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20/04/2023 | CJUE | N°C-246/22

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. J. Richard de la Tour, présentées le 20 avril 2023., Staatsanwaltschaft Köln et Bundesamt für Güterverkehr contre BW., 20/04/2023, C-246/22


 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN RICHARD DE LA TOUR

présentées le 20 avril 2023 ( 1 )

Affaire C‑246/22

BW

en présence de

Staatsanwaltschaft Köln,

Bundesamt für Güterverkehr

[demande de décision préjudicielle formée par l’Amtsgericht Köln (tribunal de district de Cologne, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Transports – Transport combiné de marchandises – Directive 92/106/CEE – Transports internationaux par route – Règlement (CE) no 1072/2009 – Transpor

t de conteneurs vides aux fins de chargement ou de déchargement des marchandises constituant une partie indissociable du transport de conteneurs cha...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN RICHARD DE LA TOUR

présentées le 20 avril 2023 ( 1 )

Affaire C‑246/22

BW

en présence de

Staatsanwaltschaft Köln,

Bundesamt für Güterverkehr

[demande de décision préjudicielle formée par l’Amtsgericht Köln (tribunal de district de Cologne, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Transports – Transport combiné de marchandises – Directive 92/106/CEE – Transports internationaux par route – Règlement (CE) no 1072/2009 – Transport de conteneurs vides aux fins de chargement ou de déchargement des marchandises constituant une partie indissociable du transport de conteneurs chargés – Transports de cabotage »

I. Introduction

1. La présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de la directive 92/106/CEE du Conseil, du 7 décembre 1992, relative à l’établissement de règles communes pour certains transports combinés de marchandises entre États membres ( 2 ), et du règlement (CE) no 1072/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, établissant des règles communes pour l’accès au marché du transport international de marchandises par route ( 3 ).

2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant BW, gérante d’une société de transport établie en Roumanie, au Bundesamt für Güterverkehr (Office fédéral du transport de marchandises, Allemagne, ci-après le « BAG »), au sujet d’une amende administrative infligée pour violation des dispositions relatives aux transports de cabotage, en ce que BW aurait dépassé la limitation prévue à l’article 8 du règlement no 1072/2009 lors de l’acheminement de conteneurs vides qui ne relèveraient
pas du traitement préférentiel accordé au transport combiné.

3. Dans ce contexte, la Cour sera amenée à déterminer si le transport de conteneurs vides vers le lieu de chargement ou depuis le lieu de déchargement des marchandises, lorsqu’il précède directement un transport de conteneurs chargés, effectué dans le cadre d’un transport combiné, ou lorsqu’il lui succède directement, relève de la notion de « transports combinés », ou si une telle opération doit être soumise aux restrictions relatives aux transports de cabotage prévues par ce règlement.

4. Dans les présentes conclusions, à l’issue de mon analyse, je proposerai à la Cour de dire pour droit que l’article 1er de la directive 92/106 et l’article 8 du règlement no 1072/2009 doivent être interprétés en ce sens que le transport de conteneurs vides vers le lieu de chargement ou depuis le lieu de déchargement des marchandises constitue une partie indissociable du transport des conteneurs chargés, de telle sorte que le transport des conteneurs vides prend part au traitement préférentiel
accordé au transport de conteneurs chargés dans la mesure où ceux-ci sont, dans le cadre du transport combiné, exemptés des dispositions relatives au cabotage prévues par le règlement no 1072/2009.

II. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

1. La directive 92/106

5. Les troisième, cinquième et sixième considérants de la directive 92/106 énoncent :

« considérant que les problèmes croissants afférents à l’encombrement des routes, à l’environnement et à la sécurité routière exigent, dans l’intérêt public, un développement plus poussé des transports combinés comme alternative au transport routier ;

[...]

considérant que la libération de toute restriction quantitative et la suppression de diverses contraintes d’ordre administratif existant encore dans le domaine des transports routiers est de nature à promouvoir un plus large recours aux transports combinés ;

considérant que, pour faire en sorte que la technique du transport combiné conduise à un dégagement effectif des routes, il convient que cette libéralisation porte sur des parcours routiers limités en distance. »

6. L’article 1er de cette directive prévoit :

« La présente directive s’applique aux opérations de transports combinés, sans préjudice du règlement (CEE) no 881/92 [ ( 4 )].

Aux fins de la présente directive, on entend par “transports combinés” les transports de marchandises entre États membres pour lesquels le camion, la remorque, la semi-remorque, avec ou sans tracteur, la caisse mobile ou le conteneur de 20 pieds et plus utilisent la route pour la partie initiale ou terminale du trajet et, pour l’autre partie, le chemin de fer ou une voie navigable, ou un parcours maritime lorsque celui-ci excède 100 kilomètres à vol d’oiseau, et effectuent le trajet initial ou
terminal routier :

– soit entre le point de chargement de la marchandise et la gare ferroviaire d’embarquement appropriée la plus proche pour le trajet initial et entre la gare ferroviaire de débarquement appropriée la plus proche et le point de déchargement de la marchandise pour le trajet terminal,

– soit dans un rayon n’excédant pas 150 kilomètres à vol d’oiseau à partir du port fluvial ou maritime d’embarquement ou de débarquement. »

7. L’article 4 de ladite directive dispose :

« Tout transporteur routier établi dans un État membre et satisfaisant aux conditions d’accès à la profession et au marché des transports de marchandises entre États membres a le droit d’effectuer, dans le cadre d’un transport combiné entre États membres, des trajets routiers initiaux et/ou terminaux qui font partie intégrante du transport combiné et qui comportent ou non le passage d’une frontière. »

2. Le règlement no 1072/2009

8. Les considérants 2, 13, 15 et 16 du règlement no 1072/2009 énoncent :

« (2) L’instauration d’une politique commune des transports entraîne, entre autres, l’établissement de règles communes applicables à l’accès au marché des transports internationaux de marchandises par route sur le territoire de [l’Union européenne], ainsi que l’établissement des conditions auxquelles les transporteurs non résidents peuvent effectuer des transports dans un État membre. Ces règles doivent être établies de façon à contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur des transports.

[...]

(13) Les transporteurs routiers titulaires de la licence communautaire prévue dans le présent règlement et les transporteurs habilités à effectuer certaines catégories de transports internationaux devraient être autorisés à effectuer, à titre temporaire, des transports nationaux de marchandises dans un État membre, conformément au présent règlement, sans y disposer d’un siège ou d’un autre établissement [...]

[...]

(15) Sans préjudice des dispositions du traité relatives au droit d’établissement, les transports de cabotage consistent en la prestation de services par un transporteur dans un État membre dans lequel il n’est pas établi et ils ne devraient pas être interdits aussi longtemps qu’ils ne sont pas effectués de manière à créer une activité permanente ou continue au sein de cet État membre [...]

(16) Le présent règlement s’applique sans préjudice des dispositions concernant le transport aller ou retour de marchandises par route formant une partie d’un transport combiné tel qu’il est défini dans la [directive 92/106]. Les trajets nationaux par route effectués dans un État membre d’accueil qui ne font pas partie d’un transport combiné tel qu’il est défini dans la [directive 92/106] entrent dans la définition des transports de cabotage et devraient, par conséquent, être soumis aux exigences
du présent règlement. »

9. L’article 1er de ce règlement, intitulé « Champ d’application », dispose :

« 1.   Le présent règlement s’applique aux transports internationaux de marchandises par route pour compte d’autrui pour les trajets effectués sur le territoire de [l’Union].

[...]

4.   Le présent règlement s’applique aux transports nationaux de marchandises par route assurés à titre temporaire par un transporteur non résident conformément aux dispositions du chapitre III.

5.   Les transports ci-après et les déplacements à vide effectués en relation avec ces transports ne sont pas soumis à l’exigence d’une licence communautaire et sont dispensés de toute autorisation de transport :

[...]

d) transports de marchandises par véhicule automobile [...]

[...] »

10. L’article 2 dudit règlement, intitulé « Définitions », prévoit :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

[...]

2) “transports internationaux” :

a) les déplacements en charge d’un véhicule, dont le point de départ et le point d’arrivée se trouvent dans deux États membres différents, avec ou sans transit par un ou plusieurs États membres ou pays tiers ;

b) les déplacements en charge d’un véhicule au départ d’un État membre et à destination d’un pays tiers et vice versa, avec ou sans transit par un ou plusieurs États membres ou pays tiers ;

c) les déplacements en charge d’un véhicule entre pays tiers, traversant en transit le territoire d’un ou plusieurs États membres ; ou

d) les déplacements à vide en relation avec les transports visés aux points a), b) et c) ;

3) “État membre d’accueil”, un État membre dans lequel un transporteur exerce ses activités, autre que l’État membre dans lequel il est établi ;

4) “transporteur non résident”, une entreprise de transport de marchandises par route qui exerce ses activités dans un État membre d’accueil ;

[...]

6) “transports de cabotage”, des transports nationaux pour compte d’autrui assurés à titre temporaire dans un État membre d’accueil, dans le respect du présent règlement ;

[...] »

11. Le chapitre III du même règlement, intitulé « Cabotage », comprend, notamment, l’article 8, libellé comme suit :

« 1.   Tout transporteur de marchandises par route pour compte d’autrui qui est titulaire d’une licence communautaire et dont le conducteur, s’il est ressortissant d’un pays tiers, est muni d’une attestation de conducteur, est admis, aux conditions fixées par le présent chapitre, à effectuer des transports de cabotage.

2.   Une fois que les marchandises transportées au cours d’un transport international à destination de l’État membre d’accueil ont été livrées, les transporteurs visés au paragraphe 1 sont autorisés à effectuer, avec le même véhicule, ou, s’il s’agit d’un ensemble de véhicules couplés, avec le véhicule à moteur de ce même véhicule jusqu’à trois transports de cabotage consécutifs à un transport international en provenance d’un autre État membre ou d’un pays tiers à destination de l’État membre
d’accueil. Le dernier déchargement au cours d’un transport de cabotage avant de quitter l’État membre d’accueil a lieu dans un délai de sept jours à partir du dernier déchargement effectué dans l’État membre d’accueil au cours de l’opération de transport international à destination de celui-ci.

[...] »

B.   Le droit allemand

12. L’article 13 de la Verordnung über den grenzüberschreitenden Güterkraftverkehr und den Kabotageverkehr (règlement relatif aux transports internationaux de marchandises par route et aux transports de cabotage) ( 5 ), du 28 décembre 2011, prévoit :

« On entend par transport combiné international pour compte d’autrui les transports de marchandises pour lesquels

1.   le véhicule à moteur, la remorque, le châssis, le conteneur d’une longueur d’au moins 6 mètres effectuent une partie du trajet par route et une autre partie du trajet par chemin de fer ou par navire fluviale ou maritime (avec un trajet maritime de plus de 100 kilomètres à vol d’oiseau),

2.   l’ensemble du trajet se situe en partie à l’intérieur du pays et en partie à l’étranger et

3.   le transport par route à l’intérieur du pays est effectué uniquement entre le lieu de chargement ou de déchargement et

a) la gare ferroviaire appropriée la plus proche ou

b) un port fluvial intérieur ou maritime se situant dans un rayon n’excédant pas 150 kilomètres à vol d’oiseau (embarquement ou débarquement). »

13. L’article 15, paragraphe 1, de ce règlement dispose :

« Un entrepreneur dont l’entreprise est établie dans un État membre [...] peut effectuer dans le cadre du transport combiné au sens de l’article 13 des chargements ou des déchargements sur le territoire national s’il remplit les conditions d’accès à la profession et d’accès au marché du transport routier de marchandises entre États membres. »

III. Les faits du litige au principal et la question préjudicielle

14. Les 22 janvier et 6 février 2020, dans le cadre de contrôles d’exploitation effectués auprès de la société Contargo Rhein-Neckar GmbH, le BAG a émis des objections à l’encontre de 60 transports effectués pour cette société par une société de transport établie en Roumanie et dont la gérante est BW, entre les 6 et 27 mai 2019.

15. Le BAG reproche à BW d’avoir transporté, dans au moins 57 cas, des conteneurs vides qui ne relèvent pas du traitement préférentiel accordé au transport combiné et qui constituent par conséquent des transports de cabotage. BW, en sa qualité de gérante, aurait enfreint la limitation de trois transports de cabotage en sept jours prévue à l’article 8 du règlement no 1072/2009.

16. BW soutient que le transport de conteneurs vides fait partie du transport de conteneurs chargés, qui relève du traitement préférentiel accordé au transport combiné. Elle explique que ses activités commerciales consistent à prendre en charge des conteneurs chargés dans un terminal terrestre de conteneurs, pour les transporter vers leurs destinataires. Après le déchargement des marchandises, les conteneurs désormais vides sont de nouveau transportés vers un terminal terrestre de conteneurs. Enfin,
après le rechargement de ceux-ci, le transport est effectué, une nouvelle fois, vers un terminal terrestre de conteneurs, puis vers des ports, afin d’être expédiés par voie maritime, sur un navire. Selon BW, il serait donc juste de ne pas considérer le transport des conteneurs vides de manière isolée, mais comme faisant partie intégrante d’un contrat de transport unique, et ainsi de lui permettre de bénéficier du traitement préférentiel accordé au transport combiné.

17. Par une décision du 30 octobre 2020, le BAG a infligé à BW une amende administrative d’un montant de 8625 euros pour violation des dispositions relatives aux transports de cabotage.

18. BW a introduit une réclamation contre cette décision, en soutenant que les transports en cause relèvent de l’exception prévue pour le transport combiné. Selon elle, ces transports ne devraient pas être considérés isolément, mais comme faisant partie d’un contrat principal.

19. Le BAG, au contraire, considère que le transport de conteneurs vides avant un chargement ou après un déchargement de marchandises ne relève pas du traitement préférentiel accordé au transport combiné, mais doit être considéré isolément. Un tel transport de conteneurs vides relèverait donc de l’article 8 du règlement no 1072/2009, qui prévoit des limitations au cabotage, notamment l’obligation d’effectuer un transport international et la limite de trois transports de cabotage en sept jours.

20. Dans ces conditions, l’Amtsgericht Köln (tribunal de district de Cologne, Allemagne) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« Le transport de conteneurs vides vers [le chargement] ou depuis [le déchargement] constitue-t-il une partie indissociable du transport des conteneurs chargés, de telle sorte que le transport des conteneurs vides prend part au traitement préférentiel accordé au transport des conteneurs pleins dans la mesure où ceux-ci sont, dans le cadre du transport combiné, exemptés des dispositions relatives au cabotage ? »

21. Le BAG et la Commission européenne ont déposé des observations écrites.

IV. Analyse

22. Par sa question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande si l’article 1er de la directive 92/106 et l’article 8 du règlement no 1072/2009 doivent être interprétés en ce sens que le transport de conteneurs vides vers le lieu de chargement ou depuis le lieu de déchargement des marchandises constitue une partie indissociable du transport des conteneurs chargés, de telle sorte que le transport des conteneurs vides prend part au traitement préférentiel accordé au transport de conteneurs
chargés dans la mesure où ceux-ci sont, dans le cadre du transport combiné, exemptés des dispositions relatives au cabotage prévues par ce règlement.

23. À titre liminaire, il convient de rappeler l’articulation entre le règlement no 1072/2009, qui soumet à certaines limitations les transports de cabotage, et la directive 92/106, qui contient les dispositions relatives aux transports combinés.

24. L’article 8, paragraphe 2, du règlement no 1072/2009, en premier lieu, prévoit que les transports de cabotage, à savoir les transports nationaux de marchandises par route pour compte d’autrui assurés à titre temporaire par un transporteur non-résident dans un État membre d’accueil, sont soumis à certaines restrictions. Le considérant 16 de ce règlement précise cependant qu’il s’applique sans préjudice des dispositions concernant le transport aller ou retour de marchandises par route formant une
partie d’un transport combiné tel qu’il est défini dans la directive 92/106. Les trajets nationaux par route effectués dans un État membre d’accueil qui ne font pas partie d’un tel transport entrent, quant à eux, dans la définition des transports de cabotage et doivent, par conséquent, être soumis aux exigences dudit règlement.

25. L’article 1er de la directive 92/106, en second lieu, définit les transports combinés comme étant les transports de marchandises entre États membres pour lesquels le camion ou le conteneur utilisent la route pour la partie initiale ou terminale du trajet et, pour l’autre partie, le chemin de fer ou une voie navigable, ou un parcours maritime lorsque celui-ci excède 100 kilomètres à vol d’oiseau, et effectuent le trajet initial ou terminal routier soit entre le point de chargement de la
marchandise et la gare ferroviaire d’embarquement appropriée la plus proche pour le trajet initial et entre la gare ferroviaire de débarquement appropriée la plus proche et le point de déchargement de la marchandise pour le trajet terminal, soit dans un rayon n’excédant pas 150 kilomètres à vol d’oiseau à partir du port fluvial ou maritime d’embarquement ou de débarquement. En outre, cet article précise que cette directive s’applique aux opérations de transports combinés, sans préjudice du
règlement no 881/92 ( 6 ).

26. Au regard de ces éléments, j’observe que, d’une part, ces deux instruments s’appliquent sans préjudice l’un de l’autre et, d’autre part, ni la directive 92/106 ni le règlement no 1072/2009 ne font référence explicitement ou implicitement au régime dont relève le transport de conteneurs vides vers le lieu de chargement ou depuis le lieu de déchargement des marchandises, suivant ou précédant une opération de transport combiné.

27. En effet, le règlement no 1072/2009, à son considérant 16, se borne à définir les transports de cabotage comme étant les trajets nationaux par route qui ne font pas partie d’un transport combiné tel qu’il est défini par la directive 92/106.

28. Or, l’article 1er de cette directive, ainsi que je l’ai rappelé au point 25 des présentes conclusions, définit les transports combinés par référence au trajet initial ou terminal routier, le premier s’entendant comme le trajet entre le point de chargement des marchandises et la gare ferroviaire d’embarquement et le second comme le trajet entre la gare ferroviaire de débarquement et le point de déchargement des marchandises. L’article 4 de ladite directive prévoit en outre qu’un transporteur
routier a le droit, dans le cadre d’un transport combiné, d’effectuer des trajets routiers initiaux et/ou terminaux qui font partie intégrante du transport combiné. Aucune référence n’est faite au transport de conteneurs vides précédant le trajet initial ou succédant au trajet terminal, et il n’est pas non plus précisé si un tel transport fait partie intégrante du transport combiné.

29. Cependant, le règlement no 1072/2009, à son article 2, point 2, définit les « transports internationaux » comme comprenant certains déplacements en charge d’un véhicule et les déplacements à vide qui sont en relation avec ceux-ci.

30. À cet égard, le BAG argue que, si une telle distinction entre déplacement en charge et déplacement à vide est systématiquement opérée par ce règlement, mais ne l’est pas par la directive 92/106, cela indique que le législateur de l’Union n’a pas entendu inclure les transports à vide avant le chargement ou après le déchargement des marchandises dans la définition des transports combinés au sens de l’article 1er de cette directive.

31. Toutefois, premièrement, je rappelle que le règlement no 1072/2009 et la directive 92/106, bien qu’ils fassent référence l’un à l’autre ( 7 ) et relèvent d’une politique commune des transports, sont des instruments distincts, adoptés à des époques différentes, et poursuivant des objectifs propres. Ce règlement fait justement référence aux transports à vide, puisqu’il a pour but de réduire les déplacements à vide des véhicules, en optimisant leurs trajets via la libéralisation des transports de
cabotage, pour autant que ceux-ci ne soient pas effectués de manière à créer une activité permanente ou continue dans l’État membre concerné. La référence aux transports à vide n’a donc pas la même pertinence dans le cadre des transports combinés, pour lesquels se pose la question non pas d’optimiser les trajets à vide des véhicules, mais de permettre le dégagement effectif des routes et la réduction des émissions polluantes en favorisant l’utilisation des transports maritimes ou ferroviaires.

32. Deuxièmement, il ressort de l’étude des documents préparatoires à la directive 92/106 que la distinction entre les transports de conteneurs chargés et les transports de conteneurs vides n’a pas été débattue, ce qui ne permet pas d’affirmer que le législateur de l’Union a considéré que les transports à vide avant le chargement ou après le déchargement des marchandises ne devaient pas relever de la notion de « transports combinés ».

33. En outre, une proposition de directive modifiant la directive 92/106 ( 8 ) prévoyait une nouvelle rédaction de l’article 3 de cette directive, précisant que le « transport d’unités de chargement vides avant et après le transport de marchandises » faisait partie du segment routier d’une opération de transport combiné ( 9 ).

34. Le Parlement européen a supprimé l’ajout de cette référence au transport à vide ( 10 ). En outre, il a précisé qu’autoriser que les transports à vide n’entrent pas dans la distance limite pour les segments routiers, et ne soient donc pas intégrés, contrairement au transport en charge, à la notion de « transport combiné », aurait pour effet d’augmenter les émissions polluantes, ce qui serait allé à l’encontre des objectifs de la directive 92/106, à savoir la réduction des émissions au moyen du
soutien des modes de transport à faibles émissions ( 11 ).

35. Le Parlement a ajouté, concernant la nouvelle rédaction de l’article 1er, paragraphe 3, deuxième alinéa, de la directive 92/106, que la distance limite pour les segments routiers devrait aussi s’appliquer au transport d’une unité de chargement vide ( 12 ), ce qui suggère plutôt qu’un tel transport ferait justement partie de la notion de « transport combiné » et devrait être soumis à la même limite de distance, en ce qu’il est inhérent même à la partie du transport en charge.

36. Le Conseil de l’Union européenne ( 13 ), quant à lui, a proposé de modifier la nouvelle rédaction de l’article 1er, paragraphe 2, de la directive 92/106 en remplaçant la notion de « transports combinés » par la notion de « transport international combiné », lequel se rapporte à l’acheminement de conteneurs, qu’ils soient remplis ou vides. Dans la nouvelle rédaction de l’article 1er, paragraphe 3, de cette directive, le Conseil a précisé cependant que « le transport d’unités de chargement vides
avant un segment routier initial ou après un segment routier final (par exemple en provenance ou à destination d’un parc de conteneurs) n’est pas considéré comme faisant partie d’une opération de transport combiné ».

37. J’en conclus que, à l’époque où la directive 92/106 a été adoptée, la question du transport de conteneurs vides ne se posait pas, et que la question se pose aujourd’hui, non pas tant pour savoir si le transport de conteneurs vides avant le chargement ou après le déchargement des marchandises dans le cadre d’un transport combiné relève intrinsèquement de cette notion de « transport combiné », mais plutôt pour savoir si le trajet à vide doit être comptabilisé dans la distance limite du parcours
routier, et ce dans un soucis de favoriser d’autres modes de transports, plus efficaces et moins polluants.

38. Troisièmement, quand bien même la référence faite par le règlement no 1072/2009 aux transports à vide serait pertinente, cela plaiderait, selon moi, en faveur de l’idée que tout transport à vide directement associé à un transport en charge fait partie d’une même opération de transport qui doit être reconnue comme un tout s’agissant du statut à lui accorder. Le transport de conteneurs vides avant le chargement ou après le déchargement des marchandises dans le cadre d’une opération de transport
combiné est inhérent et nécessaire à cette opération en tant que telle et en fait donc partie intégrante.

39. La seule exception serait la situation où le conteneur vide constituerait lui-même une marchandise, c’est-à-dire lorsque le conteneur forme l’objet d’une transaction commerciale autonome, dans le cadre d’un achat ou d’une location. Le transport de conteneurs vides ferait alors partie d’opérations distinctes, qui ne seraient pas directement associées à une opération de transport de conteneurs chargés et ne devraient, dès lors, pas relever de la notion de « transports combinés », au sens de la
directive 92/106, mais devraient être soumises aux restrictions relatives aux transports de cabotage prévues par le règlement no 1072/2009.

40. À cet égard, je rappelle que l’activité de BW consiste à prendre en charge des conteneurs chargés dans un terminal terrestre de conteneurs, pour les transporter vers leurs destinataires. Après le déchargement des marchandises, les conteneurs désormais vides sont de nouveau transportés vers un terminal terrestre de conteneurs. Enfin, après le rechargement de ceux-ci, le transport est effectué, une nouvelle fois, vers un terminal terrestre de conteneurs, puis vers des ports, afin d’être expédiés
par voie maritime, sur un navire. BW précise que, pendant leur chargement ou leur déchargement, les conteneurs restent posés sur le châssis du camion.

41. Ainsi, dans la mesure où le conteneur vide n’est pas, en lui-même, considéré comme une marchandise, ce qu’il reviendra à la juridiction de renvoi de vérifier, le système mis en place par BW permet de répondre aux objectifs de la directive 92/106 qui tendent à réduire l’encombrement des routes.

42. En effet, à l’instar de la Commission, je pense que, dans le cas où le transport d’un conteneur vide précédant directement un transport de conteneur chargé, ou lui succédant directement, effectué dans le cadre d’un transport combiné devait être soumis aux limitations relatives aux transports de cabotage, l’enlèvement des conteneurs vides devrait être effectué par des opérateurs de transports nationaux au titre de différents contrats de transport, ce qui entraînerait des charges financière et
administrative supplémentaires et favoriserait les transports purement routiers au détriment du transport combiné. J’ajoute que, dans la mesure où l’autorisation du transport de cabotage prévue par le règlement no 1072/2009 a précisément pour but d’éviter les retours à vide des véhicules lorsqu’ils traversent un État membre d’accueil, il serait contraire à cette libéralisation de comptabiliser un transport de conteneurs vides dans le nombre maximal de transports de cabotage que le transporteur
non-résident est autorisé à effectuer dans cet État membre d’accueil.

43. Certes, un tel modèle suppose qu’un transporteur non-résident pourrait effectuer un nombre indéfini d’opérations de transports combinés, étant donné que ces opérations ne sont pas soumises aux restrictions prévues par le règlement no 1072/2009.

44. Sur ce point, je reconnais qu’il est important de veiller à ce que les entreprises de transport ne puissent pas se prévaloir abusivement de la directive 92/106 pour contourner les règles en matière de transports de cabotage.

45. Cependant, je ne pense pas qu’une interprétation de la notion de « transport combiné » selon laquelle le transport de conteneurs vides vers le lieu de chargement ou depuis le lieu de déchargement des marchandises fait partie intégrante d’une opération de transport combiné puisse donner lieu à un contournement des règles.

46. En effet, le règlement (UE) 2020/1055 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2020, modifiant les règlements (CE) no 1071/2009, (CE) no 1072/2009 et (UE) no 1024/2012 en vue de les adapter aux évolutions du secteur du transport par route ( 14 ), énonce, à son considérant 22, qu’il devrait être possible pour les États membres de déroger à l’article 4 de la directive 92/106 et d’appliquer les dispositions relatives au cabotage figurant dans le règlement no 1072/2009 aux transporteurs
routiers non-résidents qui utilisent la route pour la partie initiale ou terminale du trajet des transports combinés, afin de remédier à de tels problèmes.

47. À la lumière de ces éléments, je propose à la Cour de dire pour droit que l’article 1er de la directive 92/106 et l’article 8 du règlement no 1072/2009 doivent être interprétés en ce sens que le transport de conteneurs vides vers le lieu de chargement ou depuis le lieu de déchargement des marchandises constitue une partie indissociable du transport des conteneurs chargés, de telle sorte que le transport des conteneurs vides prend part au traitement préférentiel accordé au transport de conteneurs
chargés dans la mesure où ceux-ci sont, dans le cadre du transport combiné, exemptés des dispositions relatives au cabotage prévues par ce règlement.

V. Conclusion

48. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la question préjudicielle posée par l’Amtsgericht Köln (tribunal de district de Cologne, Allemagne) de la manière suivante :

L’article 1er de la directive 92/106/CEE du Conseil, du 7 décembre 1992, relative à l’établissement de règles communes pour certains transports combinés de marchandises entre États membres, et l’article 8 du règlement (CE) no 1072/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 21 octobre 2009, établissant des règles communes pour l’accès au marché du transport international de marchandises par route,

doivent être interprétés en ce sens que :

le transport de conteneurs vides vers le lieu de chargement ou depuis le lieu de déchargement des marchandises constitue une partie indissociable du transport des conteneurs chargés, de telle sorte que le transport des conteneurs vides prend part au traitement préférentiel accordé au transport de conteneurs chargés dans la mesure où ceux-ci sont, dans le cadre du transport combiné, exemptés des dispositions relatives au cabotage prévues par ce règlement.

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( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) JO 1992, L 368, p. 38.

( 3 ) JO 2009, L 300, p. 72.

( 4 ) Règlement du Conseil du 26 mars 1992 concernant l’accès au marché des transports de marchandises par route dans la Communauté exécutés au départ ou à destination du territoire d’un État membre, ou traversant le territoire d’un ou de plusieurs États membres (JO 1992, L 95, p. 1). Ce règlement a été abrogé et remplacé par le règlement no 1072/2009 (voir article 18 de ce règlement).

( 5 ) BGBl. 2012 I, p. 42.

( 6 ) Voir note en bas de page 4 des présentes conclusions.

( 7 ) Voir note en bas de page 4 des présentes conclusions.

( 8 ) Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 92/106/CEE relative à l’établissement de règles communes pour certains transports combinés de marchandises entre États membres [COM(2017) 648 final]. Ce projet est cependant devenu caduque.

( 9 ) Voir p. 22 de cette proposition de directive.

( 10 ) Voir amendement 33 du rapport sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 92/106/CEE relative à l’établissement de règles communes pour certains transports combinés de marchandises entre États membres (A8-0259/2018), p. 24.

( 11 ) Voir amendements 48-268 déposés en commission de l’environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire, disponible à l’adresse Internet suivante : https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TRAN-AM-622152_FR.pdf, p. 71.

( 12 ) Voir amendements cités à la note en bas de page 11 des présentes conclusions, p. 61.

( 13 ) Voir rapport du 30 novembre 2018 (13871/2/18 REV 2), p. 19 et 20.

( 14 ) JO 2020, L 249, p. 17.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-246/22
Date de la décision : 20/04/2023
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par Amtsgericht Köln.

Renvoi préjudiciel – Transports – Transports combinés de marchandises entre États membres – Directive 92/106/CEE – Transport international de marchandises par route – Règlement (CE) nº 1072/2009 – Transport de conteneurs vides avant le chargement ou après le déchargement de marchandises dans le cadre d’un transport combiné – Non-applicabilité des dispositions relatives aux transports de cabotage.

Transports


Parties
Demandeurs : Staatsanwaltschaft Köln et Bundesamt für Güterverkehr
Défendeurs : BW.

Composition du Tribunal
Avocat général : Richard de la Tour

Origine de la décision
Date de l'import : 16/09/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:324

Source

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