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10/11/2022 | CJUE | N°C-651/21

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. M. Szpunar, présentées le 10 novembre 2022., Procédure engagée par М. Ya. M., 10/11/2022, C-651/21


 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 10 novembre 2022 ( 1 )

Affaire C‑651/21

М. Ya. M.

[demande de décision préjudicielle formée par le Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia, Bulgarie)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Droit des successions – Règlement (UE) no 650/2012 – Article 13 – Déclaration de renonciation à une succession faite par un héritier dans l’État membre de sa résidence habituelle – Inscripti

on ultérieure, à la demande d’un autre héritier, de cette déclaration auprès de la juridiction d’un autre État membre »

1. ...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 10 novembre 2022 ( 1 )

Affaire C‑651/21

М. Ya. M.

[demande de décision préjudicielle formée par le Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia, Bulgarie)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Droit des successions – Règlement (UE) no 650/2012 – Article 13 – Déclaration de renonciation à une succession faite par un héritier dans l’État membre de sa résidence habituelle – Inscription ultérieure, à la demande d’un autre héritier, de cette déclaration auprès de la juridiction d’un autre État membre »

1. La présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 13 du règlement (UE) no°650/2012 ( 2 ). La juridiction de renvoi est saisie d’une demande d’un héritier tendant à inscrire la déclaration concernant la renonciation à la succession faite par un autre héritier devant la juridiction d’un autre État membre où ce dernier héritier a sa résidence habituelle.

2. Je proposerai à la Cour, dans les présentes conclusions, de décider que l’article 13 du règlement no 650/2012 ne s’oppose pas à la demande d’inscription précitée.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

3. Les articles 4 et 13 du règlement no 650/2012 figurent dans le chapitre II de celui-ci, intitulé « Compétence ».

4. Aux termes de l’article 4 de ce règlement, intitulé « Compétence générale » :

« Sont compétentes pour statuer sur l’ensemble d’une succession les juridictions de l’État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès. »

5. L’article 13 dudit règlement, intitulé « Acceptation de la succession, d’un legs ou d’une réserve héréditaire, ou renonciation à ceux-ci », est ainsi libellé :

« Outre la juridiction compétente pour statuer sur la succession au titre du présent règlement, les juridictions de l’État membre de la résidence habituelle de toute personne qui, en vertu de la loi applicable à la succession, peut faire une déclaration devant une juridiction concernant l’acceptation de la succession, d’un legs ou d’une réserve héréditaire ou la renonciation à ceux-ci, ou une déclaration visant à limiter la responsabilité de la personne concernée à l’égard des dettes de la
succession, sont compétentes pour recevoir ce type de déclarations lorsque, en vertu de la loi de cet État membre, ces déclarations peuvent être faites devant une juridiction. »

6. Les articles 21 et 22 du même règlement figurent dans le chapitre III de celui-ci, intitulé « Loi applicable ».

7. L’article 21 du règlement no 650/2012, intitulé « Règle générale », dispose, à son paragraphe 1 :

« Sauf disposition contraire du présent règlement, la loi applicable à l’ensemble d’une succession est celle de l’État dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès. »

8. L’article 22 de ce règlement, intitulé « Choix de loi », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Une personne peut choisir comme loi régissant l’ensemble de sa succession la loi de l’État dont elle possède la nationalité au moment où elle fait ce choix ou au moment de son décès. »

Le droit bulgare

La loi sur les successions

9. Le zakon za nasledstvo (loi sur les successions) (DV no 22, du 29 janvier 1949), dans sa version applicable au litige au principal, prévoit, à son article 48, que la succession est acquise par son acceptation et que l’acceptation produit ses effets à compter de l’ouverture de la succession.

10. Selon l’article 49, paragraphe 1, de cette loi, l’acceptation peut être effectuée par déclaration écrite adressée au Rayonen sad (tribunal d’arrondissement) du ressort où la succession s’est ouverte et, dans ce cas, l’acceptation est inscrite dans un registre prévu à cet effet.

11. L’article 51, paragraphe 1, de ladite loi prévoit que, sur demande de toute personne intéressée, le Rayonen sad (tribunal d’arrondissement) fixe à l’ayant droit successoral, après l’avoir convoqué, un délai pour déclarer s’il accepte la succession ou s’il y renonce. Lorsqu’une action en justice est intentée contre l’héritier, ce délai est déterminé par la juridiction saisie du litige. L’article 51, paragraphe 2, de la même loi dispose que, si l’héritier ne répond pas dans le délai imparti, il
perd son droit d’accepter la succession. Selon l’article 51, paragraphe 3, de la loi sur les successions, la déclaration de l’héritier est inscrite dans le registre visé à l’article 49, paragraphe 1, de cette loi.

12. En vertu de l’article 52 de ladite loi, la renonciation à la succession s’effectue selon les modalités prévues à l’article 49, paragraphe 1, de cette même loi ; elle est inscrite selon ces mêmes modalités.

Le code de procédure civile

13. L’article 26, paragraphe 1, du Grazhdanski protsesualen kodeks (code de procédure civile) (DV no 59, du 20 juillet 2007), dans sa version applicable au litige au principal, dispose que les parties au litige civil sont les personnes au nom desquelles et contre lesquelles l’affaire est conduite. L’article 26, paragraphe 2, de ce code énonce que, hormis dans les cas prévus par la loi, nul ne peut invoquer les droits d’autrui en son propre nom devant un juge.

14. Selon l’article 531, paragraphe 1, dudit code, la procédure non contentieuse naît d’une demande de la personne intéressée.

15. L’article 532 du même code dispose que la demande est examinée en chambre du conseil, sauf si la juridiction considère qu’un examen en audience publique est nécessaire pour que l’affaire soit jugée à bon droit.

16. Conformément à l’article 533 du code de procédure civile, la juridiction est tenue de contrôler d’office si les conditions sont réunies pour que la décision demandée soit adoptée. Elle peut, de sa propre initiative, recueillir des preuves et prendre en compte des faits non mentionnés par le demandeur.

Le règlement relatif à l’administration au sein des juridictions

17. Le Pravilnik za administratsiata v sadilishtata (règlement relatif à l’administration au sein des juridictions) (DV no 68, du 22 août 2017), dans sa version applicable au litige au principal, comporte, à son article 39, paragraphe 1, la liste des registres tenus au greffe, sur support électronique et/ou sur papier, parmi lesquels figure le « registre des acceptations de successions et des renonciations à des successions ».

Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

18. M. Ya. M. (ci-après le « demandeur »), un ressortissant bulgare, déclare être l’héritier de sa grand-mère, M. T. G., ressortissante bulgare décédée en Grèce le 29 mars 2019.

19. Le demandeur a saisi la juridiction de renvoi, le Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia, Bulgarie), d’une demande tendant à inscrire au registre la déclaration de renonciation effectuée par le conjoint de la défunte, ressortissant grec. Ce dernier a produit un certificat successoral établi par les autorités bulgares, selon lequel la défunte a laissé pour héritiers son conjoint, sa fille et le demandeur (son petit-fils).

20. Dans le cadre de cette procédure, le demandeur a produit un procès-verbal dressé par l’Eirinodikeio Athinon (juge de paix d’Athènes, Grèce) indiquant que le conjoint de la défunte s’est présenté devant ce juge le 28 juin 2019 et a déclaré renoncer à son héritage. Par ailleurs, selon les affirmations figurant dans sa demande, le conjoint de la défunte aurait déclaré que celle-ci avait vécu en dernier lieu en Grèce.

21. Le demandeur n’agit pas en tant que mandataire du conjoint de la défunte mais déclare que c’est en sa qualité d’autre héritier de même rang qu’il a un intérêt à l’inscription de la renonciation, qui aurait pour conséquence d’accroître sa part de la succession.

22. En l’espèce, la juridiction de renvoi indique ne pas être en mesure de recueillir des informations à propos de la dernière résidence habituelle de la défunte avant d’avoir établi sa compétence aux fins d’inscrire une déclaration de renonciation effectuée devant la juridiction du lieu de résidence habituelle de l’héritier renonçant.

23. En effet, la juridiction de renvoi se demande s’il convient d’inscrire une déclaration de renonciation effectuée devant la juridiction généralement compétente pour statuer sur les questions de successions, dès lors que cette déclaration a été enregistrée par la juridiction compétente, conformément à l’article 13 du règlement no 650/2012. En outre, elle nourrit des doutes quant à la possibilité d’inscrire la renonciation d’un des héritiers à la succession, à la demande d’un autre héritier.

24. La juridiction de renvoi considère que l’article 13 du règlement no 650/2012 peut causer un conflit de juridiction puisque, en vertu des dispositions générales de ce règlement, la compétence est déterminée non pas par le lieu de résidence habituelle de l’héritier mais par celui du de cujus. Si la juridiction compétente pour statuer sur la succession est en principe celle de la dernière résidence habituelle du de cujus, il serait cependant possible que cette juridiction n’ait pas connaissance de
l’inscription de déclarations de renonciation ou d’acceptation faites devant une juridiction du lieu de résidence habituelle des héritiers.

25. Ainsi, selon elle, le règlement no 650/2012 crée un vide juridique en prévoyant une compétence concurrente (ou cumulative) de juridictions d’États différents, à savoir celle de la juridiction de la dernière résidence habituelle du de cujus et celle de la juridiction de la résidence habituelle des héritiers. Pour autant, ce règlement n’imposerait pas à cette dernière juridiction l’obligation d’informer la juridiction en principe compétente des déclarations de renonciation ou d’acceptation qui ont
été effectuées.

26. La juridiction de renvoi fait valoir que l’absence d’une telle obligation d’information ne correspond pas à la conception du législateur bulgare et de la jurisprudence nationale, selon laquelle toutes les déclarations d’acceptation ou de renonciation à une succession sont concentrées en un même lieu et dans un seul registre judiciaire, à partir duquel peuvent être effectuées les recherches correspondantes. Cette conception servirait à garantir la sécurité juridique, cette dernière découlant de
la possibilité de conserver toutes les informations relatives aux acceptations ou aux renonciations à la succession en un même lieu, objectif qui est également énoncé au considérant 23 du règlement no 650/2012.

27. Dans la mesure où une telle obligation d’information n’est pas expressément prévue par le règlement no 650/2012, la juridiction de renvoi s’interroge sur la nature de la procédure dont elle est saisie. Le demandeur requiert non pas l’inscription de sa propre renonciation à la succession de la défunte de cujus, mais l’inscription de la déclaration concernant la renonciation d’un des autres héritiers. Or une telle procédure ne serait pas prévue dans la législation bulgare. Le principe selon lequel
chacun défend lui-même ses droits devant le juge ne permettrait pas de faire inscrire les déclarations d’autrui au registre des acceptations ou renonciations de successions.

28. Dès lors, la juridiction de renvoi s’interroge, premièrement, sur le point de savoir si l’article 13 du règlement no 650/2012 interdit implicitement qu’une renonciation à une succession ayant été effectuée dans l’État de résidence habituelle de l’héritier soit inscrite une seconde fois par un tribunal d’un autre État membre où se trouvait prétendument la résidence habituelle du de cujus. Il apparaît que l’inscription de deux déclarations de sens différents, à savoir une déclaration de
renonciation et une déclaration d’acceptation, ne doit pas être permise, afin de garantir l’impossibilité de transcrire des déclarations contradictoires. Néanmoins, le fait de violer le régime juridique bulgare, selon lequel toutes les déclarations concernant des acceptations et renonciations à la succession sont inscrites en un même lieu, ne semble pas être conforme à l’esprit du principe de sécurité juridique, principe fondamental du droit de l’Union.

29. À cet égard, la juridiction de renvoi indique pencher vers la solution consistant à autoriser l’inscription de plusieurs renonciations à la succession dans plusieurs pays. Elle fait valoir qu’une telle solution n’affecterait pas significativement la sécurité juridique dès lors que, d’une part, les ordres juridiques des États membres édictent des règles sur la conduite à suivre lorsqu’il existe plusieurs déclarations consécutives d’acceptation ou de renonciation à la succession et que, d’autre
part, en cas de contentieux successoral, le tribunal saisi d’une demande peut apprécier l’effet juridique de ces déclarations, en fonction des dates auxquelles elles ont été faites.

30. Si la première question devait appeler une réponse négative, la juridiction de renvoi s’interroge, deuxièmement, sur le point de savoir qui peut agir en tant que demandeur d’une telle inscription. Ce point serait important, car le droit procédural bulgare ne prévoit pas la possibilité de faire transcrire devant un tribunal bulgare une acceptation ou une renonciation à la succession déjà inscrite dans un autre État membre. Cette déclaration ne pourrait être faite que par l’héritier en personne.
La question se poserait dès lors de savoir si un héritier peut demander, dans l’État de la résidence habituelle supposée du de cujus la transcription de la renonciation faite par un autre héritier et inscrite dans l’État de la résidence habituelle de ce dernier, dès lors que cela n’est pas expressément prévu dans le premier État.

31. Selon la juridiction de renvoi, une application de l’article 13 du règlement no 650/2012 effective et conforme à l’objectif de cette disposition, tel qu’énoncé au considérant 32 de celui-ci, à savoir que l’acceptation ou la renonciation ne devrait pas contraindre l’héritier à voyager vers l’État de résidence habituelle du de cujus ou à engager un mandataire ad litem dans cet État, impose que chaque héritier puisse demander la transcription d’une renonciation à la succession effectuée plus tôt
dans un autre État membre. En l’espèce, cela permettrait d’écarter l’application du droit procédural bulgare, compte tenu de la nécessité de déroger au principe d’autonomie procédurale des États membres au sein de l’Union afin de garantir une application effective de la disposition en cause.

32. En revanche, si l’inscription de la renonciation d’un héritier était possible aussi bien dans l’État de sa résidence habituelle qu’au lieu de la résidence habituelle du de cujus à la date de son décès, mais ce uniquement à condition que l’héritier renonçant en fasse personnellement la demande, cette situation aurait pour effet de vider de sa substance l’article 13 du règlement no 650/2012.

33. La juridiction de renvoi ajoute, à cet égard, que le règlement no 650/2012 comporte une lacune, dans la mesure où il n’impose pas à la juridiction compétente, uniquement pour l’inscription de la renonciation des héritiers à la succession, l’obligation de transmettre sa décision judiciaire à la juridiction généralement compétente pour statuer sur la succession. Dès lors, et afin de prévenir des conflits entre héritiers, mais aussi afin que la volonté de l’héritier renonçant qui a été inscrite
soit respectée, il conviendrait que chacun des héritiers soit autorisé à transcrire cette volonté dans les registres du lieu de la dernière résidence habituelle du de cujus.

34. C’est dans ces conditions que le Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia), par décision du 25 octobre 2021, parvenue à la Cour le même jour, a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Convient-il d’interpréter l’article 13 du [règlement no 650/2012], considéré en combinaison avec le principe de sécurité juridique, en ce sens qu’il s’oppose à ce que, lorsqu’un héritier a fait inscrire auprès d’un tribunal de l’État membre de sa résidence habituelle une acceptation ou une renonciation à la succession d’un de cujus lequel avait à la date de sa mort sa résidence habituelle dans un autre État membre, un autre héritier puisse demander une inscription ultérieure, dans ce
dernier État, de ladite renonciation ou acceptation ?

2) S’il est répondu à la première question en ce sens que l’inscription ultérieure est autorisée, convient-il d’interpréter l’article 13 du [règlement no 650/2012], considéré en combinaison avec les principes de sécurité juridique et d’application effective du droit de l’Union et avec l’obligation de coopération loyale entre États membres découlant de l’article 4, paragraphe 3, TUE, en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce que, lorsqu’un héritier a effectué dans l’État membre de sa résidence
habituelle une renonciation à la succession d’un de cujus commun, un autre héritier, qui réside dans l’État où le de cujus avait sa résidence habituelle au moment de son décès, demande l’inscription de cette renonciation, malgré le fait que le droit procédural de ce dernier État ne prévoit pas la possibilité de faire inscrire au nom d’autrui une renonciation à la succession ? »

35. Des observations écrites ont été présentées par la Commission européenne.

Analyse

Remarques liminaires

36. En premier lieu, il convient de souligner, ainsi que le signale la Commission dans ses observations, qu’il n’est pas possible, en l’occurrence, de déterminer avec certitude l’État membre dont les juridictions sont compétentes pour statuer sur les questions liées à la succession de la défunte. Or cette question doit être réglée par la juridiction de renvoi dans un premier temps.

37. Selon les indications du conjoint de la défunte, la dernière résidence habituelle de celle-ci se trouvait en Grèce. Cela impliquerait une compétence pour des juridictions grecques pour statuer sur l’ensemble de la succession ( 3 ), la loi applicable étant, en principe, la loi grecque ( 4 ), à moins que la défunte n’ait choisi la loi de l’État dont elle avait la nationalité comme étant la loi applicable à la succession, à savoir la loi bulgare ( 5 ).

38. La juridiction de renvoi indique ne pas être en mesure de recueillir des informations à cet égard avant d’avoir établi sa compétence aux fins d’inscrire une déclaration de renonciation effectuée devant la juridiction du lieu de résidence habituelle de l’héritier renonçant.

39. Cette situation de départ est peu claire : s’il s’avérait que la dernière résidence habituelle de la défunte se trouvait en fait en Grèce, cela signifierait que la juridiction de renvoi n’est pas compétente, en vertu de l’article 4 du règlement no 650/2012, pour statuer sur toutes les questions relatives à la succession. Cette compétence reviendrait aux juridictions grecques et la juridiction de renvoi serait compétente uniquement pour recevoir une déclaration, conformément à l’article 13 de ce
règlement. En conséquence, les questions posées par la juridiction de renvoi seraient irrecevables.

40. Il incombe donc à la juridiction de renvoi de vérifier d’abord où la défunte avait sa résidence habituelle avant de se poser les questions adressées à la Cour. Ce n’est que dans un second temps, lorsque la juridiction de renvoi aura conclu qu’elle est compétente pour statuer sur la succession, qu’elle pourra se poser les questions adressées à la Cour.

41. En second lieu, il convient d’attirer l’attention de la juridiction de renvoi sur son obligation d’accepter un acte authentique en vertu de l’article 59 du règlement no 650/2012, dans la mesure où la déclaration de renonciation du mari de la défunte faite devant la juridiction (grecque) de sa résidence habituelle pourrait constituer un acte authentique au sens de la disposition précitée. Dans l’hypothèse où la juridiction arriverait à la conclusion qu’elle est en mesure d’accepter cette
déclaration en vertu de l’article 59 du règlement no°650/2012, les questions posées pourraient s’avérer dépourvues de fondement.

42. Sous réserve de ces remarques liminaires, je propose à la Cour de répondre aux questions de la juridiction de renvoi. En tout état de cause, il conviendrait de rappeler à celle-ci que ces questions ne sont recevables que dans la mesure où elle est compétente pour statuer sur la succession. Des dispositions de droit national empêchant l’examen par la juridiction de renvoi de sa compétence pour statuer sur la succession seraient contraires au règlement no°650/2012 et devraient être écartées par la
juridiction de renvoi.

Sur la première question préjudicielle

43. Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 13 du règlement no 650/2012 s’oppose à ce que, lorsqu’un héritier a fait inscrire auprès d’un tribunal de l’État membre de sa résidence habituelle une acceptation ou une renonciation à la succession d’un de cujus qui avait à la date de sa mort sa résidence habituelle dans un autre État membre, un autre héritier puisse demander une inscription ultérieure, dans ce dernier État, de cette renonciation ou
acceptation.

44. En vertu de l’article 13 du règlement no 650/2012, outre la juridiction compétente pour statuer sur la succession (dans l’hypothèse des présentes conclusions : la juridiction bulgare), les juridictions de l’État membre de la résidence habituelle de toute personne qui, en vertu de la loi applicable à la succession (dans l’hypothèse des présentes conclusions : la loi bulgare), peut faire une déclaration devant une juridiction concernant notamment la renonciation de la succession sont compétentes
pour recevoir ce type de déclaration lorsque, en vertu de la loi de cet État membre, cette déclaration peut être faite devant une juridiction.

45. Pour rappel, la défunte a laissé pour héritiers son conjoint, ressortissant grec, sa fille et le demandeur (son petit-fils). Le conjoint a effectué une déclaration de renonciation à la succession en vertu de l’article 13 du règlement no 650/2012 devant une juridiction de l’État membre de sa résidence habituelle, à savoir une juridiction grecque. Cette déclaration est présumée valide. La question de la juridiction de renvoi porte donc non pas sur la validité de ladite déclaration ( 6 ), mais sur
la possibilité, pour le demandeur, de faire inscrire cette renonciation devant la juridiction de renvoi.

46. Selon une jurisprudence constante de la Cour, il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte non seulement des termes, mais également du contexte de la
disposition et de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause ( 7 ).

47. L’article 13 du règlement no 650/2012 confère la compétence de recevoir une déclaration de renonciation tant à la juridiction compétente pour statuer sur la succession qu’à la juridiction de l’État membre de la résidence habituelle d’un héritier. Il s’agit d’une compétence internationale complémentaire qui déroge au système mis en place par les articles 4 à 11 de ce règlement ( 8 ). Il s’agit, dans des termes employés par la Cour, d’une compétence « à [...] portée limitée » ( 9 ). Cette
disposition vise à simplifier les démarches des héritiers et des légataires en dérogeant aux règles de compétence établies aux articles 4 à 11 dudit règlement ( 10 ).

48. La première question de la juridiction de renvoi vise donc à établir les effets de la déclaration de renonciation faite, en Grèce, par le conjoint de la défunte. À cet égard, cette juridiction souligne que le règlement no 650/2012 n’impose pas à la juridiction devant laquelle une déclaration de renonciation est effectuée, l’obligation d’informer la juridiction en principe compétente de l’existence de cette déclaration. Elle constate la présence d’un « vide juridique » à cet égard.

49. Il convient de relever que le règlement no 650/2012, dans ses dispositions (prescriptives), reste silencieux quant à la manière dont une déclaration faite en vertu de son article 13 est transmise à la juridiction compétente pour statuer sur la succession. La seule indication se trouve dans le considérant 32 de ce règlement, aux termes duquel « [l]es personnes qui choisissent de se prévaloir de la possibilité de faire une déclaration dans l’État membre de leur résidence habituelle devraient
informer elles-mêmes la juridiction ou l’autorité qui est ou sera chargée de la succession de l’existence de telles déclarations dans le délai éventuellement fixé par la loi applicable à la succession ».

50. Selon ce considérant, qui, ainsi que le relève la Commission, n’a bien évidemment pas de valeur juridique à lui seul ( 11 ), il incombe donc non pas à une juridiction mais à la personne concernée d’informer la juridiction compétente pour statuer sur la succession de l’existence d’une telle déclaration. Le règlement no 650/2012 semble donc « privatiser » la transmission d’une telle information ( 12 ).

51. La Cour elle-même a déjà relevé que ni l’article 13 ni l’article 28 du règlement no 650/2012 ne prévoient de mécanisme de transmission de telles déclarations par la juridiction de l’État membre de la résidence habituelle de l’héritier renonçant à la juridiction compétente pour statuer sur la succession ( 13 ).

52. En l’occurrence, à supposer que la juridiction de renvoi soit la juridiction compétente pour statuer sur la succession et que la déclaration de renonciation du 28 juin 2019 ait été faite en bonne et due forme selon les exigences de la loi grecque, la manière dont la juridiction compétente pour statuer sur la succession prend connaissance de l’existence d’une telle déclaration n’est pas un facteur déterminant. L’important est que cette juridiction prenne effectivement connaissance d’une telle
déclaration.

53. Ce constat ne saurait être modifié du fait des particularités du droit bulgare évoquées par la juridiction de renvoi.

54. À cet égard, dans la mesure où la juridiction de renvoi indique que l’absence d’une telle obligation d’information pour la juridiction ayant reçu la déclaration de renonciation irait à l’encontre de la conception du législateur bulgare et de la jurisprudence nationale, selon laquelle toutes les déclarations d’acceptation ou de renonciation à une succession sont regroupées en un même lieu et dans un seul registre judiciaire, à partir duquel pourraient être effectuées les recherches
correspondantes, force est de constater qu’il s’agit là d’une problématique interne à l’ordre juridique bulgare. Il convient de rappeler que c’est aux juridictions bulgares, y compris la juridiction de renvoi, qu’il appartient d’assurer le plein effet utile des dispositions du règlement no 650/2012. Autrement dit, si, comme je viens de l’établir, ce règlement ne prévoit pas d’obligation d’information pour la juridiction ayant reçu la déclaration de renonciation, la réglementation bulgare ne peut
pas contenir de dispositions qui vont à l’encontre de ce choix du législateur.

55. Je propose donc de répondre à la première question préjudicielle que l’article 13 du règlement no 650/2012 ne s’oppose pas à ce que, lorsqu’un héritier a fait inscrire auprès d’un tribunal de l’État membre de sa résidence habituelle une déclaration d’acceptation ou de renonciation à la succession d’un de cujus qui avait à la date de sa mort sa résidence habituelle dans un autre État membre, un autre héritier puisse ensuite demander l’inscription de cette déclaration dans ce dernier État membre.

Sur la seconde question préjudicielle

56. Par sa seconde question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 13 du règlement no 650/2012 s’oppose à ce que l’un des cohéritiers, autre que celui ayant fait la déclaration de renonciation dans l’État membre de sa résidence habituelle, puisse informer la juridiction chargée de la succession de l’existence de cette déclaration.

57. Je relève d’emblée que le considérant 32 du règlement no 650/2012 prévoit que « [l]es personnes qui choisissent de se prévaloir de la possibilité de faire une déclaration dans l’État membre de leur résidence habituelle devraient informer elles-mêmes la juridiction ou l’autorité qui est ou sera chargée de la succession de l’existence de telles déclarations » ( 14 ).

58. On pourrait comprendre ce considérant en ce sens qu’il incombe à l’intéressé d’informer personnellement la juridiction ou l’autorité concernée. J’en propose cependant une lecture différente. En effet, il me semble que le législateur de l’Union a employé le terme « elles-mêmes » afin de distinguer entre la personne ayant fait la déclaration en vertu de l’article 13 du règlement no 650/2012 et la juridiction devant laquelle cette personne a fait cette déclaration – et non pas entre la personne
ayant fait la déclaration et toute autre personne. Le considérant 32 du règlement no 650/2012 vise donc surtout à clarifier qu’il n’incombe pas à la juridiction de l’État membre de la résidence habituelle des personnes visées ci-dessus d’informer la juridiction ou l’autorité qui est ou sera chargée de la succession de l’existence de telles déclarations.

59. La finalité de l’article 13 du règlement no 650/2012 plaide également en faveur d’une telle interprétation. Ainsi que je l’ai indiqué, ce règlement vise à supprimer les entraves à la libre circulation des personnes et à éviter aux héritiers des difficultés pour faire valoir leurs droits dans le contexte d’une succession ayant des incidences transfrontières ( 15 ). En l’occurrence, une succession est facilitée s’il est permis à un héritier susceptible de bénéficier d’une renonciation à une
succession d’informer la juridiction compétente pour statuer sur cette succession lorsque l’héritier renonçant ne l’a pas fait lui-même.

60. Je suis d’avis, ainsi que je l’ai considéré dans le cadre de l’examen de la première question, que ce constat ne saurait être modifié du fait des particularités du droit bulgare évoquées par la juridiction de renvoi.

61. À cet égard, dans la mesure où la juridiction de renvoi indique que la législation bulgare ne prévoit pas la possibilité pour un héritier de demander l’inscription de la déclaration de renonciation d’un cohéritier, il convient de relever qu’il incombe à la juridiction nationale d’assurer le plein effet utile de l’article 13 du règlement no 650/2012 en acceptant la transmission de cette déclaration par un autre héritier. À défaut, le droit procédural national contournerait l’interprétation qu’il
convient de donner, selon moi, à cette disposition.

62. Par conséquent, je propose de répondre à la seconde question préjudicielle que l’article 13 du règlement no 650/2012 ne s’oppose pas à ce qu’un cohéritier autre que celui ayant fait la déclaration de renonciation dans l’État membre de sa résidence habituelle puisse informer la juridiction chargée de la succession de l’existence de cette déclaration.

Conclusion

63. Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Sofiyski rayonen sad (tribunal d’arrondissement de Sofia, Bulgarie) de la manière suivante :

1) L’article 13 du règlement (UE) no 650/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 4 juillet 2012, relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen,

doit être interprété en ce sens que :

il ne s’oppose pas à ce que, lorsque l’un des héritiers a fait inscrire auprès d’un tribunal de l’État membre de sa résidence habituelle une déclaration d’acceptation ou de renonciation à la succession d’un de cujus qui avait à la date de sa mort sa résidence habituelle dans un autre État membre, un autre héritier puisse ensuite demander l’inscription de cette déclaration dans ce dernier État membre.

2) L’article 13 du règlement no 650/2012,

doit être interprété en ce sens que :

il ne s’oppose pas à ce qu’un cohéritier autre que celui ayant fait la déclaration de renonciation à la succession dans l’État membre de sa résidence habituelle puisse informer la juridiction chargée de la succession de l’existence de cette déclaration.

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( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l’exécution des décisions, et l’acceptation et l’exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d’un certificat successoral européen (JO 2012, L 201, p. 107).

( 3 ) Voir article 4 du règlement no 650/2012.

( 4 ) Voir article 21, paragraphe 1, du règlement no 650/2012.

( 5 ) Voir article 22, paragraphe 1, du règlement no 650/2012.

( 6 ) Sur la notion de validité, voir mes conclusions dans l’affaire T.N. et N.N. (Déclaration concernant la renonciation à la succession) (C‑617/20, EU:C:2022:49, points 40 à 44).

( 7 ) Voir arrêts du 1er mars 2018, Mahnkopf, (C‑558/16, EU:C:2018:138, point 32) ; du 9 septembre 2021, UM (Contrat translatif de propriété mortis causa) (C‑277/20, EU:C:2021:708, point 29), et du 2 juin 2022, T.N. et N.N. (Déclaration concernant la renonciation à la succession) (C‑617/20, EU:C:2022:426).

( 8 ) Voir Wautelet P., dans Bonomi, A., Wautelet, P., Le droit européen des successions. Commentaire du Règlement (UE) no 650/2012 du 4 juillet 2012, 2e éd., Bruylant, Bruxelles, 2016, article 13, point 5.

( 9 ) Voir arrêt du 2 juin 2022, T.N. et N.N. (Déclaration concernant la renonciation à la succession) (C‑617/20, EU:C:2022:426, point 44).

( 10 ) Voir arrêt du 21 juin 2018, Oberle (C‑20/17, EU:C:2018:485, point 42). Voir, également, arrêt du 2 juin 2022, T.N. et N.N. (Déclaration concernant la renonciation à la succession) (C‑617/20, EU:C:2022:426, point 41).

( 11 ) Dans l’ordre juridique de l’Union, les considérants sont de nature descriptive et non normative. Par ailleurs, la question de leur valeur juridique ne se pose habituellement pas pour la simple raison qu’ils sont normalement reflétés dans les dispositions d’un texte réglementaire. En effet, les règles de bonne pratique législative des institutions de l’Union veulent que les considérants livrent le cadre factuel dans lequel s’inscrivent les dispositions d’un texte juridique. Voir, également,
mes conclusions dans les affaires jointes X et Visser (C‑360/15 et C‑31/16, EU:C:2017:397, points 132 et suiv.).

( 12 ) Ceci étant, il ne s’agit pas d’une obligation juridique pour la personne concernée, et l’absence d’une telle transmission (d’information) n’a aucune conséquence juridique. Voir, en ce sens, Dutta, A., dans Säcker, F.K., Rixecker, R., Oetker, H., Bimberg, B. (éd.), Münchener Kommentar zum BGB, vol. 12, 8e éd., C.H. Beck, Munich 2020, Art. 13 EuErbVO, point 13.

( 13 ) Voir arrêt du 2 juin 2022, T.N. et N.N. (Déclaration concernant la renonciation à la succession) (C‑617/20, EU:C:2022:426, point 47). Il convient en outre de rappeler qu’est en cause dans la présente affaire non pas la validité formelle d’une déclaration en vertu de l’article 13 du règlement no 650/2012, mais uniquement la manière dont est informée la juridiction compétente pour statuer sur la succession.

( 14 ) Italique ajouté par mes soins.

( 15 ) Voir également considérant 7 du règlement no 650/2012.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-651/21
Date de la décision : 10/11/2022
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Sofiyski rayonen sad.

Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Mesures relatives au droit des successions – Règlement (UE) no 650/2012 – Article 13 – Déclaration concernant la renonciation à une succession faite par un héritier devant la juridiction de l’État membre de sa résidence habituelle – Inscription ultérieure, à la demande d’un autre héritier, de cette déclaration dans le registre d’un autre État membre.

Coopération judiciaire en matière civile

Espace de liberté, de sécurité et de justice


Parties
Demandeurs : Procédure engagée par М. Ya. M.

Composition du Tribunal
Avocat général : Szpunar

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:876

Source

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