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06/07/2023 | CJUE | N°C-173/22

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mme T. Ćapeta, présentées le 6 juillet 2023., MG contre Banque européenne d'investissement., 06/07/2023, C-173/22


CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

M^ME TAMARA ĆAPETA

présentées le 6 juillet 2023 (1)

Affaire C‑173/22 P

MG

contre

Banque européenne d’investissement

« Pourvoi – Fonction publique – Personnel de la Banque européenne d’investissement (BEI) – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 41, paragraphe 2, sous a) – Droit d’être entendu – Dispositions administratives applicables au personnel de la BEI – Rémunération – Allocations familiales – Allocation

s versées au parent ayant la garde des enfants – Recours en annulation et en indemnité – Exception d’illégalité »

I.      Introduction

1.   ...

CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

M^ME TAMARA ĆAPETA

présentées le 6 juillet 2023 (1)

Affaire C‑173/22 P

MG

contre

Banque européenne d’investissement

« Pourvoi – Fonction publique – Personnel de la Banque européenne d’investissement (BEI) – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 41, paragraphe 2, sous a) – Droit d’être entendu – Dispositions administratives applicables au personnel de la BEI – Rémunération – Allocations familiales – Allocations versées au parent ayant la garde des enfants – Recours en annulation et en indemnité – Exception d’illégalité »

I.      Introduction

1.        Lorsque deux membres du personnel de la même institution se séparent, comment cette dernière doit-elle répartir les allocations familiales ? Doit-elle entendre les deux parents avant de prendre sa décision et, si elle ne les a pas entendus, quelles sont les conséquences ?

2.        Telles sont les problématiques qui sont au cœur du présent pourvoi formé contre l’arrêt du Tribunal du 21 décembre 2021, MG/BEI (T‑573/20, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2021:915).

II.    Les antécédents du litige et l’arrêt attaqué

3.        Le requérant, MG, et son ex-épouse, A, sont tous deux agents de la Banque européenne d’investissement (BEI). Le 12 septembre 2003, MG, qui est employé à la BEI depuis le 1^er février 1998, s’est marié avec A, agent à la BEI depuis 2002. Ils ont eu cinq enfants.

4.        La présente affaire concerne la procédure administrative de la BEI ayant conduit à l’adoption d’une décision privant MG du bénéfice des allocations familiales à la suite de son divorce d’avec A.

5.        Il résulte des faits exposés dans l’arrêt attaqué (2) que cette procédure a été menée parallèlement à une procédure judiciaire devant les juridictions luxembourgeoises, à l’issue de laquelle le divorce a été prononcé. Afin de faciliter la compréhension du contexte de la présente affaire, je présenterai séparément la procédure judiciaire devant les juridictions luxembourgeoises et les procédures internes au sein de la BEI.

A.      La procédure devant les juridictions luxembourgeoises

6.        Le 22 août 2017, A a assigné MG en divorce devant le tribunal d’arrondissement de Luxembourg (Luxembourg).

7.        Le 14 novembre 2017, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg a adopté une ordonnance de référé par laquelle il a accordé la garde provisoire des enfants à A. Par ailleurs, il a ordonné à MG de quitter le domicile conjugal ; ce dernier a obtempéré au mois de décembre 2017.

8.        Par ordonnance de référé du 20 juillet 2018, le juge luxembourgeois a condamné MG à verser à A une pension alimentaire d’un montant de 1 500 euros par mois (correspondant à un montant de 300 euros pour chacun de leurs enfants), allocations familiales non comprises, ainsi que les frais de garderie au Centre polyvalent de l’enfance (CPE) pour trois enfants et la moitié de tous les frais extraordinaires exposés dans l’intérêt des cinq enfants. En outre, le juge des référés a ordonné que la
BEI verse à A les allocations pour enfant à charge et les allocations scolaires.

9.        Le 9 janvier 2019, la Cour supérieure de justice de Luxembourg (Luxembourg), siégeant en Cour d’appel, a rejeté l’appel interjeté par MG contre l’ordonnance de référé du 14 novembre 2017 en ce qu’elle fixe la résidence des enfants mineurs à l’adresse de A, mais lui a accordé un droit de visite et d’hébergement chaque deuxième fin de semaine et pendant la moitié des vacances scolaires.

10.      Le 21 mars 2019, le tribunal d’arrondissement de Luxembourg a prononcé le divorce entre MG et A.

11.      Le 10 juillet 2019, la Cour supérieure de justice de Luxembourg, siégeant en Cour d’appel, a rendu un arrêt en appel de l’ordonnance de référé du 20 juillet 2018 par lequel elle a confirmé le droit de A de se voir verser, par MG, une pension alimentaire d’un montant de 300 euros par mois et par enfant. Elle a néanmoins réformé cette ordonnance en déchargeant MG du paiement de certains frais, notamment de garderie, exposés dans l’intérêt des enfants.

B.      Les procédures internes au sein de la BEI

12.      Le 24 novembre 2017, MG a été informé par la BEI que, à la suite de l’ordonnance de référé adoptée le 14 novembre 2017 par le tribunal d’arrondissement de Luxembourg (confiant la garde provisoire des enfants à A), les allocations pour enfant à charge et les allocations scolaires seraient versées à A.

13.      Le 28 décembre 2017, A a introduit une demande de conciliation au titre de l’article 41 du règlement du personnel de la BEI dans sa version applicable en l’espèce (ci-après la « première procédure de conciliation »). Elle demandait que ses cinq enfants soient reconnus par la BEI comme étant à sa charge, conformément à l’ordonnance de référé du 14 novembre 2017, et, partant, que le droit au paiement des allocations familiales et des droits financiers dérivés prévus par ce règlement lui soit
également reconnu par la BEI.

14.      Le 12 septembre 2018, le président de la BEI a décidé que, à partir du mois d’octobre 2018, les enfants de MG et de A seraient considérés comme étant à la charge de A (ci-après la « décision du 12 septembre 2018 »). À la suite de cette décision, le droit au paiement des allocations familiales et des droits financiers dérivés a aussi été reconnu à A.

15.      Il résulte de l’arrêt attaqué que MG n’était pas partie à la première procédure de conciliation (3). Dans ses observations et lors de l’audience, la BEI a expliqué que seule peut être partie à une procédure de conciliation la personne ayant instauré cette procédure, à l’exclusion de toute autre partie. Par conséquent, MG ne pouvait intervenir à la première procédure de conciliation.

16.      Par lettre du 11 octobre 2018 (ci-après la « décision du 11 octobre 2018 »), la BEI a informé MG qu’il ne bénéficierait plus, à partir du mois d’octobre 2018, de l’allocation de famille, des allocations pour enfant à charge ainsi que des allocations scolaires (ci-après, prises ensemble, les « allocations familiales »), ni des droits financiers dérivés, octroyés sur la base des dispositions administratives applicables au personnel de la BEI (ci-après les « dispositions administratives de la
BEI »). Dans cette lettre, elle expliquait que leur bénéfice avait en effet été accordé à A par la décision du 12 septembre 2018.

17.      Les règles appliquées par la BEI dans le cadre de sa décision sur l’attribution des allocations familiales, telles qu’en vigueur à l’époque, sont les articles 2.2.1 et 2.2.2 des dispositions administratives de la BEI, lesquels se lisent comme suit :

« 2.2.1.      Allocation de famille

Ont droit à l’allocation de famille de 5 % du traitement mensuel de base :

a)      le membre du personnel marié ;

b)      le membre du personnel séparé légalement ou divorcé pour autant qu’il ait l’obligation d’assurer l’entretien de son conjoint à titre principal en vertu d’un jugement ;

c)      le membre du personnel célibataire, séparé légalement, divorcé ou veuf, s’il a droit à l’allocation pour enfant à charge [...]

[...]

Si deux conjoints sont employés à la [BEI], l’allocation est versée à celui dont le traitement mensuel de base est le plus élevé. Si l’un des conjoints est employé à la [BEI] et l’autre dans une autre organisation internationale, le membre du personnel de la [BEI] perçoit l’allocation au cas où l’autre organisation ne verse pas d’allocation de même nature à son conjoint.

[...]

2.2.2.            Enfant à charge

Lorsqu’il est effectivement entretenu par le membre du personnel, son enfant légitime, légitimé, naturel reconnu, adoptif ou l’enfant d’un autre lit, est considéré comme enfant à charge de celui-ci, si la [BEI] ou une autre institution de l’Union européenne ne considère pas l’enfant comme enfant à charge d’un autre membre du personnel, respectivement d’un de ses fonctionnaires ou agents, et à condition que l’enfant n’exerce pas d’activité professionnelle rémunérée.

Dans les mêmes conditions, la [BEI] peut également considérer comme enfant à sa charge un enfant recueilli par le membre du personnel.

Sont considérés comme effectivement entretenus par le membre du personnel l’enfant qui vit sous son toit et l’enfant à l’entretien duquel il contribue pour un montant au moins 50 % plus élevé que le montant de l’allocation pour enfant à charge [...] »

18.      En réponse à la décision du 11 octobre 2018, MG, par lettre du 29 octobre 2018, a signifié à la BEI qu’il s’opposait aux mesures annoncées dans cette décision. Il précisait également que sa lettre du 29 octobre 2018 devait être considérée comme une demande de conciliation au sens de l’article 41 du règlement du personnel de la BEI.

19.      N’ayant reçu aucune réponse de la part de la BEI, MG a renouvelé sa demande par lettre du 10 décembre 2018.

20.      Par lettre du 7 janvier 2019 (ci-après la « décision du 7 janvier 2019 »), la BEI a rejeté l’opposition de MG à la décision du 11 octobre 2018, sans aborder le point concernant l’ouverture d’une procédure de conciliation.

21.      En réponse à cette lettre, MG, par courriel du 11 janvier 2019, a introduit une nouvelle demande de conciliation au titre de l’article 41 du règlement du personnel de la BEI. Cette demande visait également à contester la décision du 11 octobre 2018 et, en tant que de besoin, la décision du 7 janvier 2019.

22.      Le 14 janvier 2019, la BEI a accusé réception de la demande de conciliation formulée par MG.

23.      Après que MG a réitéré sa demande d’ouverture d’une procédure de conciliation, la commission de conciliation s’est réunie à plusieurs reprises en 2019 et en 2020. Entre le 9 mars et le 4 juin 2020, ses trois membres ont échangé une série de courriels visant à commenter et à modifier le contenu du procès‑verbal de la procédure de conciliation. Par courriel du 4 juin 2020, le président de la commission de conciliation a remis au président de la BEI ce procès-verbal, dans lequel il constatait
notamment l’échec de la procédure de conciliation et l’impossibilité de s’accorder sur un rapport de clôture.

24.      Par lettre du 30 juillet 2020 (ci-après la « décision du 30 juillet 2020 »), transmise à MG par courriel du 31 juillet 2020, le président de la BEI a informé ce dernier qu’il avait reçu les conclusions de la commission de conciliation et lui a indiqué qu’il prenait acte de l’échec de la procédure de conciliation. Le procès‑verbal de la procédure de conciliation était joint à cette lettre.

C.      Le recours introduit devant le Tribunal

25.      Le 14 septembre 2020, MG a saisi le Tribunal d’un recours au titre duquel il conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :

–        annuler la décision du 11 octobre 2018 par laquelle MG s’est vu priver du bénéfice des allocations familiales (y compris notamment les frais de garderie et du CPE indûment déduits par la BEI de son salaire jusqu’au mois de novembre 2019) et des droits financiers dérivés (y compris notamment les abattements fiscaux et le remboursement des frais médicaux des enfants supportés par lui) ;

–        en tant que de besoin, annuler la décision du 7 janvier 2019 et la décision du 30 juillet 2020 ;

–        condamner la BEI à l’indemniser à concurrence d’un montant de 10 000 euros, en réparation du préjudice moral qu’il aurait subi, et

–        condamner la BEI aux dépens.

26.      S’agissant des conclusions en annulation, le Tribunal, dans l’arrêt attaqué, a rejeté celles-ci dans leur ensemble et, partant, cette partie du recours.

27.      En revanche, s’agissant des conclusions indemnitaires, le Tribunal a noté le délai de réponse déraisonnable de plus de trois mois de la BEI à la demande de MG concernant l’ouverture d’une procédure de conciliation à la suite de la décision du 7 janvier 2019 et l’absence de réponse de la BEI à la première demande de conciliation figurant dans la lettre du 29 octobre 2018. En outre, le Tribunal a constaté que la BEI a maintenu MG dans un état d’incertitude prolongé en raison de ce retard
injustifié et lui a donc causé un préjudice moral. En conséquence, il a condamné la BEI à payer à MG des dommages et intérêts évalués ex æquo et bono à la somme de 500 euros et rejeté les conclusions indemnitaires pour le surplus. Le Tribunal a également décidé que chaque partie supporterait ses propres dépens.

III. Le pourvoi

28.      Dans sa requête, déposée au greffe de la Cour le 7 mars 2022, MG conclut à ce qu’il plaise à la Cour :

–        déclarer le pourvoi recevable et bien fondé ;

–        annuler l’arrêt attaqué ;

–        en conséquence, accorder à MG le bénéfice de ses conclusions de première instance et annuler la décision du 11 octobre 2018 par laquelle il s’est vu priver du bénéfice des allocations familiales (en ce compris notamment les frais de garderie et de CPE indûment déduits par la BEI de son salaire jusqu’au mois de novembre 2019) et des droits financiers dérivés (en ce compris notamment les abattements fiscaux et le remboursement des frais médicaux des enfants supportés par lui), en tant que de
besoin, annuler la décision du 7 janvier 2019 rejetant l’intégralité de ses demandes, en tant que de besoin, annuler la décision du 30 juillet 2020 actant l’absence de conciliation et confirmant la décision du 11 octobre 2018, ainsi que réparer les préjudices matériel et moral de MG, et

–        condamner la défenderesse aux dépens des deux instances.

29.      La BEI conclut à ce qu’il plaise à la Cour :

–        rejeter le pourvoi, et

–        condamner MG aux dépens des deux instances.

30.      MG et la BEI ont participé à l’audience qui s’est tenue le 17 mai 2023.

IV.    Analyse

31.      Dans sa requête, MG invoque cinq moyens.

32.      Cependant, à la demande de la Cour, je n’analyserai, dans les présentes conclusions, que deux des problématiques soulevées par le pourvoi, à savoir si c’est à tort que le Tribunal a conclu que le droit d’être entendu n’a pas été violé (premier moyen du pourvoi) et si son appréciation de l’exception d’illégalité des dispositions administratives de la BEI relatives aux allocations familiales est erronée (troisième moyen du pourvoi, pris en sa seconde branche, et quatrième moyen du pourvoi).

A.      Sur le droit d’être entendu

33.      Le premier moyen du pourvoi ne concerne que la première décision, c’est‑à‑dire la décision du 11 octobre 2018, par laquelle la BEI a informé MG qu’il ne bénéficierait plus, à partir du mois d’octobre 2018, des allocations familiales et des droits financiers dérivés, octroyés sur la base des dispositions administratives de la BEI, leur bénéfice ayant en effet été accordé à A par la décision du 12 septembre 2018.

34.      MG fait valoir qu’il n’a pas été entendu par la BEI avant l’adoption de cette décision, ce qui constitue une violation de son droit d’être entendu. Du fait de cette violation, la décision du 11 octobre 2018 est, selon lui, illégale.

35.      Aux points 73 et 74 de l’arrêt attaqué, le Tribunal expose ce qui suit :

« 73      À cet égard, [...] il est constant que, par la [décision du 11 octobre 2018], [MG] s’est vu adresser une communication de la BEI par laquelle il a été informé qu’il ne percevrait plus le paiement de l’allocation de famille, des allocations pour enfant à charge et des allocations scolaires. Dès lors, [cette décision] avait pour objet d’informer [MG] de l’issue [de la première procédure de conciliation], sans qu’il ait été invité à être entendu dans le cadre de cette procédure.

74      En revanche, [...] il convient de constater que la [décision du 7 janvier 2019], qui confirmait la [décision du 11 octobre 2018] tout en précisant et en développant la motivation qui figurait dans celle-ci, a été adoptée à la suite des observations formulées par [MG] dans ses lettres du 29 octobre et du 10 décembre 2018. Ainsi, il y a lieu de constater que [MG] a pu commenter le raisonnement exposé par la BEI dans [la décision du 11 octobre 2018] et présenter ses observations sur les motifs
qui y figuraient, celles-ci ayant été prises en compte avant la prise de position exprimée par la BEI dans [la décision du 7 janvier 2019]. »

36.      Ainsi, le Tribunal a jugé que le droit d’être entendu n’a pas été violé, au motif que, après l’adoption de la décision du 11 octobre 2018, MG a été mis en mesure de présenter ses observations sur cette décision et que celles-ci ont été prises en considération par la BEI.

1.      Le droit de MG d’être entendu a-t-il été violé ?

37.      L’article 41, paragraphe 2, sous a), de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») consacre « le droit de toute personne d’être entendue avant qu’une mesure individuelle qui l’affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre »

38.      La Cour a déjà expliqué la finalité du droit d’être entendu. Selon ses propres mots, « [l]e droit d’être entendu vise en particulier à garantir que toute décision faisant grief soit adoptée en pleine connaissance de cause et a notamment pour objectif de permettre à l’autorité compétente de corriger une erreur ou à la personne concernée de faire valoir les éléments relatifs à sa situation personnelle qui militent pour que la décision soit prise, ne soit pas prise ou qu’elle ait tel ou tel
contenu » (4).

39.      Partant, le droit d’être entendu est dans l’intérêt à la fois de l’administration, qui peut ainsi adopter une décision correcte, et de la personne affectée dans ses droits. D’une part, il sert à l’instruction du dossier et à l’établissement des faits le plus précisément et correctement possible et, d’autre part, il permet d’assurer que l’intéressé est mis en mesure d’exposer ses arguments.

40.      Il est clair que, pour que ce double objectif soit atteint, il convient de donner à l’intéressé la possibilité de faire connaître son point de vue au cours de la procédure administrative, c’est-à-dire avant l’adoption de toute décision susceptible d’affecter de manière défavorable ses intérêts (5).

41.      Dans la présente affaire, il n’est pas contesté que la décision du 11 octobre 2018 fait grief à MG. En effet, il est de jurisprudence constante qu’une diminution du montant de la rémunération, telle qu’une diminution du montant des allocations familiales, constitue une mesure faisant grief à l’intéressé (6).

42.      Il est également clair que MG n’a pas été invité à faire connaître sa position avant l’adoption de la décision lui faisant grief.

43.      À cet égard, je note que l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte ne prescrit pas la tenue d’une audition formelle (7).

44.      Toutefois, le droit d’être entendu implique que l’intéressé ait la possibilité d’influencer le processus décisionnel en cause avant l’adoption de la décision (8).

45.      Je suis consciente du fait que, dans la vie de tous les jours, l’administration ne procède pas à l’audition de chaque personne affectée de manière défavorable dans ses droits par une modification de sa situation personnelle. Cependant, cela ne veut pas dire qu’une telle pratique est conforme aux exigences de l’article 41, paragraphe 2, sous a), de la Charte.

46.      De nos jours, il n’y a plus de problèmes de communication, notamment au sein des administrations. Chaque membre du personnel dispose normalement d’une adresse électronique qui est connue des différents organes dotés de pouvoirs décisionnels. En effet, la crise de la Covid-19 a montré que, dans de nombreuses situations, il est facile de remplacer les réunions en présentiel par des communications électroniques.

47.      Par conséquent, il est difficile d’invoquer des contraintes de temps, un manque de personnel ou des raisons similaires pour justifier une pratique administrative qui ne donne pas à l’intéressé la possibilité de faire connaître sa position sur une décision susceptible de lui faire grief.

48.      Il aurait suffi d’envoyer à MG un courriel lui donnant la possibilité de présenter ses observations sur la décision envisagée et sa motivation dans un délai raisonnable pour répondre à l’exigence liée au droit d’être entendu.

49.      MG n’a pas eu cette possibilité au cours du processus ayant conduit à l’adoption de la décision du 11 octobre 2018. Il n’a pas été partie à la première procédure de conciliation et il n’a été entendu à aucun moment avant l’adoption de la décision qui l’a privé du bénéfice des allocations familiales qu’il percevait jusqu’alors. Ainsi, il ne lui a pas été donné la possibilité de réagir à la décision envisagée et au raisonnement à venir dans celle-ci.

50.      Contrairement à la position du Tribunal, j’estime que le fait que MG a pu présenter des observations sur la décision du 11 octobre 2018 après qu’elle a été adoptée et que celles-ci ont été incorporées dans la décision du 7 janvier 2019 ne change rien à la conclusion que son droit d’être entendu a été violé. En effet, la première lettre n’est pas un acte préparatoire matérialisé par une décision ultérieure : cette première lettre constitue la décision initiale, que la deuxième lettre se
borne à confirmer. Par conséquent, la décision par laquelle MG s’est vu priver du bénéfice des allocations familiales est la lettre du 11 octobre 2018.

51.      La BEI a confirmé cela lors de l’audience en expliquant que la décision du 11 octobre 2018 est bien définitive et non pas une simple décision provisoire, quand bien même elle est confirmée par la lettre du 7 janvier 2019.

52.      MG n’a été invité à faire connaître sa position à aucun moment avant l’adoption de la décision du 11 octobre 2018.

53.      Eu égard aux considérations qui précèdent, j’estime que le Tribunal a commis une erreur de droit en ce qu’il a conclu que le droit de MG d’être entendu n’a pas été violé.

2.      Les conséquences de la violation du droit d’être entendu

54.      La seconde problématique que soulève le présent pourvoi porte sur les conséquences de la violation du droit d’être entendu. Une telle violation entraîne‑t‑elle automatiquement l’illégalité de la décision adoptée à l’issue du processus au cours duquel l’intéressé n’a pas été entendu ?

55.      À cet égard, la Cour a jugé à de multiples reprises qu’une violation des droits de la défense, en particulier du droit d’être entendu, n’entraîne l’annulation d’une décision que si, en l’absence de cette irrégularité, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent (9).

56.      Toutefois, cette condition d’une procédure qui « pouvait aboutir à un résultat différent » n’implique pas qu’il faille établir avec certitude que la décision aurait été différente. Pour que cette décision soit déclarée illégale, il suffit que ne soit pas entièrement exclue la possibilité que ladite décision aurait eu un contenu différent si l’intéressé auquel elle fait grief avait été en mesure de faire connaître sa position (10).

57.      Cela m’amène à la question suivante : la procédure aurait-elle pu aboutir à un résultat différent dans les circonstances de la présente affaire ?

58.      À cet égard, il convient de distinguer les cas dans lesquels l’administration dispose d’un pouvoir d’appréciation pour statuer sur la situation de l’intéressé de ceux dans lesquels elle ne dispose d’aucune marge d’appréciation.

59.      Dans le cas où l’administration dispose d’un pouvoir d’appréciation pour statuer sur une situation individuelle, l’absence d’audition de l’intéressé entraîne l’illégalité de la décision prise en violation du droit d’être entendu. En appliquant ce raisonnement à la présente affaire, si, pour décider qui a droit aux allocations familiales, la BEI avait pu apprécier librement l’ensemble des éléments pertinents relatifs, par exemple, à la manière dont A et MG partagent en pratique les frais
d’entretien de leurs enfants depuis leur divorce et décident de la répartition des allocations familiales, le fait d’entendre la position de MG aurait effectivement pu influencer sa décision.

60.      En revanche, si la décision de la BEI résulte de dispositions claires dont elle ne pouvait en aucun cas s’écarter, la réponse à la question de savoir si la violation du droit d’être entendu entraîne l’illégalité de cette décision pourrait être différente.

61.      À cet égard, la BEI affirme n’avoir disposé d’aucune marge d’appréciation en l’espèce pour statuer sur la question de la répartition des allocations familiales à la suite du divorce de A et de MG. Elle soutient au contraire que, ayant dû appliquer les dispositions administratives de la BEI relatives à l’attribution des allocations familiales, elle ne disposait que de pouvoirs limités. En d’autres termes, selon la BEI, même si MG avait été entendu, elle n’aurait eu d’autre choix que de
statuer comme elle l’a fait et d’accorder à A le bénéfice des allocations familiales.

62.      Est-ce le fin mot de l’histoire ? Si l’on concède que les dispositions administratives de la BEI n’admettent aucune autre décision, la violation du droit d’être entendu, même avérée, est-elle donc sans conséquences ?

63.      Selon moi, cette question appelle une réponse différente. En effet, je vois au moins deux manières dont une personne se trouvant dans une situation similaire à celle de MG aurait pu influencer la décision définitive si elle avait été mise en mesure d’exprimer sa position.

64.      Premièrement, dans la présente affaire, MG aurait pu faire valoir que la BEI a fait une interprétation erronée des dispositions administratives de la BEI. Ainsi, même si celles-ci ne laissent aucune marge d’appréciation à la BEI en ce qui concerne l’attribution des allocations familiales, cette dernière aurait pu aboutir à un résultat différent de celui qu’elle propose en l’espèce.

65.      Lors de l’audience, la BEI a expliqué avoir initialement (de la fin de l’année 2017 jusqu’au mois de septembre 2018) continué à verser les allocations familiales à MG. Ces allocations étant fonction de la rémunération et la rémunération de MG étant plus élevée que celle de A, cela permettait de ne pas réduire le montant versé en définitive pour les enfants à travers les parents. Par la suite, la BEI a modifié son interprétation des dispositions administratives de la BEI et a conclu que les
dispositions pertinentes lui imposaient d’accorder le bénéfice des allocations familiales à la personne ayant la garde des enfants. Selon la BEI, cela résulte d’une lecture combinée des articles 2.2.2 et 2.2.1 de ces dispositions administratives, en vertu desquels le bénéfice des allocations familiales est accordé à la personne ayant les enfants à sa charge.

66.      Il découle des considérations qui précèdent que la BEI elle-même n’est pas sûre du sens exact de ses dispositions administratives lorsque deux membres de son personnel divorcent. Comme elle l’a fait valoir lors de l’audience, il s’agissait de la première fois qu’elle était tenue d’appliquer ces règles à une telle situation. Par conséquent, elle aurait pu aboutir à une décision différente si elle avait donné à MG la possibilité de présenter son point de vue sur l’interprétation correcte de
ces dispositions.

67.      Deuxièmement, même si les dispositions pertinentes imposant à l’administration d’aboutir à une certaine décision sont effectivement d’un degré de clarté tel qu’elles ne laissent pas de place à l’interprétation, elles pourraient néanmoins être illégales et, partant, inapplicables. Dans le contexte de la présente affaire, MG aurait pu exciper de l’illégalité des dispositions administratives de la BEI pertinentes s’il avait été mis en mesure d’exprimer sa position. Or, il a effectivement
soulevé cette problématique devant le Tribunal lorsqu’il a fait valoir que ces dispositions administratives, telles qu’interprétées et appliquées par la BEI, sont contraires au principe d’égalité de traitement.

68.      S’il avait été donné à MG la possibilité d’invoquer l’illégalité des dispositions administratives de la BEI au cours de la procédure administrative, l’administration de la BEI aurait été tenue d’examiner cette problématique. De la même manière que le principe de la primauté du droit de l’Union confère aux administrations nationales à la fois le pouvoir et l’obligation d’écarter l’application des dispositions nationales incompatibles (11), l’administration de l’Union doit avoir le pouvoir et
l’obligation d’écarter l’application de toute règle interne de droit contraire au droit de l’Union. Partant, si la BEI avait conclu à l’invalidité de ses dispositions administratives, elle n’aurait pas été en droit de procéder à leur application. En revanche, si elle les avait considérées comme étant valides, MG aurait pu soit accepter son explication, soit contester cette conclusion devant le Tribunal. Il est important de relever que, si MG avait été mis en mesure de faire connaître sa position
avant l’adoption de la décision du 11 octobre 2018, celle-ci aurait pu être différente même si les dispositions pertinentes ne laissaient aucune marge d’appréciation à l’administration pour statuer sur la situation de l’intéressé.

69.      Ce que j’essaie de montrer, à la lumière de ce qui précède, c’est qu’il est difficile de conclure in abstracto que le fait d’impliquer l’intéressé auquel une décision fait grief dans le processus ayant conduit à l’adoption de cette décision n’aurait pas pu avoir d’incidence sur cette dernière.

70.      Pour cette raison, je propose à la Cour de décider que, en principe, le fait pour l’administration de ne pas donner à l’intéressé à qui sa décision est susceptible de faire grief la possibilité d’exprimer son point de vue entraîne l’illégalité de cette décision, de sorte qu’il est nécessaire d’engager une nouvelle procédure pour que l’intéressé puisse être entendu.

71.      À titre d’exemple, une procédure administrative respectueuse du droit d’être entendu aurait pu se dérouler de la manière suivante en l’espèce. À l’issue de la première procédure de conciliation, la BEI aurait pu inviter MG à faire connaître sa position avant de décider d’accorder à A le bénéfice des allocations familiales. Dans le cas où MG aurait excipé de l’illégalité d’une disposition en application de laquelle seule A bénéficie des allocations familiales, la BEI aurait dû exposer les
raisons pour lesquelles elle considère que cette disposition est valide. Ce n’est que par la suite qu’elle aurait pu adopter une décision accordant à A le bénéfice des allocations familiales. MG aurait alors eu la possibilité de contester la décision de la BEI devant le Tribunal en invoquant, notamment, l’illégalité des dispositions administratives de la BEI.

72.      Or, MG a effectivement excipé de l’illégalité de ces dispositions administratives devant le Tribunal. Je me pencherai sur cette problématique dans le titre suivant.

73.      Néanmoins, je considère qu’il y a d’ores et déjà lieu d’annuler la décision du 11 octobre 2018 au titre du premier moyen du pourvoi, en ce qu’elle a été adoptée en violation du droit de MG d’être entendu.

B.      Sur l’exception d’illégalité des articles 2.2.1 et 2.2.2 des dispositions administratives de la BEI

74.      Par le troisième moyen du pourvoi, pris en sa seconde branche, MG fait valoir, en substance, que c’est à tort que le Tribunal a rejeté l’exception d’illégalité visant les dispositions administratives de la BEI relatives aux allocations familiales. Plus précisément, il soutient que c’est à tort que le Tribunal a conclu que ces dispositions ne sont pas contraires aux principes d’égalité de traitement et de non‑discrimination.

75.      Comme l’a expliqué la BEI lors de l’audience, les deux articles pertinents de ses dispositions administratives sont interprétés en ce sens que, lorsque deux personnes qui sont toutes deux membres du personnel de la BEI divorcent, bénéficie des allocations familiales le parent qui a la garde des enfants. Selon ces articles, tant dans leur version en vigueur au moment des faits que dans leur nouvelle version, les allocations familiales ne peuvent être partagées qu’en cas de garde partagée. Le
tribunal d’arrondissement de Luxembourg ayant confié la garde exclusive des enfants à A, lesdits articles imposaient à la BEI d’accorder à celle-ci le bénéfice des allocations familiales.

76.      Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal considère que ces dispositions ne sont pas contraires au principe d’égalité de traitement, étant donné que « la situation d’un parent qui a la garde de son enfant et celle d’un parent qui ne l’a pas sont différentes et que, par conséquent, les dispositions administratives [de la BEI] peuvent prévoir un traitement différent pour chacune de ces situations » (12).

77.      MG conteste cette position. Selon lui, des parents divorcés se trouvent dans une situation comparable au regard de l’entretien de leurs enfants, étant donné qu’il s’agit d’une obligation qu’ils partagent tous les deux. Par conséquent, ils devraient bénéficier tous les deux des mêmes droits en matière d’allocations familiales, dont l’objectif est de les aider à couvrir les frais d’entretien. MG soutient que le fait pour un parent d’avoir la garde exclusive des enfants ne le distingue pas de
l’autre parent qui n’aurait pas la garde des enfants, dès lors que le critère pris en considération est celui de l’obligation relative à l’entretien des enfants.

78.      À l’inverse, la BEI soutient que la garde est le seul critère pertinent pour déterminer si un parent contribue ou non à l’« entretien effectif » de l’enfant. Les allocations familiales étant attribuées aux fins de l’entretien de l’enfant, les dispositions administratives de la BEI faisant de la garde un facteur décisif ne sont pas discriminatoires.

79.      Il est utile de rappeler que le principe d’égalité de traitement veut que des personnes se trouvant dans des situations comparables (13) soient traitées de manière égale. Au contraire, si ces personnes ne se trouvent pas dans des situations comparables, ce même principe exige qu’elles soient traitées de manière différente, à moins qu’il ne soit objectivement justifié de les traiter de manière égale (14).

80.      Un parent divorcé à qui la garde des enfants a été confiée se trouve-t-il dans une situation comparable à celle d’un parent divorcé qui n’a pas la garde des enfants, mais seulement un droit de visite en fin de semaine et pendant les vacances ?

81.      L’on serait tenté de répondre, dans un premier temps, que de tels parents ne se trouvent pas dans des situations comparables. Après tout, le parent qui a la garde exclusive des enfants doit s’occuper d’eux au quotidien et le temps dont il dispose pour se consacrer à ses propres activités est limité du fait de cette nécessité. Au contraire, le temps dont dispose le parent qui n’a pas la garde exclusive des enfants n’est que marginalement affecté par cette nécessité quotidienne (par exemple,
chaque deuxième fin de semaine et pendant la moitié des vacances). À titre d’illustration, rappelons simplement qu’il est facile pour le parent qui n’a pas la garde exclusive des enfants de décider le soir même d’aller au cinéma, alors que l’autre parent doit préparer sa sortie à l’avance et peut-être trouver et payer quelqu’un pour garder les enfants. Je pense que la plupart des personnes considéreraient que ces deux parents ne se trouvent pas dans des situations comparables.

82.      Cependant, pour déterminer si deux personnes se trouvent dans des situations comparables au regard de certains droits, la comparabilité de leurs situations doit être examinée en tenant compte du contenu et de l’objet de la disposition conférant le droit en question (15).

83.      Les allocations familiales contribuent à l’allégement de la charge financière découlant de l’entretien des enfants. Partant, elles répondent à un objectif social justifié par les frais découlant d’une nécessité actuelle et certaine, liée à l’existence de l’enfant et à son entretien effectif (16).

84.      Une telle interprétation est conforme à la jurisprudence relative au règlement (CE) n^o 883/2004 (17). La Cour a précisé que la notion d’« allocations familiales » inclut toutes les prestations en nature ou en espèces destinées à compenser les charges de famille, à l’exclusion des avances sur pensions alimentaires et des allocations spéciales de naissance ou d’adoption. Partant, l’expression « compenser les charges de famille » doit être interprétée en ce sens qu’elle vise, notamment, une
contribution au budget familial, destinée à alléger les charges découlant de l’entretien des enfants (18).

85.      Le Médiateur européen, suivant un raisonnement similaire, précise, dans une décision de 2017, que, « bien qu’intégrée dans la rémunération du membre du personnel, l’allocation pour enfant à charge n’est cependant pas destinée à l’entretien de ce dernier, mais à celui exclusif de l’enfant » (19).

86.      En résumé, même si les allocations familiales ne sont pas destinées aux parents, mais sont attribuées pour contribuer au développement et à la scolarité de leurs enfants, elles ont pour objectif d’alléger la charge financière des parents qui contribuent à l’entretien des enfants.

87.      Vu cet objectif, le critère pertinent pour décider si le parent qui a la garde exclusive des enfants se trouve dans une situation comparable à celle du parent qui n’en a pas la garde est celui de leur contribution financière respective à l’entretien des enfants. Ainsi, il y a lieu de conclure, comme le soutient à juste titre MG, que les parents qui contribuent effectivement à l’entretien de leurs enfants se trouvent dans des situations comparables.

88.      En outre, la jurisprudence a précédemment indiqué qu’il n’y a pas d’obstacle à ce qu’un enfant puisse être considéré comme étant effectivement entretenu simultanément par plusieurs personnes. Par conséquent, l’enfant de deux fonctionnaires de l’Union divorcés peut être considéré comme étant effectivement entretenu simultanément par ces deux fonctionnaires et donc comme étant simultanément à leur charge (20).

89.      Cette appréciation ne saurait dépendre du point de savoir qui a la garde légale des enfants, car le fait que celle-ci soit confiée à l’un des parents ne dispense pas l’autre parent de contribuer aux frais d’entretien des enfants et n’implique pas non plus que cette contribution financière n’est plus assurée par les deux parents. Au contraire, une décision sur le point de savoir si deux parents divorcés se trouvent dans des situations comparables au regard des allocations familiales relève
d’une appréciation à la fois en droit et en fait dans le cadre de laquelle il convient de déterminer si les deux parents contribuent effectivement aux besoins de leurs enfants en matière d’entretien.

90.      Ainsi, le parent divorcé à qui a été confiée la garde exclusive des enfants et l’autre parent divorcé, qui n’en a pas la garde, se trouvent dans des situations comparables au regard du droit aux allocations familiales s’ils contribuent tous deux (financièrement) à l’entretien effectif de leurs enfants.

91.      Par conséquent, une disposition accordant automatiquement le bénéfice des allocations familiales au parent qui a la garde exclusive des enfants alors que les deux parents contribuent (financièrement) à l’entretien des enfants est contraire au principe d’égalité de traitement.

92.      Le fait que les deux parents se trouvent éventuellement dans des situations comparables au regard des allocations familiales ne diminue pas les difficultés particulières et les charges supplémentaires auxquelles doit faire face le parent qui a la garde des enfants. En effet, ce dernier peut avoir à supporter des charges financières supplémentaires du fait que les enfants vivent sous son toit (par exemple, les frais de garde pour pouvoir aller au cinéma, comme je l’ai précédemment mentionné
à titre d’illustration). Toutefois, il existe d’autres moyens juridiques spécifiquement conçus pour éliminer toutes éventuelles inégalités subsistant entre les parents, par exemple, sous forme de versement d’une pension alimentaire, voire d’une prestation compensatoire. Les pensions alimentaires et les allocations familiales sont cependant deux choses distinctes (21).

93.      Ainsi, même si le Tribunal a correctement reconnu les caractéristiques et la finalité des allocations familiales rappelées ci‑dessus, c’est à tort qu’il en a conclu que les deux parents ne se trouvent pas dans des situations comparables au regard du droit aux allocations familiales.

94.      Par conséquent, le Tribunal a commis une erreur de droit en ce qu’il a rejeté, au motif que les dispositions administratives de la BEI ne sont pas contraires au principe d’égalité de traitement, l’exception d’illégalité soulevée par MG.

95.      En conséquence, je propose à la Cour de déclarer bien fondés le premier moyen du pourvoi, le troisième moyen du pourvoi, pris en sa seconde branche, ainsi que le quatrième moyen du pourvoi et d’annuler le point 2 du dispositif de l’arrêt attaqué.

V.      Décision finale sur le bien-fondé du recours

96.      Aux termes de l’article 61 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, si la Cour annule la décision du Tribunal, elle peut statuer définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé.

97.      Je considère que tel est le cas en l’espèce. Par conséquent, il n’y a pas lieu de renvoyer l’affaire devant le Tribunal.

98.      Je propose à la Cour d’annuler la décision du 11 octobre 2018 et la décision du 7 janvier 2019 ainsi que toutes décisions subséquentes par lesquelles MG s’est vu priver de la moitié des allocations familiales et des droits financiers dérivés. La décision du 11 octobre 2018 est illégale pour deux motifs : elle a été adoptée en violation du droit d’être entendu et elle est contraire au principe d’égalité de traitement. La décision du 7 janvier 2019 ne viole pas le droit d’être entendu, MG
ayant eu la possibilité de faire connaître sa position avant son adoption, mais elle est illégale en ce qu’elle est contraire au principe d’égalité de traitement.

VI.    Conclusion

99.      Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, j’estime qu’il y a lieu :

–        d’accueillir le premier moyen du pourvoi, le troisième moyen du pourvoi, pris en sa seconde branche, et le quatrième moyen du pourvoi ;

–        d’annuler le point 2 du dispositif de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 21 décembre 2021, MG/BEI (T‑573/20, non publié, EU:T:2021:915), et

–        d’annuler la décision du 11 octobre 2018 et la décision du 7 janvier 2019 ainsi que toutes décisions subséquentes de la Banque européenne d’investissement (BEI) par lesquelles MG s’est vu priver de la moitié des allocations familiales [y compris, notamment, les frais de garderie et du Centre polyvalent de l’enfance (CPE) indûment déduits par la BEI de son salaire jusqu’au mois de novembre 2019] et des droits financiers dérivés (y compris notamment les abattements fiscaux).

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1      Langue originale : l’anglais.

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2      Points 1 à 25 de cet arrêt.

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3      Point 73 de l’arrêt attaqué.

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4      Arrêts du 4 juin 2020, SEAE/De Loecker (C‑187/19 P, EU:C:2020:444, point 69 et jurisprudence citée), et du 21 octobre 2021, Parlement/UZ (C‑894/19 P, EU:C:2021:863, point 90).

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5      Voir arrêts du 4 juin 2020, SEAE/De Loecker (C‑187/19 P, EU:C:2020:444, point 68 et jurisprudence citée), et du 21 octobre 2021, Parlement/UZ (C‑894/19 P, EU:C:2021:863, point 89).

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6      Voir arrêt du 10 mars 2021, AM/BEI (T‑134/19, EU:T:2021:119, point 41 et jurisprudence citée).

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7      Voir arrêt du 9 février 2023, Boshab/Conseil (C‑708/21 P, non publié, EU:C:2023:84, point 54 et jurisprudence citée).

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8      Voir, en ce sens, arrêts du 23 septembre 2020, UE/Commission (T‑338/19, EU:T:2020:430, point 60 et jurisprudence citée), et du 30 septembre 2021, Cour des comptes/Pinxten (C‑130/19, EU:C:2021:782, point 167). Cela ne veut bien sûr pas dire qu’il faille systématiquement entraver l’action de l’administration. En effet, la jurisprudence admet l’existence de situations spécifiques, telles que des contrôles, dans le cadre desquelles l’audition peut avoir lieu à un stade ultérieur [voir, en ce
sens, arrêts du 18 décembre 2008, Sopropé (C‑349/07, EU:C:2008:746, point 41) ; du 3 juillet 2014, Kamino International Logistics et Datema Hellmann Worldwide Logistics (C‑129/13 et C‑130/13, EU:C:2014:2041, points 54 et 55 et jurisprudence citée), et du 20 décembre 2017, Prequ’ Italia (C‑276/16, EU:C:2017:1010, points 50 et 51 et jurisprudence citée)]. Cependant, il n’a pas été allégué que tel est le cas dans la présente affaire.

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9      Voir, notamment, arrêts du 14 février 1990, France/Commission (C‑301/87, EU:C:1990:67, point 31) ; du 25 juin 2020, HF/Parlement (C‑570/18 P, EU:C:2020:490, point 72 et jurisprudence citée), et du 14 juillet 2022, SGI Studio Galli Ingegneria/Commission (C‑371/21 P, non publié, EU:C:2022:566, point 82).

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10      Voir arrêts du 10 juillet 1980, Distillers Company/Commission (30/78, EU:C:1980:186, point 26) ; du 1^er octobre 2009, Foshan Shunde Yongjian Housewares & Hardware/Conseil (C‑141/08 P, EU:C:2009:598, points 88 et 94), et du 1^er décembre 2022, EUIPO/Vincenti (C‑653/20 P, non publié, EU:C:2022:945, point 48).

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11      Voir arrêts du 22 juin 1989, Costanzo (103/88, EU:C:1989:256), et du 4 décembre 2018, Minister for Justice and Equality et Commissioner of An Garda Síochána (C‑378/17, EU:C:2018:979).

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12      Point 107 de cet arrêt.

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13      Selon la jurisprudence, il n’est pas nécessaire que les situations visées soient identiques, uniquement qu’elles soient comparables. À cet égard, voir, notamment, arrêts du 27 octobre 1993, Enderby (C‑127/92, EU:C:1993:859, point 16), et du 16 décembre 2008, Arcelor Atlantique et Lorraine e.a. (C‑127/07, EU:C:2008:728, point 25).

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14      Voir arrêts du 13 décembre 1984, Sermide (106/83, EU:C:1984:394, point 28), et du 4 mai 2023, Glavna direktsia « Pozharna bezopasnost i zashtita na naselenieto » (Travail de nuit) (C‑529/21 à C‑536/21 et C‑732/21 à C‑738/21, EU:C:2023:374, point 52 et jurisprudence citée).

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15      À cet égard, voir, notamment, en matière de droit de la fonction publique, arrêt du 14 juillet 2022, Commission/VW e.a. (C‑116/21 P à C‑118/21 P, C‑138/21 P et C‑139/21 P, EU:C:2022:557, point 127 et jurisprudence citée), et, plus généralement, en matière de libre circulation, arrêts du 18 juillet 2007, Oy AA (C‑231/05, EU:C:2007:439, points 36 et 38), et du 17 mars 2022, AllianzGI-Fonds AEVN (C‑545/19, EU:C:2022:193, points 51 et 59 et jurisprudence citée).

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16      Le Tribunal, dans l’arrêt attaqué, partage cet avis quant à l’objectif poursuivi par les allocations familiales (voir point 102 de l’arrêt attaqué). Plus généralement, voir arrêts du 27 novembre 1980, Sorasio-Allo e.a./Commission (81/79, 82/79 et 146/79, EU:C:1980:270, points 15 et 16), et du 28 novembre 1991, Schwedler/Parlement (C‑132/90 P, EU:C:1991:452, point 14).

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17      Règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale (JO 2004, L 166, p. 1, et rectificatif JO 2004, L 200, p. 1) ; voir aussi la jurisprudence relative à l’article 7, paragraphe 2, du règlement (UE) n^o 492/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2011, relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union (JO 2011, L 141, p. 1).

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18      Voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants (Enfant du conjoint d’un travailleur frontalier) (C‑802/18, EU:C:2020:269, point 38 et jurisprudence citée).

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19      Recommandation du Médiateur européen dans l’affaire 374/2014/DR contre la [BEI] concernant le versement des allocations pour enfant à charge (point 19), consultable à l’adresse Internet suivante : https://www.ombudsman.europa.eu/fr/recommendation/en/69347.

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20      Voir, en ce sens, arrêt du 28 novembre 1991, Schwedler/Parlement (C‑132/90 P, EU:C:1991:452, point 17), tel que repris dans les arrêts du 3 mars 1993, Peroulakis/Commission (T‑69/91, EU:T:1993:16, point 32) ; du 12 novembre 2002, López Cejudo/Commission (T‑271/01, EU:T:2002:272, point 33), et du 10 octobre 2006, Arranz Benitez/Parlement (T‑87/04, EU:T:2006:297, point 37).

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21      Voir, en ce sens, arrêt du 2 avril 2020, Caisse pour l’avenir des enfants (Enfant du conjoint d’un travailleur frontalier) (C‑802/18, EU:C:2020:269, point 38 et jurisprudence citée).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-173/22
Date de la décision : 06/07/2023
Type d'affaire : Pourvoi
Type de recours : Recours de fonctionnaires

Analyses

Pourvoi – Fonction publique – Personnel de la Banque européenne d’investissement (BEI) – Dispositions administratives applicables au personnel de la BEI – Rémunération – Allocations familiales – Versement au seul parent titulaire de la garde exclusive de l’enfant – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 41, paragraphe 2 – Droit d’être entendu – Exception d’illégalité des dispositions administratives – Principe d’égalité de traitement – Principe de proportionnalité – Recours en annulation et en indemnité.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : MG
Défendeurs : Banque européenne d'investissement.

Composition du Tribunal
Avocat général : Ćapeta

Origine de la décision
Date de l'import : 02/12/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:547

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