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22/06/2023 | CJUE | N°C-711/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, XXX contre État belge, représenté par le Secrétaire d’État à l’Asile et la Migration., 22/06/2023, C-711/21


 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

22 juin 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 267 TFUE – Recevabilité – Subsistance d’un intérêt à agir dans le litige au principal – Obligation de vérification de la juridiction de renvoi »

Dans les affaires jointes C‑711/21 et C‑712/21,

ayant pour objet deux demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Conseil d’État (Belgique), par décisions du 4 novembre 2021, parvenues à la Cour le 25 novembre 2021, dans les procédure

s

XXX (C‑711/21),

XXX (C‑712/21)

contre

État belge, représenté par le secrétaire d’État à l’Asile et la M...

 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

22 juin 2023 ( *1 )

« Renvoi préjudiciel – Article 267 TFUE – Recevabilité – Subsistance d’un intérêt à agir dans le litige au principal – Obligation de vérification de la juridiction de renvoi »

Dans les affaires jointes C‑711/21 et C‑712/21,

ayant pour objet deux demandes de décision préjudicielle au titre de l’article 267 TFUE, introduites par le Conseil d’État (Belgique), par décisions du 4 novembre 2021, parvenues à la Cour le 25 novembre 2021, dans les procédures

XXX (C‑711/21),

XXX (C‑712/21)

contre

État belge, représenté par le secrétaire d’État à l’Asile et la Migration,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. C. Lycourgos (rapporteur), président de chambre, Mme L. S. Rossi, MM. J.–C. Bonichot, S. Rodin et Mme O. Spineanu–Matei, juges,

avocat général : M. A. M. Collins,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

considérant les observations présentées :

– pour XXX et XXX, par Me D. Andrien, avocat,

– pour le gouvernement belge, par Mmes M. Jacobs, C. Pochet et M. Van Regemorter, en qualité d’agents, assistées de Me S. Matray, avocate,

– pour le gouvernement néerlandais, par Mmes M. K. Bulterman et M. H. S. Gijzen, en qualité d’agents,

– pour la Commission européenne, par Mmes A. Azema et A. Katsimerou, en qualité d’agents,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 2 mars 2023,

rend le présent

Arrêt

1 Les demandes de décision préjudicielle portent sur l’interprétation des articles 4, 7 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») ainsi que de l’article 5, de l’article 6, paragraphe 6, et de l’article 13 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier (JO 2008, L 348,
p. 98).

2 Ces demandes ont été introduites dans le cadre de deux litiges opposant deux ressortissants de pays tiers à l’État belge au sujet de la légalité des décisions de retour dont ces ressortissants ont fait l’objet.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3 L’article 5 de la directive 2008/115 dispose :

« Lorsqu’ils mettent en œuvre la présente directive, les États membres tiennent dûment compte :

a) de l’intérêt supérieur de l’enfant,

b) de la vie familiale,

c) de l’état de santé du ressortissant concerné d’un pays tiers,

et respectent le principe de non-refoulement. »

4 L’article 6 de cette directive prévoit :

« 1.   Les États membres prennent une décision de retour à l’encontre de tout ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire, sans préjudice des exceptions visées aux paragraphes 2 à 5.

[...]

6.   La présente directive n’empêche pas les États membres d’adopter une décision portant sur la fin du séjour régulier en même temps qu’une décision de retour et/ou une décision d’éloignement et/ou d’interdiction d’entrée dans le cadre d’une même décision ou d’un même acte de nature administrative ou judiciaire, conformément à leur législation nationale, sans préjudice des garanties procédurales offertes au titre du chapitre III ainsi que d’autres dispositions pertinentes du droit communautaire
et du droit national. »

5 Aux termes de l’article 13 de ladite directive :

« 1.   Le ressortissant concerné d’un pays tiers dispose d’une voie de recours effective pour attaquer les décisions liées au retour visées à l’article 12, paragraphe 1, devant une autorité judiciaire ou administrative compétente ou une instance compétente composée de membres impartiaux et jouissant de garanties d’indépendance.

2.   L’autorité ou l’instance visée au paragraphe 1 est compétente pour réexaminer les décisions liées au retour visées à l’article 12, paragraphe 1, et peut notamment en suspendre temporairement l’exécution, à moins qu’une suspension temporaire ne soit déjà applicable en vertu de la législation nationale.

[...] »

Le droit belge

6 L’article 7 de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers (Moniteur belge du 31 décembre 1980, p. 29535), dans sa version applicable aux litiges au principal, énonçait :

« Sans préjudice de dispositions plus favorables contenues dans un traité international, le ministre ou son délégué peut donner à l’étranger, qui n’est ni autorisé ni admis à séjourner plus de trois mois ou à s’établir dans le Royaume, un ordre de quitter le territoire dans un délai déterminé ou doit délivrer dans les cas visés au 1°, 2°, 5°, 11° ou 12°, un ordre de quitter le territoire dans un délai déterminé :

1° s’il demeure dans le Royaume sans être porteur des documents requis par l’article 2

[...] ».

7 L’article 52/3, paragraphe 1, de cette loi était ainsi libellé :

« Lorsque le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides ne prend pas en considération la demande d’asile ou refuse de reconnaître le statut de réfugié ou d’octroyer le statut de protection subsidiaire à l’étranger et que celui-ci séjourne de manière irrégulière dans le Royaume, le ministre ou son délégué doit délivrer sans délai un ordre de quitter le territoire motivé par un des motifs prévus à l’article 7, alinéa 1er, 1° à 12°. Cette décision est notifiée à l’intéressé conformément à
l’article 51/2.

Lorsque le Conseil du Contentieux des étrangers rejette le recours de l’étranger contre une décision prise par le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides en application de l’article 39/2, § 1er, 1°, et que l’étranger séjourne de manière irrégulière dans le Royaume, le ministre ou son délégué décide sans délai de prolonger l’ordre de quitter le territoire prévu à l’alinéa 1er. Cette décision est notifiée sans délai à l’intéressé conformément à l’article 51/2.

[...] ».

8 Aux termes de l’article 74/13 de ladite loi :

« Lors de la prise d’une décision d’éloignement, le ministre ou son délégué tient compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, de la vie familiale, et de l’état de santé du ressortissant d’un pays tiers concerné ».

Les litiges au principal et les questions préjudicielles

L’affaire C‑711/21

9 Le 20 juillet 2017, le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides (Belgique) (ci-après le « CGRA ») a refusé de reconnaître à XXX le statut de réfugié et de lui octroyer le bénéfice de la protection subsidiaire.

10 Le 26 juillet 2017, un ordre de quitter le territoire a été délivré à l’égard de XXX.

11 Le 21 août 2017, XXX a introduit devant le Conseil du contentieux des étrangers (Belgique) (ci-après le « CCE ») un recours contre la décision du CGRA rejetant sa demande de protection internationale.

12 Le 24 août 2017, XXX a introduit devant le CCE un recours contre la décision lui ordonnant de quitter le territoire.

13 Le 11 janvier 2018, le CCE a rejeté le recours introduit contre la décision du CGRA.

14 Par un arrêt du 22 octobre 2019, rendu à la suite d’une audience au cours de laquelle XXX a déposé une note complémentaire et des documents relatifs à sa vie privée ainsi qu’à son état de santé, le CCE a rejeté le recours introduit contre la décision lui ordonnant de quitter le territoire.

15 Le CCE a estimé que XXX n’avait plus intérêt à contester cet ordre de quitter le territoire au motif, d’une part, que cette juridiction avait définitivement rejeté sa demande de protection internationale et, d’autre part, que le grief principal invoqué par XXX reposait sur le fait que ledit ordre de quitter le territoire ne pouvait être délivré tant que la procédure de recours contre la décision du CGRA était pendante devant elle.

16 Le CCE a considéré que, en vertu de l’arrêt du 19 juin 2018, Gnandi (C‑181/16, ci-après l’ arrêt Gnandi , EU:C:2018:465), il n’était tenu de prendre en compte les événements relatifs à la vie familiale et à l’état de santé de XXX que si ces derniers étaient antérieurs à la clôture de la procédure de protection internationale. Or, les événements invoqués par XXX, dans la note complémentaire qu’il a déposée auprès du CCE, sont postérieurs à la date de l’arrêt du CCE rejetant le recours contre la
décision du CGRA.

17 Saisi d’un pourvoi contre cet arrêt du CCE, la juridiction de renvoi relève, en premier lieu, que, dans le cadre d’un recours en annulation contre une décision ordonnant de quitter le territoire, le CCE doit, en principe, procéder à un examen ex tunc de cette décision.

18 La juridiction de renvoi estime, en second lieu, que l’arrêt Gnandi ne permet pas de déterminer, de manière certaine, jusqu’à quel moment le ressortissant d’un pays tiers peut se prévaloir d’un changement de circonstances intervenu après l’adoption de la décision de retour dont il fait l’objet et qui serait de nature à avoir une incidence significative sur l’appréciation de sa situation au regard de la directive 2008/115 et, notamment, de l’article 5 de celle-ci.

19 Dès lors, la juridiction de renvoi estime qu’il n’est pas exclu que les articles 4, 7 et 47 de la Charte ainsi que les dispositions de la directive 2008/115 imposent à la juridiction nationale, qui est chargée d’examiner la légalité de l’ordre de quitter le territoire notifié à un ressortissant d’un pays tiers, à la suite du rejet de sa demande de protection internationale, de tenir compte des modifications de la vie familiale ou de l’état de santé de ce ressortissant qui sont intervenues jusqu’à
la date à laquelle cette juridiction statue.

20 Dans ces conditions, le Conseil d’État (Belgique) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Les articles 4, 7 et 47 de la Charte [ainsi que] l’article 5, l’article 6, paragraphe 6, et l’article 13 de la directive 2008/115, lus à la lumière de l’arrêt [Gnandi], doivent-ils être interprétés en ce sens que le juge saisi du recours introduit contre une décision de retour adoptée à la suite d’une décision de refus d’octroi de la protection internationale ne peut, dans l’appréciation de la légalité de la décision de retour, tenir compte que des changements de circonstances, de nature à
avoir une incidence significative sur l’appréciation de la situation au regard de l’article 5 précité, intervenus avant la clôture de la procédure de protection internationale par le Conseil du contentieux des étrangers ?

2) Les circonstances visées à l’article 5 de la directive 2008/115 doivent-elles être survenues à un moment où l’étranger était en séjour régulier ou autorisé à rester ? »

L’affaire C‑712/21

21 Le 30 septembre 2016, le CGRA a refusé de reconnaître à XXX le statut de réfugié et de lui octroyer le bénéfice de la protection subsidiaire.

22 Le 6 octobre 2016, un ordre de quitter le territoire a été délivré à l’égard de XXX.

23 Le 28 octobre 2016, XXX a introduit devant le CCE un recours contre la décision du CGRA rejetant sa demande de protection internationale.

24 Le 7 novembre 2016, XXX a introduit devant le CCE un recours contre la décision lui ordonnant de quitter le territoire.

25 Par un arrêt du 19 janvier 2017, le CCE a rejeté le recours introduit contre la décision du CGRA.

26 Par un arrêt du 22 octobre 2019, faisant suite à une audience au cours de laquelle XXX a déposé une note complémentaire et des documents relatifs à sa vie privée, le CCE a rejeté le recours introduit contre la décision lui ordonnant de quitter le territoire pour des motifs analogues à ceux mentionnés aux points 15 et 16 du présent arrêt.

27 Saisie d’un pourvoi contre cet arrêt, la juridiction de renvoi estime, pour des motifs analogues à ceux exposés aux points 17 à 19 du présent arrêt, que la portée de l’arrêt Gnandi doit être précisée afin de déterminer jusqu’à quel moment un changement de circonstances concernant la vie familiale d’un ressortissant d’un pays tiers, ayant fait l’objet d’une décision de retour, peut être pris en compte par la juridiction chargée de statuer sur la régularité d’une telle décision. En revanche, cette
juridiction considère qu’il n’est pas nécessaire d’interroger la Cour, dans le cadre de cette affaire, sur l’hypothèse d’une éventuelle atteinte à l’article 4 de la Charte, dans la mesure où aucune atteinte de cette nature n’a été invoquée par XXX.

28 Dans ces conditions, le Conseil d’État (Belgique) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Les articles 7 et 47 de la Charte [...] ainsi que l’article 5, l’article 6, paragraphe 6, et l’article 13 de la directive 2008/115, lus à la lumière de l’arrêt [Gnandi], doivent-ils être interprétés en ce sens que le juge saisi du recours introduit contre une décision de retour adoptée à la suite d’une décision de refus d’octroi de la protection internationale ne peut, dans l’appréciation de la légalité de la décision de retour, tenir compte que des changements de circonstances, de nature à
avoir une incidence significative sur l’appréciation de la situation au regard de l’article 5 précité, intervenus avant la clôture de la procédure de protection internationale par le Conseil du contentieux des étrangers ?

2) Les circonstances visées à l’article 5 de la directive 2008/115 doivent-elles être survenues à un moment où l’étranger était en séjour régulier ou autorisé à rester ? »

29 Par décision du président de la Cour du 4 janvier 2022, les affaires C‑711/21 et C‑712/21 ont été jointes aux fins des phases écrite et orale de la procédure ainsi que de l’arrêt.

Sur les questions préjudicielles

30 En premier lieu, il découle d’une jurisprudence constante que, si les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence, il n’en demeure pas moins que la procédure instituée à l’article 267 TFUE constitue un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales,
grâce auquel la première fournit aux secondes les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’elles sont appelées à trancher. La justification du renvoi préjudiciel est non pas la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais le besoin inhérent à la solution effective d’un litige. Comme il ressort des termes mêmes de l’article 267 TFUE, la décision préjudicielle sollicitée doit être
« nécessaire » pour permettre à la juridiction de renvoi de « rendre son jugement » dans l’affaire dont elle se trouve saisie [arrêt du 14 mai 2020, Országos Idegenrendészeti Főigazgatóság Dél-alföldi Regionális Igazgatóság, C‑924/19 PPU et C‑925/19 PPU, EU:C:2020:367, point 167 ainsi que jurisprudence citée].

31 Partant, si la Cour doit pouvoir s’en remettre de la manière la plus large à l’appréciation du juge national en ce qui concerne la nécessité des questions qui lui sont adressées, elle doit être mise en mesure de porter toute appréciation inhérente à l’accomplissement de sa propre fonction, notamment en vue de vérifier la recevabilité de la demande de décision préjudicielle qui lui est adressée, le juge national devant, dans l’usage qu’il fait des possibilités ouvertes à l’article 267 TFUE, avoir
égard à la fonction propre remplie en la matière par la Cour (voir, en ce sens, arrêts du 16 décembre 1981, Foglia, 244/80, EU:C:1981:302, points 19 et 20, ainsi que du 9 décembre 2010, Fluxys, C‑241/09, EU:C:2010:753, point 31).

32 Ainsi, il est indispensable que les juridictions nationales expliquent, lorsque ces raisons ne découlent pas sans équivoque du dossier, les raisons pour lesquelles elles considèrent qu’une réponse à leurs questions est nécessaire à la solution du litige (arrêts du 16 décembre 1981, Foglia, 244/80, EU:C:1981:302, point 17, et du 29 avril 2004, Plato Plastik Robert Frank, C‑341/01, EU:C:2004:254, point 29).

33 En second lieu, l’effet utile de la coopération juridictionnelle instaurée par la procédure prévue à l’article 267 TFUE impose que la juridiction de renvoi réponde de la manière la plus complète possible aux questions qui lui sont adressées par la Cour, si besoin est, après avoir entendu les parties au principal à cet égard.

34 En l’occurrence, le gouvernement belge conteste la recevabilité des questions préjudicielles au motif que le Conseil d’État devrait juger les pourvois pendants devant lui comme étant irrecevables pour une raison qui est étrangère aux dispositions du droit de l’Union dont l’interprétation est sollicitée au moyen de ces questions. Ce gouvernement fait ainsi valoir que les requérants au principal ont obtenu, après l’introduction de ces pourvois, un droit de séjour sur le territoire belge et qu’ils
ont, de ce fait, perdu leur intérêt à agir devant le Conseil d’État.

35 À cet égard, il importe de relever que, s’il s’avérait que les requérants au principal ont effectivement perdu leur intérêt à poursuivre l’annulation des arrêts du CCE en cause au principal, les questions préjudicielles ne seraient plus pertinentes pour la solution des litiges pendants devant le Conseil d’État et la Cour devrait constater le non-lieu à statuer [voir, en ce sens, arrêt du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême), C‑585/18, C‑624/18
et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 70].

36 Dans cette perspective, le Conseil d’État a été prié d’indiquer à la Cour si les requérants au principal disposaient désormais d’un droit de séjour sur le territoire belge et, dans l’affirmative, s’il souhaitait maintenir ses questions préjudicielles.

37 Le Conseil d’État a répondu que l’avocat des requérants au principal avait fait valoir que, si un droit de séjour provisoire sur le territoire belge avait bien été reconnu à ces derniers, il n’en demeurait pas moins que, si un tel droit de séjour n’était pas prolongé, les autorités belges pourraient reprendre la procédure de retour sur le fondement des décisions de retour déjà existantes, celles-ci n’ayant pas été retirées. Compte tenu de ces explications, le Conseil d’État a fait savoir qu’il
désirait maintenir ses questions préjudicielles.

38 Eu égard à cette réponse, le juge rapporteur et l’avocat général ont demandé au gouvernement belge d’informer la Cour du statut actuel des décisions de retour en cause au principal.

39 Ce gouvernement a fait valoir, en substance, que ces décisions de retour avaient été abrogées par les décisions octroyant un droit de séjour aux requérants au principal et que, partant, même lorsqu’un tel droit de séjour aura pris fin, l’autorité nationale compétente ne pourra pas poursuivre la procédure de retour à l’égard des requérants au principal sur la base desdites décisions de retour.

40 Ledit gouvernement a également mentionné une jurisprudence récente du Conseil d’État en vertu de laquelle la décision de retour dont un ressortissant d’un pays tiers fait l’objet disparaît de l’ordonnancement juridique dès que ce ressortissant se voit reconnaître un droit de séjour, ce qui aboutit à ce que le dispositif de l’arrêt du CCE ayant confirmé cette décision de retour, et qui est attaqué devant le Conseil d’État, n’est plus susceptible de faire grief audit ressortissant, lequel est, dès
lors, privé de l’intérêt requis pour en poursuivre l’annulation.

41 Eu égard à cette réponse, le Conseil d’État a été prié par la Cour de lui indiquer s’il souhaitait maintenir ses questions préjudicielles et, dans l’affirmative, pour quelles raisons.

42 Le Conseil d’État a répondu qu’il désirait maintenir ses questions préjudicielles. Il a motivé cette décision en rappelant, d’une part, la position défendue par l’avocat des requérants au principal, tout en reconnaissant que le gouvernement belge soutenait une position contraire. Il a, d’autre part, souligné que les procédures pendantes devant lui étaient suspendues dans l’attente de la réponse de la Cour et qu’il ne pouvait, sans nouveaux débats contradictoires entre les parties à l’audience et
sans un nouvel arrêt tranchant la question du maintien de l’intérêt des requérants au principal à l’annulation des arrêts du CCE, décider que les décisions de retour ont disparu de l’ordonnancement juridique et que ces requérants n’ont plus d’intérêt à agir.

43 Il s’ensuit que, malgré la demande expresse de la Cour en ce sens, le Conseil d’État n’a pas mis en mesure la Cour de s’assurer que, compte tenu de l’apparition d’éléments postérieurs aux renvois préjudiciels, les questions préjudicielles qu’il a présentées demeuraient pertinentes pour l’issue des recours engagés par les requérants au principal et donc justifiées par un besoin inhérent à la solution effective des litiges dont il est appelé à connaître.

44 Or, tout d’abord, ainsi qu’il a été souligné aux points 32 et 33 du présent arrêt, l’instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales que constitue la procédure instituée à l’article 267 TFUE implique qu’une juridiction nationale doit fournir, dans toute la mesure du possible, une réponse utile aux questions qui lui sont adressées par la Cour.

45 Le fait de se référer simplement à la position d’une partie au principal ne suffit pas à cet égard. En effet, si, ce faisant, la juridiction de renvoi fait état des arguments de cette partie, elle n’indique aucunement dans quelle mesure elle entend ou non s’approprier ces arguments et si elle déduit de ceux-ci qu’une réponse à la question posée est nécessaire pour lui permettre de rendre sa décision (voir, en ce sens, ordonnance du 4 octobre 2022, Teritorialna direktsia na NAP – Plovdiv, C‑49/20,
non publiée, EU:C:2022:770, point 65 et jurisprudence citée).

46 Ensuite, si, conformément à l’article 23, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, la décision par laquelle la juridiction de renvoi saisit la Cour suspend la procédure, il découle, toutefois, de ce qui précède que cette disposition ne saurait être comprise en ce sens qu’elle interdit à cette juridiction de renvoi, une fois qu’elle a interrogé la Cour, d’entendre les parties au sujet des réponses qu’il convient de donner aux questions qui lui ont été posées dans le
cadre de la procédure de coopération instituée à l’article 267 TFUE.

47 Ainsi que M. l’avocat général l’a relevé, au point 24 de ses conclusions, il convient encore de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante de la Cour, une disposition de droit national empêchant la mise en œuvre de la procédure prévue à l’article 267 TFUE doit être écartée sans que la juridiction concernée ait à demander ou à attendre l’élimination préalable de cette disposition nationale par la voie législative ou par tout autre procédé constitutionnel [arrêts du 14 décembre 1995,
Peterbroeck, C‑312/93, EU:C:1995:437, point 13, ainsi que du 2 mars 2021, A. B. e.a. (Nomination des juges à la Cour suprême – Recours), C‑824/18, EU:C:2021:153, point 141].

48 Il s’ensuit que toute juridiction nationale est tenue de laisser inappliquée toute disposition de son droit national qui ne lui permettrait pas de fournir une réponse utile aux demandes que la Cour lui adresse dans le cadre de la procédure prévue à l’article 267 TFUE.

49 Il convient, enfin, d’ajouter que la présente affaire se distingue de celle ayant donné lieu à l’arrêt du 15 avril 2021, État belge (Éléments postérieurs à la décision de transfert) (C‑194/19, EU:C:2021:270). En effet, dans cette dernière affaire, d’une part, le Conseil d’État avait répondu à la question posée par la Cour que le litige pendant devant lui avait toujours un objet et, d’autre part, il n’avait pas été porté à la connaissance de la Cour que cette juridiction avait développé une
jurisprudence en vertu de laquelle elle jugeait que, dans des cas analogues au litige en cause au principal, les requérants devaient être considérés comme ayant perdu leur intérêt à agir.

50 Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que les présentes demandes de décision préjudicielle doivent être déclarées irrecevables.

Sur les dépens

51 La procédure revêtant, à l’égard des parties au principal, le caractère d’un incident soulevé devant la juridiction de renvoi, il appartient à celle-ci de statuer sur les dépens. Les frais exposés pour soumettre des observations à la Cour, autres que ceux desdites parties, ne peuvent faire l’objet d’un remboursement.

  Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit :

  Les demandes de décision préjudicielle introduites par le Conseil d’État (Belgique), par décisions du 4 novembre 2021, sont irrecevables.

Lycourgos

Rossi

Bonichot

Rodin

Spineanu-Matei
 
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 22 juin 2023.

Le greffier

A. Calot Escobar

Le président de chambre

C. Lycourgos

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( *1 ) Langue de procédure : le français.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : C-711/21
Date de la décision : 22/06/2023

Analyses

Renvoi préjudiciel – Article 267 TFUE – Recevabilité – Subsistance d’un intérêt à agir dans le litige au principal – Obligation de vérification de la juridiction de renvoi.


Parties
Demandeurs : XXX
Défendeurs : État belge, représenté par le Secrétaire d’État à l’Asile et la Migration.

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:503

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