référence à ces instances, en admettant qu’elles puissent être ou non de « nature juridictionnelle », comme le confirme son paragraphe 9 (qui détermine le régime applicable lorsqu’elles sont dépourvues d’une telle nature) ( 12 ).

40. En particulier, l’article 2, paragraphe 3, de la directive 89/665 prévoit qu’une « instance de premier ressort, indépendante du pouvoir adjudicateur » soit saisie d’un recours portant sur la décision d’attribution du marché. Comme je l’exposerai dans les présentes conclusions, cette disposition n’exige ni n’interdit que l’instance de premier ressort soit de nature juridictionnelle.

1. Notion d’« instance de premier ressort indépendante du pouvoir adjudicateur »

41. La notion visée à l’article 2, paragraphe 3, de la directive 89/665 est large ( 13 ). Elle peut englober :

– des instances non juridictionnelles auxquelles le contrôle (examen) des décisions du pouvoir adjudicateur est confié par la voie administrative ( 14 ) ;

– des instances juridictionnelles auxquelles les règles de procédure de l’État membre attribuent la compétence, en premier ressort, pour statuer, de manière directe, sur les recours formés contre les décisions du pouvoir adjudicateur n’ayant pas fait l’objet d’une contestation devant des instances administratives. Par définition, ces instances juridictionnelles sont indépendantes du pouvoir adjudicateur.

42. Le libellé de l’article 2, paragraphe 3, met l’accent sur l’expression « instance de premier ressort » (et, éventuellement, sur son indépendance par rapport au pouvoir adjudicateur), et non pas, je le répète, sur la nature juridictionnelle ou non d’une telle instance.

43. Ainsi, une juridiction peut, si la règle nationale le prévoit (ce qui ne semble pas être le cas en République tchèque), agir en tant qu’instance de premier ressort au titre de l’article 2, paragraphe 3, de la directive 89/665.

2. Effets suspensifs des recours devant les instances de premier ressort

44. Aux termes de l’article 2, paragraphe 3, de la directive 89/665, le droit de l’État membre doit veiller à ce que le pouvoir adjudicateur ne puisse pas conclure le marché avant que l’instance de recours statue soit sur la demande de mesures provisoires soit sur le fond du recours. Cette suspension prend fin au plus tôt à l’expiration du délai prévu par d’autres dispositions de la directive 89/665 ( 15 ).

45. En vertu de l’article 2, paragraphe 3, de la directive 89/665, le délai de suspension automatique ne s’applique que tant que l’instance de premier ressort (en l’espèce, l’ÚOHS) n’a pas statué sur la demande de mesures provisoires ou sur le recours.

46. Sauf dans le cas visé à l’article 2, paragraphe 3 (et à l’article 1er, paragraphe 5), la directive 89/665 n’exige pas que les autres procédures de recours aient nécessairement des effets suspensifs automatiques. C’est ce que prévoit son article 2, paragraphe 4.

47. L’effet suspensif automatique s’applique donc aux recours que l’article 2, paragraphe 3, qualifie de « recours devant une instance de premier ressort ». C’est cette caractéristique (ainsi que l’indépendance par rapport au pouvoir adjudicateur) qui est déterminante pour faire jouer l’interdiction provisoire de conclure le marché.

48. La directive 89/665, j’insiste, n’étend pas nécessairement l’effet suspensif automatique aux recours juridictionnels ultérieurs intentés contre la décision de l’instance de premier ressort, si cette dernière est administrative. S’agissant de ces recours juridictionnels, c’est la disposition générale de l’article 2, paragraphe 4, de la directive 89/665 qui s’applique.

49. J’examinerai par la suite si l’article 47 de la Charte exige de doter ces recours juridictionnels (postérieurs à la décision de l’« instance de premier ressort ») du même effet suspensif que celui visé à l’article 2, paragraphe 3, de la directive 89/665.

3. Différentes instances de recours, selon le droit tchèque, et effets suspensifs des recours introduits devant elles

50. Il ressort des informations fournies à la Cour que, en République tchèque, les personnes concernées disposent des voies de recours suivantes (« recours » au sens large) contre les décisions d’attribution d’un marché :

– une première réclamation auprès du pouvoir adjudicateur lui‑même. En l’espèce, CROSS l’a introduite devant le Statutární město Brno (ville de Brno) agissant en tant que pouvoir adjudicateur. Sa réclamation relève donc de l’article 1er, paragraphe 5, de la directive 89/665 et, conformément à celui-ci, le pouvoir adjudicateur s’est abstenu de conclure le marché tant que la réclamation était pendante ;

– un recours ultérieur contre la décision d’attribution, introduit devant l’ÚOHS, agissant en tant qu’« instance de premier ressort, indépendante du pouvoir adjudicateur ». Ce recours, qui n’est pas de nature juridictionnelle, relève de l’article 2, paragraphe 3, de la directive 89/665. C’est pourquoi l’ÚOHS a provisoirement interdit au pouvoir adjudicateur de conclure le marché ;

– un dernier recours, quant à lui de nature juridictionnelle, devant les juridictions administratives, tel que celui qui a été introduit en l’espèce. Les effets suspensifs visés à l’article 2, paragraphe 3, de la directive 89/665 ne sont pas nécessairement et automatiquement déployés dans ce cadre, si la « voie administrative » a été utilisée auparavant auprès de l’ÚOHS.

51. Il importe de relever que, en principe, il n’existe aucun obstacle, découlant de la directive 89/665, à ce que le marché soit conclu avant l’introduction du recours juridictionnel ou en cours d’instance, lorsque ce dernier est précédé d’un recours examiné et tranché par l’ÚOHS.

C.   Recours juridictionnels efficaces : article 2, paragraphe 9, de la directive 89/665 et article 47 de la Charte

52. S’agissant de la directive 89/665, la Cour a jugé que « [...] le droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial, consacré à l’article 47, premier et deuxième alinéas, de la Charte, est pertinent, en particulier, lorsque les États membres fixent, conformément à cette obligation, les modalités procédurales des recours en justice qui assurent la sauvegarde des droits conférés par le droit de l’Union aux candidats et aux soumissionnaires lésés par des décisions des pouvoirs
adjudicateurs » ( 16 ).

53. L’article 1er de la directive 89/665 impose aux États membres d’adopter les mesures législatives indispensables pour garantir que les décisions prises par les pouvoirs adjudicateurs peuvent faire l’objet de recours efficaces, dans les conditions énoncées aux articles 2 à 2 septies de cette directive.

54. L’impératif d’efficacité s’étend, logiquement, aux recours formés devant les juridictions, auxquels s’applique l’article 47 de la Charte. De cet impératif découlent des conséquences qui concernent la phase conservatoire de ces recours.

55. L’article 2, paragraphe 3, de la directive 89/665 confère, comme je l’ai déjà souligné, un effet suspensif aux recours devant les instances de premier ressort. La suspension ne s’étend toutefois pas automatiquement aux recours juridictionnels ultérieurs contre la décision de l’instance (administrative) de premier ressort. S’agissant de ces derniers, c’est la disposition de l’article 2, paragraphe 4, de la directive 89/665 qui s’applique.

56. Or, il convient de rappeler la jurisprudence de la Cour relative à la protection provisoire exigible dans les procédures portant sur des droits découlant de dispositions du droit de l’Union :

– en règle générale, « le juge national saisi d’un litige régi par le droit de l’Union doit être en mesure d’accorder des mesures provisoires en vue de garantir la pleine efficacité de la décision juridictionnelle à intervenir sur l’existence des droits invoqués sur le fondement du droit de l’Union » ( 17 ) ;

– « [l]e principe de protection juridictionnelle effective des droits conférés aux justiciables par le droit communautaire doit être interprété en ce sens qu’il requiert, dans l’ordre juridique d’un État membre, que des mesures provisoires puissent être octroyées jusqu’à ce que la juridiction compétente se soit prononcée sur la conformité de dispositions nationales avec le droit communautaire, lorsque l’octroi de telles mesures est nécessaire pour garantir la pleine efficacité de la décision
juridictionnelle à intervenir quant à l’existence de tels droits » ( 18 ).

57. Conformément à l’objectif d’« assurer le plein respect du droit à un recours effectif [...], conformément à l’article 47, premier et deuxième alinéas, de [la C]harte » ( 19 ), la Cour associe ces garanties à la sauvegarde des droits conférés par le droit de l’Union aux candidats et aux soumissionnaires lésés par les décisions des pouvoirs adjudicateurs ( 20 ). C’est pourquoi elle a affirmé qu’il convenait d’accorder aux intéressés une « réelle possibilité d’intenter un recours, dont notamment
une demande de mesures provisoires » avant la conclusion du marché ( 21 ).

58. Si, comme tel est le cas en l’espèce, les instances responsables des procédures de recours ne sont pas de nature juridictionnelle (c’est‑à‑dire qu’elles ne font pas partie du système de protection juridictionnelle stricto sensu), la jurisprudence que je viens de citer exige qu’il soit possible de saisir un juge afin qu’il statue sur les décisions de ces instances.

59. Cela est confirmé par l’article 2, paragraphe 9, de la directive 89/665 dans le domaine des marchés publics : lorsque les États membres optent pour une configuration administrative des instances de recours, les décisions de ces instances doivent pouvoir « faire l’objet d’un recours juridictionnel [...] ».

60. Dans de tels cas, l’article 2, paragraphe 9, de la directive 89/665 exige que la voie du recours juridictionnel reste ouverte pour contester « toute mesure présumée illégale prise par l’instance de base ou tout manquement présumé dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont conférés ».

61. Or, ce contrôle juridictionnel doit inclure la possibilité pour le juge d’adopter des mesures provisoires (ou d’examiner celles déjà accordées par les instances précédentes) afin de ne pas rendre irréversible la violation commise par l’instance de recours, qui n’a pas corrigé le comportement illicite du pouvoir adjudicateur ( 22 ). C’est seulement ainsi que la protection juridictionnelle garantie par l’article 47 de la Charte sera effective.

62. C’est dans ce contexte que l’on doit comprendre la possibilité (article 2, paragraphe 7, deuxième alinéa, de la directive 89/665) que la réponse juridictionnelle soit limitée à l’octroi de dommages et intérêts, à laquelle je ferai référence ultérieurement dans les présentes conclusions.

63. Une lecture isolée de l’article 2, paragraphe 7, deuxième alinéa, de la directive 89/665 pourrait inciter à soutenir (comme l’a fait valoir l’un des intervenants à l’audience) que les États membres sont en droit de prévoir, de manière inconditionnelle, que la seule réaction contre l’illégalité se limite à cette réparation.

64. Je pense toutefois que cette thèse est inexacte et que seule une lecture combinée des paragraphes 7 et 9 de l’article 2 de la directive 89/665 respecte le droit à une protection juridictionnelle effective. Toute infraction ou mesure prétendument illégale prise par une instance de premier ressort non juridictionnelle doit être soumise au contrôle d’une juridiction stricto sensu qui a eu la possibilité de statuer à titre conservatoire, avant de décider si l’annulation du marché mérite uniquement
l’octroi de dommages et intérêts.

65. En toute logique, l’existence d’une telle possibilité n’implique pas que la mesure provisoire doive en tout état de cause être adoptée : il appartiendra au juge, après évaluation des intérêts en présence, d’apprécier s’il existe un péril en la demeure (periculum in mora) et si la position juridique de la personne sollicitant la mesure présente, à tout le moins, une apparence de bon droit. Ce qui est en cause, je le répète, c’est que la juridiction ait pleine compétence pour statuer sur la mesure
provisoire.

66. Selon moi, il n’y a pas de raison d’exclure de cette protection provisoire les cas dans lesquels le marché a été conclu avant l’introduction du recours juridictionnel. Certes, dans une telle hypothèse, le juge ne pourra pas suspendre la conclusion de quelque chose qui a déjà eu lieu, mais il continue de disposer d’un autre type de mesures, par exemple, la suspension provisoire des effets du marché déjà signé.

67. Lors de l’audience, le gouvernement tchèque ainsi que l’ÚOHS ont fait valoir que l’admission de cette possibilité pourrait impliquer que l’intérêt public, inhérent à une passation des marchés publics rapide et efficace, en pâtirait, car les procédures judiciaires sont généralement lentes et le retard serait insoutenable.

68. Je ne crois pas que cette objection soit insurmontable :

– d’une part, l’impact du retard en raison de l’intervention judiciaire ne s’étend pas à l’ensemble de la procédure judiciaire, mais au bref délai dans lequel le juge doit adopter ou rejeter la mesure provisoire ( 23 ). Le caractère normalement exécutoire des décisions attaquées fera que la prolongation se limitera au temps nécessaire pour que la juridiction statue à titre provisoire ( 24 ) ;

– d’autre part, les difficultés pratiques relevées étaient fondées sur la comparaison entre les moyens en matière de ressources humaines mises à la disposition de l’ÚOHS et ceux des tribunaux de l’ordre administratif tchèque. Si tel est le cas, il appartient à l’État ayant un intérêt dans la rapidité de la passation des marchés publics d’adopter les mesures procédurales appropriées pour éviter les retards. Une telle circonstance ne saurait être invoquée pour favoriser une interprétation de la
directive qui affaiblirait la protection juridictionnelle garantie par l’article 47 de la Charte.

69. La solution que je propose est réalisable dans le système juridique tchèque puisque, comme cela a été reconnu lors de l’audience, l’article 38 de la loi no 150/2002 permet d’adopter « [une mesure provisoire ordonnant] aux parties de faire quelque chose, de s’abstenir de faire quelque chose ou de supporter quelque chose ». La disposition n’interdit pas, en tant que telle, de suspendre les effets du marché déjà conclu.

70. Je suis d’accord avec la Commission ( 25 ) sur le fait qu’il convient d’utiliser cette possibilité avec prudence en rejetant des demandes provisoires abusives ou infondées. J’estime que la juridiction doit exiger avec rigueur, outre la constatation du péril en la demeure (periculum in mora), un fondement juridique qui révèle en soi quelques probabilités de succès de la demande au fond (fumus boni juris).

71. En outre, le juge des référés devra examiner attentivement si des raisons impérieuses d’intérêt général (qui ne sauraient être simplement identifiées aux intérêts économiques directement liés au contrat) ( 26 ) imposent que les effets du marché soient provisoirement maintenus après sa conclusion.

72. Les considérations que j’ai exposées jusqu’à présent n’impliquent pas d’étendre à la voie juridictionnelle la mécanique de suspension automatique prévue à l’article 2, paragraphe 3, de la directive 89/665. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de forcer la lettre de cette disposition en prolongeant les effets de la suspension automatique au-delà de ce que le législateur a prévu. Simplement, dans le cas où l’instance de recours indépendante n’est pas juridictionnelle, il résulte de l’article 47
de la Charte que le juge doit conserver la pleine compétence pour statuer sur la mesure provisoire, conformément aux règles de son droit national.

73. Dans ce scénario, deux situations sont possibles :

– le marché entre le pouvoir adjudicateur et le soumissionnaire retenu n’a pas été signé. La décision provisoire se concentrera sur la suspension provisoire de la possibilité de conclure le marché ;

– si la signature du marché a eu lieu, la décision provisoire pourra avoir une incidence sur le caractère opérationnel des effets du marché, que la juridiction est habilitée à suspendre.

D.   Efficacité des arrêts annulant le marché

74. Ce qui a été exposé précédemment répond à la question posée par la juridiction de renvoi quant à l’interprétation de l’article 2, paragraphe 3, de la directive 89/665.

75. Toutefois, dans sa demande de décision préjudicielle, la juridiction de renvoi a elle-même soulevé certains doutes qui, bien que liés aux mesures provisoires, sortent du champ de celles-ci et portent plutôt sur l’efficacité de l’arrêt mettant fin au litige. Elle affirme à cet égard que :

– si la décision de l’ÚOHS est annulée en justice, l’affaire lui sera renvoyée. Toutefois, lorsque la conclusion du marché a déjà eu lieu antérieurement, l’ÚOHS ne réexaminera pas le recours formé contre l’acte du pouvoir adjudicateur, mais clôturera la procédure ;

– il se peut donc que le soumissionnaire évincé, bien qu’ayant obtenu gain de cause en justice, n’ait aucune chance d’obtenir l’attribution du marché, car, tandis que le recours contentieux administratif a été examiné et tranché, le marché aura déjà été conclu ;

– dans cette hypothèse, le requérant ayant fait constater en justice la nullité de l’appel d’offres serait seulement autorisé à demander, dans une procédure civile, la réparation du préjudice causé par l’acte du pouvoir adjudicateur non conforme au droit ( 27 ).

76. J’aborderai ces doutes dans un souci d’exhaustivité, même si je ne suis pas convaincu qu’il soit strictement nécessaire de le faire pour apporter une réponse utile à l’interrogation que la juridiction de renvoi résume à la fin de sa demande de décision préjudicielle.

77. J’ai soutenu à une autre occasion ( 28 ) que la logique du système de recours contre les décisions d’une autorité (telle que l’ÚOHS) soumises à un contrôle juridictionnel implique que, en principe, si celles-ci sont annulées par la juridiction compétente, leur annulation doit également s’étendre aux effets qu’elles ont produits, étant donné que ces derniers sont privés de la base juridique sur laquelle ils se sont formés.

78. En d’autres termes, un arrêt annulant l’attribution d’un marché public devrait impliquer, en principe, l’interdiction que le marché produise ses effets. L’annulation de l’attribution prendrait rétroactivement effet (ex tunc) au moment où cette attribution a été décidée. Il s’agit d’ailleurs de l’approche générale retenue dans la directive 89/665, à la suite de sa réforme de 2007, pour les marchés relevant des infractions les plus graves de cette directive ( 29 ).

79. Toutefois, cette approche générale connaît des exceptions et la directive 89/665 les prévoit (notamment pour les marchés publics déjà conclus) en raison des inconvénients liés à une déclaration d’absence d’effets ( 30 ). En cas de violations des conditions formelles, les États membres peuvent, par exemple, « considérer que le principe de l’absence d’effets est inopportun. Les États membres devraient alors avoir la faculté de prévoir des sanctions de substitution ( 31 )».

80. À la suite de sa réforme par la directive 2007/66, la directive 89/665 autorise (considérants 21 ( 32 ) et 22 ( 33 ) de la directive 2007/66 et articles 2 quinquies et sexies de la directive 89/665, telle que modifiée) que, dans le cas de marchés dont l’absence d’effets devrait être déclarée en principe, du fait de leur origine illicite, « certains ou l’ensemble de [leurs] effets dans le temps [soient reconnus] », c’est-à-dire que les effets du marché soient maintenus, sans préjudice de
l’imposition des sanctions correspondantes et de l’octroi de dommages-intérêts.

81. La directive 89/665 envisage donc la possibilité que l’arrêt faisant droit à une action en annulation porte sur un marché déjà conclu sans pousser à leur extrême les conséquences inhérentes à sa nullité.

82. À cet égard, la directive 89/665 prévoit des solutions variables en fonction des cas de figure en cause :

– la règle générale (article 2, paragraphe 7) est que « [s]auf dans les cas prévus aux articles 2 quinquies à 2 septies, les effets de l’exercice des pouvoirs visés au paragraphe 1 du présent article sur le contrat conclu à la suite de l’attribution d’un marché sont déterminés par le droit national » ;

– l’article 2 quinquies, paragraphe 2, confirme que « [l]es conséquences du constat de l’absence d’effets d’un marché sont déterminées par le droit national ». Ce dernier, à son tour, « peut prévoir l’annulation rétroactive de toutes les obligations contractuelles ou limiter la portée de l’annulation aux obligations qui doivent encore être exécutées » ( 34 ) ;

– l’article 2 quinquies, paragraphe 3, autorise en outre les États membres à prévoir que « l’instance de recours indépendante du pouvoir adjudicateur a la faculté de ne pas considérer un marché comme étant dépourvu d’effets, même s’il a été passé illégalement pour des motifs visés au paragraphe 1, si elle constate, après avoir examiné tous les aspects pertinents, que des raisons impérieuses d’intérêt général imposent que les effets du marché soient maintenus [...] » ;

– l’article 2 sexies, paragraphe 1, énonce que, dans certaines circonstances ( 35 ), « les États membres prévoient l’absence d’effets du marché conformément à l’article 2 quinquies, paragraphes 1 à 3, ou des sanctions de substitution » ;

– cette disposition prévoit que « [l]es États membres peuvent prévoir que l’instance de recours indépendante du pouvoir adjudicateur décide, après avoir apprécié tous les aspects pertinents, si le marché doit être considéré comme dépourvu d’effets ou s’il y a lieu d’appliquer des sanctions de substitution ».

83. Il découle de l’ensemble de ces dispositions que, conformément à la directive 89/665, les règles nationales peuvent prévoir, dans certaines circonstances, que l’arrêt annulant l’attribution d’un marché public : a) soit a des effets rétroactifs, en affectant ex tunc toutes les obligations contractuelles ; b) soit ne conduit pas inexorablement à la privation d’effets de ce marché.

84. Ces dispositions de la directive 89/665 visent à établir un équilibre entre les conséquences normales d’un arrêt d’annulation et la sauvegarde d’autres intérêts publics inhérents à la prestation des services qui font l’objet du marché. Dans ce domaine, comme dans d’autres, le droit national peut autoriser que le jugement constatant la nullité soit privé de son efficacité « naturelle », remplacée par une obligation d’indemnisation ou par d’autres mesures alternatives.

85. Les dispositions précitées de la directive 89/665 (et les règles nationales qui les transposent) ne sont pas contraires à l’article 47 de la Charte ( 36 ), pour autant que la protection juridictionnelle à laquelle tout soumissionnaire a droit lui permette, en cas d’annulation a posteriori de l’attribution du marché qui lui a été défavorable, d’obtenir la réparation du préjudice qu’il a subi.

86. Le droit protégé par l’article 47 de la Charte n’impose pas de solution univoque aux problèmes qui se posent quant à l’efficacité des arrêts d’annulation d’actes (ou de contrats) administratifs. On peut certainement déduire de l’article 47 la règle générale que j’ai citée, mais cette même règle n’empêche pas qu’il soit possible d’appliquer les exceptions soulignées aux points précédents des présentes conclusions ( 37 ).

87. L’absence d’effets des marchés est toutefois maintenue lorsqu’une juridiction nationale d’un État membre (qui l’a prévu dans sa législation) rend un jugement déclarant nulle l’attribution d’un marché, en attachant des conséquences ex tunc à son prononcé.

88. En l’espèce, les considérations qui précèdent peuvent avoir une incidence particulière lorsque, après la conclusion du marché, aucune mesure provisoire n’est adoptée par la juridiction compétente pour statuer sur les décisions de l’ÚOHS. Dans ce contexte, si l’arrêt mettant fin au recours contentieux administratif annule la décision de l’ÚOHS (ainsi que le marché que cette dernière a accepté) et si les règles nationales exigent que le litige soit renvoyé devant cette autorité, l’ÚOHS devra
apprécier, aux termes de l’article 2 quinquies de la directive 89/665, les conséquences qui découlent de la déclaration de l’absence d’effets du marché.

V. Conclusion

89. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre au Krajský soud v Brně (cour régionale de Brno, République tchèque) dans les termes suivants :

« L’article 2, paragraphes 3 et 9, et l’article 2 bis, paragraphe 2, de la directive 89/665/CEE du Conseil, du 21 décembre 1989, portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (telle que modifiée par la directive 2007/66/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2007, modifiant les directives 89/665/CEE et 92/13/CEE du
Conseil en ce qui concerne l’amélioration de l’efficacité des procédures de recours en matière de passation des marchés publics, ainsi que par la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur l’attribution de contrats de concession), interprétés à la lumière de l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne,

doivent être interprétés en ce sens que :

ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale en vertu de laquelle, après épuisement de la procédure devant une instance de recours indépendante (non juridictionnelle), le pouvoir adjudicateur peut conclure un marché public avant l’introduction du recours contentieux administratif devant la juridiction compétente pour examiner la légalité de la décision relative à l’exclusion d’un soumissionnaire ou à l’attribution de ce marché, pour autant que, dans le cadre de ce recours contentieux
administratif, la juridiction saisie soit habilitée à adopter des mesures provisoires consistant, le cas échéant, à paralyser les effets du marché déjà signé. »

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( 1 ) Langue originale : l’espagnol.

( 2 ) Directive du Conseil du 21 décembre 1989 portant coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives relatives à l’application des procédures de recours en matière de passation des marchés publics de fournitures et de travaux (JO 1989, L 395, p. 33).

( 3 ) Nous reproduisons le texte tel qu’il résulte de la directive 2007/66/CE du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2007, modifiant les directives 89/665/CEE et 92/13/CEE du Conseil en ce qui concerne l’amélioration de l’efficacité des procédures de recours en matière de passation des marchés publics (JO 2007, L 335, p. 31) ainsi que de la directive 2014/23/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 février 2014, sur l’attribution de contrats de concession (JO 2014, L 94, p. 1).

( 4 ) L’avis a été publié au Věstník veřejných zakázek (Bulletin tchèque des marchés publics) sous la référence no Z2019 034002 ainsi qu’au Journal officiel de l’Union européenne sous le numéro d’enregistrement 2019-S 190 461538. La valeur estimée du marché public s’élevait à 13805000 couronnes tchèques (CZK) (environ 566000 euros) hors taxe sur la valeur ajoutée.

( 5 ) Par caractère définitif « par voie administrative », j’entends l’épuisement de cette voie, c’est‑à‑dire qu’une réclamation ultérieure ne peut plus être portée devant l’administration.

( 6 ) C‑497/20, ci-après l’« arrêt Randstad Italia », EU:C:2021:1037.

( 7 ) Dans les procédures visées à l’article 267 TFUE, fondées sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, le juge national est seul compétent pour constater et apprécier les faits du litige au principal et pour interpréter et appliquer le droit national [voir arrêt du 26 avril 2017, Farkas (C‑564/15, EU:C:2017:302, point 37)].

( 8 ) Au point 22 de ces observations, elle admet comme non contesté « le fait que [l’ÚOHS], qui fait partie du pouvoir exécutif, n’est pas une juridiction ». Au point 35, elle répète qu’« [elle] n’est pas une juridiction, mais une autorité centrale, ce que la directive 89/665 autorise ».

( 9 ) Point 12 de ses observations écrites.

( 10 ) Ordonnance de renvoi, point 2 : « CROSS a déposé une demande de contrôle des actes du pouvoir adjudicateur auprès de [l’ÚOHS] et a demandé l’annulation de l’avis d’exclusion adopté à son égard ainsi que celle de la sélection du fournisseur Siemens Mobility ». Mise en italique par mes soins.

( 11 ) Il me semble préférable d’employer le terme « réclamation » dans ce contexte. En réalité, il s’agit d’une demande adressée à l’auteur de la décision, l’invitant à procéder à son réexamen.

( 12 ) Les décisions des instances de recours qui ne sont pas de nature juridictionnelle sont toujours motivées par écrit et peuvent faire l’objet « d’un recours juridictionnel ou d’un recours auprès d’une autre instance qui est une juridiction au sens de l’article [267 TFUE] ».

( 13 ) Les différentes versions linguistiques reflètent toutes cette ampleur : « Stelle in erster Instanz », dans la version en langue allemande ; « body of first instance », dans la version en langue anglaise ; « órgano de primera instancia », dans la version en langue espagnole ; « organo di prima istanza », dans la version en langue italienne.

( 14 ) Il est évident qu’il doit s’agir d’instances extérieures au pouvoir adjudicateur. Il peut s’agir d’autorités indépendantes telles que l’autorité de concurrence.

( 15 ) Le régime du délai de suspension est réglementé en détail à l’article 2 bis.

( 16 ) Arrêt Randstad Italia, point 49, citant l’arrêt du 7 septembre 2021, Klaipėdos regiono atliekų tvarkymo centras (C‑927/19, EU:C:2021:700, point 128). Mise en italique par mes soins.

( 17 ) Arrêt du 14 mai 2020, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság (C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367, point 297), citant les arrêts du 19 juin 1990, Factortame e.a. (C‑213/89, EU:C:1990:257, point 21), et du 15 janvier 2013, Križan e.a. (C‑416/10, EU:C:2013:8, point 107).

( 18 ) Arrêt du 13 mars 2007, Unibet (C‑432/05, EU:C:2007:163, point 77 et dispositif, point 2).

( 19 ) Considérant 36 de la directive 2007/66.

( 20 ) Arrêt Randstad Italia, point 49, citant l’arrêt du 7 septembre 2021, Klaipėdos regiono atliekų tvarkymo centras (C‑927/19, EU:C:2021:700, point 128).

( 21 ) Ordonnance du 23 avril 2015, Commission/Vanbreda Risk & Benefits [C‑35/15 P(R), EU:C:2015:275, point 29], citant l’arrêt du 11 septembre 2014, Fastweb (C‑19/13, EU:C:2014:2194, point 60). Mise en italique par mes soins.

( 22 ) L’un des objectifs de la directive 2007/66 est précisément de lutter contre le fait que « les pouvoirs adjudicateurs et les entités adjudicatrices désireux de rendre irréversibles les conséquences de la décision d’attribution contestée [précipitent] la signature du contrat » (considérant 4).

( 23 ) En République tchèque, le recours contentieux administratif peut être introduit dans un délai de deux mois à compter de la notification au requérant de la décision administrative rendue en deuxième ressort (article 72, paragraphe 1, de la loi no 150/2002). Il peut être assorti d’une demande d’adoption d’une mesure provisoire consistant à interdire au pouvoir adjudicateur de conclure le marché pendant la durée de la procédure devant la juridiction. Une demande de mesures provisoires ne peut
être formée avant l’introduction du recours contentieux administratif (article 38 de la loi no 150/2002).

( 24 ) Selon l’ordonnance de renvoi (point 18), le juge doit statuer sur la demande de mesures provisoires dans un délai de 30 jours à compter de l’introduction de la demande.

( 25 ) Points 17 et 18 de ses observations écrites.

( 26 ) J’estime qu’il n’y a aucun inconvénient à transposer, mutatis mutandis, à la phase conservatoire devant les juridictions les dispositions de l’article 2 quinquies de la directive 89/665 concernant la présence de raisons impérieuses d’intérêt général et des intérêts économiques en jeu, en tant que critères pour moduler les déclarations d’absence d’effets des marchés.

( 27 ) Conformément au zákon č. 99/1963 Sb., občanský soudní řád (loi no 99/1963 portant code de procédure civile). La juridiction de renvoi indique que ce type de demandes aboutit rarement.

( 28 ) Voir mes conclusions dans l’affaire Polkomtel (C‑231/15, EU:C:2016:440, point 64).

( 29 ) Tel est le cas des marchés résultant d’une « passation illégale de marchés de gré à gré » (considérant 13 de la directive 2007/66) ou de ceux « conclus en violation du délai de suspension ou de la suspension automatique » (considérant 18 de la directive 2007/66). Dans ces hypothèses, « [l]orsque les États membres définissent des règles prévoyant qu’un marché est considéré comme dépourvu d’effets, l’objectif à atteindre est que les droits et les obligations des parties au marché cessent d’être
exercés et exécutés » (considérant 21 de la directive 2007/66).

( 30 ) Arrêt du 26 novembre 2015, MedEval (C‑166/14, EU:C:2015:779, point 40) : « [P]river d’effet un contrat conclu à l’issue d’une procédure de passation de marché public [...] constitue une intervention substantielle de l’autorité administrative ou juridictionnelle dans les relations contractuelles intervenant entre les particuliers et les organismes étatiques. Une telle décision peut ainsi causer une perturbation considérable et des pertes économiques non seulement à l’adjudicataire du marché
public concerné, mais également au pouvoir adjudicateur et, par conséquent, au public, bénéficiaire final de la fourniture des travaux ou des services faisant l’objet du marché public en cause. Ainsi qu’il ressort des considérants 25 et 27 de la directive 2007/66, le législateur de l’Union a accordé une plus grande importance à l’exigence de la sécurité juridique concernant les recours tendant à priver d’effets un contrat que pour les recours en dommages et intérêts. »

( 31 ) Considérant 19 de la directive 2007/66.

( 32 )

( 33 ) « [L]es États membres peuvent donner à l’instance responsable des procédures de recours la possibilité de ne pas remettre en cause le contrat ou de reconnaître certains ou l’ensemble de ses effets dans le temps, lorsque les circonstances exceptionnelles du cas d’espèce l’exigent pour des raisons impérieuses d’intérêt général [...]. » Mise en italique par mes soins.

( 34 ) Dans ce deuxième cas, les États membres prévoient l’application d’autres sanctions au sens de l’article 2 sexies, paragraphe 2.

( 35 ) En cas de violation de l’article 1er, paragraphe 5, de l’article 2, paragraphe 3, ou de l’article 2 bis, paragraphe 2, ne relevant pas de l’article 2 quinquies, paragraphe 1, sous b).

( 36 ) Dans l’arrêt du 11 septembre 2014, Fastweb (C‑19/13, EU:C:2014:2194, point 64), la Cour a jugé que « l’article 2 quinquies, paragraphe 4, de la directive 89/665, en ce qu’il prévoit le maintien des effets d’un marché, n’est pas contraire aux exigences découlant de l’article 47 de la Charte ».

( 37 ) Je renvoie aux points 61 à 70 de mes conclusions dans l’affaire Polkomtel (C‑231/15, EU:C:2016:440).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-303/22
Date de la décision : 07/09/2023
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Krajský soud v Brně.

Renvoi préjudiciel – Procédures de recours en matière de passation de marchés publics de fournitures et de travaux – Directive 89/665/CEE – Accès aux procédures de recours – Article 2, paragraphe 3, et article 2 bis, paragraphe 2 – Obligation pour les États membres de prévoir une procédure de recours avec effet suspensif – Instance de recours de premier ressort – Recours portant sur la décision d’attribution d’un marché – Article 2, paragraphe 9 – Instance responsable des procédures de recours de nature non juridictionnelle – Conclusion d’un contrat de marché public avant l’introduction d’un recours juridictionnel contre une décision de cette instance – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Protection juridictionnelle effective.

Charte des droits fondamentaux

Rapprochement des législations

Droits fondamentaux


Parties
Demandeurs : CROSS Zlín a.s.
Défendeurs : Úřad pro ochranu hospodářské soutěže.

Composition du Tribunal
Avocat général : Campos Sánchez-Bordona

Origine de la décision
Date de l'import : 20/01/2024
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:652

Source

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