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14/07/2022 | CJUE | N°C-682/20

CJUE | CJUE, Arrêt de la Cour, Les Mousquetaires et ITM Entreprises SAS contre Commission européenne., 14/07/2022, C-682/20


 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 14 juillet 2022 ( 1 )

Affaire C‑682/20 P

Les Mousquetaires,

ITM Entreprises SAS

contre

Commission européenne

« Pourvoi – Concurrence – Ententes – Procédure administrative – Décision de la Commission ordonnant une inspection – Exception d’illégalité soulevée à l’égard de l’article 20 du règlement (CE) no 1/2003 – Prétendue absence de recours effectif contre les conditions d’exécution des déci

sions d’inspection – Décision de la Commission d’appréhender et de copier les données contenues sur des outils de communication et de stockage contena...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GIOVANNI PITRUZZELLA

présentées le 14 juillet 2022 ( 1 )

Affaire C‑682/20 P

Les Mousquetaires,

ITM Entreprises SAS

contre

Commission européenne

« Pourvoi – Concurrence – Ententes – Procédure administrative – Décision de la Commission ordonnant une inspection – Exception d’illégalité soulevée à l’égard de l’article 20 du règlement (CE) no 1/2003 – Prétendue absence de recours effectif contre les conditions d’exécution des décisions d’inspection – Décision de la Commission d’appréhender et de copier les données contenues sur des outils de communication et de stockage contenant des données relevant de la vie privée des utilisateurs – Rejet de
la demande des parties requérantes de restituer les données concernées – Recours en annulation »

1. Par leur pourvoi, Les Mousquetaires SAS (ci-après « LM ») et ITM Entreprises SAS (ci-après « ITM » ou « Intermarché » et, conjointement avec LM, « les requérantes ») demandent l’annulation partielle de l’arrêt du Tribunal du 5 octobre 2020, Les Mousquetaires et ITM Entreprises/Commission (T‑255/17, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2020:460), par lequel ce dernier a partiellement rejeté leur demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation, premièrement, à titre principal, de deux
décisions adoptées par la Commission européenne le 21 février 2017 ( 2 ), ordonnant à LM ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle de se soumettre à une inspection conformément à l’article 20, paragraphes 1 et 4, du règlement (CE) no 1/2003 ( 3 ) et, à titre subsidiaire, de deux décisions adoptées par la Commission le 9 février 2017, ordonnant à ITM ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle de se soumettre à une
inspection conformément à l’article 20, paragraphes 1 et 4, du règlement no 1/2003 ( 4 ), et, deuxièmement, de la décision par laquelle la Commission a, d’une part, appréhendé et copié les données contenues sur les outils de communication et de stockage contenant des données relevant de la vie privée des utilisateurs de ces outils et, d’autre part, rejeté la demande de restitution de ces données présentée par les requérantes.

I. Les antécédents du litige

2. Les antécédents du litige, qui figurent aux points 2 à 11 de l’arrêt attaqué, peuvent, pour les besoins de la présente procédure, être résumés comme suit.

3. LM est la société holding du groupe Les Mousquetaires, qui exerce ses activités dans le secteur de la distribution alimentaire et non alimentaire en France et en Belgique. ITM est sa filiale.

4. Ayant reçu des informations relatives à des échanges d’informations entre ITM et notamment Casino, qui exerce également ses activités dans le secteur de la distribution alimentaire et non alimentaire, la Commission européenne a adopté la décision Tute 1 du 9 février 2017.

5. Le dispositif de cette décision se lit comme suit :

« Article premier

[...] Intermarché [...] ainsi que toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle, sont tenues de se soumettre à une inspection concernant leur éventuelle participation à des pratiques concertées contraires à l’article 101 [TFUE] dans les marchés de l’approvisionnement en biens de consommation courante, dans le marché de vente de services aux fabricants de produits de marque et dans les marchés de vente aux consommateurs de biens de consommation courante. Ces pratiques
concertées consistent en :

a) des échanges d’informations, depuis 2015, entre des entreprises et/ou des associations d’entreprises, notamment AgeCore et/ou ses membres, notamment Intermarché, et ICDC [...] et/ou ses membres, notamment Casino, concernant les rabais obtenus par eux sur les marchés de l’approvisionnement en biens de consommation courante dans les secteurs des produits alimentaires, produits d’hygiène et produits d’entretien et les prix sur le marché de vente de services aux fabricants de produits de marque
dans les secteurs des produits alimentaires, produits d’hygiène et produits d’entretien, dans plusieurs États membres de l’Union européenne, notamment la France, et

b) des échanges d’informations, au moins depuis 2016, entre Casino et Intermarché concernant leurs stratégies commerciales futures, notamment en termes d’assortiment, de développement de magasins, d’e-commerce et de politique promotionnelle sur les marchés de l’approvisionnement en biens de consommation courante et sur les marchés de vente aux consommateurs de biens de consommation courante, en France.

Cette inspection peut avoir lieu dans n’importe quel local de l’entreprise [...].

Intermarché autorise les fonctionnaires et autres personnes mandatées par la Commission pour procéder à une inspection et les fonctionnaires et autres personnes mandatées par l’autorité de concurrence de l’État membre concerné pour les aider ou nommées par ce dernier à cet effet, à accéder à tous ses locaux et moyens de transport pendant les heures normales de bureau. Elle soumet à inspection les livres ainsi que tout autre document professionnel, quel qu’en soit le support, si les fonctionnaires
et autres personnes mandatées en font la demande et leur permet de les examiner sur place et de prendre ou obtenir sous quelque forme que ce soit copie ou extrait de ces livres ou documents. Elle autorise l’apposition de scellés sur tous les locaux commerciaux et livres ou documents pendant la durée de l’inspection et dans la mesure où cela est nécessaire aux fins de celle-ci. Elle donne immédiatement sur place des explications orales sur l’objet et le but de l’inspection si ces fonctionnaires ou
personnes en font la demande et autorise tout représentant ou membre du personnel à donner de telles explications. Elle autorise l’enregistrement de ces explications sous quelque forme que ce soit.

Article 2

L’inspection peut débuter le 20 février 2017 ou peu de temps après.

Article 3

Intermarché [...] ainsi que toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle sont destinataires de la présente décision.

Cette décision est notifiée, juste avant l’inspection, à l’entreprise qui en est destinataire, en vertu de l’article 297, paragraphe 2, [TFUE]. »

6. Ayant également reçu des informations relatives à des échanges d’informations entre notamment Intermarché et d’autres entreprises ou associations d’entreprises, la Commission a adopté la décision Tute 2 du 9 février 2017. L’article premier de cette décision faisait état de l’éventuelle participation d’Intermarché à des pratiques concertées consistant « en des échanges d’informations, depuis 2015, entre des entreprises et/ou des associations d’entreprises, notamment AgeCore et/ou ses membres,
Coopernic et/ou ses membres et Eurelec et/ou ses membres, concernant les rabais obtenus par eux sur les marchés de l’approvisionnement en biens de consommation courante dans les secteurs des produits alimentaires, produits d’hygiène et produits d’entretien et les prix sur le marché de vente de services aux fabricants de produits de marque dans les secteurs des produits alimentaires, produits d’hygiène et produits d’entretien, dans plusieurs États membres de l’Union européenne, notamment la France
et l’Allemagne ». Les articles 2 et 3 de ladite décision avaient la même teneur que les articles 2 et 3 de la décision Tute 1 du 9 février 2017.

7. Ayant été informée de cette inspection par la Commission, l’Autorité de la concurrence française a saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance d’Evry (France), afin de lui demander l’autorisation de réaliser des opérations de visite et de saisie dans les locaux des requérantes. Par ordonnance du 17 février 2017, le juge des libertés et de la détention a autorisé les visites et saisies sollicitées à titre préventif. Aucune des mesures prises lors de l’inspection
n’ayant nécessité l’usage des « pouvoirs de contrainte » au sens de l’article 20, paragraphes 6 à 8, du règlement no 1/2003, cette ordonnance n’a pas été notifiée aux requérantes.

8. L’inspection a débuté le 20 février 2017, date à laquelle les inspecteurs de la Commission, accompagnés de représentants de l’Autorité de la concurrence française, se sont présentés dans les locaux d’Intermarché.

9. À la suite de doutes relatifs à la qualité d’employé d’ITM ou de LM de l’une des personnes visées par l’inspection, la Commission a adopté les décisions Tute 1 et Tute 2 du 21 février 2017, sur le fondement des mêmes motifs que ceux visés dans les décisions Tute 1 et Tute 2 du 9 février 2017, seule la désignation du destinataire principal de l’inspection (ITM au lieu de LM) ayant été modifiée ( 5 ).

10. Dans le cadre de l’inspection, la Commission a procédé notamment à une visite des bureaux, à une collecte de matériel, en particulier informatique (ordinateurs portables, téléphones mobiles, tablettes, périphériques de stockage), à l’audition de plusieurs personnes et à la copie du contenu du matériel collecté.

11. Les requérantes ont adressé à la Commission plusieurs courriers datés du 24 février 2017, dans lesquels elles ont formulé des réserves quant aux décisions d’inspection et au déroulement de l’inspection menée sur leur fondement, en contestant notamment la copie de documents relevant de la vie privée des membres de leur personnel. Ces réserves ont été complétées par un courrier adressé à la Commission le 13 avril 2017, demandant en particulier la restitution de certains des documents copiés.

II. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

12. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 avril 2017, les requérantes ont attaqué les décisions Tute 1 et Tute 2 du 21 février 2017 et, en tant que besoin, les décisions Tute 1 et Tute 2 du 9 février 2017. À l’appui de leur recours, les requérantes ont invoqué, en substance, cinq moyens. Le premier était fondé sur une exception d’illégalité de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 et contestait l’insuffisance des recours disponibles contre les conditions de déroulement des
inspections, le deuxième était tiré de l’absence de notification régulière des décisions attaquées, le troisième de la privation de leur droit de se défendre contre l’inspection, le quatrième de la méconnaissance de l’obligation de motivation, et le cinquième était tiré de la violation du droit à l’inviolabilité du domicile.

13. Par décision du 22 septembre 2017 du président de la neuvième chambre du Tribunal, le Conseil de l’Union européenne a été admis à intervenir à la procédure devant le Tribunal au soutien de la Commission.

14. Dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure du Tribunal, celui-ci a invité la Commission à produire une version non confidentielle des indices d’infractions présumées dont elle disposait à la date des décisions attaquées et demandé aux requérantes de prendre position sur les indices produits. En réponse à cette invitation, la Commission a, notamment, produit des comptes rendus d’entretiens tenus au cours des années 2016 et 2017 avec
treize fournisseurs des produits de consommation courante concernés par l’inspection qui concluaient régulièrement des accords avec Casino et ITM (ci-après les « comptes rendus d’entretiens »).

15. Par l’arrêt attaqué, le Tribunal, d’une part, après avoir constaté que la Commission ne détenait pas d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter l’existence d’une infraction consistant en des échanges d’informations entre Casino et ITM concernant leurs stratégies commerciales futures, a annulé l’article 1, sous b), de la décision Tute 1 du 9 février 2017 et l’article 1, sous b), de la décision Tute 1 du 21 février 2017 ( 6 ). D’autre part, en jugeant que les recours ouverts tant
contre la légalité que contre le déroulement des inspections étaient effectifs et en constatant que la Commission avait motivé à suffisance de droit et avait valablement pu ordonner des inspections s’agissant de la participation éventuelle des requérantes aux pratiques concertées énumérées à l’article 1, sous a), des décisions Tute 2 des 9 et 21 février 2017, le Tribunal a rejeté le recours pour le surplus ( 7 ).

III. Conclusions des parties

16. Par leur pourvoi, les requérantes demandent à la Cour d’annuler le point 2 du dispositif de l’arrêt attaqué, de faire droit à leurs conclusions présentées en première instance en annulant les décisions Tute 1 des 9 et 21 février 2017 (ci-après, conjointement, les « décisions litigieuses ») et de condamner la Commission aux entiers dépens de l’ensemble de la procédure, en ce y compris la procédure devant le Tribunal.

17. La Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner les requérantes aux dépens.

18. Le Conseil demande à la Cour de rejeter le premier moyen de pourvoi et de condamner les requérantes aux dépens.

IV. Sur le pourvoi

19. À l’appui de leur pourvoi, les requérantes soulèvent cinq moyens. Le premier moyen est tiré d’erreurs de droit et d’un défaut de motivation commis par le Tribunal dans le cadre de son analyse de l’effectivité des voies de recours concernant le déroulement des inspections. Le deuxième moyen est tiré de la violation des article 6 et 8 de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), de l’article 296 TFUE et
de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 en ce que le Tribunal aurait méconnu l’obligation de motivation et de limitation des décisions d’inspection. Le troisième moyen est tiré d’une erreur de droit et d’une violation du règlement no 1/2003 en ce que le Tribunal aurait caractérisé une phase procédurale « avant adoption de mesures impliquant le reproche d’avoir commis une infraction » non soumise à ce règlement. Le quatrième moyen est tiré de la violation des articles 6 et 8 de la
CEDH et de l’article 19 du règlement no 1/2003 en ce que le Tribunal a qualifié d’« indices suffisamment sérieux » des éléments affectés d’irrégularités formelles et substantielles. Enfin, le cinquième moyen est tiré du défaut de motivation résultant de l’absence de contrôle de la valeur probante de ces indices et d’une erreur quant à la qualification d’« indice ».

A.   Sur le premier moyen de pourvoi

20. Par leur premier moyen, les requérantes contestent, en substance, les points 83 à 112 de l’arrêt attaqué dans lequel le Tribunal a examiné et rejeté leur exception d’illégalité de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003. Dans le cadre de cette exception d’illégalité, les requérantes contestaient l’absence, dans l’article 20 du règlement no 1/2003, de dispositions conférant aux mesures relevant du déroulement d’une inspection la nature d’actes susceptibles de recours en vertu du
traité, et imposant la mention de ce recours possible dans la décision d’inspection, comme doit être mentionné, en vertu de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003, le recours ouvert devant le juge de l’Union contre la décision d’inspection elle-même ( 8 ).

1. L’arrêt attaqué

21. Après avoir rejeté, aux points 58 à 75 de l’arrêt attaqué, les fins de non-recevoir opposées par la Commission et par le Conseil à l’exception d’illégalité soulevée par les requérantes, le Tribunal a entamé l’examen du bien-fondé de cette exception. Au point 82 de l’arrêt attaqué, il a tout d’abord rappelé les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH ») qui se sont prononcés sur le respect des articles 6 et 13 de la CEDH à propos des visites domiciliaires et a
évoqué les quatre conditions requises pour que soit admise l’existence d’un droit à un recours effectif qui se dégagent de ces arrêts, à savoir la « condition d’effectivité », la « condition d’efficacité », la « condition de certitude » et la « condition du délai raisonnable ». Au point 83 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a précisé que l’affirmation contenue dans lesdits arrêts, selon laquelle le déroulement d’une opération d’inspection doit pouvoir faire l’objet d’un recours juridictionnel
effectif dans les circonstances particulières de l’affaire en cause, implique la prise en compte de l’ensemble des voies de droit à la disposition d’une entreprise faisant l’objet d’une inspection et ainsi une analyse globale de ces voies de droit. Avant de procéder à une telle analyse, le Tribunal a souligné qu’il « est indifférent que, prises individuellement, chacune des voies de droit examinées ne remplisse pas les quatre conditions requises par la jurisprudence de la Cour EDH » ( 9 ).

22. Ensuite, le Tribunal a identifié six voies de droit permettant de porter devant un juge les contestations relatives à une opération d’inspection, à savoir le recours contre la décision d’inspection, le recours contre une décision de la Commission sanctionnant une obstruction à l’inspection sur le fondement de l’article 23, paragraphe 1, sous c) à e), du règlement no 1/2003, le recours contre « tout acte remplissant les conditions jurisprudentielles de l’acte susceptible de recours qu’adopterait
la Commission à la suite de la décision d’inspection et dans le cadre du déroulement des opérations d’inspection, tel qu’une décision rejetant une demande de protection de documents au titre de la confidentialité des communications entre avocats et clients », fondé sur l’arrêt du 17 septembre 2007, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission ( 10 ) (ci-après l’arrêt « Akzo »), le recours contre la décision finale clôturant la procédure ouverte au titre de l’article 101 TFUE, l’action en
référé et, enfin, le recours en responsabilité extracontractuelle.

23. Aux points 90 à 98 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a analysé dans quelle mesure chacune de ces voies de droit permettait de critiquer les conditions dans lesquelles une inspection s’est déroulée et de fournir un redressement contre les éventuelles irrégularités commises par la Commission au cours de celle-ci.

24. Au terme de cette analyse, aux points 99 à 110 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a expliqué les raisons pour lesquelles il estimait que le système de contrôle du déroulement des opérations d’inspection constitué de l’ensemble de telles voies de droit satisfaisait aux quatre conditions mentionnées au point 21 des présentes conclusions. Dans ce cadre, il a notamment précisé, au point 101 de cet arrêt, s’agissant de la condition d’effectivité, que si chacune desdites voies de droit ne permettait pas,
prise individuellement, de réaliser un contrôle du bien-fondé de l’ensemble des mesures prises lors de l’inspection, leur exercice combiné permettait un tel contrôle.

25. Au point 111 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, par conséquent, conclu au rejet de l’exception d’illégalité de l’article 20 du règlement no 1/2003, tirée de la violation du droit à un recours effectif, en tant que non fondée.

2. Synthèse des arguments des parties

26. Après avoir relevé que l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 confère à la Commission de larges pouvoirs d’enquête qui empiètent sérieusement sur les droits des entreprises et des particuliers consacrés à l’article 8 de la CEDH et à l’article 7 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), les requérantes rappellent que, dans son arrêt du 2 octobre 2014, Delta Perkarny c. République Tchèque ( 11 ) (ci-après l’« arrêt Delta Pekarny »), la Cour
EDH a jugé que la conformité à la CEDH d’une telle ingérence requiert, entre autres, un recours effectif permettant de contester, en droit comme en fait, non seulement la légalité de l’autorisation, mais aussi les conditions de déroulement d’une inspection à laquelle l’entreprise a l’obligation de se soumettre.

27. Les requérantes font valoir, en premier lieu, que, contrairement à ce que soutient le Tribunal, notamment aux points 83 et 87 de l’arrêt attaqué, il ne ressortirait pas des arrêts de la Cour EDH qu’il faille juger de l’effectivité des voies de recours contre la légalité et le déroulement d’une inspection sur le fondement d’une « analyse globale » des voies de droit potentielles, et encore moins sur le fondement d’une analyse par compensation. En examinant ensemble les actions possibles en
contestation de légalité et en contestation du déroulement des inspections et en prétendant compenser les inconvénients d’une voie par les avantages d’une autre, le Tribunal serait parvenu, aux points 83 et 99 à 111 de l’arrêt attaqué, à une conclusion erronée.

28. Selon les requérantes, un examen séparé, mené en tenant compte des circonstances particulières de l’affaire en cause, aurait amené le Tribunal a écarter d’emblée trois des voies de recours qu’il a reconnues comme effectives, à savoir le recours contre la décision au fond, qui ne serait pas certain, n’interviendrait pas dans un délai raisonnable et ne permettrait pas d’apporter un redressement approprié, le recours en contestation de la légalité de la décision d’inspection, qui ne saurait viser
les conditions de déroulement de l’inspection, ainsi que l’attesterait le rejet par le Tribunal des moyens présentés à cet égard par les requérantes comme étant irrecevables ou inopérants, et le recours en responsabilité extracontractuelle, en ce qu’il n’a qu’une vocation indemnitaire.

29. Toutes les autres voies de recours, à savoir le recours concernant des demandes de protection de la confidentialité des échanges entre avocat et client, le référé évoqué par l’arrêt du Tribunal en matière de protection des données privées, ou encore le recours contre une décision d’obstruction, ne seraient que partielles et ne permettraient pas de vérifier, en droit et en fait, que l’ensemble des conditions de déroulement de l’inspection ont satisfait à l’article 8 de la CEDH. En effet,
l’accumulation de recours partiels qui ne permettent pas de constater, in concreto, l’existence d’un recours remplissant les conditions d’effectivité, d’efficacité, de certitude et de délai raisonnable pour l’ensemble des problématiques de déroulement de l’inspection susceptibles de surgir ne satisfait pas plus les exigences de l’article 8 de la CEDH qu’une absence de recours.

30. En second lieu, les requérantes font valoir que, pour ce qui est des voies de recours énumérées au point précédent des présentes conclusions, le Tribunal a fait peser sur le justiciable la charge de créer les conditions permettant de les engager. Ainsi, tant le référé que l’action ex post en matière de protection des données et le recours sur le fondement de la jurisprudence issue de l’arrêt Akzo en matière de protection de la correspondance entre client et avocat supposeraient que l’entreprise,
en se détournant de l’inspection en cours, parvienne à provoquer une décision explicite ou implicite de refus de la part de la Commission. Ces voies de recours reposeraient également sur l’acceptation de la Commission de placer les données sous enveloppe scellée dans l’attente de la décision du Tribunal. Quant au recours d’obstruction, il suppose que l’entreprise se rende coupable d’une obstruction au point de se faire infliger une sanction.

31. La Commission et le Conseil s’opposent à l’ensemble de ces arguments.

3. Analyse

32. Avant de procéder à l’examen successif des deux griefs qui composent le premier moyen de pourvoi, il convient de mentionner que, dans l’intitulé de leur premier moyen de pourvoi, les requérantes font également état d’un défaut de motivation entachant l’analyse du Tribunal sur l’effectivité des voies de recours concernant le déroulement des inspections. Elles ne développent cependant ce grief que dans leur mémoire en réplique, en se bornant pour l’essentiel à renvoyer aux arguments exposés aux
points 27 à 29 des présentes conclusions.

33. Sans qu’il soit nécessaire d’aborder la question de la recevabilité dudit grief, qui est contestée par le Conseil, ou celle de son éventuel caractère relevable d’office ( 12 ), il suffit de constater que les motifs pour lesquels le Tribunal a considéré que l’argumentation des requérantes l’invitant à constater l’absence d’un recours effectif s’agissant des conditions de déroulement des inspections devait être rejetée ressortent de façon claire et non équivoque des points 78 à 112 de l’arrêt
attaqué, de sorte que, sur ce point, cet arrêt satisfait sans doute, à mes yeux, aux exigences de motivation telles qu’elles ont été précisées par la Cour ( 13 ).

a) Sur le premier grief

34. Par le premier grief de leur premier moyen, les requérantes contestent en substance l’approche du Tribunal consistant à analyser l’ensemble des voies de droit à la disposition des entreprises pour contester la légalité des opérations de déroulement d’une inspection, afin de vérifier si, considérées globalement, elles remplissent les exigences de l’article 47 de la Charte.

35. En premier lieu, selon les requérantes, cette approche ne serait pas en ligne avec la jurisprudence de la Cour EDH.

36. À cet égard, je rappelle, à titre liminaire, qu’il résulte l’article 52, paragraphe 3, de la Charte que, dans la mesure où celle-ci contient des droits correspondants à des droits garantis par la CEDH, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère la CEDH. Les explications relatives à la Charte ( 14 ) précisent, en ce qui concerne cet article, que le sens et la portée des droits garantis par la CEDH sont déterminés non seulement par le texte de la CEDH et de ses protocoles,
mais aussi par la jurisprudence de la Cour EDH. Il ressort par ailleurs de ces explications que l’article 47 de la Charte correspond à l’article 6, paragraphe 1, et à l’article 13 de la CEDH.

37. L’article 6, paragraphe 1, de la CEDH consacre, entre autres, le droit d’accès à un tribunal. Ce droit d’accès doit être « concret et effectif » ( 15 ), c’est-à-dire permettre à tout individu de jouir « d’une possibilité claire et concrète de contester un acte constituant une ingérence dans ses droits » ( 16 ) ou d’une possibilité claire et concrète de demander réparation ( 17 ). L’article 13 de la CEDH ( 18 ), quant à lui, fait obligation aux États parties à cette convention de prévoir un
recours effectif au travers duquel les justiciables puissent empêcher la survenance ou la continuation d’une violation alléguée de leurs droits garantis par la CEDH ou obtenir un redressement approprié pour toute violation s’étant déjà produite ( 19 ).

38. S’agissant de l’articulation entre ces deux dispositions, la Cour EDH a précisé que, lorsqu’il s’applique, l’article 6, paragraphe 1, CEDH « constitue une lex specialis par rapport à l’article 13 » et « ses exigences, qui impliquent toute la panoplie des garanties propres aux procédures judiciaires, sont plus strictes que celles de l’article 13, qui se trouvent absorbées par elles » ( 20 ).

39. En matière de visites domiciliaires conduites par des autorités de concurrence, la question de l’existence d’un recours effectif a été examinée par la Cour sous l’angle de l’article 6, paragraphe 1, et de l’article 8 de la CEDH. Lorsque la requête avait été fondée également sur l’article 13 de la CEDH, cette Cour a soit déclaré que seul l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH était d’application ( 21 ), soit n’a pas examiné le grief en considérant un tel examen superflu ( 22 ).

40. Cela étant précisé, je relève que l’approche suivie par le Tribunal notamment aux points 83 et 87 de l’arrêt attaqué, consistant à analyser globalement les voies de droit à la disposition des entreprises concernées par des inspections de la Commission au titre de l’article 20 du règlement no 1/2003 pour contester la régularité des opérations de déroulement de ces inspections, n’est pas sans évoquer la jurisprudence de la Cour EDH sur l’article 13 de la CEDH. Cette dernière a en effet précisé que
la protection offerte par cet article ne va pas jusqu’à exiger une forme particulière de recours ( 23 ) et que « l’ensemble des recours offerts par le droit interne peut remplir les exigences de l’article 13 [de la CEDH], même si aucun d’eux n’y répond en entier à lui seul » ( 24 ).

41. Or, une telle approche, bien que non expressément cautionnée par la Cour EDH dans le cadre de l’article 6, paragraphe 1, ou de l’article 8 de la CEDH, n’apparaît pas, contrairement à ce que font valoir les requérantes, incompatible avec la jurisprudence en matière de visites domiciliaires mentionnée par ces dernières.

42. À cet égard, il convient, à titre liminaire, de rappeler que, à partir de l’arrêt du 21 février 2008, Ravon et autres c. France ( 25 ) (ci-après l’« arrêt Ravon »), la Cour EDH a jugé que les entreprises concernées par des visites domiciliaires doivent pouvoir obtenir un contrôle juridictionnel, en fait comme en droit, de la régularité de la décision prescrivant la visite ainsi que, le cas échéant, des mesures prises sur son fondement ( 26 ).

43. Or, ainsi que la Commission le fait valoir à juste titre, dans cet arrêt, comme dans les autres mentionnés par les requérantes, la Cour EDH, après avoir rappelé que l’absence d’un contrôle a priori de la mesure d’inspection peut être contrecarrée par un contrôle judiciaire ex post facto de cette mesure et de son déroulement, qui soit effectif en fait comme en droit, a précisé que « lorsqu’une opération jugée irrégulière a déjà eu lieu, le ou les recours disponibles doivent permettre de fournir à
l’intéressé un redressement approprié » ( 27 ), rejetant donc l’idée selon laquelle l’unicité du recours est une condition nécessaire de l’effectivité de la protection juridictionnelle contre de telles mesures.

44. En outre, dans ce même arrêt, en suivant une approche casuistique et sans s’arrêter à l’évidence de l’absence, dans le système juridique national examiné, d’un recours autonome contre la mesure contestée satisfaisant les exigences posées par l’article 6, paragraphe 1, CEDH ou par l’article 8 CEDH, la Cour EDH a analysé si les différentes voies de recours à la dispositions des intéressés leur ouvraient droit, compte tenu des griefs qu’ils avançaient, à un recours effectif et à un redressement
approprié ( 28 ).

45. Les arguments avancés par les requérantes ne sont, à mon sens, pas susceptibles de remettre en cause la conclusion à laquelle je suis parvenu au point 41 des présentes conclusions.

46. Premièrement, si c’est à juste titre que les requérantes ont souligné qu’il ressort de l’arrêt Canal Plus que la condition d’effectivité s’apprécie au niveau de chacun des deux types de contrôle exigés par l’arrêt Ravon évoqués au point 42 des présentes conclusions et que l’absence de l’un d’eux ne saurait être palliée par la garantie de l’autre ( 29 ), toutefois, contrairement à ce que les requérantes semblent impliquer, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal n’a pas considéré que l’existence d’une
voie de recours contre la décision d’inspection était en elle-même susceptible de compenser la prétendue absence de contrôle juridictionnel sur le déroulement des opérations d’inspection.

47. En effet, il ressort clairement des points 90 à 98 de l’arrêt attaqué que le Tribunal a examiné dans quelle mesure les différentes voies de recours à la disposition des requérantes, y inclus le recours contre la décision d’inspection, permettaient de porter devant un juge des griefs relatifs à la régularité du déroulement de ces opérations et donc dans quelle mesure, malgré l’absence d’une seule et unique voie de recours, le système offrait tout de même la possibilité d’un contrôle
juridictionnel effectif desdites opérations, satisfaisant aux exigences posées par la jurisprudence de la Cour CEDH. En ce sens, l’approche suivie par le Tribunal dans l’arrêt attaqué se distingue nettement de la thèse défensive soutenue par le gouvernement français et rejetée par la Cour EDH dans l’arrêt Canal Plus ( 30 ).

48. Deuxièmement, quant au point 87 de l’arrêt Delta Pekarny, auquel renvoient également les requérantes, il ne saurait être inféré de l’affirmation, contenue dans ce point, selon laquelle l’efficacité d’un contrôle judiciaire – qu’il s’agisse du contrôle a posteriori sur la légalité et la nécessité d’une mesure de perquisition, comme dans le litige ayant donné lieu à cet arrêt, ou du contrôle sur les actes d’exécution d’une telle mesure – doit être appréciée « dans les circonstances particulières
de l’affaire en cause », que cette appréciation ne puisse pas être menée en tenant compte de l’ensemble des voies de recours ouvertes aux entreprises concernées.

49. Une telle affirmation ne vise en effet qu’à préciser que l’effectivité d’un recours doit être appréciée in concreto ( 31 ), la Cour EDH ayant itérativement jugé qu’elle n’a pas pour tâche de contrôler dans l’abstrait la législation ou la pratique nationale pertinente, mais doit se limiter à traiter les questions soulevées par le cas concret dont elle se trouve saisie ( 32 ) et, plus particulièrement, à prendre en considération uniquement les recours qui pouvaient être dignes d’intérêt pour le
requérant ( 33 ). Ainsi, c’est plutôt en faveur d’une approche similaire à celle adoptée par le Tribunal, visant à considérer l’ensemble des voies de droit disponibles, que plaide le point 87 de l’arrêt Delta Pekarny, comme l’a d’ailleurs relevé le Tribunal lui-même au point 83 de l’arrêt attaqué. Ainsi que je l’ai déjà relevé au point 44 des présentes conclusions, une telle approche a, en effet, été suivie par la Cour EDH dans toutes les affaires mentionnées par les requérantes ( 34 ).

50. Troisièmement, contrairement à ce que font valoir les requérantes, le Tribunal a procédé à un examen séparé des six voies de droit qu’il a identifiées, en précisant tant les griefs portant sur la régularité des opérations d’inspection susceptibles d’être avancés par les entreprises concernées que le redressement contre d’éventuelles irrégularités entachant ces opérations qu’elles peuvent chercher à obtenir en empruntant chacune de ces voies de droit.

51. Certes, l’examen du Tribunal se termine par une appréciation globale du système de contrôle du déroulement des opérations d’inspection constitué de l’ensemble des voies de droit considérées, qui n’atteint pas nécessairement le même caractère concret que l’on retrouve dans les arrêts de la Cour EDH. Cependant, il convient de souligner que, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a été amené à se prononcer sur une exception d’illégalité de l’article 20 du règlement no 1/2003, soulevée au titre de
l’article 277 TFUE, ce qui requerrait une appréciation générale de ce système, dépassant les « circonstances particulières de l’affaire en cause ».

52. Dans le cadre du premier grief de leur premier moyen de recours, les requérantes affirment, en deuxième lieu, que, pour se conformer à la jurisprudence de la Cour EDH, le Tribunal aurait dû écarter d’emblée de son analyse les trois voies de droit constituées par le recours contre la décision au fond se prononçant sur l’existence d’une infraction aux règles de concurrence, le recours contre la décision d’inspection et le recours en responsabilité extracontractuelle.

53. À cet égard, il y a lieu préliminairement d’observer que, au vu de l’approche suivie par le Tribunal – que j’estime conforme à la jurisprudence de la Cour EDH –, aucune voie de droit à la disposition des entreprises soumises à une mesure d’inspection ne devait logiquement être écartée, pour autant qu’elle permette à celles-ci de porter devant le juge de l’Union un ou plusieurs griefs relatifs à l’irrégularité du déroulement des opérations d’inspection. Cela étant, j’observerai ce qui suit sur
les trois voies de droit dont la pertinence est contestée par les requérantes.

54. En ce qui concerne premièrement le recours contre la décision au fond se prononçant sur l’existence d’une infraction aux règles de concurrence, il est certes vrai, comme le soulignent les requérantes, que, dans l’arrêt Canal Plus, la Cour EDH a considéré, d’une part, que l’accessibilité de cette voie de recours est incertaine, compte tenu de l’exigence préalable à la fois d’une décision au fond et d’un recours contre celle-ci, et, d’autre part, qu’elle ne fournit pas un redressement approprié en
l’absence de certitude d’un contrôle juridictionnel intervenant dans un délai raisonnable ( 35 ).

55. Cependant, ces constatations ne suffisent pas, à mon sens, pour conclure que le Tribunal aurait dû écarter une telle voie de droit de son analyse.

56. En effet, il y a tout d’abord lieu de relever que, dans l’affaire ayant conduit à l’arrêt Canal Plus, la Cour EDH a examiné dans quelle mesure un recours contre la décision au fond adoptée par l’autorité nationale de concurrence pouvait constituer un recours effectif ex post facto de la légalité de la décision d’inspection et non pas, comme dans l’affaire qui nous occupe, de la régularité d’une ou de plusieurs mesures adoptées en exécution de cette décision. Or, la disponibilité d’une voie de
recours immédiate contre la mesure qui décide l’inspection, assortie de la possibilité d’en demander la suspension, est d’une importance primordiale afin d’éviter les conséquences d’une ingérence illégale dans le droit à l’inviolabilité du domicile consacré à l’article 8 de la CEDH ou, le cas échéant, afin d’éviter l’ingérence elle-même.

57. Ensuite, il y a lieu d’observer que la Cour EDH, dans le contexte plus protégé des perquisitions au domicile privé de personnes physiques ( 36 ), a admis que, dans certaines circonstances, le contrôle de la mesure attentatoire à l’article 8 de la CEDH effectué ex post facto par les juridictions pénales – et donc dans des conditions d’incertitude et de non-immédiateté comparables à celles qui caractérisent une enquête en matière d’infraction au droit de la concurrence – fournit un redressement
approprié pour l’intéressé, dès lors que le juge procède à un contrôle efficace de la légalité et de la nécessité de la mesure contestée et, le cas échéant, exclut du procès pénal les éléments de preuve recueillis ( 37 ).

58. Cela étant dit, je relève, en tout état de cause, que, dans le contexte de l’analyse d’ensemble menée par le Tribunal, la voie de droit constituée par le recours contre la décision finale – dans le cadre duquel, ainsi qu’il est à juste titre affirmé au point 90 de l’arrêt attaqué, les entreprises concernées peuvent obtenir le contrôle du respect par la Commission de l’ensemble des limites s’imposant à elle lors du déroulement d’une inspection – permet notamment à ces entreprises d’éviter le
préjudice qu’elles subiraient du fait d’une violation de leur droit fondamental à l’inviolabilité du domicile s’il était permis à la Commission d’utiliser à leur charge des pièces acquises irrégulièrement lors d’une inspection.

59. Or, un tel préjudice n’est susceptible de se matérialiser que si et au moment où une décision finale constatant une infraction est adoptée. Par ailleurs, puisque ce préjudice est écarté lorsque les éléments de preuve recueillis de manière irrégulière sont exclus de la procédure, le fait que les griefs contre le déroulement des opérations d’inspection qui peuvent être soulevés dans le cadre d’un recours contre la décision finale puissent ne pas conduire, si accueillis, à une annulation de cette
décision ainsi que le fait que ce recours ne permette pas d’obtenir la restitution des pièces irrégulièrement acquises, invoqués par les requérantes, sont dépourvus de pertinence.

60. S’agissant, deuxièmement, du recours contre la décision d’inspection, j’observe que le Tribunal ne prend en compte cette voie de droit que dans la mesure où elle permet, dans le cas d’un constat d’illégalité, d’invalider l’ensemble des mesures prises en exécution de cette décision. S’il est vrai qu’il n’est pas permis, dans le cadre d’un tel recours, d’avancer des griefs dirigés directement contre les opérations de déroulement de l’inspection, il n’en reste pas moins que celui-ci permet
indirectement une vérification de la légalité de ces opérations au travers d’un contrôle de la légalité de l’acte sur le fondement duquel elles sont adoptées. Il s’ensuit que le Tribunal n’a pas commis une erreur en prenant également en compte, dans le cadre de son analyse globale des voies de droit à la disposition des entreprises pour contester la régularité du déroulement des opérations d’inspection, le recours contre la décision d’inspection elle-même.

61. En ce qui concerne, troisièmement, le recours en responsabilité extracontractuelle, au soutien de leur argumentation contre la prise en compte de cette voie de droit, les requérantes renvoient au paragraphe 33 de l’arrêt Ravon, dans lequel la Cour EDH a exclu que puisse constituer un « contrôle juridictionnel effectif » tel que requis par sa jurisprudence un recours « permettant l’obtention d’une indemnisation dans l’hypothèse de dégâts occasionnés lors d’une visite domiciliaire plutôt qu’un
contrôle de la régularité de la décision prescrivant celle-ci et des mesures prises sur son fondement ». À cet égard, il suffit de relever que, s’il ressort, certes, de ce paragraphe que, en matière de visites domiciliaires, une action ayant une vocation uniquement indemnitaire ne peut, à elle seule, satisfaire aux conditions de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH ( 38 ) ou de l’article 8 de cette convention, en revanche, cela n’implique pas qu’une telle action ne puisse pas faire partie des
remèdes à la disposition des entreprises concernées et offrir à ces dernières un redressement approprié, notamment dans l’hypothèse où une opération d’inspection jugée irrégulière a déjà eu lieu. Il s’ensuit que le Tribunal n’a pas commis une erreur de droit en prenant également en compte, dans le cadre de son analyse d’ensemble, la possibilité qu’ont les entreprises estimant que des illégalités commises par la Commission lors d’une inspection leur ont causé un préjudice de nature à engager la
responsabilité de l’Union d’introduire un recours en responsabilité non contractuelle contre celle-ci.

62. Dans le cadre de leur premier grief, les requérantes font valoir, en troisième lieu, que toutes les autres voies de recours mentionnées par le Tribunal ne seraient que « partielles » et ne permettraient pas de vérifier, en droit et en fait, que l’ensemble des conditions de déroulement de l’inspection ont satisfait à l’article 8 de la CEDH. Les requérantes soulignent notamment l’absence d’un recours conforme à la CEDH permettant de contester la durée déraisonnable d’une inspection.

63. À cet égard, il suffit de relever que, selon la jurisprudence de la Cour EDH rappelée ci-dessus, afin de satisfaire les exigences de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, il importe que les entreprises concernées par une visite domiciliaire disposent de la possibilité d’obtenir l’examen du contenu de leurs contestations et l’octroi d’un redressement approprié. En revanche, il n’est pas requis que l’ensemble des griefs pouvant être soulevés contre les mesures prises par l’autorité publique sur
le fondement de la décision prescrivant la visite, prétendument attentatoires du droit garanti par cet article, le soient dans le cadre d’une seule et même voie de recours.

64. Quant à la prétendue absence d’un recours effectif et certain, permettant de faire valoir le grief tiré de la durée déraisonnable d’une inspection et d’obtenir un redressement approprié, je relève qu’un tel grief peut être soulevé tant dans le cadre du recours contre la décision finale que dans le cadre d’un recours en responsabilité extracontractuelle. Dans le premier cas, si accueilli, ce grief peut conduire à ce que les pièces appréhendées par la Commission après le dépassement d’un délai
considéré comme étant raisonnable soient inutilisables ( 39 ) ; dans le second cas, il peut donner lieu à l’octroi d’une indemnisation. À ce dernier égard, je souligne que, s’agissant du grief tiré de la méconnaissance du droit à faire entendre sa cause dans un délai raisonnable, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, il résulte de la jurisprudence de la Cour EDH que, en principe, un choix est ouvert entre un recours « préventif ou d’accélération », apte à raccourcir la durée de la
procédure afin d’éviter qu’elle ne devienne excessive, et un recours « en réparation, compensatoire, indemnitaire ou pécuniaire », permettant d’obtenir a posteriori une réparation pour des retards déjà accumulés, que la procédure soit encore pendante ou qu’elle soit achevée ( 40 ).

65. En liaison avec le premier grief de leur premier moyen, visant à contester l’appréciation globale menée par le Tribunal, les requérantes font valoir, en quatrième lieu, que les deux voies de recours mentionnées aux points 94 et 96 de l’arrêt attaqué, à savoir le référé en suspension pendant l’inspection et le recours ex post concernant la protection des données privées des dirigeants et salariés de l’entreprise soumise à inspection, demeurent à ce jour inédites et leur disponibilité reste à
démontrer. Dans ces conditions, ces voies de recours ne sauraient remplir la condition d’effectivité.

66. À cet égard, si c’est à juste titre que les requérantes soulignent qu’il résulte, notamment, de l’arrêt Mac Farlane c. Irlande ( 41 ) qu’un recours dont la disponibilité reste à démontrer et dont la réalité fait l’objet d’une incertitude importante ne saurait être qualifié d’« effectif », au sens de l’article 13 de la CEDH, je relève cependant que la Cour EDH n’a pas hésité à déclarer effectif au titre de cette disposition un recours avant même qu’une pratique des juridictions internes puisse
être établie ( 42 ), de sorte que, contrairement à ce que semblent affirmer les requérantes, l’absence de pratique judiciaire établie peut ne pas être déterminante ( 43 ).

67. En l’espèce, il y a lieu d’observer que la jurisprudence issue de l’arrêt Akzo, qui reconnaît la recevabilité d’un recours contre une décision de la Commission rejetant explicitement ou implicitement une demande de protection de documents au titre de la confidentialité des communications entre avocats et clients présentée au cours d’une inspection, ne constitue que l’application à un cas concret d’une jurisprudence constante, rappelée aux points 33 à 35 de l’arrêt attaqué, selon laquelle
constituent des actes susceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation au sens de l’article 263 TFUE les mesures produisant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la partie requérante, en modifiant de façon caractérisée la situation juridique de celle-ci ( 44 ).

68. Or, tout acte de la Commission intervenant au cours d’une inspection et répondant à cette définition constitue en principe un acte attaquable par un recours en annulation au sens de l’article 263 TFUE. À cet égard, je suis de l’avis que, aux mêmes conditions que celles prévues à l’arrêt Akzo, un droit de recours contre une décision par laquelle la Commission rejette explicitement ou implicitement l’opposition avancée par l’entreprise inspectée contre l’appréhension de certains documents devrait
être reconnu non seulement lorsque cette opposition est fondée sur le motif que les documents en question sont protégés par le secret de la correspondance entre avocat et client, comme c’était le cas dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt Akzo, ou qu’il s’agit de pièces protégées au titre de la vie privée des membres du personnel de cette entreprise ( 45 ), hypothèse admise par le Tribunal au point 37 de l’arrêt attaqué, mais également lorsqu’il est soutenu que ces documents sortent de
l’objet de l’inspection, ou encore que la durée de l’inspection a dépassé un délai considéré comme étant raisonnable.

69. C’est donc à juste titre que le Tribunal a considéré, au point 94 de l’arrêt attaqué, que les entreprises soumises à inspection disposent, de manière certaine, de la possibilité de former un recours, dans les mêmes conditions que celles indiquées dans l’arrêt Akzo, contre une décision rejetant une demande de protection au titre de la vie privée des membres de leur personnel.

70. De même, je relève que, en application des articles 278 et 279 TFUE, suivant la procédure sommaire prévue à l’article 39 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, telle que précisée dans les dispositions pertinentes des règlements de procédure de la Cour et du Tribunal, le président de la Cour et le président du Tribunal peuvent tant ordonner le sursis à l’exécution de l’acte attaqué, s’ils estiment que les circonstances l’exigent, que, dans les affaires dont la Cour ou le Tribunal
sont saisis, prescrire les mesures provisoires nécessaires. Dès lors, c’est sans commettre une erreur de droit que le Tribunal a considéré que la possibilité, évoquée au point 96 de l’arrêt attaqué, d’obtenir, faisant application de l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure du Tribunal, un référé déterminant la suspension de l’inspection était bien réelle.

71. Pour l’ensemble des raisons exposées, le premier grief du premier moyen de pourvoi est, à mon sens, non fondé.

b) Sur le second grief

72. Par leur second grief, les requérantes reprochent en substance au Tribunal de faire peser sur les justiciables la charge de créer les conditions permettant d’engager les différentes voies de recours énumérées.

73. À cet égard, il y a lieu de rappeler que le droit d’accès à un tribunal, consacré à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH et à l’article 47 de la Charte, n’est pas absolu et se prête à des limitations implicitement admises, notamment quant aux conditions de recevabilité d’un recours. Ces limitations ne sauraient toutefois restreindre l’accès ouvert à un justiciable de manière ou à un point tels que son droit à un tribunal s’en trouve atteint dans sa substance même. Elles doivent tendre à un but
légitime et il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé ( 46 ). Il y a également lieu de relever qu’il est de jurisprudence constante que l’article 47 de la Charte n’a pas pour objet de modifier le système de contrôle juridictionnel prévu par les traités, notamment les règles relatives à la recevabilité des recours formés directement devant la juridiction de l’Union ( 47 ).

74. S’agissant, d’abord, de la possibilité d’attaquer une décision explicite ou implicite de rejet prise par la Commission au cours des opérations de déroulement de l’inspection en cas de contestation sur le droit des inspecteurs d’appréhender certains documents, je relève que l’arrêt Akzo ne met à la charge des entreprises inspectées que le devoir de manifester leur opposition à l’acquisition des pièces en question, en la motivant ( 48 ). Compte tenu de ce qu’une telle opposition constitue la seule
chance que ces entreprises ont de protéger dans l’immédiat leurs intérêts et d’éviter le préjudice dérivant d’un accès irrégulier de la Commission aux documents faisant l’objet de contestation, il ne saurait, à mon sens, être valablement soutenu que son exercice constitue, pour lesdites entreprises, une charge excessive, entravant de facto leur droit à un recours effectif.

75. Par ailleurs, il ressort clairement du point 49 de l’arrêt Akzo que, contrairement à ce qu’affirment les requérantes, le Tribunal a reconnu l’existence d’un acte attaquable non seulement lorsque la Commission accepte de placer les documents faisant l’objet de contestation sous enveloppe scellée, rejetant ultérieurement la contestation avancée par l’entreprise inspectée, mais également lorsqu’elle décide de procéder à leur appréhension. Les requérantes ne sont donc, à mes yeux, pas fondées à
soutenir que les recours fondés sur la jurisprudence Akzo supposent « un certain nombre de préalables qui sont à la seule main de la Commission ».

76. De même, ne saurait, à mon sens, prospérer l’argument avancé par les requérantes selon lequel la voie de recours en référé mentionnée au point 96 de l’arrêt attaqué ne serait que difficilement accessible pour les entreprises intéressées, au motif que, en l’engageant, elles seraient détournées de l’inspection en cours. En effet, je peine à considérer que la seule démarche de saisir le Tribunal d’une demande en référé, permettant de contester de manière immédiate la régularité des opérations
d’inspection en cours, puisse constituer pour l’entreprise inspectée une charge excessive, surtout au vu de la perspective qu’une telle voie ouvre d’obtenir un sursis à exécution des opérations contestées.

77. Enfin, je ne puis non plus souscrire à l’argument avancé par les requérantes selon lequel la voie constituée par le recours en obstruction ne saurait constituer un recours effectif dès lors qu’elle obligerait l’entreprise inspectée à se rendre coupable d’une violation de son devoir de coopérer avec la Commission au point de se faire infliger une sanction.

78. À l’appui de cet argument, les requérantes invoquent la jurisprudence constante de la Cour, confirmée récemment dans l’arrêt du 6 octobre 2020, État luxembourgeois (Droit de recours contre une demande d’information en matière fiscale) ( 49 ), selon laquelle le respect du contenu essentiel du droit à un recours effectif consacré à l’article 47 de la Charte, qui inclut le droit d’accès à un juge, s’oppose à ce que, pour accéder à un tel tribunal, la personne titulaire de ce droit se voie
contrainte d’enfreindre une règle ou une obligation juridique et de s’exposer à la sanction attachée à cette infraction.

79. À cet égard, je relève, en premier lieu, que le recours contre une décision de la Commission prise au titre de l’article 23 du règlement no 1/2003 en cas d’obstruction à l’inspection ne constitue pas la seule voie à la disposition des entreprises inspectées pour contester la régularité des opérations de déroulement de l’inspection. Sous cet aspect, la situation de ces entreprises n’est pas comparable à celle des sociétés requérantes dans les affaires au principal ayant donné lieu à la demande de
décision préjudicielle à l’origine de l’arrêt État luxembourgeois, lesdites entreprises n’étant pas privées de leur droit à un juge sauf à enfreindre une règle ou une obligation juridique en s’exposant à une sanction pour cette infraction. En particulier, dans ces affaires, la décision enjoignant à ces sociétés de fournir les informations demandées précisait qu’elle n’était pas susceptible de recours ( 50 ). En revanche, les entreprises frappées par une décision d’inspection peuvent attaquer
devant le Tribunal tant la légalité que la nécessité de cette décision, sans être nullement obligées, pour ainsi faire, de s’exposer à une sanction quelconque. Elles peuvent également engager les différentes voies de recours énumérées par le Tribunal en vue de solliciter un contrôle de la régularité des opérations d’inspection ou de demander la réparation du préjudice éventuellement subi en relation avec le déroulement de ces opérations.

80. En deuxième lieu, et comme j’ai déjà eu l’occasion de l’observer au point 53 des présentes conclusions, si l’on suit l’approche, à mes yeux correcte, retenue par le Tribunal dans l’arrêt attaqué, consistant à analyser globalement l’ensemble des recours offerts par le système mis en place au sein de l’Union, aucune voie de recours n’est à écarter a priori, même lorsqu’elle n’est susceptible d’être engagée que dans des situations spécifiques et en présence de certaines circonstances. Je relève
d’ailleurs, à cet égard, que, dans l’arrêt Delta Pekarny, la Cour EDH elle-même – qui, comme je l’ai également déjà relevé, a suivi une approche similaire à celle du Tribunal dans l’arrêt attaqué – n’a pas écarté a priori de son analyse la pertinence du recours contre la décision par laquelle l’autorité de concurrence avait sanctionné l’entreprise requérante pour obstruction lors de l’inspection, mais a apprécié si, dans le cadre d’un tel recours, cette entreprise avait eu la possibilité de
contester la légalité et la nécessité de la décision d’inspection ( 51 ).

81. En troisième lieu, il convient de relever que l’adoption d’une décision d’obstruction n’est que l’une des issues possibles de l’exercice du droit d’opposition reconnu aux entreprises inspectées au titre de l’article 20, paragraphe 6, du règlement no 1/2003 ( 52 ). Elle marque l’occurrence d’une phase pour ainsi dire « pathologique » du déroulement de l’inspection. Ce n’est en effet qu’en cas d’obstruction évidente ou d’une utilisation abusive du droit d’opposition que la Commission peut utiliser
le mécanisme de sanction prévu à l’article 23 du règlement no 1/2003 et non pas comme menace en vue d’obtenir des concessions des entreprises dépassant les limites strictes de leur devoir de collaboration ( 53 ).

82. Au-delà de ces cas limites, tout le long de la procédure d’inspection, les entreprises concernées jouissent, en vue de défendre leurs intérêts, du droit de s’opposer à des opérations d’inspections qu’elles jugent en violation des limites qui s’imposent à la Commission ( 54 ). Comme je l’ai déjà exposé, par l’exercice de ce droit, ces entreprises peuvent solliciter et obtenir une prise de position implicite ou explicite de la Commission sur le bien-fondé des motifs fondant une telle opposition,
qu’elles seront en mesure d’attaquer devant le Tribunal dans les conditions prévues par l’article 263 TFUE, tout en respectant leur devoir de collaboration.

83. À la lumière des considérations qui précèdent, je suis d’avis que le second grief du premier moyen de pourvoi est également non fondé.

c) Conclusion sur le premier moyen de pourvoi

84. Pour l’ensemble des raisons que je viens d’exposer, je suggère à la Cour de rejeter le premier moyen de pourvoi.

B.   Sur le deuxième moyen de pourvoi

85. Par leur deuxième moyen de pourvoi, les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir violé les articles 6 et 8 de la CEDH, l’article 296 TFUE et l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003, en ce qu’il a méconnu l’obligation de motivation qu’incombe à la Commission lorsqu’elle adopte une décision d’inspection, ainsi que le devoir de cette institution de limiter autant que possible le champ des vérifications à effectuer. Ce moyen vise notamment les points 121 à 147 de l’arrêt attaqué, par
lesquels le Tribunal a rejeté le quatrième moyen de recours, tiré d’un défaut de motivation, ainsi que les points 158 à 165 de cet arrêt.

1. Synthèse des arguments des parties

86. Les requérantes font valoir, en premier lieu, que le Tribunal a renoncé à tout contrôle de la précision de la motivation des décisions litigieuses puisqu’il s’est satisfait de l’identification des marchés de l’approvisionnement et de la mention d’une possible pratique d’échanges d’informations entre les distributeurs et/ou leurs alliances, couvrant potentiellement l’ensemble des aspects tarifaires de la négociation avec les fournisseurs, alors que, à la suite de la réponse de la Commission aux
mesures d’organisation de la procédure que le Tribunal a adoptées, les présomptions énoncées s’étaient significativement réduites.

87. En deuxième lieu, les requérantes affirment que le Tribunal aurait dû constater que les décisions litigieuses ouvraient un champ de contrôle illimité à la Commission, l’autorisant à procéder à une véritable « fishing expedition » (« expédition exploratoire »), lui permettant de saisir tout document relatif à leur approvisionnement en Europe et à leurs ventes en France.

88. En troisième lieu, selon les requérantes, le Tribunal n’a pas contrôlé de manière effective l’adéquation du champ défini par l’article 1er, sous a), des décisions litigieuses aux indices en cause.

89. Enfin, les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en retenant, au point 161 de l’arrêt attaqué, que la décision d’inspection n’aurait pas à prévoir le terme de l’inspection, que ce soit au titre de l’obligation de motivation ou du principe de proportionnalité.

90. La Commission s’oppose à l’ensemble des griefs avancés par les requérantes dans leur deuxième moyen de pourvoi.

2. Analyse

91. Il y a lieu de rappeler que l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 impose à la Commission de motiver la décision ordonnant une inspection en indiquant l’objet et le but de cette dernière.

92. Ainsi que la Cour l’a précisé, cette obligation de motivation constitue une exigence fondamentale en vue non seulement de faire apparaître le caractère justifié de l’intervention envisagée à l’intérieur des entreprises concernées, mais aussi de mettre celles-ci en mesure de saisir la portée de leur devoir de collaboration, tout en préservant en même temps leurs droits de la défense ( 55 ). Il s’ensuit que la portée de l’obligation de motivation des décisions de vérification ne peut pas être
restreinte en fonction de considérations tenant à l’efficacité de l’investigation ( 56 ). Par ailleurs, puisque seuls les documents relevant de l’objet de l’inspection peuvent être recherchés, la motivation de la décision d’inspection a également pour conséquence de circonscrire le champ des pouvoirs conférés aux agents de la Commission ( 57 ).

93. Pour s’acquitter de cette obligation de motivation, la Commission doit indiquer clairement les présomptions qu’elle entend vérifier ( 58 ), à savoir ce qui est recherché et les éléments sur lesquels doit porter l’inspection ( 59 ).

94. En revanche, elle n’est pas tenue de communiquer au destinataire d’une décision de vérification toutes les informations dont elle dispose à propos d’infractions présumées ni de procéder à une qualification juridique rigoureuse de ces infractions ( 60 ). Il n’est pas non plus indispensable de faire apparaître dans une décision d’inspection une délimitation précise du marché en cause ni la qualification juridique exacte des infractions présumées ou l’indication de la période au cours de laquelle
ces infractions auraient été commises, à condition que cette décision d’inspection contienne les éléments essentiels exposés aux point 93 des présentes conclusions ( 61 ).

95. En effet, compte tenu du fait que les inspections interviennent au début de l’enquête, la Commission ne dispose pas encore d’informations précises pour émettre un avis juridique spécifique et doit d’abord vérifier le bien-fondé de ses soupçons ainsi que la portée des faits survenus, le but de l’inspection étant précisément de recueillir des preuves relatives à une infraction soupçonnée ( 62 ).

96. En l’espèce, s’agissant du premier grief soulevé par les requérantes dans le cadre de leur deuxième moyen, tiré d’un contrôle insuffisant de la motivation des décisions litigieuses, je relève que l’article 1er, sous a), de ces décisions contenait tant une indication claire de l’infraction présumée sur laquelle portait l’inspection, à savoir un « échange d’informations » en matière de « prix » et de « rabais », qu’une délimitation des marchés sur lesquels cette infraction était censée se
produire. S’agissant, d’une part, des marchés de produits, cette disposition indiquait le marché « de l’approvisionnement en biens de consommation courante dans les secteurs des produits alimentaires, produits d’hygiène et produits d’entretien », en ce qui concerne les rabais, et le marché de la « vente de services aux fabricants de produits de marque dans les secteurs des produits alimentaires, produits d’hygiène et produits d’entretien », en ce qui concerne les prix. S’agissant, d’autre part,
de la définition du marché géographique, celui-ci était indiqué comme couvrant le territoire de « plusieurs États membres et, notamment, [celui de] la France ». Enfin, ladite disposition contenait des précisions quant aux autres entreprises participant à l’infraction présumée.

97. Compte tenu des éléments qui figurent à l’article 1er, sous a), des décisions litigieuses exposés au point précédent des présentes conclusions et à la lumière de la jurisprudence susmentionnée, je suis d’avis que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en concluant, au point 130 de l’arrêt attaqué, que la Commission avait rempli son obligation d’énoncer précisément les présomptions qu’elle entendait vérifier.

98. Quant aux arguments que les requérantes tirent des précisions que la Commission aurait apportées sur la nature des restrictions en cause en déférant aux mesures d’organisation de la procédure ordonnées par le Tribunal ( 63 ), il convient de préciser que les informations auxquelles se réfèrent les requérantes sont contenues dans des extraits de la version non confidentielle des indices qui avaient permis à la Commission de suspecter des pratiques collusives portant sur les rabais et les prix,
dont le Tribunal a demandé la production afin de vérifier si ces indices étaient suffisamment sérieux pour justifier l’adoption des décisions litigieuses s’agissant des pratiques susvisées ( 64 ).

99. Or, il convient de rappeler que, conformément à la jurisprudence mentionnée au point 94 des présentes conclusions, pour s’acquitter de son obligation de motivation, la Commission n’est pas tenue de communiquer au destinataire d’une décision de vérification toutes les informations dont elle dispose à propos d’infractions présumées ni de procéder à une qualification juridique rigoureuse de ces infractions.

100. Il s’ensuit que les requérantes ne sauraient déduire de ce que les infractions présumées en matière de rabais et de prix sont décrites de manière plus détaillée dans les extraits de la version non confidentielle des indices en possession de la Commission produite par cette dernière devant le Tribunal que celui-ci aurait « renoncé à tout contrôle de la précision de la motivation des décisions d’inspection » ( 65 ).

101. S’agissant de l’allégation des requérantes selon laquelle le Tribunal aurait commis une erreur de droit et dénaturé le sens de la jurisprudence susmentionnée en ce qu’il aurait jugé, aux points 250 et 254 de l’arrêt attaqué, que la portée géographique des pratiques et le rôle des requérantes dans l’infraction supposée pouvaient valablement se déduire de la simple mention, dans l’exposé des motifs des décisions d’inspection, de l’alliance dont Intermarché était membre, il suffit de relever que
ces points figurent dans la partie des motifs de l’arrêt attaqué dans laquelle le Tribunal examine le caractère suffisamment sérieux des indices en possession de la Commission.

102. Dès lors, comme cette institution l’a correctement remarqué dans ses observations écrites, cette allégation procède d’une confusion entre contrôle du respect de la formalité substantielle que constitue l’obligation de motivation de l’acte attaqué et contrôle du bien-fondé de cette motivation, qui implique l’examen au fond de la légalité de cet acte ( 66 ).

103. Procèdent de la même confusion tant le troisième grief – que les requérantes se bornent par ailleurs à énoncer sans l’expliciter –, tiré de l’absence de contrôle effectif de l’adéquation du champ défini par l’article 1er, sous a), des décisions litigieuses aux indices détenus par la Commission, que le deuxième grief du même moyen, tiré de ce que le Tribunal n’a pas reconnu que les décisions d’inspection avaient un champ illimité, autorisant une véritable « expédition exploratoire ».

104. S’agissant, plus précisément, de ce dernier grief, d’une part, je relève que, au point 124 de l’arrêt attaqué, le Tribunal avait déjà relevé, à juste titre, que la question soulevée par les requérantes de savoir si la Commission avait procédé à une telle « expédition » – qui ne saurait être autorisée par le règlement no 1/2003 ( 67 ) – dépendait du caractère suffisant des indices dont la Commission disposait lors de l’adoption des décisions litigieuses et que, dès lors, cette question devait
être examinée dans le cadre du moyen de recours tiré de la violation du droit à l’inviolabilité du domicile des entreprises inspectées et non pas dans le cadre du moyen tiré du caractère non suffisamment motivé de ces décisions.

105. D’autre part, j’observe que, au soutien de ce même grief, les requérantes se réfèrent au champ d’application des décisions litigieuses tel qu’il découle non seulement de leur article 1er, sous a), mais également de leur article 1er, sous b), qui énonçaient une présomption d’infraction ayant pour objet des échanges portant sur « les stratégies commerciales futures », notamment en matière d’assortiment, de développement de magasins, d’e-commerce et de politique promotionnelle « sur les marchés de
l’approvisionnement en biens de consommation courante et sur les marchés de vente aux consommateurs de biens de consommation courante, en France ». Or, puisque l’article 1er, sous b), de ces décisions a définitivement été annulé par le Tribunal au point 1 du dispositif de l’arrêt attaqué, les requérantes ne sont en tout état de cause plus recevables à s’appuyer sur son contenu pour étayer leur argumentation tirée d’un champ excessivement large de l’objet de l’inspection.

106. Dans la mesure où l’allégation mentionnée au point 102 des présentes conclusions ainsi que les griefs indiqués au point 103 de celles-ci devraient être interprétés par la Cour comme visant à remettre en cause l’appréciation du Tribunal concernant les indices dont la Commission disposait, force serait de constater, d’une part, que cette allégation et ces griefs ne sont aucunement étayés et, d’autre part, que, puisque aucune dénaturation de ces indices n’est invoquée, la Cour n’est en tout état
de cause pas compétente pour les examiner dans le cadre d’un pourvoi ( 68 ).

107. Enfin, en ce qui concerne le quatrième grief soulevé par les requérantes dans le cadre de leur deuxième moyen de pourvoi, je relève que ce grief est dirigé contre les points 158 à 165 de l’arrêt attaqué, qui s’insèrent dans l’examen du moyen de recours tiré de la violation du droit à l’inviolabilité du domicile et, notamment, de la partie de cette analyse consacrée au contrôle du respect du principe de proportionnalité. Dans ces points, le Tribunal, s’appuyant sur sa jurisprudence antérieure, a
considéré que le fait que la Commission n’avait pas fixé de date limite pour la réalisation des opérations d’inspection ne constituait pas une ingérence disproportionnée dans la sphère d’activité privée des requérantes.

108. À cet égard il convient de relever que l’article 2 des décisions litigieuses établissait la date à partir de laquelle l’inspection pouvait avoir lieu, mais ne précisait pas la date à laquelle elle devait prendre fin. Une telle indication était conforme à l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003, qui impose à la Commission de fixer la date de début de l’inspection, mais reste silencieux en ce qui concerne une éventuelle obligation de fixation de la date de fin de celle-ci.

109. Comme souligné, à juste titre, par le Tribunal au point 161 de l’arrêt attaqué, l’absence de date de fin de l’inspection ne signifie pas que celle-ci puisse s’étendre dans le temps de façon illimitée, la Commission étant, à cet égard, tenue au respect d’un délai raisonnable, conformément à l’article 41, paragraphe 1, de la Charte ( 69 ).

110. Il s’ensuit que si la portée temporelle d’une décision d’inspection n’a pas à être définie à l’avance dans tous ses éléments, elle est néanmoins encadrée de manière à ce que les opérations de déroulement de l’inspection ne dépassent pas une durée raisonnable, appréciée en fonction de l’ensemble des circonstances et des éléments pertinents de l’espèce.

111. D’une part, cet encadrement temporel, constitue – à tout le moins lorsque l’inspection a lieu sans que la Commission ait recours aux moyens de contrainte nationaux, en application de l’article 20, paragraphes 6 à 8, du règlement no 1/2003 – une garantie adéquate et suffisante contre l’arbitraire, notamment lorsque, dans l’appréciation du caractère raisonnable de la durée des opérations d’inspection, il est tenu compte de l’exigence de limiter temporellement l’ingérence attentatoire dans les
droits énoncés à l’article 7 de la Charte et à l’article 8 de la CEDH à ce qui est strictement nécessaire aux vérifications requises par rapport à l’objet de l’inspection.

112. D’autre part, un tel encadrement temporel garantit, comme relevé par le Tribunal aux points 163 et 164 de l’arrêt attaqué, l’effectivité des pouvoirs d’enquête de la Commission, qui exige que la durée de l’inspection soit adaptée non seulement en fonction d’éléments connus à l’avance, mais également en fonction d’éléments qui ne se révèlent que postérieurement à l’adoption de la décision d’inspection – tels que le volume des informations repérées sur les lieux, les technologies d’investigation
utilisées ( 70 ) et le comportement des entreprises inspectées –, tout en évitant que la prise en compte préalable de ces éléments aléatoires ne conduise la Commission à fixer, dans la décision ordonnant l’inspection, une durée de celle-ci supérieure à celle qui serait strictement nécessaire.

113. Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, j’estime que le deuxième moyen de pourvoi est non fondé dans son intégralité.

C.   Sur le troisième moyen de pourvoi

114. Par leur troisième moyen de pourvoi, les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit et une violation du règlement no 1/2003 pour avoir caractérisé une phase procédurale non soumise à ce règlement, intervenant avant l’adoption de la part de la Commission de mesures impliquant le reproche d’avoir commis une infraction. Ce moyen est dirigé contre les points 189 à 196 de l’arrêt attaqué qui figurent dans la partie de cet arrêt dans laquelle le Tribunal a examiné le
caractère suffisamment sérieux des indices en possession de la Commission.

1. L’arrêt attaqué

115. Au point 189 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a souligné, à titre liminaire, que l’appréciation du caractère suffisamment sérieux des indices à la disposition de la Commission doit être effectuée en prenant en compte la circonstance que la décision d’inspection « s’inscrit dans le cadre de la phase d’instruction préliminaire, destinée à permettre à la Commission de rassembler tous les éléments pertinents confirmant ou non l’existence d’une infraction aux règles de concurrence et à prendre une
première position sur l’orientation ainsi que sur la suite ultérieure à réserver à la procédure ». Au point 190, il a précisé que, partant, il ne saurait « à ce stade » être exigé de la Commission, préalablement à l’adoption d’une décision d’inspection, qu’elle soit en possession d’éléments démontrant l’existence d’une infraction et qu’une distinction doit être établie « entre, d’une part, les preuves d’une infraction et, d’autre part, les indices de nature à faire naître une suspicion
raisonnable quant à la survenance de présomptions d’infraction ».

116. Aux points 192 et 193 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a affirmé que cette distinction « a des conséquences [notamment] sur les exigences relatives à la forme [...] des indices justifiant les décisions d’inspection » et que « ces derniers ne sauraient être soumis au même degré de formalisme que celui tenant notamment au respect des règles imposées par le règlement no 1/2003 et par la jurisprudence rendue sur son fondement quant aux pouvoirs d’enquête de la Commission ». En effet, selon le
Tribunal, « si le même formalisme était requis pour la collecte des indices précédant une inspection et le recueil des preuves d’une infraction, cela impliquerait en effet que la Commission doive respecter des règles qui régissent ses pouvoirs d’enquête alors qu’aucune enquête au sens du chapitre V du règlement no 1/2003 n’a encore été formellement ouverte et que la Commission n’a pas encore fait usage des pouvoirs d’enquête qui lui sont conférés en particulier par les articles 18, 19 et 20 du
règlement no 1/2003, c’est-à-dire n’a pas adopté de mesure impliquant le reproche d’avoir commis une infraction, notamment une décision d’inspection » (point 193 de l’arrêt attaqué). Selon le Tribunal, « [c]ette définition du point de départ d’une enquête et de la phase d’instruction préliminaire est issue d’une jurisprudence constante » (point 194 de l’arrêt attaqué).

117. Au point 196 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a affirmé que parmi les dispositions que la Commission n’était pas tenue de respecter figuraient les prescriptions imposées par l’article 19 du règlement no 1/2003 et l’article 3 du règlement (CE) no 773/2004 ( 71 ) telles qu’interprétées par l’arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission ( 72 ).

118. Au point 206 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a donc conclu que, en l’espèce, la Commission n’était pas tenue d’enregistrer des comptes rendus d’entretiens tenus au cours des années 2016 et 2017 avec les treize fournisseurs de produits de consommation courante concernés par l’inspection qui concluaient régulièrement des accords avec Casino et ITM (ci-après les « entretiens avec les fournisseurs ») et que les indices issus de ces entretiens ne sauraient être écartés comme étant entachés d’une
irrégularité formelle au motif du non-respect de l’obligation d’enregistrement prévue par l’article 19 du règlement no 1/2003 et l’article 3 du règlement no 773/2004.

2. Synthèse des arguments des parties

119. Les requérantes soutiennent, en premier lieu, que la définition du point de départ d’une enquête et de la phase d’instruction préliminaire contenue dans l’arrêt attaqué procède d’une dénaturation de la jurisprudence de la Cour. En effet, la seule distinction opérée en matière de droits applicables dans l’ensemble des arrêts cités au point 194 de cet arrêt, qui par ailleurs ne concernent que l’appréciation du point de départ de la période à prendre en considération afin d’apprécier la durée
raisonnable de la procédure, serait la « distinction entre les deux phases de la procédure administrative, à savoir la phase d’instruction antérieure à la communication des griefs et celle correspondant au reste de la procédure administrative », qui ressortirait d’ailleurs du règlement no 773/2004 lui-même.

120. En deuxième lieu, les requérantes contestent au Tribunal une erreur de droit en ce qu’il aurait jugé contra legem que le règlement no 1/2003 ne s’appliquerait pas en amont de l’adoption d’une première décision d’inspection, alors que, selon elles, il ressort tant du considérant 25 de ce règlement que de l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 773/2004 qu’il « s’applique pleinement à tous les actes de la Commission pris pour l’application des articles 101 TFUE et suivants, dès le stade de la
détection des pratiques ». La soumission aux prescriptions du règlement no 1/2003 tant des enquêtes sectorielles, prévues à l’article 17 de ce règlement, que de la déclaration de clémence ( 73 ), qui ne comportent pas l’adoption de mesures impliquant le reproche d’avoir commis une infraction, confirmerait cette interprétation.

121. En troisième lieu, les requérantes contestent les conséquences que le Tribunal tire de la distinction entre preuves d’une infraction et indices qui fondent une décision d’inspection, et, notamment, l’affirmation, contenue au point 193 de l’arrêt attaqué, selon laquelle ces derniers ne sauraient être soumis au même degré de formalisme. Elles font valoir que tous les éléments de preuve collectés par la Commission et utilisés dans des procédures ouvertes sur le fondement du règlement no 1/2003,
que ce soit à titre d’indices ou de preuves, doivent satisfaire aux mêmes exigences et être soumis au même formalisme et aux mêmes règles procédurales destinées à garantir l’authenticité, la loyauté et la crédibilité de la preuve. Or, le respect de ces règles garantit l’authenticité de la preuve comme de l’indice, qui serait un préalable nécessaire en amont de l’évaluation de sa crédibilité.

122. La Commission fait valoir que la valeur probante requise pour qu’un élément matériel puisse constituer un indice permettant l’adoption d’une décision d’inspection est nécessairement moindre que la valeur probante requise pour qu’un élément matériel constitue un moyen de preuve aux fins d’établir une infraction et qu’il découle de cette distinction que les indices sont nécessairement soumis à un degré de formalisme moindre que les preuves.

123. En particulier, il ne serait pas requis que ces indices soient enregistrés au titre de l’article 19 du règlement no 1/2003 et de l’article 3 du règlement no 773/2004, sauf à considérer que le formalisme prévu par ces dispositions s’applique avant même qu’une enquête n’ait été ouverte.

124. À cet égard, la Commission précise que l’ouverture d’une enquête – qui correspond à la date à laquelle, pour la première fois, la Commission fait usage de ses pouvoirs d’enquête et prend des mesures impliquant le reproche d’avoir commis une infraction et entraînant des répercussions importantes sur la situation des entités suspectées – a lieu à un moment différent et a des conséquences juridiques distinctes de l’ouverture d’un dossier et de l’ouverture de la procédure au sens de l’article 2 du
règlement no 773/2004. Alors que l’ouverture d’un dossier serait un acte interne pris par le greffe de la direction générale de la concurrence lorsqu’il attribue un numéro d’affaire qui a pour seule portée de permettre à la direction générale de la concurrence de sauvegarder des documents, l’ouverture de la procédure correspondrait à la date à laquelle la Commission adopte une décision au titre de l’article 2 du règlement no 773/2004 en vue d’adopter une décision en application du chapitre III
du règlement no 1/2003.

125. La Commission observe qu’il ressort du libellé de l’article 19 du règlement no 1/2003 qu’un « entretien », au sens de cet article, doit viser à « la collecte d’informations relatives à l’objet d’une enquête », qui par définition doit avoir été préalablement ouverte. Elle conteste par ailleurs la pertinence des références faites par les requérantes au considérant 25 du règlement no 1/2003 ainsi qu’aux enquêtes sectorielles et à la déclaration de clémence.

126. En l’occurrence, les réunions et conférences téléphoniques avec les treize fournisseurs concernés auraient eu lieu avant l’ouverture d’une enquête au titre du règlement no 1/2003 et donc avant toute « procédure ». La Commission n’aurait donc pas été tenue de respecter le formalisme prescrit par cette disposition.

127. S’il en était autrement, cela porterait préjudice à plusieurs titres à la mise en œuvre du droit de la concurrence par la Commission. En premier lieu, cela empêcherait la Commission de recueillir et d’utiliser des indices lorsque ceux-ci ne peuvent revêtir qu’une forme orale, par exemple une révélation entendue par un représentant de la Commission lors d’une réunion, d’une visite informelle de locaux ou dans un lieu public. En second lieu, cela reviendrait à considérer que les indices ne
pourraient jamais revêtir une forme orale, ce qui compromettrait l’efficacité des enquêtes de la Commission en retardant la date de l’inspection.

128. Selon la Commission, en outre, soumettre les indices à un degré de formalisme moindre que les preuves assure l’impératif de célérité qui guide l’adoption des décisions d’inspection et l’efficacité de l’enquête de la Commission.

129. La Commission ajoute enfin que, en tout état de cause, les affirmations des requérantes concernant l’authenticité des preuves reposent sur une lecture erronée de la jurisprudence. En effet, l’authenticité d’une preuve ne serait pas « un préalable nécessaire » à sa crédibilité. Le principe qui prévaut en droit de l’Union serait celui de la libre appréciation des preuves, dont il découle que le seul critère pertinent pour apprécier la valeur probante des preuves régulièrement produites réside
dans leur crédibilité et que la valeur probante d’une preuve doit être évaluée de manière globale, de sorte qu’avancer de simples doutes non étayés quant à l’authenticité d’une preuve ne suffit pas pour compromettre sa crédibilité. Ces principes s’appliqueraient d’autant plus aux indices, car la valeur probante requise pour qu’un élément matériel constitue un indice est, par définition, moindre.

3. Analyse

130. Il convient de rappeler que, aux termes de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, la Commission peut interroger toute personne physique ou morale qui accepte d’être interrogée aux fins de la collecte d’informations relatives à l’objet d’une enquête. Les entretiens fondés sur cette disposition sont soumis au respect des formalités prescrites par l’article 3 du règlement no 773/2004. Ainsi, conformément au paragraphe 1 de cet article, la Commission indique, au début de l’entretien,
sur quelle base juridique celui-ci est fondé ainsi que son objectif, elle en rappelle le caractère volontaire et informe aussi la personne interrogée de son intention d’enregistrer l’entretien. Selon le paragraphe 3 dudit article, la Commission peut enregistrer sous toute forme les déclarations faites par les personnes interrogées. Une copie de tout enregistrement est mise à la disposition de la personne interrogée pour approbation. La Commission fixe, au besoin, un délai durant lequel la
personne interrogée peut communiquer toute correction à apporter à la déclaration.

131. Dans l’arrêt Intel, la Cour a précisé, quant à la portée des exigences de forme auxquelles sont soumis les entretiens menés conformément à l’article 19 du règlement no 1/2003, que si la Commission décide, avec le consentement de la personne interrogée, de procéder à un entretien sur le fondement de cette disposition, elle est tenue d’enregistrer cet entretien dans son intégralité, sans préjudice du choix laissé à la Commission sur la forme de cet enregistrement ( 74 ).

132. Il s’ensuit qu’il pèse sur la Commission une obligation d’enregistrer, sous la forme de son choix, tout entretien mené par elle au titre de l’article 19 du règlement no 1/2003, aux fins de collecter des informations relatives à l’objet d’une enquête ( 75 ).

133. Dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a conclu, en substance, que cette obligation ne s’appliquait pas aux entretiens avec les fournisseurs, puisque, d’une part, ces entretiens avaient été menés avant l’ouverture d’une enquête au titre du règlement no 1/2003, à savoir avant que la Commission n’ait adopté une mesure impliquant le reproche d’avoir commis une infraction, et, d’autre part, que, afin d’adopter une décision d’inspection, s’inscrivant dans le cadre de la phase d’instruction préliminaire
précédant l’envoi d’une communication des griefs, la Commission n’est tenue qu’à détenir des indices matériels sérieux susceptibles de créer une suspicion d’infraction, lesquels ne sauraient être soumis au même degré de formalisme que celui requis pour le recueil des preuves d’une infraction. Les requérantes contestent avec différents arguments cette conclusion, alors que la Commission considère que celle-ci n’est entachée d’aucune erreur de droit.

134. Dès lors, afin de trancher le troisième moyen de pourvoi, la Cour sera amenée à préciser si la Commission a l’obligation d’enregistrer, conformément à l’article 19 du règlement no 1/2003 et à l’article 3 du règlement no 773/2004, les entretiens desquels sont issues les informations utilisées en tant qu’indices justifiant l’adoption d’une décision d’inspection au sens de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003.

135. Pour les raisons que j’exposerai ci-après, j’estime qu’une réponse affirmative doit être apportée à cette question.

136. Les griefs soulevés par les requérantes appellent la Cour à se pencher, d’une part, sur la question de savoir à partir de quel moment de l’instruction d’un dossier par la Commission des entretiens menés par celle-ci doivent être considérés comme étant réalisés « aux fins de la collecte d’informations relatives à l’objet d’une enquête » et, d’autre part, sur la question de savoir si la valeur probatoire moindre requise pour les indices fondant une décision d’inspection par rapport aux preuves
d’une infraction justifie que ceux-ci soient soumis à un formalisme moindre, qui n’inclut notamment pas le respect des exigences de forme prescrites par l’article 3 du règlement no 773/2004 pour les entretiens menés au titre de l’article 19 du règlement no 1/2003.

137. Je commencerai par analyser la seconde de ces questions.

138. À cet égard, je suis d’avis que ni la valeur probante moindre exigée des indices fondant une décision d’inspection ni la circonstance qu’une telle décision s’inscrit dans le cadre de la phase d’instruction préliminaire qui précède l’envoi d’une communication de griefs n’ont, à mon sens, d’incidence, contrairement à ce qui est affirmé aux points 189 à 192 de l’arrêt attaqué, sur les exigences relatives à la forme dont le respect s’impose à la Commission, sur le fondement de la réglementation
applicable, lorsqu’elle recueille des éléments probatoires à utiliser aux fins de ses enquêtes.

139. Ce qui précède ne revient bien sûr pas à affirmer que la forme d’un élément matériel n’a pas d’incidence sur sa valeur probante. Par exemple, un acte notarié a, en règle générale, une valeur probante supérieure à celle d’un acte sous seing privé. Cependant, cette relation entre forme et valeur probante n’implique pas nécessairement une gradation dans le formalisme auquel sont soumises certaines catégories d’éléments probatoires en fonction de la valeur probante requise pour l’utilisation qui
doit être faite de ces éléments.

140. S’agissant notamment des informations que la Commission tire des entretiens qu’elle mène avec des personnes physiques ou morales, l’absence de tout lien entre valeur probante et respect des exigences de forme prescrites par l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 et l’article 3 du règlement no 773/2004 se déduit, à mon sens, de l’arrêt Intel.

141. En effet, il ressort clairement de cet arrêt, et notamment de son point 87, où la Cour a précisé qu’aucun élément tiré du libellé de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 ou du but qu’il poursuit ne permet d’inférer que le législateur ait entendu introduire une distinction entre différentes catégories d’entretiens au titre de cette disposition ni exclure du champ d’application de celle-ci certains de ces entretiens, que l’obligation d’enregistrement qui en découle vise tout
entretien mené par la Commission pour autant qu’il soit « relatif à l’objet d’une enquête ». L’existence d’une telle obligation ne saurait donc dépendre ni de la valeur probante qui pourrait être reconnue aux déclarations recueillies lors de ces entretiens, qui au demeurant ne peut être appréciée qu’une fois que les entretiens se sont déroulés, ni de l’utilisation que la Commission se propose de faire de ces informations au cours des différentes phases de la procédure. À cet égard, la référence
faite par la Commission aux travaux préparatoires du règlement no 1/2003 ne me semble pas pouvoir remettre en cause, à elle seule, cette conclusion ( 76 ).

142. Je relève, par ailleurs, que l’affirmation de l’existence d’un lien entre valeur probante des indices fondant une décision d’inspection et respect des exigences de forme, que l’on retrouve aux points 189 à 192 de l’arrêt attaqué, est contredite, s’agissant d’indices tirés d’entretiens menés par la Commission, par la lecture que le Tribunal fait, aux points 195, 200 à 203 et 205 de cet arrêt, de l’article 19 du règlement no 1/2003 et de l’arrêt Intel. Il ressort en effet de ces points que le
Tribunal a considéré qu’une fois qu’une enquête au sens précisé au point 194 de l’arrêt attaqué a été ouverte, la Commission est, en principe, tenue au respect de l’obligation d’enregistrement des entretiens relatifs à l’objet de cette enquête et qu’une telle obligation existe quelle que soit la valeur probante des informations que la Commission est susceptible de tirer de ces entretiens et indépendamment de l’utilisation de ces informations, que ce soit en tant qu’indices dans le cadre de la
phase d’enquête préliminaire, y inclus aux fins de l’adoption d’une décision d’inspection ( 77 ), ou en tant que preuves au stade de l’envoi d’une communication de griefs.

143. Plus généralement, la différence entre indices et preuves tient au fait que les premiers permettent uniquement de faire présumer l’existence du fait à démontrer alors que les secondes le prouvent. Lorsque la constitution d’un élément probatoire requiert un certain formalisme, souvent afin d’en assurer l’authenticité et la crédibilité, le non-respect de ce formalisme implique que cet élément, quelle qu’en soit la valeur, ne peut pas remplir sa fonction probatoire.

144. En ce qui concerne la première des questions évoquées au point 136 des présentes conclusions, celle-ci implique, en substance, d’interpréter la notion d’« entretien » visant la « collecte d’informations relatives à l’objet d’une enquête » au sens de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003.

145. Je rappelle que, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré qu’il ressortait des termes mêmes de cette disposition que les entretiens concernés par celle-ci sont ceux visant la « collecte d’informations relatives à l’objet d’une enquête », qui par définition doit avoir été ouverte et dont l’objet doit avoir été fixé avant que ne soient menés ces entretiens. Il en a déduit que l’obligation d’enregistrement desdits entretiens, prévue par l’article 3 du règlement no 773/2004, ne s’imposait pas
« s’agissant d’entretiens menés avant l’ouverture d’une enquête par la Commission [...] » ( 78 ). Au point 193 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, en substance, estimé qu’une enquête n’est formellement ouverte que lorsque la Commission fait usage des pouvoirs d’enquête qui lui sont conférés en particulier par les articles 18, 19 et 20 du règlement no 1/2003, en adoptant une mesure impliquant le reproche d’avoir commis une infraction, notamment une décision d’inspection, et, au point 194 de cet
arrêt, il a précisé que cette définition du point de départ d’une enquête était issue d’une jurisprudence constante.

146. Il ressort de cette jurisprudence – issue de l’arrêt du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission ( 79 ) – que la procédure administrative diligentée par la Commission peut donner lieu à l’examen de deux périodes successives, chacune de celles-ci répondant à une logique interne propre. La première période, qui s’étend jusqu’à la communication des griefs, a pour point de départ la date à laquelle la Commission, faisant usage des pouvoirs que lui a conférés le législateur de
l’Union, prend des mesures impliquant le reproche d’avoir commis une infraction et doit permettre à celle-ci de prendre position sur l’orientation de la procédure. La seconde période, quant à elle, s’étend de la communication des griefs à l’adoption de la décision finale. Elle doit permettre à la Commission de se prononcer définitivement sur l’infraction reprochée.

147. À cet égard, il y a lieu de rappeler, ainsi que le font les requérantes, que les principes énoncés au point précédent des présentes conclusions ont été élaborés aux fins de l’application du principe du délai raisonnable. Dans l’arrêt LMV, s’inspirant de la jurisprudence de la Cour EDH ( 80 ), la Cour a entendu identifier le moment où l’activité d’investigation et de détection des infractions au droit de la concurrence de la part de la Commission se matérialise dans un acte impliquant, si non
pas encore une accusation formelle, à tout le moins un reproche « entraînant des répercussions importantes sur la situation des entreprises suspectées » ( 81 ).

148. Or, à l’instar des requérantes, je ne suis pas persuadé que la logique sous-jacente à la fixation du point de départ de la période à prendre en considération aux fins de l’appréciation de la durée raisonnable de la procédure administrative, qui s’attache à identifier le moment où l’entreprise concernée prend connaissance du reproche formulé à son égard et où sa situation est affectée par les mesures adoptées par la Commission, soit pertinente lorsqu’il s’agit d’interpréter le libellé de
l’article 19 du règlement no 1/2003.

149. À cet égard, je rappelle que cet article est inséré dans le chapitre V de ce règlement, intitulé « Pouvoir d’enquête ». Lorsqu’elle procède à un interrogatoire au sens de cette disposition, la Commission exerce donc un « pouvoir d’enquête », tout comme elle exerce un tel pouvoir lorsqu’elle adresse des demandes de renseignement au titre de l’article 18 dudit règlement ou encore lorsqu’elle adopte une décision d’inspection au sens de l’article 20 de ce même règlement. Cependant, s’il est
constant que l’adoption d’un acte au titre des articles 18 et 20 du règlement no 1/2003 détermine l’ouverture d’une « enquête », en revanche, suivant l’interprétation de l’article 19 du règlement no 1/2003 retenue par le Tribunal et défendue par la Commission, le recours au pouvoir inscrit à cet article ne marque pas en soi le début d’une telle enquête, mais nécessite, pour être exercé, qu’une enquête ait déjà été ouverte.

150. Il s’agit là, à mon sens, d’un élément d’incohérence qui ne saurait être pallié par la reconnaissance implicite, de la part du Tribunal, de la possibilité que la tenue d’un interrogatoire au sens de l’article 19 du règlement no 1/2003 marque – à l’instar d’une demande de renseignement ou d’une inspection – l’ouverture d’une enquête dans le cas où un tel interrogatoire impliquerait le reproche d’avoir commis une infraction pour l’une des entreprises interrogées ou pour une entreprise visée par
les déclarations rendues à la Commission ( 82 ). En effet, une telle reconnaissance, d’une part, remet en cause l’affirmation du Tribunal selon laquelle il ressort du libellé de l’article 19 du règlement no 1/2003 qu’une enquête doit avoir été ouverte et son objet doit avoir été fixé avant que ne soient menés les entretiens au titre de cet article. D’autre part, elle ne répond que partiellement à la logique qui sous-tend la jurisprudence citée au point 194 de l’arrêt attaqué, étant donné que la
mise en cause d’une entreprises tierce lors d’un interrogatoire n’implique pas la prise de connaissance de sa part des éventuels reproches avancés à son égard.

151. L’incohérence relevée au point précédent des présentes conclusions est d’autant plus évidente si l’on considère que, ainsi que l’ont relevé à juste titre les requérantes, la Commission peut ouvrir une enquête sectorielle en faisant usage du pouvoir inscrit à l’article 17 du règlement no 1/2003 sans qu’un reproche d’avoir commis une infraction soit adressé à une entreprise donnée ( 83 ).

152. À mes yeux, le libellé de l’article 19 du règlement no 1/2003, et notamment l’expression « aux fins de la collecte d’informations relatives à l’objet d’une enquête », appelle une interprétation différente, qui ne requiert pas nécessairement de situer les entretiens dont il s’agit dans une phase donnée de la procédure administrative ni de déterminer à partir de quel acte formel de la part de la Commission cette dernière est tenue de respecter le formalisme imposé par l’article 3 du règlement
no 773/2004.

153. J’estime en effet que la définition de la portée de cette obligation et donc la détermination des cas où il y a exercice du pouvoir inscrit à l’article 19 du règlement no 1/2003 dépendent essentiellement de l’objet et de la teneur des entretiens menés par la Commission.

154. En l’espèce, il ressort de l’arrêt attaqué et du dossier de la procédure devant le Tribunal que les entretiens en cause ont été menés avec des fournisseurs des produits de consommation courante concernés par la présomption d’infraction énoncée à l’article 1er, sous a), des décisions litigieuses, que ces fournisseurs concluaient régulièrement des accords avec Intermarché et que, en vue de la préparation de ces entretiens, la Commission avait envoyé aux fournisseurs interviewés un questionnaire
portant notamment sur les comportements des alliances de distributeurs lors des négociations avec les fournisseurs, sur l’évolution dans le temps de leur pouvoir de négociation et sur les effets de celui-ci sur les conditions de concurrence dans le marché de la distribution. La Commission y demandait également ouvertement si le fournisseur était au courant d’échanges d’informations commerciales sensibles entre distributeurs à l’intérieur d’une alliance et, le cas échéant, lui demandait de
préciser quelles étaient ces informations. Il ressort par ailleurs de l’arrêt attaqué que les entretiens en cause ont été menés peu de temps après qu’une convention s’était tenue le 16 septembre 2016 au siège d’Intermarché en présence de représentants des alliances, à laquelle avaient été invités à participer les fournisseurs de l’enseigne, et qu’ils ont duré jusqu’à la veille de l’adoption des décisions litigieuses.

155. Or, lorsqu’elle procède à des entretiens de cette teneur, dont l’objet est défini à l’avance et dont le but est ouvertement celui d’obtenir des informations sur le fonctionnement d’un marché donné et sur le comportement des acteurs de ce marché en vue de détecter d’éventuels comportements infractionnels ou de consolider ses soupçons quant à l’existence de tels comportements, la Commission exerce, à mon sens, son pouvoir au titre de l’article 19 du règlement no 1/2003, indépendamment de la phase
de la procédure dans laquelle l’entretien se déroule.

156. Dans de telles circonstances, il suffit, à mon sens, qu’un dossier ait été ouvert au greffe de la Commission pour considérer que de tels entretiens visent la « collecte d’informations relatives à l’objet d’une enquête » au sens de cette disposition ( 84 ). En d’autres termes, ainsi que l’a affirmé l’avocat général Wahl dans ses conclusions dans l’affaire Intel Corporation/Commission ( 85 ), « toute réunion organisée avec une tierce personne dans le but spécifique de recueillir des
renseignements de fond destinés à l’instruction d’une affaire relève nécessairement du champ d’application de l’article 19 du règlement no 1/2003 » ( 86 ).

157. Suivre une interprétation différente conduirait au résultat, à mon sens inadmissible, que des entretiens ayant la teneur décrite ci-dessus se déroulent en dehors du cadre légal constitué par le règlement no 1/2003. Or, lorsque la Commission exerce de facto ses pouvoirs d’enquête, un tel cadre légal trouve nécessairement application, même lorsqu’une enquête n’a pas été « formellement ouverte », contrairement à ce qui semble ressortir du point 193 de l’arrêt attaqué ( 87 ).

158. Il en va d’autant plus ainsi lorsque, comme en l’espèce, les renseignements obtenus en menant de tels entretiens sont utilisés en tant qu’indices sérieux fondant une décision d’inspection, à savoir une mesure comportant une ingérence dans la sphère d’activité privée d’une entreprise et une restriction de ses droits fondamentaux inscrits à l’article 7 de la Charte et à l’article 8 de la CEDH.

159. Je précise, enfin, que l’interprétation de l’article 19 du règlement no 1/2003 que je propose de suivre n’implique pas, contrairement à ce qu’avance la Commission, que cette dernière ne serait plus en mesure de recueillir et d’utiliser des indices lorsque ceux-ci ne peuvent revêtir qu’une forme orale.

160. À cet égard, d’une part, il y a lieu de relever que le scénario décrit au point 154 des présentes conclusions est très loin de celui évoqué par la Commission dans ses observations écrites (un représentant de la Commission qui entend une révélation lors d’une réunion, d’une visite informelle de locaux ou dans un lieu public). D’autre part, il convient de préciser que la Commission ne procède pas à un interrogatoire au titre de l’article 19 du règlement no 1/2003 et n’est, dès lors, tenue
d’aucune obligation d’enregistrer les propos qu’elle échange avec les tiers lorsque ces propos ne concernent pas l’objet d’une enquête donnée ( 88 ).

161. Sur le fondement des considérations qui précèdent, j’estime que le Tribunal a fait une interprétation erronée de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 et a commis une erreur de droit en considérant que les indices issus des entretiens avec les fournisseurs ne sauraient être écartés comme étant entachés d’une irrégularité formelle au motif du non-respect de l’obligation d’enregistrement prévue par l’article 3 du règlement no 773/2004.

162. Pour le cas où la Cour déciderait de confirmer l’interprétation de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 retenue par le Tribunal et de considérer que l’obligation d’enregistrement des entretiens menés au titre de cette disposition ne s’impose que lorsque ceux-ci interviennent après l’ouverture d’une enquête au sens précisé aux points 193 et 194 de l’arrêt attaqué, j’estime tout de même que c’est à tort que le Tribunal a considéré que la Commission n’était pas tenue par cette
obligation en l’espèce.

163. En effet, je suis d’avis que lorsque la Commission envisage la possibilité d’utiliser les informations issues de ses échanges avec des tiers aux fins d’adopter une décision d’inspection – comme il ressort de manière évidente en l’espèce à la lumière de l’objet, du contenu et de la chronologie des entretiens qu’elle a menés avec les fournisseurs –, elle est, en tout cas, tenue de procéder à l’enregistrement de ces échanges conformément l’article 3 du règlement no 773/2004. Il s’agit là, à mon
sens, d’une garantie nécessaire eu égard à l’ingérence qu’une inspection comporte dans les droits fondamentaux de l’entreprise inspectée, notamment en vue de permettre aux juridictions de l’Union de vérifier le caractère sérieux des indices détenus par la Commission justifiant une telle ingérence.

164. À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère donc à la Cour d’accueillir le troisième moyen de pourvoi.

D.   Sur le quatrième moyen de pourvoi

165. Le quatrième moyen se divise en quatre branches. Les trois premières branches, tirées respectivement d’une dénaturation des faits, d’une erreur de droit et d’une erreur manifeste d’appréciation dans lesquelles le Tribunal serait encouru en jugeant, premièrement, qu’une enquête n’avait pas été ouverte avant l’adoption de la première décision d’inspection (la décision Tute 1 du 9 février 2017), deuxièmement, que les comptes rendus d’entretiens pourraient être utilisés comme indices sans
satisfaire aux prescriptions de l’article 19 du règlement no 1/2003 et de l’article 3 du règlement no 773/2004 et, troisièmement, que le respect du formalisme prévu par ces dispositions porterait atteinte à la détection des pratiques anticoncurrentielles, se confondent, en substance, avec les arguments soulevés par les requérantes dans leur troisième moyen de pourvoi. Je renvoie, dès lors, aux considérations développées dans le cadre de l’examen de ce moyen.

166. Il reste par conséquent à analyser la quatrième branche du quatrième moyen de pourvoi.

Sur la quatrième branche du quatrième moyen de pourvoi

167. Par la quatrième branche de leur quatrième moyen de pourvoi, les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en concluant, au point 219 de l’arrêt attaqué, que la Commission disposait, à la date d’adoption des décisions litigieuses, d’indices suffisamment sérieux, sans qu’il y ait lieu de déterminer précisément les dates de création et de finalisation des comptes rendus d’entretiens.

168. D’une part, elles font valoir qu’il ressort de la jurisprudence que les indices fondant une décision d’inspection doivent figurer dans le dossier de la Commission antérieurement à la date d’adoption de cette décision, notamment afin de permettre aux différents sujets intervenant dans le processus d’élaboration de celle-ci de vérifier le caractère suffisamment sérieux de tels indices et la correcte délimitation du champ de l’inspection. Ce serait, dès lors, à tort que le Tribunal a considéré, au
point 208 de l’arrêt attaqué, que « la date pertinente à prendre en compte pour la détermination de la détention d’indices à la date des décisions [litigieuses] [était] celle des entretiens avec les fournisseurs qui ont fait l’objet des comptes rendus ».

169. D’autre part, les requérantes avancent que, au point 215 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait transféré sur elles la charge de prouver que la Commission avait rédigé l’ensemble des comptes rendus après la date d’adoption de la première décision litigieuse (la décision Tute 1 du 9 février 2017).

170. La Commission fait valoir que la date pertinente pour l’évaluation de la possession par la Commission d’indices sous forme de déclarations orales correspond à la date de ces déclarations et non à celle à laquelle elle a formalisé lesdites déclarations par écrit. Elle renvoie à cet égard à l’arrêt du 9 juin 2016, Repsol Lubricantes y Especialidades e.a./Commission ( 89 ), adopté dans le contexte des procédures de clémence et mentionné au point 209 de l’arrêt attaqué, dont il ressort que la
possession par la Commission d’un élément matériel équivaut à la connaissance de son contenu. Or, en l’espèce, les entretiens avec les fournisseurs ont tous eu lieu avant la date de la première décision litigieuse (la décision Tute 1 du 9 février 2017). Par ailleurs, puisque le Tribunal a reconnu que, à la date d’adoption des décisions litigieuses, la Commission détenait déjà les indices issus des réunions ou conférences téléphoniques successives avec les treize fournisseurs, l’arrêt attaqué
n’aurait pas reconnu à la Commission une faculté de régularisation a posteriori.

171. Je relève, à titre liminaire, qu’il ressort clairement des points 207 et 210 de l’arrêt attaqué que les motifs de cet arrêt contestés par les requérantes dans la quatrième branche de leur quatrième moyen de pourvoi se fondent sur la prémisse que la Commission n’avait pas, en l’espèce, une obligation d’enregistrement au titre de l’article 3 du règlement no 773/2004 et, dès lors, qu’elle n’avait pas à démontrer la date à laquelle les comptes rendus des entretiens avaient été établis,
l’antériorité des indices issus de ces entretiens devant être appréciée par rapport à la date à laquelle les déclarations ont été délivrées, à savoir la date à laquelle les entretiens se sont déroulés. Le Tribunal a, en effet, considéré que, en l’absence d’une telle obligation d’enregistrement, les indices fondant une décision d’inspection issus d’entretiens menés par la Commission avec des tiers pouvaient revêtir uniquement une forme orale et que, en l’espèce, les entretiens avec les
fournisseurs impliquaient la connaissance des informations communiquées lors de ces entretiens et la détention des informations en cause à la date desdits entretiens.

172. Il s’ensuit que si la Cour décidait d’accueillir, ainsi que je lui propose de le faire, le troisième moyen de recours – indépendamment des conséquences d’une telle décision en ce qui concerne l’annulation ou le maintien de l’arrêt attaqué, qui seront discutées plus loin –, les points des motifs de l’arrêt attaqué sur lesquels porte la branche sous examen seraient également nécessairement infirmés. Les considérations qui suivent sont dès lors développées dans l’hypothèse où la Cour ne devrait
pas suivre ma proposition.

173. Toujours à titre liminaire, il me semble possible d’émettre quelques réserves sur le caractère opérant de cette branche, dans la mesure où elle n’est dirigée que contre l’un des deux motifs sur lesquels se fonde le rejet, par le Tribunal, du grief tiré du manque d’antériorité des indices fondant les décisions litigieuses faute pour la Commission d’avoir établi la date des comptes rendus des entretiens.

174. En effet, pour rejeter cet argument, le Tribunal a, d’une part, à titre principal, considéré, comme je l’ai mentionné au point 171 des présentes conclusions, que la date pertinente à prendre en considération aux fins de déterminer si la Commission détenait les indices issus des entretiens avec les fournisseurs avant l’adoption des décisions litigieuses était la date à laquelle ces entretiens s’étaient tenus. D’autre part, à titre surabondant, il a estimé, au point 215 de l’arrêt attaqué, que,
même dans l’hypothèse où c’était la date à laquelle les comptes rendus desdits entretiens avaient été établis qui devait être prise en considération et bien que la Commission n’eut pas apporté la preuve de cette date, il pouvait être raisonnablement considéré, sur le fondement des éléments produits par cette institution et eu égard au fait que cette dernière avait affirmé avoir rédigé ces comptes rendus en vue de satisfaire à ce qu’elle estimait être une obligation d’enregistrement au sens de
l’article 3 du règlement no 773/2004, que lesdits comptes rendus avaient été rédigés au fur et à mesure des échanges, soit dès le début de ces échanges datant majoritairement de la fin de l’année 2016 ( 90 ).

175. Or, s’il est vrai que les requérantes ont avancé un grief également à l’encontre de ce point 215 de l’arrêt attaqué, ce grief ne concerne qu’une prétendue inversion de la charge de la preuve, qui ne ressort aucunement du raisonnement du Tribunal, lequel a, en revanche, considéré les éléments apportés par la Commission comme étant suffisants à démontrer que l’essentiel des comptes rendus des entretiens avaient été établis avant la date de la première décision litigieuse (la décision Tute 1 du
9 février 2017). En revanche, les requérantes n’ont pas remis en cause le standard de la preuve appliqué par le Tribunal ni n’ont invoqué une dénaturation des éléments de preuve de la part de ce dernier, seul grief qui leur aurait permis d’invoquer une erreur dans l’appréciation de ces éléments.

176. Pour le cas où la Cour déciderait d’examiner la branche sous analyse au fond, j’estime qu’elle est fondée.

177. À cet égard, il convient de rappeler que les inspections entreprises par la Commission visent à recueillir la documentation nécessaire pour vérifier la réalité et la portée d’une situation de fait et de droit déterminée à propos de laquelle elle dispose déjà d’informations ( 91 ). Il s’ensuit que la Commission doit disposer, avant l’adoption de la décision d’inspection, d’éléments et d’indices matériels sérieux l’amenant à suspecter l’infraction dont l’entreprise visée par l’inspection est
soupçonnée ( 92 ). La détention de tels éléments et indices doit, par ailleurs, apparaître de manière circonstanciée dans la décision ordonnant une inspection ( 93 ).

178. Il ressort de ce qui précède que, afin de démontrer l’antériorité des indices fondant une décision d’inspection par rapport à la date d’adoption de cette décision, il incombe à la Commission non seulement de prouver que, à cette date, elle était matériellement en possession de la source des informations sur lesquelles elle s’appuie pour justifier l’inspection, mais également qu’elle a concrètement pu apprécier, d’une part, si et dans quelle mesure ces informations permettaient d’avancer des
présomptions sur l’existence d’une infraction et de définir les éléments essentiels de celle-ci de manière à circonscrire le champ de l’inspection et les éléments recherchés lors des vérifications, et, d’autre part, si ces indices revêtaient un caractère sérieux.

179. En d’autres termes, l’antériorité des indices fondant une décision d’inspection par rapport à la date d’adoption de cette décision n’implique pas uniquement la « détention » de l’information de la part de la Commission. C’est la raison pour laquelle la présomption qui ressort de la jurisprudence concernant les décisions de clémence mentionnée au point 209 de l’arrêt attaqué, selon laquelle la simple possession de l’information par la Commission équivaut à sa connaissance, n’est, à mes yeux, pas
applicable aux décisions d’inspection, de sorte que, contrairement à ce qu’a considéré le Tribunal, cette jurisprudence n’est pas transposable dans ce domaine.

180. Par ailleurs, afin de permettre un contrôle juridictionnel sur le caractère non arbitraire de l’ingérence dans la sphère d’activité privée de l’entreprise concernée que comporte une inspection, la Commission doit prouver que la décision qui ordonne l’inspection se fonde sur des indices suffisamment sérieux qu’elle a concrètement pu apprécier et que le champ des vérifications circonscrit par cette décision se limite à l’infraction que la Commission peut suspecter sur le fondement de ces indices.

181. Or, une telle preuve ne peut à mon sens être apportée, s’agissant d’informations issues de déclarations orales de tierces personnes qui n’ont pas fait l’objet d’un enregistrement au titre de l’article 3 du règlement no 773/2004, que lorsqu’un transcrit ou un compte rendu détaillé de leur contenu n’est produit. Je suis dès lors enclin à considérer que la date pertinente à prendre en considération afin de déterminer l’antériorité des indices fondant une décision d’inspection par rapport à la date
de cette décision est, s’agissant d’indices issus de telles déclarations, celle à laquelle est établi un transcrit ou un compte rendu des échanges entre la Commission et la ou les personnes concernées, à l’occasion desquels ces déclarations ont été recueillies.

182. J’ajoute que l’exigence d’adopter rapidement les décisions d’inspection après la communication d’informations sur de potentielles infractions pour minimiser les risques de fuite et de dissimulation de preuves, mise en exergue par le Tribunal au point 210 de l’arrêt attaqué, ne saurait, à mon sens, conduire à l’établissement d’une règle générale, applicable dans tous les cas, selon laquelle seule est pertinente, afin d’établir l’antériorité des indices fondant une décision d’inspection, la date
à laquelle sont reçues par la Commission les déclarations orales dont sont issus ces indices. En effet, si je suis bien évidemment sensible à une telle exigence, je ne crois pas qu’elle puisse justifier l’absence de toute trace écrite des entretiens menés avec des tiers par la Commission, faute de mesures d’enregistrement formel de ces entretiens, notamment dans des cas comme celui de l’espèce, où les entretiens en cause se sont déroulés sur plusieurs semaines, voire sur plusieurs mois,
laissant donc à la Commission le temps d’établir des comptes rendus au fur et à mesure qu’elle recueillait les déclarations des fournisseurs.

183. En revanche, si je suis d’avis qu’à tout le moins un compte rendu des entretiens sur lesquels la Commission se fonde pour justifier une décision d’inspection doit, dans la mesure du possible, avoir été versé dans le dossier avant la date d’adoption de la décision d’inspection ( 94 ), j’estime que des exigences de célérité peuvent justifier que la Commission s’éloigne de cette règle dans un cas concret.

184. Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, j’estime que, au cas où la Cour déciderait de trancher au fond la quatrième branche du quatrième moyen de pourvoi, celle-ci devrait être jugée fondée.

E.   Sur le cinquième moyen de pourvoi

185. Par leur cinquième moyen, tiré d’un défaut de motivation résultant de l’absence de contrôle de la valeur probante des indices et d’une erreur quant à la qualification d’« indice », les requérantes contestent les points 220 à 232, 253 et 254 de l’arrêt attaqué.

186. Elles reprochent, en premier lieu, au Tribunal de ne pas avoir effectué, comme elles l’avaient demandé et ainsi que les articles 6 et 8 de la CEDH l’exigeraient, un contrôle in concreto de la mesure dans laquelle les multiples irrégularités qu’elles avaient dénoncées et dont seraient entachés les éléments produits par la Commission affecteraient la crédibilité et donc la valeur probante de ces éléments.

187. À cet égard, force est de constater que, aux points 224 à 232 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a effectué un tel contrôle en appréciant successivement la crédibilité et la valeur probante des déclarations des fournisseurs reprises dans les comptes rendus des entretiens (point 225), d’un courrier électronique du 22 novembre 2016 émanant du directeur général d’une association de fournisseurs, retraçant les mouvements et les rapports entre les enseignes de la grande distribution au sein notamment
d’associations de grands distributeurs (ci-après le « courrier du directeur de l’association N », point 226) et des comptes rendus des entretiens établis par la Commission (point 229). Dans les mêmes points des motifs de l’arrêt attaqué, le Tribunal a, par ailleurs, examiné et écarté l’ensemble des arguments avancés par les requérantes visant à mettre en cause la crédibilité ou la valeur probante de ces différents éléments ainsi que leur qualification d’« indices ».

188. Dans ces conditions, ce premier grief du cinquième moyen de pourvoi ne saurait, à mon sens, prospérer.

189. En second lieu, les requérantes reprochent au Tribunal d’avoir, aux points 253 et 254 de l’arrêt attaqué, qualifié d’« indices matériels sérieux » des déclarations « vagues et spéculatives » dont il n’aurait tiré que l’existence d’un parallélisme et le fait qu’« aucun fournisseur n’indique considérer comme [étant] peu probable » l’existence d’un échange d’informations. Or, l’absence de déclarations niant la probabilité d’une entente ne saurait constituer un indice matériel sérieux de son
existence.

190. À l’instar de la Commission, j’estime que, par ces arguments – qui par ailleurs se réduisent à des contestations de passages isolés de l’arrêt attaqué évoqués en dehors de leur contexte –, les requérantes visent en réalité à remettre en question l’appréciation effectuée par le Tribunal des éléments de preuve produits devant lui, sans établir, ni d’ailleurs avancer, une dénaturation de ces éléments.

191. Ce second grief du cinquième moyen doit dès lors, à mon sens, être déclaré irrecevable. Dans leur mémoire en réplique, les requérantes affirment que, par ledit grief, elles visent à contester la qualification juridique des faits retenue par le Tribunal et non pas leur appréciation.

192. À cet égard, je me borne à relever que, aux points 253 et 254 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a développé un raisonnement surabondant, ainsi que l’atteste l’utilisation de l’expression « [a]u surplus » au début du point 252 de cet arrêt.

193. En effet, aux points 248 à 251 de celui-ci, le Tribunal, après avoir analysé les informations issues des entretiens avec les fournisseurs, telles que rapportées dans les comptes rendus établis par la Commission, a conclu que ces informations constituaient des indices suffisamment sérieux de l’existence d’un parallélisme de comportements entre deux alliances internationales de distributeurs, à savoir ICDC et AgeCore (dont était membre Intermarché), caractérisé par la concomitance et la
convergence de leurs demandes de rabais aux fournisseurs.

194. Au point 252 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a relevé que la Commission « ne s’[était] pas contentée de communiquer des indices relatifs à ce premier élément constitutif d’une pratique concertée qu’est le parallélisme de comportements sur le marché, lequel peut d’ailleurs, sous certaines conditions, permettre de présumer la présence du deuxième élément constitutif d’une pratique concertée qu’est la concertation », mais qu’elle avait également produit « des indices relatifs à l’existence d’une
telle concertation, consistant en l’occurrence en des échanges d’informations, lesquels peuvent également être considérés, pris ensemble, comme étant suffisamment sérieux ». Or, c’est précisément sur l’appréciation du caractère suffisamment sérieux de tels indices que portent, ad abundantiam, les points 253 et 254 de l’arrêt attaqué critiqués par les requérantes.

195. Par ailleurs, aux points 256 à 258 de cet arrêt, le Tribunal a également relevé que les déclarations des fournisseurs relatives aux échanges entre distributeurs sur les rabais étaient corroborées par « des informations mentionnant les canaux par lesquels ces échanges sont susceptibles de passer », issues des déclarations de plusieurs fournisseurs et du courrier du directeur de l’association N.

196. Il s’ensuit que, à supposer que, par le second grief de leur cinquième moyen, les requérantes visent à reprocher au Tribunal une erreur de qualification juridique, ce grief devrait être déclaré inopérant.

197. Sur le fondement de l’ensemble des considérations qui précèdent, j’estime que le cinquième moyen de recours est pour partie non fondé et pour partie irrecevable ou inopérant.

F.   Sur les conséquences de l’erreur commise par le Tribunal

198. Il ressort de l’analyse du troisième moyen de pourvoi que le Tribunal a commis une erreur de droit en concluant que les indices issus des entretiens avec les fournisseurs ne devaient pas être écartés comme étant entachés d’une irrégularité formelle au motif du non-respect de l’obligation d’enregistrement prévue par l’article 19 du règlement no 1/2003 et l’article 3 du règlement no 773/2004.

199. S’agissant des conséquences qui doivent être tirées d’une telle erreur, il y a lieu de rappeler que, conformément à la jurisprudence constante de la Cour, si les motifs d’une décision du Tribunal révèlent une violation du droit de l’Union, mais que le dispositif de celle-ci apparaît fondé pour d’autres motifs de droit, une telle violation n’est pas de nature à entraîner l’annulation de cette décision et il y a lieu de procéder à une substitution de motifs ( 95 ).

200. Or, je relève que, ainsi qu’il ressort du point 206 de l’arrêt attaqué, étant donné qu’il avait rejeté les arguments des requérantes tirés du non-respect de l’obligation d’enregistrement des entretiens avec les fournisseurs, le Tribunal a considéré qu’il n’y avait pas lieu de se prononcer sur l’allégation de la Commission selon laquelle les comptes rendus de ces entretiens constitueraient des enregistrements conformes à l’article 19 du règlement no 1/2003 et à l’article 3 du règlement
no 773/2004.

201. Il y a dès lors lieu d’examiner cette allégation. En effet, si elle devait se révéler fondée, la partie attaquée du dispositif de l’arrêt du Tribunal pourrait être maintenue sur le fondement de motifs autres que ceux entachés d’erreurs ( 96 ).

202. La Commission a soutenu devant le Tribunal qu’elle avait satisfait à son obligation d’enregistrement des déclarations des treize fournisseurs interrogés en établissant et en versant au dossier des comptes rendus longs et détaillés reflétant fidèlement le contenu de ces déclarations. Selon elle, un compte rendu détaillé et versé au dossier constitue l’une des « formes » d’enregistrement, dont l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 773/2004 laisse le choix à la Commission, au même titre qu’un
enregistrement audio ou audiovisuel ou une retranscription verbatim. Elle a également fait valoir que, même à supposer qu’elle n’aurait pas satisfait à son obligation d’enregistrement, les déclarations des treize fournisseurs interrogés constitueraient en tout état de cause des indices.

203. À cet égard, je suis d’avis que, s’il ne peut pas être exclu qu’un compte rendu détaillé établi par la Commission à la suite d’un entretien mené au titre de l’article 19 du règlement no 1/2003 et versé au dossier puisse satisfaire aux exigences de forme de l’article 3 du règlement no 773/2004, tel ne saurait, en tout état de cause, être le cas lorsque la personne qui a délivré les déclarations n’a pas reçu copie de ce compte rendu et n’a, dès lors, pas été mise en mesure de valider son contenu
ou de corriger si nécessaire ses déclarations. Une interprétation différente irait à l’encontre du libellé même de l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 773/2004, qui prévoit qu’« [u]ne copie de tout enregistrement est mise à la disposition de la personne interrogée pour approbation » et que, au besoin, la Commission fixe « un délai dans lequel la personne interrogée peut communiquer toute correction à apporter à la déclaration ».

204. Une différente interprétation ne saurait, à mes yeux, être tirée indirectement du point 92 de l’arrêt Intel où la Cour a examiné si la communication à l’entreprise incriminée d’une note interne de la Commission résumant brièvement le contenu des sujets abordés au cours de l’entretien litigieux pouvait être considérée comme ayant pallié l’absence d’enregistrement formel de tels échanges. En effet, dans ce point, d’une part, la Cour n’a pas abordé la question de savoir si cette note pouvait
constituer un enregistrement formel au titre de l’article 3, paragraphe 3, du règlement no 773/2004, mais seulement celle de savoir si ladite note pouvait remédier à la violation des dispositions combinées de cet article et de l’article 19 du règlement no 1/2003. D’autre part, elle s’est bornée à relever que la note en cause ne contenait aucune indication quant à la teneur des discussions qui s’étaient tenues lors de cet entretien et à la nature des renseignements fournis par la personne
interrogée et était dès lors insusceptible, indépendamment de tout autre facteur, de fournir à l’entreprise en cause les éléments nécessaires à l’exercice de ses droits de la défense. Par ailleurs, il ressort des points 95 et 96 de l’arrêt Intel que la Commission ne s’était pas fondée sur la note en cause afin de prouver l’infraction et que seule se posait la question de savoir si les déclarations rendues lors de l’entretien litigieux contenaient des éléments à décharge.

205. Enfin, je considère, en ligne avec ce que j’ai déjà exposé au point 143 des présentes conclusions, que la méconnaissance des dispositions en matière d’enregistrement comporte la non-utilisabilité des informations obtenues par la Commission lors des entretiens non dûment enregistrés aux fins de l’adoption d’une décision d’inspection.

G.   Conclusion sur le pourvoi

206. Sur le fondement de l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour d’accueillir le pourvoi et d’annuler le point 2 du dispositif de l’arrêt attaqué.

V. Sur le recours

207. Pour les motifs exposés notamment aux points 144 à 163 et 202 à 205 des présentes conclusions, j’estime que le grief soulevé par les requérantes devant le Tribunal, tiré du non-respect de la part de la Commission de l’obligation d’enregistrement prévue par l’article 19 du règlement no 1/2003 et l’article 3 du règlement no 773/2004, est fondé et que les indices issus des entretiens avec les fournisseurs doivent, pour cette raison, être écartés comme étant entachés d’une irrégularité formelle.

208. Or, il ressort du dossier que les informations issues de ces entretiens constituaient l’essentiel des indices fondant les décisions litigieuses, le courrier du directeur de l’association N – dont la valeur probatoire est par ailleurs limitée par le fait qu’il ne contient que des propos rapportés ne traduisant pas une connaissance personnelle et directe des relations commerciales concernées – ainsi que ses annexes ne faisant que compléter ces informations.

209. Dans ces circonstances, il y a lieu, à mon sens, de conclure que la Commission ne détenait pas, à la date d’adoption des décisions litigieuses, d’indices suffisamment sérieux justifiant les présomptions énoncées à l’article 1er, sous a), des décisions litigieuses et d’annuler ces décisions dans leur totalité.

VI. Conclusion

210. Sur le fondement de l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour :

– d’annuler le point 2 du dispositif de l’arrêt attaqué ;

– d’annuler la décision C(2017) 1057 final de la Commission, du 9 février 2017, ordonnant à Intermarché ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle de se soumettre à une inspection conformément à l’article 20, paragraphes 1 et 4, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (affaire AT.40466 – Tute 1), ainsi que la décision C(2017) 1361 final de la
Commission, du 21 février 2017, ordonnant aux Mousquetaires ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par eux de se soumettre à une inspection conformément à l’article 20, paragraphes 1 et 4, du règlement no 1/2003 (affaire AT.40466 – Tute 1) ;

– de condamner la Commission européenne aux dépens y inclus ceux afférents à la procédure devant le Tribunal, et

– de déclarer que le Conseil de l’Union européenne supportera ses propres dépens.

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( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Il s’agit de la décision C(2017) 1361 final de la Commission (affaire AT.40466 – Tute 1, ci-après la « décision Tute 1 du 21 février 2017 ») et de la décision C(2017) 1360 final de la Commission (affaire AT.40467 – Tute 2, ci-après la « décision Tute 2 du 21 février 2017 »).

( 3 ) Règlement du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1).

( 4 ) Il s’agit de la décision C(2017) 1057 final de la Commission (affaire AT.40466 – Tute 1, ci-après la « décision Tute 1 du 9 février 2017 ») et de la décision C(2017) 1061 final de la Commission (affaire AT.40467 – Tute 2, ci-après la « décision Tute 2 du 9 février 2017 »).

( 5 ) Entre les décisions Tute 1 du 9 février 2017 et du 21 février 2017, d’une part, et les décisions Tute 2 du 9 février 2017 et du 21 février 2017, d’autre part, seule la désignation du destinataire principal de l’inspection a été modifiée, LM dans un cas et ITM dans l’autre.

( 6 ) Premier point du dispositif.

( 7 ) Second point du dispositif.

( 8 ) Voir point 74 de l’arrêt attaqué.

( 9 ) Voir point 87 de l’arrêt attaqué.

( 10 ) T‑125/03 et T‑253/03 EU:T:2007:287, points 46, 48 et 49 et jurisprudence citée.

( 11 ) CE:ECHR:2014:1002JUD000009711.

( 12 ) Voir, en ce qui concerne le caractère relevable d’office du défaut de motivation, arrêt du 28 janvier 2016, Quimitécnica.com et de Mello/Commission (C‑415/14 P, non publié, EU:C:2016:58, point 57).

( 13 ) Voir arrêt du 25 mars 2021, Deutsche Telekom/Commission (C‑152/19 P, EU:C:2021:238, point 98 et jurisprudence citée).

( 14 ) JO 2007, C 303, p. 17.

( 15 ) Voir Cour EDH, 5 avril 2018, Zubac c. Croatie (CE:ECHR:2018:0405JUD004016012, §§ 76 à 79).

( 16 ) Voir, en ce sens, Cour EDH, 4 décembre 1995, Bellet c. France (CE:ECHR:1995:1204JUD002380594, §38), et du 20 octobre 2020, Camelia Bogdan c. Romanie (CE:ECHR:2020:1020JUD003688918, §§ 75 à 77).

( 17 ) Cour EDH, 26 octobre 2011, Georgel et Georgeta Stoicescu c. Roumanie (CE:ECHR:2011:0726JUD000971803, §§ 72 à 76).

( 18 ) Dans l’arrêt de la Cour EDH du 14 janvier 2020, X et autres c. Russie (CE:ECHR:2020:0114JUD007804216, § 50).

( 19 ) Voir, en ce sens, Cour EDH, 30 octobre 1991 Vilvarajah et autres c. Royaume-Uni (CE:ECHR:1991:1030JUD001316387, § 122) ; 15 novembre 1996, Chahal c. Royaume-Uni (CE:ECHR:1996:1115JUD002241493, § 145) ; 27 septembre 1999, Smith et Grady c. Royaume-Uni (CE:ECHR :1999:0927JUD003398596, § 135), et 25 juin 2019, Nicolae Virgiliu Tănase c. Roumanie (CE:ECHR:2019:0625JUD004172013, § 217).

( 20 ) Voir, en ce sens, Cour EDH, 20 novembre 2008, société IFB c. France (CE:ECHR:2008:1120JUD000205804, § 22) ; 21 février 2008, Ravon et autres c. France (CE:ECHR:2008:0221JUD001849703, § 27), et 21 décembre 2010, Primagaz c. France (CE:ECHR:2010:1221JUD002961308, § 23).

( 21 ) Cour EDH, 21 décembre 2010, Primagaz c. France (CE:ECHR:2010:1221JUD002961308, § 23).

( 22 ) Voir, par exemple, Cour EDH, 21 décembre 2010, Canal Plus et autres c. France (CE:ECHR:2010:1221JUD002940808, ci-après l’« arrêt Canal Plus »), et arrêt Delta Pekarny, § 103. S’agissant de visites domiciliaires dans d’autres domaines que le droit de la concurrence, la Cour EDH a cependant examiné la question de l’existence d’un recours effectif également sous l’angle de l’article 13 de la CEDH, voir, par exemple, arrêt de la Cour EDH du 19 janvier 2017, Posevini v. Bulgaria
(CE:ECHR:2017:0119JUD006363814, § 84, ci-après l’« arrêt Posevini »), où la Cour EDH a examiné conjointement le grief d’une violation des articles 8 et 13 de la CEDH et a considéré non nécessaire d’examiner la requête sur le troisième fondement invoqué, à savoir l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH.

( 23 ) Cour EDH, 20 mars 2008, Boudaïeva et autres c. Russie (CE:ECHR:2008:0320JUD001533902, § 190).

( 24 ) Voir Cour EDH, 24 octobre 1983, Silver et autres c. Royaume-Uni (CE:ECHR:1983:1024JUD000594772, § 113), prononcé dans le cadre d’une application combinée des articles 8 et 13 de la CEDH ; 26 mars 1987, Leander c. Suède (CE:ECHR:1987:0326JUD000924881, §§ 77 et 84) ; 15 novembre 1996, Chahal c. Royaume-Uni (CE:ECHR:1996:1115JUD002241493, § 145) ; 26 octobre 2000, Kudła c. Pologne (CE:ECHR:2000:1026JUD003021096, § 157) ; 13 décembre 2012, De Souza Ribeiro c. France
(CE:ECHR:2012:1213JUD002268907, §§ 79 et 80), ainsi que 10 juillet 2020, Mugemangango c. Belgique (CE:ECHR:2020:0710JUD000031015, § 131).

( 25 ) CE:ECHR:2008:0221JUD001849703.

( 26 ) Voir arrêt Ravon, §§ 28 à 35, ainsi que Cour EDH, 18 septembre 2008, Kandler et autres c. France (CE:ECHR:2008:0918JUD001865905 § 26) ; 20 novembre 2008, société IFB c. France (CE:ECHR:2008:1120JUD000205804, § 26), et 16 octobre 2008, Maschino c. France (CE:ECHR:2008:1016JUD001044703, § 22).

( 27 ) Voir arrêt Ravon, § 87 et jurisprudence citée (mise en italique par mes soins).

( 28 ) Voir, par exemple, dans le cadre de l’analyse de l’article 8 de la CEDH, arrêts Delta Pekarny §§ 89 à 91, et Canal Plus, §§ 37 à 43. Voir, pour la même approche, même si dans un contexte différent (perquisitions au domicile privé et professionnel d’une personne physique), arrêt Posevini, §§ 84 à 86.

( 29 ) Voir arrêt Canal Plus, § 42.

( 30 ) Voir arrêt Canal Plus, § 34.

( 31 ) Voir, en ce sens, arrêt Ravon, § 29.

( 32 ) Voir, concernant l’article 13 de la CEDH, Cour EDH, 16 février 2000, Amann c. Suisse (CE:ECHR:2000:0216JUD002779895, § 88), et 28 janvier 2003, Peck c. Royaume-Uni (CE:ECHR:2003:0128JUD004464798, § 102).

( 33 ) Voir, en ce sens, par exemple, arrêt Delta Pekarny, § 89, et Posevini, § 84.

( 34 ) Voir arrêt Ravon, §§ 30 à 33, Delta Perkarny, §§ 89 à 91, et Canal Plus §§ 38 à 43.

( 35 ) Voir arrêt Canal Plus, § 40.

( 36 ) Voir Cour EDH, 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding As e.a. c. Norvège (CE:ECHR:2013:0314JUD002411708, § 104). Voir également arrêt du 18 juin 2015, Deutsche Bahn e.a./Commission (ci-après l’« arrêt Deutsche Bahn de la Cour , C‑583/13 P, EU:C:2015:404, point 20).

( 37 ) Voir Cour EDH, 10 avril 2007, Panarisi c. Italie (CE:ECHR:2007:0410JUD004679499, §§ 76 et 77) ; 2 décembre 2010, Uzun c. Allemagne (CE:ECHR:2010:0902JUD003562305, §§ 71 et 72), ainsi que 30 mai 2017, Trabajo Rueda c. Espagne (CE:ECHR:2017:0530JUD003260012 § 37).

( 38 ) Je rappelle que, dans l’arrêt Ravon, la Cour EDH a analysé le grief soulevé par les requérantes dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt uniquement sur le terrain de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH.

( 39 ) Quant à l’argument des requérantes selon lequel ledit grief ne peut qu’exceptionnellement conduire à l’annulation de la décision finale, je renvoie à ce que j’ai exposé au point 59 des présentes conclusions.

( 40 ) Voir notamment Cour EDH, 8 juin 2006, Sürmeli c. Allemagne (CE:ECHR:2006:0608JUD007552901, § 99 et jurisprudence citée).

( 41 ) Voir Cour CEDH, 10 septembre 2010, Mac Farlane c. Irlande (CE:ECHR:2010:0910JUD003133306, §§ 115 à 122).

( 42 ) Voir, dans le cadre de l’appréciation de la recevabilité de la demande sur le fondement de l’article 35, paragraphe 1, de la CEDH, Cour EDH, 4 juillet 2002, Slaviček c. Croatie (CE:ECHR:2002:0704DEC002086202), et 5 septembre 2002, Nogolica c. Croatie (CE:ECHR:2002:0905DEC007778401).

( 43 ) Voir Cour EDH, 1 mars 2005, Charzyński c. Pologne (CE:ECHR:2005:0301DEC001521203, § 41). Voir, également, Cour EDH, Guide sur l’article 13 de la CEDH, disponible à l’adresse Internet suivante : https://www.echr.coe.int/Documents/Guide_Art_13_FRA.pdf.

( 44 ) Voir arrêt Akzo, points 45 à 53 et 56.

( 45 ) Sur l’exclusion du champ d’investigation ouvert à la Commission des documents qui ne sont pas de nature professionnelle, c’est-à-dire ceux qui n’auraient pas trait à l’activité de l’entreprise sur le marché, voir arrêts du 18 mai 1982, AM & S Europe/Commission (155/79, EU:C:1982:157, point 16), et du 22 octobre 2002, Roquette Frères (C‑94/00, ci-après l’« arrêt Roquette Frères , EU:C:2002:603, point 45).

( 46 ) Voir, en ce sens, ordonnance du 16 novembre 2010, Internationale Fruchtimport Gesellschaft Weichert/Commission (C‑73/10 P, EU:C:2010:684, point 53) ; voir également Cour EDH, 28 octobre 1998, Pérez de Rada Cavanilles c. Espagne (CE:ECHR:1998:1028JUD002809095, § 44).

( 47 ) Arrêt du 30 avril 2020, Izba Gospodarcza Producentów i Operatorów Urządzeń Rozrywkowych/Commission (C‑560/18 P, EU:C:2020:330, point 62).

( 48 ) Voir, notamment, arrêt Akzo, points 80 et 82, ainsi que arrêt AM & S. C’est ce que, aux points 44 et 45 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a reproché aux requérantes de ne pas avoir fait dans les conditions prévues à l’arrêt Akzo. Ces points ne font de toute manière pas l’objet du présent pourvoi.

( 49 ) C‑245/19 et C‑246/19, ci-après l’« arrêt État luxembourgeois , EU:C:2020:795, point 66.

( 50 ) Voir arrêt État luxembourgeois, points 27 et 37.

( 51 ) Les requérantes ne sont dès lors pas fondées à s’appuyer sur l’arrêt de la CEDH du 29 juillet 1998, Guérin c. France (CE:ECHR:1998:0729JUD002520194, § 43).

( 52 ) Voir, pour l’affirmation d’un tel droit d’opposition, l’arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission (T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, ci-après l’« arrêt Deutsche Bahn du Tribunal , EU:T:2013:404, point 87).

( 53 ) Voir arrêt Deutsche Bahn du Tribunal, point 90.

( 54 ) Un tel droit d’opposition revêt une importance particulière dans le cadre du système des garanties permettant de maintenir l’exercice des pouvoirs d’inspection de la Commission dans des limites compatibles avec le respect des droits fondamentaux reconnus à l’article 7 de la Charte et à l’article 8 de la CEDH.

( 55 ) Voir arrêt Deutsche Bahn de la Cour, point 56 et jurisprudence citée.

( 56 ) Voir arrêt du 17 octobre 1989, Dow Benelux/Commission (85/87, EU:C:1989:379, point 8 et jurisprudence citée).

( 57 ) Voir arrêt Deutsche Bahn de la Cour, point 60.

( 58 ) Voir arrêt du 17 octobre 1989, Dow Benelux/Commission (85/87, EU:C:1989:379, point 9).

( 59 ) Voir arrêt du 25 juin 2014, Nexans et Nexans France/Commission (C‑37/13 P, EU:C:2014:2030, point 36 et jurisprudence citée).

( 60 ) Voir arrêt du 25 juin 2014, Nexans et Nexans France/Commission (C‑37/13 P, EU:C:2014:2030, point 35 et jurisprudence citée).

( 61 ) Voir arrêt du 25 juin 2014, Nexans et Nexans France/Commission (C‑37/13 P, EU:C:2014:2030, point 36 et jurisprudence citée).

( 62 ) Voir arrêt du 25 juin 2014, Nexans et Nexans France/Commission (C‑37/13 P, EU:C:2014:2030, point 37 et jurisprudence citée).

( 63 ) Il s’agit des mesures d’organisation de la procédure adoptées par le Tribunal le 3 décembre 2018 ainsi que les 13 mai et 25 septembre 2019, mentionnées au point 176 de l’arrêt attaqué.

( 64 ) Voir point 176 de l’arrêt attaqué. En revanche, il ressort du point 130 de l’arrêt attaqué que le Tribunal n’a pas considéré nécessaire d’ordonner les mesures d’organisation de la procédure sollicitées par les requérantes afin que la Commission précise les présomptions à l’origine des décisions litigieuses, en estimant que ces présomptions avaient été suffisamment détaillées pour satisfaire à l’obligation de motivation incombant à la Commission.

( 65 ) Je relève, par ailleurs, qu’il ressort des explications données par la Commission dans la réponse aux mesures d’organisation de la procédure du 5 juin 2019 que, au stade de l’adoption des décisions litigieuses, cette institution hésitait quant à la qualification correcte de l’objet des échanges d’informations présumés en tant que « rabais sur les marchés de l’approvisionnement » ou « prix de vente de services aux fabricants », ce qui pourrait justifier l’adoption, dans ces décisions, d’une
formulation plus large dans l’énonciation des présomptions à vérifier.

( 66 ) Voir, inter alia, arrêt du 2 septembre 2021, EPSU/Commission (C‑928/19 P, EU:C:2021:656, point 108).

( 67 ) Je partage, à cet égard, les conclusions l’avocate générale Kokott dans l’affaire Nexans France et Nexans/Commission (C‑606/18 P, EU:C:2020:207, point 55).

( 68 ) Voir, en dernier lieu, ordonnance du 2 juin 2022, Arnautu/Parlement (C‑573/21 P, non publiée, EU:C:2022:448, point 93 et jurisprudence citée).

( 69 ) Voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2018, Nexans France et Nexans/Commission (T‑449/14, EU:T:2018:456, point 69).

( 70 ) Voir conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Nexans France et Nexans/Commission (C‑606/18 P, EU:C:2020:207, point 65), ainsi que l’arrêt prononcé dans cette affaire, arrêt du 16 juillet 2020, Nexans France et Nexans/Commission (C‑606/18 P, EU:C:2020:571, points 88 et 89).

( 71 ) Règlement de la Commission du 7 avril 2004 relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101 et 102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18).

( 72 ) C‑413/14 P, ci-après l’« arrêt Intel , EU:C:2017:632.

( 73 ) Conformément à la communication de la Commission sur l’immunité d’amendes et la réduction de leur montant dans les affaires portant sur des ententes, 2006/C 298/11, du 8 décembre 2006 (JO 2006, C 298, p. 17).

( 74 ) Voir arrêt Intel, point 90.

( 75 ) Voir arrêt Intel, point 91.

( 76 ) Voir proposition de règlement du Conseil relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] et modifiant les règlements (CEE) no 1017/68, (CEE) no 2988/74, (CEE) no 4056/86 et (CEE) no 3975/87 [COM(2000) 582 final, JO 2000, C 365 E, p. 284]. Dans le commentaire à l’article 19 de cette proposition, prévoyant le pouvoir de la Commission d’entendre des personnes physiques ou morales, faisant ou non l’objet de la procédure, et d’enregistrer leurs
réponses, la Commission précise que « [c]ette disposition vient compléter une lacune au niveau des pouvoirs de la Commission en autorisant l’enregistrement des réponses verbales et leur présentation comme moyen de preuve dans la procédure ». Or, l’expression « moyen de preuve » doit, à mon sens, être entendue au sens large d’« élément probatoire », quelle que soit sa valeur probante par rapport au fait à démontrer.

( 77 ) Il ne peut pas être exclu que, après avoir utilisé l’un des pouvoirs d’enquête prévus au chapitre V du règlement no 1/2003, par exemple en adressant une demande de renseignement à une entreprise donnée ou en procédant à des inspections dans ses locaux, la Commission reçoive, lors d’un entretien avec une personne physique ou morale relatif à l’objet de l’enquête qui a été ouverte par l’adoption de ces actes, des informations lui permettant de supposer qu’une entreprise jusque-là encore non
soupçonnée est impliquée dans les infractions présumées ayant conduit à l’ouverture de l’enquête. Or, dans une telle hypothèse, suivant la logique des points 195, 200 à 203 et 205 de l’arrêt attaqué, la Commission serait tenue d’appliquer l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003 et de procéder à un enregistrement conformément à l’article 3 du règlement no 773/2004, même lorsqu’elle n’entend utiliser les informations reçues qu’en tant qu’indices fondant une décision d’inspection à l’égard
de cette entreprise.

( 78 ) Voir arrêt attaqué, points 200 et 201.

( 79 ) C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P à C‑252/99 P et C‑254/99 P, ci-après l’« arrêt LMV , EU:C:2002:582, point 182.

( 80 ) Selon la Cour EDH, le droit de toute personne à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable inscrit à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH a pour objet, en matière pénale, d’obtenir que les accusés ne demeurent pas pendant un temps trop long sous le coup d’une accusation et qu’il soit décidé sur son bien-fondé. Voir Cour EDH, 27 juin 1968, Wemhoff c. Allemagne (CE:ECHR:1968:0627JUD000212264, § 18), et 3 décembre 2009, Kart c. Turquie (CE:ECHR:2008:0708JUD000891705, § 68).
Conformément à cet objet, la période à prendre en considération afin d’apprécier la durée raisonnable de la procédure commence, selon la Cour EDH, le jour où une personne se trouve accusée [voir Cour EDH, 27 juin 1968, Neumeister c. Autriche (CE:ECHR:1968:0627JUD000193663, § 18)], ou à une date antérieure, par exemple à la date de l’ouverture des enquêtes préliminaires [voir Cour EDH, 16 juillet 1971, Ringeisen c. Autriche (CE:ECHR:1971:0716JUD000261465, § 110, duquel s’est inspirée la Cour dans
l’arrêt LMV)], étant entendu que le moment à retenir est celui à partir duquel le requérant prend connaissance de l’accusation ou celui à partir duquel sa situation est substantiellement affectée par les mesures prises dans le cadre d’une enquête ou d’une procédure pénale [voir Cour EDH, 27 juillet 2006, Mamič c. Slovénie (no 2) (CE:ECHR:2006:0727JUD007577801, §§ 23 et 24), et 28 mai 2019, Liblik et autres c. Estonie (CE:ECHR:2019:0528JUD000017315, § 94)].

( 81 ) Voir arrêt LMV, point 182.

( 82 ) Voir point 205 de l’arrêt attaqué.

( 83 ) La référence faite par la Commission à l’arrêt du 25 mars 2021, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission (C‑611/16 P, EU:C:2021:245), ne me semble pas pouvoir remettre en cause le constat d’absence d’un reproche au sens de la jurisprudence mentionnée au point 194 de l’arrêt attaqué lors de l’ouverture d’une enquête sectorielle. Aux points 153 et 154 de l’arrêt du 25 mars 2021, Xellia Pharmaceuticals et Alpharma/Commission (C‑611/16 P, EU:C:2021:245), auxquels fait référence la
Commission, la Cour se limite en effet à préciser que « les enquêtes de secteur constituent un instrument destiné à confirmer des présomptions de restriction de concurrence dans le secteur concerné par ces enquêtes » et que « lorsque la Commission procède à l’ouverture de telles enquêtes, les entreprises appartenant au secteur concerné et tout particulièrement celles qui ont conclu des accords expressément visés par la décision d’ouverture de l’enquête en cause [...] doivent s’attendre à ce que des
procédures individuelles puissent éventuellement être ouvertes à leur encontre à l’avenir ». Au point 139 de cet arrêt, la Cour a, par ailleurs, clairement indiqué que les premières mesures impliquant un reproche de la part de la Commission à l’égard des requérantes dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt avaient été adoptées à des dates postérieures à l’ouverture de l’enquête sectorielle en cause (il s’agit de la date de communication par la Commission de l’existence de l’enquête sectorielle).

( 84 ) Je relève, par ailleurs, que le manuel de procédure interne de la Commission en matière d’application des articles 101 et 102 TFUE du 12 mars 2012 (https://ec.europa.eu/competition/antitrust/antitrust_manproc_11_2019_en.pdf, chapitre 8, point 2.5, ci-après le « manuel de procédure de la Commission ») semble aller dans ce sens lorsqu’il indique que, « en ce qui concerne la certitude quant à l’objet de l’enquête au moment de l’entretien, au moins un cas doit être enregistré avec un numéro de
cas spécifique ». Je souligne que l’ouverture d’un dossier préalablement au déroulement de l’entretien permet de fournir les repères nécessaires aux fins de l’application de l’article 28, paragraphe 1, du règlement no 1/2003.

( 85 ) C‑413/14 P, EU:C:2016:788, point 232.

( 86 ) Je relève par ailleurs que, au point 233 de ces conclusions, l’avocat général Wahl n’exclut pas non plus l’hypothèse qu’un entretien, au sens de l’article 19 du règlement no 1/2003, puisse se dérouler avant qu’une enquête soit « en cours ».

( 87 ) C’est d’ailleurs en ce sens qu’il faut, à mes yeux, lire l’article 2, paragraphe 3, du règlement no 773/2004. La Commission peut exercer ses pouvoirs d’enquête en application du chapitre V du règlement no 1/2003 – y compris celui prévu à son article 19 – même « avant d’ouvrir une procédure ».

( 88 ) Voir conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Intel Corporation/Commission (C‑413/14 P, EU:C:2016:788, point 233). Voir également manuel de procédure de la Commission, chapitre 8, point 2.4.

( 89 ) C‑617/13 P, EU:C:2016:416, points 66 à 74.

( 90 ) Si cette conclusion ressort plus clairement du point 216 de l’arrêt attaqué, qui est cependant fondé sur un moyen de preuve produit en retard par la Commission et déclaré irrecevable par le Tribunal, elle résulte, à mon sens, déjà suffisamment du point 215 de cet arrêt.

( 91 ) Voir arrêt du 26 juin 1980, National Panasonic/Commission (136/79, EU:C:1980:169, points 13 et 21).

( 92 ) Voir arrêts Roquette Frères, point 99 ; Deutsche Bahn du Tribunal, point 172, et du 27 novembre 2014, Alstom Grid/Commission (T‑521/09, EU:T:2014:1000, point 53).

( 93 ) Voir, notamment, arrêt du 20 juin 2018, České dráhy/Commission (T‑621/16, non publié, EU:T:2018:367, point 85 et jurisprudence citée).

( 94 ) S’il est vrai que l’arrêt Roquette Frères n’abordait pas la question de savoir à quel moment il peut être considéré que les indices fondant une décision d’inspection recueillis par la Commission sont à sa disposition, il ressort néanmoins de son point 61 que la règle est que de tels indices doivent être présents dans son dossier dès avant l’adoption de cette décision.

( 95 ) Voir arrêt Intel, point 94.

( 96 ) J’estime que la Cour peut, dans les circonstances de la présente affaire, procéder, le cas échéant, par une substitution de motifs, même si cela implique d’examiner un argument sur lequel le Tribunal ne s’est pas prononcé.


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : C-682/20
Date de la décision : 14/07/2022
Type d'affaire : Pourvoi - fondé, Pourvoi - non fondé
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Pourvoi – Concurrence – Ententes – Décision de la Commission européenne ordonnant une inspection – Voies de recours contre le déroulement de l’inspection – Article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit à un recours effectif – Règlement (CE) no 1/2003 – Article 19 – Règlement (CE) no 773/2004 – Article 3 – Enregistrement des entretiens effectués par la Commission dans le cadre de ses enquêtes – Point de départ de l’enquête de la Commission.

Ententes

Concurrence


Parties
Demandeurs : Les Mousquetaires et ITM Entreprises SAS
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Pitruzzella

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:578

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