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30/03/2023 | CJUE | N°C-27/22

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. M. Campos Sánchez-Bordona, présentées le 30 mars 2023., Volkswagen Group Italia S.p.A. et Volkswagen Aktiengesellschaft contre Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato., 30/03/2023, C-27/22


 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 30 mars 2023 ( 1 )

Affaire C‑27/22

Volkswagen Group Italia SpA,

Volkswagen Aktiengesellschaft

contre

Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato,

en présence de

Associazione Cittadinanza Attiva Onlus,

Coordinamento delle associazioni per la tutela dell’ambiente e dei diritti degli utenti e consumatori (Codacons)

[demande de décision préjudicielle formée par le Consiglio di Stato (Co

nseil d’État, Italie)]

« Renvoi préjudiciel – Droits fondamentaux – Principe ne bis in idem – Sanctions infligées en matière de p...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 30 mars 2023 ( 1 )

Affaire C‑27/22

Volkswagen Group Italia SpA,

Volkswagen Aktiengesellschaft

contre

Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato,

en présence de

Associazione Cittadinanza Attiva Onlus,

Coordinamento delle associazioni per la tutela dell’ambiente e dei diritti degli utenti e consumatori (Codacons)

[demande de décision préjudicielle formée par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie)]

« Renvoi préjudiciel – Droits fondamentaux – Principe ne bis in idem – Sanctions infligées en matière de pratiques commerciales déloyales – Condamnation pénale définitive prononcée dans un État membre – Sanction administrative pécuniaire de nature pénale infligée dans un autre État membre à la même personne pour les mêmes faits – Application du principe ne bis in idem au cumul de procédures de sanctions transfrontalières – Limitation du principe ne bis in idem – Coordination du cumul des procédures
de sanction »

1. Le présent renvoi préjudiciel porte sur l’application transfrontalière de l’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), dans une affaire qui n’est pas liée à la libre circulation des personnes dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

2. Dans l’affaire au principal, les autorités de deux États membres, la République italienne et la République fédérale d’Allemagne, ont engagé des procédures de sanction et infligé des sanctions ( 2 ). Les comportements sanctionnés, qui produisent des effets sur le territoire des deux États (parmi de nombreux autres), sont attribués à un même groupe de sociétés automobiles établies en Allemagne.

3. Dans des litiges de cette nature, le problème concernant l’application des limitations apportées, sur le fondement de l’article 52 de la Charte, au principe ne bis in idem, se pose lorsque les procédures engagées par les autorités de deux États membres ne se déroulent pas de manière suffisamment coordonnée, ce qui conduit au cumul des sanctions.

4. En effet, la Cour a jugé que la coordination des procédures de sanction est une exigence indispensable pour accepter ces limitations. Il convient toutefois de déterminer s’il est possible (et réaliste) de maintenir cette exigence en cas de cumul de procédures de sanction dans deux États membres, menées par des autorités compétentes dans des secteurs d’activité différents, et d’absence de mécanisme légal pour coordonner leurs interventions ( 3 ).

I. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

1. La Charte

5. L’article 50 (« Droit à ne pas être jugé ou puni pénalement deux fois pour une même infraction ») de la Charte dispose :

« Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné dans l’Union par un jugement pénal définitif conformément à la loi. »

6. L’article 52 (« Portée [...]des droits [...] » dispose :

« 1.   Toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui.

[...] »

2. La directive 2005/29/CE

7. Aux termes de l’article 1er de la directive 2005/29/CE ( 4 ) :

« L’objectif de la présente directive est de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur et d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs en rapprochant les dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres relatives aux pratiques commerciales déloyales qui portent atteinte aux intérêts économiques des consommateurs. »

8. L’article 3, paragraphe 4, de cette directive précise :

« En cas de conflit entre les dispositions de la présente directive et d’autres règles communautaires régissant des aspects spécifiques des pratiques commerciales déloyales, ces autres règles priment et s’appliquent à ces aspects spécifiques. »

9. L’article 13 de ladite directive disposait :

« Les États membres déterminent le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales prises en application de la présente directive, et mettent tout en œuvre pour en assurer l’exécution. Les sanctions ainsi prévues doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. »

10. Le même article 13, après sa modification par la directive (UE) 2019/2161 ( 5 ) avec effet au 28 mai 2022, est désormais libellé comme suit :

« 1.   Les États membres déterminent le régime des sanctions applicables aux violations des dispositions nationales adoptées conformément à la présente directive et prennent toutes les mesures nécessaires pour assurer la mise en œuvre de ces sanctions. Ces sanctions doivent être effectives, proportionnées et dissuasives.

2.   Les États membres veillent à ce que les critères suivants, non exhaustifs et indicatifs, soient pris en considération pour l’imposition de sanctions, le cas échéant :

[...]

e) les sanctions infligées au professionnel pour la même infraction dans d’autres États membres dans les affaires transfrontalières pour lesquelles les informations relatives à ces sanctions sont disponibles grâce au mécanisme établi par le règlement (UE) 2017/2394 du Parlement européen et du Conseil [ ( 6 )] ;

[...]

3.   Les États membres veillent à ce que, lorsque des sanctions doivent être imposées conformément à l’article 21 du [règlement 2017/2394], elles comprennent la possibilité soit d’infliger des amendes au moyen de procédures administratives, soit d’engager des procédures judiciaires en vue d’infliger des amendes, ou les deux, le montant maximal de ces amendes correspondant à au moins 4 % du chiffre d’affaires annuel du professionnel dans l’État membre ou les États membres concernés [...]

[...] »

B.   Le droit italien – Le code de la consommation

11. L’article 20, paragraphe 2, du decreto legislativo n. 206 – Codice del consumo, a norma dell’articolo 7 della legge 29 luglio 2003, n. 229 (décret législatif no 206 portant code de la consommation en vertu de l’article 7 de la loi no 229, du 29 juillet 2003), du 6 septembre 2005 ( 7 ) dispose :

« Une pratique commerciale est considérée comme déloyale si elle est contraire à la diligence professionnelle et fausse ou est susceptible de fausser dans une mesure appréciable le comportement économique, par rapport au produit, du consommateur moyen qu’elle touche ou auquel elle s’adresse ou bien du membre moyen du groupe particulier de consommateurs ciblé par cette pratique. »

12. L’article 20, paragraphe 4, du code de la consommation identifie deux catégories de pratiques déloyales : les pratiques trompeuses (visées aux articles 21, 22 et 23 de ce code) et les pratiques agressives (visées aux articles 24, 25 et 26 dudit code).

13. L’article 27, paragraphe 9, du code de la consommation dispose :

« Outre la mesure d’interdiction de la pratique commerciale déloyale, l’[AGCM] décide de l’application d’une sanction administrative pécuniaire de 5000 euros à 5000000 euros, compte tenu de la gravité et de la durée de la violation. En cas de pratiques commerciales déloyales au sens de l’article 21, paragraphes 3 et 4, la sanction ne peut être inférieure à 50000 euros. »

II. Les faits, le litige et les questions préjudicielles

14. Par décision no 26137 du 4 août 2016, l’AGCM a infligé à Volkswagen Group Italia SpA et à Volkswagen Aktiengesellschaft (ci‑après, respectivement, « VWGI » et « VWAG ») une sanction pécuniaire de cinq millions d’euros, au motif qu’elles s’étaient rendues coupables de pratiques commerciales déloyales visées à l’article 21, paragraphe 1, sous b), à l’article 23, paragraphe 1, sous d), et à l’article 21, paragraphes 3 et 4, du code de la consommation. Ces dispositions transposent la directive
2005/29 en droit italien.

15. Selon la décision de renvoi, les infractions reprochées à VWGI et VWAG par l’AGCM consistaient en :

– la commercialisation en Italie de véhicules diesel dotés de systèmes visant à fausser la mesure des émissions polluantes, aux fins de leur réception ( 8 ) ;

– la diffusion de messages publicitaires qui, bien que les mesures d’émissions aient été faussées, mettaient en valeur la conformité de ces véhicules aux critères mis en place par la réglementation environnementale.

16. VWGI et VWAG ont attaqué la décision de l’AGCM devant le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional pour le Latium, Italie, ci-après le « TAR Lazio »).

17. En 2018, après que l’AGCM eut adopté sa décision no 26137 de 2016, mais avant que le TAR Lazio ait rendu son jugement, le parquet de Brunswick a notifié à VWAG une décision lui imposant, conformément au Gesetz über Ordnungswidrigkeiten (loi relative aux infractions administratives, ci-après l’« OWiG »), une sanction d’un milliard d’euros ( 9 ).

18. Cette sanction visait, entre autres aspects, les mêmes faits que ceux sanctionnés par l’AGCM. La juridiction de renvoi souligne que les comportements reprochés en Allemagne ont consisté à :

– commercialiser au niveau mondial (10,7 millions de véhicules au total, dont 700000 pour le marché italien) des véhicules dotés de systèmes destinés à fausser la mesure des émissions polluantes pour en permettre la réception ;

– diffuser des messages publicitaires qui, malgré la falsification des mesures d’émissions, déclaraient que ces véhicules étaient particulièrement respectueux de l’environnement.

19. La décision du parquet de Brunswick est devenue définitive le 13 juin 2018, VWAG ayant renoncé à son droit de la contester et ayant, en outre, payé l’amende le 18 juin 2018.

20. Le 3 avril 2019, le TAR Lazio, dans le jugement no 6920/2019, a rejeté le recours de VWGI et de VWAG, malgré le fait que ces deux sociétés aient invoqué la décision du parquet de Brunswick.

21. VWGI et VWAG ont notamment fait mention d’un certain nombre de décisions rendues par des juridictions d’autres États membres, dans lesquelles ces dernières avaient mis fin à des procédures nationales portant sur la falsification des mesures d’émissions, au motif que ces faits avaient déjà été sanctionnés en Allemagne.

22. Le TAR Lazio a rejeté cet argument. Il a jugé que la sanction infligée par l’AGCM reposait sur un fondement juridique distinct de celle infligée en Allemagne et que le principe ne bis in idem ne s’opposait pas à la sanction de l’AGCM.

23. VWGI et VWAG ont interjeté appel du jugement du TAR Lazio devant le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie), qui a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Les sanctions infligées en matière de pratiques commerciales déloyales, en vertu de la réglementation nationale transposant la [directive 2005/29], peuvent-elles être qualifiées de “sanctions administratives de nature pénale” ?

2) L’article 50 de la [Charte] doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui permet de confirmer, dans le cadre d’une procédure juridictionnelle, et de rendre définitive une sanction administrative pécuniaire de nature pénale à l’égard d’une personne morale en raison d’agissements illicites constitutifs de pratiques commerciales déloyales, pour lesquels une condamnation pénale définitive a déjà été prononcée entre‑temps à son encontre dans un autre État
membre, lorsque la seconde condamnation est devenue définitive avant le passage en force de chose jugée d’une décision sur le recours juridictionnel formé contre la première sanction administrative pécuniaire de nature pénale ?

3) Les dispositions de la directive 2005/29, et en particulier l’article 3, paragraphe 4, et l’article 13, paragraphe 2, sous e), de celle-ci, peuvent-elles justifier une dérogation au principe “ne bis in idem” énoncé à l’article 50 de la [Charte] (incorporée par la suite dans le traité sur l’Union européenne, en vertu de l’article 6 TUE) et à l’article 54 de la convention d’application de l’accord de Schengen[, du 14 juin 1985, entre les gouvernements des États de l’Union économique Benelux, de
la République fédérale d’Allemagne et de la République française relatif à la suppression graduelle des contrôles aux frontières communes, signée à Schengen le 19 juin 1990 (JO 2000, L 239, p. 19, ci-après la « CAAS ») ] ? »

III. La procédure devant la Cour

24. La demande de décision préjudicielle a été enregistrée au greffe de la Cour le 11 janvier 2022.

25. L’AGCM, l’association Codacons ( 10 ), VWGI, les gouvernements italien et néerlandais, ainsi que la Commission européenne, ont déposé des observations écrites.

26. L’AGCM, VWGI, les gouvernements italien et néerlandais ainsi que la Commission sont intervenus lors de l’audience du 19 janvier 2023.

IV. Analyse

A.   Recevabilité

27. L’AGCM estime que les questions préjudicielles doivent être déclarées irrecevables pour deux motifs :

– l’article 50 de la Charte et l’article 54 de la CAAS ( 11 ) ne sont pas pertinents dans le cadre de la présente affaire, puisque la réglementation relative à la responsabilité des personnes morales qui a servi de base à la sanction allemande ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union ;

– les faits qui ont conduit à l’adoption des deux sanctions ne sont pas identiques. La décision allemande sanctionne le comportement de VWAG correspondant au manquement, par négligence, à l’obligation de surveiller l’installation d’un dispositif qui permettait de falsifier les tests sur les émissions polluantes de ses véhicules. En revanche, la décision italienne sanctionne VWAG et VWGI au motif qu’elles n’ont pas informé les consommateurs de la présence de ce dispositif sur les véhicules vendus
en Italie.

28. Aucun de ces deux arguments ne me paraît suffisamment convaincant pour déclarer le renvoi préjudiciel irrecevable.

29. S’agissant du premier argument, l’article 51, paragraphe 1, de la Charte énonce que les dispositions de celle-ci s’adressent aux États membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union ( 12 ). Dans la mesure où la décision de l’AGCM repose sur des dispositions du code de la consommation italien portant transposition de la directive 2005/29, il s’agit d’un domaine dans lequel un État membre met en œuvre le droit de l’Union.

30. Cette circonstance suffit à rendre applicable l’article 50 de la Charte, indépendamment du fait que la décision du parquet allemand ait elle aussi été prise – ou non – sur le fondement d’une disposition interne appliquant le droit de l’Union.

31. Par ailleurs, bien que la sanction allemande repose directement sur l’OWiG (loi en principe sans lien avec le droit de l’Union), elle punit en définitive non seulement la simple violation formelle des devoirs de vigilance, mais, indirectement, les violations matérielles de dispositions de droit de l’Union qui régissent la procédure de réception des véhicules ( 13 ). À cet égard, elle met également en œuvre le droit de l’Union et doit, à ce titre, respecter la Charte, et notamment son article 50.

32. Le second motif d’irrecevabilité invoqué par l’AGCM, qui touche davantage au fond du litige qu’aux conditions de recevabilité du renvoi préjudiciel, ne saurait non plus être accueilli.

33. Les faits visés par les procédures de sanction italienne et allemande sont étroitement liés en ce qu’ils concernent, dans les deux cas : a) l’implantation illégale d’un dispositif qui fausse les tests d’émissions, et b) la publicité et la vente de véhicules dans un autre État membre, alors que cette circonstance a été dissimulée.

34. La question de savoir si ce lien est suffisant pour constater l’identité des faits sanctionnés dans les deux procédures est, je le répète, une question qui relève du fond et non des conditions de recevabilité du renvoi préjudiciel.

B.   Observations liminaires

35. Avant de suggérer une réponse à la juridiction de renvoi, j’apporterai deux précisions sur les dispositions qu’elle mentionne dans sa troisième question préjudicielle.

36. Parmi celles-ci, l’article 3, paragraphe 4, et l’article 13, paragraphe 2, sous e), de la directive 2005/29, ainsi que l’article 54 de la CAAS, ne me semblent pas pertinents en l’espèce.

37. S’agissant de l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2005/29 ( 14 ), il découle de cet article, lorsqu’il est lu à la lumière du considérant 10 de cette directive, que celle-ci s’applique lorsqu’il n’existe pas de dispositions de l’Union spécifiques régissant des aspects particuliers des pratiques commerciales déloyales. Cette disposition vise des conflits entre des règles de l’Union et non entre des règles nationales ( 15 ).

38. Cet article est une manifestation du principe de spécialité : la procédure mise en place par la directive 2005/29 est de nature subsidiaire par rapport à d’autres procédures plus spécifiques du droit de l’Union qui sanctionnent des pratiques commerciales déloyales ( 16 ). Il ne s’agit pas d’une règle de droit qui préciserait le principe ne bis in idem, protégé par l’article 50 de la Charte. Cet article vise simplement à prévenir le cumul de procédures régies par des dispositions disparates en
matière de répression des pratiques commerciales déloyales.

39. Quant à l’article 13, paragraphe 2, de la directive 2005/29, il a été ajouté à celle-ci par la directive 2019/2161 ( 17 ) et ne produit ses effets que depuis le 28 mai 2022 ( 18 ). Par conséquent, il n’est pas applicable ratione temporis aux faits sanctionnés dans le litige au principal.

40. En ce qui concerne l’article 54 de la CAAS, la Cour a affirmé que « le principe ne bis in idem énoncé audit article vise à éviter, dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice, qu’une personne définitivement jugée ne soit, par le fait d’exercer son droit de libre circulation, poursuivie pour les mêmes faits sur le territoire de plusieurs États membres » ( 19 ).

41. La présente affaire, bien que portant sur l’application transfrontalière du principe ne bis in idem impliquant des autorités italiennes et allemandes, ne concerne pas la protection de la libre circulation des personnes, qui constitue la raison d’être de l’article 54 de la CAAS.

42. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, j’estime que c’est uniquement à la lumière de l’article 50 de la Charte qu’il convient de répondre à la juridiction de renvoi.

C.   Sur la première question préjudicielle

43. Le Consiglio di Stato (Conseil d’État) souhaite savoir si les sanctions infligées en matière de pratiques commerciales déloyales, en vertu de la réglementation nationale transposant la directive 2005/29, peuvent être qualifiées de « sanctions administratives de nature pénale ». Le montant de ces sanctions peut varier entre 5000 euros et cinq millions d’euros.

44. Le principe ne bis in idem, consacré à l’article 50 de la Charte, interdit un cumul tant de poursuites que de sanctions présentant une nature pénale au sens de cet article pour les mêmes faits et contre une même personne ( 20 ).

45. Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier dans chaque affaire si les poursuites et les sanctions présentent une nature pénale, en appliquant les critères reconnus par la Cour, qui renvoient à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme ( 21 ) (dits « critères Engel ») ( 22 ). La Cour peut toutefois fournir des précisions supplémentaires afin de guider la juridiction nationale dans son interprétation.

46. Ces critères portent sur : i) la qualification juridique de l’infraction en droit interne ; ii) la nature de la sanction, et iii) le degré de sévérité de la sanction que risque de subir l’intéressé ( 23 ).

1. Qualification juridique de l’infraction

47. Le droit italien qualifie d’« administratives » les infractions (de même que la procédure visant à les faire constater) prévues aux articles 21 et 23 du code de la consommation. La sanction pécuniaire applicable, aux termes de l’article 27, paragraphe 9, de ce code, est également de nature administrative.

48. S’agissant de la sanction infligée par le parquet de Brunswick, la juridiction de renvoi n’a pas de doutes quant à sa nature pénale.

49. Une infraction et une sanction désignées comme administratives par le droit interne peuvent néanmoins avoir une nature pénale aux fins qui nous intéressent ici. La Cour a jugé que l’application de l’article 50 de la Charte ne se limite pas aux seules poursuites et sanctions qui sont qualifiées de « pénales » par le droit national, mais s’étend – indépendamment d’une telle qualification en droit interne – à des poursuites et à des sanctions qui doivent être considérées comme présentant une nature
pénale sur le fondement des deux autres critères mentionnés aux points précédents des présentes conclusions ( 24 ).

2. Nature de la sanction

50. S’agissant de la nature de la sanction, il convient de vérifier si celle-ci « poursuit, notamment, une finalité répressive [...]. Il en découle qu’une sanction ayant une finalité répressive présente une nature pénale au sens de l’article 50 de la Charte, et que la seule circonstance qu’elle poursuit également une finalité préventive n’est pas de nature à lui ôter sa qualification de “sanction pénale”. En effet, [...] il est dans la nature même des sanctions pénales qu’elles tendent tant à la
répression qu’à la prévention de comportements illicites. En revanche, une mesure qui se limite à réparer le préjudice causé par l’infraction concernée ne présente pas une nature pénale » ( 25 ).

51. L’article 27, paragraphe 9, du code de la consommation prévoit que la sanction pécuniaire s’ajoute obligatoirement à d’autres mesures prévues aux fins de la répression des pratiques commerciales déloyales, notamment à l’interdiction de poursuivre ces pratiques ou de s’y livrer de nouveau.

52. Selon le gouvernement italien, ce sont ces mesures, et non la sanction pécuniaire visée à l’article 27, paragraphe 9, du code de la consommation, qui sont de nature répressive. La sanction pécuniaire viserait à neutraliser l’avantage concurrentiel obtenu par l’entreprise du fait de son comportement frauduleux envers les consommateurs et à rétablir la concurrence sur le marché, telle qu’elle existait avant la pratique commerciale déloyale.

53. Sous réserve de l’appréciation finale de la juridiction de renvoi, je ne suis pas convaincu par la thèse du gouvernement italien sur ce point. Je suis au contraire d’avis que la sanction pécuniaire visée à l’article 27, paragraphe 9, du code de la consommation est de nature répressive : sa finalité première n’est pas de réparer le préjudice subi par des tiers du fait de l’infraction, mais de sanctionner un comportement illégal ( 26 ).

54. En effet, cet article ne contient aucune indication quant à la nature réparatrice de la sanction, et le montant de celle-ci ne dépend pas des effets de l’infraction sur des tiers.

55. Enfin, il importe peu, pour ce qui nous intéresse dans la présente affaire, que la sanction, en plus de sa finalité répressive, ait une visée préventive, à savoir celle de dissuader les entreprises de se livrer à des pratiques commerciales déloyales.

3. Degré de sévérité de la sanction

56. Le plafond de la sanction prévue à l’article 27, paragraphe 9, du code de la consommation s’élève à cinq millions d’euros, ce qui constitue un montant élevé, qui révèle sa sévérité ( 27 ).

57. Il est vrai qu’une amende de cinq millions d’euros peut ne pas être particulièrement lourde pour une entreprise multinationale ayant un chiffre d’affaires élevé, comme c’est le cas de VWAG ( 28 ).

58. Cette circonstance ne remet toutefois pas en cause la nature fortement répressive de la sanction prévue par la loi. Elle pourrait tout au plus inciter le législateur à augmenter le montant des amendes en cas de pratiques commerciales déloyales, en remplaçant le montant fixe par un autre montant proportionnel au chiffre d’affaires ( 29 ).

59. Par ailleurs, la sévérité de la sanction doit s’apprécier en fonction de ses caractéristiques objectives et non pas de ses effets concrets sur telle ou telle entreprise sanctionnée.

60. Pour conclure, j’estime qu’une sanction administrative telle que celle en cause au principal, dont le montant peut s’élever à cinq millions d’euros, infligée en raison de pratiques commerciales déloyales, présente une nature matériellement pénale au sens de l’article 50 de la Charte.

D.   Sur la deuxième question préjudicielle

61. Le Consiglio di Stato (Conseil d’État) souhaite savoir si l’article 50 de la Charte s’oppose « à une réglementation nationale qui permet de confirmer, dans le cadre d’une procédure juridictionnelle, et de rendre définitive une sanction administrative pécuniaire de nature pénale à l’égard d’une personne morale en raison d’agissements illicites constitutifs de pratiques commerciales déloyales, pour lesquels une condamnation pénale définitive a déjà été prononcée entre‑temps à son encontre dans un
autre État membre, lorsque la seconde condamnation est devenue définitive avant le passage en force de chose jugée d’une décision sur le recours juridictionnel formé contre la première sanction administrative pécuniaire de nature pénale ».

62. Selon la jurisprudence de la Cour, « [l]’application du principe ne bis in idem est soumise à une double condition, à savoir, d’une part, qu’il y ait une décision antérieure définitive (condition “bis”) et, d’autre part, que les mêmes faits soient visés par la décision antérieure et par les poursuites ou les décisions postérieures (condition “idem”) » ( 30 ).

1. En ce qui concerne le « bis »

63. « [P]our qu’une décision judiciaire puisse être regardée comme ayant définitivement statué sur les faits soumis à une seconde procédure, il est nécessaire, non seulement que cette décision soit devenue définitive, mais également qu’elle ait été rendue à la suite d’une appréciation portant sur le fond de l’affaire » ( 31 ).

64. Il ressort des éléments du dossier que la décision du parquet de Brunswick est devenue définitive le 13 juin 2018 et qu’elle a été prise, de façon motivée, après un examen de l’affaire au fond. À cette date, la procédure administrative de sanction italienne avait déjà été engagée, mais n’avait pas été clôturée : la décision de l’AGCM du 4 août 2016 avait fait l’objet d’un appel et n’était pas encore définitive (et ne l’est toujours pas).

65. Bien que les deux procédures se soient en partie déroulées parallèlement dans le temps (elles se sont chevauchées pendant quatre mois, selon les informations fournies lors de l’audience), la sanction infligée par le parquet de Brunswick est devenue définitive avant que les autorités italiennes se soient définitivement prononcées sur les mêmes faits et les mêmes entreprises. Il est sans incidence, à cet égard, que la décision allemande soit devenue définitive, parce que VWAG n’a pas formé de
recours contre cette décision ( 32 ).

66. Il existe donc deux procédures de sanction, dont l’une a abouti à une sanction définitive, de sorte qu’il convient de déterminer si elles portaient ou non sur les mêmes faits et étaient dirigées contre la même personne.

2. En ce qui concerne l’« idem »

67. La thèse prépondérante dans la jurisprudence de la Cour est que l’interdiction de la double condamnation porte sur les mêmes faits matériels (idem factum), compris comme un ensemble de circonstances concrètes indissociablement liées entre elles, indépendamment de la qualification juridique de ces faits (idem crimen).

68. Comme l’indique la juridiction de renvoi, les deux procédures en cause dans le litige concernent la même personne morale (VWAG). Il est vrai que la décision italienne a également affecté VWGI, mais cette circonstance n’est pas nécessairement de nature à rompre l’identité subjective, puisque cette dernière entreprise appartient à la première et se trouve sous son contrôle.

69. En tout état de cause, face aux objections soulevées à cet égard par l’AGCM, c’est le Consiglio di Stato (Conseil d’État) qui devra trancher le débat sur l’identité subjective des entreprises concernées.

70. S’agissant de l’identité objective, l’article 50 de la Charte interdit d’infliger, pour des faits identiques, plusieurs sanctions de nature pénale à l’issue de différentes procédures menées à ces fins ( 33 ).

71. Il ne suffit donc pas qu’il s’agisse de faits similaires : ceux-ci doivent être identiques. L’identité des faits matériels s’entend comme un ensemble de circonstances concrètes découlant d’événements qui sont, en substance, les mêmes, en ce qu’ils impliquent le même auteur et sont indissociablement liés entre eux dans le temps et dans l’espace ( 34 ).

72. Une fois constatée l’identité des faits, leur qualification juridique par le droit national devient secondaire. La différence entre les intérêts juridiques protégés, dans un État ou dans l’autre, est également secondaire aux fins de la constatation de l’existence de la même infraction, dans la mesure où la portée de la protection conférée à l’article 50 de la Charte ne saurait varier d’un État membre à l’autre ( 35 ).

73. Dans les arrêts bpost et Nordzucker, la Cour a confirmé que l’identité des faits (idem factum) prime sur l’identité juridique (idem crimen). Elle l’a affirmé en ce qui concerne les règles sur la libre concurrence, en nuançant sa jurisprudence antérieure en la matière ( 36 ).

74. Lors de l’audience, le gouvernement italien a proposé ( 37 ), lorsque la coordination entre autorités nationales est impossible, de prendre en compte les intérêts généraux protégés par les réglementations des deux États membres concernés afin de déterminer si les faits sont identiques.

75. Il s’agirait, si j’ai bien compris, de revenir à la jurisprudence de la Cour relative à l’application du principe ne bis in idem dans le domaine des règles de concurrence, qui nécessitait l’identité des faits et des intérêts juridiques protégés pour établir l’existence de l’idem. Je considère toutefois que cette thèse est dépassée depuis les arrêts bpost et Nordzucker.

76. Il appartient au Consiglio di Stato (Conseil d’État) de déterminer si, dans la présente affaire, les faits sont identiques d’un point de vue matériel et temporel. Dans sa décision de renvoi, cette juridiction évoque « la similitude, sinon l’identité » des faits sanctionnés, pour ensuite souligner le « caractère analogue des comportements », puisque dans le cadre des deux procédures les agissements sanctionnés concernaient la commercialisation des véhicules avec des dispositifs faussés et la
publicité mettant l’accent sur le respect de la réglementation environnementale ( 38 ).

77. La Cour peut toutefois fournir à la juridiction de renvoi les éléments de réflexion suivants sur ce point :

– l’analyse, détaillée et spécifique, des comportements sanctionnés doit mener à constater leur identité, et non simplement leur similitude ;

– dans l’hypothèse d’un cumul transfrontalier de procédures et de sanctions, l’identité du territoire, facteur qui peut néanmoins servir à d’autres fins, n’est pas indispensable ( 39 ). Ce même facteur permettra d’écarter les soupçons quant au « choix intéressé » de l’autorité de sanction compétente ( 40 ) ;

– le parquet de Brunswick, bien qu’il souligne que le défaut de vigilance est à l’origine des infractions commises par VWAG dans le monde entier entre 2007 et 2015, prend en compte, en tant que faits pertinents, la commercialisation dans d’autres pays (dont l’Italie) de véhicules équipés du système informatique faussant les mesures, ainsi que la publicité trompeuse pour la vente de ces véhicules automobiles ( 41 ) ;

– le lien entre ces trois éléments semble clair, même si la juridiction de renvoi devra décider s’il est suffisant pour conclure que les faits sont identiques. Le parquet de Brunswick indique précisément que sa décision s’oppose, par le jeu du principe ne bis in idem, à l’adoption de sanctions dans d’autres États à l’encontre de VWAG pour ces mêmes comportements ( 42 ).

78. Si la juridiction de renvoi estime, au vu de ces considérations, que l’idem factum est constitué, le cumul des procédures entraînerait, en principe et sous réserve de ce qui sera examiné aux points suivants des présentes conclusions, une violation du droit fondamental garanti à l’article 50 de la Charte ( 43 ).

E.   Sur la troisième question préjudicielle

79. Le Consiglio di Stato (Conseil d’État) cherche à savoir si les dispositions de la directive 2005/29 [en particulier son article 3, paragraphe 4, et son article 13, paragraphe 2, sous e)] peuvent justifier « une dérogation au principe “ne bis in idem” énoncé à l’article 50 de la Charte ».

80. J’ai déjà indiqué ( 44 ) les raisons pour lesquelles j’estime que l’article 3, paragraphe 4, et l’article 13, paragraphe 2, sous e), de la directive 2005/29 ne s’appliquent pas dans la présente affaire. Je me référerai donc uniquement à l’article 50 de la Charte et aux possibilités d’invoquer son article 52, paragraphe 1, première phrase, afin d’admettre une dérogation à ce principe.

81. Selon une jurisprudence constante de la Cour, une limitation du droit fondamental garanti à l’article 50 de la Charte peut être justifiée sur le fondement de l’article 52, paragraphe 1, de celle-ci ( 45 ), sous réserve du respect de certaines conditions : i) elle doit être prévue par la loi ; ii) le contenu essentiel du droit doit être respecté ; iii) elle doit répondre à un motif d’intérêt général ou au besoin de protection d’un droit fondamental, et iv) la limitation doit être conforme aux
principes de nécessité et de proportionnalité.

1. Disposition légale

82. Il appartient à la juridiction nationale de vérifier si, comme il semble ressortir de la décision de renvoi, les interventions du parquet de Brunswick et de l’AGCM sont prévues par la loi.

83. Il semble y avoir peu de doutes à cet égard, étant donné que l’AGCM a appliqué le code de la consommation et le parquet de Brunswick l’OWiG.

2. Respect du contenu essentiel du principe ne bis in idem

84. La juridiction de renvoi ne semble pas non plus nourrir de doutes quant au fait que cette condition est remplie dans le litige dont elle est saisie.

3. Protection d’objectifs d’intérêt général

85. La dérogation au titre de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, à l’interdiction d’être jugé ou puni deux fois pour les mêmes faits doit répondre à un ou plusieurs objectifs d’intérêt général reconnu(s) par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui.

86. Comme je l’ai déjà indiqué dans les présentes conclusions, l’identité des intérêts juridiques protégés par les règles en vertu desquelles les deux sanctions sont imposées n’est plus pertinente pour qualifier l’idem ( 46 ).

87. Toutefois, depuis l’arrêt Menci, ces mêmes intérêts juridiques peuvent être pertinents aux fins de l’application des dérogations fondées sur l’article 52 de la Charte. Il est nécessaire que les dispositions protègent des intérêts généraux complémentaires, mais pas identiques. Si les deux procédures nationales avaient pour objectif de protéger le même intérêt général, elles ne seraient plus complémentaires et leur cumul ne saurait se justifier sur le fondement de l’article 52 de la Charte ( 47 ).

88. Dans la présente affaire, les législations italienne et allemande ne semblent pas poursuivre des objectifs identiques, mais bien complémentaires :

– l’article 130 de l’OWiG vise à ce que les entreprises et leurs salariés agissent dans le respect de la loi et, de ce fait, sanctionne le manquement, par négligence, au devoir de vigilance dans le cadre d’une activité commerciale. Cette finalité vise à répondre à l’objectif d’intérêt général consistant à assurer un bon fonctionnement du marché, analogue à celui admis par la Cour dans certains de ses arrêts ( 48 ) ;

– les dispositions du code de la consommation appliquées par l’AGCM transposent la directive 2005/29. Leur finalité est d’assurer un niveau élevé de protection des consommateurs, conformément à l’article 1er de cette directive, ainsi que de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur.

89. Il s’agit donc d’objectifs complémentaires : le respect du devoir de vigilance des entreprises favorise la protection des droits des consommateurs qui achètent leurs produits. Tous deux, je le répète, obéissent à des considérations d’intérêt général, comme la Cour a eu l’occasion de le confirmer ( 49 ).

4. Proportionnalité et nécessité de la limitation

90. La limitation du principe ne bis in idem au titre de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte doit, en outre, être proportionnée et nécessaire.

91. La Cour a dégagé une jurisprudence générale sur la proportionnalité et la nécessité de la limitation en cause dans la présente affaire, dont je reprends ci‑après certaines des considérations à titre d’exemple :

– le respect du principe de proportionnalité« exige que le cumul de poursuites et de sanctions prévu par une réglementation nationale [...] ne dépasse pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par cette réglementation, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés par celle-ci ne doivent pas être démesurés par rapport
aux buts visés » ( 50 ) ;

– « les autorités publiques peuvent légitimement opter pour des réponses juridiques complémentaires face à certains comportements nuisibles pour la société au moyen de différentes procédures formant un tout cohérent de manière à traiter sous ses différents aspects le problème social en question, pourvu que ces réponses juridiques combinées ne représentent pas une charge excessive pour la personne en cause [...]. Dès lors, le fait que deux procédures poursuivent des objectifs d’intérêt général
distincts qu’il est légitime de protéger de manière cumulée peut être pris en compte, dans le cadre de l’analyse de la proportionnalité d’un cumul de poursuites et de sanctions, en tant que facteur tendant à justifier ce cumul, à condition que ces procédures soient complémentaires et que la charge supplémentaire que représente ledit cumul puisse être justifiée ainsi par les deux objectifs poursuivis » ( 51 ) ;

– quant au caractère strictement nécessaire du cumul, « il convient d’apprécier s’il existe des règles claires et précises permettant de prévoir quels actes et omissions sont susceptibles de faire l’objet d’un cumul de poursuites et de sanctions ainsi que la coordination entre les différentes autorités, si les deux procédures ont été menées de manière suffisamment coordonnée et rapprochée dans le temps et si la sanction le cas échéant infligée à l’occasion de la première procédure sur le plan
chronologique a été prise en compte lors de l’évaluation de la seconde sanction, de telle sorte que les charges résultant, pour les personnes concernées, d’un tel cumul sont limitées au strict nécessaire et que l’ensemble des sanctions imposées corresponde à la gravité des infractions commises » ( 52 ) ;

– « l’invocation d’une telle justification exige qu’il soit établi que le cumul de procédures [...] était strictement nécessaire, en tenant compte dans ce contexte, en substance, de l’existence d’un lien matériel et temporel suffisamment étroit entre les deux procédures en cause » ( 53 ).

92. En définitive, la Cour exige un contrôle du respect des trois critères suivants :

– clarté et précision des dispositions à l’origine du cumul des procédures et des sanctions ;

– coordination des procédures de sanction, qui doivent être liées sur le plan matériel et temporel de manière suffisamment étroite pour réduire à ce qui est strictement nécessaire la charge supplémentaire due au cumul de procédures de nature pénale menées indépendamment les unes des autres ;

– garantie que la sévérité de l’ensemble des sanctions imposées correspond à la gravité de l’infraction.

93. Il appartient, une fois de plus, à la juridiction de renvoi de vérifier, à la lumière de l’ensemble des circonstances, si ces trois critères sont remplis dans le litige en cause au principal. Toutefois, afin de lui fournir une réponse utile, la Cour pourrait lui apporter les précisions suivantes.

a) Clarté et précision des dispositions relatives au cumul des procédures et des sanctions

94. Dans sa décision de renvoi, la juridiction nationale n’énonce pas de dispositions internes, italiennes ou allemandes, qui envisagent spécifiquement la possibilité de mener des procédures simultanées (et les conditions pour ce faire) et d’infliger des sanctions indépendantes pour les mêmes faits, lorsque ceux-ci ont lieu dans deux États membres.

95. Un autre aspect distinct est le fait que tant l’OWiG que les dispositions du code de la consommation italien sur les pratiques commerciales déloyales constituent des bases juridiques solides pour mener des procédures et infliger des sanctions. Comme je l’ai déjà exposé dans les présentes conclusions, la clarté et la précision de ces dispositions ne semblent pas susciter de doutes.

96. Dans cette perspective, VWAG pouvait prévoir et s’attendre à des sanctions dans les deux États membres (et dans d’autres) pour son comportement concernant l’altération des moteurs, la vente de voitures équipées de ces moteurs, ainsi que la publicité qui dissimulait cette altération.

b) Sévérité de l’ensemble des sanctions infligées

97. Il ressort des éléments du dossier que le cumul des sanctions italienne et allemande n’est pas disproportionné par rapport au comportement sanctionné, compte tenu du chiffre d’affaires de VWAG et de l’avantage économique obtenu par cette entreprise multinationale du fait de l’altération des moteurs (estimé à 995 millions d’euros).

98. La sanction infligée par l’autorité allemande est d’un milliard d’euros et celle de l’autorité italienne de cinq millions d’euros. La somme des deux n’apparaît donc pas excessive en vue de la répression du comportement sanctionné.

99. Il est vrai que la sanction allemande comporte une partie strictement « punitive » et une autre partie qui correspond à la neutralisation du bénéfice réalisé par VWAG. Cependant, cette circonstance n’empêche pas qu’il s’agisse d’une sanction de grande ampleur en soi. Il en va de même de la sanction de l’AGCM, qui est la sanction la plus sévère qui pouvait être infligée conformément à la législation italienne transposant la directive 2005/29.

100. En tout état de cause, je le répète, le cumul de sanctions n’apparaît pas disproportionné au regard de la gravité de l’infraction commise et des bénéfices réalisés par VWAG.

c) Coordination des procédures

101. La coordination entre les procédures de sanction italienne et allemande et la preuve d’un lien matériel et temporel suffisamment étroit entre elles suscitent, en l’espèce, un certain nombre de doutes.

102. Je prêterai une attention particulière à ce problème, car, comme je l’ai déjà expliqué dans les présentes conclusions, il me semble qu’il n’y a pas eu de coordination entre les deux procédures menées par le parquet de Brunswick et l’AGCM italienne, à moins que la juridiction de renvoi ne dispose d’informations supplémentaires indiquant le contraire.

103. On pourrait tout au plus accepter qu’il y ait eu un lien matériel entre les deux procédures et qu’elles se soient déroulées de manière proche dans le temps, mais, je le répète, l’exigence de coordination n’a pas été respectée.

104. Certains domaines du droit de l’Union comportent des mécanismes de coordination entre les autorités nationales (entre elles et avec la Commission ou avec un autre organe de l’Union) afin de faciliter la coopération, l’assistance mutuelle et l’échange d’informations, notamment en ce qui concerne l’instruction des procédures de sanction :

– dans le domaine du droit de la concurrence, dans le cadre du réseau européen des autorités de concurrence ( 54 ) ;

– dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale, grâce à l’intervention d’Eurojust ( 55 ).

105. Ces mécanismes facilitent l’application du principe ne bis in idem en évitant le cumul de deux procédures de sanction pour les mêmes faits dans des litiges transfrontaliers impliquant plusieurs États membres ( 56 ).

106. En revanche, dans le présent litige, les autorités nationales dotées de compétences distinctes ne disposaient pas d’un mécanisme de coordination spécifique.

107. Il est vrai que le règlement (CE) no 2006/2004 ( 57 ), applicable au moment des faits, remplacé ensuite par le règlement 2017/2394, prévoit un mécanisme de coopération et de coordination entre les autorités nationales chargées d’appliquer la législation en matière de protection des consommateurs. L’AGCM constitue l’une de ces autorités et pourrait utiliser ce mécanisme, mais tel n’est pas le cas du parquet de Brunswick ( 58 ).

108. En réponse à des questions posées par la Cour, les parties ont fourni, lors de l’audience, les informations suivantes :

– le parquet de Brunswick a tenté, au sein d’Eurojust, d’éviter le cumul des procédures pénales contre VWAG dans plusieurs États membres. À la suite d’une réunion de coordination au siège d’Eurojust à La Haye le 10 mars 2016, seules les autorités belges, espagnoles et suédoises ( 59 ) ont accepté de renoncer aux poursuites pénales en faveur du parquet de Brunswick, mais tel n’a pas été le cas des autorités italiennes. L’AGCM n’est pas intervenue dans cette tentative de coordination des
procédures pénales contre VWAG ;

– le parquet de Brunswick connaissait depuis le 9 août 2016 l’existence de la décision de sanction prise par l’AGCM à l’encontre de VWAG et de VWGI, qui avait été adoptée le 4 août 2016. Ce parquet avait engagé une procédure de sanction à l’encontre de VWAG le 14 avril 2016. Par conséquent, les procédures de sanction en Italie et en Allemagne ont été menées de manière parallèle pendant moins de quatre mois ;

– il n’y a eu aucune coordination entre le parquet de Brunswick et l’AGCM.

109. Quoi qu’il en soit, ce que le présent renvoi préjudiciel met à mon sens en exergue, c’est la difficulté à appliquer la jurisprudence de la Cour admettant des limitations à l’article 50 de la Charte, au titre de son article 52, dans des affaires telles que celle en cause au principal.

110. Plus précisément, il semble difficile de pouvoir satisfaire à l’exigence de coordination dans le cas d’un cumul de procédures et de sanctions, par des autorités nationales de deux États ayant des compétences dans des domaines différents, pour lesquelles le droit de l’Union ne prévoit pas de mécanismes de coordination spécifiques ( 60 ).

111. En outre, la jurisprudence de la Cour relative à l’exigence de coordination entre autorités lorsqu’il y a cumul de procédures et de sanctions pourrait avoir, dans de tels cas, un effet paradoxal :

– les mécanismes de coordination instaurés par le droit de l’Union visent à favoriser le respect du principe ne bis in idem, à savoir éviter qu’une même personne ne soit jugée ou punie pénalement deux fois pour les mêmes faits ;

– en revanche, la jurisprudence de la Cour adopte le critère de la coordination des procédures de sanction, qui doivent présenter un lien matériel et temporel suffisamment étroit, afin de permettre des dérogations à l’exercice du droit fondamental protégé par l’article 50 de la Charte.

112. C’est peut-être pour ces raisons ou pour des raisons analogues que, lors de l’audience, le gouvernement italien a proposé ( 61 ), à titre subsidiaire, de ne pas appliquer l’exigence de coordination, et de vérifier uniquement que le cumul des sanctions est proportionné. La Commission a, elle aussi, invité la Cour à procéder à une interprétation souple de l’exigence de coordination, allant jusqu’à affirmer que le critère de la coordination ne serait pas nécessaire dans des affaires comme celle de
l’espèce ( 62 ).

113. Pour ma part, j’ai peu d’espoir que la Cour revienne sur sa jurisprudence en la matière. Si la Cour n’a pas repris à son compte la position que j’avais défendue dans mes conclusions dans l’affaire Menci (C‑524/15, EU:C:2017:667) ( 63 ), ni les critiques ultérieures de l’avocat général Bobek ( 64 ) concernant le critère retenu dans l’arrêt Menci (réaffirmé par la suite dans les arrêts bpost et Nordzucker), il est peu probable qu’elle le fasse à présent.

114. Trois voies sont donc ouvertes à la Cour :

– soit elle fait abstraction, dans des cas tels que celui de la présente affaire, de l’exigence de coordination entre les procédures de sanction, ce qui continuerait à éroder le contenu de l’article 50 de la Charte, en élargissant le champ d’application des dérogations à cette disposition ;

– soit elle relativise l’exigence d’un tel critère, comme le propose la Commission, ce qui en pratique le dénature ;

– soit elle insiste sur le fait que le cumul de procédures de sanction entre autorités nationales de différents États et dont les domaines de compétence sont distincts est également soumis à l’exigence de coordination, en tant que moyen de justifier la limitation au principe ne bis in idem sur le fondement de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte.

115. Selon moi, la nécessaire cohérence avec la jurisprudence antérieure de la Cour milite en faveur de la troisième solution. C’est également la solution que je propose dans la présente affaire, tant pour cette raison que parce que je considère que l’application de l’article 50 de la Charte prime et que l’article 52, paragraphe 1, de celle-ci ne couvre pas la multiplication de procédures menées et de sanctions appliquées par des autorités nationales relevant de différents domaines à une même
personne pour des faits identiques, en l’absence de coordination suffisante entre les interventions de ces autorités.

V. Conclusion

116. Eu égard aux considérations exposées, je propose à la Cour de répondre à la demande de décision préjudicielle du Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie) de la manière suivante :

L’article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne doit être interprété en ce sens que :

– une sanction administrative pécuniaire, infligée par l’autorité nationale compétente en matière de protection des consommateurs à une personne morale qui s’est rendue coupable de pratiques commerciales déloyales, dont le montant s’élève à cinq millions d’euros, est de nature matériellement pénale, au sens de cette disposition ;

– une sanction administrative pécuniaire de nature matériellement pénale, infligée à une personne morale qui s’est rendue coupable de pratiques commerciales déloyales, porte en principe atteinte à l’article 50 de la charte des droits fondamentaux si cette personne morale a déjà fait l’objet d’une condamnation pénale antérieure pour des faits identiques dans un autre État membre et que cette condamnation est devenue définitive ;

– le droit de ne pas être jugé ou puni pénalement deux fois pour une même infraction ne saurait être limité, sur le fondement de l’article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux, lorsque les procédures menées et les sanctions infligées par des autorités nationales de deux États membres ou plus, compétentes dans des domaines différents, ont été cumulées simultanément sans procéder à une coordination suffisante.

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( 1 ) Langue originale : l’espagnol.

( 2 ) Il s’agit, d’une part, de l’Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato (Autorité garante du respect de la concurrence et des règles du marché, Italie, ci‑après l’« AGCM ») et, d’autre part, du parquet de Brunswick, en Allemagne.

( 3 ) Jusqu’à présent, la Cour a statué sur des affaires concernant le principe ne bis in idem dans lesquelles des sanctions étaient infligées par différentes autorités nationales d’un même État membre (comme celle examinée dans l’arrêt du 22 mars 2022, bpost, C‑117/20, ci-après l’ arrêt bpost , EU:C:2022:202, qui impliquait les autorités belges de régulation des services postaux et de protection de la concurrence). Elle a également statué sur des demandes de décision préjudicielle dans lesquelles
les sanctions émanaient d’autorités nationales de concurrence de deux États membres (arrêt du 22 mars 2022, Nordzucker, C‑151/20, ci-après l’ arrêt Nordzucker , EU:C:2022:203).

( 4 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 11 mai 2005 relative aux pratiques commerciales déloyales des entreprises vis-à-vis des consommateurs dans le marché intérieur et modifiant la directive 84/450/CEE du Conseil et les directives 97/7/CE, 98/27/CE et 2002/65/CE du Parlement européen et du Conseil et le règlement (CE) no 2006/2004 du Parlement européen et du Conseil (« directive sur les pratiques commerciales déloyales ») (JO 2005, L 149, p. 22).

( 5 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 27 novembre 2019 modifiant la directive 93/13/CEE du Conseil et les directives 98/6/CE, 2005/29/CE et 2011/83/UE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne une meilleure application et une modernisation des règles de l’Union en matière de protection des consommateurs (JO 2019, L 328, p. 7).

( 6 ) Règlement du 12 décembre 2017 sur la coopération entre les autorités nationales chargées de veiller à l’application de la législation en matière de protection des consommateurs et abrogeant le règlement (CE) no 2006/2004 (JO 2017, L 345, p. 1).

( 7 ) Supplément ordinaire à la GURI no 235, du 8 octobre 2005, ci‑après le « code de la consommation ».

( 8 ) Il s’agit d’un dispositif implanté sur des véhicules équipés de moteurs Volkswagen dans lesquels avait été installé un logiciel capable de détecter à quel moment le véhicule automobile se trouvait sur un banc d’essai visant à vérifier ses émissions polluantes, de sorte que son fonctionnement soit alors moins polluant, afin de diminuer ainsi les émissions de gaz. Une fois les essais réussis, le véhicule retrouvait le niveau d’émissions qui était le sien dans le cadre de son utilisation
habituelle, bien supérieur à celui légalement autorisé. Ce dispositif est interdit à l’article 5, paragraphe 2, du règlement (CE) no 715/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 20 juin 2007, relatif à la réception des véhicules à moteur au regard des émissions des véhicules particuliers et utilitaires légers (Euro 5 et Euro 6) et aux informations sur la réparation et l’entretien des véhicules (JO 2007, L 171, p. 1). Voir, à cet égard, arrêts du 17 décembre 2020, CLCV e.a. (Dispositif
d’invalidation sur moteur diesel) (C‑693/18, EU:C:2020:1040) ; du 14 juillet 2022, GSMB Invest (C‑128/20, EU:C:2022:570), et du 14 juillet 2022, Porsche Inter Auto et Volkswagen (C‑145/20, EU:C:2022:572).

( 9 ) La décision allemande porte la référence « NZS 411 Js 27840/18 ».

( 10 ) L’association Codacons (Coordinamento delle associazioni per la tutela dell’ambiente e dei diritti degli utenti e consumatori) intervient dans la procédure au principal au soutien des conclusions de l’AGCM.

( 11 ) En vertu de l’article 54 de la CAAS, « [u]ne personne qui a été définitivement jugée par une Partie Contractante ne peut, pour les mêmes faits, être poursuivie par une autre Partie Contractante, à condition que, en cas de condamnation, la sanction ait été subie ou soit actuellement en cours d’exécution ou ne puisse plus être exécutée selon les lois de la Partie Contractante de condamnation ».

( 12 ) Arrêts du 26 février 2013, Åkerberg Fransson (C‑617/10, EU:C:2013:105, points 19 et 21) ; du 20 mars 2018, Garlsson Real Estate e.a. (C‑537/16, ci‑après l’« arrêt Garlsson Real Estate , EU:C:2018:193, point 23), et du 19 novembre 2019, A. K. e.a. (Indépendance de la chambre disciplinaire de la Cour suprême) (C‑585/18, C‑624/18 et C‑625/18, EU:C:2019:982, point 78 et jurisprudence citée).

( 13 ) C’est ce qu’a fait valoir VWGI lors de l’audience.

( 14 )

( 15 ) C’est ce qu’affirment les arrêts du 16 juillet 2015, Abcur (C‑544/13 et C‑545/13, EU:C:2015:481, point 79), et du 13 septembre 2018, Wind Tre et Vodafone Italia (C‑54/17 et C‑55/17, EU:C:2018:710, points 58 et 59).

( 16 ) Je renvoie à l’analyse que j’ai présentée dans mes conclusions dans l’affaire Wind Tre et Vodafone Italia (C‑54/17 et C‑55/17, EU:C:2018:377, points 92 à 119).

( 17 ) Le nouveau paragraphe est reproduit, en partie, au point 10 des présentes conclusions.

( 18 ) C’est ce que prévoit l’article 7, paragraphe 1, de la directive 2019/2161.

( 19 ) Arrêt du 28 octobre 2022, Generalstaatsanwaltschaft München (Extradition et ne bis in idem) (C‑435/22 PPU, EU:C:2022:852, point 76).

( 20 ) Arrêts du 20 mars 2018, Menci (C‑524/15, ci-après l’ arrêt Menci , EU:C:2018:197, point 25), bpost (point 24) et Nordzucker (point 29).

( 21 ) Ci-après la « Cour EDH ».

( 22 ) Cour EDH, 8 juin 1976, Engel et autres c. Pays-Bas (CE:EHCR:1976:0608JUD000510071) (recours nos 5100/71, 5101/71, 5102/71, 5354/72 et 5370/72).

( 23 ) Arrêts du 5 juin 2012, Bonda (C‑489/10, EU:C:2012:319, point 37), Menci (points 26 et 27) ainsi que bpost (point 25).

( 24 ) Arrêts Menci (point 30), bpost (point 26) et Nordzucker (point 31).

( 25 ) Arrêt Garlsson Real Estate (point 33). Dans mes conclusions dans cette affaire (C‑537/16, EU:C:2017:668, point 64) et dans mes conclusions dans l’affaire Menci (C‑524/15, EU:C:2017:667, point 113), j’ai indiqué que toute sanction comporte, en réalité, un composant répressif et que son effet préventif ou dissuasif résulte, précisément, de la punition qu’elle entraîne. Dans le même sens, voir arrêt du 22 juin 2021, Latvijas Republikas Saeima (Points de pénalité) (C‑439/19, EU:C:2021:504,
point 89).

( 26 ) Je renvoie aux conclusions que j’ai présentées dans l’affaire Menci (C‑524/15, EU:C:2017:667). J’y ai soutenu que, « comme les sanctions administratives et pénales constituent le reflet du jus puniendi de l’État, je ne vois pas comment nier (excepté dans le cadre d’une construction artificielle, purement dogmatique) la double vocation préventive et répressive des premières, qui les rend analogues aux sanctions strictement pénales. [...] [T]oute sanction comporte, en réalité, un composant
répressif et [...] son effet préventif ou dissuasif résulte, précisément, de la punition qu’elle entraîne » (point 113).

( 27 ) Dans l’arrêt Garlsson Real Estate, la Cour a considéré comme une sanction administrative de nature pénale la sanction prévue à l’article 187 ter de la loi applicable, qui avait le même plafond (cinq millions d’euros), même si d’autres facteurs intervenaient dans cette affaire.

( 28 ) L’AGCM souligne que la sanction ne représente que 0,0068 % du chiffre d’affaires de VWAG en 2015 (73,51 milliards d’euros) et 0,12 % du chiffre d’affaires de VWGI et que, s’il s’était agi d’une amende pour violation des règles de concurrence, elle aurait été de 10 % du chiffre d’affaires.

( 29 ) Comme je l’ai déjà indiqué, après l’adoption de la directive 2019/2161, le montant maximal des amendes « correspon[d] à au moins 4 % du chiffre d’affaires annuel du professionnel dans l’État membre ou les États membres concernés ». Il sera ainsi possible d’infliger des amendes en raison de pratiques commerciales déloyales dont le montant sera largement supérieur aux montants actuels, lorsqu’il s’agit d’entreprises nationales ou multinationales dont les chiffres d’affaires sont élevés.

( 30 ) Arrêt bpost (point 28).

( 31 ) Arrêt bpost (point 29).

( 32 ) Supposer que la renonciation à interjeter appel de la sanction infligée en Allemagne s’inscrit dans une stratégie de l’entreprise pour, sur la base du principe ne bis in idem, paralyser ou désactiver les procédures de sanction engagées contre VWAG dans d’autres États membres, n’est qu’une simple hypothèse. La Commission souligne qu’il existe un risque de favoriser le forum shopping des entreprises multinationales qui, en invoquant l’article 50 de la Charte, pourraient rechercher à être
sanctionnées dans l’État membre dont le régime est le plus laxiste et échapper ainsi aux sanctions pour les mêmes faits dans les autres États membres. Lors de l’audience, l’AGCM a affirmé qu’elle n’avait pas de raison de croire que la stratégie de VWAG poursuivait cet objectif, ce qu’a corroboré ladite société en faisant valoir qu’il serait illogique d’accepter une amende aussi lourde que celle infligée en Allemagne afin de se soustraire à une autre amende au montant largement inférieur.

( 33 ) Arrêts Menci (point 35), Garlsson Real Estate (point 37) et bpost (point 33).

( 34 ) Cour EDH, 10 février 2009, Sergueï Zolotoukhine c. Russie (CE:ECHR:2009:0210JUD001493903, § 83 et 84), ainsi que 20 mai 2014, Pirttimäki c. Finlande (CE:ECHR:2014:0520JUD003523211, § 49 à 52), auxquels se réfère l’arrêt bpost (points 36 et 37).

( 35 ) Arrêts Menci (point 36), Garlsson Real Estate (point 38) et bpost (point 34).

( 36 ) Voir Van Cleynenbreugel, P., « BPost and Nordzucker : Searching for the Essence of the Ne Bis in Idem in European Union Law », European Constitutional Law Review, vol. 18, no 2, 2022, p. 361 et 362.

( 37 ) L’AGCM a également insisté à l’audience sur la différence entre les intérêts généraux protégés par la réglementation allemande et ceux protégés par la réglementation italienne, qu’elle a présentée comme un argument pour mettre en doute l’existence de l’idem.

( 38 ) Décision de renvoi, points 1.7 et 1.8.

( 39 ) La principale difficulté pour apprécier si ces situations sont identiques transparaît dans l’arrêt Nordzucker (point 46) : « [d]ans le cadre de cette appréciation, il importe, notamment, d’examiner si les appréciations juridiques effectuées par l’autorité allemande sur la base des éléments de fait constatés dans sa décision définitive ont porté exclusivement sur le marché allemand ou également sur le marché autrichien du sucre. Est également pertinent le point de savoir si, aux fins du calcul
de l’amende fondé sur le chiffre d’affaires réalisé sur le marché affecté par l’infraction, l’autorité allemande a pris comme base de calcul uniquement le chiffre d’affaires réalisé en Allemagne (voir, par analogie, arrêt du 14 février 2012, Toshiba Corporation e.a., C‑17/10, EU:C:2012:72, point 101) ».

( 40 ) Voir note en bas de page 32 des présentes conclusions.

( 41 ) Le parquet de Brunswick mentionne expressément que la vente des véhicules équipés de moteurs faussés dans d’autres États, y compris en Italie, a été prise en compte lorsque la sanction a été infligée à VWAG.

( 42 ) La juridiction de renvoi doit tenir compte du fait que « la seule circonstance qu’une autorité d’un État membre mentionne, dans une décision constatant une infraction au droit de la concurrence de l’Union ainsi qu’aux dispositions correspondantes du droit de cet État membre, un élément de fait se rapportant au territoire d’un autre État membre ne saurait suffire pour considérer que cet élément de fait est à l’origine des poursuites ou a été retenu par cette autorité parmi les éléments
constitutifs de cette infraction » (arrêt Nordzucker, point 44).

( 43 ) Arrêt bpost (points 38 et 39).

( 44 ) Voir points 36 à 39 des présentes conclusions.

( 45 ) Arrêts du 27 mai 2014, Spasic (C‑129/14 PPU, EU:C:2014:586, points 55 et 56) ; Menci (point 40), bpost (point 41) et Nordzucker (point 49).

( 46 ) Arrêt bpost (point 34) : « il ressort de la jurisprudence de la Cour que la qualification juridique en droit national des faits et l’intérêt juridique protégé ne sont pas pertinents aux fins de la constatation de l’existence d’une même infraction, dans la mesure où la portée de la protection conférée à l’article 50 de la Charte ne saurait varier d’un État membre à l’autre ». Mise en italique par mes soins.

( 47 ) Un exemple en ce sens peut être tiré de l’arrêt Nordzucker : « dans l’hypothèse où deux autorités nationales de concurrence poursuivraient et sanctionneraient les mêmes faits afin d’assurer le respect de l’interdiction des ententes en application de l’article 101 TFUE et des dispositions correspondantes de leur droit national respectif, ces deux autorités poursuivraient le même objectif d’intérêt général visant à garantir que la concurrence dans le marché intérieur ne soit pas faussée par des
accords, des décisions d’associations d’entreprises ou des pratiques concertées anticoncurrentielles » (point 56). « Dans ces conditions, [...] un cumul des poursuites et des sanctions, dès lors qu’elles ne visent pas des buts complémentaires ayant pour objet des aspects différents du même comportement [...] ne saurait, en toute hypothèse, être justifié au titre de l’article 52, paragraphe 1, de la Charte » (point 57).

( 48 ) L’arrêt bpost (points 45 à 47) considère comme des objectifs d’intérêt général la libéralisation du marché intérieur des services postaux et la protection de la libre concurrence. L’arrêt du 20 mars 2018, Di Puma et Zecca (C‑596/16 et C‑597/16, EU:C:2018:192, point 42), mentionne comme objectif d’intérêt général la protection de l’intégrité des marchés financiers et de la confiance du public dans les instruments financiers.

( 49 ) Le fait que la protection des consommateurs constitue un objectif d’intérêt général est confirmé par les arrêts bpost (point 27) et Nordzucker (points 51 et 52). Les articles 12, 114 et 169 TFUE, ainsi que l’article 38 de la Charte, plaident également en ce sens.

( 50 ) Arrêts Menci (point 46), bpost (point 48) et du 5 mai 2022, BV (C‑570/20, EU:C:2022:348, point 34).

( 51 ) Arrêt bpost (point 49). Dans ce passage, la Cour cite l’arrêt de la Cour EDH du 15 novembre 2016, A et B c. Norvège (CE:ECHR:2016:1115JUD002413011, § 121 et 132). Toutefois, la Cour n’a pas entièrement suivi la logique sous-tendant cet arrêt : la Cour EDH considère que, lorsqu’il existe deux procédures de nature pénale étroitement liées, il n’y a pas de violation du principe ne bis in idem, alors que la Cour estime qu’il y a violation de ce principe, mais que celle-ci peut être justifiée sur
le fondement de l’article 52 de la Charte.

( 52 ) Arrêts Menci (points 49, 52, 53, 55 et 58) ainsi que bpost (point 51), et Cour EDH, 15 novembre 2016, A et B c. Norvège (CE:ECHR:2016:1115JUD002413011, § 130 à 132). Voir, pour une critique détaillée de l’arrêt Menci, conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire bpost (C‑117/20, EU:C:2021:680) et dans l’affaire Nordzucker e.a. (C‑151/20, EU:C:2021:681), en particulier les points 101 à 117 des premières.

( 53 ) Arrêts Menci (point 61) et bpost (point 53), ainsi que, par analogie, Cour EDH, 15 novembre 2016, A et B c. Norvège (CE:ECHR:2016:1115JUD002413011, § 130).

( 54 ) Voir communication de la Commission relative à la coopération au sein du réseau des autorités de concurrence (JO 2004, C 101, p. 43).

( 55 ) Règlement (UE) 2018/1727 du Parlement européen et du Conseil, du 14 novembre 2018, relatif à l’Agence de l’Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale (Eurojust) et remplaçant et abrogeant la décision 2002/187/JAI du Conseil (JO 2018, L 295, p. 138).

( 56 ) La situation dans l’arrêt Nordzucker le démontre bien.

( 57 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 27 octobre 2004 relatif à la coopération entre les autorités nationales chargées de veiller à l’application de la législation en matière de protection des consommateurs (« Règlement relatif à la coopération en matière de protection des consommateurs ») (JO 2004, L 364, p. 1).

( 58 ) Voir liste de ces autorités, consultable à l’adresse suivante : https://commission.europa.eu/system/files/2021-01/designated_bodies_18jan2021.pdf.

( 59 ) C’est ce qui ressort de l’arrêt du Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) du 20 septembre 2021 (ES:TS:2021:3449).

( 60 ) Cette difficulté avait déjà été soulignée par l’avocat général Bobek dans ses conclusions dans l’affaire bpost (C‑117/20, EU:C:2021:680, point 115) : « lorsque le cumul des procédures concernées implique un certain nombre de régimes administratifs parallèles, et, ce qui est plus important, plus d’un État membre ou les autorités des États membres et de l’Union, alors les suggestions appelant de leurs vœux des systèmes à voie unique pourraient rapidement quitter le domaine du souhait pour
passer à celui de la science-fiction ». Après avoir évoqué l’existence de systèmes de réseaux d’autorités administratives nationales et de l’Union ainsi que les difficultés de coordination qui existent malgré ces réseaux, il a affirmé (point 116 de ces conclusions) que, « [s]i tel est l’état actuel des choses dans des réseaux spécialisés et expressément réglementés à travers l’Union, on ne perçoit pas immédiatement comment le niveau nécessaire de coordination pourrait être raisonnablement attendu et
réalisé à travers différents domaines juridiques dans différents organismes et à travers différents États membres ».

( 61 ) La thèse principale du gouvernement italien est qu’il n’y a pas eu violation de l’article 50 de la Charte, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de recourir à son article 52.

( 62 ) La Commission a proposé, en définitive, que l’exigence soit appliquée en fonction de l’existence de mécanismes de coordination ou d’échange d’informations. En l’absence de tels mécanismes, une dérogation au principe ne bis in idem serait acceptée.

( 63 ) Point 72 : « [s]i la Cour a consolidé une jurisprudence en vertu de laquelle deux procédures, parallèles ou successives, aboutissant à deux sanctions matériellement pénales, pour les mêmes faits, continuent de constituer deux procédures différentes (bis) et non pas une seule, j’estime qu’il n’y a pas de motifs sérieux pour l’abandonner ». Au point 73 de ces conclusions, j’ajoutais : « l’introduction en droit de l’Union d’un critère d’interprétation de l’article 50 de la Charte qui reposerait
sur le lien matériel et temporel plus ou moins important entre des procédures pénales et des procédures administratives de sanction ajouterait une incertitude notable et rendrait plus complexe le droit des personnes de ne pas être jugées ni condamnées deux fois pour les mêmes faits. Les droits fondamentaux reconnus par la Charte doivent être facilement compréhensibles pour tous et leur exercice requiert une prévisibilité et une certitude qui, selon moi, ne sont pas compatibles avec ce critère ».

( 64 ) Au point 109 de ses conclusions dans l’affaire bpost (C‑117/20, EU:C:2021:680), l’avocat général Bobek a déclaré que « [l]’application du principe ne bis in idem cesse de se référer à des critères définis normativement ex ante. Il devient au contraire un correctif ex post qui peut s’appliquer ou non en fonction des circonstances et du montant exact des peines infligées ». Au point 111, il a indiqué que « les critères qui ne sont pas conçus pour une protection ex ante, mais plutôt pour une
correction ex post, sont amenés à être conjoncturels ».


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-27/22
Date de la décision : 30/03/2023
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par Consiglio di Stato.

Renvoi préjudiciel – Article 50 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Principe ne bis in idem – Sanction infligée en matière de pratiques commerciales déloyales – Nature pénale de la sanction – Sanction pénale imposée dans un État membre après l’adoption d’une sanction en matière de pratiques commerciales déloyales dans un autre État membre mais qui est devenue définitive avant cette dernière sanction – Article 52, paragraphe 1 – Limitations apportées au principe ne bis in idem – Conditions – Coordination des procédures et des sanctions.

Protection des consommateurs

Coopération judiciaire en matière pénale

Espace de liberté, de sécurité et de justice

Politique d'immigration et d'asile

Charte des droits fondamentaux

Droits fondamentaux

Rapprochement des législations

Santé publique

Principes, objectifs et mission des traités


Parties
Demandeurs : Volkswagen Group Italia S.p.A. et Volkswagen Aktiengesellschaft
Défendeurs : Autorità Garante della Concorrenza e del Mercato.

Composition du Tribunal
Avocat général : Campos Sánchez-Bordona

Origine de la décision
Date de l'import : 16/09/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2023:265

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