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20/04/2023 | CJUE | N°C-144/21

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Parlement européen contre Commission européenne., 20/04/2023, C-144/21


 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

20 avril 2023 ( *1 )

« Recours en annulation – Décision d’exécution C(2020) 8797 – Autorisation de certaines utilisations du trioxyde de chrome – Règlement (CE) no 1907/2006 – Enregistrement, évaluation et autorisation des substances chimiques et restrictions applicables à ces substances – Article 60 – Octroi des autorisations – Obligation de démontrer que les avantages socio-économiques l’emportent sur les risques qu’entraîne l’utilisation de la substance pour la santé humaine ou l’envi

ronnement et qu’il n’existe pas
de substances ou de technologies de remplacement appropriées – Article 62 ...

 ARRÊT DE LA COUR (quatrième chambre)

20 avril 2023 ( *1 )

« Recours en annulation – Décision d’exécution C(2020) 8797 – Autorisation de certaines utilisations du trioxyde de chrome – Règlement (CE) no 1907/2006 – Enregistrement, évaluation et autorisation des substances chimiques et restrictions applicables à ces substances – Article 60 – Octroi des autorisations – Obligation de démontrer que les avantages socio-économiques l’emportent sur les risques qu’entraîne l’utilisation de la substance pour la santé humaine ou l’environnement et qu’il n’existe pas
de substances ou de technologies de remplacement appropriées – Article 62 – Demandes d’autorisation – Article 64 – Procédure d’adoption des décisions d’autorisation »

Dans l’affaire C‑144/21,

ayant pour objet un recours en annulation au titre de l’article 263 TFUE, introduit le 5 mars 2021,

Parlement européen, représenté par Mme C. Ionescu Dima, MM. M. Menegatti et L. Visaggio, en qualité d’agents,

partie requérante,

contre

Commission européenne, représentée par MM. R. Lindenthal et K. Mifsud-Bonnici, en qualité d’agents,

partie défenderesse,

soutenue par :

Agence européenne des produits chimiques (ECHA), représentée par M. W. Broere, Mme M. Heikkilä et M. T. Zbihlej, en qualité d’agents,

partie intervenante,

LA COUR (quatrième chambre),

composée de M. C. Lycourgos, président de chambre, Mme L. S. Rossi, MM. J.‑C. Bonichot (rapporteur), S. Rodin et Mme O. Spineanu‑Matei, juges,

avocat général : M. G. Pitruzzella,

greffier : M. A. Calot Escobar,

vu la procédure écrite,

ayant entendu l’avocat général en ses conclusions à l’audience du 27 octobre 2022,

rend le présent

Arrêt

1 Par sa requête, le Parlement européen demande à la Cour d’annuler l’article 1er, paragraphes 1 et 5, ainsi que les articles 2 à 5, 7, 9 et 10 de la décision d’exécution C(2020) 8797 de la Commission, du 18 décembre 2020, accordant une autorisation partielle pour certaines utilisations du trioxyde de chrome en vertu du règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil (Chemservice GmbH et autres) (ci-après la « décision attaquée »), dans la mesure où ces articles concernent les
autorisations relatives aux utilisations 2, 4 et 5 et à l’utilisation 1 pour ce qui est de la formulation de mélanges pour les utilisations 2, 4 et 5.

Le cadre juridique

2 Aux termes des considérants 1, 8, 12, 22, 69, 70, 72, 73, 77, 82 et 119 du règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 18 décembre 2006, concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH), instituant une agence européenne des produits chimiques, modifiant la directive 1999/45/CE et abrogeant le règlement (CEE) no 793/93 du Conseil et le règlement (CE) no 1488/94 de la
Commission ainsi que la directive 76/769/CEE du Conseil et les directives 91/155/CEE, 93/67/CEE, 93/105/CE et 2000/21/CE de la Commission (JO 2006, L 396, p. 1, et rectificatif JO 2007, L 136, p. 3), tel que modifié par le règlement (CE) no 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008 (JO 2008, L 353, p. 1) (ci-après le « règlement REACH ») :

« (1) Le présent règlement devrait assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement ainsi que la libre circulation des substances, telles quelles ou contenues dans des mélanges ou des articles, tout en améliorant la compétitivité et l’innovation. Le présent règlement devrait aussi promouvoir le développement de méthodes alternatives pour l’évaluation des dangers liés aux substances.

[...]

(8) Il y a lieu de tenir compte particulièrement de l’incidence potentielle du présent règlement sur les petites et moyennes entreprises (PME) et de la nécessité d’éviter qu’elles aient à subir une quelconque discrimination.

[...]

(12) Un objectif important du nouveau système établi par le présent règlement est d’inciter et, dans certains cas, de veiller à ce que les substances très préoccupantes soient remplacées à terme par des substances ou des technologies moins dangereuses lorsque des solutions de remplacement appropriées économiquement et techniquement viables existent. [...]

(22) L’autorisation devrait assurer le bon fonctionnement du marché intérieur tout en garantissant une bonne maîtrise des risques résultant de substances extrêmement préoccupantes. La Commission [européenne] ne devrait octroyer l’autorisation de mise sur le marché et d'utilisation que si les risques liés à leur utilisation sont valablement maîtrisés, lorsque cela est possible, ou si l’utilisation peut être justifiée par des raisons socio-économiques et s’il n’existe aucune solution de remplacement
appropriée qui soit économiquement et techniquement viable.

[...]

(69) Pour assurer un niveau suffisamment élevé de protection de la santé humaine, y compris en ce qui concerne les groupes de population humaine concernés et, éventuellement, certaines sous-populations vulnérables, et de l’environnement, il convient, conformément au principe de précaution, d’accorder une attention particulière aux substances extrêmement préoccupantes. Il convient d’octroyer l’autorisation lorsque les personnes physiques ou morales qui la demandent apportent la preuve à l’autorité
octroyant l’autorisation que les risques qu’entraîne l’utilisation de la substance pour la santé humaine ou l’environnement sont valablement maîtrisés. Dans le cas contraire, l’utilisation peut néanmoins être autorisée s’il peut être démontré que les avantages socio-économiques qu’offre l’utilisation de la substance en cause l’emportent sur les risques liés à son utilisation et qu’il n’existe pas de substances ou de technologies de remplacement appropriées qui soient économiquement et
techniquement viables. Eu égard à l’impératif de bon fonctionnement du marché intérieur, il convient que la Commission soit l’autorité octroyant les autorisations.

(70) Il conviendrait d’éviter les effets néfastes sur la santé humaine et l’environnement des substances très préoccupantes en appliquant des mesures de gestion des risques appropriées pour faire en sorte que tout risque lié à l’utilisation d’une substance soit valablement maîtrisé, le but étant de remplacer progressivement ces substances par des substances plus sûres appropriées. Les mesures de gestion des risques devraient être appliquées pour faire en sorte que, lorsque des substances sont
fabriquées, mises sur le marché et utilisées, l’exposition à ces substances, notamment celle liée aux rejets, émissions et fuites, tout au long de leur cycle de vie, reste inférieure au seuil sous lequel les effets néfastes ne sont pas susceptibles d’avoir lieu. S’agissant d’une substance pour laquelle l’autorisation a été accordée ou d’une substance pour laquelle il n’est pas possible d’établir un niveau sûr d’exposition, des mesures devraient dans tous les cas être prises pour réduire au
minimum, dans la mesure de ce qui est possible techniquement et pratiquement, l’exposition et les émissions, afin de réduire au minimum la possibilité d’effets néfastes. Tout rapport sur la sécurité chimique devrait identifier les mesures permettant d’assurer une maîtrise appropriée. Ces mesures devraient être appliquées et, le cas échéant, recommandées aux autres acteurs de la chaîne d’approvisionnement.

[...]

(72) Dans l’optique du remplacement à terme des substances extrêmement préoccupantes par d’autres substances et technologies appropriées, tous les demandeurs d’autorisation devraient fournir une analyse des solutions de remplacement examinant les risques qu’elles comportent, ainsi que leur faisabilité technique et économique y compris les informations concernant la recherche et le développement que le demandeur d’autorisation entreprend ou prévoit d’entreprendre. Les autorisations devraient, en
outre, être soumises à une période limitée de révision, dont la durée serait déterminée au cas par cas, et devraient normalement être assorties de conditions, y compris un suivi.

(73) Le remplacement d’une substance telle quelle ou d’une substance contenue dans un mélange ou dans un article devrait être imposé lorsque la fabrication, l’utilisation ou la commercialisation de la substance entraîne un risque inacceptable pour la santé humaine ou pour l’environnement, compte tenu de la disponibilité de substances et de technologies de remplacement plus sûres appropriées ainsi que des avantages socio-économiques de l’utilisation de la substance présentant un risque
inacceptable.

[...]

(77) Pour des raisons de faisabilité et de praticabilité, tant du côté des personnes physiques ou morales, qui doivent élaborer les dossiers de demande et prendre des mesures appropriées de gestion des risques, que du côté des autorités, qui doivent traiter les demandes d’autorisation, il convient que seul un nombre limité de substances soit soumis simultanément à la procédure d’autorisation et que des délais réalistes soient fixés pour les demandes, l’exemption de certaines utilisations étant
permise. Les substances identifiées comme remplissant les critères d’autorisation devraient figurer sur une liste de substances identifiées en vue d’une éventuelle inclusion dans la procédure d’autorisation. Dans cette liste, les substances relevant du programme de travail de l’Agence devraient être clairement identifiées.

[...]

(82) Pour permettre un suivi et une mise en œuvre efficaces de l’obligation d’autorisation, les utilisateurs en aval bénéficiant d’une autorisation octroyée à leur fournisseur devraient informer l’Agence de l’utilisation qu’ils font de la substance.

[...]

(119) Outre leur participation à la mise en œuvre de la législation communautaire, les autorités compétentes des États membres devraient, en raison de leur proximité vis-à-vis des parties intéressées dans les États membres, jouer un rôle dans l’échange d’informations sur les risques liés aux substances et sur les obligations que la législation sur les substances impose aux personnes physiques ou morales. Parallèlement, une coopération étroite entre l’Agence, la Commission et les autorités
compétentes des États membres est nécessaire pour assurer la cohérence et l’efficacité du processus global de communication. »

3 L’article 1er du règlement REACH, intitulé « Objet et champ d’application », dispose, à ses paragraphes 1 à 3 :

« 1.   Le présent règlement vise à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement, y compris la promotion de méthodes alternatives pour l’évaluation des dangers liés aux substances, ainsi que la libre circulation des substances dans le marché intérieur tout en améliorant la compétitivité et l’innovation.

2.   Le présent règlement prévoit des dispositions relatives aux substances et aux mélanges, au sens de l’article 3. Ces dispositions sont applicables à la fabrication, à la mise sur le marché ou à l’utilisation de ces substances, telles quelles ou contenues dans des mélanges ou des articles, et à la mise sur le marché des mélanges.

3.   Le présent règlement repose sur le principe qu'il incombe aux fabricants, aux importateurs et aux utilisateurs en aval de veiller à fabriquer, à mettre sur le marché ou à utiliser des substances qui n'ont pas d'effets nocifs pour la santé humaine ou l'environnement. Ses dispositions reposent sur le principe de précaution. »

4 Selon l’article 3 de ce règlement, intitulé « Définitions » :

« Aux fins du présent règlement, on entend par :

1) “substance” : un élément chimique et ses composés à l’état naturel ou obtenus par un processus de fabrication, y compris tout additif nécessaire pour en préserver la stabilité et toute impureté résultant du processus mis en œuvre, mais à l’exclusion de tout solvant qui peut être séparé sans affecter la stabilité de la substance ou modifier sa composition ;

2) “mélange” : un mélange ou une solution composés de deux substances ou plus ;

3) “article” : un objet auquel sont donnés, au cours du processus de fabrication, une forme, une surface ou un dessin particuliers qui sont plus déterminants pour sa fonction que sa composition chimique ;

[...]

13) “utilisateur en aval” : toute personne physique ou morale établie dans la Communauté, autre que le fabricant ou l’importateur, qui utilise une substance, telle quelle ou contenue dans un mélange, dans l’exercice de ses activités industrielles ou professionnelles. Un distributeur ou un consommateur n’est pas un utilisateur en aval. Un réimportateur exempté en vertu de l’article 2, paragraphe 7, point c), est considéré comme utilisateur en aval ;

[...]

18) “Agence” : l’agence européenne des produits chimiques instituée par le présent règlement ;

[...]

24) “utilisation” : toute opération de transformation, de formulation, de consommation, de stockage, de conservation, de traitement, de chargement dans des conteneurs, de transfert d’un conteneur à un autre, de mélange, de production d’un article ou tout autre usage ;

[...]

37) “scénario d’exposition” : l’ensemble des conditions, y compris les conditions de fonctionnement et les mesures de gestion des risques, décrivant la manière dont la substance est fabriquée ou utilisée pendant son cycle de vie et la manière dont le fabricant ou l’importateur contrôle ou recommande aux utilisateurs en aval de contrôler l’exposition de l’être humain et de l’environnement. Ces scénarios d’exposition peuvent aussi couvrir un processus spécifique ou, le cas échéant, plusieurs
processus ou utilisations ;

38) “catégorie d’usage ou d’exposition” : un scénario d’exposition couvrant un large éventail de processus ou d’usages lorsque les processus ou les usages sont communiqués au moins sous la forme d’une brève description générale de l’utilisation ;

[...] »

5 Le titre VII du règlement REACH, qui comprend les articles 55 à 66 de celui-ci, porte sur l’autorisation des « substances extrêmement préoccupantes » en raison de leurs effets graves et souvent irréversibles sur la santé humaine et l’environnement.

6 L’article 55 de ce règlement, intitulé « But de l’autorisation et examen des solutions de remplacement », prévoit :

« Le but du présent titre est d’assurer le bon fonctionnement du marché intérieur tout en garantissant que les risques résultant de substances extrêmement préoccupantes seront valablement maîtrisés et que ces substances seront progressivement remplacées par d’autres substances ou technologies appropriées, lorsque celles-ci sont économiquement et techniquement viables. À cette fin, l’ensemble des fabricants, des importateurs et des utilisateurs en aval qui demandent une autorisation analysent la
disponibilité de solutions de remplacement et examinent les risques qu’elles comportent ainsi que leur faisabilité technique et économique. »

7 L’article 56 dudit règlement, intitulé « Dispositions générales », dispose, à son paragraphe 1 :

« Un fabricant, importateur ou utilisateur en aval s’abstient de mettre sur le marché une substance en vue d’une utilisation ou de l’utiliser lui–même si cette substance est incluse à l’annexe XIV, sauf :

a) si l’utilisation ou les utilisations de cette substance, telle quelle ou contenue dans un mélange, ou l’incorporation de la substance dans un article pour laquelle la substance est mise sur le marché ou pour laquelle il utilise la substance lui-même ont été autorisées conformément aux articles 60 à 64 ; ou

[...]

d) si la date visée à l’article 58, paragraphe 1, point c), sous i), a été atteinte et s’il a fait une demande dix-huit mois avant cette date mais qu’aucune décision concernant la demande d’autorisation n’a encore été prise ; ou

[...] »

8 Selon l’article 57 du règlement REACH, intitulé « Substances à inclure dans l’annexe XIV » :

« Les substances suivantes peuvent être incluses dans l’annexe XIV conformément à la procédure prévue à l’article 58 :

a) les substances répondant aux critères de classification comme substances cancérogènes, de catégorie 1A ou 1B, conformément à l’annexe I, section 3.6, du règlement (CE) no 1272/2008 [du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relatif à la classification, à l’étiquetage et à l’emballage des substances et des mélanges, modifiant et abrogeant les directives 67/548/CEE et 1999/45/CE et modifiant le règlement (CE) no 1907/2006 (JO 2008, L 353, p. 1)] ;

b) les substances répondant aux critères de classification comme substances mutagènes sur les cellules germinales, de catégorie 1A ou 1B, conformément à l’annexe I, section 3.5, du règlement no 1272/2008 ;

[...] »

9 L’article 58 de ce règlement, intitulé « Inclusion de substances dans l’annexe XIV », énonce :

« 1.   Lorsqu’il est décidé d’inclure dans l’annexe XIV des substances visées à l’article 57, la décision est prise conformément à la procédure visée à l’article 133, paragraphe 4. Pour chaque substance, cette décision précise :

a) l’identité de la substance, conformément à l’annexe VI, section 2 ;

b) la ou les propriétés intrinsèques de la substance visée à l’article 57 ;

c) des dispositions transitoires :

i) la ou les dates à partir desquelles la mise sur le marché et l’utilisation de la substance sont interdites, sauf si une autorisation est octroyée [ci-après dénommées “date(s) d’expiration”] qui devrait tenir compte, le cas échéant, du cycle de production spécifique pour cette utilisation ;

ii) une ou plusieurs dates précédant d’au moins dix-huit mois la ou les dates d’expiration, avant lesquelles doivent être reçues les demandes si le demandeur souhaite continuer à utiliser la substance ou à la mettre sur le marché pour certaines utilisations après la ou les dates d’expiration ; la poursuite de ces utilisations est autorisée après la date d’expiration jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande d’autorisation ;

[...]

3.   [...]

Le nombre de substances incluses dans l’annexe XIV et les dates fixées en application du paragraphe 1 tiennent également compte de la capacité de l’Agence à traiter les demandes dans les délais prévus. L’Agence formule sa première recommandation concernant les substances à inclure en priorité dans l’annexe XIV, au plus tard le 1er juin 2009. L’Agence formule d’autres recommandations, au moins tous les deux ans, en vue d’inclure d’autres substances dans l’annexe XIV.

[...] »

10 En vertu du règlement (UE) no 348/2013 de la Commission, du 17 avril 2013, modifiant l’annexe XIV du règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil concernant l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (REACH) (JO 2013, L 108, p. 1), le trioxyde de chrome a été inclus dans cette annexe en tant que cancérogène de catégorie 1A et mutagène de catégorie 1B au titre de ses propriétés intrinsèques.

11 Aux termes de l’article 60 du règlement REACH, intitulé « Octroi des autorisations » :

« 1.   La Commission est compétente pour prendre des décisions concernant les demandes d’autorisation conformément au présent titre.

2.   Sans préjudice du paragraphe 3, une autorisation est octroyée si le risque que représente pour la santé humaine ou pour l’environnement l’utilisation d’une substance en raison de ses propriétés intrinsèques, visées à l’annexe XIV, est valablement maîtrisé conformément à l’annexe I, section 6.4, comme le démontre le rapport sur la sécurité chimique du demandeur, en tenant compte de l’avis du comité d’évaluation des risques visé à l’article 64, paragraphe 4, point a). Lors de l’octroi de
l’autorisation et dans toutes les conditions que celle-ci impose, la Commission prend en compte tous les rejets, émissions et pertes, en ce compris les risques découlant d’utilisations dispersives ou diffuses, connus au moment de la décision.

[...]

4.   Lorsqu’une autorisation ne peut être octroyée en application du paragraphe 2 ou pour les substances énumérées au paragraphe 3, elle ne peut être octroyée que s’il est démontré que les avantages socio-économiques l’emportent sur les risques qu’entraîne l’utilisation de la substance pour la santé humaine ou l’environnement et qu’il n’existe pas de substances ou de technologies de remplacement appropriées. Cette décision est arrêtée après prise en compte de l’ensemble des éléments suivants et
en tenant compte de l’avis du comité d’évaluation des risques et du comité d’analyse socio-économique visés à l’article 64, paragraphe 4, points a) et b) :

a) le risque lié aux utilisations de la substance ainsi que la pertinence et l’efficacité des mesures de gestion des risques proposée ;

b) les avantages socio-économiques découlant de son utilisation et les conséquences socio-économiques d’un refus de l’autorisation, dont le demandeur ou d’autres parties intéressées doivent apporter la preuve ;

c) l’analyse des solutions de remplacement proposées par le demandeur en application de l’article 62, paragraphe 4, point e), ou le plan de remplacement proposé par le demandeur en application de l’article 62, paragraphe 4, point f), et toute communication transmise par un tiers en application de l’article 64, paragraphe 2 ;

d) les informations disponibles sur les risques pour la santé humaine ou l’environnement que d’éventuelles substances ou technologies de remplacement présentent pour la santé ou pour l’environnement.

5.   Lors de l’évaluation de la disponibilité de substances ou de technologies de substitution appropriées, tous les aspects pertinents sont pris en compte par la Commission, et notamment :

a) si le passage aux solutions de remplacement donnera lieu à une réduction des risques globaux pour la santé humaine et l’environnement, compte tenu de la pertinence et de l’efficacité des mesures de gestion des risques ;

b) la faisabilité technique et économique de solutions de remplacement pour le demandeur.

[...]

7.   Une autorisation n’est octroyée que si la demande est introduite conformément aux prescriptions de l’article 62.

[...] »

12 L’article 62 de ce règlement, intitulé « Demandes d’autorisation », prévoit, à son paragraphe 4 :

« Une demande d’autorisation contient les éléments suivants :

a) l’identité de la ou des substances, conformément à l’annexe VI, section 2 ;

b) le nom et les coordonnées de la personne ou des personnes qui introduisent la demande ;

c) une demande d’autorisation, précisant l’utilisation ou les utilisations pour lesquelles l’autorisation est demandée et couvrant l’utilisation de la substance dans des mélanges et/ou, le cas échéant, son incorporation dans des articles ;

d) sauf s’il a déjà été présenté dans le cadre de l’enregistrement, un rapport sur la sécurité chimique, établi conformément à l’annexe I couvrant les risques qu’entraîne pour la santé humaine et/ou l’environnement l’utilisation de la ou des substances en raison des propriétés intrinsèques visées à l’annexe XIV ;

e) une analyse des solutions de remplacement, examinant les risques qu’elles comportent, ainsi que leur faisabilité technique et économique et comprenant, le cas échéant, des informations sur les activités pertinentes de recherche et de développement du demandeur ;

f) lorsque l’analyse visée au point e) indique que des solutions de remplacement appropriées sont disponibles compte tenu des éléments de l’article 60, paragraphe 5, un plan de remplacement prévoyant un calendrier des actions proposées par le demandeur. »

13 L’article 64 dudit règlement, intitulé « Procédure d’adoption des décisions d’autorisation », dispose :

« 1.   L’Agence confirme la date de réception de la demande. Le comité d’évaluation des risques et le comité d’analyse socio-économique de l’Agence rendent leurs projets d’avis dans les dix mois suivant la date de réception de la demande.

2.   L’Agence publie sur son site internet, en tenant compte des articles 118 et 119 relatifs à l’accès aux informations, des informations générales relatives aux utilisations sur lesquelles portent les demandes reçues et au réexamen d’autorisations et fixe le délai dans lequel les tiers intéressés peuvent présenter des informations sur des substances ou des technologies de remplacement.

3.   Lorsqu’il élabore son avis, chacun des comités visés au paragraphe 1 contrôle d’abord que la demande comprend l’ensemble des informations pertinentes visées à l’article 62 dont il doit disposer pour s’acquitter de sa tâche. Le cas échéant, les comités font, après s’être consultés, une demande commune au demandeur l’invitant à fournir des informations supplémentaires pour mettre la demande en conformité avec les prescriptions de l’article 62. Le comité d’analyse socio-économique peut, s’il
l’estime nécessaire, demander au demandeur ou à des tiers de présenter dans un délai donné des informations complémentaires sur les éventuelles substances ou technologies de remplacement. Chaque comité prend également en compte toute information communiquée par des tiers.

4.   Les projets d’avis comprennent les éléments suivants :

a) comité d’évaluation des risques : une évaluation du risque qu’entraînent pour la santé humaine et/ou l’environnement l’utilisation ou les utilisations de la substance, ainsi que le caractère approprié et l’efficacité des mesures de gestion des risques, telles qu’elles sont décrites dans la demande et, le cas échéant, une évaluation des risques qu’entraînent les éventuelles solutions de remplacement ;

b) comité d’analyse socio-économique : une évaluation des facteurs socio-économiques et de la disponibilité, du caractère approprié et de la faisabilité technique des solutions de remplacement liés à l’utilisation ou aux utilisations de la substance, telles qu’elles sont décrites dans la demande, lorsque cette dernière est faite conformément à l’article 62, et la contribution de tout tiers soumise conformément au paragraphe 2 du présent article.

[...]

8.   La Commission élabore un projet de décision d’autorisation dans les trois mois suivant la réception des avis de l’Agence. Une décision définitive d’octroi ou de refus de l’autorisation est arrêtée conformément à la procédure visée à l’article 133, paragraphe 3.

[...] »

14 L’annexe I du règlement REACH, intitulée « Dispositions générales afférentes à l’évaluation des substances et à l’élaboration des rapports sur la sécurité chimique », comporte une section 5, intitulée « Évaluation de l’exposition », qui précise que cette évaluation se divise en deux étapes. Concernant la seconde étape, relative à « l’estimation de l’exposition », le point 5.2.4 contient le texte suivant :

« Il est procédé à une estimation des niveaux d’exposition pour l’ensemble des populations humaines (travailleurs, consommateurs et personnes susceptibles de subir une exposition indirecte à travers l’environnement) [...] En particulier, l’estimation de l’exposition tient compte des éléments suivants :

– des données sur l’exposition, représentatives et mesurées de manière adéquate,

[...] »

Les faits à l’origine du litige

15 En raison de ses propriétés cancérogènes et toxiques, le trioxyde de chrome figure au nombre des substances, qualifiées d’« extrêmement préoccupantes », inscrites à l’annexe XIV du règlement REACH. Les utilisations de cette substance sont soumises à l’obligation d’autorisation, en vertu de l’article 56, paragraphe 1, sous a), de ce règlement.

16 En 2015, Lanxess Deutschland GmbH et d’autres opérateurs (ci-après les « demandeurs ») ont introduit une demande d’autorisation pour six catégories d’utilisations du trioxyde de chrome.

17 Les six catégories d’utilisations pour lesquelles l’autorisation a été demandée sont les suivantes : utilisations dans la formulation de mélanges (« catégorie 1 ») ; utilisations dans le chromage fonctionnel (« catégorie 2 ») ; utilisations dans le chromage fonctionnel à caractère décoratif (« catégorie 3 ») ; utilisations dans le traitement de surface dans les applications aéronautiques et aérospatiales (non lié au chromage fonctionnel à caractère décoratif) (« catégorie 4 ») ; utilisations dans
le traitement de surface [à l’exclusion de la passivation de l’acier étamé (étamage électrolytique – ETP)] pour des applications dans les secteurs de la construction, de l’automobile, de la métallurgie, de la finition des métaux et dans les secteurs généraux de l’industrie technique (non liés au chromage fonctionnel ou décoratif) (« catégorie 5 ») ; et utilisations dans la passivation de l’acier étamé (ETP) (« catégorie 6 »).

18 Les avis rendus par le comité d’évaluation des risques (ci-après le « CER ») et le comité d’analyse socio-économique (ci-après le « CASE »), conformément à l’article 64 du règlement REACH, ont été publiés au mois de septembre 2016.

19 Le 27 mars 2019, le Parlement a adopté une résolution s’opposant à un premier projet de décision. En substance, l’objection du Parlement était fondée sur le fait que les informations fournies par les demandeurs présentaient de graves lacunes et que le respect des conditions d’octroi d’une autorisation, en particulier la disponibilité ou non de solutions de remplacement plus sûres, ne pouvait donc pas être correctement évalué. De l’avis du Parlement, cela était d’autant plus vrai que la
description des utilisations prévues de la substance en cause était tellement générique qu’elle entraînait un champ d’application extrêmement large de l’autorisation. À cet égard, le Parlement estimait également que l’approche de la Commission, consistant à remédier aux lacunes de la demande en exigeant du demandeur qu’il fournisse les données manquantes dans le rapport d’examen, n’était pas conforme à l’arrêt du Tribunal du 7 mars 2019, Suède/Commission (T‑837/16, EU:T:2019:144).

20 À la suite de la résolution du Parlement, la Commission a exclu du champ d’application de son projet de décision la catégorie 3 (utilisations dans le chromage fonctionnel à caractère décoratif). Pour le reste, la Commission a maintenu son approche initiale, qui consistait à octroyer l’autorisation tout en l’assortissant de certaines conditions et restrictions.

21 Le 18 décembre 2020, la Commission a adopté la décision attaquée.

La décision attaquée

22 Au considérant 8 de la décision attaquée, la Commission a relevé qu’une autorisation portant sur le trioxyde de chrome ne pouvait être octroyée qu’en vertu de l’article 60, paragraphe 4, du règlement REACH.

23 Aux considérants 9 à 15, la Commission a examiné la première des deux conditions prévues par cette disposition, à savoir celle selon laquelle les avantages socio-économiques doivent l’emporter sur les risques qu’entraîne l’utilisation de la substance pour la santé humaine ou l’environnement.

24 En particulier, les considérants 10 à 12 et 15 sont ainsi rédigés :

« (10) Pour ce qui est des utilisations 1, 2, 4 et 5, le CER a également constaté des incertitudes importantes concernant l’exposition des travailleurs, imputables à la disponibilité limitée de données d’exposition mesurées. Le CER a par ailleurs jugé que, du fait de l’absence persistante d’informations contextuelles, il lui était difficile d’établir un lien entre les conditions d’exploitation et les mesures de gestion des risques décrites dans la demande et les niveaux d’exposition allégués pour
des tâches et des sites spécifiques, ce qui empêchait le CER de poursuivre son évaluation. Ces incertitudes portent sur la fiabilité et la représentativité des données d’exposition et sur leur lien avec les mesures de gestion des risques en place, notamment en ce qui concerne l’utilisation 4, pour laquelle la demande couvre plusieurs activités, outre le bain en trempé, dont les opérations de pulvérisation, de laminage, de brossage et d’usinage, sachant que les demandeurs n’ont pas été en
mesure d’évaluer de manière complète l’exposition combinée liée à l’ensemble de ces tâches. La Commission note toutefois que ces incertitudes n’ont pas empêché le CASE d’analyser la demande plus avant.

(11) Pour les utilisations 1, 2, 4 et 5, le CER a par ailleurs conclu qu’il existait également des incertitudes dans l’évaluation de l’exposition de la population générale à la substance, à travers l’environnement, au niveau local, au regard notamment des émissions de chrome (VI) dans les eaux résiduaires. Ce point revêt une grande importance en ce qui concerne l’exposition orale à travers l’eau potable. Toutefois, le CER a estimé que l’évaluation des risques pour la population générale à travers
l’environnement fournie était suffisante pour justifier la poursuite de l’analyse par le CASE, relevant que l’approche choisie par les demandeurs reposait sur des suppositions qui surestimaient vraisemblablement les risques pesant sur la population générale. L’exposition régionale, bien qu’elle ait été évaluée par les demandeurs, n’a pas été considérée comme pertinente, puisque le chrome (VI) se transforme rapidement en chrome non cancérogène (III) dans la plupart des conditions
environnementales.

(12) Dans ses avis sur les utilisations 1, 2, 4 et 5, compte tenu des incertitudes caractérisant l’évaluation des risques pour les travailleurs et la population générale à travers l’environnement, le CER a recommandé d’imposer des conditions et des modalités de suivi supplémentaires. La Commission, après avoir évalué l’analyse du CER, souscrit à cette conclusion.

[...]

(15) Dans ses avis sur les utilisations 1, 2, 4, 5 et 6 du trioxyde de chrome décrites dans la demande, le CASE a conclu que les avantages socio-économiques globaux découlant de chacune de ces utilisations l’emportaient sur les risques pour la santé humaine liés à ces utilisations. [...] En ce qui concerne les utilisations 2, 4 , 5 et 6, le CASE a estimé que les avantages socio-économiques découlant de l’utilisation de la substance, déterminés sur la base d’une estimation des pertes et des coûts
sociaux liés aux seules pertes d’emploi, l’emporteraient nettement sur les incidences sur la santé humaine monétisées, lesquelles sont calculées sur la base du scénario le plus défavorable. [...] »

25 Aux considérants 16 à 24 de la décision attaquée, la Commission a analysé la seconde condition prévue à l’article 60, paragraphe 4, du règlement REACH pour pouvoir délivrer l’autorisation, à savoir celle selon laquelle il ne doit pas exister de substances ou de technologies de remplacement appropriées.

26 En particulier, les considérants 18 à 20 et 22 sont ainsi rédigés :

« (18) Dans ses avis sur les utilisations 2, 4 et 5, le CASE a conclu qu’il n’existait aucune substance ou technologie de remplacement appropriée. Toutefois, la très grande variété des utilisations recensées dans la demande fait que le CASE n’a pu exclure une possible incertitude en ce qui concerne la faisabilité technique de solutions de remplacement pour un nombre restreint d’applications spécifiques couvertes par la description de ces utilisations. La Commission souscrit à la conclusion du
CASE.

(19) Il convient de préciser davantage la description des utilisations 2, 4 et 5, en l’alignant sur les conclusions de l’analyse des solutions de remplacement présentée dans la demande et évaluée par le CASE, de manière à ce que l’autorisation ne couvre que les utilisations pour lesquelles il n’existe aucune solution de remplacement appropriée. La Commission estime que les demandeurs se sont acquittés de la charge de la preuve qui pesait sur eux en démontrant l’absence de solutions de
remplacement appropriées pour les utilisations 2, 4 et 5, mais uniquement en ce qui concerne ces utilisations restreintes.

(20) Par conséquent, la description des utilisations 2, 4 et 5 doit être encore précisée par référence aux utilisations pour lesquelles les fonctionnalités essentielles suivantes sont nécessaires aux fins de l’usage prévu [...]

[...]

(22) Par ailleurs, la Commission a pris note de la complexité des chaînes d’approvisionnement concernées par les utilisations ayant fait l’objet d’une demande, des délais et des investissements nécessaires pour mettre en place une éventuelle solution de remplacement, ainsi que du temps nécessaire à son industrialisation et à la qualification des produits résultants dans les chaînes d’approvisionnement. La Commission, après examen de l’évaluation du CASE et compte tenu des considérations
précédentes, abonde dans le sens de la conclusion indiquant qu’il n’existe pas de substances ou de technologies de remplacement appropriées pour les utilisations 2, 4 et 5. »

27 Par ailleurs, les considérants 26 et 27 sont libellés de la manière suivante :

« (26) La Commission a fondé son évaluation sur toutes les données scientifiques pertinentes disponibles actuellement, telles qu’évaluées par le CER, et rendu ses conclusions au regard de leur force probante, suffisante à cette fin. Néanmoins, des données scientifiques supplémentaires permettraient à la Commission de réaliser son évaluation sur une base probante plus robuste ou plus large à l’avenir. Il convient dès lors de demander la production d’informations supplémentaires concernant
l’exposition et les émissions.

(27) Par ailleurs, afin de faciliter l’application de la présente décision, il est nécessaire, en ce qui concerne les utilisations 2, 4 et 5, de demander aux utilisateurs en aval de substances fournies par les titulaires d’autorisation d’inclure dans la notification envoyée à l’Agence conformément à l’article 66, paragraphe 1, du règlement (CE) no 1907/2006 une explication des fonctionnalités essentielles énumérées à l’article 1er, paragraphe 1, de la présente décision qui sont nécessaires pour
leur utilisation, y compris une justification de leur nécessité pour cette utilisation. »

28 L’article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée autorise les cinq catégories d’utilisations demandées du trioxyde de chrome, dans des limites qu’il précise :

– la catégorie d’utilisations 1 consistant dans la formulation de mélanges pour les utilisations 2, 4, 5 et 6 ;

– la catégorie d’utilisations 2 consistant dans le chromage fonctionnel lorsque l’une des fonctionnalités essentielles suivantes est nécessaire aux fins de l’usage prévu : résistance à l’usure, dureté, épaisseur de la couche, résistance à la corrosion, coefficient de frottement et effet sur la morphologie de la surface ;

– la catégorie d’utilisations 4 consistant dans le traitement de surface dans les applications aéronautiques et aérospatiales, non lié au chromage fonctionnel ou décoratif, lorsque l’une des fonctionnalités essentielles suivantes est nécessaire aux fins de l’usage prévu : résistance à la corrosion, prévention active de la corrosion, résistance chimique, dureté, promotion de l’adhérence (l’adhérence au revêtement ou à la peinture subséquents), résistance aux températures, résistance à la
fragilisation, résistance à l’usure, propriétés de surface empêchant le dépôt d’organismes, épaisseur de la couche, flexibilité et résistivité ;

– la catégorie d’utilisations 5 consistant dans le traitement de surface, à l’exclusion de la passivation de l’acier étamé (étamage électrolytique – ETP), pour des applications dans les secteurs de la construction, de l’automobile, de la métallurgie, de la finition des métaux et dans les secteurs généraux de l’industrie technique, non liés au chromage fonctionnel ou décoratif, lorsque l’une des fonctionnalités essentielles suivantes est nécessaire aux fins de l’usage prévu : résistance à la
corrosion, prévention active de la corrosion, épaisseur de la couche, résistance à l’humidité, promotion de l’adhérence (l’adhérence au revêtement ou à la peinture subséquents), résistivité, résistance chimique, résistance à l’usure, conductivité électrique, compatibilité avec le substrat, propriétés (thermo) optiques (aspect visuel), résistivité thermique, sécurité alimentaire, tension du revêtement, isolation électrique ou vitesse de dépose ;

– la catégorie d’utilisations 6 consistant dans la passivation de l’acier étamé (ETP).

29 Aux termes de l’article 2, paragraphe 2, de cette décision :

« Les titulaires de l’autorisation élaborent des scénarios d’exposition spécifiques pour les processus, les opérations et les tâches particulières (y compris pour les systèmes automatiques/manuels et les systèmes ouverts/fermés et les combinaisons de ceux-ci) et décrivent, dans chacun des scénarios spécifiques, les mesures de gestion des risques et les conditions d’exploitation représentatives de tous les sites où les utilisations autorisées ont lieu, qui sont mises en œuvre pour limiter
l’exposition des travailleurs au chrome (VI) et à ses émissions dans l’environnement. Les scénarios d’exposition contiennent des informations sur les niveaux d’exposition découlant de la mise en œuvre de ces mesures de gestion des risques et conditions d’exploitation.

Les titulaires de l’autorisation choisissent les mesures de gestion des risques figurant dans les scénarios d’exposition spécifiques conformément à l’article 5 de la directive 2004/37/CE [du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, concernant la protection des travailleurs contre les risques liés à l’exposition à des agents cancérigènes ou mutagènes au travail (sixième directive particulière au sens de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 89/391/CEE du Conseil) (JO 2004, L 158,
p. 50)]. Les titulaires de l’autorisation attestent et justifient la sélection des mesures de gestion des risques et, sur demande, mettent les documents pertinents à disposition des autorités compétentes de l’État membre où l’utilisation autorisée a lieu. »

30 L’article 5 de ladite décision dispose que, en ce qui concerne les catégories d’utilisations 2, 4 et 5, « les utilisateurs en aval incluent dans la notification à l’Agence conformément à l’article 66, paragraphe 1, du règlement [REACH] une explication des fonctionnalités essentielles du trioxyde de chrome énumérées à l’article 1er, paragraphe 1, qui sont nécessaires à leur utilisation, y compris une justification des raisons pour lesquelles ces fonctionnalités essentielles sont nécessaires à
cette utilisation ».

Les conclusions des parties et la procédure devant la Cour

31 Le Parlement demande à la Cour :

– d’annuler l’article 1er, paragraphes 1 et 5, ainsi que les articles 2 à 5, 7, 9 et 10 de la décision attaquée, dans la mesure où ils concernent les autorisations relatives aux utilisations 2, 4 et 5 ainsi qu’à l’utilisation 1 pour ce qui est de la formulation de mélanges pour les utilisations 2, 4 et 5 ;

– à titre subsidiaire, d’annuler la décision attaquée, et

– de condamner la Commission aux dépens.

32 La Commission demande à la Cour :

– à titre principal, de rejeter les conclusions tendant à l’annulation partielle de la décision attaquée ;

– à titre subsidiaire, de rejeter les conclusions tendant à l’annulation de l’intégralité de la décision attaquée ;

– dans l’hypothèse d’une annulation par la Cour de la décision attaquée, d’ordonner le maintien de ses effets, et

– de condamner le Parlement aux dépens.

33 Par acte déposé au greffe de la Cour le 27 mai 2021, l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) a, sur le fondement de l’article 40, deuxième alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’article 130 du règlement de procédure de la Cour, demandé à intervenir dans cette affaire au soutien des conclusions de la Commission. Par ordonnance du 17 septembre 2021, le président de la Cour a fait droit à cette demande.

34 L’ECHA a produit un mémoire en intervention au soutien des conclusions de la Commission.

Sur les conclusions aux fins d’annulation

Sur la recevabilité des conclusions aux fins d’annulation partielle

35 À titre principal, le Parlement demande à la Cour d’annuler l’article 1er, paragraphes 1 et 5, ainsi que les articles 2 à 5, 7, 9 et 10 de la décision attaquée, dans la mesure où ils concernent les autorisations relatives aux utilisations 2, 4 et 5 ainsi qu’à l’utilisation 1 pour ce qui est de la formulation de mélanges pour les utilisations 2, 4 et 5.

36 Il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour que l’annulation partielle d’un acte de l’Union n’est possible que dans la mesure où les éléments dont l’annulation est demandée sont divisibles du reste de l’acte. À cet égard, la Cour a itérativement jugé qu’il n’est pas satisfait à cette exigence lorsque l’annulation partielle d’un acte aurait pour effet de modifier la substance de la partie non annulée de cet acte (voir, en ce sens, arrêt du 9 novembre 2017, SolarWorld/Conseil, C‑205/16 P,
EU:C:2017:840, point 38 et jurisprudence citée).

37 En l’occurrence, la décision attaquée se compose d’une collection d’autorisations se rapportant à des utilisations distinctes du trioxyde de chrome et les conclusions présentées par le Parlement à titre principal ne visent à obtenir l’annulation de la décision attaquée qu’en tant qu’elle se rapporte aux autorisations relatives aux utilisations 2, 4 et 5 ainsi qu’à l’utilisation 1 pour ce qui est de la formulation de mélanges pour ces utilisations.

38 En conséquence, l’annulation éventuelle de l’autorisation accordée par la décision attaquée auxdites utilisations n’affecterait pas l’autorisation délivrée aux autres utilisations et ne modifierait donc pas la substance de la partie non annulée de cette décision.

39 Dans ces conditions, les conclusions présentées par le Parlement à titre principal et tendant à obtenir l’annulation partielle de la décision attaquée concernent des éléments divisibles du reste de cette décision et sont, dès lors, recevables.

Sur le fond

Observations liminaires

40 Il y a lieu de rappeler que l’autorisation d’une substance inscrite à l’annexe XIV du règlement REACH, à l’instar du trioxyde de chrome, peut être accordée dans deux hypothèses, à savoir :

– en application de l’article 60, paragraphe 2, du règlement REACH, lorsque le risque que représente son utilisation pour la santé humaine ou pour l’environnement est valablement maîtrisé ;

– ou, à défaut, en application de l’article 60, paragraphe 4, de ce règlement, s’il est démontré que les avantages socio-économiques l’emportent sur les risques qu’entraîne l’utilisation de la substance pour la santé humaine ou l’environnement et s’il n’existe pas de substances ou de technologies de remplacement appropriées.

41 En l’espèce, la Commission a estimé que le risque pour la santé humaine des utilisations du trioxyde de chrome envisagées n’était pas valablement maîtrisé et s’est fondée en conséquence sur l’article 60, paragraphe 4, du règlement REACH pour autoriser, par la décision attaquée, certaines utilisations de cette substance.

42 À l’appui de son recours, le Parlement soulève un moyen unique, tiré de ce que la Commission n’aurait pas suffisamment vérifié le respect des conditions imposées à l’article 60, paragraphes 4 et 7, du règlement REACH.

43 À cet égard, la Cour a jugé, en premier lieu, qu’il résulte de l’article 60, paragraphe 4, du règlement REACH, lu conjointement avec son considérant 69, que c’est au demandeur de l’autorisation qu’il incombe d’établir que les conditions prévues à cet article pour l’octroi de l’autorisation sont réunies (voir, en ce sens, arrêt du 25 février 2021, Commission/Suède, C‑389/19 P, point 33).

44 L’article 62, paragraphe 4, du règlement REACH précise les informations que le demandeur de l’autorisation doit fournir lors de l’introduction de sa demande d’autorisation. Ainsi, en vertu du point d) de cette disposition, cette demande doit être accompagnée d’un rapport sur la sécurité chimique qui, établi conformément à l’annexe I de ce règlement, porte sur les risques qu’implique pour la santé humaine ou l’environnement l’utilisation de la substance en cause en raison de ses propriétés
intrinsèques telles que décrites à l’annexe XIV dudit règlement.

45 En vertu du point 5.2.4 de cette annexe I, l’estimation des niveaux d’exposition pour l’ensemble des populations humaines (travailleurs, consommateurs et personnes soumises à une exposition indirecte à travers l’environnement), effectuée dans le rapport sur la sécurité chimique, doit prendre appui, en particulier, sur des « données sur l’exposition, représentatives et mesurées de manière adéquate ».

46 En second lieu, la Cour a également jugé que l’article 60, paragraphes 4 et 5, du règlement REACH charge la Commission de vérifier que les conditions énoncées à l’article 60, paragraphe 4, sont effectivement remplies. Si, à l’issue de son examen et au vu de l’ensemble des éléments fournis par le demandeur et par d’autres personnes ou recueillis par elle-même, la Commission considère que le demandeur n’apporte pas la preuve dont la charge lui incombe, cette institution doit refuser l’autorisation
demandée (voir, en ce sens, arrêt du 25 février 2021, Commission/Suède, C‑389/19 P, point 33).

47 La Commission est assistée dans l’exercice de cette compétence par l’ECHA dont l’article 64 du règlement REACH prévoit que deux comités – le CER et le CASE – rendent chacun un avis sur la demande d’autorisation.

48 Ainsi, s’agissant du CER, l’article 64, paragraphe 4, sous a), de ce règlement prévoit que celui-ci apprécie le « risque qu’entraînent pour la santé humaine et/ou l’environnement l’utilisation ou les utilisations de la substance, ainsi que le caractère approprié et l’efficacité des mesures de gestion des risques, telles qu’elles sont décrites dans la demande et, le cas échéant, une évaluation des risques qu’entraînent les éventuelles solutions de remplacement ». Quant au CASE, celui-ci doit
procéder, en vertu de l’article 64, paragraphe 4, sous b), dudit règlement, à « une évaluation des facteurs socio-économiques et de la disponibilité, du caractère approprié et de la faisabilité technique des solutions de remplacement liés à l’utilisation ou aux utilisations de la substance, telles qu’elles sont décrites dans la demande, lorsque cette dernière est faite conformément à l’article 62, et la contribution de tout tiers soumise conformément au paragraphe 2 du présent article ».

Sur la première branche du moyen unique

– Argumentation des parties

49 Par la première branche de son moyen unique, le Parlement soutient que la Commission a violé l’article 60, paragraphe 4, du règlement REACH en autorisant des utilisations d’une substance extrêmement préoccupante, à savoir le trioxyde de chrome, sans être préalablement parvenue à une évaluation concluante du risque pour la santé humaine que comportent ces utilisations. Dans ces conditions, la Commission n’aurait pas été en mesure de s’assurer que « les avantages socio-économiques l’emportent sur
les risques qu’entraîne l’utilisation de la substance pour la santé humaine ou l’environnement », comme le requiert ladite disposition.

50 Le Parlement rappelle que l’article 62, paragraphe 4, sous d), du règlement REACH exige qu’une demande d’autorisation comporte « un rapport sur la sécurité chimique, établi conformément à l’annexe I couvrant les risques qu’entraîne pour la santé humaine et/ou l’environnement l’utilisation de la ou des substances », et que le point 5.2.4 de cette annexe prévoit que l’estimation de l’exposition tient compte, notamment, « des données sur l’exposition, représentatives et mesurées de manière
adéquate ».

51 Or, il ressortirait des avis du CER, dont les considérants 10 et 11 de la décision attaquée rapportent les conclusions, que les informations fournies par les demandeurs pour les utilisations 1, 2, 4 et 5 seraient peu représentatives, compte tenu du nombre réduit de données d’exposition mesurées, et d’une fiabilité incertaine, particulièrement en ce qui concerne l’exposition des travailleurs, en l’absence d’informations suffisantes sur les conditions d’exploitation, les mesures de gestion des
risques et les valeurs d’exposition pour des tâches et des sites spécifiques.

52 D’ailleurs, ainsi qu’il ressortirait du considérant 12 de la décision attaquée, la Commission aurait décidé, sur la recommandation expresse du CER, d’imposer des conditions supplémentaires et des modalités de surveillance. Ainsi l’article 2, paragraphe 2, de la décision attaquée aurait subordonné la délivrance des autorisations à la condition que leurs titulaires fournissent, dans le rapport d’examen, des données essentielles, telles que les scénarios d’exposition et les mesures de gestion des
risques afférentes, qui feraient défaut dans l’évaluation des risques. Une telle condition démontrerait que la Commission ne pouvait pas déterminer de manière fiable et conclusive si « les avantages socio-économiques l’emportent sur les risques qu’entraîne l’utilisation de la substance pour la santé humaine ou l’environnement ».

53 En défense, la Commission fait valoir que toute évaluation scientifique comporte par nature des incertitudes. En dépit des incertitudes mentionnées par la partie requérante, telles qu’elles ont déjà été constatées dans l’avis du CER et également pleinement reconnues dans les considérants de la décision attaquée, la Commission considère que les demandeurs ont satisfait à la charge de la preuve qui leur incombait. Elle estime avoir été en mesure d’apprécier le fait que les avantages
socio-économiques l’emportaient sur les risques pour la santé humaine.

54 En ce qui concerne les incertitudes concernant l’exposition des travailleurs, la Commission fait observer, en premier lieu, que, malgré la quantité limitée de données d’exposition mesurées contenues dans le rapport sur la sécurité chimique, le CER a considéré que les données fournies étaient suffisantes pour réaliser l’évaluation et pour permettre au CASE de procéder à la mise en balance des avantages par rapport aux risques, ainsi qu’il a été noté au considérant 10 de la décision attaquée.

55 En deuxième lieu, il n’aurait pu être attendu des demandeurs qu’ils fournissent des données d’exposition mesurées concernant plus de 1500 sites d’utilisateurs en aval, le nombre de ceux-ci ne pouvant d’ailleurs pas être connu au moment de l’octroi de l’autorisation.

56 En troisième lieu, le fait que les valeurs d’exposition pertinentes de 2 μg/m3, pour les catégories d’utilisations 2, 4 et 5, et de 0,5 μg/m3, pour la catégorie d’utilisations 1, représenteraient, respectivement, un cinquième et un vingtième des valeurs contraignantes d’exposition professionnelle de l’Union européenne pour les composés du chrome (VI), appliquées conformément à la directive (UE) 2017/2398 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2017, modifiant la directive 2004/37/CE
concernant la protection des travailleurs contre les risques liés à l’exposition à des agents cancérigènes ou mutagènes au travail (JO 2017, L 345, p. 87), montrerait que la décision attaquée contribue à la réduction de l’exposition en améliorant la protection des travailleurs, et serait donc conforme aux objectifs de l’autorisation.

57 En quatrième lieu, le CER aurait également recommandé des conditions et des modalités de surveillance supplémentaires qui auraient été reprises dans la décision attaquée et dont l’objectif serait de réduire encore l’exposition sur le lieu de travail.

58 Eu égard aux incertitudes relevées par le CER et afin de vérifier la solidité du rapport avantages/risques, le CASE, ainsi que la Commission l’aurait expliqué au considérant 15 de la décision attaquée, se serait fondé sur le scénario le plus défavorable, dont il aurait déduit que les avantages de la poursuite de l’utilisation du trioxyde de chrome l’emportaient sur les risques pour la santé humaine.

59 La Commission aurait examiné minutieusement les avis du CER et du CASE et les aurait jugés complets, cohérents et pertinents. Contrairement à ce qu’affirme le Parlement, les exigences en matière de surveillance énoncées à l’article 2, paragraphe 2, de la décision attaquée ne seraient pas destinées à remédier aux « carences de la demande », mais auraient pour but d’obtenir la production d’informations supplémentaires sur l’exposition et les émissions, conformément aux recommandations formulées
dans les avis de l’ECHA. Cette exigence s’inscrirait dans la logique générale du règlement REACH, qui reposerait sur un principe d’amélioration continue et viserait spécifiquement à améliorer la qualité de la réglementation des produits chimiques au fil du temps grâce à la production et à l’amélioration continues des données sur les substances à des fins réglementaires.

60 Dans son mémoire en intervention présenté au soutien des conclusions de la Commission, l’ECHA fait valoir que le CASE a tenu compte des incertitudes qui subsistaient concernant l’exposition des travailleurs en optant pour le scénario le plus défavorable, de sorte que ces incertitudes ne remettraient pas en cause la conclusion de ce comité selon laquelle les avantages socio-économiques des utilisations autorisées l’emportent sur les risques pour la santé humaine.

– Appréciation de la Cour

61 Par la première branche du moyen unique, le Parlement reproche à la Commission d’avoir estimé que les avantages socio-économiques des catégories d’utilisations 1, 2, 4 et 5 du trioxyde de chrome qu’elle a autorisées l’emportent sur les risques qu’entraînent ces utilisations pour la santé humaine, alors qu’elle ne disposait pas, préalablement à son appréciation, d’une évaluation suffisamment complète et fiable de ces risques.

62 En premier lieu, le CER a souligné dans ses avis, ainsi qu’il ressort du considérant 10 de la décision attaquée, le manque de fiabilité des données relatives à l’exposition des travailleurs pour l’ensemble des utilisations en cause, en « l’absence persistante d’informations contextuelles » sur les conditions dans lesquelles elles ont été mesurées.

63 En particulier, dans son avis portant sur la catégorie d’utilisations 2 (chromage fonctionnel), le CER a décrit cette difficulté dans les termes suivants : « [u]ne profonde incertitude résulte de l’absence d’un lien clair entre les conditions d’exploitation, les mesures de gestion des risques et les valeurs d’exposition pour des tâches et des sites spécifiques, qui pourraient représenter la demande de façon justifiée. Le CER estime qu’il s’agit d’une faiblesse notable de la demande, étant donné
qu’il y a de grandes différences entre les sites de chromage en ce qui concerne, par exemple, l’aménagement du bâtiment, l’ampleur et la fréquence des opérations de chromage, le niveau d’automatisation du processus, l’utilisation de l’électrolyse, la taille des parties traitées, et la disponibilité de la ventilation par aspiration localisée, qui se répercutent sur les expositions et les mesures de gestion des risques nécessaires pour limiter l’exposition ».

64 En deuxième lieu, et comme la Commission l’a admis elle-même au considérant 10 de la décision attaquée, le CER a constaté dans ses avis des incertitudes importantes concernant l’exposition des travailleurs, imputables à la disponibilité limitée de données d’exposition mesurées.

65 Ainsi, alors que le nombre de sites potentiels dans l’Union dans lesquels est effectué un chromage fonctionnel (catégorie d’utilisations 2) était estimé par les demandeurs à 1590, ces derniers ont fondé leur évaluation de l’exposition des travailleurs sur des données mesurées par 23 sociétés établies dans 7 États différents, représentant moins de 2 % des sociétés procédant à cette utilisation. De même, tandis que le nombre de sites potentiels dans l’Union procédant à des traitements de surface
(catégories d’utilisations 4 et 5) était estimé par les demandeurs respectivement à 374 et à 515, ces derniers ont fondé leur évaluation de l’exposition des travailleurs sur des données mesurées par 11 entreprises représentant moins de 3 % de sociétés recourant auxdites utilisations et provenant d’études principalement effectuées dans des pays d’Europe occidentale.

66 Il convient, dès lors, de relever que, compte tenu des grandes différences existant entre les sites de chromage sur plusieurs aspects déterminants, évoquées au point 63 du présent arrêt, du faible nombre des sites de chromage dont proviennent les données sur lesquelles les demandeurs ont fondé leur évaluation et de l’absence d’informations contextuelles sur les conditions prévalant dans ces sites, les données d’exposition relatives aux travailleurs fournies par les demandeurs sont dépourvues de
représentativité.

67 En troisième lieu, s’agissant de l’évaluation des risques découlant de l’exposition de la population générale en raison des rejets de la substance dans l’environnement, le CER a regretté que les demandeurs n’aient pas fourni d’évaluation concernant de tels rejets dans les eaux usées. Toutefois, ainsi que le rapporte le considérant 11 de la décision attaquée, ce comité n’a pas estimé cette lacune dirimante, au double motif que les hypothèses retenues par les demandeurs surestimaient
vraisemblablement les risques pesant sur la population générale et que le chrome (VI) se transforme rapidement en chrome non cancérogène (III) dans la plupart des conditions environnementales.

68 Il résulte de ce qui précède que les données transmises par les demandeurs concernant l’exposition au trioxyde de chrome des travailleurs et de la population générale en raison des utilisations pour lesquelles une autorisation était demandée étaient entachées d’un défaut de représentativité, de fiabilité et de complétude. Du reste, aux considérants 10 à 12 de la décision attaquée, la Commission a elle-même admis que l’évaluation de cette exposition au trioxyde de chrome était entachée
d’incertitudes.

69 Certes, ainsi que la Commission le fait valoir à juste titre, toute évaluation scientifique comporte par nature des incertitudes, de sorte qu’on ne saurait en conditionner l’autorité au fait qu’elle serait parvenue à les éliminer complètement.

70 Toutefois, la Commission ne peut délivrer une autorisation demandée au titre de l’article 60, paragraphe 4, du règlement REACH que lorsque les conditions énoncées à cette disposition sont effectivement remplies et que lorsqu’elle estime, après avoir procédé à un examen approfondi et vérifié un nombre suffisant d’informations substantielles et fiables, que les incertitudes demeurant à cet égard sont négligeables (voir, en ce sens, arrêt du 25 février 2021, Commission/Suède, C‑389/19 P,
EU:C:2021:131, points 33 et 35).

71 Or, en l’occurrence, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 124 de ses conclusions, les incertitudes relatives tant à l’exposition des travailleurs qu’à celle, indirecte, de la population en raison des rejets de trioxyde de chrome dans l’environnement n’ont été qualifiées de « négligeables » ni dans la décision attaquée ni dans les avis du CER. Au contraire, au considérant 10 de cette décision, la Commission elle-même a qualifié d’« importantes » les incertitudes concernant
l’exposition des travailleurs. Ainsi que l’a également relevé M. l’avocat général au point 119 de ses conclusions, le CER a même considéré comme une « incertitude majeure », entachant la demande d’une « faiblesse substantielle » pour les quatre catégories d’utilisations concernées, l’absence de lien clair entre les conditions opérationnelles, variables selon les tâches et les sites, les mesures de gestion des risques et les valeurs d’exposition retenues.

72 Par ailleurs, il convient de rappeler que le trioxyde de chrome est au nombre des « substances extrêmement préoccupantes » auxquelles, selon le considérant 69 du règlement REACH, il convient d’accorder, conformément au principe de précaution, une attention particulière. Or, comme l’a relevé en substance M. l’avocat général au point 133 de ses conclusions, une approche permettant d’autoriser des utilisations du trioxyde de chrome en se fondant sur un nombre très limité de données relatives à ces
utilisations serait manifestement contraire à l’objectif de traiter cette substance avec une attention particulière.

73 La Commission conteste néanmoins l’importance des incertitudes entachant l’évaluation des risques en faisant valoir, en premier lieu, qu’il ne pouvait être exigé des demandeurs qu’ils fournissent des données d’exposition sur tous les sites concernés par la demande d’autorisation, compte tenu de leur nombre très élevé. À titre d’illustration, la Commission indique que ce nombre s’élève, en ce qui concerne la catégorie d’utilisations 2 (chromage fonctionnel), à plus de 1500.

74 Il est vrai, comme le souligne la Commission, que la possibilité pour les opérateurs en amont, généralement des fabricants ou des importateurs de la substance, de présenter une demande pour toute la chaîne d’approvisionnement présente l’avantage de rationaliser le système d’autorisation et que cet avantage serait compromis s’il était exigé des demandeurs qu’ils fournissent des données concernant tous les sites des utilisateurs en aval.

75 Il reste que l’annexe I, point 5.2.4, du règlement REACH impose au demandeur de l’autorisation de fournir « des données sur l’exposition, représentatives et mesurées de manière adéquate ».

76 À cet égard, s’agissant de l’argumentation de la Commission selon laquelle le faible nombre de sites évalués se justifierait par le nombre très élevé des sites pour lesquels l’autorisation était demandée, il y a lieu de relever, ainsi que l’a fait observer M. l’avocat général au point 134 de ses conclusions, que les obligations découlant de la charge de la preuve pesant sur le demandeur ne sauraient dépendre du nombre d’utilisations pour lesquelles l’autorisation est demandée ni du nombre de
sites et d’entreprises potentiellement concernés. En effet, selon une telle approche, le standard de l’évaluation des risques serait d’autant moins élevé que la portée de la demande serait plus large, ce qui méconnaîtrait à la fois le principe de l’égalité de traitement des demandeurs et l’objectif de protection de la santé humaine et de l’environnement.

77 En deuxième lieu, la Commission fait valoir que, en tout état de cause, la décision attaquée contribuerait à réduire l’exposition au trioxyde de chrome en améliorant la protection des travailleurs. En effet, les valeurs d’exposition pertinentes des utilisateurs seraient de 2 μg/m3 pour les catégories 2, 4 et 5, et de 0,5 μg/m3 pour la catégorie 1, ce qui représenterait respectivement un cinquième et un vingtième des valeurs obligatoires d’exposition professionnelle de l’Union pour les composés du
chrome (VI) actuellement appliquées en vertu de la réglementation en vigueur.

78 Toutefois, le CER a indiqué dans ses avis que la valeur d’exposition de 2 μg/m3 n’était qu’une estimation des demandeurs, que les données disponibles montraient des variations d’exposition, y compris d’un ordre de grandeur supérieur à 2 μg/m3, et qu’il « n’approuv[ait] manifestement pas les expositions de 2 μg/m3 Cr(VI) proposées par les demandeurs comme étant sûres ».

79 En tout état de cause, le fait que les valeurs d’exposition des travailleurs seraient inférieures aux valeurs maximales d’exposition au chrome (VI), à le supposer établi, n’aurait pas été de nature à dispenser les demandeurs d’effectuer une évaluation des risques conforme aux exigences de l’article 60, paragraphe 4, du règlement REACH, lu en combinaison notamment avec l’annexe I, point 5.2.4, de ce règlement, sur la base de données fiables et représentatives.

80 En troisième lieu, la Commission souligne qu’elle a tenu compte des incertitudes de l’évaluation des risques en édictant, sur la recommandation du CER, des conditions et des modalités de surveillance supplémentaires afin de réduire encore davantage l’exposition des travailleurs au trioxyde de chrome.

81 À cet égard, il est vrai que l’article 2 de la décision attaquée prévoit une série d’obligations à la charge des titulaires de l’autorisation et des utilisateurs en aval. Ainsi, les titulaires de l’autorisation doivent élaborer des scénarios d’exposition spécifiques pour les processus, les opérations et les tâches particulières (paragraphe 2) ; ils doivent mettre les scénarios d’exposition spécifiques à la disposition des utilisateurs en aval, lesquels sont tenus d’appliquer sans retard indu les
mesures de gestion des risques et les conditions d’exploitation prévues par ces scénarios (paragraphe 3) ; ils doivent vérifier et valider les scénarios d’exposition spécifiques au moyen d’une analyse des tâches fondée sur les données sur l’exposition et les émissions mesurées par les utilisateurs en aval (paragraphe 4). Les détenteurs de l’autorisation et les utilisateurs en aval doivent mettre en œuvre des programmes de surveillance qui sont représentatifs des conditions opérationnelles et des
mesures de gestion des risques (paragraphe 6). Les utilisateurs en aval doivent mettre à la disposition de l’ECHA les informations recueillies au moyen de ces programmes de surveillance, en vue de la transmission de ces informations aux titulaires de l’autorisation, pour la vérification et la validation des scénarios d’exposition (paragraphe 9).

82 Toutefois, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence rappelée au point 70 du présent arrêt, la Commission doit vérifier que les conditions énoncées à l’article 60, paragraphe 4, du règlement REACH sont effectivement remplies avant d’accorder une autorisation au titre de cette disposition.

83 Or, si les conditions et les modalités de suivi supplémentaires édictées par la Commission à l’article 2, paragraphe 2, de la décision attaquée peuvent, le cas échéant, réduire l’exposition au risque des utilisateurs du trioxyde de chrome, de telles mesures ne sont, en revanche, pas de nature à pallier l’insuffisance de l’évaluation des risques à la date d’adoption de cette décision.

84 Il ressort de tout ce qui précède que, par la décision attaquée, la Commission a autorisé des utilisations du trioxyde de chrome sur la base d’une évaluation de leurs risques pour la santé humaine trop lacunaire pour satisfaire aux exigences de l’article 60, paragraphe 4, du règlement REACH.

85 Partant, le Parlement est fondé à soutenir que la Commission n’était pas en mesure de conclure que les avantages socio-économiques de ces utilisations l’emportent sur les risques qu’elles entraînent pour la santé humaine.

86 La première branche du moyen unique doit, dès lors, être accueillie.

Sur la deuxième branche du moyen unique

– Argumentation des parties

87 Par la deuxième branche de son moyen unique, le Parlement soutient que la Commission a manqué à son obligation de vérifier qu’il n’existait pas de solution de remplacement appropriée pour les catégories d’utilisations autorisées 2, 4 et 5, comme l’exige l’article 60, paragraphe 4, du règlement REACH.

88 En effet, ainsi qu’il ressort du considérant 18 de la décision attaquée, la Commission elle-même aurait souscrit à la conclusion du CASE portant sur les catégories d’utilisations 2, 4 et 5, selon laquelle, en raison de la portée très large des utilisations figurant dans la demande, celui-ci ne pouvait pas exclure une possible incertitude en ce qui concerne la faisabilité technique de solutions de remplacement pour un nombre restreint d’applications spécifiques.

89 Certes, afin d’assurer que l’autorisation ne couvre que les utilisations pour lesquelles aucune alternative appropriée n’est disponible, la Commission aurait décidé de restreindre la portée de l’autorisation pour les catégories 2, 4 et 5 en insérant une référence aux « fonctionnalités essentielles nécessaires pour l’utilisation prévue », ainsi qu’il ressortirait des considérants 19 et 20 de la décision attaquée. Ainsi, cette décision établirait une liste de fonctionnalités essentielles pour
chacune de ces trois catégories d’utilisations et n’autoriserait l’utilisation de la substance que si, et dans la mesure où, l’une au moins des fonctionnalités essentielles correspondantes est nécessaire pour cette utilisation.

90 La Commission aurait alors considéré que les demandeurs s’étaient acquittés de la charge de la preuve en démontrant l’absence de solutions de remplacement appropriées pour les catégories d’utilisations 2, 4 et 5 uniquement dans ces limites.

91 Toutefois, selon le Parlement, la référence à ces « fonctionnalités essentielles nécessaires pour l’utilisation prévue » n’était pas de nature à remédier à l’incertitude constatée par la Commission elle-même. Du reste, le Tribunal aurait expressément jugé que la possibilité d’assortir une autorisation de certaines conditions, telles que celles prévues à l’article 60, paragraphe 8 et paragraphe 9, sous d), du règlement REACH, ne permet pas à la Commission de remédier aux carences de l’analyse des
solutions de remplacement présentée par les demandeurs ou aux insuffisances ou lacunes de l’évaluation de la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 7 mars 2019, Suède/Commission, T‑837/16, EU:T:2019:144, points 81 à 83).

92 De plus, la Commission se serait abstenue de vérifier elle-même l’indisponibilité de solutions de remplacement appropriées, ainsi que le confirmeraient le considérant 27 et l’article 5 de la décision attaquée. En effet, cet article imposerait aux utilisateurs en aval d’inclure dans la notification envoyée à l’ECHA, conformément à l’article 66, paragraphe 1, du règlement REACH, une explication des fonctionnalités essentielles énumérées à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée qui
sont nécessaires à leur utilisation, y compris une justification de leur nécessité pour cette utilisation.

93 Cette exigence d’information démontrerait que, même dans la limite de l’autorisation supposément restreinte au moyen de l’exigence relative aux « fonctionnalités essentielles nécessaires pour l’utilisation prévue », il subsisterait une incertitude quant à l’inexistence de solutions de remplacement appropriées s’agissant des catégories d’utilisations 2, 4 et 5. L’article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée, lu à la lumière de son article 5, confierait aux utilisateurs en aval la tâche
d’expliquer les fonctionnalités essentielles énumérées dans cette décision et de justifier a posteriori que l’une de ces fonctionnalités est effectivement nécessaire pour les utilisations prévues.

94 En outre, l’insertion de la référence aux « fonctionnalités essentielles » ne constituerait pas une véritable restriction du champ d’application de l’autorisation. En effet, dès lors que la Commission n’aurait pas établi dans la décision attaquée quand et dans quelles circonstances ces « fonctionnalités essentielles » sont nécessaires pour les utilisations en cause, cette référence ne ferait que rappeler l’une des exigences générales de l’article 60, paragraphe 4, du règlement REACH, à savoir que
la substance ne peut être autorisée que si elle est nécessaire pour l’utilisation prévue. Cette restriction serait d’autant plus dépourvue de portée que les « fonctionnalités essentielles » énumérées à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée seraient en réalité toutes les fonctionnalités du trioxyde de chrome pour les catégories d’utilisations 2, 4 et 5.

95 En défense, la Commission estime qu’elle a satisfait à son obligation de vérifier qu’il n’existait pas de solution de remplacement appropriée pour les utilisations autorisées, comme l’exige l’article 60, paragraphe 4, du règlement REACH.

96 La Commission expose que, si elle a été en mesure de constater de manière fiable qu’il n’existait pas de solution de remplacement appropriée pour l’ensemble des utilisations des catégories 2, 4 et 5, telles que définies dans la demande, il n’en pouvait être de même pour chaque utilisation en aval visée par la demande. C’est pourquoi elle aurait énuméré les « fonctionnalités essentielles » de la substance qu’aucune solution de remplacement ne pouvait offrir et n’aurait autorisé que les
utilisations pour lesquelles ces « fonctionnalités essentielles » étaient nécessaires.

97 Ainsi, la portée de la décision attaquée serait limitée par des critères objectifs, tels que la résistance à la corrosion, l’adhérence, la sécurité alimentaire, permettant de déterminer son champ d’application. Les utilisateurs en aval ou les autorités compétentes ne devraient en aucun cas procéder à une nouvelle évaluation de la substance ou des solutions de remplacement, ni faire une quelconque comparaison entre elles. La nécessité de la substance pour toutes les catégories d’utilisation en
aval serait établie par la décision attaquée.

98 La décision attaquée ne constituerait donc qu’une autorisation partielle des utilisations du trioxyde de chrome faisant l’objet de la demande, ainsi qu’il ressortirait clairement de son article 1er, paragraphes 2 à 4. Tous les utilisateurs en aval qui entendent utiliser la substance faisant l’objet de l’autorisation devraient déclarer à l’ECHA les utilisations qu’ils en font au titre de cette autorisation et indiquer la ou les fonctionnalités essentielles de la substance qui sont techniquement
nécessaires à leurs activités, et en expliquer la raison. Les autorités compétentes, qui ont accès au registre des utilisateurs en aval de l’ECHA, seraient tenues par le règlement REACH de veiller à ce que celui-ci soit mis en œuvre et appliqué de façon appropriée.

99 La Commission indique qu’elle n’a pas procédé à une évaluation distincte des solutions de remplacement pour chaque utilisateur en aval ou produit, car cette tâche aurait nécessité des milliers, voire des millions, d’évaluations distinctes, selon le degré de spécificité, ce que le règlement REACH n’exigerait nullement, pas même de manière implicite.

100 De plus, si la Cour devait exiger une évaluation des utilisations en aval couvertes par une demande d’autorisation qui soit plus détaillée et spécifique qu’elle ne l’est actuellement, l’ensemble du processus de demande et d’évaluation deviendrait beaucoup plus complexe qu’il ne l’est déjà. Cette exigence irait à l’encontre de l’objectif du règlement REACH consistant à promouvoir la compétitivité de l’industrie de l’Union, en tenant compte particulièrement de l’incidence potentielle sur les PME,
ainsi que le rappelle le considérant 8 de ce règlement REACH. Elle méconnaîtrait aussi le fait que ledit règlement a également pour objectif, comme le souligne son article 55, le remplacement progressif des substances extrêmement préoccupantes par d’autres substances ainsi que l’introduction continue de nouvelles substances dans le système d’autorisation et l’affinement des mesures règlementaires au fil du temps, notamment au moyen de réexamens réguliers des autorisations accordées.

101 En outre, une conception plus exigeante de l’évaluation des solutions de remplacement excéderait les capacités administratives de l’ECHA et obligerait à limiter le nombre de substances soumises à autorisation. L’article 58, paragraphe 3, du règlement REACH prévoirait d’ailleurs explicitement que « [l]e nombre de substances incluses dans l’annexe XIV et les dates fixées en application du paragraphe 1 tiennent également compte de la capacité de l’Agence à traiter les demandes dans les délais
prévus ». La multiplication des évaluations des solutions de remplacement aurait pour effet de bloquer la désignation de nouvelles substances extrêmement préoccupantes, entraînant une hyper-règlementation d’un petit nombre de substances. Cela entraînerait le remplacement de certaines substances par d’autres moins réglementées, qui sont moins connues et pour lesquelles il existe moins de données, et accélérerait uniquement le remplacement des substances extrêmement préoccupantes inscrites à
l’annexe XIV du règlement REACH.

102 Enfin, la Commission indique qu’il convient de ne pas interpréter ce règlement d’une façon statique. Conformément au principe de progressivité, l’évaluation discrétionnaire de la Commission devrait devenir plus exigeante avec le temps. L’approche de l’évaluation des demandes d’autorisation mise en œuvre par la Commission et l’ECHA serait le fruit de nombreuses années d’expérience dans la gestion du système d’autorisation et reposerait sur un équilibre très délicat entre les considérations
d’ordre scientifique et socio-économique, ainsi que sur les multiples objectifs poursuivis par ledit règlement, en mettant toujours l’accent sur l’objectif de protection de la santé humaine et de l’environnement.

103 Dans son mémoire en intervention, l’ECHA souligne que la Commission ne s’en est remise à aucune appréciation subjective des utilisateurs en aval en ce qui concerne l’absence de solution de remplacement appropriée, ces derniers étant uniquement tenus de fournir aux autorités de contrôle des informations démontrant que, en raison d’exigences techniques objectives ou de normes réglementaires, l’utilisation du trioxyde de chrome est nécessaire.

– Appréciation de la Cour

104 Par la deuxième branche du moyen unique, le Parlement soutient que la Commission a manqué à son obligation de vérifier la seconde condition prévue à l’article 60, paragraphe 4, du règlement REACH pour les catégories d’utilisations autorisées 2, 4 et 5, à savoir l’absence de solution de remplacement appropriée pour ces utilisations.

105 À cet égard, il ressort du considérant 12 du règlement REACH que cette condition répond à un objectif important du système établi par ce règlement, qui est d’inciter et, dans certains cas, de veiller à ce que les substances très préoccupantes soient remplacées à terme par des substances ou des technologies moins dangereuses lorsque des solutions de remplacement appropriées économiquement et techniquement viables existent.

106 Ainsi qu’il a été rappelé au point 46 du présent arrêt, l’article 60, paragraphes 4 et 5, du règlement REACH charge la Commission de vérifier que ladite condition, à l’instar de la première condition prévue à l’article 60, paragraphe 4, de ce règlement, est effectivement remplie.

107 Il convient de rappeler également que la Commission est assistée à cette fin par l’ECHA et, en particulier, par le CASE, qui doit rendre un avis portant notamment sur la disponibilité, le caractère approprié et la faisabilité technique des solutions de remplacement.

108 En l’espèce, le CASE a émis, en ce qui concerne la catégorie d’utilisations 2 ainsi que, en termes presque identiques, les catégories d’utilisations 4 et 5, l’appréciation suivante :

« Les demandeurs ont procédé à une appréciation large des solutions de remplacement, notamment en ce qui concerne l’aspect de la faisabilité technique.

[...]

Toutefois, étant donné la portée extrêmement large de l’utilisation pour laquelle l’autorisation est demandée, le CASE ne saurait exclure l’existence effective d’un nombre limité d’usages dans lesquels la substitution est déjà possible ou le deviendra à court terme. En effet, le CASE ne comprend pas clairement à quel moment des solutions de remplacement pour des usages spécifiques seront éventuellement disponibles. Idéalement, il aurait fallu fournir au CASE une liste exhaustive de tous les
usages/composants relevant de l’utilisation [en cause], afin d’évaluer la faisabilité/non-faisabilité réelle des solutions de remplacement et afin d’assurer que le remplacement ait lieu lorsqu’il était déjà possible. Toutefois, le CASE reconnaît que cela est difficilement faisable pour des demandes d’autorisation d’une portée aussi large et qui [comprennent] donc un nombre aussi élevé de produits. Les demandeurs ont fourni une liste contenant un cadre général des secteurs concernés, des exemples
d’articles à ce sujet et [l’analyse de la question] de savoir si des technologies considérées comme faisables par des tiers, qu’il s’agisse ou non de solutions de remplacement, pouvaient effectivement être appliquées. En raison de la portée large de l’utilisation pour laquelle l’autorisation est demandée et du fait que de nombreux usages relèvent de cette utilisation, cette liste ne saurait être considérée comme exhaustive. Selon les demandeurs, les usages pour lesquels le remplacement est déjà
possible ne relèvent pas, en tout état de cause, de la demande d’autorisation. Toutefois, les demandeurs ne précisent pas quels sont ces usages, ni les exigences techniques qui s’y rapportent. Le CASE estime que l’approche des demandeurs pour trancher cette question n’est pas tout à fait appropriée et il souligne que les demandeurs doivent démontrer de manière plus concrète que la substitution a eu lieu lorsqu’elle était effectivement possible. Cela aurait pu être fait en passant par une
évaluation des solutions de remplacement plus précise et spécifique en ce qui concerne l’utilisation. De manière générale, les demandeurs devraient clarifier quels sont les usages techniques qui relèvent de l’utilisation demandée et quels sont ceux qui ne relèvent pas de celle-ci.

Toutefois, sur la base des informations disponibles, le CASE se rallie à la conclusion des demandeurs selon laquelle, globalement, il semble qu’il n’existait aucune solution de remplacement appropriée pour le trioxyde de chrome avant la date d’échéance. Le CASE tient compte des incertitudes mises en évidence ci-dessus dans le cadre de la recommandation relative à la période de révision et à la condition du rapport de révision. »

109 Au considérant 18 de la décision attaquée, la Commission s’est approprié l’avis du CASE sur ce point dans les termes suivants :

« Dans son avis sur les utilisations 2, 4 et 5, le CASE a conclu qu’il n’existait aucune substance ou technologie de remplacement appropriée. Toutefois, la très grande variété des utilisations recensées dans la demande fait que le CASE n’a pu exclure une possible incertitude en ce qui concerne la faisabilité technique de solutions de remplacement pour un nombre restreint d’applications spécifiques couvertes par la description de ces utilisations. La Commission souscrit à la conclusion du CASE. »

110 Ainsi, la Commission a admis, en faisant siennes les conclusions figurant dans l’avis du CASE, que des incertitudes demeuraient en ce qui concerne l’existence de substances ou de technologies de remplacement appropriées pour certaines applications relevant des utilisations pour lesquelles l’autorisation était demandée.

111 Ainsi qu’il ressort du considérant 19 de la décision attaquée, la Commission a exigé des précisions concernant la description des utilisations 2, 4 et 5 afin que l’autorisation ne couvre que les utilisations pour lesquelles il n’existe aucune solution de remplacement appropriée.

112 C’est pourquoi la Commission a décidé, comme elle l’a exposé au considérant 20 de cette décision, de limiter la portée de l’autorisation aux utilisations pour lesquelles les « fonctionnalités essentielles » du trioxyde de chrome sont nécessaires, ces fonctionnalités étant, par exemple pour le chromage fonctionnel (catégorie 2), la résistance à l’usure, la dureté, l’épaisseur de la couche, la résistance à la corrosion, le coefficient de frottement et l’effet sur la morphologie de la surface.

113 Toutefois, la limitation de la portée de l’autorisation par la référence aux « fonctionnalités essentielles » du trioxyde de chrome n’est pas de nature à garantir le respect de la seconde condition prévue à l’article 60, paragraphe 4, du règlement REACH.

114 En premier lieu, ainsi que l’a relevé M. l’avocat général au point 178 de ses conclusions, il n’est, en effet, pas possible de conclure de ce que l’une des « fonctionnalités essentielles » identifiées dans la décision attaquée est nécessaire à une utilisation donnée à l’absence de substances ou de technologies de remplacement appropriées pour cette utilisation. Ainsi, la limitation de l’autorisation de l’utilisation du trioxyde de chrome aux utilisations pour lesquelles les fonctionnalités
essentielles de cette substance sont nécessaires n’est pas de nature à pallier les incertitudes relatives à l’absence de solutions de remplacement pour certaines utilisations.

115 En deuxième lieu, la référence aux « fonctionnalités essentielles » nécessaires pour l’utilisation prévue, énumérées à l’article 1er, paragraphe 1, de la décision attaquée, ne limite pas réellement le champ d’application de l’autorisation accordée.

116 D’une part, ainsi que le Parlement le soutient dans ses écritures sans être contredit sur ce point, les « fonctionnalités essentielles » énumérées paraissent en réalité recouvrir la totalité des fonctionnalités du trioxyde de chrome pour les catégories d’utilisations 2, 4 et 5.

117 D’autre part, la notion de « fonctionnalité essentielle » n’a pas de contenu objectif, dès lors que le niveau de performance requis pour une telle fonctionnalité n’est pas précisé. Ainsi, la référence à la « dureté » en tant que fonctionnalité essentielle est dépourvue de portée utile puisque le degré de dureté exigé n’est pas spécifié. De même, la référence à la « résistance à la corrosion » ne saurait avoir pour effet de limiter l’autorisation de l’utilisation, dès lors que la durée de cette
résistance et les conditions dans lesquelles elle est requise ne sont pas non plus précisées.

118 Dans ces conditions, la restriction de la portée de l’autorisation qu’est supposée comporter la référence aux « fonctionnalités essentielles » du trioxyde de chrome n’en est pas réellement une, dès lors qu’elle se borne à rappeler une condition de l’autorisation d’une substance extrêmement préoccupante, à savoir que cette substance doit être nécessaire pour l’utilisation prévue (voir, en ce sens, arrêt du 25 février 2021, Commission/Suède, C‑389/19 P, EU:C:2021:131, point 44).

119 En troisième lieu, compte tenu de l’imprécision de la notion de « fonctionnalité essentielle », les limites de l’autorisation qui en découlent peuvent, en tout état de cause, faire difficilement l’objet d’un contrôle effectif.

120 Ce constat est corroboré par l’obligation faite aux utilisateurs en aval par l’article 5 de la décision attaquée de fournir à l’ECHA une explication des fonctionnalités essentielles du trioxyde de chrome nécessaires à l’utilisation qu’ils envisagent, y compris une justification des raisons pour lesquelles ces fonctionnalités essentielles sont nécessaires à cette utilisation.

121 Certes, le considérant 82 du règlement REACH énonce que, « [p]our permettre un suivi et une mise en œuvre efficaces de l’obligation d’autorisation, les utilisateurs en aval bénéficiant d’une autorisation octroyée à leur fournisseur devraient informer l’Agence de l’utilisation qu’ils font de la substance ».

122 Toutefois, en l’occurrence, l’obligation énoncée à l’article 5 de la décision attaquée revient, d’une part, à demander aux utilisateurs en aval de fournir un complément d’information destiné à apprécier la condition d’indisponibilité des solutions de remplacement pour les utilisations considérées, et ce après que ces utilisations ont été autorisées par la Commission. D’autre part, dès lors que la décision attaquée ne précise pas adéquatement, ainsi qu’il a été exposé au point 117 du présent
arrêt, le contenu des « fonctionnalités essentielles », la responsabilité de déterminer si l’utilisation du trioxyde de chrome est nécessaire pour atteindre le niveau de performance requis est transférée de facto aux utilisateurs en aval, ces derniers ayant toute latitude de déterminer le niveau de performance requis et, partant, s’il existe ou non des solutions de remplacement.

123 Or, ainsi qu’il a été rappelé aux points 46 et 82 du présent arrêt, la vérification des conditions prévues à l’article 60, paragraphe 4, du règlement REACH, d’une part, doit intervenir avant la délivrance d’une autorisation au titre de cette disposition et, d’autre part, relève de la seule compétence de la Commission.

124 Il résulte de ce qui précède que la Commission n’était pas en mesure de conclure qu’il n’existe aucune solution de remplacement appropriée pour les utilisations du trioxyde de chrome qu’elle a autorisées par la décision attaquée.

125 Cette conclusion ne saurait être remise en cause au motif, premièrement, qu’elle traduirait un degré d’exigence incompatible, d’une part, avec l’objectif du règlement REACH de promouvoir la compétitivité de l’industrie de l’Union et, d’autre part, avec la capacité de l’ECHA de traiter les demandes d’autorisation dans les délais prévus.

126 En effet, ainsi qu’il ressort du considérant 1 du règlement REACH, les objectifs de ce règlement consistent à assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l’environnement ainsi que la libre circulation des substances dans le marché intérieur tout en améliorant la compétitivité et l’innovation (arrêt du 7 juillet 2009, S.P.C.M. e.a., C‑558/07, EU:C:2009:430, point 35). Par ailleurs, ainsi qu’il résulte du considérant 22 dudit règlement, l’autorisation devrait assurer le bon
fonctionnement du marché intérieur tout en garantissant une bonne maîtrise des risques résultant de substances extrêmement préoccupantes. C’est pourquoi des considérations liées uniquement à la compétitivité de l’industrie de l’Union ne sauraient justifier d’autoriser l’utilisation d’une substance extrêmement préoccupante pour la santé humaine et l’environnement qui ne soit pas strictement nécessaire.

127 Deuxièmement, si le nombre de substances incluses dans l’annexe XIV du règlement REACH doit également tenir compte de la capacité de l’ECHA à traiter les demandes dans les délais prévus, ainsi que le prévoit expressément l’article 58, paragraphe 3, de ce règlement, cette circonstance ne signifie pas, comme M. l’avocat général l’a relevé à juste titre au point 191 de ses conclusions, que les évaluations requises par la procédure d’autorisation d’une substance extrêmement préoccupante pourraient
être effectuées, en raison des limites de cette capacité, de manière moins approfondie que ce qu’exige le principe de précaution, auquel renvoie l’article 1er, paragraphe 3, dudit règlement.

128 La deuxième branche du moyen unique doit, dès lors, être également accueillie.

129 Il s’ensuit que, en autorisant les utilisations 2, 4 et 5 du trioxyde de chrome ainsi que l’utilisation 1 pour ce qui est de la formulation de mélanges pour les utilisations 2, 4 et 5, la Commission a méconnu l’obligation qui lui incombe en vertu de l’article 60, paragraphe 4, du règlement REACH.

130 Il y a donc lieu d’accueillir le moyen unique, sans qu’il soit besoin de statuer sur la troisième branche de celui-ci.

131 Il résulte de tout ce qui précède que l’article 1er, paragraphes 1 et 5, ainsi que les articles 2 à 5, 7, 9 et 10 de la décision attaquée doivent être annulés en tant qu’ils concernent les autorisations relatives aux utilisations 2, 4 et 5 du trioxyde de chrome et l’utilisation 1 pour ce qui est de la formulation de mélanges pour les utilisations 2, 4 et 5.

Sur les conclusions tendant au maintien provisoire des effets de la décision attaquée

Argumentation des parties

132 La Commission sollicite, dans l’intérêt de la protection de la santé humaine, le maintien des effets de la décision attaquée jusqu’à ce qu’une nouvelle décision soit adoptée.

133 Elle expose que l’article 56, paragraphe 1, sous d), du règlement REACH, lu en combinaison avec l’article 58, paragraphe 1, sous c), de ce règlement, prévoit un mécanisme transitoire permettant au demandeur d’une autorisation et à ses utilisateurs en aval de continuer de mettre sur le marché et d’utiliser une substance, même au-delà de la date d’expiration, lorsque l’utilisation est couverte par une demande d’autorisation, à la condition que cette demande ait été introduite au moins 18 mois
avant la date d’expiration et que la Commission n’ait pas encore statué sur la demande d’autorisation.

134 En conséquence, selon la Commission, l’annulation de la décision attaquée, si elle n’était pas assortie du maintien des effets de cette dernière, aurait pour conséquence de permettre aux demandeurs et à leurs utilisateurs en aval de continuer de mettre sur le marché et d’utiliser le trioxyde de chrome pour les utilisations demandées jusqu’à ce que la Commission adopte une nouvelle décision, et ce sans qu’ils soient soumis aux différentes mesures de gestion des risques et de surveillance prévues
par la décision attaquée, et spécifiquement destinées à protéger la santé humaine.

135 Le Parlement ne s’oppose pas à la demande de la Commission.

Appréciation de la Cour

136 Aux termes de l’article 264, second alinéa, TFUE, la Cour peut, si elle l’estime nécessaire, indiquer ceux des effets d’un acte annulé qui doivent être considérés comme définitifs. Pour exercer le pouvoir que lui confère cet article, la Cour prend en compte le respect du principe de sécurité juridique et d’autres intérêts publics ou privés (arrêt du 25 février 2021, Commission/Suède, C‑389/19 P, EU:C:2021:131, point 72 et jurisprudence citée).

137 Il convient, à titre liminaire, de relever que la demande de maintien provisoire des effets de la décision attaquée ne peut concerner que les dispositions visées au point 138 du présent arrêt en tant qu’elles concernent les autorisations relatives aux utilisations 2, 4 et 5 ainsi que l’utilisation 1 pour ce qui est de la formulation de mélanges pour les utilisations 2, 4 et 5.

138 Ainsi qu’il ressort des points 84 et 124 du présent arrêt, la Commission, d’une part, a autorisé des utilisations du trioxyde de chrome sur la base d’une évaluation de leurs risques pour la santé humaine trop lacunaire pour satisfaire aux exigences de l’article 60, paragraphe 4, du règlement REACH et, d’autre part, n’était pas en mesure de conclure qu’il n’existe aucune solution de remplacement appropriée pour les utilisations du trioxyde de chrome qu’elle a autorisées, de sorte que la
Commission aurait dû rejeter la demande.

139 Il n’en demeure pas moins qu’un laps de temps va nécessairement s’écouler entre la date de prononcé du présent arrêt et la décision de rejet adoptée par cette institution. Or, ainsi que l’indique la Commission, selon l’article 56, paragraphe 1, sous d), du règlement REACH, un fabricant, importateur ou utilisateur en aval doit s’abstenir de mettre sur le marché une substance en vue d’une utilisation ou de l’utiliser lui-même si cette substance est incluse à l’annexe XIV, « sauf si la date visée à
l’article 58, paragraphe 1, [sous] c), [i]), a été atteinte et s’il a fait une demande dix-huit mois avant cette date mais qu’aucune décision concernant la demande d’autorisation n’a encore été prise ».

140 Cet article 56, paragraphe 1, sous d), vise ainsi les deux dates auxquelles renvoie l’article 58, paragraphe 1, sous c), i) et ii), du règlement REACH, qui concernent, respectivement, la « date d’expiration », à savoir celle à partir de laquelle la mise sur le marché et l’utilisation de la substance sont interdites, sauf si une autorisation est octroyée, ainsi que la date précédant d’au moins 18 mois la date d’expiration, fixant la limite temporelle dans laquelle les demandes d’autorisation
doivent être reçues, lorsque le demandeur souhaite continuer à utiliser la substance ou à la mettre sur le marché pour certaines utilisations après la date d’expiration. Dans ce dernier cas, la poursuite de ces utilisations est autorisée après la date d’expiration jusqu’à ce qu’il soit statué sur la demande d’autorisation.

141 En ce qui concerne la substance trioxyde de chrome, il ressort de l’annexe XIV du règlement REACH que la date limite pour introduire la demande d’autorisation était le 21 mars 2016, soit 18 mois avant la date d’expiration, fixée au 21 septembre 2017. Or, en l’occurrence, les demandeurs ont introduit leur demande en 2015.

142 Il s’ensuit que, pendant le laps de temps entre le prononcé du présent arrêt et la décision de la Commission tirant les conséquences de cet arrêt, les demandeurs ainsi que les utilisateurs en aval du trioxyde de chrome pourraient utiliser cette substance sans être soumis aux différentes mesures de gestion des risques et de surveillance prévues par la décision attaquée. Il apparaît, dès lors, nécessaire, dans l’intérêt de la protection de la santé humaine, de prévoir le maintien provisoire des
effets de la décision attaquée.

143 Néanmoins, compte tenu des incertitudes entachant la portée de la décision attaquée, ainsi qu’il a été relevé au point 124 du présent arrêt, il ne peut être exclu que celle-ci autorise des utilisations relevant des catégories litigieuses pour lesquelles il existe des solutions de remplacement appropriées et qu’elle expose ainsi la santé humaine, en particulier celle de travailleurs utilisant le trioxyde de chrome, à des risques non justifiés. Dans ces conditions, il y a lieu de de prévoir le
maintien provisoire des effets de la décision attaquée pour une durée ne pouvant excéder un an à compter de la date de prononcé du présent arrêt.

Sur les dépens

144 Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens.

145 Le Parlement ayant conclu à la condamnation de la Commission et celle-ci ayant succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens.

  Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) déclare et arrête :

  1) L’article 1er, paragraphes 1 et 5, ainsi que les articles 2 à 5, 7, 9 et 10 de la décision d’exécution C(2020) 8797 de la Commission, du 18 décembre 2020, accordant une autorisation partielle pour certaines utilisations du trioxyde de chrome en vertu du règlement (CE) no 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil (Chemservice GmbH et autres), en tant que ces articles concernent les autorisations relatives aux utilisations 2, 4 et 5 ainsi qu’à l’utilisation 1 pour ce qui est de la formulation
de mélanges pour les utilisations 2, 4 et 5, sont annulés.

  2) Les effets de la décision d’exécution C(2020) 8797 sont maintenus pour une durée ne pouvant excéder un an à compter de la date de prononcé du présent arrêt.

  3) La Commission européenne est condamnée aux dépens.

  Signatures

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( *1 ) Langue de procédure : l’anglais.


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : C-144/21
Date de la décision : 20/04/2023
Type d'affaire : Demande d'intervention
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Recours en annulation – Décision d’exécution C(2020) 8797 – Autorisation de certaines utilisations du trioxyde de chrome – Règlement (CE) no 1907/2006 – Enregistrement, évaluation et autorisation des substances chimiques et restrictions applicables à ces substances – Article 60 – Octroi des autorisations – Obligation de démontrer que les avantages socio-économiques l’emportent sur les risques qu’entraîne l’utilisation de la substance pour la santé humaine ou l’environnement et qu’il n’existe pas de substances ou de technologies de remplacement appropriées – Article 62 – Demandes d’autorisation – Article 64 – Procédure d’adoption des décisions d’autorisation.

Dispositions institutionnelles

Santé publique


Parties
Demandeurs : Parlement européen
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Pitruzzella
Rapporteur ?: Bonichot

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:302

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