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29/09/2022 | CJUE | N°C-640/20

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. P. Pikamäe, présentées le 29 septembre 2022., PV contre Commission européenne., 29/09/2022, C-640/20


 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 29 septembre 2022 ( 1 )

Affaire C‑640/20 P

PV

contre

Commission européenne

« Pourvoi – Fonction publique – Harcèlement moral – Avis médicaux – Absences injustifiées – Rémunération – Statut des fonctionnaires de l’Union européenne – Article 11 bis – Conflit d’intérêts – Articles 21 bis et 23 – Droit pénal national – Procédure disciplinaire – Révocation – Retrait – Intérêt à agir â€

“ Nouvelle procédure disciplinaire – Nouvelle révocation »

I. Introduction

1. Par son pourvoi, PV demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Un...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 29 septembre 2022 ( 1 )

Affaire C‑640/20 P

PV

contre

Commission européenne

« Pourvoi – Fonction publique – Harcèlement moral – Avis médicaux – Absences injustifiées – Rémunération – Statut des fonctionnaires de l’Union européenne – Article 11 bis – Conflit d’intérêts – Articles 21 bis et 23 – Droit pénal national – Procédure disciplinaire – Révocation – Retrait – Intérêt à agir – Nouvelle procédure disciplinaire – Nouvelle révocation »

I. Introduction

1. Par son pourvoi, PV demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 30 janvier 2020, PV/Commission (T‑786/16 et T‑224/18, ci-après l’« arrêt attaqué », non publié, EU:T:2020:17), par lequel celui-ci a rejeté ses demandes tendant à constater qu’il a été victime de harcèlement moral, à annuler plusieurs actes et à condamner la Commission européenne à réparer des préjudices matériel et moral qu’il affirme avoir subi quand il était fonctionnaire de la Commission.

2. Ce pourvoi qui relève du droit de la fonction publique européenne comprend dix moyens qui contestent, en substance, la plupart des constats essentiels opérés par le Tribunal dans l’arrêt attaqué relatifs aux conclusions en annulation de PV. Conformément à la demande de la Cour, les présentes conclusions se concentreront sur les deux premiers moyens ainsi que sur le huitième moyen du pourvoi. L’examen de ces moyens m’amènera à analyser une série de questions juridiques inédites, à savoir la
vocation du droit pénal des États membres à s’appliquer aux fonctionnaires de l’Union, l’obligation d’impartialité au sein de la fonction publique et la faculté de saisir le Tribunal d’un recours en annulation d’une décision administrative après son retrait.

II. Le cadre juridique

3. L’article 11 bis du statut des fonctionnaires de l’Union européenne, dans sa version applicable au litige (ci-après le « statut ») dispose :

« 1.   Dans l’exercice de ses fonctions, le fonctionnaire ne traite aucune affaire dans laquelle il a, directement ou indirectement, un intérêt personnel, notamment familial ou financier, de nature à compromettre son indépendance, sous réserve du paragraphe 2.

2.   Le fonctionnaire auquel échoit, dans l’exercice de ses fonctions, le traitement d’une affaire telle que visée au paragraphe 1 en avise immédiatement l’autorité investie du pouvoir de nomination. Celle-ci prend les mesures qui s’imposent et peut notamment décharger le fonctionnaire de ses responsabilités dans cette affaire.

3.   Le fonctionnaire ne peut conserver ni acquérir, directement ou indirectement, dans les entreprises soumises au contrôle de l’institution à laquelle il appartient, ou en relation avec celle-ci, des intérêts de nature et d’importance telles qu’ils seraient susceptibles de compromettre son indépendance dans l’exercice de ses fonctions. »

4. L’article 12 bis du statut prévoit :

« 1.   Tout fonctionnaire s’abstient de toute forme de harcèlement moral et sexuel.

2.   Le fonctionnaire victime de harcèlement moral ou sexuel ne subit aucun préjudice de la part de l’institution. Le fonctionnaire ayant fourni des preuves de harcèlement moral ou sexuel ne subit aucun préjudice de la part de l’institution, pour autant qu’il ait agi de bonne foi.

3.   Par harcèlement moral, on entend toute conduite abusive se manifestant de façon durable, répétitive ou systématique par des comportements, des paroles, des actes, des gestes et des écrits qui sont intentionnels et qui portent atteinte à la personnalité, la dignité ou l’intégrité physique ou psychique d’une personne.

[...] »

5. L’article 19, premier alinéa, du statut énonce :

« Le fonctionnaire ne peut faire état en justice, à quelque titre que ce soit, des constatations qu’il a faites en raison de ses fonctions, sans l’autorisation de l’autorité investie du pouvoir de nomination. Cette autorisation ne peut être refusée que si les intérêts de l’Union l’exigent et si ce refus n’est pas susceptible d’entraîner des conséquences pénales pour le fonctionnaire intéressé. Le fonctionnaire reste soumis à cette obligation même après la cessation de ses fonctions. »

6. L’article 21 bis du statut est libellé comme suit :

« 1.   Lorsqu’un ordre reçu lui paraît entaché d’irrégularité, ou s’il estime que son exécution peut entraîner de graves inconvénients, le fonctionnaire en avise son supérieur hiérarchique direct, qui, si l’information est transmise par écrit, répond également par écrit. Sous réserve du paragraphe 2, si ce dernier confirme l’ordre, mais que le fonctionnaire juge cette confirmation insuffisante au regard de ses motifs de préoccupation, il en réfère par écrit à l’autorité hiérarchique immédiatement
supérieure. Si celle-ci confirme l’ordre par écrit, le fonctionnaire est tenu de l’exécuter, à moins qu’il ne soit manifestement illégal ou contraire aux normes de sécurité applicables.

2.   Si son supérieur hiérarchique direct estime que l’ordre ne souffre aucun délai, le fonctionnaire est tenu de l’exécuter, à moins qu’il ne soit manifestement illégal ou contraire aux normes de sécurité applicables. Sur la demande du fonctionnaire, le supérieur hiérarchique direct est tenu de donner tout ordre de ce type par écrit.

3.   Le fonctionnaire qui signale à ses supérieurs des ordres qui lui paraissent entachés d’irrégularité, ou dont il estime que l’exécution peut entraîner de graves inconvénients ne subit aucun préjudice à ce titre. »

7. L’article 23, premier alinéa, du statut dispose :

« Les privilèges et immunités dont bénéficient les fonctionnaires sont conférés exclusivement dans l’intérêt de l’Union. Sous réserve des dispositions du protocole sur les privilèges et immunités, les intéressés ne sont pas dispensés de s’acquitter de leurs obligations privées, ni d’observer les lois et les règlements de police en vigueur. »

8. L’article 24 du statut est ainsi rédigé :

« L’Union assiste le fonctionnaire, notamment dans toute poursuite contre les auteurs de menaces, outrages, injures, diffamations ou attentats contre la personne et les biens, dont il est, ou dont les membres de sa famille sont l’objet, en raison de sa qualité et de ses fonctions.

Elle répare solidairement les dommages subis de ce fait par le fonctionnaire dans la mesure où celui-ci ne se trouve pas, intentionnellement ou par négligence grave, à l’origine de ces dommages et n’a pu obtenir réparation de leur auteur. »

9. L’article 59, paragraphes 1 et 3, du statut prévoit :

« 1.   Le fonctionnaire qui justifie être empêché d’exercer ses fonctions par suite de maladie ou d’accident bénéficie de plein droit d’un congé de maladie.

L’intéressé doit aviser, dans les délais les plus brefs, son institution de son indisponibilité en précisant le lieu où il se trouve. Il est tenu de produire, à partir du quatrième jour de son absence, un certificat médical. Ce certificat doit être envoyé au plus tard le cinquième jour de l’absence, le cachet de la poste faisant foi. À défaut, et sauf si le certificat n’est pas envoyé pour des raisons indépendantes de la volonté du fonctionnaire, l’absence est considérée comme injustifiée.

Le fonctionnaire en congé de maladie peut, à tout moment, être soumis à un contrôle médical organisé par l’institution. Si ce contrôle ne peut avoir lieu pour des raisons imputables à l’intéressé, son absence est considérée comme injustifiée à compter du jour où le contrôle était prévu.

Si le contrôle médical révèle que le fonctionnaire est en mesure d’exercer ses fonctions, son absence, sous réserve de l’alinéa ci-après, est considérée comme injustifiée à compter du jour du contrôle.

Si le fonctionnaire estime que les conclusions du contrôle médical organisé par l’autorité investie du pouvoir de nomination sont médicalement injustifiées, le fonctionnaire ou un médecin agissant en son nom peut, dans les deux jours, saisir l’institution d’une demande d’arbitrage par un médecin indépendant.

L’institution transmet immédiatement cette demande à un autre médecin désigné d’un commun accord par le médecin du fonctionnaire et le médecin-conseil de l’institution. À défaut d’un tel accord dans les cinq jours, l’institution choisit l’une des personnes inscrites sur la liste de médecins indépendants constituée chaque année à cette fin d’un commun accord par l’autorité investie du pouvoir de nomination et le comité du personnel. Le fonctionnaire peut contester, dans un délai de deux jours
ouvrables, le choix de l’institution, auquel cas celle-ci choisit une autre personne dans la liste ; ce nouveau choix est définitif.

L’avis du médecin indépendant donné après consultation du médecin du fonctionnaire et du médecin-conseil de l’institution est contraignant. Lorsque l’avis du médecin indépendant confirme les conclusions du contrôle organisé par l’institution, l’absence est traitée comme une absence injustifiée à compter du jour dudit contrôle. Lorsque l’avis du médecin indépendant ne confirme pas les conclusions dudit contrôle, l’absence est traitée à tous égards comme une absence justifiée.

[...]

3.   Sans préjudice de l’application des dispositions relatives aux procédures disciplinaires, le cas échéant, toute absence considérée comme injustifiée au titre des paragraphes 1 et 2 est imputée sur la durée du congé annuel de l’intéressé. En cas d’épuisement de ce congé, le fonctionnaire perd le bénéfice de sa rémunération pour la période correspondante. »

10. L’article 60, premier alinéa, du statut est libellé comme suit :

« Sauf en cas de maladie ou d’accident, le fonctionnaire ne peut s’absenter sans y avoir été préalablement autorisé par son supérieur hiérarchique. Sans préjudice de l’application éventuelle des dispositions prévues en matière disciplinaire, toute absence irrégulière dûment constatée est imputée sur la durée du congé annuel de l’intéressé. En cas d’épuisement de ce congé, le fonctionnaire perd le bénéfice de sa rémunération pour la période correspondante. »

11. L’article 6, paragraphe 5, de l’annexe IX du statut prévoit :

« Dans les cinq jours qui suivent la constitution du conseil, le fonctionnaire concerné a le droit de récuser un des membres du conseil. L’institution a également le droit de récuser un des membres du conseil.

Dans le même délai, les membres du conseil peuvent demander à être déchargés de cette fonction pour des raisons légitimes et sont tenus de se désister s’ils se trouvent en situation de conflit d’intérêts.

[...] »

III. Les antécédents du litige, la procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

A. Les antécédents du litige

12. Les antécédents du litige sont exposés aux points 1 à 33 de l’arrêt attaqué. Ils peuvent, pour les besoins de la présente procédure, être résumés comme suit.

13. PV, qui était fonctionnaire de la Commission depuis le 16 juillet 2007, a été affecté à la direction générale (DG) de l’emploi, des affaires sociales et de l’inclusion de la Commission jusqu’au 30 septembre 2009.

14. S’estimant victime de harcèlement, PV a introduit, le 5 août 2009, une demande d’assistance sur le fondement de l’article 24 et de l’article 90, paragraphe 1, du statut. Cette procédure a été close le 9 juin 2010, à l’issue d’une enquête menée par l’Office d’investigation et de discipline de la Commission, qui a conclu que les conditions requises à l’article 12 bis, paragraphe 3, du statut pour qualifier un comportement déterminé de harcèlement moral n’étaient pas réunies, et après la mutation
de PV à la DG du budget de la Commission le 1er octobre 2009.

15. Le 1er avril 2013, PV a été affecté à l’unité « Gestion budgétaire et financière » de la DG de l’interprétation de la Commission.

16. Le 12 novembre 2013, le chef de cette unité a déposé une plainte disciplinaire à l’encontre de PV pour des problèmes comportementaux, non‑application des procédures en vigueur et manque de performance.

17. À partir du 8 mai 2014, PV ne s’est plus présenté au travail, s’estimant victime de harcèlement moral, et a envoyé des certificats médicaux délivrés par son médecin traitant.

18. Les 27 juin et 10 octobre 2014, les médecins conseil de la Commission ont émis des avis médicaux indiquant que PV était apte à reprendre le travail. Par la suite, PV a été convoqué à des visites médicales de contrôle et il n’a pas donné suite à ces convocations.

19. Le 23 décembre 2014, PV a introduit une deuxième demande d’assistance au titre de l’article 24 du statut. Par décision du 12 mars 2015, l’autorité investie du pouvoir de nomination (AIPN) a décidé qu’il n’existait pas d’indices d’un quelconque harcèlement moral à l’encontre de PV et a conclu que l’application de mesures d’urgence d’éloignement n’était, par conséquent, pas justifiée.

20. Considérant que les absences de PV étaient injustifiées, la Commission a adopté plusieurs décisions de retenue sur le salaire de PV.

21. Le 10 juillet 2015, la Commission a ouvert la procédure disciplinaire CMS 13/087 à l’encontre de PV pour insubordination répétée dans l’exercice de ses fonctions, comportement inapproprié et absences injustifiées.

22. Par décisions des 31 mai et 5 juillet 2016, l’AIPN a considéré les absences de PV pour les périodes allant du 5 février au 31 mars 2016 et du 4 avril au 31 mai 2016 comme étant irrégulières.

23. Par décision du 11 juillet 2016, l’Office de gestion et de liquidation des droits individuels (PMO) a décidé de suspendre le paiement du salaire du requérant à partir du 1er juillet 2016.

24. Par décision de l’AIPN du 26 juillet 2016, adoptée à la suite des conclusions de la procédure disciplinaire CMS 13/087, PV a été révoqué de ses fonctions avec effet au 1er août 2016 (ci-après la « décision de révocation du 26 juillet 2016 »). PV a introduit contre cette décision une réclamation qui a été rejetée par décision de l’AIPN du 2 février 2017.

25. Par note du 31 juillet 2016, le directeur général de la DG de l’interprétation a communiqué à PV son intention de considérer comme étant irrégulières ses absences du 2 juin au 31 juillet 2016 et d’opérer les déductions correspondantes sur son salaire. La réclamation introduite par PV contre cette note a été rejetée par décision de l’AIPN du 17 janvier 2017.

26. Par lettre de préinformation du 21 septembre 2016, le PMO a informé PV qu’il était redevable à la Commission d’une dette de 42704,74 euros, correspondant à ses absences injustifiées. La réclamation introduite par PV contre cette décision a été rejetée par décision de l’AIPN du 17 janvier 2017.

27. Le 24 juillet 2017, l’AIPN a retiré sa décision de révocation du 26 juillet 2016 et PV a été informé, par note du directeur général de la DG des ressources humaines et de la sécurité, qu’il serait réintégré le 16 septembre 2017 au sein de l’unité « Systèmes informatiques et de conférence » de la DG de l’interprétation. La réclamation introduite par PV contre la décision de retrait de sa révocation a été rejetée par décision de l’AIPN du 15 janvier 2018.

28. Par note du 12 septembre 2017, le directeur du PMO a compensé les montants dus à PV pour la période pendant laquelle il avait été révoqué de ses fonctions et les dettes de celui-ci à l’égard de la Commission, qui s’est traduite par un versement de 9550 euros au profit de PV. La réclamation introduite par PV contre cette note de compensation a été rejetée par décision de l’AIPN du 9 mars 2018.

29. Le 20 septembre 2017, PV a été informé que ses absences depuis le 16 septembre 2017 étaient considérées comme étant irrégulières.

30. Le 6 octobre 2017, la Commission a ouvert la procédure disciplinaire CMS 17/025, pour les mêmes griefs que ceux visés par la procédure disciplinaire CMS 13/087. La réclamation introduite par PV contre l’ouverture de la nouvelle procédure disciplinaire a été rejetée par décision de l’AIPN du 2 mai 2018.

31. Le 13 octobre 2017, la Commission a adopté une décision de mise à zéro du salaire de PV à compter du 1er octobre 2017.

32. Par courriel du 15 novembre 2017, PV a été invité à participer à l’exercice d’évaluation FP 2016. La réclamation introduite par PV contre cette invitation a été rejetée par décision de l’AIPN du 16 mars 2018.

33. Par courriel du 22 février 2018, PV a été invité à participer à l’exercice d’évaluation FP 2017. La réclamation introduite par PV contre cette invitation a été rejetée par décision de l’AIPN du 1er juin 2018.

34. Par décision du 21 octobre 2019, la Commission a révoqué PV de ses fonctions, à la suite des conclusions de la procédure disciplinaire CMS 17/025. Cette révocation est entrée en vigueur le 1er novembre 2019.

B. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

35. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 17 décembre 2017, après avoir été admis au bénéfice de l’aide juridictionnelle par le président du Tribunal, PV a saisi le Tribunal d’un recours tendant à l’annulation de plusieurs actes et à la condamnation de la Commission à lui verser 889000 euros et 132828,67 euros en réparation des préjudices respectivement moral et matériel allégués.

36. À l’appui de ce recours, PV a fait valoir cinq moyens notamment tirés, premièrement, de la violation de l’article 12 bis du statut, deuxièmement, de la violation des articles 11 bis, 21 bis et 23 du statut ainsi que des principes de légalité et de régularité des actes administratifs, troisièmement, de la violation du principe de sollicitude et du devoir d’assistance établi à l’article 24 du statut et, quatrièmement, des articles 59 et 60 du statut.

37. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 11 avril 2018, PV a saisi le Tribunal d’un recours tendant à entendre constater qu’il a été victime de harcèlement moral, à annuler d’autres actes et à condamner la Commission à lui verser 98000 euros et 23190,44 euros en réparation des préjudices respectivement moral et matériel allégués.

38. À l’appui de ce recours, PV a fait valoir sept moyens notamment tirés, premièrement, de la violation de l’article 12 bis du statut, deuxièmement, de la violation des articles 21 bis et 23 du statut ainsi que des principes de légalité et de régularité des actes administratifs, troisièmement, de la violation de l’article 11 bis du statut et de l’article 41, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), quatrièmement, de la violation du principe
de sollicitude et, cinquièmement, de la violation du principe de l’exception d’inexécution et du principe de légalité.

39. Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté, dans leur ensemble, les recours introduits par PV.

40. Le Tribunal a, en premier lieu, constaté l’irrecevabilité des conclusions de PV tendant à ce que le Tribunal constate qu’il a été victime de harcèlement moral ainsi que de celles tendant à l’annulation, notamment, de la décision de révocation du 26 juillet 2016 et des décisions attaquées à titre subsidiaire dans l’affaire T‑786/16, parmi lesquelles figurent des décisions de retenues sur salaire, des décisions de rejet de demandes d’assistance et des avis médicaux d’absences injustifiées.

41. Le Tribunal a, en deuxième lieu, rejeté comme étant non fondées les conclusions en annulation dans les deux recours.

42. Il a, tout d’abord, estimé que les faits de harcèlement moral allégués par PV n’avaient pas été établis à suffisance de droit.

43. Le Tribunal a, en troisième lieu, écarté les arguments de PV relatifs à la violation des articles 11 bis, 21 bis et 23 du statut et des principes de légalité et de régularité des actes administratifs, du principe de sollicitude ainsi que du devoir d’assistance établi à l’article 24 du statut, des articles 59 et 60 du statut et des principes de l’exception d’inexécution et de légalité.

44. Le Tribunal a, en quatrième lieu, rejeté les conclusions indemnitaires de PV, en considérant qu’elles se fondent, en substance, sur le prétendu caractère illégal des décisions faisant l’objet des recours en annulation et dont l’illégalité n’a pas été établie.

IV. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

A. La procédure devant la Cour

45. Conformément à l’article 76, paragraphe 2, du règlement de procédure, la Cour a décidé de ne pas tenir d’audience de plaidoiries.

B. Conclusions des parties

46. Le pourvoi a été déposé par PV le 23 novembre 2020 et a été inscrit au registre du greffe de la Cour le 30 novembre 2020. PV conclut à ce qu’il plaise à la Cour :

– annuler l’arrêt attaqué,

– statuer sur le litige, et

– condamner la Commission aux dépens des deux instances.

47. La Commission a déposé un mémoire en réponse le 22 avril 2021, inscrit au registre du greffe de la Cour le 23 avril 2021, dans lequel elle conclut à ce qu’il plaise à la Cour :

– rejeter le pourvoi, et

– condamner PV aux dépens.

V. Analyse juridique

A. Remarques préliminaires

48. Ainsi que je l’ai indiqué dans l’introduction, les présentes conclusions se concentreront sur les deux premiers moyens ainsi que sur le huitième moyen du pourvoi. Les questions juridiques à examiner portent, en substance, sur la vocation du droit pénal des États membres à s’appliquer aux fonctionnaires de l’Union, sur l’obligation d’impartialité au sein de la fonction publique et sur la possibilité de saisir le Tribunal d’un recours en annulation d’une décision administrative après son retrait.
L’examen de ces questions juridiques à la lumière du contexte spécifique de l’affaire en l’espèce semble indispensable pour la solution du litige.

49. Eu égard à la complexité des faits de la présente affaire, il paraît judicieux de rappeler, à titre liminaire, les règles régissant la procédure du pourvoi. Conformément à l’article 256, paragraphe 1, second alinéa, TFUE et à l’article 58, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, le pourvoi est limité aux questions de droit. En effet, comme le confirme une jurisprudence constante, le Tribunal est seul compétent, d’une part, pour constater les faits et, d’autre part,
pour apprécier ces faits. En revanche, la Cour n’est pas compétente pour constater les faits ni, en principe, pour examiner les éléments de preuve que le Tribunal a retenus à l’appui de ces faits. Par conséquent, l’appréciation des éléments de preuve par le Tribunal ne constitue pas une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour ( 2 ).

50. Cependant, lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié les faits, la Cour est compétente pour exercer, en vertu de l’article 256 TFUE, un contrôle sur la qualification juridique de ces faits et sur les conséquences juridiques qui en ont été tirées par le Tribunal. Exceptionnellement, la Cour peut exercer un contrôle sur l’appréciation des faits par le Tribunal lorsqu’un requérant allègue une dénaturation d’éléments de preuve par le Tribunal ( 3 ). Dans ce cas, le requérant doit indiquer de façon
précise les éléments de preuve qui auraient été dénaturés et montrer les erreurs d’appréciation qui, selon lui, ont conduit à cette dénaturation. Ainsi que cela ressort de la jurisprudence, il y aura dénaturation lorsque, sans avoir recours à de nouveaux éléments de preuve, l’appréciation des éléments de preuve existants apparaît manifestement erronée ( 4 ).

51. Ces remarques préliminaires prennent un relief tout particulier dans le présent contexte, étant donné que PV remet en cause l’appréciation de différents éléments de fait ainsi que de certaines conclusions tirées par le Tribunal. On songe, en particulier, au prétendu harcèlement moral que PV aurait subi de la part d’autres fonctionnaires dans le cadre de ses fonctions, sans pour autant être parvenu à le prouver en première instance. À cet égard, il y a lieu de relever que le Tribunal a constaté
dans son arrêt, sans commettre d’erreur de droit, que les informations fournies par PV ne permettaient pas de conclure à l’existence d’un tel harcèlement moral ( 5 ). En outre, il importe d’observer que le Tribunal a indiqué, à juste titre, que nombre des mesures reprochées à la Commission et perçues par PV comme étant susceptibles de constituer du harcèlement, telles que la suspension de salaire pour absence injustifiée et l’évaluation de la compétence, du rendement et de la conduite dans le
service de chaque fonctionnaire, sont expressément prévues dans le statut ( 6 ). Il est évident que, faute d’éléments contraires, la légalité de ces mesures ne saurait sérieusement être mise en cause.

52. Par conséquent, si PV conteste les motifs de l’arrêt attaqué, la procédure du pourvoi ne saurait toutefois être détournée pour obliger la Cour à réévaluer elle-même les faits. Au contraire, compte tenu de la répartition claire des compétences entre les juridictions de l’Union, décrite aux points précédents, il est impératif de limiter l’examen du pourvoi à une analyse stricte des questions juridiques portées devant la Cour.

B. Sur le premier moyen du pourvoi

1.   Arguments des parties

53. Par son premier moyen, PV critique l’appréciation portée par le Tribunal, aux points 184 et 185 de l’arrêt attaqué, sur les arguments tirés en première instance de la violation des articles 21 bis et 23 du statut.

54. En premier lieu, le Tribunal aurait méconnu l’article 2 TUE ainsi que l’article 67, paragraphe 3, et l’article 270 TFUE, en jugeant, au point 185 de l’arrêt attaqué, que la relation de travail entre un fonctionnaire et son institution est exclusivement régie par le statut, alors que d’autres sources de droit seraient pertinentes, notamment le droit pénal de l’État membre sur le territoire duquel travaille l’agent concerné. Ainsi, toute infraction pénale commise par un agent constituerait une
violation de l’article 23 du statut. Or, le harcèlement moral, les faux en écriture publique, les faux avis médicaux et la corruption constitueraient des infractions au code pénal belge.

55. En deuxième lieu, le Tribunal aurait dénaturé les faits par omission en ne prenant pas en compte plusieurs éléments déterminants. PV cite, tout d’abord, les ordonnances du juge d’instruction belge enjoignant de procéder à l’audition, sous le régime « Salduz III », de certains fonctionnaires de la Commission impliqués dans l’adoption de certains actes attaqués, lesquelles démontreraient que ces personnes sont considérées comme étant suspectes des faits reprochés. Il se réfère, ensuite, à la
saisie du dossier disciplinaire CMS 17/025 par le juge d’instruction à titre de pièce à conviction pour l’infraction de « faux en écritures publiques » qui serait intervenue le 19 septembre 2018.

56. En troisième lieu, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en estimant, au point 184 de l’arrêt attaqué, que seul un jugement de condamnation pourrait établir des faits de harcèlement moral ou de faux en écriture et en refusant de tenir compte des ordonnances adoptées dans le cadre de l’instruction belge en rapport avec ces faits.

57. La Commission soutient, premièrement, que le grief de PV tiré de la prétendue erreur de droit qu’aurait commise le Tribunal au point 185 de l’arrêt attaqué résulte d’une mauvaise lecture de cet arrêt. Le Tribunal aurait uniquement rappelé, dans ce point, que la relation de travail entre un fonctionnaire et son institution est régie par le statut et que le Tribunal applique uniquement le droit de la fonction publique et non pas un quelconque droit national.

58. Deuxièmement, le Tribunal aurait relevé, sans commettre de dénaturation de fait, que les juridictions belges n’ont pas statué sur les faits allégués par PV. À cet égard, la convocation de certains fonctionnaires de la Commission à une audition sous le régime « Salduz III » ne constituerait nullement une reconnaissance de leur culpabilité. En outre, le Tribunal n’aurait pas dénaturé les faits en ne tirant aucune conséquence de la saisie alléguée du dossier disciplinaire CMS 17/025 par un juge
d’instruction belge, à l’initiative de PV qui ne permettrait nullement de déduire qu’un « faux en écritures publiques » serait établi.

59. Troisièmement, le Tribunal aurait considéré à juste titre que des plaintes pénales en cours d’instruction ne permettraient pas de démontrer l’existence d’un harcèlement moral ou de faux en écriture.

2.   Appréciation

60. Par son premier moyen, PV fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant, au point 185 de l’arrêt attaqué, que la relation de travail entre un fonctionnaire et son institution est « exclusivement » régie par le statut. Le raisonnement développé par le Tribunal dans ce point consiste à écarter, sur le fondement de l’article 270 TFUE, toute pertinence du droit national et, en particulier, du droit pénal, dans l’examen de la question de savoir si l’AIPN a enfreint les
articles 21 et 23 du statut en adoptant les décisions attaquées en première instance. Or, selon PV, le Tribunal aurait méconnu « les autres sources de droit » régissant pourtant la relation de travail et notamment la législation pénale de l’État membre du lieu d’affectation du fonctionnaire.

61. À cet égard, il y a lieu de rappeler que PV avait soutenu devant le Tribunal que les décisions en cause sont entachées d’illégalité au motif qu’elles se fondent sur des actes constituant des infractions pénales commises par des fonctionnaires et agents de la Commission sur le territoire belge. PV avait argué que, en vertu de l’article 21 bis, paragraphe 2, du statut, un fonctionnaire ou un agent de l’Union doit refuser de commettre des actes illégaux et que, conformément à l’article 23 du
statut, il est tenu de respecter les lois de police du pays dans lequel il travaille. C’est la raison pour laquelle PV estime que l’AIPN aurait dû tenir compte des décisions prises par les autorités judiciaires belges à la suite des plaintes avec constitution de partie civile qu’il avait déposées à l’encontre de nombreuses personnes.

a)   Les règles de droit de la fonction publique dans l’ordre juridique de l’Union

62. D’emblée, il convient d’observer que, ainsi que l’indique PV dans ses observations, les règles de droit régissant la fonction publique figurent à tous les niveaux de la hiérarchie des normes de l’ordre juridique de l’Union, à savoir dans le droit primaire, dans les principes généraux et dans le droit dérivé. Dans ce contexte, il ne faut certainement pas oublier la contribution précieuse que la jurisprudence de la Cour et du Tribunal apporte aux règles applicables aux fonctionnaires et aux autres
agents. Leurs arrêts s’imposent aux institutions en vertu de l’article 266 TFUE. Cela étant dit, c’est le droit codifié, ainsi que son interaction avec les ordres juridiques nationaux, qui revêt une importance primordiale aux fins de l’examen du premier moyen.

1) Le droit primaire et les principes généraux de droit

63. Le droit primaire se compose principalement des traités constitutifs et de leurs protocoles, ainsi que de la Charte. De nombreux principes fondamentaux inscrits dans les traités s’imposent aux fonctionnaires dans l’exercice de leurs fonctions. Il s’agit, par exemple, des valeurs et objectifs de l’Union, énoncés respectivement aux articles 2 et 3 TUE. En outre, en vertu de l’article 298, paragraphe 1, TFUE, les institutions, organes et organismes de l’Union s’appuient sur une administration
européenne ouverte, efficace et indépendante dans l’accomplissement de leurs missions. En revanche, d’autres dispositions du droit primaire requièrent l’adoption, par les institutions, d’actes de droit dérivé afin d’être concrétisées. Tel est le cas de l’article 336 TFUE, qui dispose que le Parlement et le Conseil, statuant par voie de règlements conformément à la procédure législative ordinaire, arrêtent, après consultation des autres institutions intéressées, le statut des fonctionnaires et le
régime applicable aux autres agents de l’Union.

64. L’article 270 TFUE confère à la Cour de justice de l’Union européenne la compétence pour statuer sur tout litige entre l’Union et ses agents dans les limites et conditions déterminées par le statut et le régime applicable aux autres agents de l’Union. L’article 340 TFUE prévoit, quant à lui, que l’Union est tenue de réparer, conformément aux principes généraux communs aux droits des États membres, les dommages causés par ses institutions ou par ses agents dans l’exercice de leurs fonctions et
que la responsabilité personnelle des agents envers l’Union est réglée dans les dispositions fixant leur statut ou le régime qui leur est applicable. De manière plus précise, l’article 339 TFUE impose aux fonctionnaires de l’Union une obligation de ne pas divulguer les informations qui, par leur nature, sont couvertes par le secret professionnel, et notamment les renseignements relatifs aux entreprises et concernant leurs relations commerciales ou les éléments de leur prix de revient.

65. Conformément à l’article 51 TUE, les protocoles ont la même valeur juridique que les traités et font donc partie intégrante du droit primaire. Parmi ceux-ci, le protocole no 7 sur les privilèges et immunités de l’Union (ci-après le « protocole no 7 ») vise directement les fonctionnaires et autres agents dans plusieurs de ses dispositions et leur consacre son chapitre V. Ce protocole contient des dispositions essentielles pour la fonction publique, notamment en matière d’immunité fiscale et
juridictionnelle, sur lesquelles je reviendrai plus loin dans mon analyse ( 7 ).

66. La Charte, qui, conformément à l’article 6, paragraphe 1, TUE, a la même valeur juridique que les traités, s’applique à l’ensemble des actes de droit dérivé de l’Union, qui inclut notamment le statut. Les fonctionnaires bénéficient des droits protégés par la Charte et doivent, à leur tour, respecter les droits fondamentaux des citoyens dans l’exercice de leurs fonctions. À cet égard, l’article 41 de la Charte, qui consacre le droit à une bonne administration, revêt une importance particulière (
8 ).

67. Au cours du processus de l’intégration européenne, la Cour a dégagé de nombreux principes généraux du droit de l’Union. En matière de fonction publique, ces principes sont, pour l’essentiel, relatifs aux droits fondamentaux protégés par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »). En vertu de l’article 6, paragraphe 3, TUE, les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la CEDH, font
partie du droit de l’Union en tant que principes généraux. Avant que la Charte n’acquière force obligatoire, la CEDH constituait une source essentielle en matière de protection des citoyens, y compris les fonctionnaires.

68. S’il est vrai que la Charte joue aujourd’hui un rôle plus prépondérant, il reste que le juge de l’Union continue, si nécessaire, à se référer à la CEDH et à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme pour interpréter les dispositions contenues dans la Charte ou même compléter la protection garantie par celles-ci. La CEDH n’a pas perdu de son importance pour le développement du droit de l’Union puisque l’article 52, paragraphe 3, de la Charte dispose que, dans la mesure où la
Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la CEDH, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère ladite convention, sans que cela fasse obstacle à ce que le droit de l’Union accorde une protection plus étendue.

2) Le droit dérivé

69. Le statut établit de manière détaillée le régime applicable aux fonctionnaires qui travaillent au sein des institutions de l’Union en ce qui concerne, entre autres, le recrutement et le déroulement de la carrière, les conditions de travail, les droits et obligations, le régime pécuniaire et le régime disciplinaire ( 9 ). Le statut a la forme juridique d’un règlement, ce qui signifie qu’il est obligatoire dans tous ses éléments et qu’il s’impose aussi bien aux institutions et organismes de
l’Union qu’aux États membres. Comme l’a souligné la Cour dans sa jurisprudence, « il en découle que, en dehors des effets que le statut déploie dans l’ordre intérieur de l’administration de l’Union, il oblige également les États membres dans toute la mesure où leur concours est nécessaire à sa mise en œuvre » ( 10 ), ce qui implique que, dans l’hypothèse où une disposition statutaire requiert des mesures d’application sur le plan national, « les États membres sont tenus d’adopter toutes mesures
générales ou particulières appropriées » ( 11 ).

70. Les règles juridiques qui s’appliquent à la relation entre le fonctionnaire et son institution sont déterminées par les dispositions statutaires arrêtées par voie de règlement, ce qui implique qu’elles sont susceptibles d’être modifiées au besoin par le Parlement et le Conseil. Il s’agit donc d’une relation de travail régie par le droit public, dont la gestion par l’institution pertinente constitue un cas d’administration directe, ce qui signifie que toutes les décisions susceptibles d’affecter
le fonctionnaire sont adoptées par elle de manière unilatérale, suivant les règles et les procédures établies par le statut ou par des dispositions générales d’exécution, et constituent des mesures administratives. Le régime statutaire s’applique dans son intégralité au fonctionnaire de l’Union, c’est-à-dire à toute personne qui a été nommée dans les conditions prévues par ce statut dans un emploi permanent d’une des institutions de l’Union par un acte écrit de l’AIPN.

71. Si le statut est le texte central du droit dérivé de la fonction publique de l’Union ( 12 ), il existe également d’autres actes qui mettent en œuvre les différentes dispositions statutaires et régissent, entres autres, le régime fiscal, le régime linguistique, la protection des données personnelles, les modalités de délivrance de laissez-passer et les recrutements lors des élargissements. Ce domaine se caractérise par une hétérogénéité de normes qui mettent en œuvre ou interprètent les
dispositions du statut. En général, on distingue les actes expressément prévus par le statut des actes sui generis. Cela étant dit, une énumération exhaustive de ces actes dépasserait le cadre de ces conclusions et irait au-delà de mon objectif. Cependant, il importe de retenir, à ce stade de l’analyse, que, nonobstant l’hétérogénéité des actes normatifs, le principe d’unicité du régime statuaire exige que les textes d’application soient les mêmes dans l’ensemble des institutions et que des
interprétations trop divergentes soit évitées. Cette exigence répond à l’intérêt de garantir l’unicité de la fonction publique européenne, érigée comme principe par l’article 9, paragraphe 3, du traité d’Amsterdam ( 13 ), dont les articles 1er et 1 bis du statut sont l’expression.

b)   L’incidence du droit national sur la fonction publique européenne

1) L’indépendance de l’Union en matière de gestion de la fonction publique

72. Il ressort des points que je viens d’exposer que l’ordre juridique de l’Union dispose de ses propres règles régissant la relation entre le fonctionnaire et son institution, qui ont été codifiées pour la plupart dans le statut. C’est la raison pour laquelle plusieurs dispositions, même du droit primaire ( 14 ), y font référence, comme précisément l’article 270 TFUE, cité par le Tribunal dans l’arrêt attaqué afin de rappeler la compétence exclusive du juge de l’Union pour résoudre des litiges en
matière de fonction publique ( 15 ).

73. En vertu de son autonomie organisationnelle, l’administration de l’Union est largement indépendante des ordres juridiques nationaux, ce qui n’exclut pas que certaines normes requièrent éventuellement une mise en œuvre par les institutions de l’Union elles-mêmes ou par les États membres afin d’assurer le bon fonctionnement de l’Union en tant qu’organisation supranationale. Cependant, cet aspect ne suffit pas à lui seul pour pouvoir affirmer que le droit national détermine en quelque sorte le
fonctionnement de l’administration de l’Union. Une telle affirmation serait erronée, compte tenu de l’intention manifeste des fondateurs de l’Union de créer une fonction publique européenne « indépendante » au sens de l’article 298, paragraphe 1, TFUE, ce qui se reflète d’ailleurs dans la nature juridique de ses règles et la structure institutionnelle de cette organisation supranationale ( 16 ).

74. Vu sous cet angle, l’affirmation du Tribunal au point 185 de l’arrêt attaqué, selon laquelle « la relation de travail entre un fonctionnaire et son institution est exclusivement régie par le statut » n’est pas juridiquement incorrecte. D’une part, on peut se demander si, eu égard à la multitude des sources du droit de la fonction publique, il est suffisamment précis d’un point de vue juridique d’utiliser l’adverbe « exclusivement » dans ce contexte. D’autre part, une telle affirmation paraît
parfaitement justifiée au regard du principe de l’unicité du statut déjà mentionné, en vertu duquel tous les fonctionnaires de toutes les institutions de l’Union sont soumis à un statut unique et, ainsi, aux mêmes dispositions. En premier lieu, il est incontestable que le statut constitue l’élément central d’un corpus juridique composé de diverses normes juridiques. En deuxième lieu, il est évident que tous les fonctionnaires de la Commission, dont PV faisait partie, sont soumis aux règles du
statut. Par conséquent, j’estime que le point 185 de l’arrêt attaqué doit être compris en ce sens que le Tribunal a eu pour objectif de réitérer la vocation des règles du statut à s’appliquer aux fonctionnaires de la Commission, ce qui est incontestable d’un point de vue juridique.

75. PV reproche au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en méconnaissant la pertinence du droit pénal national. Selon PV, les décisions attaquées en première instance n’auraient pas pu être adoptées en ce qu’elles ne sont pas conformes au droit pénal belge. Cependant, il convient de noter que le Tribunal se référait uniquement à « la relation de travail entre le fonctionnaire et son institution » qui, effectivement, est régie par le statut. En effet, la présente affaire concerne un litige
relevant exclusivement de la fonction publique de l’Union et ayant pour objet l’activité professionnelle de PV au sein de la Commission.

76. Dès lors, la question à examiner n’est pas de savoir si le droit pénal belge pourrait s’appliquer en l’espèce. Les juridictions de l’Union n’ont pas compétence pour interpréter le droit pénal belge. Un recours sollicitant l’interprétation du droit national serait manifestement irrecevable. Il me semble que c’est précisément ce que le Tribunal a voulu exprimer par la référence à l’article 270 TFUE. Il convient d’ailleurs de rappeler que les juridictions nationales ne sont pas non plus compétentes
pour se prononcer sur l’interprétation des règles du statut, ce qui souligne l’indépendance de l’Union dans la gestion de la fonction publique.

2) Le rapport entre les procédures pénale et disciplinaire

77. Nonobstant ces considérations, il est vrai que, conformément à l’article 23, premier alinéa, du statut, les fonctionnaires de l’Union ont l’obligation d’« observer les lois et les règlements de police en vigueur », ce qui inclut évidemment le droit pénal. Une infraction auxdites lois et règlements de l’État du siège de l’institution peut requérir la levée de l’immunité d’un fonctionnaire, conformément à l’article 17 du protocole no 7, afin de permettre, le cas échéant, des enquêtes pénales à son
endroit. Comme la Cour l’a précisé dans l’arrêt Commission/RQ ( 17 ), « une décision portant levée de l’immunité d’un fonctionnaire [...] modifie la situation juridique [de ce dernier], par le seul effet de la suppression de la protection conférée audit fonctionnaire par l’immunité de juridiction prévue à l’article 11, sous a), du protocole no 7, en rétablissant, à son égard, le statut de personne soumise au droit commun des États membres et en l’exposant, sans qu’aucune mesure intermédiaire
soit nécessaire, à des mesures notamment de détention et de poursuite judiciaire, instituées par ce droit commun » ( 18 ).

78. Cela étant dit, il convient toutefois de relever le fait que le comportement de PV en tant que fonctionnaire, en cause dans la présente affaire, n’a pas fait l’objet d’une enquête pénale de la part des autorités judiciaires belges. C’est plutôt PV qui reproche à ses collègues d’avoir enfreint le droit pénal belge. D’ailleurs, le Tribunal lui-même attire l’attention sur cette circonstance au point 187 de l’arrêt attaqué. En conséquence, on n’aperçoit pas clairement l’incidence que pourrait avoir
sur son propre statut de fonctionnaire la prétendue vocation du droit pénal belge à s’appliquer à des tierces parties.

79. Outre ces doutes quant à la pertinence du droit pénal national dans le présent litige, il convient de relever que celui-ci n’aura généralement qu’une incidence indirecte sur la relation de travail entre le fonctionnaire et son institution en raison de sa finalité spécifique. En effet, la procédure pénale a trait au respect des règles de maintien de l’ordre édictées afin de garantir le bon fonctionnement d’une société tout entière ( 19 ). En revanche, elle ne vise pas à régir la relation de
travail d’un fonctionnaire au sein d’une institution de l’Union.

80. Il faut cependant reconnaître qu’une violation du droit pénal peut, dans certaines circonstances, avoir une incidence sur la relation de travail et donner lieu à une sanction disciplinaire, notamment lorsque l’infraction est commise par le fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions et porte atteinte aux intérêts de l’Union. En effet, dans la mesure où l’objectif de la procédure disciplinaire consiste à assurer le respect des règles qui garantissent le bon fonctionnement de l’institution ( 20
), l’ouverture d’une telle procédure peut s’avérer justifiée en raison des circonstances de l’espèce.

81. À cet égard, il convient toutefois de noter que, même si un comportement peut enfreindre tant la règle pénale que la règle disciplinaire, c’est le statut qui détermine les conséquences à en tirer. En effet, la sanction disciplinaire s’évalue par rapport au régime disciplinaire et non par rapport à la sanction pénale. Partant, l’autorité disciplinaire ne saurait être tenue, dans son choix de la sanction disciplinaire appropriée, de tenir compte sans aucune réserve des sanctions pénales adoptées
dans le cadre d’une procédure pénale impliquant la même personne ( 21 ). Cela résulte des finalités différentes des procédures pénale et disciplinaire, mais aussi de l’indépendance de l’Union dans la gestion de la fonction publique.

82. Pour les raisons exposées ci-dessus, il y a lieu de retenir à ce stade de l’analyse que le droit pénal national ne détermine pas le fonctionnement de la fonction publique européenne, contrairement à ce que semble insinuer PV dans ses observations écrites.

3) La présomption d’innocence dans le cadre de la procédure pénale

83. Par ailleurs, je tiens à relever le fait que la question de la vocation du droit pénal belge à s’appliquer à d’autres fonctionnaires, dont PV soutient qu’ils auraient commis des délits, semble dénuée de pertinence aux fins de la solution du présent litige, comme je l’expliquerai ci-après. Premièrement, il est constant que le Tribunal n’a pas établi de cas susceptibles d’être considérés comme du harcèlement moral et rien ne permet de conclure que le Tribunal ait dénaturé les faits lors de son
appréciation des éléments de preuve ( 22 ). Deuxièmement, rien n’indique non plus que les infractions pénales alléguées aient été effectivement commises, car les juridictions belges n’ont pas définitivement statué sur ces charges.

84. Tout ce que PV peut présenter à titre de preuve, ce sont des ordonnances d’audition que les juridictions belges ont adoptées à l’égard de certains fonctionnaires. Toutefois, il convient d’observer qu’une telle mesure judiciaire ne constitue pas un « élément de preuve » au sens juridique puisque la présomption d’innocence continue d’exister en l’absence de condamnation. La présomption d’innocence est consacrée par l’article 48 de la Charte, qui correspond à l’article 6, paragraphes 2 et 3, de la
CEDH ( 23 ). Au niveau du droit dérivé de l’Union, la présomption d’innocence est consacrée dans la directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, portant renforcement de certains aspects de la présomption d’innocence et du droit d’assister à son procès dans le cadre des procédures pénales ( 24 ) que les États membres, y compris le Royaume de Belgique, ont l’obligation de transposer dans leurs ordres juridiques internes.

85. Le statut de « suspect » que les collègues de PV se sont vu accorder en vertu du droit de la procédure pénale belge tient compte de cette présomption d’innocence. Plus précisément, le statut de « suspect » confère, en général, à la personne faisant l’objet d’une enquête certains droits dans sa défense envers les autorités judiciaires, comme le droit à l’assistance d’un avocat et le droit d’être informé de l’accusation portée contre elle, ainsi que l’établit la directive 2013/48/EU du Parlement
européen et du Conseil, du 22 octobre 2013, relative au droit d’accès à un avocat dans le cadre des procédures pénales et des procédures relatives au mandat d’arrêt européen, au droit d’informer un tiers dès la privation de liberté et au droit des personnes privées de liberté de communiquer avec des tiers et avec les autorités consulaires ( 25 ). Pour cette raison, les ordres juridiques des États membres ont en commun le fait d’opérer une distinction claire quant au statut de la personne
concernée dans le cadre d’une procédure pénale. Ce statut évolue en fonction du niveau de soupçon concret qui pèse sur la personne présumée avoir commis une infraction ( 26 ).

86. Par souci d’exhaustivité, on relèvera dans ce contexte que le droit de la fonction publique prend en compte la présomption d’innocence dans la mesure où l’article 25 de l’annexe IX du statut prévoit expressément que, lorsque le fonctionnaire est poursuivi pénalement pour les faits qui ont justifié l’ouverture d’une procédure disciplinaire, sa situation n’est définitivement réglée qu’après que la décision rendue par la juridiction saisie est devenue définitive. Cette règle s’explique aussi par le
fait que les juridictions pénales disposent de pouvoirs d’investigation plus importants que l’AIPN au sein de l’administration. Il ressort de ce qui précède que la présomption d’innocence en tant que garantie d’un procès équitable doit être prise en compte dans le domaine tant pénal que disciplinaire.

87. En ce qui concerne les circonstances de l’espèce, tout semble indiquer que les enquêtes pénales se trouvent encore à un stade préliminaire de la procédure, de sorte que l’on ignore si les soupçons seront étayés. Les mesures prises par les juridictions belges à ce stade, auxquelles PV fait référence, ne servent qu’à recueillir les éléments de preuve nécessaires. D’ailleurs, on relèvera que la « loi Salduz », que PV évoque dans ses observations, offre des droits et des garanties à toute personne
entendue par les autorités judiciaires à quelque titre que ce soit, conformément aux principes d’une procédure équitable ( 27 ). Il s’ensuit qu’aucune conclusion sur la prétendue culpabilité des fonctionnaires auditionnés par les autorités judiciaires belges ne saurait être tirée de l’application des dispositions de cette loi tant que la procédure pénale n’est pas close. En outre, on soulignera que, contrairement à ce que PV semble suggérer dans ses observations, il ne peut pas « se constituer »
ces éléments de preuve en déposant simplement des plaintes contre les fonctionnaires concernés, mais ce sont plutôt les autorités judiciaires qui doivent apprécier les faits et établir si les éléments recueillis constituent des preuves valables.

88. À cet égard, on relèvera que les autorités judiciaires ont, en général, l’obligation de veiller à ce que les investigations tendent à la manifestation de la vérité et soient accomplies à charge et à décharge, c’est-à-dire qu’elles devront rechercher, à la fois, des éléments de preuves d’innocence et de culpabilité de la personne mise en cause ( 28 ). Partant, les autorités judiciaires n’engageront des poursuites que s’il existe des preuves suffisantes à l’issue de l’enquête ( 29 ).
L’argumentation de PV, insinuant la culpabilité des fonctionnaires concernés au seul motif que ceux-ci font l’objet d’investigations, me semble donc être fondée sur une méconnaissance des principes de la procédure pénale.

c)   Remarques finales

89. Pour les raisons exposées ci-dessus, liées notamment à l’indépendance de l’Union dans la gestion de la fonction publique ainsi qu’à l’absence de pertinence du droit pénal national dans les circonstances de l’espèce, je considère qu’il y a lieu de rejeter l’argumentation de PV soutenant que les décisions attaquées en première instance sont entachées d’illégalité au motif qu’elles se fondent sur des actes constitutifs d’infractions pénales commises par des fonctionnaires de la Commission sur le
territoire belge et que l’AIPN était tenue, en vertu du droit pénal belge, de ne pas les adopter.

90. L’affirmation du Tribunal au point 185 de l’arrêt attaqué, selon laquelle « la relation de travail entre un fonctionnaire et son institution est exclusivement régie par le statut », ne révèle aucune erreur de droit dans la mesure où elle doit être comprise en ce sens qu’elle rejette l’argumentation de PV soutenant, en substance, que le droit pénal national prime le droit de la fonction publique de l’Union ou que le droit pénal national constitue, à tout le moins, une « source » du droit de la
fonction publique de l’Union. Cette argumentation étant fondée sur une méconnaissance du droit de l’Union, il convient de la rejeter.

3.   Conclusion intermédiaire

91. À la lumière des considérations qui précèdent, je propose de rejeter le premier moyen du pourvoi comme étant non fondé.

C. Sur le deuxième moyen du pourvoi

1.   Arguments des parties

92. Par son deuxième moyen, PV critique l’appréciation portée par le Tribunal aux points 184 et 192 de l’arrêt attaqué.

93. En premier lieu, PV soutient que le constat du Tribunal, au point 184 de l’arrêt attaqué, selon lequel aucun des faits que PV a qualifiés de harcèlement moral ou de faux intellectuel n’a été caractérisé en tant que tel ni n’a fait l’objet d’une condamnation pénale par une juridiction nationale belge, s’expliquerait par un « sabotage » des instructions pénales par la Commission. Celle-ci aurait abusé de l’immunité fonctionnelle en refusant systématiquement d’autoriser l’audition des suspects, en
violation du principe de coopération loyale énoncé à l’article 4 TUE, alors qu’aucun acte de puissance publique ne serait en cause.

94. En second lieu, le Tribunal aurait dénaturé le dossier au point 192 de l’arrêt attaqué, en fondant son rejet du grief de PV tiré de la violation de l’article 11 bis du statut sur le constat selon lequel une simple plainte déposée par le fonctionnaire à l’encontre des personnes chargées de prendre des décisions à son égard ne saurait créer à elle seule un conflit d’intérêts dans leur chef, alors que les plaintes déposées par PV à l’encontre de deux des trois membres de l’AIPN auraient été suivies
d’instructions pénales. Selon PV, cette circonstance aurait dû amener le Tribunal à constater l’existence d’un conflit d’intérêts dans le chef de ces membres de l’AIPN dans le cadre des procédures disciplinaires CMS 13/087 et CMS 17/025 ainsi que de la décision de révocation du 21 octobre 2019 à l’issue de cette dernière procédure disciplinaire. Partant, le Tribunal aurait dû constater une violation de l’article 41 de la Charte, de l’article 11 bis du statut et de l’article 6, paragraphe 5, de
l’annexe IX du statut.

95. Selon la Commission, le grief tiré du défaut de coopération loyale avec les autorités judiciaires belges en raison de son refus systématique d’autoriser l’audition de suspects par un juge d’instruction est nouveau et il ne saurait donc être reproché au Tribunal de ne pas s’être prononcé à ce sujet. À titre subsidiaire, la Commission estime qu’elle était fondée à refuser les demandes des autorités judiciaires belges fondées sur l’article 19 du statut.

96. Quant au grief tiré de la violation de l’article 11 bis du statut, la Commission soutient que PV ne critiquerait pas la jurisprudence sur laquelle le Tribunal se serait fondé, mais s’appuierait sur des considérations de fait qui rendraient ce grief irrecevable et qui, en tout état de cause, ne permettraient pas de remettre en cause la conclusion à laquelle le Tribunal aboutit au point 192 de l’arrêt attaqué. En outre, ce grief serait dirigé contre deux procédures que le Tribunal aurait
expressément exclues de son contrôle, la première ayant abouti à une décision de révocation ultérieurement retirée et la deuxième faisant l’objet d’un contentieux distinct.

2.   Appréciation

97. L’examen du deuxième moyen du pourvoi se centrera sur le raisonnement du Tribunal, au point 192 de l’arrêt attaqué, par lequel celui-ci a rejeté l’argument de PV, selon lequel deux des trois membres de l’AIPN ayant adopté les décisions attaquées en première instance avaient un conflit d’intérêts, dans la mesure où ils étaient tous les deux impliqués dans les procédures pénales engagées en Belgique pour harcèlement ou faux en écritures publiques. PV invoque une violation du principe
d’impartialité garanti par l’article 41, paragraphe 1, de la Charte, ainsi que de l’article 11 bis du statut. Il considère en outre que l’affirmation du Tribunal, selon laquelle la circonstance que les personnes en question sont impliquées dans les procédures mentionnées ne saurait suffire pour mettre en cause leur impartialité, doit être regardée comme une dénaturation par déformation des faits, dans la mesure où le Tribunal a considéré que les procédures en cause procédaient de plaintes
déposées par le requérant afin de se soustraire à la procédure disciplinaire.

a)   La notion d’« impartialité » dans le droit de la fonction publique

98. D’emblée, il convient de relever que l’article 41, paragraphe 1, de la Charte énonce que toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement par les institutions, les organes et les organismes de l’Union. L’exigence d’impartialité vise à garantir l’égalité de traitement qui est à la base de l’Union. De même, je tiens à rappeler que la Cour a récemment confirmé, dans l’arrêt Parlement/UZ, que l’exigence d’impartialité s’applique également au domaine de la fonction publique ( 30
). Dans ce contexte, je me permets de renvoyer aux conclusions que j’ai présentées dans cette même affaire, dans lesquelles j’ai indiqué que « dans la mesure où tant le fonctionnement interne que l’image extérieure des institutions, des organes et des organismes dépendent du respect de cette exigence, celle-ci doit nécessairement s’étendre à tous les domaines d’activité de l’administration de l’Union, y compris les aspects liés à la gestion de la fonction publique, comme la nomination, la
promotion et la sanction du personnel » ( 31 ). Dès lors, il ne fait aucun doute, selon moi, que l’exigence d’impartialité trouve à s’appliquer à une procédure disciplinaire, telle que celle en cause dans la présente affaire.

99. L’article 11 bis du statut, que PV invoque dans ses observations, contient des règles spécifiques visant à garantir que le fonctionnaire exerce ses fonctions sans que des conflits d’intérêts nuisent à l’accomplissement de sa mission ( 32 ). Aux termes du paragraphe 1 de cet article, dans l’exercice de ses fonctions, le fonctionnaire ne traite aucune affaire dans laquelle il a, directement ou indirectement, un intérêt personnel notamment familial ou financier, de nature à compromettre son
indépendance. Compte tenu du fait que ces règles constituent une expression de l’exigence d’impartialité au sens large, je considère qu’il est nécessaire de les interpréter à lumière de la notion d’« impartialité », telle qu’elle ressort de la jurisprudence de la Cour. Il me semble que c’est précisément l’approche que le Tribunal a suivie lorsqu’il a indiqué, au point 190 de l’arrêt attaqué, qu’il convenait de reconnaître à l’article 11 bis du statut « un large champ d’application, eu égard au
caractère fondamental des objectifs d’indépendance et d’intégrité poursuivis par cette disposition et au caractère général de l’obligation prescrite aux fonctionnaires et agents » (italique ajouté par mes soins).

100. La Cour s’appuie dans sa jurisprudence sur une notion d’« impartialité » qui contient deux composantes. D’une part, l’impartialité subjective, en vertu de laquelle aucun membre de l’institution concernée ne doit manifester de parti pris ou de préjugé personnel et, d’autre part, l’impartialité objective, au titre de laquelle cette institution doit offrir des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à un éventuel préjugé. À cet égard, la Cour a précisé que, afin de démontrer
que l’organisation de la procédure administrative n’offre pas les garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à un éventuel préjugé, il n’est pas requis d’établir l’existence d’un manque d’impartialité. Il suffit qu’un doute légitime à cet égard existe et ne puisse pas être dissipé ( 33 ). C’est à la lumière des considérations qui précèdent qu’il convient d’apprécier le raisonnement du Tribunal.

101. S’agissant de l’impartialité objective, il y a lieu de noter que le Tribunal, après avoir énoncé aux points 180 et 191 de l’arrêt attaqué les arguments avancés par le requérant relatifs à l’existence d’un conflit d’intérêts en raison de l’implication dans les procédures pénales engagées pour harcèlement ou faux en écritures publiques des personnes ayant pris des décisions dans les procédures disciplinaires déclenchées à son encontre, a constaté, aux points 193 et 194 du même arrêt, que de tels
arguments n’étaient étayés par aucun élément de preuve. De surcroît, il convient d’observer que, dans le cadre du présent pourvoi, PV n’apporte aucun élément qui permettrait d’étayer davantage cet aspect.

102. Par conséquent, ainsi que je l’ai déjà indiqué ( 34 ), j’estime qu’il faut partir de la prémisse qu’il n’y a pas eu de harcèlement moral dans le cas d’espèce. Cela vaut de même pour l’allégation portée contre les membres de l’AIPN tripartite d’avoir commis des actes criminels, étant donné que les procédures pénales ouvertes en Belgique n’ont pas conduit à une condamnation pénale, aspect qui a été souligné, à juste titre, par le Tribunal au point 184 de l’arrêt attaqué. Les personnes concernées
pouvant se prévaloir à juste titre de la présomption d’innocence, il me semble évident que le dépôt d’une simple plainte ne suffit pas, à lui seul, à faire naître un doute quant à l’impartialité des membres, en l’absence d’autres éléments permettant de conclure à l’existence d’un conflit d’intérêts. Une conclusion différente reviendrait à remettre en cause le droit à la présomption d’innocence, en tant que garantie d’un procès équitable, et à inverser la charge de la preuve dans une procédure
pénale, ce qui me paraît inconciliable avec l’État de droit.

b)   Sur l’exercice abusif d’un droit et les risques pour le bon fonctionnement de l’administration

103. Ces considérations permettent déjà de rejeter une grande partie des arguments invoqués par PV sur la prétendue dénaturation que révèlerait le raisonnement du Tribunal au point 192 de l’arrêt attaqué. Je considère néanmoins nécessaire d’examiner ce grief de manière approfondie afin d’éliminer tout doute pouvant persister quant à la légalité des motifs exposés dans ledit arrêt.

104. Le Tribunal a déclaré au point susvisé que « la thèse du requérant selon laquelle le dépôt d’une plainte, si elle était admise, suffirait pour faire naître un conflit d’intérêts, aurait pour effet de permettre à tout fonctionnaire de frustrer l’adoption de mesures disciplinaires à son égard », en ajoutant qu’« un fonctionnaire faisant l’objet d’une procédure disciplinaire pourrait, tout simplement, déposer une plainte à l’encontre des personnes chargées de prendre des décisions à son égard et
demander, par la suite, sa récusation en application de l’article 11 bis du statut ». À cet égard, PV soutient que les procédures en cours devant la justice belge ne sauraient être interprétées comme une « simple plainte » qu’il aurait déposée pour se soustraire à la procédure disciplinaire. Selon PV, c’est la suite qui est donnée à l’instruction pénale qui détermine l’existence d’un conflit d’intérêts.

105. Le raisonnement du Tribunal, reproduit au point précédent, permet d’entrevoir un souci de garantir l’impartialité de la procédure disciplinaire tout en assurant le bon fonctionnement de l’administration. D’une part, il ressort des points 189 et 190 de l’arrêt attaqué que le Tribunal était tout à fait conscient de l’importance que revêt l’article 11 bis du statut, en rappelant que cette disposition « a pour but de garantir l’indépendance, l’intégrité et l’impartialité des fonctionnaires et des
agents ». D’autre part, on relèvera que le Tribunal a reconnu, à juste titre, qu’une interprétation de la notion d’« impartialité » en ce sens que les membres de l’AIPN impliqués dans les enquêtes pénales auraient dû s’abstenir d’intervenir dans la procédure disciplinaire, telle que soutenue par PV, était juridiquement intenable, puisque non seulement il n’y avait aucune raison objective de remettre en cause l’impartialité des personnes concernées, mais aussi parce qu’il existait un risque non
négligeable d’entraver le travail de l’administration, si on optait pour une telle interprétation.

106. Plus concrètement, le Tribunal a fait allusion au risque que le dépôt d’une plainte soit utilisé par un fonctionnaire – d’une manière que l’on pourrait qualifier d’« abusive » – afin de faire naître un conflit d’intérêts et de demander la récusation des personnes chargées de prendre des décisions à son égard, permettant ainsi de frustrer l’objet de la procédure disciplinaire. À cet égard, il convient d’attirer l’attention sur le fait que PV a déposé de nombreuses plaintes ayant conduit à la
mise en cause d’environ quarante fonctionnaires et agents de la Commission. Dès lors, un nombre considérable de personnes au sein de cette institution a fait l’objet d’accusations de harcèlement et de comportement criminel à l’initiative de PV. Cette circonstance est remarquable et appelle quelques commentaires d’ordre juridique.

107. Je considère qu’on ne saurait exclure qu’il existe des circonstances dans lesquelles l’exercice d’un droit, tel que celui de demander de décharger un fonctionnaire de ses responsabilités en raison d’un prétendu conflit d’intérêts, puisse être qualifié d’abusif. La Cour a indiqué à plusieurs reprises que, en vertu d’un principe général du droit de l’Union, les justiciables ne sauraient frauduleusement ou abusivement se prévaloir des normes de ce droit ( 35 ). Ainsi que cela ressort de la
jurisprudence, la preuve d’une pratique abusive nécessite, d’une part, un ensemble de circonstances objectives d’où il résulte que, malgré un respect formel des conditions prévues par la réglementation de l’Union, l’objectif poursuivi par cette réglementation n’a pas été atteint et, d’autre part, un élément subjectif consistant en la volonté d’obtenir un avantage résultant de la réglementation de l’Union en créant artificiellement les conditions requises pour son obtention ( 36 ).

108. Certes, si le Tribunal s’est abstenu de qualifier expressément le comportement de PV d’« abusif » en vertu des critères développés dans la jurisprudence, il ressort néanmoins du point 192 de l’arrêt attaqué qu’il avait de sérieux doutes que les plaintes déposées par PV contre les fonctionnaires concernés aient été fondées. Dans ce contexte, il me semble que le Tribunal pouvait légitimement exprimer une certaine inquiétude quant au risque que supposait l’interprétation soutenue par PV pour la
conduite conforme de la procédure disciplinaire, notamment compte tenu du nombre particulièrement élevé de plaintes déposées contre divers fonctionnaires au sein de la Commission, d’une part, et de l’absence de preuves de harcèlement moral ainsi que d’infractions pénales dans les circonstances en cause, d’autre part.

109. En effet, à moins que ces plaintes aient été déposées dans le seul but d’entraver le travail de l’AIPN, on aurait pu raisonnablement s’attendre à ce que PV ait été en mesure de prouver quelques situations de harcèlement, ce qui n’est manifestement pas le cas. En l’absence d’indices contraires, on se demande si PV a réellement agi de bonne foi, comme l’exige le droit de l’Union, ou s’il a plutôt eu pour but de se servir de la protection que confère l’article 11 bis du statut, tel qu’interprété à
la lumière de l’exigence d’impartialité, afin d’atteindre des objectifs qui, de toute évidence, ne sont pas visés par le législateur de l’Union, à savoir de permettre à un fonctionnaire de saboter le travail de l’administration et de porter préjudice à ses collègues.

110. Si tel devait être le cas, ce comportement réunirait sans doute les critères requis pour être qualifié d’abus de droit, ce qui aurait pour conséquence que l’exercice du droit conféré par la disposition précitée devrait lui être refusé ( 37 ). En d’autres termes, PV ne pourrait pas se prévaloir valablement de l’article 11 bis du statut. Cela étant dit, on relèvera qu’il s’agit, en fin de compte, d’une question de fait à laquelle le Tribunal semble avoir donné une réponse suffisamment claire sur
la base d’une appréciation des circonstances. L’approche prudente que le Tribunal a adoptée à l’égard de l’attitude de PV envers l’administration, et en particulier dans le cadre de la procédure disciplinaire en cause, me paraît justifiée dans les circonstances particulières de la présente affaire. Pour ces motifs, j’arrive à la conclusion que le raisonnement du Tribunal ne comporte pas d’erreur de droit.

111. Nonobstant les considérations qui précèdent, j’estime qu’il n’est pas nécessaire que la Cour se prononce exhaustivement sur la question de savoir si le Tribunal aurait pu rejeter l’argumentation de PV en dénonçant un comportement abusif de sa part puisque, en tout état de cause, le respect de la présomption d’innocence et l’absence de preuves contraires représentent, à eux seuls, des arguments solides permettant de conclure à l’absence de violation de l’exigence d’impartialité en raison de la
participation à la prise de décisions de certains membres de l’AIPN ayant fait l’objet de plaintes déposées par PV. À mon avis, la nécessité de prévenir des comportements abusifs en général à laquelle le Tribunal fait allusion ne constitue qu’un argument complémentaire destiné à soutenir un raisonnement déjà suffisamment convaincant.

3.   Remarques finales

112. L’examen du deuxième moyen du pourvoi, plus spécifiquement en ce qui concerne les motifs exposés aux points 189 à 194 de l’arrêt attaqué, ne révèle aucune erreur de droit. Au contraire, il y a lieu de retenir que le Tribunal a correctement établi le champ d’application de l’article 11 bis du statut, tel qu’interprété au regard du principe d’impartialité visé à l’article 41, paragraphe 1, de la Charte, et a décidé, à juste titre, que la participation de certains membres de l’AIPN ayant fait
l’objet de plaintes déposées par PV ne suscitait pas de conflit d’intérêts susceptible d’entacher d’illégalité les décisions prises à l’égard de PV dans le cadre de la procédure disciplinaire.

113. Le risque évoqué par le Tribunal, au point 192 de l’arrêt attaqué, qu’un recours abusif au principe d’impartialité cause un disfonctionnement de l’administration, et notamment au détriment de la conduite conforme de la procédure disciplinaire en cause, est justifiée par les circonstances particulières de l’affaire, à savoir le fait que PV avait déposé un nombre particulièrement élevé de plaintes contre divers fonctionnaires de la Commission malgré l’absence de preuves démontrant que ceux-ci
auraient commis un harcèlement moral ainsi que des infractions pénales. En conséquence, je considère qu’il y a lieu de rejeter l’argumentation de PV tirée d’une prétendue violation de l’exigence d’impartialité.

4.   Conclusion intermédiaire

114. À l’issue de cette analyse, je considère que le deuxième moyen du pourvoi ne saurait être accueilli. Je propose de le rejeter comme étant non fondé.

D. Sur le huitième moyen du pourvoi

1.   Arguments des parties

115. Par son huitième moyen, PV soutient que l’appréciation, par le Tribunal, de la recevabilité de sa demande en annulation de la décision de révocation du 26 juillet 2016 est entachée de deux erreurs de droit.

116. En premier lieu, le Tribunal n’aurait pas pu valablement constater, au point 81 de l’arrêt attaqué, que l’AIPN avait effectué une compensation entre les dettes de PV envers la Commission et les montants dus par la Commission au requérant. Le retrait de la décision de révocation aurait fait disparaître rétroactivement toutes les conséquences de cette décision, notamment les constats d’absences injustifiées. Il s’ensuivrait que les dettes auraient dû être annulées et les retenues sur son salaire
remboursées à la suite de ce retrait, de telle sorte qu’une compensation n’aurait pas pu être effectuée.

117. En second lieu, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en constatant, au point 82 de l’arrêt attaqué, que les effets financiers de la décision de révocation auraient été neutralisés avant l’introduction du recours dans l’affaire T‑786/16. L’AIPN n’aurait pas compensé les conséquences financières de sa décision de révocation, car elle aurait dû, à cette fin, verser un dédommagement matériel et moral à PV.

118. Selon la Commission, premièrement, l’annulation de la procédure disciplinaire pour défaut d’enquête n’aurait pas fait disparaître les décisions prises antérieurement qui auraient justifié le déclenchement de cette procédure et qui seraient entièrement séparables et indépendantes de ladite procédure. Deuxièmement, les effets financiers du retrait de la décision de révocation auraient bien été neutralisés.

2.   Appréciation

119. À la demande de la Cour, l’examen du huitième moyen se centrera sur le raisonnement du Tribunal aux points 81 et 82 de l’arrêt attaqué, concluant à l’irrecevabilité du recours en annulation de PV contre la décision de révocation du 26 juillet 2016. Plus concrètement, PV conteste le constat du Tribunal, au point 82 de l’arrêt attaqué, selon lequel la demande d’annulation de la décision de révocation du 26 juillet 2016 est dépourvue d’objet, celle-ci ayant été retirée et ses effets financiers
ayant été neutralisés préalablement à l’introduction du recours dans l’affaire T‑786/16. Selon PV, l’AIPN n’a pas compensé les conséquences financières de la décision de révocation, car PV aurait dû, à cette fin, recevoir un dédommagement des préjudices matériel et moral résultant de cette révocation.

a)   Sur « l’intérêt à agir » requis par le droit de procédure

120. Ainsi que l’a expliqué l’avocate générale Kokott dans ses conclusions présentées dans l’affaire Wunenburger/Commission ( 38 ), l’exigence de l’intérêt à agir garantit au niveau procédural que les tribunaux ne soient pas saisis dans le but de clarifier à titre d’avis des questions juridiques de nature purement hypothétique. L’intérêt à agir est par conséquent une condition de recevabilité absolue qui peut devenir pertinente à différents stades de la procédure. Cet intérêt à agir doit
incontestablement exister dès l’introduction du recours. Il doit cependant de plus perdurer au‑delà de l’introduction du recours, et ce jusqu’à l’arrêt statuant sur le fond ( 39 ).

121. Si l’intérêt à agir ne disparaît qu’au cours d’une procédure judiciaire en cours, la décision du tribunal sur le fond n’est, certes, plus justifiée. On ne saurait toutefois exiger du requérant qu’il accepte que son recours, introduit à l’origine de manière recevable, soit simplement rejeté et qu’il doive supporter les dépens du litige. La seule solution adéquate dans un tel cas est au contraire de déclarer que le litige est devenu « sans objet », exprimant ainsi, d’une part, que la base pour le
recours n’a disparu qu’après son introduction et évitant, d’autre part, des conséquences pécuniaires négatives pour le requérant.

122. En vertu de la jurisprudence, le maintien de l’intérêt à agir du requérant peut résulter, premièrement, du risque d’une répétition de l’action (prétendument) illégale d’une institution de l’Union. En effet, l’article 266, paragraphe 1, TFUE, oblige l’institution dont émane l’acte annulé à « prendre les mesures que comporte l’exécution de l’arrêt de la Cour », ce qui signifie en pratique que cette institution est tenue de prendre en compte les motifs de nullité exposés dans ledit arrêt au cas où
elle devait décider de remplacer ultérieurement l’acte annulé ( 40 ). L’intérêt à agir peut, deuxièmement, perdurer lorsqu’une décision relative à un recours en annulation est importante pour une éventuelle demande de réparation du requérant. Troisièmement, le requérant peut dans certains cas, et en particulier dans les affaires de fonction publique, avoir un intérêt à obtenir l’élimination de déclarations négatives sur sa personne afin d’être réhabilité à l’avenir.

b)   Examen du raisonnement du Tribunal

123. L’arrêt attaqué concerne le deuxième de ces trois cas de figure, c’est-à-dire une demande de réparation du requérant. La Cour a jugé que l’intérêt à agir d’un requérant doit être apprécié in concreto, en tenant compte, notamment, des conséquences de l’illégalité alléguée et de la nature du préjudice prétendument subi ( 41 ). C’est au regard de ces principes qu’il y a lieu d’examiner la situation de PV dans la présente affaire. Dans le cadre de l’examen, il sera également nécessaire de vérifier
si le raisonnement du Tribunal tient compte de ces principes.

124. À cet égard, il convient d’emblée d’attirer l’attention sur le fait que PV ne se trouve pas dans la situation évoquée au point 121 des présentes conclusions. Le recours en annulation de PV n’est pas « dépourvu d’objet » au motif que l’intérêt à agir aurait disparu au cours d’une procédure judiciaire en cours mais plutôt parce que la décision contestée a cessé d’exister avant même l’introduction du recours. En effet, on rappellera que l’AIPN avait retiré sa décision de révocation le 24 juillet
2017, c’est-à-dire à une date antérieure à celle de l’introduction du recours devant le Tribunal. C’est dans ce contexte que le Tribunal a d’abord rappelé, au point 80 de l’arrêt attaqué, la différence fondamentale entre l’« abrogation », qui ne fait disparaître une décision que pour l’avenir ( 42 ), et le « retrait » d’une telle décision, qui a un effet rétroactif. Le Tribunal a ensuite établi, au point 82 de l’arrêt attaqué, que le retrait de la décision de révocation en cause avait fait
disparaître celle-ci avec effet rétroactif et, par conséquent, dans la mesure où la décision attaquée n’existait plus, elle ne pouvait plus faire grief à PV. Ce constat me paraît juridiquement irréprochable.

125. En ce qui concerne l’existence d’un intérêt à agir en indemnisation, il convient de rappeler que la Cour a jugé que le recours en indemnité constitue une voie de recours « autonome » ayant une fonction particulière dans le cadre du système des voies de recours et subordonnée à des conditions d’exercice conçues en vue de son objet spécifique ( 43 ). Partant, l’introduction d’un recours en annulation à l’encontre d’un acte ne constitue pas un préalable nécessaire à l’introduction d’un recours en
indemnité en vue d’obtenir la réparation du préjudice qui en découle ( 44 ). Dans le contexte de la présente affaire, il y a lieu d’observer que PV a effectivement joint une demande d’indemnité à son recours en nullité. En conséquence, il me semble que l’absence d’intérêt à agir dans le recours en nullité n’est pas décisive afin d’établir la recevabilité de sa demande d’indemnité. En revanche, j’estime qu’il est impératif de déterminer si les conditions de la recevabilité dudit recours ainsi
que celles visées à l’article 340, deuxième alinéa, TFUE étaient remplies en l’espèce, précisément compte tenu de son caractère « autonome ».

126. S’agissant des conditions de la demande d’indemnité ( 45 ), j’ai quelques hésitations à considérer qu’elles soient remplies dans le cas d’espèce. En particulier, il me semble douteux qu’il puisse exister un lien de causalité entre la décision de révocation, qui a été retirée par l’AIPN elle-même, et le préjudice matériel prétendument subi par PV. Comme l’a indiqué le Tribunal au point 81 de l’arrêt attaqué, le retrait de la décision de révocation le 24 juillet 2017 a eu comme conséquence, d’une
part, la réintégration de PV au sein de la Commission à partir du 16 septembre 2017 et, d’autre part, l’octroi rétroactif à celui-ci des rémunérations et des jours de congés annuels correspondant à la période allant du 1er août 2016 au 15 septembre 2017.

127. Qui plus est, on relèvera que l’AIPN avait compensé les dettes de PV envers la Commission et les montants dus par la Commission à PV pour la période susmentionnée, pour verser le solde de 9550 euros au profit de PV. En conséquence, comme l’a relevé à juste titre le Tribunal au point 82 de l’arrêt attaqué, la décision de révocation du 26 juillet 2016 avait été retirée et ses effets financiers avaient été neutralisés. Si PV fait valoir dans son pourvoi que cette compensation était injustifiée, on
lui rétorquera que le retrait de la décision de révocation n’a pas fait disparaître les décisions antérieures constatant les absences injustifiées qui ont fondé la procédure disciplinaire. C’est donc à bon droit que le Tribunal a validé la compensation opérée entre les dettes du requérant à la suite de ses absences injustifiées et les montants dus par la Commission au requérant pour la période en question. Dans ces circonstances, il est difficile de comprendre comment PV aurait pu avoir subi un
préjudice matériel.

c)   Remarques finales

128. L’examen du raisonnement développé par le Tribunal aux points 81 et 82 de l’arrêt attaqué ne permet pas de constater une erreur de droit. Eu égard aux considérations qui précèdent, je suis enclin, à l’instar du Tribunal, à écarter un intérêt à agir, notamment en l’absence d’un acte faisant grief à PV. En effet, tout semble indiquer que la décision de révocation attaquée par PV a été retirée avec effet rétroactif avant l’introduction du recours en annulation, de sorte que celle-ci ne produit
plus d’effets susceptibles de lui faire grief. Dès lors, c’est à juste titre que le Tribunal a jugé que la demande en annulation était irrecevable.

129. S’agissant de la demande d’indemnisation de PV, il me semble que l’argumentation présentée par celui-ci ne permet pas d’apprécier dans quelle mesure il aurait pu avoir subi un préjudice matériel, étant donné que la compensation effectuée par la Commission était justifiée, ainsi que le Tribunal l’a établi dans son arrêt. En conséquence, je considère qu’il y a lieu de rejeter l’argumentation de PV au soutien d’un prétendu droit à indemnisation.

3.   Conclusion intermédiaire

130. Pour les raisons exposées ci-dessus, je propose de rejeter le huitième moyen du pourvoi comme étant non fondé.

VI. Conclusion

131. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de déclarer comme étant non fondés les premier, deuxième et huitième moyens du pourvoi.

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( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Voir arrêts du 16 décembre 2020, Conseil e.a./K. Chrysostomides & Co. e.a. (C‑597/18 P, C‑598/18 P, C‑603/18 P et C‑604/18 P, EU:C:2020:1028, point 128), ainsi que du 17 décembre 2020, BP/FRA (C‑601/19 P, non publié, EU:C:2020:1048, point 71).

( 3 ) Voir arrêts du 25 janvier 2007, Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission (C‑403/04 P et C‑405/04 P, EU:C:2007:52, point 39), et du 17 décembre 2020, Inpost Paczkomaty/Commission (C‑431/19 P et C‑432/19 P, EU:C:2020:1051, point 51).

( 4 ) Voir arrêts du 26 janvier 2017, Duravit e.a./Commission (C‑609/13 P, EU:C:2017:46, point 86), et du 28 novembre 2019, Brugg Kabel et Kabelwerke Brugg/Commission (C‑591/18 P, non publié, EU:C:2019:1026, point 63).

( 5 ) Voir point 175 de l’arrêt attaqué.

( 6 ) Voir points 60, 171, 221, 222 et 231 de l’arrêt attaqué.

( 7 ) Voir point 77 des présentes conclusions.

( 8 ) Pour une explication plus détaillée du droit à une bonne administration, consacré à l’article 41 de la Charte, je renvoie à mes conclusions dans l’affaire Parlement/UZ (C‑894/19 P, EU:C:2021:497, point 66 et suiv.).

( 9 ) Pilorge-Vrancken, J., Le droit de la fonction publique de l’Union européenne, Larcier, Bruxelles, 2017, p. 15.

( 10 ) Arrêt du 4 février 2021, Ministre de la Transition écologique et solidaire et Ministre de l’Action et des Comptes publics (C‑903/19, EU:C:2021:95, point 37).

( 11 ) Arrêt du 20 octobre 1981, Commission/Belgique (137/80, EU:C:1981:237, point 9).

( 12 ) Andreone, F., « Hiérarchie des normes et sources du droit de la fonction publique de l’Union européenne », Groupe de réflexion sur l’avenir du service public européen, Cahier no 25, juin 2015, p. 16.

( 13 ) Arrêt du 14 décembre 2017, RL/Cour de justice de l’Union européenne (T‑21/17, EU:T:2017:907, point 51).

( 14 ) Voir point 64 des présentes conclusions.

( 15 ) Voir arrêt du 15 juillet 2021, OH (Immunité de juridiction) (C‑758/19, EU:C:2021:603, points 24 et 25) ainsi que conclusions de l’avocat général Bobek dans l’affaire CSUE/KF (C‑14/19 P, EU:C:2020:220, point 91).

( 16 ) Giacobbo Peyronnel, V. et Perillo, E. rappellent, dans Statut de la fonction publique de l’Union européenne (Larcier, Bruxelles, 2017, p. 17), l’intention des fondateurs de la Communauté européenne du charbon et de l’acier de créer une fonction publique indépendante, constituée par des fonctionnaires supranationaux.

( 17 ) Arrêt du 18 juin 2020, Commission/RQ (C‑831/18 P, EU:C:2020:481).

( 18 ) Arrêt du 18 juin 2020, Commission/RQ (C‑831/18 P, EU:C:2020:481, point 45).

( 19 ) Arrêt du 6 octobre 2021, AV et AW/Parlement (T‑43/20, non publié, EU:T:2021:666, point 106).

( 20 ) Arrêt du 6 octobre 2021, AV et AW/Parlement (T‑43/20, non publié, EU:T:2021:666, point 106).

( 21 ) Arrêt du 6 octobre 2021, AV et AW/Parlement (T‑43/20, non publié, EU:T:2021:666, point 106).

( 22 ) Voir point 51 des présentes conclusions.

( 23 ) Voir arrêts du 5 septembre 2019, AH e.a. (Présomption d’innocence) (C‑377/18, EU:C:2019:670, point 41), et du 25 février 2021, Dalli/Commission (C‑615/19 P, EU:C:2021:133, point 223).

( 24 ) JO 2016, L 65, p. 1.

( 25 ) JO 2013, L 294, p. 1.

( 26 ) Voir, à cet égard, Cour EDH, 28 octobre 1994, Murray c. Royaume-Uni (CE:ECHR:1994:1028JUD001431088, § 55).

( 27 ) De Béco, R., « L’audition par la police, le parquet ou le juge d’instruction », Justice-en-ligne (article du 25 août 2021), explique que le droit de procédure pénal belge offre des droits et des garanties à toute personne entendue à quelque titre que ce soit (victime, plaignant, dénonciateur, témoin, suspect, personne convoquée par la police ou personne privée de sa liberté).

( 28 ) Ce qui est le cas du droit pénal de plusieurs États membres, y compris du Royaume de Belgique, ainsi que l’indique Du Jardin, J., dans « Belgique, les principes de procédure pénale et leur application dans les procédures disciplinaires », Revue internationale de droit pénal, vol. 74, no 3 et 4, 2003, p. 801. Plus concrètement, l’article 56, premier et deuxième alinéas, du code d’instruction criminelle dispose, en ce qui concerne les missions du juge d’instruction, que ce dernier « assume la
responsabilité de l’instruction qui est menée à charge et à décharge » et qu’« [i]l veille à la légalité des moyens de preuve ainsi qu’à la loyauté avec laquelle ils sont rassemblés » (italique ajouté par mes soins). Dans ce contexte, il convient d’attirer également l’attention sur l’article 5, paragraphe 4, du règlement (UE) 2017/1939 du Conseil, du 12 octobre 2017, mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du Parquet européen (JO 2017, L 283, p. 1), dont il ressort que « le
Parquet européen mène ses enquêtes de façon impartiale et recueille tous les éléments de preuve pertinents, aussi bien à charge qu’à décharge », ce qui peut être compris comme l’expression d’un principe fondamental du droit de procédure pénale de l’Union (italique ajouté par mes soins).

( 29 ) Ligeti, K., « The Place of the Prosecutor in Common Law and Civil Law Jurisdictions », The Oxford Handbook of Criminal Process, Oxford University Press, Oxford, 2019, explique que, en vertu du principe de légalité, s’il existe des preuves suffisantes à l’issue de l’enquête, le procureur est en principe tenu d’engager des poursuites et ne peut classer une affaire.

( 30 ) Arrêt du 21 octobre 2021, Parlement/UZ (C‑894/19 P, EU:C:2021:863, points 51 et suiv.).

( 31 ) Voir point 104 de mes conclusions dans l’affaire Parlement/UZ (C‑894/19 P, EU:C:2021:497) (italique ajouté par mes soins).

( 32 ) Giacobbo Peyronnel, V., et Perillo, E., Statut de la fonction publique de l’Union européenne, Larcier, Bruxelles, 2017, p. 170.

( 33 ) Arrêt du 21 octobre 2021, Parlement/UZ (C‑894/19 P, EU:C:2021:863, point 54).

( 34 ) Voir point 51 des présentes conclusions.

( 35 ) Voir arrêt du 9 septembre 2021, Volkswagen Bank e.a. (C‑33/20, C‑155/20 et C‑187/20, EU:C:2021:736, point 121).

( 36 ) Voir arrêt du 9 septembre 2021, Volkswagen Bank e.a. (C‑33/20, C‑155/20 et C‑187/20, EU:C:2021:736, point 122 ainsi que jurisprudence citée).

( 37 ) Voir, par analogie, arrêt du 26 février 2019, T Danmark et Y Denmark (C‑116/16 et C‑117/16, EU:C:2019:135, point 72), dans lequel la Cour a jugé que le bénéfice des dispositions du droit de l’Union doit être refusé lorsque celles-ci sont invoquées non pas en vue de réaliser les objectifs de ces dispositions, mais dans le but de bénéficier d’un avantage du droit de l’Union alors que les conditions pour bénéficier de cet avantage ne sont que formellement remplies.

( 38 ) C‑362/05 P, EU:C:2007:104, points 35 et 36.

( 39 ) Voir arrêts du 28 mai 2013, Abdulrahim/Conseil et Commission (C‑239/12 P, EU:C:2013:331, point 61), et du 27 juin 2013, Xeda International et Pace International/Commission (C‑149/12 P, non publié, EU:C:2013:433, point 31).

( 40 ) Lenaerts, K., Maselis, I., et Gutman, K., EU Procedural Law, point 7.223, p. 416.

( 41 ) Arrêt du 28 mai 2013, Abdulrahim/Conseil et Commission (C‑239/12 P, EU:C:2013:331, point 65).

( 42 ) Arrêt du 27 juin 2013, Xeda International et Pace International/Commission (C‑149/12 P, non publié, EU:C:2013:433, point 32).

( 43 ) Arrêts du 23 mars 2004, Médiateur/Lamberts (C‑234/02 P, EU:C:2004:174, point 59), et du 6 octobre 2020, Bank Refah Kargaran/Conseil (C‑134/19 P, EU:C:2020:793).

( 44 ) Arrêt du 12 septembre 2006, Reynolds Tobacco e.a./Commission (C‑131/03 P, EU:C:2006:541, points 82 et 83).

( 45 ) Conformément à une jurisprudence constante, l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union et la mise en œuvre du droit à la réparation du préjudice subi, en vertu de l’article 340 TFUE, dépendent de la réunion d’un ensemble de conditions afférentes à l’illégalité du comportement reproché aux institutions, à la réalité du dommage et à l’existence d’un lien de causalité entre ce comportement et le préjudice invoqué (voir arrêt du 19 juin 2014, Commune de Millau et
SEMEA/Commission, C‑531/12 P, EU:C:2014:2008, point 96).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-640/20
Date de la décision : 29/09/2022
Type d'affaire : Pourvoi
Type de recours : Recours de fonctionnaires

Analyses

Pourvoi – Fonction publique – Harcèlement moral – Avis médicaux – Absences injustifiées – Rémunération – Statut des fonctionnaires de l’Union européenne – Article 11 bis – Conflit d’intérêts – Article 21 bis – Ordre manifestement illégal – Article 23 – Respect des lois et des règlements de police – Procédure disciplinaire – Révocation – Retrait de la révocation – Nouvelle procédure disciplinaire – Nouvelle révocation.

Statut des fonctionnaires et régime des autres agents


Parties
Demandeurs : PV
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Pikamäe

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:736

Source

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