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20/10/2022 | CJUE | N°C-393/21

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. P. Pikamäe, présentées le 20 octobre 2022., Procédure engagée par Lufthansa Technik AERO Alzey GmbH., 20/10/2022, C-393/21


 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 20 octobre 2022 ( 1 )

Affaire C‑393/21

Lufthansa Technik AERO Alzey GmbH

en présence de

Arik Air Limited,

Asset Management Corporation of Nigeria (AMCON),

antstolis Marekas Petrovskis

[demande de décision préjudicielle formée par le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (CE) no 805/2004 – Titre exécu

toire européen pour les créances incontestées – Suspension de l’exécution d’une décision certifiée en tant que titre exécutoire européen – Condi...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 20 octobre 2022 ( 1 )

Affaire C‑393/21

Lufthansa Technik AERO Alzey GmbH

en présence de

Arik Air Limited,

Asset Management Corporation of Nigeria (AMCON),

antstolis Marekas Petrovskis

[demande de décision préjudicielle formée par le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Règlement (CE) no 805/2004 – Titre exécutoire européen pour les créances incontestées – Suspension de l’exécution d’une décision certifiée en tant que titre exécutoire européen – Conditions – Circonstances exceptionnelles – Notion – Mesures de limitation de la procédure d’exécution – Effets du certificat du titre exécutoire européen – Suspension dans l’État membre d’origine du caractère exécutoire de la décision certifiée en tant que
titre exécutoire européen »

1. Le processus d’élaboration de la norme, qu’il soit national ou (surtout) européen, est souvent complexe et laborieux. Aussi, il n’est pas rare de constater, dans les textes finalement adoptés, la présence de dispositions dont la formulation floue est censée résoudre les problèmes de négociation de la norme et laisse au juge le soin de trancher là où le législateur n’est pas parvenu à le faire.

2. Dans la présente affaire, la Cour devra ainsi interpréter la notion « fourre-tout » de « circonstances exceptionnelles » contenue à l’article 23 du règlement (CE) no 805/2004 ( 2 ) et qui conditionne la possibilité pour la juridiction ou l’autorité compétente dans l’État membre d’exécution de suspendre l’exécution d’une décision certifiée en tant que titre exécutoire européen (ci-après le « TEE ») dans l’État membre d’origine.

I. Le cadre juridique

3. Sont pertinents dans le cadre de la présente affaire les articles 6, 10, 11, 21 et 23 du règlement no 805/2004.

II. Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et les questions préjudicielles

4. Le 14 juin 2019, l’Amtsgericht Hünfeld (tribunal de district de Hünfeld, Allemagne) a notifié à Arik Air Ltd une injonction de payer le montant de 2292993,32 euros assorti d’intérêts, au profit de Lufthansa Technik AERO Alzey GmbH, puis a délivré, le 24 octobre 2019, un mandat d’exécution partielle sur le fondement duquel cette juridiction a adopté et fourni, le 2 décembre 2019, un certificat de TEE.

5. Un huissier de justice exerçant en Lituanie a été saisi d’une demande d’exécution conformément à ce certificat et un aéronef civil appartenant à Arik Air a fait l’objet d’une saisie le 24 janvier 2020.

6. Arik Air a adressé au Landgericht Frankfurt am Main (tribunal régional de Francfort-sur-le-Main, Allemagne), sur le fondement de l’article 10 du règlement no 805/2004, une demande tendant à l’annulation du certificat de TEE et à la cessation du recouvrement forcé de la créance ( 3 ), invoquant la notification irrégulière des actes de procédure par l’Amtsgericht Hünfeld (tribunal de district de Hünfeld), ayant entraîné le non‑respect du délai pour former opposition contre l’injonction de payer
rendue par cette juridiction.

7. La société débitrice a également saisi l’huissier de justice instrumenteur d’une demande de suspension de la procédure d’exécution jusqu’à la décision définitive de la juridiction allemande statuant sur le retrait du certificat de TEE et la cessation du recouvrement forcé de la créance. Par acte du 25 mars 2020, l’huissier a refusé de faire droit à cette demande, considérant que la réglementation nationale pertinente ne prévoyait pas la possibilité d’une telle suspension au motif que la
juridiction de l’État membre d’origine a été saisie d’un recours en annulation de la décision juridictionnelle originelle.

8. Par ordonnance du 9 avril 2020, le Landgericht Frankfurt am Main (tribunal régional de Francfort-sur-le-Main) a subordonné la suspension de l’exécution forcée de la décision certifiée en tant que TEE adoptée par l’Amtsgericht Hünfeld (tribunal de district de Hünfeld) au dépôt d’une caution de 2000000 euros ( 4 ) et a constaté qu’Arik Air n’avait pas démontré que le titre exécutoire était entaché d’irrégularités, ni que les délais pour former opposition avaient été dépassés sans qu’il y ait eu
faute de sa part.

9. Arik Air a formé un recours contre le refus de l’huissier de suspendre la procédure devant le Kauno apylinkės teismas (tribunal de district de Kaunas, Lituanie) et a demandé l’application des mesures conservatoires. Par ordonnance du 11 juin 2020, cette juridiction a rejeté le recours.

10. Statuant sur l’appel interjeté par Arik Air contre cette ordonnance, le Kauno apygardos teismas (tribunal régional de Kaunas, Lituanie) a, par ordonnance du 25 septembre 2020, annulé la décision de la juridiction de première instance et ordonné la suspension de la procédure d’exécution dans l’attente de la décision définitive de la juridiction allemande sur les demandes d’Arik Air. La juridiction d’appel a considéré que, compte tenu du risque de préjudice disproportionné susceptible de résulter
de la procédure d’exécution, l’introduction d’un recours contre le certificat de TEE devant la juridiction de l’État membre d’origine constituait un fondement suffisant pour suspendre cette procédure. Elle a également estimé, contrairement à la juridiction de première instance, que, la caution fixée par la juridiction allemande n’étant pas acquittée à ce stade de la procédure, il n’existait aucun motif pour que cette juridiction soit habilitée à se prononcer sur le bien-fondé de la demande de
suspension des actes d’exécution.

11. Lufthansa Technik AERO Alzey a formé un pourvoi en cassation contre cette ordonnance devant le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie), qui a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Comment, eu égard aux objectifs du règlement no 805/2004, notamment celui d’accélérer et de simplifier l’exécution des décisions juridictionnelles des États membres ainsi que d’assurer la protection effective du droit à un procès équitable, convient-il d’interpréter la notion de “circonstances exceptionnelles” prévue à l’article 23, sous c), du règlement no 805/2004 ? Quelle est la marge d’appréciation des autorités compétentes de l’État membre d’exécution pour interpréter cette notion
[...] ?

2) Des circonstances telles que celles de la présente affaire, liées à une procédure juridictionnelle dans l’État d’origine qui vise à faire trancher une question relative à l’annulation d’une décision juridictionnelle sur le fondement de laquelle un TEE a été délivré, doivent-elles être considérées comme pertinentes pour se prononcer sur l’application de l’article 23, sous c), du règlement no 805/2004 ? Selon quels critères convient-il d’apprécier la procédure de recours dans l’État membre
d’origine et quel niveau d’exhaustivité l’appréciation de la procédure ayant lieu dans l’État membre d’origine qui est opérée par les autorités compétentes de l’État membre d’exécution doit-elle comporter ?

3) Quel est l’objet de l’appréciation lorsqu’il est statué sur l’application de la notion de « circonstances exceptionnelles » figurant à l’article 23 du règlement no 805/2004 : l’incidence des circonstances concernées du litige doit-elle être appréciée lorsque la décision juridictionnelle de l’État d’origine est contestée dans l’État d’origine, les avantages et les dommages éventuels de la mesure concernée à l’article 23 de ce règlement doivent-ils être analysés, la capacité économique du
débiteur d’exécuter la décision juridictionnelle doit-elle être analysée, ou encore d’autres circonstances doivent-elles être analysées ?

4) Est-il possible, en vertu de l’article 23 du règlement no 805/2004, d’appliquer en même temps plusieurs des mesures prévues à cet article ? Si la réponse à cette question est positive, sur quels critères les autorités compétentes de l’État d’exécution doivent-elles s’appuyer pour se prononcer sur la justification et la proportionnalité de l’application de plusieurs des mesures prévues ?

5) Le régime juridique prévu à l’article 36, paragraphe 1, du règlement [(UE) no 1215/2012 ( 5 )] doit-il s’appliquer à une décision juridictionnelle de l’État d’origine en matière de suspension de la force exécutoire (d’annulation), ou un régime juridique semblable à celui défini à l’article 44, paragraphe 2, de ce règlement est-il applicable ? »

III. La procédure devant la Cour

12. La partie demanderesse au principal, le gouvernement lituanien ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites. Les parties au principal, le gouvernement lituanien et la Commission ont présenté des observations orales lors de l’audience du 8 septembre 2022.

IV. Analyse

A.   Sur les première, deuxième, troisième et quatrième questions préjudicielles

13. Par ces quatre questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi interroge la Cour sur le sens et la portée de l’article 23 du règlement no 805/2004 s’agissant tant de la compréhension de la notion de « circonstances exceptionnelles » justifiant la suspension de la procédure d’exécution et de l’étendue de la compétence, à cet égard, de la juridiction d’exécution (première, deuxième et troisième questions) que de la possibilité d’application combinée de cette mesure avec une
limitation de la même procédure (quatrième question).

14. Selon une jurisprudence constante de la Cour, il découle des exigences tant de l’application uniforme du droit de l’Union que du principe d’égalité que les termes d’une disposition du droit de l’Union qui ne comporte aucun renvoi exprès au droit des États membres pour déterminer son sens et sa portée doivent normalement trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme, qui doit être recherchée en tenant compte non seulement des termes de celle‑ci, mais également du contexte
de la disposition et de l’objectif poursuivi par la réglementation en cause ( 6 ).

15. Il convient de constater que l’article 23 du règlement no 805/2004 ne comporte aucun renvoi au droit des États membres. Si l’article 20, paragraphe 1, de ce règlement mentionne que les procédures d’exécution sont régies par la loi de l’État membre d’exécution, c’est sans préjudice des dispositions du chapitre IV dudit règlement et, notamment, de l’article 23 qui définit expressément les conditions d’une possible suspension ou limitation de la procédure d’exécution dans l’hypothèse spécifique
d’un recours juridictionnel préalablement formé par le débiteur dans l’État membre d’origine ( 7 ).

16. La référence au droit de l’État membre d’exécution contenue à l’article 20, paragraphe 1, du règlement no 805/2004 ne porte pas, à mon sens, sur les éléments constitutifs de la notion de « circonstances exceptionnelles », laquelle est une notion autonome du droit de l’Union. Cette référence ne concerne pas davantage la question de l’articulation entre limitation et suspension de la procédure d’exécution.

17. Il y a lieu de rappeler que l’application uniforme du droit de l’Union est une exigence fondamentale de l’ordre juridique européen ( 8 ) et conditionne, dans le cas présent, la réalisation de l’objectif d’une libre circulation des décisions judiciaires certifiées en tant que TEE conformément à l’article 1er du règlement no 805/2004. Cette application uniforme implique, dès lors, que la suspension de la procédure d’exécution d’une telle décision, tout en relevant des règles de procédure nationale
en ce qui concerne, notamment, la forme de l’acte introductif d’instance, les organes impliqués dans la procédure ou les délais applicables, soit soumise dans tous les États membres à des conditions d’octroi qui soient uniformes.

1. Sur l’interprétation littérale

18. Une simple lecture littérale de l’article 23 du règlement no 805/2004 permet d’apporter plusieurs éclaircissements quant au sens et à la portée de cette disposition.

19. Premièrement, la suspension ou la limitation de la procédure d’exécution, qui relèvent exclusivement d’une initiative du débiteur, sont prévues dans un cas particulier en ce sens qu’elles sont indissolublement liées à l’existence d’une procédure juridictionnelle, engagée par ce débiteur dans l’État membre d’origine, visant la décision certifiée en tant que TEE ou le certificat lui-même aux fins d’obtenir sa rectification ou son retrait conformément à l’article 10 du règlement no 805/2004. Il
s’agit d’une condition préalable, nécessaire mais non suffisante.

20. Deuxièmement, l’article 23 du règlement no 805/2004 énonce que la juridiction ou l’autorité compétente dans l’État membre d’exécution « peut » limiter ou suspendre la procédure d’exécution. L’emploi de ce verbe révèle qu’il s’agit d’une faculté dont la mise en œuvre relève de la large marge d’appréciation laissée à l’entité concernée, la seule contestation d’une décision certifiée par un TEE ou demande de rectification ou de retrait du certificat de TEE présentée dans l’État membre d’origine ne
pouvant, en elle-même et nécessairement, entraîner la limitation ou la suspension de la procédure d’exécution. Reste que ce pouvoir d’appréciation est limité en ce qui concerne la mesure de suspension dont le prononcé est conditionné par la constatation de l’existence de circonstances exceptionnelles.

21. Si la formulation de l’article 23 du règlement no 805/2004 ne fournit aucun élément utile aux fins de la définition de la notion de « circonstances exceptionnelles », il convient de relever que, dans le langage courant, l’adjectif « exceptionnel » est synonyme de « rare ». Le prérequis tenant à l’existence d’une situation de caractère exceptionnel implique que la suspension a été conçue comme une mesure de nature dérogatoire elle-même exceptionnelle. Le législateur de l’Union ayant entendu
limiter la suspension de la procédure d’exécution à des situations exceptionnelles, l’article 23 du règlement no 805/2004 doit nécessairement faire l’objet d’une interprétation stricte ( 9 ).

22. Troisièmement, les mentions des trois décisions ( 10 ) susceptibles d’être adoptées par la juridiction ou l’autorité compétente dans l’État membre d’exécution sont séparées par la conjonction de coordination « ou », laquelle peut, d’un point de vue linguistique, revêtir un sens soit alternatif, soit cumulatif ( 11 ). J’observe encore que l’article 23 du règlement no 805/2004 est intitulé « Suspension ou limitation de l’exécution » ( 12 ).

2. Sur l’interprétation téléologique

23. Il ressort du libellé de l’article 1er du règlement no 805/2004 que ce dernier vise à assurer, pour les créances incontestées, la libre circulation des décisions dans tous les États membres sans qu’il soit nécessaire de recourir à une procédure intermédiaire dans l’État membre d’exécution préalablement à la reconnaissance et à l’exécution. Le principe de confiance mutuelle entre les États membres, qui repose notamment sur la confiance réciproque dans l’administration de la justice dans ces
États, à laquelle fait référence le considérant 18 de ce règlement, se traduit, en vertu de l’article 5 dudit règlement, par la reconnaissance et l’exécution des décisions, qui ont été certifiées en tant que TEE dans l’État membre d’origine, dans les autres États membres ( 13 ).

24. Ainsi, conformément à l’article 5 du règlement no 805/2004, une décision qui a été certifiée en tant que TEE dans l’État membre d’origine est reconnue et exécutée dans les autres États membres, sans qu’une déclaration constatant la force exécutoire soit nécessaire et sans qu’il soit possible de contester sa reconnaissance.

25. Dans ce contexte, l’article 23 du règlement no 805/2004, en ce qu’il constitue un obstacle à la réalisation de l’objectif fondamental de ce règlement selon les termes du considérant 8 dudit règlement tenant à l’accélération et à la simplification de l’exécution d’une décision judiciaire dans un État membre autre que celui dans lequel elle a été rendue, doit recevoir une interprétation stricte, ce qui conforte l’interprétation littérale.

3. Sur l’interprétation contextuelle

26. L’interprétation contextuelle de l’article 23 du règlement no 805/2004, englobant la genèse de ce dernier et des autres dispositions de ce règlement mais aussi d’autres instruments juridiques relevant du domaine de la coopération judiciaire en matière civile, est, à mon sens, essentielle pour déterminer le sens et la portée de cet article.

a) Sur la répartition des compétences entre les organes de l’État membre d’origine et ceux de l’État membre d’exécution

27. S’agissant de l’économie générale du règlement no 805/2004, elle est incontestablement marquée par la suppression de toute procédure intermédiaire dans l’État membre, préalablement à la reconnaissance et à l’exécution dans cet État de la décision relative à une créance incontestée, autrement dit par la suppression pure et simple de l’exequatur. Conformément à l’article 20, paragraphe 1, du règlement no 805/2004, une décision certifiée en tant que TEE est exécutée dans les mêmes conditions qu’une
décision rendue dans l’État membre d’exécution ( 14 ). Si ce nouveau système d’exécution directe des décisions est à l’évidence favorable au créancier poursuivant, il n’en recèle pas moins la recherche d’un juste équilibre entre l’intérêt de ce dernier et celui du débiteur, à tout le moins présumé tel.

28. D’une part, la procédure judiciaire dans le cadre de laquelle la décision a été rendue dans l’État membre d’origine doit avoir satisfait aux normes minimales de procédure visées au chapitre III du règlement no 805/2004, lesquelles ont pour objet de garantir le respect des droits de la défense du débiteur ( 15 ). D’autre part, le règlement no 805/2004 donne au débiteur la possibilité de mettre en œuvre un contrôle ultérieur de la décision originelle et du certificat de TEE qui l’accompagne en
répartissant, à cet égard, les compétences entre les organes de l’État membre d’origine et ceux de l’État membre d’exécution.

29. Si ces derniers sont ainsi habilités à traiter une demande de refus d’exécution ou une demande de suspension ou de limitation de la procédure d’exécution ( 16 ), l’article 21, paragraphe 2, du règlement no 805/2004 dispose clairement que « la décision ou sa certification en tant que titre exécutoire européen ne peut en aucun cas faire l’objet d’un réexamen au fond dans l’État membre d’exécution » ( 17 ). Aucune contestation d’un débiteur quant à l’existence et au bien-fondé de la créance ou
quant au respect des conditions de certification ne peut être soumise et appréciée dans cet État.

30. Cette précision est essentielle pour déterminer le sens de la notion de « circonstances exceptionnelles », à savoir qu’elle me paraît devoir exclure toute référence à une appréciation par la juridiction ou l’autorité compétente dans l’État membre d’exécution, même prima facie, du bien-fondé des actions introduites par le débiteur dans l’État membre d’origine, telles que visées à l’article 23 du règlement no 805/200 ( 18 ).

31. Cette nette répartition des compétences est le corollaire du fait que la créance et le titre exécutoire sont établis sur la base du droit en vigueur dans l’État membre d’origine ( 19 ). En outre, dans le cadre de la procédure aboutissant à la certification d’une décision judiciaire en tant que TEE, l’organe procédant à cette certification devra déterminer si la procédure judiciaire dans l’État membre d’origine ayant abouti à l’adoption de la décision originelle a satisfait aux conditions
énoncées au chapitre III du règlement no 805/2004. Au-delà du contrôle de la régularité de cette procédure et du respect des règles de compétence, l’article 6 de ce règlement impose notamment un contrôle du caractère exécutoire de la décision rendue et de la nature de la créance ( 20 ).

32. Le contrôle de la décision judiciaire qui a mis fin à l’instance en tranchant le litige et du certificat de TEE est confié à une juridiction de l’État membre d’origine, laquelle est la plus à même de connaître du cadre juridique du litige et de confirmer, quant au fond, la validité de la décision susmentionnée et du certificat l’accompagnant. Au demeurant, dans l’hypothèse d’une demande de réexamen de la décision au sens de l’article 19 du règlement no 805/2004 ou d’une demande de rectification
ou de retrait d’un certificat de TEE prévue à l’article 10 de ce règlement, la juridiction de l’État membre d’origine compétente est celle-là même qui a adopté les deux actes concernés.

33. Dans ces circonstances, il ne saurait être accepté, selon moi, que la notion de « circonstances exceptionnelles » puisse recouvrir la nécessaire constatation par la juridiction ou l’autorité compétente dans l’État membre d’exécution d’un fumus boni juris des actions introduites par le débiteur, énoncées à l’article 23 du règlement no 805/2004. Une telle conclusion répond à la nécessité d’assurer l’exécution rapide des décisions, dans la mesure où l’appréciation dudit fumus serait synonyme d’une
complexification objective du processus, tout en préservant la sécurité juridique sur laquelle repose la confiance réciproque dans l’administration de la justice au sein de l’Union à laquelle fait référence le considérant 18 de ce règlement. Dit autrement, il ne me paraît pas raisonnable, juridiquement et pratiquement, de demander à l’instance compétente dans l’État membre d’exécution d’appréhender le droit de l’État membre d’origine aux fins de déterminer le caractère sérieux des moyens
soulevés par le débiteur à l’appui de ses recours engagés dans ce dernier ( 21 ).

34. En outre, cette interprétation me paraît confortée par la genèse de l’article 23 du règlement no 805/2004. Il y a lieu de relever que cette disposition, telle que libellée dans la proposition de règlement ( 22 ), mentionnait comme première mesure envisageable la suspension de la procédure d’exécution, sans autre précision. Dans l’exposé des motifs, il était indiqué que « l’appréciation des perspectives de succès de l’action engagée par le débiteur [...] ainsi que la probabilité qu’un préjudice
irréparable soit causé par une exécution inconditionnelle » devaient figurer parmi les éléments importants à prendre en considération lors de l’application de ladite disposition.

35. Force est de constater que l’article 23 du règlement no 805/2004, pas plus que le préambule de cet acte, ne comporte aucune référence à ces deux circonstances et que, outre un inversement de l’ordre des mesures envisageables, le prononcé d’une suspension est subordonné à la constatation de « circonstances exceptionnelles ». Cette évolution textuelle traduit, selon moi, la cohérence recherchée par le législateur avec, d’une part, le cantonnement strict ( 23 ) du rôle des instances de l’État
membre d’exécution contenu à l’article 21, paragraphe 2, de ce règlement et, d’autre part, l’objectif d’assurer la libre circulation des décisions dans tous les États membres, en l’occurrence par l’encadrement du pouvoir d’appréciation de ces instances en ce qui concerne la mesure ayant le plus d’impact ( 24 ).

b) Sur l’application combinée de l’article 6, paragraphe 2, et de l’article 11 du règlement no 805/2004

36. Il importe de souligner que le terme « certificat » doit être employé avec précaution, puisque ce ne sont pas moins de trois certificats avec des objets différents qui sont prévus par le règlement no 805/2004. Le premier est celui visé à l’article 6, paragraphe 1, de ce règlement, correspondant aux annexes I à III, intitulées « certificat de titre exécutoire européen » ( 25 ). Afin qu’une décision puisse être certifiée, en application de cet article 6, en tant que TEE, elle doit porter sur une
créance incontestée et remplir certaines conditions énoncées à cet article. L’une des conditions de cette certification est celle prévue au paragraphe 1, sous a), dudit article, à savoir que la décision soit exécutoire selon le droit de l’État membre d’origine ( 26 ). Une décision non exécutoire ne peut donc servir de fondement à la délivrance d’un TEE et, complétant cette disposition, l’article 11 du règlement no 805/2004 dispose qu’un certificat de TEE ne produit d’effets juridiques que dans
les limites de la force exécutoire de la décision.

37. Le deuxième est celui mentionné à l’article 6, paragraphe 2, du règlement no 805/2004, correspondant à l’annexe IV, intitulée « Certificat indiquant que la décision n’est plus exécutoire ou que son caractère exécutoire a été limité ». Dans l’hypothèse où la décision originelle certifiée en tant que TEE a cessé d’être exécutoire ou que son caractère exécutoire a été suspendu ou limité par une juridiction de l’État membre d’origine, le débiteur peut obtenir ce certificat, sur demande adressée à
tout moment à la juridiction ayant initialement délivré le titre exécutoire.

38. Le troisième est celui prévu à l’article 6, paragraphe 3, du règlement no 805/2004, correspondant à l’annexe V, intitulée « Certificat de remplacement du titre exécutoire européen suite à un recours ». Cette disposition a pour objet de permettre au créancier d’actualiser sa position en obtenant que la décision rendue à la suite d’un recours dans l’État membre d’origine, confirmant la décision originelle, soit également certifiée en tant que TEE.

39. Je relève que, dans ce contexte, la partie demanderesse au principal fait valoir que les motifs de suspension ou de limitation de l’exécution d’une décision prévus à l’article 23 du règlement no 805/2004 doivent être analysés dans le cadre de l’article 6, paragraphe 2, et de l’article 11 de ce règlement. Selon cette partie, seule la production devant la juridiction d’exécution du certificat prévu à l’article 6, paragraphe 2, dudit règlement donnerait un fondement à une décision de cette
juridiction de suspendre ou de limiter l’exécution.

40. Cette interprétation revient, selon moi, à confondre deux cas de figure envisagés distinctement par le règlement no 805/2004. L’article 23 de ce dernier concerne une situation provisoire et incertaine, en l’occurrence les instances introduites par le débiteur devant la juridiction d’origine contre la décision initiale certifiée ou contre le certificat lui-même, lesquels continuent de déployer leur plein effet en l’absence de dispositions prévoyant un effet suspensif attaché aux recours
susmentionnés. Dans l’attente de l’issue de ces procédures, par définition aléatoire, la juridiction ou l’autorité compétente de l’État membre d’exécution peut, dans l’exercice de sa marge d’appréciation, adopter des mesures de suspension ou de limitation de la procédure d’exécution.

41. Cette situation n’est pas celle visée à l’article 6, paragraphe 2, du règlement no 805/2004, lu en combinaison avec l’article 11 de cet acte, laquelle concerne une altération avérée de la force exécutoire du titre se traduisant par la délivrance d’un nouveau certificat correspondant à l’annexe IV dudit règlement. Eu égard au lien, exprimé en termes impératifs par cette seconde disposition, entre la force exécutoire de la décision et le TEE, toute altération ultérieure de cette force exécutoire
(cessation définitive ou temporaire à la suite d’une suspension ainsi que limitation de sa portée) affectera nécessairement la procédure d’exécution. Ainsi que le souligne la Commission, il appartiendra à la juridiction de l’État membre d’exécution, destinataire du certificat susmentionné, de garantir dans la mise en œuvre de son droit national l’application effective de l’article 11 du règlement no 805/2004.

42. Je considère, dans ces circonstances, que circonscrire le prononcé des mesures de suspension ou de limitation de la procédure d’exécution prévues à l’article 23 du règlement no 805/2004 au seul cas de production du certificat indiquant que la décision n’est plus exécutoire ou que son caractère exécutoire a été limité reviendrait à priver d’effet utile cette disposition, ce qui ne peut être retenu.

c) Sur l’atteinte à l’ordre public de l’État membre d’exécution

43. Il ne saurait être reproché au législateur de l’Union de ne pas avoir cherché à faciliter le recouvrement transfrontalier des créances en matière civile et commerciale : TEE, injonction de payer européenne ( 27 ) et procédure européenne de règlement des petits litiges ( 28 ), autant d’instruments juridiques ayant pour finalité la libre circulation des décisions de justice dans leurs domaines respectifs, auxquels il convient d’ajouter la norme de droit commun constituée par le règlement
no 1215/2012. Cette production normative, conséquente voire inflationniste pour certains ( 29 ), n’est pas sans susciter des interrogations quant à la cohérence d’ensemble du système.

44. Il en va ainsi de la possibilité pour le débiteur de mettre en œuvre un contrôle de la décision originelle au stade de son exécution par les instances de l’État membre d’exécution. Si l’ensemble des instruments précités prévoit des procédures tant de suspension ou de limitation de la procédure d’exécution que de refus d’exécution, force est de constater que les conditions d’application de ces mesures ne sont pas homogènes ( 30 ).

45. L’article 21 du règlement no 805/2004 prévoit que l’exécution est refusée par la juridiction compétente dans l’État membre d’exécution si la décision certifiée en tant que TEE est incompatible avec une décision rendue antérieurement dans tout État membre ou dans un pays tiers. Il s’agit du seul motif de refus prévu par ce règlement, alors que le règlement no 1215/2012 n’en comporte pas moins de cinq, dont celui de l’atteinte à l’ordre public de l’État membre requis. Or, je relève que le
gouvernement lituanien fait valoir que la notion de « circonstances exceptionnelles » de l’article 23, sous c), du règlement no 805/2004 devrait être interprétée comme englobant les situations où l’exécution d’une décision certifiée par un TEE pourrait affecter l’ordre public procédural de l’État membre d’exécution.

46. Cette interprétation ne peut, selon moi, être admise, en ce sens qu’elle méconnaît la nette répartition des compétences entre les organes de l’État membre d’origine et ceux de l’État membre d’exécution précédemment analysée. Ces dernières instances n’ont pas à connaître, d’une quelconque manière, de la légalité de la décision originelle. Un risque de contrariété juridictionnelle sur ce point ne saurait être accepté au regard du principe de sécurité juridique.

47. En outre, l’examen des travaux préparatoires révèle que, à l’occasion de la 2515e session du conseil « Justice et affaires intérieures » des 5 et 6 juin 2003, les débats ont porté sur la possibilité d’un refus d’exécution dans l’État membre d’exécution, y compris sur la base du critère de « l’ordre public », en l’occurrence déjà mentionné dans le règlement (CE) no 44/2001 ( 31 ) chronologiquement antérieur au règlement no 805/2004. Le texte final du règlement no 805/2004 révèle que ce critère
n’a pas été retenu. Il me semble, dès lors, difficile d’admettre que la question de l’atteinte à l’ordre public de l’État membre d’exécution puisse être réintroduite par une interprétation de la notion de « circonstances exceptionnelles » justifiant la suspension de la procédure d’exécution au titre de l’article 23 du règlement no 805/2004.

48. Enfin, un motif de suspension tiré d’une violation de l’ordre public de l’État membre d’exécution, qu’il soit substantiel ou procédural, me paraît incompatible avec la nature provisoire des mesures énoncées à l’article susmentionné, lesquelles ont nécessairement pour seul horizon juridique et temporel la décision prise dans l’État membre d’origine concernant les actions engagées par le débiteur. Une décision portant confirmation de la validité de la décision originelle marquerait la cessation
des effets de la suspension de la procédure d’exécution mais laisserait intacte la problématique de l’atteinte à l’ordre public de l’État membre d’exécution ayant motivé l’adoption de cette mesure. Or, cette problématique ne pourrait pas être résolue dans le cadre du règlement no 805/2004, faute de dispositions idoines, situation qui n’est pas davantage acceptable au regard du principe de sécurité juridique qui fait partie des principes généraux du droit de l’Union.

d) Sur l’application combinée des mesures visées à l’article 23 du règlement no 805/2004

49. S’agissant de la question susvisée, il y a lieu de prendre en compte l’évolution rédactionnelle des dispositions des règlements nos 1896/2006, 861/2007 et 1215/2012 afférentes à la possibilité de suspension ou de limitation de la procédure d’exécution.

50. Ainsi, si la formulation de l’article 23 du règlement no 1896/2006 est identique à celle de l’article 23 du règlement no 805/2004, avec un double emploi de la conjonction « ou » entre la mention de chacune des mesures envisageables, ce qui traduirait le caractère alternatif de celle-ci, il n’en va pas de même dans les autres normes ultérieures de droit dérivé susmentionnées. L’article 23 du règlement no 861/2007 et l’article 44 du règlement no 1215/2012 ne font mention de la conjonction en cause
qu’entre les deuxième et troisième mesures envisageables, laissant entendre que les première et deuxième mesures peuvent être combinées.

51. Cette évolution législative me semble traduire et confirmer la singularité de la suspension, mesure la plus rigoureuse puisque impliquant l’absence de toute mise en œuvre d’un acte quelconque d’exécution par le créancier. Je relève, à cet égard, que, à la différence de l’article 44 du règlement no 1215/2012, l’article 23 du règlement no 805/2004 ne prévoit pas que la procédure d’exécution puisse être « intégralement ou partiellement » suspendue. La seule mention du fait que la juridiction ou
l’autorité compétente dans l’État membre d’exécution puisse « suspendre » cette procédure ne peut renvoyer, selon moi, qu’à l’hypothèse d’une mise à l’arrêt complète de cette dernière.

52. Le cumul des mesures de limitation avec celle de suspension, dans le sens indiqué, me paraît logiquement et pratiquement inenvisageable, conclusion que permettait déjà l’intitulé de l’article 23 du règlement no 805/2004 avec l’emploi de la conjonction « ou » marquant la disjonction ( 32 ). En revanche, il est théoriquement concevable, même si peu probable concrètement, que la juridiction ou l’autorité compétente de l’État membre d’exécution puisse imposer au créancier poursuivant la fourniture
d’une garantie comme condition de la mise en œuvre de mesures d’exécution à caractère exclusivement conservatoire. Cette combinaison s’inscrirait dans la large marge d’appréciation dont bénéficient ces instances et doit s’effectuer en considération des circonstances particulières de l’affaire concernée.

4. Conclusion intermédiaire

53. Les différentes acceptions de la notion de « circonstances exceptionnelles » proposées par les parties intéressées et analysées ci-dessus me paraissent en réalité diverger d’une interprétation logique et raisonnable de l’article 23 du règlement no 805/2004.

54. Dans la mesure où il s’agit de suspendre des actes d’exécution, il est clair que ce sont les effets de cette exécution qui sont visés, les « circonstances exceptionnelles » étant celles qui s’attachent au préjudice qui pourrait être causé au débiteur par l’exécution immédiate de la décision. Compte tenu du caractère exceptionnel requis, ces circonstances doivent être caractérisées par la gravité et le caractère irréparable du préjudice consécutif à cette exécution, dans le contexte d’une
situation provisoire et incertaine issue des procédures engagées par le débiteur dans l’État membre d’origine. Ces éléments doivent ainsi traduire une situation d’urgence justifiant la nécessité de statuer provisoirement afin d’éviter qu’un tel dommage soit occasionné à la partie qui sollicite la mesure de suspension ( 33 ).

55. S’agissant de l’interprétation du préjudice susmentionné, il est possible de s’inspirer de la jurisprudence de la Cour relative à l’octroi d’un sursis à l’exécution d’un acte, prévu à l’article 278 TFUE.

56. Conformément à cette jurisprudence, il appartient toujours à la partie qui sollicite l’adoption d’une mesure provisoire, et donc en l’occurrence au débiteur, d’exposer et d’établir la probable survenance d’un préjudice grave et irréparable ( 34 ). S’il est exact que, pour établir l’existence de ce préjudice, il n’est pas nécessaire d’exiger que la survenance et l’imminence de celui-ci soient établies avec une certitude absolue et qu’il suffit que ledit préjudice soit prévisible avec un degré de
probabilité suffisant, il n’en reste pas moins que le requérant demeure tenu de prouver les faits qui sont censés fonder la perspective d’un tel préjudice ( 35 ).

57. Quant à la nature du préjudice, la Cour a itérativement jugé qu’un préjudice purement pécuniaire ne saurait, en principe ou sauf circonstances exceptionnelles, être regardé comme irréparable, une compensation pécuniaire étant, en règle générale, à même de rétablir la personne lésée dans la situation antérieure à la survenance du préjudice, le cas échéant, au moyen d’un recours en indemnité ( 36 ). L’organe compétent de l’État membre d’exécution devra apprécier les éléments permettant d’établir
si l’exécution immédiate de la décision faisant l’objet de la demande de suspension serait de nature à entraîner pour le débiteur des dommages irréversibles qui ne pourraient être réparés si cette décision devait être déclarée, dans l’État membre d’origine, invalide ou si le certificat de TEE, qui conditionne la possibilité d’une exécution directe dans un autre État, venait à être retiré.

58. Il convient de relever que, eu égard au champ d’application du règlement no 805/2004, sont concernées tant les créances civiles que commerciales et que les débiteurs peuvent donc être des personnes physiques ou morales. En ce qui concerne les opérateurs économiques, il est constant que la perspective d’une situation susceptible de mettre en péril leur viabilité financière avant l’issue des procédures au fond dirigées contre la décision originelle ou le certificat serait de nature à caractériser
le préjudice requis ( 37 ). Si le débiteur est une personne physique, il convient de déterminer si l’exécution de la décision entraînerait une saisie, partielle ou intégrale, de son patrimoine de nature à gravement détériorer les conditions matérielles d’existence de l’intéressé et de sa famille, à l’instar d’une mise en vente forcée du logement familial ( 38 ).

59. Dans l’hypothèse où les éléments présentés par le débiteur permettraient de caractériser des difficultés d’ordre économique ou social ne recouvrant pas les caractères de gravité et d’irréversibilité, l’instance compétente de l’État membre d’exécution aurait alors la faculté de mettre en œuvre les mesures de limitation prévues à l’article 23, sous a) et b), du règlement no 805/2004, à condition que leur bénéfice soit sollicité, le cas échéant à titre subsidiaire, par le débiteur. Il importe de
souligner, à cet égard, que l’application de cet article obéit au principe dispositif selon lequel les parties définissent l’objet du litige.

60. Il y a lieu de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, le juge des référés procède également à la mise en balance des intérêts en présence lorsque les deux autres conditions ( 39 ) du sursis à exécution sont satisfaites ( 40 ). Cette solution me paraît devoir être transposée dans le cas présent, eu égard à la large marge d’appréciation de l’organe compétent dans l’État membre d’exécution prévue à l’article 23 du règlement no 805/2004, lequel vise à trouver un juste milieu entre
l’intérêt du créancier, qui est de s’assurer une exécution rapide de la décision, et l’intérêt du débiteur, qui est d’éviter des dommages potentiellement graves et irréparables si la perte causée par l’exécution immédiate ne peut être récupérée. Dans le cadre de cette mise en balance des intérêts, la partie défenderesse et créancière pourra faire valoir que le fait d’être privée de la possibilité d’obtenir l’exécution immédiate de la décision, et donc de percevoir sans délai les sommes en cause,
est susceptible de la priver définitivement du bénéfice de ses droits dans l’hypothèse où les actions du débiteur seraient rejetées ultérieurement.

61. Il appartient donc à la juridiction de renvoi, dans le cadre de l’examen de la demande de suspension de la procédure d’exécution présentée par la société débitrice, d’apprécier, au regard de toutes les circonstances pertinentes dans l’affaire au principal, si un préjudice grave et irréparable, dans le sens indiqué, peut être subi par celle-ci au cas où la décision originelle serait immédiatement exécutée et, dans l’affirmative, de procéder à une mise en balance des intérêts en présence ( 41 ).

B.   Sur la cinquième question préjudicielle

62. Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si, en cas de suspension dans l’État membre d’origine de la force exécutoire de la décision certifiée en tant que TEE, la procédure d’exécution diligentée dans l’État membre d’exécution est automatiquement suspendue, en accord avec le régime juridique défini à l’article 36, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012, ou si une décision spécifique, correspondant à celle de l’article 44, paragraphe 2, de ce règlement, doit être
adoptée par l’instance compétente de cet État.

1. Sur la recevabilité

63. Selon une jurisprudence constante de la Cour, les questions relatives à l’interprétation du droit de l’Union posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. La procédure instituée à l’article 267 TFUE constitue un instrument de coopération entre la Cour et les juridictions nationales grâce auquel la première fournit aux secondes les
éléments d’interprétation du droit de l’Union qui leur sont nécessaires pour la solution des litiges qu’elles sont appelées à trancher. La justification du renvoi préjudiciel est non pas la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais le besoin inhérent à la solution effective d’un litige. Comme il ressort des termes mêmes de l’article 267 TFUE, la décision préjudicielle sollicitée doit être « nécessaire » pour permettre à la juridiction de renvoi de
« rendre son jugement » dans l’affaire dont elle se trouve saisie ( 42 ).

64. En l’espèce, il est constant que, à la date à laquelle la juridiction de renvoi a saisi la Cour de la présente demande de décision préjudicielle, était effectivement pendant un litige dans le cadre duquel elle était appelée à rendre un jugement susceptible de prendre en considération l’arrêt préjudiciel à venir ( 43 ), étant observé que si aucune décision arrêtant ou suspendant temporairement la force exécutoire de la décision originelle n’avait été prise dans l’État membre d’origine à cette
date ( 44 ), un tel événement était et est encore susceptible de se produire dans le cadre de la procédure de recours, toujours pendante, engagée par le débiteur dans cet État et de générer une nouvelle demande de celui-ci.

65. Il convient aussi de rappeler que, si les termes « rendre son jugement », au sens de l’article 267, deuxième alinéa, TFUE, englobent l’ensemble de la procédure menant au jugement de la juridiction de renvoi, ils doivent faire l’objet d’une interprétation large, afin d’éviter que nombre de questions procédurales soient considérées comme irrecevables et ne puissent faire l’objet d’une interprétation par la Cour, et que cette dernière ne puisse connaître de l’interprétation de toutes dispositions
du droit de l’Union que la juridiction de renvoi est tenue d’appliquer ( 45 ).

2. Sur le fond

66. Contrairement à ce qui pourrait être déduit d’une rédaction, il est vrai, équivoque, de la cinquième question préjudicielle, la juridiction de renvoi n’envisage pas la possibilité de mettre en œuvre des dispositions du règlement no 1215/2012 dans une procédure d’exécution relevant, comme en l’espèce, du champ d’application du règlement no 805/2004 ( 46 ). Elle s’interroge sur les conséquences juridiques d’une décision dans l’État membre d’origine suspendant la force exécutoire de la décision
originelle sur cette procédure, à partir du constat selon lequel le règlement no 805/2004 ne régit pas explicitement cette question, à la différence du règlement no 1215/2012, qu’il s’agisse de l’article 36, paragraphe 1, ou de l’article 44, paragraphe 2, de celui-ci ( 47 ).

67. Cette prémisse est, à mon sens, erronée, l’article 6, et plus particulièrement ses paragraphes 1 et 2, ainsi que l’article 11, du règlement no 805/2004 constituant le cadre juridique pertinent, déjà exposé dans les présentes conclusions ( 48 ). Il en ressort que, une fois le certificat prévu à l’article 6, paragraphe 2, de ce règlement délivré par la juridiction d’origine puis communiqué aux autorités compétentes dans l’État membre d’exécution par la partie contre laquelle l’exécution est
demandée, en toute logique, ces autorités doivent, les termes de l’article 11 du règlement no 805/2004 excluant toute marge d’appréciation, en tirer toutes les conséquences corrélatives quant au déroulement de la procédure d’exécution.

68. Ainsi, l’indication dans le certificat susmentionné d’une suspension de la force exécutoire attachée à la décision initialement certifiée en tant que TEE ne peut que conduire à une mesure identique dans l’État membre d’exécution. Une déclaration d’invalidité et une annulation subséquente de cette décision dans l’État membre d’origine, synonyme de disparition de la force exécutoire, auraient, elles, nécessairement pour conséquence la cessation de la procédure d’exécution. Comme le souligne à
juste titre la Commission, les aspects procéduraux de la mise en œuvre de l’article 11 n’étant pas fixés dans le règlement no 805/2004, ils sont régis par le droit de l’État membre d’exécution, lequel doit être appliqué de manière à garantir la pleine effectivité de cette disposition.

V. Conclusion

69. À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit au Lietuvos Aukščiausiasis Teismas (Cour suprême de Lituanie) :

1) L’article 23 du règlement (CE) no 805/2004 du Parlement européen et du Conseil, du 21 avril 2004, portant création d’un titre exécutoire européen pour les créances incontestées

doit être interprété en ce sens que :

l’expression « circonstances exceptionnelles », visée à cette disposition, couvre le préjudice grave et irréparable pouvant être causé au débiteur par l’exécution immédiate de la décision certifiée en tant que titre exécutoire européen, caractérisant une situation d’urgence qu’il revient au débiteur d’établir. Dans l’affirmative, il appartient à la juridiction ou à l’autorité compétente de l’État membre d’exécution de procéder à une mise en balance des intérêts en présence au regard de
l’ensemble des circonstances pertinentes du cas d’espèce.

Seules les mesures de limitation de la procédure d’exécution visées à l’article 23, sous a) et b), de ce règlement peuvent faire l’objet d’une application combinée.

2) Les articles 6 et 11 du règlement no 805/2004

doivent être interprétés en ce sens que :

lorsque le caractère exécutoire de la décision certifiée en tant que titre exécutoire européen a été suspendu dans l’État membre d’origine et que le certificat prévu à l’article 6, paragraphe 2, de ce règlement a été transmis à l’instance compétente dans l’État membre d’exécution, cette dernière est tenue, dans le cadre de la mise en œuvre des règles nationales applicables, d’assurer le plein effet de l’article 11 dudit règlement en suspendant la procédure d’exécution.

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( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 portant création d’un titre exécutoire européen pour les créances incontestées (JO 2004, L 143, p. 15).

( 3 ) Cette indication figurant dans la décision de renvoi suscite des interrogations en ce sens que l’article 10 du règlement no 805/2004 est exclusivement consacré à la rectification ou au retrait du certificat de TEE.

( 4 ) Cette indication suscite, là encore, l’étonnement au regard de la répartition des compétences entre les organes de l’État membre d’origine et ceux de l’État membre d’exécution quant aux recours susceptibles d’être engagés par le débiteur. La mesure adoptée dans l’État membre d’origine a pour objet l’exécution de la décision, qui ne relève pas de la compétence des instances de cet État.

( 5 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1).

( 6 ) Arrêts du 7 novembre 2019, K.H.K. (Saisie conservatoire des comptes bancaires) (C‑555/18, EU:C:2019:937, point 38), et du 25 juin 2020, Ministerio Fiscal (Autorité susceptible de recevoir une demande de protection internationale) (C‑36/20 PPU, EU:C:2020:495, point 53).

( 7 ) Dans cette mesure, les cas de suspension obligatoire ou facultative prévus par le droit lituanien, tels que mentionnés dans la décision de renvoi, dans l’État membre d’exécution s’ajoutent à la situation décrite à l’article 23 du règlement no 805/2004 qui a établi une norme juridique spécifique et autonome en matière de suspension ou de limitation de la procédure d’exécution.

( 8 ) Arrêt du 21 février 1991, Zuckerfabrik Süderdithmarschen et Zuckerfabrik Soest (C‑143/88 et C‑92/89, EU:C:1991:65, point 26).

( 9 ) Voir, par analogie, arrêt du 22 octobre 2015, Thomas Cook Belgium (C‑245/14, EU:C:2015:715, point 31).

( 10 ) Outre la suspension de la procédure d’exécution, l’article 23 du règlement no 805/2004 mentionne la possibilité, pour la juridiction ou l’autorité compétente dans l’État membre d’exécution, de limiter cette procédure à des mesures conservatoires ou de subordonner l’exécution à la constitution d’une sûreté qu’elle détermine, ces deux dernières décisions relevant, à mon sens, de la notion de « limitation », seule alternative à la suspension comme en atteste l’intitulé de cette disposition.

( 11 ) Arrêt du 30 janvier 2020, Autoservizi Giordano (C‑513/18, EU:C:2020:59, point 24).

( 12 ) Mise en italique par mes soins.

( 13 ) Voir, en ce sens, arrêt du 9 mars 2017, Zulfikarpašić (C‑484/15, EU:C:2017:199, points 38, 40 et 42).

( 14 ) Par un effet d’assimilation, la décision initiale voit ses effets étendus sur tout le territoire de l’Union européenne (à l’exception du Danemark), ce qui a conduit à la qualification du certificat de TEE de « passe-partout judiciaire » ou de « passeport européen ».

( 15 ) Voir, en ce sens, arrêts du 28 février 2018, Collect Inkasso e.a. (C‑289/17, EU:C:2018:133, point 36), et du 27 juin 2019, RD (Certification en tant que titre exécutoire européen) (C‑518/18, EU:C:2019:546, point 24). Dans son arrêt du 9 mars 2017, Zulfikarpašić (C‑484/15, EU:C:2017:199, point 39), la Cour a clairement indiqué que cet objectif de libre circulation des décisions dans tous les États membres ne saurait être atteint en affaiblissant, de quelque manière que ce soit, les droits de
la défense

( 16 ) À cet égard, l’exposé du litige, figurant dans la décision de renvoi, révèle une incompréhension des règles de répartition des compétences entre les organes de l’État membre d’origine et ceux de l’État membre d’exécution.

( 17 ) Mise en italique par mes soins.

( 18 ) Cette conclusion s’impose également pour les deux mesures de limitation de la procédure d’exécution mentionnées à l’article 23, sous a) et b), du règlement no 805/2004.

( 19 ) Voir, par analogie, arrêt du 14 janvier 2010, Kyrian (C‑233/08, EU:C:2010:11, point 40).

( 20 ) Voir, en ce sens, arrêt du 9 mars 2017, Zulfikarpašić (C‑484/15, EU:C:2017:199, points 25 et 26).

( 21 ) Il est intéressant de relever que le règlement no 805/2004 ne comporte aucune disposition prévoyant une communication ou plus précisément un échange d’informations entre les organes compétents de l’État membre d’origine et ceux de l’État membre d’exécution. Le fait que l’instance compétente de l’État membre d’exécution puisse recevoir de la part du débiteur et du créancier des éléments d’information sur l’état du droit positif de l’État membre d’origine s’accordant avec la défense de leurs
intérêts n’est pas de nature à infirmer la conclusion.

( 22 ) Proposition de règlement du Conseil portant création d’un titre exécutoire européen pour les créances incontestées [COM(2002) 0159 final] (JO 2002, C 203 E, p. 86).

( 23 ) La proposition de règlement comprenait un article 22, paragraphe 2, selon lequel « la décision ou sa certification en tant que titre exécutoire européen ne peut faire l’objet d’une révision au fond dans l’État membre d’exécution ». Cette disposition correspond à l’article 21, paragraphe 2, de ce règlement dans lequel il a été ajouté, de manière significative, l’expression « en aucun cas ».

( 24 ) Je relève que, dans ses observations, la Commission estime néanmoins que l’exposé des motifs de la proposition de règlement demeure pertinent pour interpréter l’article 23 du règlement no 805/2004 et que les deux éléments y mentionnés constituent les facteurs devant être mis en balance lors de l’application de cette disposition, en tenant compte des intérêts tant du débiteur que du créancier.

( 25 ) Les annexes I à III du règlement no 805/2004 correspondent aux certificats TEE « Décision », « Transaction judiciaire » et « Acte authentique ».

( 26 ) Arrêt du 14 décembre 2017, Chudaś (C‑66/17, EU:C:2017:972, point 28).

( 27 ) Règlement (CE) no 1896/2006 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, instituant une procédure européenne d’injonction de payer (JO 2006, L 399, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 936/2012 de la Commission, du 4 octobre 2012 (JO 2012, L 283, p. 1) (ci-après le « règlement no 1896/2006 »).

( 28 ) Règlement (CE) no 861/2007 du Parlement européen et du Conseil, du 11 juillet 2007, instituant une procédure européenne de règlement des petits litiges (JO 2007, L 199, p. 1), tel que modifié par le règlement (UE) no 517/2013 du Conseil, du 13 mai 2013 (JO 2013, L 158, p. 1) (ci-après le « règlement no 861/2007 »).

( 29 ) Le cadre juridique se caractérise par le choix laissé au créancier poursuivant entre le règlement no 1215/2012 et le règlement no 805/2004, conformément à l’article 27, lu à la lumière du considérant 20, de ce dernier.

( 30 ) Outre le fait que la suspension de la procédure d’exécution n’est pas conditionnée par l’existence de « circonstances exceptionnelles », il résulte de l’article 44 du règlement no 1215/2012 que c’est seulement en cas de demande de refus d’exécution de la décision originelle que la juridiction de l’État membre requis peut suspendre ou limiter cette procédure. Par ailleurs, l’article 23 du règlement no 861/2007 ouvre la possibilité de l’adoption de ces mesures lorsqu’une partie a, notamment,
formé un recours à l’encontre d’une décision rendue dans le cadre de la procédure européenne de règlement des petits litiges, ou « lorsqu’un tel recours est encore possible ». Si ces dispositions sur la prise en compte de l’écoulement du délai de la procédure relative à l’examen de la demande de refus d’exécution et de celui pour ester en justice contre la décision initiale apparaissent pertinentes, il me semble que, le cadre juridictionnel prédéterminant la possibilité pour la juridiction de l’État
membre d’exécution de suspendre ou de limiter la procédure d’exécution étant clairement défini à l’article 23 du règlement no 805/2004, il ne peut être ajouté à celui-ci sous couvert d’une interprétation de la notion de « circonstances exceptionnelles ».

( 31 ) Règlement du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).

( 32 ) Je note que les intitulés des articles 23 des règlements nos 805/2004, 1896/2006 et 861/2007 sont identiques, à savoir « Suspension ou limitation de l’exécution ».

( 33 ) L’appréciation ainsi demandée à l’organe compétent de l’État membre d’exécution porte sur une situation factuelle objective, ce qui correspond au sens de la notion de « circonstances » et écarte l’approche de la partie demanderesse au principal quant à l’exigence d’un comportement non fautif du débiteur, lequel pourrait ne plus l’être à l’issue des procédures engagées dans l’État d’origine.

( 34 ) Ordonnance du vice-président de la Cour du 3 juin 2022, Bulgarie/Parlement et Conseil (C‑545/20 R, EU:C:2022:445, point 32).

( 35 ) Ordonnance du vice-président de la Cour du 24 mai 2022, Puigdemont i Casamajó e.a./Parlement et Espagne [C‑629/21 P(R), EU:C:2022:413, point 75].

( 36 ) Voir, en ce sens, ordonnance du vice-président de la Cour du 3 juin 2022, Bulgarie/Parlement et Conseil (C‑545/20 R, EU:C:2022:445, point 40 et jurisprudence citée).

( 37 ) Voir ordonnance du vice-président de la Cour du 8 avril 2014, Commission/ANKO (C‑78/14 P‑R, EU:C:2014:239, point 26).

( 38 ) Voir, en ce sens, arrêt du 17 juillet 1997, Giloy (C‑130/95, EU:C:1997:372, point 38).

( 39 ) Ces conditions sont celles de l’urgence tenant à la survenance probable d’un préjudice grave et irréparable et du fumus boni juris.

( 40 ) Voir, notamment, ordonnance du vice-président de la Cour du 8 avril 2014, Commission/ANKO (C‑78/14 P‑R, EU:C:2014:239, points 14 et 36).

( 41 ) La partie demanderesse au principal fait état du risque d’utilisation abusive de la procédure prévue à l’article 23 du règlement no 805/2004. Outre que l’interprétation proposée de ce dernier me paraît de nature à circonscrire le champ d’application de la mesure de suspension, il est constant qu’un tel risque est consubstantiel à la mise en place d’une voie de recours et que le caractère abusif parce que purement dilatoire d’une action en justice est régulièrement sanctionné dans les
réglementations des États membres par l’octroi de dommages-intérêts à la partie qui en est victime.

( 42 ) Arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny (C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, points 43 à 45).

( 43 ) Voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 2020, Miasto Łowicz et Prokurator Generalny (C‑558/18 et C‑563/18, EU:C:2020:234, point 46), et ordonnance du 8 juin 2021, Centraal Justitieel Incassobureau (C‑699/20, non publiée, EU:C:2021:465, point 18).

( 44 ) Voir point 6 de la décision de renvoi. Cette situation d’incertitude est également mise en exergue par la Commission au point 62 de ses observations.

( 45 ) Arrêt du 16 juin 2016, Pebros Servizi (C‑511/14, EU:C:2016:448, point 28).

( 46 ) En tout état de cause, il résulte clairement de la décision de renvoi que le créancier poursuivant a fait le choix du règlement no 805/2004 en procédant à l’exécution d’une décision certifiée en tant que TEE, ce qui signifie que seule cette norme a vocation à s’appliquer dans le cas présent.

( 47 ) Si la référence à l’article 44, paragraphe 2, du règlement no 1215/2012 apparaît pertinente, dans la mesure où celui-ci dispose que la procédure d’exécution doit être suspendue si la force exécutoire de la décision est suspendue dans l’État membre d’origine, il n’en va pas de même de celle à l’article 36, paragraphe 1, de ce règlement, qui concerne la reconnaissance des décisions rendues dans un État membre, laquelle est acquise dans les autres États sans qu’il soit nécessaire de recourir à
aucune procédure.

( 48 ) Dans le cadre de la procédure de coopération entre les juridictions nationales et la Cour instituée à l’article 267 TFUE, il appartient à celle-ci de donner au juge national une réponse utile qui lui permette de trancher le litige dont il est saisi. En conséquence, même si, sur le plan formel, la juridiction de renvoi s’est référée uniquement à des dispositions du règlement no 1215/2012, une telle circonstance ne fait pas obstacle à ce que la Cour lui fournisse tous les éléments
d’interprétation du droit de l’Union qui peuvent être utiles au jugement de l’affaire dont elle est saisie, que cette juridiction y ait fait référence ou non dans l’énoncé de ses questions. Il appartient, à cet égard, à la Cour d’extraire de l’ensemble des éléments fournis par la juridiction nationale, et notamment de la motivation de la décision de renvoi, les éléments dudit droit qui appellent une interprétation compte tenu de l’objet du litige [arrêt du 18 décembre 2014, Abdida (C‑562/13,
EU:C:2014:2453, point 37)].


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-393/21
Date de la décision : 20/10/2022
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Lietuvos Aukščiausiasis Teismas.

Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile et commerciale – Règlement (CE) no 805/2004 – Titre exécutoire européen pour les créances incontestées – Article 23, sous c) – Suspension de l’exécution d’une décision certifiée en tant que titre exécutoire européen – Circonstances exceptionnelles – Notion.

Coopération judiciaire en matière civile

Espace de liberté, de sécurité et de justice


Parties
Demandeurs : Procédure engagée par Lufthansa Technik AERO Alzey GmbH.

Composition du Tribunal
Avocat général : Pikamäe

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:820

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