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14/07/2022 | CJUE | N°C-158/21

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. J. Richard de la Tour, présentées le 14 juillet 2022., Procédure pénale contre Lluís Puig Gordi e.a., 14/07/2022, C-158/21


 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN RICHARD DE LA TOUR

présentées le 14 juillet 2022 ( 1 )

Affaire C‑158/21

Ministerio Fiscal,

Abogacía del Estado,

Partido político VOX

contre

Lluís Puig Gordi,

Carles Puigdemont Casamajó,

Antoni Comín Oliveres,

Clara Ponsatí Obiols,

Meritxell Serret Aleu,

Marta Rovira Vergés,

Anna Gabriel Sabaté

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne)]



« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Mandat d’arrêt européen – Décision‑cadre 2002/584/JAI – Article 1er, paragraphe 3 – Articl...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN RICHARD DE LA TOUR

présentées le 14 juillet 2022 ( 1 )

Affaire C‑158/21

Ministerio Fiscal,

Abogacía del Estado,

Partido político VOX

contre

Lluís Puig Gordi,

Carles Puigdemont Casamajó,

Antoni Comín Oliveres,

Clara Ponsatí Obiols,

Meritxell Serret Aleu,

Marta Rovira Vergés,

Anna Gabriel Sabaté

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière pénale – Mandat d’arrêt européen – Décision‑cadre 2002/584/JAI – Article 1er, paragraphe 3 – Article 6, paragraphe 1 – Procédures de remise entre États membres – Conditions d’exécution – Compétence de l’autorité judiciaire d’émission pour émettre un mandat d’arrêt européen – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 47, deuxième alinéa – Droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal établi préalablement par la
loi – Examen en deux étapes – Obligation de l’autorité judiciaire d’exécution de vérifier, lors de la première étape, l’existence d’un risque réel de violation de ce droit fondamental, en raison de défaillances systémiques ou généralisées dans le fonctionnement du système judiciaire de l’État membre d’émission – Possibilité d’émettre un nouveau mandat d’arrêt européen visant la même personne et devant être exécuté dans le même État membre »

I. Introduction

1. La présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de plusieurs dispositions de la décision‑cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres ( 2 ), telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 ( 3 ).

2. La juridiction de renvoi pose à la Cour une série de questions visant, pour l’essentiel, à déterminer si une autorité judiciaire d’exécution peut refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen en raison de l’incompétence alléguée de l’autorité judiciaire d’émission pour délivrer ce mandat ainsi que de la juridiction appelée à juger la personne poursuivie, et si la décision‑cadre 2002/584 s’oppose à l’émission d’un nouveau mandat d’arrêt européen après que l’exécution d’un premier mandat d’arrêt
européen a été refusée.

3. Ces questions sont soulevées dans le cadre de poursuites diligentées contre d’anciens dirigeants catalans après la tenue, le 1er octobre 2017, d’un référendum d’autodétermination de la communauté autonome de Catalogne (Espagne). Certains des prévenus, ayant quitté l’Espagne à partir de la fin de l’année 2017, ont fait l’objet de mandats d’arrêt européens. L’absence d’exécution de ces derniers résulte à la fois de l’élection au Parlement européen de certains de ces prévenus et de l’existence de
controverses quant à la procédure pénale en cause. Ces controverses portent, en ce qui concerne l’affaire sous examen, sur les règles déterminant la compétence du Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) pour juger les prévenus, lesquelles reposent notamment sur le lieu de commission des infractions ainsi que sur la connexité des infractions reprochées aux prévenus.

4. La présente demande de décision préjudicielle trouve, plus précisément, son origine dans le refus opposé par les juridictions belges de donner suite au mandat d’arrêt européen émis à l’encontre de M. Lluís Puig Gordi. La juridiction d’appel qui s’est prononcée de manière définitive a fondé ce refus sur l’existence d’un risque de violation du droit à être jugé par un tribunal établi par la loi, tiré de l’appréciation selon laquelle la compétence du Tribunal Supremo (Cour suprême) pour juger
M. Puig Gordi ne reposait pas sur une base juridique expresse. Elle a, en outre, précisé que le risque de violation de la présomption d’innocence devait également être pris très au sérieux. Bien que ledit refus ne concerne directement que M. Puig Gordi, la demande de la juridiction de renvoi est présentée par celle-ci comme visant à déterminer les décisions devant être prises à l’égard de l’ensemble des prévenus.

5. La problématique qui est soumise à la Cour invite, comme souvent, cette dernière à trouver le juste équilibre entre l’efficacité du système de remise entre États membres mis en place par la décision‑cadre 2002/584 et le respect des droits fondamentaux des personnes faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen.

6. Dans son arrêt du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru ( 4 ), la Cour a défini la méthode qui doit être suivie par l’autorité judiciaire d’exécution devant laquelle la personne qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen invoque l’existence d’un risque de traitement inhumain ou dégradant, prohibé par l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ( 5 ), en raison des conditions de détention dans l’État membre d’émission. Cette méthode réside, en substance, dans
l’accomplissement par cette autorité de deux étapes dans son contrôle, à savoir, dans une première étape, le constat qu’il existe un risque réel de violation du droit fondamental en cause en raison de défaillances soit systémiques ou généralisées, soit touchant certains groupes de personnes, soit certains centres de détention, dans l’État membre d’émission et, dans une seconde étape, le constat qu’il existe un risque concret et individualisé de violation de ce droit pour la personne concernée.

7. Dans son arrêt du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) ( 6 ), la Cour a étendu cette méthode d’un examen en deux étapes à l’hypothèse d’un risque de violation du droit fondamental à un procès équitable garanti par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte. Elle a confirmé cette jurisprudence dans son arrêt du 17 décembre 2020, Openbaar Ministerie (Indépendance de l’autorité judiciaire d’émission) ( 7 ), puis dans son arrêt du 22 février 2022,
Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) ( 8 ).

8. Dans les affaires ayant donné lieu à ces arrêts était alléguée, dans le cadre de la première étape, l’existence de défaillances systémiques ou généralisées en ce qui concerne l’indépendance du pouvoir judiciaire de l’État membre d’émission.

9. L’enjeu principal de la présente affaire consiste à déterminer si, lorsque de telles défaillances affectant le fonctionnement du système judiciaire de l’État membre d’émission ne sont pas invoquées, l’autorité judiciaire d’exécution peut, malgré tout, refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen en se fondant sur l’existence d’un risque de violation du droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal établi préalablement par la loi, garanti par l’article 47, deuxième alinéa, de la
Charte, dans cet État membre.

10. Ainsi, s’agissant de ce droit fondamental, les deux étapes du contrôle devant être mené par l’autorité judiciaire d’exécution sont-elles cumulatives ? En d’autres termes, si la première étape ne permet pas de constater l’existence de défaillances systémiques ou généralisées affectant le fonctionnement du système judiciaire de l’État membre d’émission, cette autorité est-elle autorisée à refuser d’exécuter le mandat d’arrêt européen en cause ?

11. La Cour rappelle régulièrement que le principe de reconnaissance mutuelle constitue, selon le considérant 6 de la décision‑cadre 2002/584, la « pierre angulaire » de la coopération judiciaire en matière pénale, et trouve son expression à l’article 1er, paragraphe 2, de cette décision‑cadre, qui consacre la règle selon laquelle les États membres sont tenus d’exécuter tout mandat d’arrêt européen sur la base de ce principe et conformément aux dispositions de ladite décision‑cadre ( 9 ).

12. Il importe, à mon avis, de veiller à ce que, en acceptant trop largement des exceptions au principe de reconnaissance mutuelle au titre du respect des droits fondamentaux, cette « pierre angulaire », qui constitue le socle de la coopération judiciaire en matière pénale, ne se fissure et que l’édifice patiemment construit ne vienne à vaciller, voire à s’écrouler, faute de fondations solides.

13. Il convient également de veiller à ne pas mettre en péril la réalisation de l’objectif de la décision‑cadre 2002/584 et la confiance réciproque entre les États membres qui sous-tend le mécanisme du mandat d’arrêt européen mis en place par cette décision‑cadre.

14. C’est pourquoi je défendrai l’idée selon laquelle la Cour doit continuer à affirmer qu’un refus de remise justifié par l’allégation relative à un risque de violation du droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal établi préalablement par la loi, garanti par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, de la personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen doit revêtir un caractère véritablement exceptionnel. À défaut d’avoir démontré l’existence de défaillances systémiques ou
généralisées dans le fonctionnement du système judiciaire de l’État membre d’émission, l’autorité judiciaire d’exécution ne saurait être fondée à refuser l’exécution d’un mandat d’arrêt européen sur la base de la seule allégation d’un risque individuel de violation de ce droit fondamental.

II. Les faits du litige au principal et les questions préjudicielles

15. À la suite de l’adoption des lois portant sur l’indépendance de la communauté autonome de Catalogne (Espagne) et sur la tenue d’un référendum à cette fin, une procédure pénale a été engagée devant le Tribunal Supremo (Cour suprême) à l’encontre de plusieurs personnes auxquelles il est reproché d’avoir commis notamment les infractions de sédition et de détournement de fonds publics.

16. Il ressort de la demande de décision préjudicielle que, dans le cadre de cette procédure, le Tribunal Supremo (Cour suprême) a émis, le 14 octobre 2019, un mandat d’arrêt européen à l’encontre de M. Carles Puigdemont Casamajó et, le 4 novembre 2019, des mandats d’arrêt européens à l’encontre de MM. Antoni Comín Oliveres, Puig Gordi ainsi que de Mme Clara Ponsatí Obiols. Alors que Mme Ponsatí Obiols avait été arrêtée au Royaume-Uni, les trois autres prévenus ont été arrêtés en Belgique et des
procédures relatives à l’exécution de ces mandats d’arrêt européens ont été ouvertes, en conséquence, dans cet État membre. Aucune des personnes recherchées n’a consenti à sa remise.

17. Du fait de leur élection en tant que membres du Parlement européen, les procédures visant MM. Puigdemont Casamajó et Comín Oliveres en Belgique ont été suspendues en raison de l’immunité parlementaire dont ils bénéficient en leur qualité de députés européens ( 10 ). Toutefois, la procédure concernant l’exécution du mandat d’arrêt européen émis à l’encontre de M. Puig Gordi a suivi son cours. C’est donc cette procédure qui se trouve au centre de la présente affaire.

18. Par ordonnance du 7 août 2020, la 27e chambre correctionnelle du tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles (Belgique) ( 11 ) a refusé l’exécution du mandat d’arrêt européen émis à l’encontre de M. Puig Gordi.

19. La juridiction de renvoi explique que le tribunal de première instance a estimé que la décision‑cadre 2002/584 lui permettait d’apprécier la compétence de l’autorité judiciaire d’émission pour délivrer un mandat d’arrêt européen. Il se serait, à cet égard, appuyé notamment sur la jurisprudence de la Cour relative à la qualification du ministère public de plusieurs États membres en tant qu’« autorité judiciaire » ( 12 ), sur les considérants 8 et 12 de la décision‑cadre 2002/584, ainsi que sur la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH) ( 13 ).

20. Le tribunal de première instance aurait procédé à la vérification effective de cette compétence et aurait conclu que le Tribunal Supremo (Cour suprême) n’était pas compétent pour connaître de la procédure visant M. Puig Gordi et, partant, pour émettre le mandat d’arrêt européen à son encontre. Il aurait fondé cette appréciation sur les opinions du Groupe de travail sur la détention arbitraire du Conseil des droits de l’homme de l’Assemblée générale des Nations unies ( 14 ), concernant des
personnes impliquées dans les mêmes faits ainsi que sur la jurisprudence de la Cour EDH ( 15 ) et sur d’autres dispositions du droit espagnol et du droit belge.

21. L’appel interjeté par le ministère public belge a été rejeté par un arrêt de la chambre des mises en accusation de la cour d’appel de Bruxelles (Belgique) du 7 janvier 2021 ( 16 ), confirmant, en conséquence, l’ordonnance attaquée ainsi que le refus d’exécuter le mandat d’arrêt européen émis à l’encontre de M. Puig Gordi. Pour aboutir à la conclusion selon laquelle la compétence de l’autorité judiciaire d’émission ne semble pas être fondée sur une disposition légale expresse, la cour d’appel se
serait référée à un rapport du Groupe de travail sur la détention arbitraire, du 27 mai 2019, sur la jurisprudence de la Cour EDH ainsi que sur un document expliquant la compétence du Tribunal Supremo (Cour suprême), fourni par ce dernier le 11 mars 2021.

22. Dans ce contexte, la juridiction de renvoi indique qu’elle doit statuer sur le maintien ou le retrait des mandats d’arrêt européens existants et sur la question de l’éventuelle délivrance de nouveaux mandats d’arrêt européens à l’encontre de tous les coprévenus dans cette affaire ou à l’encontre de certains d’entre eux.

23. Plus précisément, s’agissant de M. Puig Gordi, cette juridiction indique que le présent renvoi préjudiciel lui permettra d’apprécier s’il est possible de réitérer la demande de remise, en émettant, le cas échéant, un nouveau mandat d’arrêt européen à son encontre, alors que l’autorité judiciaire du même État membre d’exécution a refusé la remise de cette personne sur la base de motifs qui pourraient être contraires à la décision‑cadre 2002/584.

24. La juridiction de renvoi nourrit des doutes sur le pouvoir dont disposerait l’autorité judiciaire chargée de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, d’une part, d’apprécier la compétence de l’autorité judiciaire d’émission, en vertu du droit national de l’État membre d’émission, pour juger les prévenus et, d’autre part, de refuser l’exécution de ce mandat pour une prétendue violation des droits fondamentaux du prévenu qui découlerait de la méconnaissance de cette compétence. Cette juridiction
évoque, à cet égard, plusieurs arguments.

25. En premier lieu, s’agissant de la question de savoir si l’autorité judiciaire d’exécution peut vérifier si l’autorité judiciaire d’émission était effectivement investie de la compétence requise pour connaître du fond de l’affaire, en tant que condition essentielle de la compétence pour délivrer un mandat d’arrêt européen, la juridiction de renvoi estime qu’un tel pouvoir devrait découler soit d’une règle formelle du droit de l’Union, soit d’une interprétation de ce droit qui irait dans ce sens.

26. Or, cette juridiction observe notamment qu’une telle possibilité ne saurait trouver son fondement dans le libellé des articles 3, 4 et 4 bis de la décision‑cadre 2002/584, relatifs aux motifs obligatoires ou facultatifs de refus d’exécution, et ne saurait non plus être déduite d’une interprétation large de cette décision‑cadre ou de l’article 6, paragraphe 1, de celle-ci, sachant que le principe qu’elle établit à son article 1er, paragraphe 2, est l’exécution du mandat d’arrêt européen, alors
qu’un potentiel refus constitue l’exception, qui doit donc être interprétée de manière stricte.

27. En deuxième lieu, dans l’hypothèse où un pouvoir de contrôler la compétence de l’autorité judiciaire d’émission serait reconnu par la Cour à l’autorité judiciaire d’exécution, la juridiction de renvoi s’interroge sur les éléments dont celle-ci devrait tenir compte dans le cadre d’un tel contrôle.

28. À cet égard, cette juridiction estime que la compétence de l’autorité judiciaire d’émission d’un mandat d’arrêt européen ne devrait être déterminée qu’en vertu du droit national de l’État membre d’émission. Or, admettre que l’autorité judiciaire d’exécution puisse interpréter le droit national de cet État donnerait naissance à une situation incohérente et intenable puisque l’autorité judiciaire d’exécution serait tenue d’interpréter et d’appliquer un droit qui lui est étranger et qu’elle n’est
même pas censée connaître.

29. En l’occurrence, la juridiction de renvoi considère que les deux juridictions belges ont interprété le droit espagnol de façon erronée. Ces juridictions auraient également ignoré les nombreuses décisions de la juridiction de renvoi ayant tranché le problème relatif à sa compétence ainsi que la circonstance que le débat a été porté devant le Tribunal Constitucional (Cour constitutionnelle, Espagne), lequel aurait confirmé la compétence de la juridiction de renvoi notamment dans un arrêt du
17 février 2021 ( 17 ). Les juridictions belges n’auraient ainsi tenu compte ni de l’interprétation retenue par les juridictions espagnoles ni de la circonstance que les parties ont bénéficié d’un recours juridictionnel de premier et de second degré contre les mandats d’arrêt européens délivrés.

30. En troisième lieu, pour ce qui est de la portée qu’il convient d’accorder au mécanisme de demande d’informations complémentaires prévu à l’article 15, paragraphe 2, de la décision‑cadre 2002/584, la juridiction de renvoi estime que l’autorité judiciaire d’exécution n’en a pas fait un usage suffisant. En effet, cette autorité aurait dû demander à l’autorité judiciaire d’émission des informations complémentaires afin de lui permettre de fournir des éléments tirés de son droit interne, en
particulier les nombreuses décisions ayant statué sur la question de la compétence de l’autorité judiciaire d’émission pour connaître du fond de l’affaire.

31. En quatrième lieu, la juridiction de renvoi relève que, pour refuser le mandat d’arrêt européen en cause, la cour d’appel s’est fondée sur l’article 4, paragraphe 5, point 5, de la loi relative au mandat d’arrêt européen ( 18 ), du 19 décembre 2003, qui prévoit que l’exécution d’un mandat d’arrêt européen est obligatoirement refusée s’il y a des raisons sérieuses de croire que celle-ci aurait pour effet de porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne concernée. Or, ce motif de
non-exécution ne ferait pas partie de ceux qui sont expressément mentionnés dans la décision‑cadre 2002/584.

32. Par ailleurs, cette juridiction considère qu’un refus d’exécution qui serait déduit de l’article 1er, paragraphe 3, de cette décision‑cadre ne devrait, conformément à la jurisprudence de la Cour, intervenir que dans des circonstances exceptionnelles, caractérisées jusqu’à présent, s’agissant du droit fondamental à un procès équitable garanti par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, par l’existence de défaillances systémiques ou généralisées en ce qui concerne l’indépendance du pouvoir
judiciaire de l’État membre d’émission.

33. En outre, en retenant comme élément à l’appui de son appréciation le rapport du Groupe de travail sur la détention arbitraire, du 27 mai 2019, la cour d’appel n’aurait pas satisfait à l’exigence selon laquelle l’autorité judiciaire d’exécution doit disposer d’éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés pour pouvoir constater un risque grave, réel, spécifique et individuel de violation des droits fondamentaux de la personne recherchée.

34. Dans ce contexte, le Tribunal Supremo (Cour suprême) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) La [décision‑cadre 2002/584] autorise-t-elle l’autorité judiciaire d’exécution à refuser la remise de la personne recherchée par l’intermédiaire d’un mandat d’arrêt européen en se basant sur des motifs de refus qui sont prévus par son droit national, mais qui ne sont pas énoncés, en tant que tels, dans ladite décision‑cadre ?

2) En cas de réponse affirmative à la question précédente, en vue de garantir la viabilité d’un mandat d’arrêt européen et de recourir adéquatement au mécanisme prévu à l’article 15, paragraphe 3, de la [décision‑cadre 2002/584] :

L’autorité judiciaire d’émission doit-elle vérifier et analyser les droits des différents États afin de prendre en considération les éventuels motifs de refus d’un mandat d’arrêt européen qui ne sont pas prévus par la [décision‑cadre 2002/584] ?

3) À la lumière des réponses aux questions précédentes, et compte tenu du fait que l’article 6, paragraphe 1, de la [décision‑cadre 2002/584] prévoit que la compétence de l’autorité judiciaire d’émission pour délivrer un mandat d’arrêt européen est établie en vertu du droit de l’État d’émission :

Faut-il interpréter l’article 6, paragraphe 1, de la [décision‑cadre 2002/584] en ce sens que l’autorité judiciaire d’exécution peut mettre en doute la compétence de l’autorité judiciaire d’émission pour agir dans l’affaire pénale concernée et refuser la remise, au motif que l’autorité judiciaire d’émission n’est, selon elle, pas compétente pour délivrer le mandat d’arrêt européen ?

4) S’agissant des droits fondamentaux de la personne recherchée et de l’éventuel contrôle du respect de ces droits dans l’État d’émission par l’autorité judiciaire d’exécution :

a) La [décision‑cadre 2002/584] autorise-t-elle l’autorité judiciaire d’exécution à refuser la remise de la personne recherchée au motif qu’elle estime, sur la base du rapport d’un groupe de travail que celle‑ci lui présente, qu’il existe un risque de violation des droits fondamentaux de ladite personne dans l’État membre d’émission ?

b) Aux fins de la question précédente, un tel rapport constitue-t-il un élément objectif, fiable, précis et dûment actualisé, de nature à justifier, à la lumière de la jurisprudence de la Cour, le refus de remise de la personne recherchée en raison d’un risque sérieux d’atteinte à ses droits fondamentaux ?

c) En cas de réponse affirmative à la question précédente, de quels éléments un État membre doit-il disposer, au regard du droit de l’Union, pour constater que le risque de violation des droits fondamentaux dans l’État membre d’émission allégué par la personne recherchée existe et justifie de refuser l’exécution du mandat d’arrêt européen ?

5) Le fait que la personne dont la remise est demandée a pu invoquer la protection de ses droits fondamentaux devant les juridictions de l’État d’émission et contester, devant ces mêmes juridictions, la compétence de l’autorité judiciaire d’émission ainsi que le mandat d’arrêt européen délivré à son encontre, en bénéficiant même d’un double degré de juridiction, a-t-il une influence sur les réponses aux questions précédentes ?

6) Le fait que l’autorité judiciaire d’exécution refuse d’exécuter un mandat d’arrêt européen pour des motifs qui ne sont pas expressément prévus par la [décision‑cadre 2002/584], en se basant, en particulier, sur l’incompétence de l’autorité judiciaire d’émission ainsi que sur l’existence d’un risque sérieux de violation des droits fondamentaux dans l’État d’émission, et ce sans demander à l’autorité judiciaire d’émission les informations complémentaires spécifiques susceptibles d’affecter
cette décision, a-t-il une influence sur les réponses aux questions précédentes ?

7) S’il résulte des réponses aux questions précédentes que, dans les circonstances de l’espèce, la [décision‑cadre 2002/584] s’oppose au refus de remise d’une personne sur la base des motifs de refus précités :

La [décision‑cadre 2002/584] s’oppose-elle à ce que le Tribunal Supremo (Cour suprême) émette un nouveau mandat d’arrêt européen à l’encontre de la même personne et devant le même État membre ? »

35. MM. Puig Gordi, Puigdemont Casamajó, Comín Oliveres, Mmes Ponsatí Obiols, Marta Rovira Vergés, Anna Gabriel Sabaté, le Ministerio Fiscal, les gouvernements espagnol, belge, polonais et roumain ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites. Une audience de plaidoiries s’est tenue le 5 avril 2022.

III. Analyse

36. De manière générale, les questions posées par la juridiction de renvoi visent à ce que la Cour précise les conditions permettant à l’autorité judiciaire d’exécution de refuser de donner suite à un mandat d’arrêt européen en raison du risque de violation, en cas de remise de la personne recherchée à l’autorité judiciaire d’émission, du droit fondamental de cette personne à un procès équitable devant un tribunal établi par la loi, tel que consacré à l’article 6, paragraphe 1, de la convention de
sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ( 19 ), lequel correspond à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte.

37. Ces questions trouvent, pour la plupart, leur origine dans la motivation retenue par l’autorité judiciaire d’exécution afin de refuser d’exécuter le mandat d’arrêt européen émis à l’encontre de M. Puig Gordi.

A.   Sur la recevabilité des questions préjudicielles

38. Je prendrai rapidement position sur la recevabilité des questions préjudicielles en rappelant que, selon une jurisprudence constante, les questions portant sur le droit de l’Union bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une question préjudicielle posée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que l’interprétation ou l’appréciation de validité d’une règle de l’Union sollicitée n’a aucun rapport avec la réalité ou
l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées ( 20 ).

39. Or, dans son arrêt du 25 juillet 2018, AY (Mandat d’arrêt – Témoin) ( 21 ), la Cour a conclu à la recevabilité de questions posées par une autorité judiciaire d’émission en vue de déterminer l’étendue de la compétence d’une autorité judiciaire d’exécution à la suite de l’émission infructueuse de mandats d’arrêt européens ( 22 ).

40. Pour parvenir à cette conclusion, la Cour a, d’une part, pris en considération le fait que la juridiction de renvoi indiquait qu’elle saisissait la Cour afin d’adopter, en fonction des réponses apportées aux questions posées, une décision de retrait d’un mandat d’arrêt européen. Dès lors, il ne pouvait être prétendu que les questions posées n’avaient aucun rapport avec la réalité ou l’objet de la procédure pendante devant la juridiction de renvoi ni que le problème était de nature hypothétique (
23 ).

41. D’autre part, la Cour a jugé que la recevabilité d’une demande de décision préjudicielle n’est pas remise en cause par la circonstance que les questions posées portent sur les obligations de l’autorité judiciaire d’exécution, alors que la juridiction de renvoi est l’autorité judiciaire d’émission du mandat d’arrêt européen. En effet, l’émission d’un mandat d’arrêt européen a pour conséquence l’arrestation possible de la personne recherchée et, partant, porte atteinte à la liberté individuelle de
cette dernière. Or, la Cour a jugé que, s’agissant d’une procédure relative à un mandat d’arrêt européen, la garantie des droits fondamentaux relève, au premier chef, de la responsabilité de l’État membre d’émission ( 24 ).

42. En s’appuyant sur cette argumentation, la Cour a également indiqué, dans son arrêt Spetsializirana prokuratura (Déclaration des droits) que, aux fins d’assurer la garantie de ces droits, qui peut conduire une autorité judiciaire à prendre une décision d’émettre un mandat d’arrêt européen, il importe qu’une telle autorité dispose de la faculté de saisir la Cour à titre préjudiciel ( 25 ).

43. L’application de cette jurisprudence à la présente affaire ne fait, à mon avis, pas de doute. En effet, dans la mesure où le mécanisme du mandat d’arrêt européen se traduit concrètement par une relation entre deux autorités judiciaires, il doit être admis que l’une ou l’autre de ces autorités puisse saisir la Cour afin d’obtenir des précisions en vue de prévenir ou de résoudre d’éventuels dysfonctionnements de ce mécanisme. Comme l’indique à juste titre la Commission dans ses observations, il
convient d’éviter de créer une asymétrie dans la possibilité pour les juridictions de l’État membre d’émission ou de l’État membre d’exécution de saisir la Cour d’un renvoi préjudiciel. Le problème n’est pas hypothétique dès lors que sa résolution est nécessaire afin de permettre à l’autorité judiciaire d’émission de décider de retirer ou d’émettre un mandat d’arrêt européen dans le cadre de poursuites pénales qui sont en cours ( 26 ). De plus, l’application de cette jurisprudence ne requiert
pas, selon moi, que, en l’espèce, les questions posées par la juridiction de renvoi coïncident entièrement avec les motifs qui ont été retenus par la cour d’appel dans sa décision de refuser l’exécution du mandat d’arrêt européen en cause.

44. Sur le fond, j’examinerai dans les développements qui suivent les questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi en trois temps.

45. Dans un premier temps, je me pencherai sur la première question préjudicielle qui m’amènera à préciser si, et, le cas échéant, à quelles conditions, un État membre peut prévoir un motif de non-exécution qui n’est pas expressément prévu par la décision‑cadre 2002/584.

46. Dans un deuxième temps, j’examinerai ensemble les troisième à sixième questions préjudicielles qui invitent, en substance, à préciser les conditions dans lesquelles une autorité judiciaire d’exécution peut refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen en se fondant sur un motif tiré de ce que l’autorité judiciaire d’émission ne serait pas compétente pour émettre ce mandat d’arrêt européen et pour juger la personne recherchée.

47. Dans un troisième temps, je répondrai à la septième question préjudicielle, qui vise à savoir si, après qu’un refus d’exécution d’un mandat d’arrêt européen lui a été opposé, une autorité judiciaire d’émission est limitée dans sa possibilité d’émettre un nouveau mandat d’arrêt européen.

B.   Sur la première question préjudicielle

48. Par sa première question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la décision‑cadre 2002/584 doit être interprétée en ce sens qu’elle autorise une autorité judiciaire d’exécution à refuser l’exécution d’un mandat d’arrêt européen en se fondant sur un motif de non-exécution qui est prévu par son droit national, mais qui n’est pas énoncé dans cette décision‑cadre.

49. La Cour a déjà jugé que, dans le domaine régi par la décision‑cadre 2002/584, le principe de reconnaissance mutuelle, qui constitue, ainsi qu’il ressort notamment du considérant 6 de celle-ci, la « pierre angulaire » de la coopération judiciaire en matière pénale, trouve application à l’article 1er, paragraphe 2, de cette décision-cadre, qui consacre la règle selon laquelle les États membres sont tenus d’exécuter tout mandat d’arrêt européen sur la base du principe de reconnaissance mutuelle et
conformément aux dispositions de cette même décision-cadre. Les autorités judiciaires d’exécution ne peuvent donc, en principe, refuser d’exécuter un tel mandat que pour les motifs, exhaustivement énumérés, de non-exécution prévus par la décision‑cadre 2002/584 et l’exécution du mandat d’arrêt européen ne saurait être subordonnée qu’à l’une des conditions limitativement prévues à l’article 5 de cette décision‑cadre. Par conséquent, alors que l’exécution du mandat d’arrêt européen constitue le
principe, le refus d’exécution est conçu comme une exception qui doit faire l’objet d’une interprétation stricte ( 27 ).

50. Ainsi, la décision‑cadre 2002/584 énonce explicitement les motifs de non-exécution obligatoire (article 3) et facultative (articles 4 et 4 bis) du mandat d’arrêt européen, ainsi que les garanties à fournir par l’État membre d’émission dans des cas particuliers (article 5) ( 28 ).

51. La Cour a cependant étendu les cas dans lesquels il y a lieu de refuser l’exécution d’un mandat d’arrêt européen au-delà des motifs de non-exécution expressément mentionnés aux articles 3, 4 et 4 bis de cette décision‑cadre.

52. Elle a ainsi jugé, tout d’abord, qu’un refus d’exécution devait être opposé lorsque le mandat d’arrêt européen ne répondait pas aux exigences de régularité prévues à l’article 8, paragraphe 1, de ladite décision‑cadre ( 29 ). Elle a, ensuite, considéré que l’article 1er, paragraphe 3, de la décision‑cadre 2002/584 justifiait de mettre fin à une procédure d’exécution pour éviter, dans certains cas exceptionnels, une violation des droits fondamentaux ( 30 ). Elle a, enfin, estimé que le principe
de reconnaissance mutuelle ne valait que pour les mandats d’arrêt européens, au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de cette décision‑cadre, ce qui impliquait que ne devaient pas être exécutés des mandats d’arrêt européens qui n’ont pas été émis par une « autorité judiciaire », au sens de l’article 6, paragraphe 1, de ladite décision‑cadre ( 31 ), ou à la suite d’une procédure ne répondant pas à l’exigence d’une protection juridictionnelle effective ( 32 ).

53. Dans toutes ces hypothèses pouvant conduire une autorité judiciaire d’exécution à refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen, la Cour a toujours fondé son raisonnement sur des dispositions de la décision‑cadre 2002/584, le cas échéant lues à la lumière des articles 4 et 47 de la Charte.

54. En revanche, un motif de non-exécution prévu par le droit national d’un État membre qui ne trouverait pas son fondement dans une disposition de cette décision‑cadre, telle qu’interprétée par la Cour, ne saurait être admis.

55. Il s’ensuit que la décision‑cadre 2002/584 doit, à mon avis, être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce qu’une autorité judiciaire d’exécution refuse d’exécuter un mandat d’arrêt européen en se fondant sur un motif de non-exécution qui est prévu par son droit national, mais qui n’est pas énoncé dans cette décision‑cadre.

56. Afin de donner une réponse complète à la juridiction de renvoi, il me paraît cependant nécessaire de préciser que, dans la présente affaire, le motif de non-exécution qui est au centre des débats, et qui est celui sur lequel les juridictions belges se sont fondées pour refuser d’exécuter le mandat d’arrêt européen émis à l’encontre de M. Puig Gordi, résulte de l’article 4, paragraphe 5, point 5, de la loi relative au mandat d’arrêt européen, qui dispose que « [l]’exécution d’un mandat d’arrêt
européen est refusée [...] s’il y a des raisons sérieuses de croire que l’exécution du mandat d’arrêt européen aurait pour effet de porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne concernée, tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 [TUE] ».

57. Une disposition de ce type n’est pas rare dans le droit national des États membres ( 33 ) et constitue le reflet de l’attachement du législateur de l’Union à concevoir un mécanisme respectueux des droits fondamentaux de la personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen.

58. Je rappelle, à cet égard, que l’article 1er, paragraphe 3, de la décision‑cadre 2002/584, énonce que celle-ci « ne saurait avoir pour effet de modifier l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux tels qu’ils sont consacrés par l’article 6 [TUE] ». Les considérants 10, 12 et 13 de cette décision‑cadre sont également pertinents à cet égard ( 34 ).

59. Comme je l’ai indiqué précédemment, la Cour a admis que des limitations aux principes de reconnaissance et de confiance mutuelles entre États membres puissent être apportées « dans des circonstances exceptionnelles » ( 35 ), en fondant son raisonnement notamment sur l’article 1er, paragraphe 3, de la décision‑cadre 2002/584 ( 36 ).

60. Les développements qui suivent me conduiront à rappeler que les conditions qu’une autorité judiciaire d’exécution doit respecter pour être fondée à refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen, si elle a des raisons sérieuses de croire que l’exécution de celui-ci aurait pour effet de porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne concernée, doivent être interprétées de manière stricte afin de garantir qu’un refus d’exécution conserve un caractère exceptionnel.

61. Compte tenu des éléments que je viens d’exposer, il ne me paraît pas critiquable, en tant que tel, qu’un État membre mentionne dans son droit national la possibilité pour une autorité judiciaire d’exécution de refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen pour de telles raisons, dans la mesure où la Cour s’est elle-même fondée sur l’article 1er, paragraphe 3, de la décision‑cadre 2002/584 pour admettre que des limitations aux principes de reconnaissance et de confiance mutuelles entre États
membres puissent être apportées. Toutefois, j’apporte immédiatement une nuance importante, en ce que, bien entendu, une disposition nationale, telle que l’article 4, paragraphe 5, point 5, de la loi relative au mandat d’arrêt européen, doit, comme toute disposition nationale qui met en œuvre le droit de l’Union, être interprétée conformément à celui-ci. Une autorité judiciaire d’exécution ne saurait donc s’appuyer sur une telle disposition pour refuser de façon obligatoire et automatique
d’exécuter un mandat d’arrêt européen en cas de violation alléguée des droits fondamentaux de la personne concernée ( 37 ), en faisant abstraction du corpus jurisprudentiel qui délimite strictement les conditions dans lesquelles un tel refus peut, à titre exceptionnel, être opposé à l’autorité judiciaire d’émission.

62. Par conséquent, je propose de répondre à la première question préjudicielle que la décision‑cadre 2002/584 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce qu’une autorité judiciaire d’exécution refuse d’exécuter un mandat d’arrêt européen en se fondant sur un motif de non-exécution qui est prévu par son droit national, mais qui n’est pas énoncé dans cette décision‑cadre. En revanche, ladite décision‑cadre ne s’oppose pas à une disposition nationale qui met en œuvre l’article 1er,
paragraphe 3, de la même décision‑cadre, en prévoyant la possibilité pour une autorité judiciaire d’exécution de refuser de donner suite à un mandat d’arrêt européen si elle a des raisons sérieuses de croire que l’exécution de celui-ci aurait pour effet de porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne concernée, à condition que cette disposition soit appliquée conformément à la jurisprudence de la Cour qui fixe les conditions strictes dans lesquelles un tel refus peut intervenir.

63. Compte tenu de la réponse à la première question préjudicielle que je propose à la Cour de retenir, il n’y a, selon moi, pas lieu de répondre à la deuxième question préjudicielle.

C.   Sur les troisième à sixième questions préjudicielles

64. Comme cela a été annoncé précédemment, j’examinerai ensemble les troisième à sixième questions préjudicielles, dans la mesure où elles visent toutes à préciser les conditions dans lesquelles une autorité judiciaire d’exécution peut refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen en se fondant sur un motif tiré de ce que l’autorité judiciaire d’émission ne serait pas compétente pour émettre ce mandat d’arrêt européen et pour juger la personne recherchée.

65. À cet égard, la juridiction de renvoi souhaite être éclairée sur plusieurs aspects. D’abord, un tel motif de non-exécution peut-il découler de l’article 6, paragraphe 1, de la décision‑cadre 2002/584 ? Ensuite, et c’est le cœur du problème soumis à la Cour, dans quelles conditions une autorité judiciaire d’exécution peut-elle, sur le fondement de l’article 1er, paragraphe 3, de cette décision-cadre, refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen au motif allégué d’un risque de violation du droit
fondamental à un procès équitable, protégé par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte ? Enfin, quelle influence peut avoir sur la réponse à cette dernière question, d’une part, la circonstance que la personne recherchée a pu, devant les juridictions de l’État membre d’émission, invoquer la protection de ses droits fondamentaux et contester la compétence de ces juridictions ainsi que, d’autre part, l’existence éventuelle d’une obligation, pour l’autorité judiciaire d’exécution qui envisage
de refuser l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, de demander à l’autorité judiciaire d’émission des informations complémentaires, en application de l’article 15, paragraphe 2, de ladite décision‑cadre.

1. Un motif de non-exécution tiré de ce que l’autorité judiciaire d’émission ne serait pas compétente pour émettre un mandat d’arrêt européen peut-il découler de l’article 6, paragraphe 1, de la décision‑cadre 2002/584 ?

66. J’observe que la décision‑cadre 2002/584, en particulier à ses articles 3, 4 et 4 bis, ne comporte aucune disposition prévoyant expressément un motif de non-exécution tiré de ce que l’autorité judiciaire d’émission ne serait pas compétente pour émettre un mandat d’arrêt européen. Par ailleurs, un tel motif de non-exécution ne me paraît pas non plus pouvoir être déduit de l’article 6, paragraphe 1, de cette décision‑cadre.

67. La Cour a déjà jugé que le principe de reconnaissance mutuelle présuppose que seuls les mandats d’arrêt européens, au sens de l’article 1er, paragraphe 1, de la décision‑cadre 2002/584, doivent être exécutés conformément aux dispositions de celle-ci, ce qui requiert qu’un tel mandat, qui est qualifié, dans cette disposition, de « décision judiciaire », soit émis par une « autorité judiciaire », au sens de l’article 6, paragraphe 1, de cette décision-cadre ( 38 ).

68. Je rappelle que, aux termes de cette disposition, « [l]’autorité judiciaire d’émission est l’autorité judiciaire de l’État membre d’émission qui est compétente pour délivrer un mandat d’arrêt européen en vertu du droit de cet État ».

69. De plus, l’article 6, paragraphe 3, de ladite décision‑cadre prévoit que « [c]haque État membre informe le secrétariat général du Conseil de l’autorité judiciaire compétente selon son droit interne ». En application de cette disposition, le Royaume d’Espagne a informé le Conseil que, en vertu de l’article 35 de la Ley 23/2014 de reconocimiento mutuo de resoluciones penales en la Unión Europea (loi 23/2014 sur la reconnaissance mutuelle des décisions judiciaires en matière pénale dans l’Union
européenne) ( 39 ), du 20 novembre 2014, les autorités judiciaires qui sont compétentes pour émettre un mandat d’arrêt européen sont le juge ou le tribunal saisi de l’affaire dans le cadre de laquelle il y a lieu d’émettre un tel mandat ( 40 ). Une correspondance existe ainsi entre la compétence d’une autorité judiciaire pour connaître d’une affaire et la compétence de cette autorité pour émettre un mandat d’arrêt européen à des fins de poursuites pénales.

70. Comme la Cour l’a jugé notamment dans son arrêt du 27 mai 2019, OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau) ( 41 ), les termes « autorité judiciaire », figurant à l’article 6, paragraphe 1, de la décision‑cadre 2002/584, ne se limitent pas à désigner les seuls juges ou juridictions d’un État membre, mais doivent s’entendre comme désignant, plus largement, les autorités participant à l’administration de la justice pénale de cet État membre, à la différence, notamment, des ministères ou des
services de police, qui relèvent du pouvoir exécutif ( 42 ).

71. En outre, selon la Cour, la notion d’« autorité judiciaire », au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la décision‑cadre 2002/584, implique que l’autorité concernée agisse de manière indépendante dans l’exercice de ses fonctions inhérentes à l’émission d’un mandat d’arrêt européen ( 43 ).

72. Si les critères qui permettent ainsi de cerner la notion d’« autorité judiciaire », au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la décision‑cadre 2002/584, ne sont pas respectés, l’autorité judiciaire d’exécution peut refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen. En revanche, lorsque ces critères sont respectés, je ne pense pas que le libellé de cette disposition, dans la mesure où il vise l’autorité judiciaire « qui est compétente pour délivrer un mandat d’arrêt européen en vertu du droit de cet
État » puisse être interprété comme conférant à l’autorité judiciaire d’exécution le pouvoir de vérifier la compétence de l’autorité judiciaire d’émission pour émettre le mandat d’arrêt européen en cause et de refuser l’exécution de ce mandat si elle estime que cette autorité n’est pas compétente.

73. En effet, admettre que l’article 6, paragraphe 1, de cette décision‑cadre habilite l’autorité judiciaire d’exécution à contrôler la compétence de l’autorité judiciaire d’émission irait à l’encontre du principe d’autonomie procédurale, en vertu duquel les États membres peuvent désigner, selon leur droit national, l’autorité judiciaire ayant compétence pour émettre un mandat d’arrêt européen ( 44 ). Dès lors, il n’appartient pas à l’autorité judiciaire d’exécution, compte tenu de la répartition
des fonctions entre elle et l’autorité judiciaire d’émission, de vérifier si cette dernière est compétente, conformément aux règles d’organisation et de procédure judiciaires de l’État membre d’émission, pour émettre un mandat d’arrêt européen. À partir du moment où un mandat d’arrêt européen émane d’une « autorité judiciaire », au sens de l’article 6, paragraphe 1, de ladite décision‑cadre, l’autorité judiciaire d’exécution doit présumer que l’autorité judiciaire d’émission respecte les règles
nationales définissant sa compétence.

74. En somme, si le sens et la portée de la notion d’« autorité judiciaire », au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la décision‑cadre 2002/584, ne sauraient être laissés à l’appréciation de chaque État membre ( 45 ), et si cette notion requiert, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme ( 46 ), les règles déterminant la compétence d’une telle autorité pour émettre un mandat d’arrêt européen relèvent de l’autonomie procédurale de l’État membre d’émission, dans laquelle l’autorité
judiciaire d’exécution ne saurait s’immiscer sur le fondement de cette disposition. Toute autre interprétation porterait atteinte au principe de reconnaissance mutuelle.

75. Ce qui vient d’être exposé est bien entendu sans préjudice du contrôle juridictionnel qui pourrait être effectué dans l’État membre d’émission, soit d’office, soit à l’initiative de la personne dont la remise est demandée, afin de vérifier si les règles nationales déterminant la compétence de l’autorité judiciaire d’émission ont été respectées.

76. Il découle de ces éléments que, selon moi, l’article 6, paragraphe 1, de la décision‑cadre 2002/584 doit être interprété en ce sens qu’il ne permet pas à une autorité judiciaire d’exécution de contrôler si une autorité judiciaire d’émission est compétente, en vertu du droit de l’État membre d’émission, pour émettre un mandat d’arrêt européen.

2. Dans quelles conditions une autorité judiciaire d’exécution peut-elle refuser, sur le fondement de l’article 1er, paragraphe 3, de la décision‑cadre 2002/584, d’exécuter un mandat d’arrêt européen en cas de risque allégué de violation du droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal établi préalablement par la loi, garanti par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte ?

77. Il s’agit maintenant de préciser les conditions dans lesquelles l’article 1er, paragraphe 3, de la décision‑cadre 2002/584, en tant que fondement d’une possible dérogation au principe de reconnaissance mutuelle, peut permettre à une autorité judiciaire d’exécution de refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen en cas de risque allégué de violation du droit fondamental de la personne recherchée à un procès équitable devant un tribunal établi préalablement par la loi, protégé par l’article 47,
deuxième alinéa, de la Charte.

78. J’indique d’emblée que la réponse à cette question doit, selon moi, être guidée par la prémisse de toute analyse en la matière, à savoir que « le principe de la confiance mutuelle entre les États membres a, dans le droit de l’Union, une importance fondamentale étant donné qu’il permet la création et le maintien d’un espace sans frontières intérieures. Or, ce principe impose, notamment en ce qui concerne l’espace de liberté, de sécurité et de justice, à chacun de ces États de considérer, sauf
dans des circonstances exceptionnelles, que tous les autres États membres respectent le droit de l’Union et, tout particulièrement, les droits fondamentaux reconnus par ce droit » ( 47 ).

79. Ce postulat de confiance réciproque dans les systèmes nationaux de protection des droits fondamentaux implique, comme la Cour l’a affirmé avec force dans son avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), que « lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union, les États membres peuvent être tenus, en vertu de ce même droit, de présumer le respect des droits fondamentaux par les autres États membres, de sorte qu’il ne leur est pas possible non seulement d’exiger d’un autre État membre un niveau de
protection national des droits fondamentaux plus élevé que celui assuré par le droit de l’Union, mais également, sauf dans des cas exceptionnels, de vérifier si cet autre État membre a effectivement respecté, dans un cas concret, les droits fondamentaux garantis par l’Union » ( 48 ). Depuis, dans le domaine du mandat d’arrêt européen, la Cour n’a pas dévié de la voie consistant à mettre l’accent sur le caractère exceptionnel que doit revêtir le contrôle par une autorité judiciaire d’exécution du
respect des droits fondamentaux dans l’État membre d’émission ( 49 ). Il s’agit là de l’expression, dans ce domaine, de ce que l’obligation pour les États membres de respecter les droits fondamentaux doit toujours s’inscrire dans le cadre de la structure et des objectifs de l’Union ( 50 ).

80. À cet égard, il y a lieu de rappeler que la décision‑cadre 2002/584 tend, par l’instauration d’un système simplifié et efficace de remise des personnes condamnées ou soupçonnées d’avoir enfreint la loi pénale, à faciliter et à accélérer la coopération judiciaire en vue de contribuer à réaliser l’objectif assigné à l’Union de devenir un espace de liberté, de sécurité et de justice en se fondant sur le degré de confiance élevé qui doit exister entre les États membres ( 51 ).

81. Par ailleurs, j’ai déjà indiqué que, pour atteindre cet objectif, le principe de reconnaissance mutuelle implique que l’exécution du mandat d’arrêt européen constitue le principe et que le refus d’exécution doit être conçu comme une exception à interpréter strictement ( 52 ).

82. Dans ce contexte, la Cour a admis, dans son arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire), que, à l’instar d’un risque réel de violation de l’article 4 de la Charte, un risque réel de violation du droit fondamental de la personne concernée à un procès équitable, tel qu’énoncé à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, était susceptible d’entraîner, à titre exceptionnel, le refus d’exécution d’un mandat d’arrêt européen.

83. En effet, « le degré de confiance élevé entre les États membres sur lequel repose le mécanisme du mandat d’arrêt européen se fonde sur la prémisse selon laquelle les juridictions pénales de l’État membre d’émission qui, à la suite de l’exécution d’un mandat d’arrêt européen, devront mener la procédure pénale de poursuites ou d’exécution d’une peine ou d’une mesure de sûreté privatives de liberté ainsi que la procédure pénale au fond répondent aux exigences inhérentes au droit fondamental à un
procès équitable, garanti par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte » ( 53 ). Selon la Cour, « ce droit fondamental revêt [...] une importance cardinale en tant que garant de la protection de l’ensemble des droits que les justiciables tirent du droit de l’Union et de la préservation des valeurs communes aux États membres énoncées à l’article 2 TUE, notamment de la valeur de l’État de droit » ( 54 ).

84. Le respect des exigences inhérentes au droit fondamental à un procès équitable, garanti par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, constitue donc le socle qui conditionne un fonctionnement du mécanisme du mandat d’arrêt européen respectueux des droits dont bénéficient les personnes qui font l’objet d’un mandat d’arrêt européen.

85. À cet égard, il ne fait pas de doute que, en tant qu’autorités qui doivent mettre en œuvre la décision‑cadre 2002/584, les autorités judiciaires d’émission et d’exécution sont tenues de respecter les droits fondamentaux protégés par la Charte. Cela étant, pour que le système de remise mis en place par cette décision-cadre puisse fonctionner, les responsabilités à ce sujet sont, conformément au principe de confiance mutuelle, réparties entre ces deux autorités. En effet, si l’autorité judiciaire
d’émission et l’autorité judiciaire d’exécution étaient habilitées à procéder aux mêmes vérifications, l’efficacité et la rapidité de la remise seraient compromises. De plus, la confiance mutuelle est, par nature, contraire à la réalisation de contrôles croisés par chaque autorité visant à vérifier le respect des droits fondamentaux dans l’État membre auquel appartient l’autre autorité. Le refus d’exécution d’un mandat d’arrêt européen fondé sur le constat par l’autorité judiciaire d’exécution
d’un risque de violation des droits fondamentaux dans l’État membre d’émission ne peut, dans cette logique, qu’avoir un caractère exceptionnel.

86. C’est ce que la Cour a exprimé en jugeant que, « s’il appartient au premier chef à chaque État membre, aux fins de garantir la pleine application des principes de confiance et de reconnaissance mutuelles qui sous-tendent le fonctionnement de ce mécanisme, d’assurer, sous le contrôle ultime de la Cour, la préservation des exigences inhérentes [au droit fondamental à un procès équitable, garanti par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte], en s’abstenant de toute mesure susceptible d’y porter
atteinte [...], l’existence d’un risque réel que la personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen subisse, en cas de remise à l’autorité judiciaire d’émission, une violation de ce même droit fondamental est susceptible de permettre à l’autorité judiciaire d’exécution de s’abstenir, à titre exceptionnel, de donner suite à ce mandat d’arrêt européen, sur le fondement de l’article 1er, paragraphe 3, de cette décision‑cadre » ( 55 ).

87. Ainsi, l’existence d’un risque réel que la personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen subisse, en cas de remise à l’autorité judiciaire d’émission, une violation de son droit fondamental à un procès équitable est de nature à modifier, à titre exceptionnel, la répartition des responsabilités qui incombent respectivement à l’autorité judiciaire d’émission et à l’autorité judiciaire d’exécution. Je rappelle, à cet égard, que, s’agissant d’une procédure relative à un mandat d’arrêt
européen, la garantie du respect des droits de la personne dont la remise est demandée relève au premier chef de la responsabilité de l’État membre d’émission, dont il y a lieu de présumer qu’il respecte le droit de l’Union et, en particulier, les droits fondamentaux reconnus par ce dernier ( 56 ).

88. La possibilité pour une autorité judiciaire d’exécution de renverser cette présomption en contrôlant l’existence d’un risque de violation des droits fondamentaux dans l’État membre d’émission, pouvant conduire cette autorité à refuser l’exécution d’un mandat d’arrêt européen sur le fondement de l’article 1er, paragraphe 3, de la décision‑cadre 2002/584, a été encadrée strictement par la Cour qui a exigé, dès l’arrêt Aranyosi et Căldăraru, et de façon constante depuis, le respect d’un examen en
deux étapes qui conjugue une appréciation sur un plan systémique avec un examen sur un plan individuel de l’existence du risque allégué.

89. La Cour a ainsi jugé que « lorsque l’autorité judiciaire d’exécution appelée à décider de la remise d’une personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen dispose d’éléments témoignant de l’existence de défaillances systémiques ou généralisées concernant l’indépendance du pouvoir judiciaire de l’État membre d’émission, elle ne saurait toutefois présumer qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que cette personne court un risque réel de violation de son droit fondamental à un
procès équitable en cas de remise à ce dernier État membre, sans procéder à une vérification concrète et précise qui tienne compte, notamment, de la situation personnelle de ladite personne, de la nature de l’infraction en cause et du contexte factuel dans lequel cette émission s’inscrit, tel que des déclarations ou des actes d’autorités publiques susceptibles d’interférer dans le traitement à réserver à un cas individuel » ( 57 ).

90. Dans le cadre de cet examen en deux étapes, « l’autorité judiciaire d’exécution doit, dans un premier temps, déterminer s’il existe des éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés tendant à démontrer l’existence d’un risque réel de violation, dans l’État membre d’émission, du droit fondamental à un procès équitable garanti par cette disposition, en raison de défaillances systémiques ou généralisées en ce qui concerne l’indépendance du pouvoir judiciaire de cet État membre » ( 58 ).

91. Dans un second temps, « l’autorité judiciaire d’exécution doit vérifier, de manière concrète et précise, dans quelle mesure les défaillances constatées lors de la première étape sont susceptibles d’avoir une incidence au niveau des juridictions dudit État membre compétentes pour connaître des procédures dont la personne concernée fera l’objet et si, eu égard à la situation personnelle de cette personne, à la nature de l’infraction pour laquelle cette dernière est poursuivie et au contexte
factuel dans lequel l’émission de ce mandat d’arrêt s’inscrit, et compte tenu des informations éventuellement fournies par le même État membre en application de l’article 15, paragraphe 2, de la décision‑cadre 2002/584, il existe des motifs sérieux et avérés de croire que ladite personne court un tel risque en cas de remise à ce dernier » ( 59 ).

92. Dans son arrêt Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission), la Cour a affirmé, à propos du processus de nomination des juges dans l’État membre d’émission, la nécessité d’un examen en deux étapes dans l’hypothèse où est en cause la garantie, également inhérente au droit fondamental à un procès équitable, consacré par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, relative à un tribunal établi préalablement par la loi, et elle a précisé les conditions et les
modalités d’application de cet examen.

93. L’examen en deux étapes dans cette hypothèse a été justifié par trois considérations.

94. Premièrement, la Cour a souligné les liens indissociables qui existent, aux fins du droit fondamental à un procès équitable, entre les garanties d’indépendance et d’impartialité des juges ainsi que d’accès à un tribunal établi préalablement par la loi ( 60 ). Deuxièmement, la Cour a mis en avant la nécessité de mettre en balance le respect des droits fondamentaux des personnes dont la remise est demandée avec d’autres intérêts, tels que la protection des droits des victimes et la lutte contre
l’impunité, ce qui implique pour l’autorité judiciaire d’exécution de ne pas limiter son examen à celui de la première étape ( 61 ). Troisièmement, la Cour a mis en garde contre une approche qui conduirait à une suspension dans les faits de la mise en œuvre du mécanisme du mandat d’arrêt européen à l’égard de cet État membre, en méconnaissance de la compétence du Conseil européen et du Conseil à cet égard ( 62 ).

95. Je considère que le raisonnement ainsi tenu par la Cour dans son arrêt Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission), qui repose en grande partie sur la nécessité de conserver son caractère exceptionnel au refus d’exécution d’un mandat d’arrêt européen en raison d’un risque allégué de violation du droit fondamental de la personne recherchée à un procès équitable par un tribunal établi préalablement par la loi, consacré par l’article 47, deuxième alinéa, de la
Charte, doit être réitéré dans le cadre de la présente affaire, et ce pour deux raisons principales.

96. En premier lieu, le risque allégué dans le cadre de la présente affaire a trait à la violation de la même exigence inhérente au droit fondamental à un procès équitable, à savoir celle relative à un tribunal établi préalablement par la loi, même si ici ce n’est pas le processus de nomination des juges dans l’État membre d’émission qui est en cause, mais le respect des règles légales déterminant les compétences respectives des juridictions de cet État.

97. En second lieu, soumettre l’évaluation d’un risque réel de violation de ce droit fondamental en cas de remise à un examen en deux étapes me paraît indispensable pour que le refus d’exécution d’un mandat d’arrêt européen fondé sur un tel risque demeure véritablement exceptionnel.

98. J’examinerai successivement ces deux points.

a) La nécessité d’un examen en deux étapes en cas de risque allégué de violation du droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal établi préalablement par la loi en ce qui concerne le respect des règles légales déterminant la compétence des juridictions de l’État membre d’émission

99. Parmi les composantes de la garantie relative à un tribunal établi préalablement par la loi figure l’exigence selon laquelle la compétence de ce tribunal doit reposer sur une base légale. Je rappelle que, dans la mesure où la Charte énonce des droits correspondant à ceux garantis par la CEDH, l’article 52, paragraphe 3, de la Charte vise à assurer la cohérence nécessaire entre les droits contenus dans celle-ci et les droits correspondants garantis par la CEDH, sans que cela porte atteinte à
l’autonomie du droit de l’Union. Selon les explications relatives à la charte des droits fondamentaux ( 63 ), l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte correspond à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH. La Cour doit, dès lors, veiller à ce que l’interprétation qu’elle effectue de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte assure un niveau de protection qui ne méconnaît pas celui garanti à l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, tel qu’interprété par la Cour EDH ( 64 ).

100. La notion de « tribunal établi par la loi », avec celles d’« indépendance » et d’« impartialité » d’un tribunal, font partie des « exigences institutionnelles » de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH. Dans la jurisprudence de la Cour EDH, ces notions ont des liens très étroits ( 65 ).

101. La Cour EDH a jugé que, si les exigences institutionnelles de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH poursuivent chacune un but précis qui font d’elles des garanties spécifiques d’un procès équitable, elles ont ceci en commun qu’elles tendent au respect des principes fondamentaux que sont la prééminence du droit et la séparation des pouvoirs, en précisant, à cet égard, qu’à la base de chacune de ces exigences se trouve l’impératif de préserver la confiance que le pouvoir judiciaire se doit
d’inspirer au justiciable et l’indépendance de ce pouvoir à l’égard des autres pouvoirs ( 66 ). La Cour a intégré ces éléments de définition dans sa jurisprudence ( 67 ).

102. Par ailleurs, la Cour EDH a interprété la notion de « tribunal établi par la loi » comme signifiant un « tribunal établi conformément à la loi » ( 68 ). À l’instar d’irrégularités dans le processus de nomination des juges ( 69 ), la violation de règles de droit interne qui régissent la compétence d’un tribunal pour statuer sur une affaire est susceptible de heurter l’exigence d’un « tribunal établi par la loi » ( 70 ). En effet, la « loi » visée par l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH
comprend notamment la législation relative à l’établissement et à la compétence des organes judiciaires ( 71 ). En conséquence, selon la Cour EDH, « si au regard du droit interne un tribunal n’est pas compétent pour juger un accusé, il n’est pas “établi par la loi” au sens de cette disposition » ( 72 ).

103. Il convient, à cet égard, de préciser que, selon la Cour EDH, l’introduction des termes « établi par la loi » dans l’article 6 de la CEDH a pour objet d’éviter que l’organisation du système judiciaire dans une société démocratique ne soit laissée à la discrétion du pouvoir exécutif et de faire en sorte que cette organisation soit régie par une loi émanant d’un Parlement ( 73 ). Par ailleurs, selon cette même Cour, « [d]ans des pays de droit codifié, l’organisation du système judiciaire ne
saurait pas davantage être laissée à la discrétion des autorités judiciaires, ce qui n’exclut cependant pas de leur reconnaître un certain pouvoir d’interprétation de la législation nationale en la matière » ( 74 ).

104. Il découle de ces éléments que l’origine légale des règles déterminant la compétence des juridictions et le respect de ces règles par ces dernières présentent des liens indissociables avec les garanties d’indépendance et d’impartialité des juges. Cela contribue, plus largement, à garantir la prééminence du droit et la séparation des pouvoirs, en préservant ainsi la confiance que le pouvoir judiciaire se doit d’inspirer au justiciable et l’indépendance de ce pouvoir à l’égard des autres
pouvoirs.

105. Ainsi, les garanties d’accès à un tribunal indépendant, impartial et préalablement établi par la loi représentent la pierre angulaire du droit à un procès équitable. La vérification du point de savoir si une juridiction constitue un tribunal établi par la loi, lorsque surgit un doute sérieux quant à la compétence d’une juridiction, est nécessaire à la confiance que les tribunaux d’une société démocratique se doivent d’inspirer au justiciable ( 75 ).

106. Il s’ensuit que, à l’instar de ce que la Cour a jugé dans son arrêt Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) à propos du processus de nomination des juges, un examen en deux étapes doit également être mené par l’autorité judiciaire d’exécution en cas de risque allégué de violation de la garantie relative à un tribunal établi préalablement par la loi en raison d’irrégularités relatives à la compétence des juridictions de l’État membre d’émission.

b) Un examen en deux étapes justifié par la nécessité de conserver son caractère exceptionnel au refus d’exécution fondé sur un risque allégué de violation du droit fondamental à un procès équitable

107. Un éventuel défaut de compétence de l’autorité judiciaire d’émission pourrait s’avérer problématique aussi bien au stade de l’émission d’un mandat d’arrêt européen que s’il devait impliquer que l’exécution de ce mandat entraîne le jugement de la personne poursuivie par une juridiction incompétente. Le rôle que l’autorité judiciaire d’exécution doit jouer lorsqu’un problème de compétence de l’autorité judiciaire d’émission est allégué devant elle a été débattu devant la Cour.

108. Jusqu’à présent, la Cour s’est surtout attachée à justifier la nécessité pour l’autorité judiciaire d’exécution, après avoir accompli la première étape de son examen, de procéder à la seconde étape de son examen. En effet, la Cour a été saisie, à ce jour, d’affaires dans lesquelles la personne recherchée dénonçait des défaillances systémiques ou généralisées dans l’État membre d’émission. Dans ce contexte spécifique, l’exigence d’un contrôle en deux étapes permet surtout de s’assurer que la
seule démonstration de défaillances systémiques ou généralisées ne conduira pas à entraver l’application de la décision‑cadre 2002/584, alors que la personne recherchée n’est, en pratique, exposée à aucun risque réel à titre individuel.

109. Or, dans le cadre de la présente affaire, l’enjeu est différent, puisqu’il est de savoir si une autorité judiciaire d’exécution peut fonder son refus d’exécution d’un mandat d’arrêt européen sur un risque individuel de violation de la garantie relative à un tribunal établi préalablement par la loi qui ne trouve pas sa source dans l’existence de défaillances systémiques ou généralisées dans le fonctionnement du système judiciaire de l’État membre d’émission. Ainsi, la question est ici de savoir
non pas si l’existence de telles défaillances systémiques ou généralisées est suffisante, mais si elle est nécessaire pour permettre à une autorité judiciaire d’exécution de refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen sur le fondement de l’article 1er, paragraphe 3, de la décision‑cadre 2002/584, lorsqu’un risque de violation du droit fondamental à un procès équitable par un tribunal établi préalablement par la loi, garanti par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, est allégué.

110. Il me semble que les termes essentiels du débat qui s’est déroulé à ce sujet devant la Cour peuvent être résumés de la manière suivante, en faisant état des deux thèses qui s’affrontent.

111. Selon la première thèse, le constat relatif à l’existence de défaillances systémiques ou généralisées dans le fonctionnement du système judiciaire de l’État membre d’émission ne constituerait pas une étape imposée afin de permettre à l’autorité judiciaire d’exécution de vérifier l’existence d’un risque individuel et concret de violation du droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal établi par la loi dont doit bénéficier la personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen. À
cet égard, la circonstance que la Cour ait imposé jusqu’à maintenant la conduite par cette autorité d’un examen en deux étapes dans les affaires mettant en cause le respect de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte dans l’État membre d’émission s’expliquerait par le fait que, dans ces affaires, l’enjeu était de savoir si, en présence de défaillances systémiques ou généralisées, la seconde étape relative à l’appréciation d’un risque de violation de ce droit fondamental sur le plan
individuel était nécessaire. La Cour ne se serait, en revanche, pas prononcée sur la question de savoir si la première étape est toujours requise.

112. Les tenants de cette première thèse font ainsi, en quelque sorte, pencher la balance entre la confiance mutuelle et la protection du droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal établi par la loi en faveur de ce second élément. Par ailleurs, l’argumentation au soutien de cette thèse n’accorde pas une importance déterminante à la différence de nature qui existe entre les droits fondamentaux protégés par la Charte, selon qu’ils sont absolus ou bien susceptibles de se voir appliquer
des limitations.

113. À l’inverse, selon la seconde thèse, il y aurait lieu, s’agissant du droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal établi par la loi, garanti par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, d’exiger strictement le respect des deux étapes qui ont été définies par la Cour pour encadrer la vérification par l’autorité judiciaire d’exécution d’un risque réel de violation de ce droit dans l’État membre d’émission. Dans la mesure où, afin de ne pas mettre en péril la confiance mutuelle
que les États membres doivent s’accorder quant au bon fonctionnement de leurs systèmes judiciaires respectifs, la vérification menée à cet égard par l’autorité judiciaire d’exécution devrait avoir un caractère exceptionnel, cela signifierait que le constat relatif à l’existence de défaillances systémiques ou généralisées dans l’État membre d’émission serait impératif. En effet, seules de telles défaillances seraient de nature à créer un risque réel d’atteinte au contenu essentiel de ce droit
ou, en tout cas, un risque réel d’une violation suffisamment grave dudit droit. Certains tenants de cette thèse ont admis qu’une différence pouvait, à cet égard, exister selon que le risque de violation allégué concerne un droit, tel que celui protégé par l’article 4 de la Charte, qui présente un caractère absolu, ou bien tel que celui garanti par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, qui peut être limité.

114. Les tenants de cette seconde thèse font ainsi, pour dire les choses simplement, pencher la balance en faveur de la confiance mutuelle qui ne devrait pouvoir être mise en cause par l’autorité judiciaire d’exécution que dans des cas exceptionnels, lesquels devraient toujours, s’agissant de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, être caractérisés par l’existence de défaillances systémiques ou généralisées dans le fonctionnement du système judiciaire de l’État membre d’émission.

115. C’est cette seconde thèse qui emporte mon adhésion, dans la mesure où elle contribue, en concevant le refus d’exécution d’un mandat d’arrêt européen comme une exception qui doit faire l’objet d’une interprétation stricte, à garantir l’effectivité du système de coopération judiciaire entre les États membres, dont ce mandat constitue l’un des éléments essentiels.

116. À cet effet, il me paraît indispensable de préserver autant que possible la répartition des responsabilités qui incombent à l’État membre d’émission et à l’État membre d’exécution. Comme je l’ai indiqué auparavant, c’est à l’État membre d’émission qu’il revient au premier chef de faire en sorte que la décision d’émettre un mandat d’arrêt européen respecte les droits que la personne qui en fait l’objet tire du droit de l’Union, dont font partie les droits fondamentaux protégés par la Charte.
L’État membre d’émission doit, à cette fin, garantir une protection juridictionnelle effective à cette personne, notamment en mettant en place les voies de recours nécessaires à ce contrôle ( 76 ). À partir du moment où aucune défaillance systémique ou généralisée dans le fonctionnement du système judiciaire de l’État membre d’émission ne peut être démontrée, il n’y a pas lieu pour l’autorité judiciaire d’exécution de douter de ce que, par le jeu des voies de recours juridictionnelles
disponibles dans cet État membre, la personne concernée pourra faire constater et, le cas échéant, corriger ou sanctionner une violation éventuelle de son droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal établi préalablement par la loi, garanti par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte. À cet égard, il est ressorti des débats devant la Cour que les personnes faisant l’objet des poursuites pénales en cause au principal ont à leur disposition des voies de recours dans l’État
membre d’émission afin de faire contrôler, jusqu’au niveau du Tribunal Constitucional (Cour constitutionnelle), le respect de ce droit fondamental ( 77 ). J’ajoute que, dans la majorité des cas, les difficultés tenant à la compétence des juridictions sont résolues par les règles procédurales de droit interne, que les juridictions de l’État membre d’émission sont les mieux à même d’appliquer, assurant ainsi la protection du droit fondamental à être jugé par un tribunal établi par la loi.

117. Ainsi, en l’absence d’allégations relatives à des défaillances systémiques ou généralisées dans le fonctionnement du système judiciaire de l’État membre d’émission, consistant en particulier dans des dysfonctionnements du système juridictionnel de cet État qui pourraient faire obstacle à ce qu’une violation du droit fondamental en cause puisse être constatée et, le cas échéant, corrigée ou sanctionnée par une juridiction dudit État, le principe de confiance mutuelle entre les États membres doit
jouer pleinement, de façon à ce que puisse être atteint l’objectif d’accélération et de simplification de la coopération judiciaire entre les États membres que poursuit la décision‑cadre 2002/584, en se fondant sur le degré de confiance élevé qui doit exister entre les États membres ( 78 ).

118. Or, permettre à l’autorité judiciaire d’exécution de vérifier dans un cas concret le respect du droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal établi préalablement par la loi dans l’État membre d’émission, en l’absence de défaillances systémiques ou généralisées dans le fonctionnement du système judiciaire de cet État membre, aboutirait à alourdir fortement la tâche de cette autorité, ce qui irait à l’encontre des exigences d’efficacité et de rapidité de la remise. Les faits à
l’origine de la présente affaire témoignent d’ailleurs des difficultés auxquelles l’autorité judiciaire d’exécution est confrontée dès lors qu’elle tente d’appliquer, d’interpréter ou même seulement de comprendre les règles procédurales de l’État membre d’émission.

119. Par conséquent, ce n’est, à mon avis, que dans des circonstances exceptionnelles, caractérisées par l’existence de défaillances systémiques ou généralisées dans le fonctionnement du système judiciaire de l’État membre d’émission, qu’un basculement peut s’opérer dans le partage des responsabilités entre l’autorité judiciaire d’émission et l’autorité judiciaire d’exécution, permettant alors à cette dernière de vérifier si cet État membre a effectivement respecté, dans un cas concret, le droit
fondamental à un procès équitable devant un tribunal établi préalablement par la loi, garanti par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte ( 79 ). Autrement dit, c’est seulement en cas de défaillances systémiques ou généralisées dans le fonctionnement du système judiciaire de l’État membre d’émission qu’il pourrait être dérogé, à titre exceptionnel, à la règle selon laquelle l’autorité judiciaire d’exécution ne doit pas procéder à une vérification du respect des droits fondamentaux dans
l’État membre d’émission, conformément à ce que la Cour a indiqué au point 192 de son avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH). Cette règle exige dès lors que l’admission de circonstances exceptionnelles soit enserrée dans des limites strictes ( 80 ).

120. Il ressort clairement, à cet égard, de la jurisprudence de la Cour que la première étape de l’examen que doit effectuer l’autorité judiciaire d’exécution constitue un préalable nécessaire à l’enclenchement de la seconde étape de cet examen. En effet, dans le cadre de cette seconde étape, « l’autorité judiciaire d’exécution doit apprécier si les défaillances systémiques ou généralisées constatées lors de la première étape de cet examen sont susceptibles de se concrétiser en cas de remise de la
personne concernée à l’État membre d’émission et si, dans les circonstances particulières de l’espèce, cette personne court ainsi un risque réel de violation de son droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal établi préalablement par la loi, consacré à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte » ( 81 ). Comme l’indique à juste titre la Commission, les deux étapes de l’examen à effectuer par l’autorité judiciaire d’exécution ont un caractère cumulatif et se succèdent dans une
séquence d’analyse qui doit être respectée par cette autorité.

121. En outre, par analogie avec ce que la Cour a jugé au point 62 de son arrêt Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission), je considère que, si la vérification d’un risque de violation de ce droit fondamental dans un cas concret était, à elle seule, suffisante pour permettre à l’autorité judiciaire d’exécution de refuser, le cas échéant, d’exécuter un mandat d’arrêt européen, la multiplication des contrôles que cette autorité pourrait être conduite à effectuer à
cet égard serait susceptible de porter atteinte à l’objectif de lutte contre l’impunité visé par la décision‑cadre 2002/584, ainsi que, le cas échéant, à d’autres intérêts, tels que la nécessité de respecter les droits fondamentaux des victimes des infractions concernées ( 82 ).

122. En somme, ce n’est qu’en présence de difficultés majeures dans le fonctionnement du système judiciaire de l’État membre d’émission, établies de façon rigoureuse et avec un degré suffisant de certitude, sur la base d’éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés, que l’autorité judiciaire d’exécution pourrait constater l’existence d’un risque réel de violation, dans cet État membre, du droit fondamental à un procès équitable garanti par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte. Il
en va, selon moi, de la réalisation de l’espace de liberté, de sécurité et de justice et, plus spécifiquement, de la mise en œuvre fluide et efficace du mécanisme de remise mis en place par la décision‑cadre 2002/584, fondé sur la confiance mutuelle et sur une présomption de respect par les États membres du droit de l’Union et, en particulier, des droits fondamentaux protégés par la Charte.

123. J’estime que la Cour devrait conserver cette approche en matière de mandat d’arrêt européen, même si elle a retenu une approche plus souple en matière d’asile, en cas de transfert d’un demandeur d’asile vers l’État membre responsable de l’examen de sa demande. Les deux domaines poursuivent, en effet, des finalités différentes ( 83 ). Par ailleurs, cette approche reposant sur un risque individuel et non systémique de violation des droits fondamentaux concerne l’article 4 de la Charte,
c’est-à-dire un droit absolu ( 84 ). En revanche, le droit à un procès équitable énoncé à l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte peut faire l’objet de limitations.

124. Or, l’objectif de mettre en place un système rapide et efficace de remise, en liaison avec celui visant à lutter contre l’impunité, n’est pas compatible avec une ouverture trop large de la possibilité pour une autorité judiciaire d’exécution de contrôler l’existence d’un risque de violation des droits fondamentaux dans l’État membre d’émission, en particulier s’agissant du droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal établi préalablement par la loi, qui ne constitue pas un droit
absolu ( 85 ).

125. Je souligne, par ailleurs, qu’il importe pour le bon fonctionnement du mécanisme du mandat d’arrêt européen de ne pas habiliter l’autorité judiciaire d’exécution à procéder à un contrôle qu’elle n’est pas en mesure d’effectuer. L’exercice consistant pour une telle autorité à vérifier la compétence de l’autorité judiciaire d’émission pour juger les personnes faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen et pour émettre un tel mandat relève par nature des juridictions de l’État membre d’émission
qui sont les mieux à même d’interpréter et d’appliquer les règles procédurales faisant partie de l’ordre juridique de cet État membre. À défaut de défaillances systémiques ou généralisées dans le fonctionnement du système judiciaire dudit État membre, il n’y a pas lieu pour l’autorité judiciaire d’exécution de procéder à une vérification qui serait l’expression d’une défiance à l’égard des juridictions de l’État membre d’émission. En aboutissant à un résultat qui serait à l’exact opposé de la
volonté initiale de bâtir la coopération judiciaire en matière pénale sur le socle que constituent conjointement la reconnaissance et la confiance mutuelles, ce serait ouvrir la voie à la déconstruction d’un édifice patiemment mis en place.

126. Il importe également, à mon avis, de se garder d’appliquer mécaniquement dans le contexte d’une violation alléguée du droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal établi préalablement par la loi, garanti par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, ce que la Cour a jugé à propos de l’existence d’une voie de recours permettant aux détenus de contester, dans le cadre d’un recours juridictionnel, la légalité de leurs conditions de détention au regard de l’article 4 de la Charte
dans l’État membre d’émission, à savoir qu’une telle voie de recours « ne saurait, à elle seule, suffire à écarter l’existence d’un risque réel que la personne concernée fasse l’objet d’un traitement inhumain ou dégradant dans l’État membre d’émission, au sens de l’article 4 de ladite Charte » ( 86 ). En effet, selon la Cour, un tel contrôle juridictionnel, bien qu’il puisse être pris en compte par l’autorité judiciaire d’exécution dans son appréciation globale des conditions prévisibles de
détention d’une personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen, « n’est pas, en tant que tel, de nature à écarter le risque que cette personne soit, à la suite de sa remise, soumise à un traitement incompatible avec l’article 4 de la Charte du fait de ses conditions de détention » ( 87 ).

127. Je considère, à cet égard, que la situation dans laquelle est allégué un risque de violation du droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal établi préalablement par la loi, garanti par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, en cas de remise de la personne recherchée, doit être distinguée de celle dans laquelle est invoqué un risque de violation de l’article 4 de la Charte en raison des conditions de détention dans l’État membre d’émission ( 88 ). En l’absence de
défaillances systémiques ou généralisées dans le fonctionnement du système judiciaire de l’État membre d’émission, la possibilité d’une protection juridictionnelle effective dans cet État membre du droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal établi préalablement par la loi, garanti par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, me paraît déterminante pour écarter l’existence d’un risque réel de violation de ce droit. En effet, s’agissant d’aspects procéduraux, le contrôle
juridictionnel qui peut être exercé dans l’État membre d’émission est de nature à remédier à une irrégularité éventuelle quant à la compétence de l’autorité judiciaire d’émission.

128. Je terminerai l’examen des troisième à sixième questions préjudicielles en formulant quelques considérations sur le contenu de la première étape de l’examen auquel l’autorité judiciaire d’exécution doit procéder.

129. Il ressort, à cet égard, de la jurisprudence de la Cour que, « [d]ans le cadre de la première étape de cet examen, l’autorité judiciaire d’exécution doit évaluer, sur le plan général, l’existence d’un risque réel de violation du droit fondamental à un procès équitable, notamment lié [...] à une méconnaissance de l’exigence d’un tribunal établi par la loi, en raison de défaillances systémiques ou généralisées dans cet État membre » ( 89 ). Une telle évaluation suppose une « appréciation
globale » ( 90 ), qui doit être fondée sur « des éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés » ( 91 ). Cette même évaluation doit être effectuée à l’aune du standard de protection du droit fondamental garanti par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte ( 92 ). À cet égard, la Cour a jugé, à propos de la procédure de nomination de juges, que toute irrégularité dans cette procédure ne saurait être considérée comme constituant une violation du droit fondamental à un tribunal
établi préalablement par la loi, au sens de cette disposition ( 93 ). Cela suppose, selon la Cour, qu’une irrégularité de ce type soient d’une nature et d’une gravité particulières ( 94 ).

130. La Cour a ainsi adopté un standard de protection de ce droit fondamental comparable à celui qui se dégage de la jurisprudence de la Cour EDH. En effet, si celle-ci estime qu’elle est compétente pour vérifier si le droit national respecte l’exigence d’un tribunal établi par la loi, elle considère cependant que, compte tenu du principe général selon lequel il revient en premier lieu aux juridictions nationales d’interpréter les dispositions du droit interne, elle ne peut mettre en doute leur
interprétation, sauf en cas de violation flagrante de ces dispositions ( 95 ). Je déduis de ces éléments tirés de la jurisprudence de la Cour EDH que ce n’est qu’en cas de violation manifeste de règles de droit national relatives à la compétence des organes judiciaires, qui dépasserait la marge d’interprétation de ce droit devant être reconnue aux juridictions nationales, qu’une violation de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH pourrait être constatée. Par conséquent, un seuil élevé de gravité
de cette violation est requis pour considérer que les principes fondamentaux qui sous-tendent l’exigence d’un « tribunal établi par la loi », au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la CEDH, ont été enfreints ( 96 ).

131. Exiger de l’autorité judiciaire d’exécution qu’elle vérifie l’existence de défaillances systémiques ou généralisées dans le fonctionnement du système judiciaire de l’État membre d’émission pour caractériser l’existence d’un risque réel de violation du droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal établi par la loi, garanti par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, dans cet État membre, me paraît cohérent avec l’exigence d’un seuil élevé de gravité que la Cour EDH a retenue
en matière de violation du droit à un « tribunal établi par la loi », au sens de l’article 6, paragraphe 1 de la CEDH. Par ailleurs, la Cour EDH a pris en compte, à plusieurs reprises, la spécificité d’un espace de liberté, de sécurité et de justice fondé sur le principe de reconnaissance mutuelle, la conciliation de plusieurs intérêts en jeu, ainsi que la nécessité pour l’autorité judiciaire d’exécution de s’appuyer sur une base factuelle suffisante ( 97 ).

132. En somme, l’exigence de défaillances systémiques ou généralisées dans le fonctionnement du système judiciaire de l’État membre d’émission est l’expression de ce que seul un risque de violation du droit fondamental à un procès équitable atteignant un seuil de gravité élevé est susceptible d’entraîner un refus d’exécution d’un mandat d’arrêt européen. En participant à garantir qu’un tel refus conserve un caractère exceptionnel, cette exigence préserve, en définitive, l’équilibre nécessaire entre
la protection de ce droit fondamental et les objectifs d’intérêt général que poursuit le mécanisme du mandat d’arrêt européen.

133. Je déduis de l’ensemble des éléments qui précèdent qu’une autorité judiciaire d’exécution ne saurait refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen lorsque, à l’instar de la cour d’appel de Bruxelles, elle exclut elle-même l’existence de défaillances systémiques ou généralisées dans le fonctionnement du système judiciaire de l’État membre d’émission puis exprime des doutes quant au respect du droit fondamental à un procès équitable de la personne dont la remise est demandée en se fondant sur un
rapport du Groupe de travail sur la détention arbitraire et sur des arrêts de la Cour EDH qui, s’ils peuvent constituer en théorie des éléments probants ( 98 ), n’étayent pas en l’occurrence l’existence de telles défaillances dans cet État membre. J’ajoute qu’un refus d’exécution ne saurait être fondé sur une interprétation incertaine du droit procédural de l’État membre d’émission et intervenir sans avoir sollicité de l’autorité judiciaire d’émission, en application de l’article 15,
paragraphe 2, de la décision‑cadre 2002/584, des informations complémentaires et actualisées sur l’existence de voies de recours et sur l’état du débat judiciaire dans cet État membre en ce qui concerne la vérification du point de savoir si la compétence de cette autorité est conforme à ce droit fondamental ( 99 ).

134. Au vu de l’ensemble de ces considérations, je propose à la Cour de répondre aux troisième à sixième questions préjudicielles que l’article 1er, paragraphe 3, de la décision‑cadre 2002/584 doit être interprété en ce sens que, lorsque l’autorité judiciaire d’exécution appelée à décider de la remise d’une personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen émis aux fins de l’exercice de poursuites pénales ne dispose pas d’éléments qui seraient de nature à démontrer, au moyen d’une appréciation
globale fondée sur des éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés, l’existence d’un risque réel de violation du droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal établi préalablement par la loi, garanti par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, en raison de défaillances systémiques ou généralisées dans le fonctionnement du système judiciaire de l’État membre d’émission, cette autorité ne saurait refuser de donner suite à ce mandat d’arrêt européen.

D.   Sur la septième question préjudicielle

135. Par sa septième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la décision‑cadre 2002/584 doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce qu’une autorité judiciaire d’émission émette un nouveau mandat d’arrêt européen à l’encontre de la même personne et à destination de la même autorité judiciaire d’exécution, lorsque cette dernière a refusé d’exécuter un précédent mandat d’arrêt européen dans des conditions contraires au droit de l’Union.

136. À cet égard, je constate d’emblée que la décision‑cadre 2002/584 ne comporte aucune disposition limitant l’émission de mandats d’arrêt européens. Par ailleurs, la Cour a déjà admis, à l’occasion d’examens de recevabilité, que plusieurs mandats d’arrêt européens pouvaient être émis successivement à l’encontre d’une même personne recherchée ( 100 ).

137. L’objectif de lutte contre l’impunité que poursuit la décision‑cadre 2002/584 milite d’ailleurs en faveur de la possibilité d’émettre plusieurs mandats d’arrêt européens à l’encontre de la même personne et à destination de la même autorité judiciaire d’exécution en vue de poursuivre pénalement cette personne ou bien d’exécuter la peine prononcée contre elle. Dans ces conditions, imposer une limite au nombre de mandats d’arrêt européens pouvant être délivrés reviendrait à remettre en cause
l’effectivité du système de coopération judiciaire entre les États membres et à affaiblir les efforts visant à une répression effective des infractions au sein de l’espace de liberté, de sécurité et de justice.

138. Cela vaut d’autant plus dans une situation où un précédent refus d’exécution se révèle être contraire au droit de l’Union. Dans une situation telle que celle en cause au principal, l’autorité judiciaire d’émission doit pouvoir tirer les conséquences de l’interprétation de la décision‑cadre 2002/584 qu’elle a sollicitée et qui lui est fournie par la Cour dans son arrêt rendu sur renvoi préjudiciel, en émettant, le cas échéant, un nouveau mandat d’arrêt européen. Dans cette perspective, cette
autorité reste bien entendu tenue d’examiner le point de savoir si, au regard des spécificités de l’espèce, l’émission de ce nouveau mandat revêt un caractère proportionné ( 101 ).

IV. Conclusion

139. Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Tribunal Supremo (Cour suprême, Espagne) de la manière suivante :

1) La décision‑cadre 2002/584/JAI du Conseil, du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009, doit être interprétée en ce sens qu’elle s’oppose à ce qu’une autorité judiciaire d’exécution refuse d’exécuter un mandat d’arrêt européen en se fondant sur un motif de non-exécution qui est prévu par son droit national, mais qui n’est pas énoncé dans cette
décision‑cadre. En revanche, ladite décision‑cadre ne s’oppose pas à une disposition nationale qui met en œuvre l’article 1er, paragraphe 3, de la même décision‑cadre, en prévoyant la possibilité pour une autorité judiciaire d’exécution de refuser de donner suite à un mandat d’arrêt européen si elle a des raisons sérieuses de croire que l’exécution de celui-ci aurait pour effet de porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne concernée, à condition que cette disposition soit
appliquée conformément à la jurisprudence de la Cour qui fixe les conditions strictes dans lesquelles un tel refus peut intervenir.

2) L’article 6, paragraphe 1, de la décision‑cadre 2002/584, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299, doit être interprété en ce sens qu’il ne permet pas à une autorité judiciaire d’exécution de contrôler si une autorité judiciaire d’émission est compétente, en vertu du droit de l’État membre d’émission, pour émettre un mandat d’arrêt européen.

3) L’article 1er, paragraphe 3, de la décision‑cadre 2002/584, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299, doit être interprété en ce sens que, lorsque l’autorité judiciaire d’exécution appelée à décider de la remise d’une personne faisant l’objet d’un mandat d’arrêt européen émis aux fins de l’exercice de poursuites pénales ne dispose pas d’éléments qui seraient de nature à démontrer, au moyen d’une appréciation globale fondée sur des éléments objectifs, fiables, précis et dûment
actualisés, l’existence d’un risque réel de violation du droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal établi préalablement par la loi, garanti par l’article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, en raison de défaillances systémiques ou généralisées dans le fonctionnement du système judiciaire de l’État membre d’émission, cette autorité ne saurait refuser de donner suite à ce mandat d’arrêt européen.

4) La décision‑cadre 2002/584, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299, doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à ce qu’une autorité judiciaire d’émission émette un nouveau mandat d’arrêt européen à l’encontre de la même personne et à destination de la même autorité judiciaire d’exécution, lorsque cette dernière a refusé d’exécuter un précédent mandat d’arrêt européen dans des conditions contraires au droit de l’Union, après avoir examiné si l’émission de ce nouveau
mandat revêt un caractère proportionné.

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( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) JO 2002, L 190, p. 1.

( 3 ) JO 2009, L 81, p. 24, ci-après la « décision-cadre 2002/584 ».

( 4 ) C‑404/15 et C‑659/15 PPU, ci-après l’« arrêt Aranyosi et Căldăraru », EU:C:2016:198.

( 5 ) Ci-après la « Charte ».

( 6 ) C‑216/18 PPU, ci-après l’« arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) », EU:C:2018:586.

( 7 ) C‑354/20 PPU et C‑412/20 PPU, ci-après l’« arrêt Openbaar Ministerie (Indépendance de l’autorité judiciaire d’émission) », EU:C:2020:1033.

( 8 ) C‑562/21 PPU et C‑563/21 PPU, ci-après l’« arrêt Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) », EU:C:2022:100.

( 9 ) Voir, notamment, arrêt Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (point 43 et jurisprudence citée).

( 10 ) Voir, à cet égard, ordonnance du vice-président de la Cour du 24 mai 2022, Puigdemont i Casamajó e.a./Parlement [C‑629/21 P(R), EU:C:2022:413], par laquelle il a été décidé, d’une part, d’annuler l’ordonnance du vice-président du Tribunal de l’Union européenne du 30 juillet 2021, Puigdemont i Casamajó e.a./Parlement (T‑272/21 R, non publiée, EU:T:2021:497) et, d’autre part, de surseoir à l’exécution des décisions P9_TA(2021)0059, P9_TA(2021)0060 et P9_TA(2021)0061 du Parlement européen, du
9 mars 2021, sur les demandes de levée de l’immunité de MM. Carles Puigdemont i Casamajó et Antoni Comín i Oliveres ainsi que de Mme Clara Ponsatí i Obiols.

( 11 ) Ci-après le « tribunal de première instance ».

( 12 ) Sont cités, à cet égard, les arrêts du 12 décembre 2019, Parquet général du Grand-Duché de Luxembourg et Openbaar Ministerie (Procureurs de Lyon et de Tours) (C‑566/19 PPU et C‑626/19 PPU, EU:C:2019:1077) ; du 12 décembre 2019, Openbaar Ministerie (Parquet Suède) (C‑625/19 PPU, EU:C:2019:1078), et du 12 décembre 2019, Openbaar Ministerie (Procureur du Roi de Bruxelles) (C‑627/19 PPU, EU:C:2019:1079).

( 13 ) Le tribunal de première instance a cité, à ce titre, l’arrêt de la Cour EDH du 2 juin 2005, Claes e.a. c. Belgique (CE:ECHR:2005:0602JUD004682599).

( 14 ) Ci-après le « Groupe de travail sur la détention arbitraire ».

( 15 ) Le tribunal de première instance a ainsi invoqué les arrêts de la Cour EDH du 22 juin 2000, Coëme et autres c. Belgique (CE:ECHR:2000:0622JUD003249296), et du 2 juin 2005, Claes e.a. c. Belgique (CE:ECHR:2005:0602JUD004682599).

( 16 ) Ci-après la « cour d’appel ».

( 17 ) Voir arrêt du Tribunal Constitutional (Cour constitutionnelle), du 17 février 2021 (no 34/2021, BOE no 69, du 22 mars 2021, p. 32889). La juridiction de renvoi précise que cet arrêt a été rendu à la suite d’un recours formé par l’une des personnes condamnées, qui disait se trouver dans la même situation que M. Puig Gordi.

( 18 ) Moniteur belge du 19 décembre 2003, p. 60075.

( 19 ) Signée à Rome le 4 novembre 1950, ci-après la « CEDH ».

( 20 ) Voir, notamment, arrêt du 28 janvier 2021, Spetsializirana prokuratura (Déclaration des droits) (C‑649/19, ci-après l’« arrêt Spetsializirana prokuratura (Déclaration des droits) », EU:C:2021:75, point 36 et jurisprudence citée).

( 21 ) C‑268/17, ci-après l’« arrêt AY (Mandat d’arrêt – Témoin) », EU:C:2018:602.

( 22 ) Voir arrêt AY (Mandat d’arrêt – Témoin) (point 31).

( 23 ) Voir arrêt AY (Mandat d’arrêt – Témoin) (point 27).

( 24 ) Voir, notamment, arrêt AY (Mandat d’arrêt – Témoin) (point 28 et jurisprudence citée).

( 25 ) Point 39 de cet arrêt et jurisprudence citée.

( 26 ) Voir arrêt Spetsializirana prokuratura (Déclaration des droits) (point 38).

( 27 ) Voir, notamment, arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (point 41 et jurisprudence citée).

( 28 ) Voir, notamment, arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (point 42 et jurisprudence citée).

( 29 ) Voir arrêt du 1er juin 2016, Bob-Dogi (C‑241/15, EU:C:2016:385, points 63 et 64).

( 30 ) Voir, notamment, arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (points 44 et 45 ainsi que jurisprudence citée).

( 31 ) Voir, notamment, arrêt Openbaar Ministerie (Indépendance de l’autorité judiciaire d’émission) (point 38 et jurisprudence citée).

( 32 ) Voir, notamment, arrêts du 24 novembre 2020, Openbaar Ministerie (Faux en écritures) (C‑510/19, EU:C:2020:953, point 46 et jurisprudence citée), et du 10 mars 2021, PI (C‑648/20 PPU, EU:C:2021:187, point 38 et jurisprudence citée).

( 33 ) Ainsi que la Commission l’indique dans son rapport au Parlement européen et au Conseil sur la mise en œuvre de la décision‑cadre, du Conseil du 13 juin 2002, relative au mandat d’arrêt européen et aux procédures de remise entre États membres, du 2 juillet 2020 [COM(2020) 270 final, p. 9], « [l]a grande majorité des États membres ont explicitement transposé l’obligation de respecter les droits fondamentaux et les principes juridiques fondamentaux, certains de manière générale, mais d’autres
ont fait spécifiquement référence aux droits énoncés aux considérants 12 et 13. Par exemple, certaines transpositions en droit national font généralement référence aux traités sur les droits de l’homme et les libertés fondamentales [...] et/ou à l’article 6 [TUE]. Quelques États membres ont transposé l’article 1er, paragraphe 3, de [cette] décision‑cadre en se référant uniquement à la [CEDH], en omettant toute référence à la [Charte] ».

( 34 ) Aux termes du considérant 10 de ladite décision-cadre, « [l]e mécanisme du mandat d’arrêt européen repose sur un degré de confiance élevé entre les États membres. La mise en œuvre de celui-ci ne peut être suspendue qu’en cas de violation grave et persistante par un des États membres des principes énoncés à l’article 6, paragraphe 1, [TUE], constatée par le Conseil en application de l’article 7, paragraphe 1, dudit traité avec les conséquences prévues au paragraphe 2 du même article ». Par
ailleurs, le considérant 12 de la même décision‑cadre prévoit que celle-ci « respecte les droits fondamentaux et observe les principes reconnus par l’article 6 [TUE] et reflétés dans la Charte [...], notamment son chapitre VI. Rien dans [la décision‑cadre 2002/584] ne peut être interprété comme une interdiction de refuser la remise d’une personne qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt européen s’il y a des raisons de croire, sur la base d’éléments objectifs, que ledit mandat a été émis dans le but de
poursuivre ou de punir une personne en raison de son sexe, de sa race, de sa religion, de son origine ethnique, de sa nationalité, de sa langue, de ses opinions politiques ou de son orientation sexuelle, ou qu’il peut être porté atteinte à la situation de cette personne pour l’une de ces raisons ». De plus, le considérant 13 de cette décision-cadre reflète l’article 4 et l’article 19, paragraphe 2, de la Charte en indiquant que « [n]ul ne devrait être éloigné, expulsé ou extradé vers un État où il
existe un risque sérieux qu’il soit soumis à la peine de mort, à la torture ou à d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants ».

( 35 ) Voir, notamment, arrêts Aranyosi et Căldăraru (point 82 et jurisprudence citée) ainsi que Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (point 43).

( 36 ) Voir, notamment, arrêts Aranyosi et Căldăraru (point 83) et Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (point 45). Voir, également, conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona dans les affaires jointes L et P (Indépendance de l’autorité judiciaire d’émission) (C‑354/20 PPU et C‑412/20 PPU, EU:C:2020:925), dans lesquelles ce dernier relève que « [l]a Cour a admis que, au-delà des cas de figure expressément visés par les articles 3 à 5 de la
décision‑cadre, l’exécution d’un [mandat d’arrêt européen] peut également être refusée “dans des circonstances exceptionnelles”, qui, en raison de leur gravité même, imposent que soient apportées des limitations aux principes de reconnaissance et de confiance mutuelles entre États membres, sur lesquels est fondée la coopération judiciaire en matière pénale » (point 39).

( 37 ) Il convient, à cet égard, d’insister sur le fait que ce n’est qu’en présence d’une décision du Conseil européen, suivie de la suspension par le Conseil de l’application de la décision‑cadre 2002/584 en ce qui concerne l’État membre concerné, en application de l’article 7, paragraphes 2 et 3, TUE, que l’autorité judiciaire d’exécution serait tenue de refuser automatiquement d’exécuter tout mandat d’arrêt européen émis par cet État membre : voir, notamment, arrêt Openbaar Ministerie (Tribunal
établi par la loi dans l’État membre d’émission) (point 65 et jurisprudence citée).

( 38 ) Voir, notamment, arrêt Openbaar Ministerie (Indépendance de l’autorité judiciaire d’émission) (point 38 et jurisprudence citée).

( 39 ) BOE no 282, du 21 novembre 2014, p. 95437.

( 40 ) Voir Conseil de l’Union européenne, déclarations de l’État espagnol à la suite de l’adoption de la loi 23/2014 du 20 novembre 2014 sur la reconnaissance mutuelle des décisions en matière pénale dans l’Union européenne, du 23 avril 2015 (document no 8138/15, p. 2, disponible à l’adresse Internet suivante : https://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-8138-2015-INIT/fr/pdf).

( 41 ) C‑508/18 et C‑82/19 PPU, ci-après l’« arrêt OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau) », EU:C:2019:456).

( 42 ) Point 50 de cet arrêt et jurisprudence citée.

( 43 ) Voir, notamment, arrêt Openbaar Ministerie (Indépendance de l’autorité judiciaire d’émission) (point 38 et jurisprudence citée). De même, la Cour a précisé que la notion d’« autorité judiciaire d’exécution », au sens de l’article 6, paragraphe 2, de la décision‑cadre 2002/584, vise, à l’instar de la notion d’« autorité judiciaire d’émission », au sens de l’article 6, paragraphe 1, de cette décision‑cadre, soit un juge ou une juridiction, soit une autorité judiciaire, telle que le parquet d’un
État membre, qui participe à l’administration de la justice de cet État membre et qui jouit de l’indépendance requise par rapport au pouvoir exécutif : voir, notamment, arrêt du 28 avril 2022, C et CD (Obstacles juridiques à l’exécution d’une décision de remise) (C‑804/21 PPU, EU:C:2022:307, point 61 ainsi que jurisprudence citée).

( 44 ) Voir, notamment, arrêt OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau) (point 48 et jurisprudence citée).

( 45 ) Voir, notamment, arrêt OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau) (point 48 et jurisprudence citée).

( 46 ) Voir, notamment, arrêt OG et PI (Parquets de Lübeck et de Zwickau) (point 49 et jurisprudence citée).

( 47 ) Voir, notamment, avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH), du 18 décembre 2014 (EU:C:2014:2454, ci-après l’« avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH) », point 191 et jurisprudence citée), ainsi que, en matière de mandat d’arrêt européen, arrêt Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (point 40 et jurisprudence citée).

( 48 ) Voir avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH) (point 192, italique ajouté par mes soins).

( 49 ) Voir, notamment, arrêt Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (point 41).

( 50 ) Ainsi que la Cour l’a jugé dès son arrêt du 17 décembre 1970, Internationale Handelsgesellschaft (11/70, EU:C:1970:114, point 4). Voir, plus récemment, avis 2/13 (Adhésion de l’Union à la CEDH) (point 170 et jurisprudence citée).

( 51 ) Voir, notamment, arrêt Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (point 42 et jurisprudence citée). Voir, également, arrêt du 28 avril 2022, C et CD (Obstacles juridiques à l’exécution d’une décision de remise) (C‑804/21 PPU, EU:C:2022:307, point 51 et jurisprudence citée).

( 52 ) Voir, notamment, arrêt Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (points 43 et 44 ainsi que jurisprudence citée).

( 53 ) Arrêt Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (point 45 et jurisprudence citée).

( 54 ) Arrêt Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (point 45 et jurisprudence citée).

( 55 ) Arrêt Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (point 46 et jurisprudence citée).

( 56 ) Voir, notamment, arrêts du 23 janvier 2018, Piotrowski (C‑367/16, EU:C:2018:27, point 50 et jurisprudence citée), et du 13 janvier 2021, MM (C‑414/20 PPU, EU:C:2021:4, point 61 et jurisprudence citée). Voir, également, arrêt Spetsializirana prokuratura (Déclaration des droits), dans lequel la Cour indique que, « s’agissant d’une procédure relative à un [mandat d’arrêt européen], la garantie des droits fondamentaux relève, au premier chef, de la responsabilité de l’État membre d’émission »
(point 39 et jurisprudence citée).

( 57 ) Arrêt Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (point 50 et jurisprudence citée). Pour la première affirmation de la nécessité d’un examen en deux étapes s’agissant de l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte, voir arrêt Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (points 47 à 75).

( 58 ) Arrêt Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (point 52 et jurisprudence citée).

( 59 ) Arrêt Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (point 53 et jurisprudence citée).

( 60 ) Voir arrêt Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (points 55 à 58 et jurisprudence citée).

( 61 ) Voir arrêt Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (points 59 à 62 et jurisprudence citée).

( 62 ) Voir arrêt Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (points 63 à 65 et jurisprudence citée).

( 63 ) JO 2007, C 303, p. 17.

( 64 ) Voir, notamment, arrêt du 29 mars 2022, Getin Noble Bank (C‑132/20, ci-après l’ arrêt Getin Noble Bank , EU:C:2022:235, point 116 et jurisprudence citée).

( 65 ) Voir arrêt de la Cour EDH du 1er décembre 2020, Guðmundur Andri Ástráðsson c. Islande (CE:ECHR:2020:1201JUD002637418, § 231).

( 66 ) Voir arrêt de la Cour EDH du 1er décembre 2020, Guðmundur Andri Ástráðsson c. Islande (CE:ECHR:2020:1201JUD002637418, § 231 et 233).

( 67 ) Voir, notamment, arrêt Getin Noble Bank (point 117 et jurisprudence citée). Voir, également, en matière de mandat d’arrêt européen, arrêt Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (point 56 et jurisprudence citée).

( 68 ) Voir arrêt de la Cour EDH du 1er décembre 2020, Guðmundur Andri Ástráðsson c. Islande (CE:ECHR:2020:1201JUD002637418, § 229).

( 69 ) Voir, notamment, arrêt Getin Noble Bank (point 120 et jurisprudence citée).

( 70 ) Voir arrêt de la Cour EDH du 1er décembre 2020, Guðmundur Andri Ástráðsson c. Islande (CE:ECHR:2020:1201JUD002637418, § 224).

( 71 ) Voir, notamment, arrêt de la Cour EDH du 12 juillet 2007, Jorgic c. Allemagne (CE:ECHR:2007:0712JUD007461301, § 64).

( 72 ) Arrêt de la Cour EDH du 12 juillet 2007, Jorgic c. Allemagne (CE:ECHR:2007:0712JUD007461301, § 64). Ainsi, dans son arrêt du 22 juin 2000, Coëme et autres c. Belgique (CE:ECHR:2000:0622JUD003249296, § 107 et 108), la Cour EDH a jugé que ne remplissait pas l’exigence d’un « tribunal établi par la loi » la Cour de cassation belge jugeant des inculpés autres que des ministres pour des infractions connexes à celles pour lesquelles les ministres étaient poursuivis, la règle de connexité n’ayant
pas été établie par la loi.

( 73 ) Voir, notamment arrêts de la Cour EDH du 22 juin 2000, Coëme et autres c. Belgique (CE:ECHR:2000:0622JUD003249296, § 98), et du 25 octobre 2011, Richert c. Pologne (CE:ECHR:2011:1025JUD005480907, § 42).

( 74 ) Voir, notamment, arrêts de la Cour EDH du 22 juin 2000, Coëme et autres c. Belgique (CE:ECHR:2000:0622JUD003249296, § 98), et du 20 octobre 2009, Gorguiladzé c. Géorgie (CE:ECHR:2009:1020JUD000431304, § 69).

( 75 ) Voir, par analogie, arrêt Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (point 58 et jurisprudence citée).

( 76 ) Je rappelle, à cet égard, que « l’Union est une Union de droit dans laquelle les justiciables ont le droit de contester en justice la légalité de toute décision ou de tout autre acte national relatif à l’application à leur égard d’un acte de l’Union » : voir, notamment, arrêts du 27 février 2018, Associação Sindical dos Juízes Portugueses (C‑64/16, EU:C:2018:117, point 31 et jurisprudence citée), ainsi que Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (point 49).

( 77 ) Pour une approche comparable dans le domaine de la coopération judiciaire en matière civile, voir arrêt du 22 décembre 2010, Aguirre Zarraga (C‑491/10 PPU, EU:C:2010:828, points 69 à 74). Je relève qu’il a été confirmé lors de l’audience que M. Puig Gordi a introduit un « recurso de amparo » (recours en protection des droits et libertés fondamentaux) devant le Tribunal Constitucional (Cour constitutionnelle).

( 78 ) Voir, notamment, arrêt du 28 avril 2022, C et CD (Obstacles juridiques à l’exécution d’une décision de remise) (C‑804/21 PPU, EU:C:2022:307, point 51 et jurisprudence citée).

( 79 ) Voir, à cet égard, conclusions de l’avocat général Tanchev dans l’affaire Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (C‑216/18 PPU, EU:C:2018:517), dans lesquelles ce dernier cite l’arrêt de la Supreme Court (Cour suprême, Irlande) du 4 mai 2007, The Minister for Justice Equality and Law Reform c. Brennan [(2007) IECH 94], par lequel cette juridiction a jugé que ce n’est qu’en présence de circonstances exceptionnelles, « comme une défaillance clairement établie et
fondamentale du système judiciaire de l’État requérant », qu’une violation des droits consacrés par l’article 6 de la CEDH justifie le refus d’une remise au titre de la loi relative au mandat d’arrêt européen (note en bas de page 47). Voir, également, arrêt de la Cour de cassation (France) du 10 mai 2022 (no 22-82.379, FR:CCASS:2022:CR00676), par lequel celle-ci a jugé qu’« il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que le principe de reconnaissance mutuelle sur
lequel est fondé le système du mandat d'arrêt européen repose lui-même sur la confiance réciproque entre les États membres quant au fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux reconnus au niveau de l'Union, et qu'il n'appartient par conséquent pas à l'État d'exécution, hors du cas d'une défaillance systémique ou généralisée dans l'État d'émission, d'assurer un contrôle du respect des droits
fondamentaux par ce dernier » (point 14, italique ajouté par mes soins).

( 80 ) Voir, à cet égard, Spielmann, D., et Voyatzis, P., « Le mandat d’arrêt européen entre Luxembourg et Strasbourg : du subtil exercice d’équilibriste entre la CJUE et la Cour EDH », Sa Justice – L’Espace de Liberté, de Sécurité et de Justice – Liber amicorum en hommage à Yves Bot, Bruylant, Bruxelles, 2022, p. 256. Comme le relèvent ces auteurs, l’un des défis auxquels la Cour doit faire face est certainement d’éviter une certaine « banalisation » des circonstances exceptionnelles, qui porterait
atteinte au principe de confiance mutuelle et à l’efficacité du mécanisme du mandat d’arrêt européen (p. 300).

( 81 ) Arrêt Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (point 82, italique ajouté par mes soins).

( 82 ) Voir arrêt Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (point 60).

( 83 ) Voir, à cet égard, Billing, F., « Limiting mutual trust on fundamental rights grounds under the European arrest warrant and lessons learned from transfers under Dublin III », New Journal of European Criminal Law, SAGE Journals, 2020, vol. 11(2), p. 184.

( 84 ) Comme cela ressort, notamment, de l’arrêt du 16 février 2017, C. K. e.a. (C‑578/16 PPU, EU:C:2017:127), l’interdiction des peines ou des traitements inhumains ou dégradants, prévue à l’article 4 de la Charte, est d’une importance fondamentale, dans la mesure où elle revêt un caractère absolu en tant qu’elle est étroitement liée au respect de la dignité humaine visée à l’article 1er de celle-ci (point 59 et jurisprudence citée, ainsi que point 69). Ce constat a amené la Cour à admettre la
possibilité que le transfert d’un demandeur d’asile dont l’état de santé est particulièrement grave puisse, en lui-même, entraîner, pour l’intéressé, un risque réel de traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte, et ce même en l’absence de sérieuses raisons de croire à l’existence de défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile en Croatie (points 71 et 73). Voir, également, arrêt du 19 mars 2019, Jawo (C‑163/17,
EU:C:2019:218, points 78 et 87). Au point 95 de cet arrêt, la Cour indique que la solution qu’elle retient requiert la démonstration de circonstances exceptionnelles. Ainsi, « il ne saurait être entièrement exclu qu’un demandeur de protection internationale puisse démontrer l’existence de circonstances exceptionnelles qui lui sont propres et qui impliqueraient que, en cas de transfert vers l’État membre normalement responsable du traitement de sa demande de protection internationale, il se
trouverait, en raison de sa vulnérabilité particulière, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême [...] après s’être vu octroyer le bénéfice d’une protection internationale ».

( 85 ) Le débat qui s’est tenu devant la Cour a révélé que, en matière de mandat d’arrêt européen, une position plus nuancée et ouverte à l’acceptation de risques non systémiques pourrait être envisagée lorsqu’est en jeu la protection d’un droit fondamental à caractère absolu, tel que celui protégé par l’article 4 de la Charte. Ainsi, la Commission a admis lors de l’audience que, s’agissant d’un risque de violation de ce droit fondamental, par exemple en raison de caractéristiques particulières de
la personne dont la remise est demandée, une autorité judiciaire d’exécution pourrait refuser d’exécuter un mandat d’arrêt européen même en l’absence de défaillances systémiques dans l’État membre d’émission. Cette thèse me paraît devoir être mise en relation avec la possibilité offerte par l’article 23, paragraphe 4, de la décision‑cadre 2002/584, qui prévoit qu’« [i]l peut exceptionnellement être sursis temporairement à la remise, pour des raisons humanitaires sérieuses, par exemple lorsqu’il y a
des raisons valables de penser qu’elle mettrait manifestement en danger la vie ou la santé de la personne recherchée. L’exécution du mandat d’arrêt européen a lieu dès que ces raisons ont cessé d’exister ». Voir, à cet égard, Billing, F.,« Limiting mutual trust on fundamental rights grounds under the European arrest warrant and lessons learned from transfers under Dublin III », New Journal of European Criminal Law, SAGE Journals, 2020, vol. 11(2), p. 197. Voir, également, sur le point de savoir si
et dans quelle mesure une autorité judiciaire d’exécution pourrait refuser la remise d’une personne recherchée lorsque celle-ci souffre d’une maladie susceptible d’être aggravée en cas d’exécution d’un mandat d’arrêt européen, l’affaire en cours E. D. L. contre Presidente del Consiglio dei Ministri (C‑699/21).

( 86 ) Voir arrêt du 25 juillet 2018, Generalstaatsanwaltschaft (Conditions de détention en Hongrie) (C‑220/18 PPU, EU:C:2018:589, point 73).

( 87 ) Voir arrêt du 25 juillet 2018, Generalstaatsanwaltschaft (Conditions de détention en Hongrie) (C‑220/18 PPU, EU:C:2018:589, point 74).

( 88 ) Là encore, la différence de nature entre les droits fondamentaux a des incidences sur le raisonnement. Voir, à cet égard, conclusions de l’avocat général Campos Sánchez-Bordona dans l’affaire Generalstaatsanwaltschaft (Conditions de détention en Hongrie) (C‑220/18 PPU, EU:C:2018:547), qui relève que « dans la mesure où, in fine, la garantie d’un droit absolu, dont la protection doit, eu égard à la nature de ce droit, être préventive plutôt que réparatrice, je considère que, nonobstant sa
pertinence, l’existence d’un régime de recours efficace pourrait ne pas suffire si la juridiction d’exécution nourrit des doutes fondés quant à l’éventualité que la personne concrètement réclamée puisse être soumise immédiatement à un traitement inhumain ou dégradant, indépendamment de la réparation ultérieure de cette atteinte par des actions en justice efficaces dans l’État d’émission » (point 57). Comme le gouvernement belge l’a indiqué lors de l’audience, s’agissant du droit fondamental protégé
par l’article 4 de la Charte, l’utilisation d’une voie de recours juridictionnelle ne permet pas toujours de remédier à la violation invoquée, puisque celle-ci peut intervenir dans l’intervalle.

( 89 ) Arrêt Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (point 67 et jurisprudence citée).

( 90 ) Arrêt Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (points 74 et 77).

( 91 ) Arrêt Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (point 52 et jurisprudence citée).

( 92 ) Voir, notamment, arrêt Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (point 68 et jurisprudence citée).

( 93 ) Voir arrêt Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (point 72).

( 94 ) Voir, notamment, arrêt Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (point 73 et jurisprudence citée).

( 95 ) Voir, notamment, arrêt de la Cour EDH du 12 juillet 2007, Jorgic c. Allemagne (CE:ECHR:2007:0712JUD007461301, § 65). Cette Cour a également précisé que « lorsqu’elle recherche s’il y a eu une atteinte aux règles internes pertinentes dans une affaire donnée, la Cour s’en remet en principe à l’interprétation et à l’application du droit interne par les juridictions nationales, sauf si leurs conclusions sont arbitraires ou manifestement déraisonnables » : voir arrêt de la Cour EDH du 1er décembre
2020, Guðmundur Andri Ástráðsson c. Islande (CE:ECHR:2020:1201JUD002637418, § 251).

( 96 ) Voir, s’agissant de violations alléguées de l’exigence d’un « tribunal établi par la loi » dans le processus de nomination des juges, arrêt de la Cour EDH du 1er décembre 2020, Guðmundur Andri Ástráðsson c. Islande (CE:ECHR:2020:1201JUD002637418, § 234). La Cour EDH a adopté, dans cet arrêt, une démarche en trois étapes cumulatives (§ 243). Premièrement, la Cour considère qu’il doit, en principe, exister une violation manifeste du droit interne (§ 244). Deuxièmement, la violation en question
doit s’analyser à la lumière de l’objet et du but de l’exigence d’un « tribunal établi par la loi », qui sont de veiller à ce que le pouvoir judiciaire puisse s’acquitter de sa mission à l’abri de toute ingérence injustifiée, de manière à préserver ainsi la prééminence du droit et la séparation des pouvoirs, ce qui implique que seules les atteintes touchant les règles fondamentales de la procédure de nomination des juges – c’est-à-dire celles qui videraient de sa substance même le droit à un
« tribunal établi par la loi » – sont de nature à emporter violation de ce droit (§ 246 et 247). Troisièmement, la Cour EDH estime que le contrôle que les juridictions nationales ont opéré, le cas échéant, sur la question des conséquences juridiques – au regard des droits que la CEDH garantit à chacun – d’une atteinte aux règles du droit interne régissant les nominations judiciaires joue un rôle important aux fins de déterminer si cette atteinte emporte violation du droit à un « tribunal établi par
la loi » (§ 248). Il me paraît pertinent de rapprocher cette troisième étape de ce que j’ai indiqué au sujet de l’importance d’un contrôle juridictionnel dans l’État membre d’émission du respect du droit fondamental à un procès équitable devant un tribunal préalablement établi par la loi, garanti par l’article 47, deuxième alinéa, de la Charte.

( 97 ) Voir, notamment, arrêt de la Cour EDH, 9 juillet 2019, Castaño c. Belgique (CE:ECHR:2019:0709JUD000835117).

( 98 ) Voir, notamment, arrêt Aranyosi et Căldăraru (point 89).

( 99 ) Il convient, à cet égard, de rappeler que, selon la Cour, « les autorités judiciaires d’émission et d’exécution doivent, afin d’assurer une coopération efficace en matière pénale, faire pleinement usage des instruments prévus notamment [...] à l’article 15 de la décision‑cadre 2002/584 de façon à favoriser la confiance mutuelle à la base de cette coopération » : voir, notamment, arrêt Openbaar Ministerie (Tribunal établi par la loi dans l’État membre d’émission) (point 49 et jurisprudence
citée).

( 100 ) Voir, en ce sens, arrêts AY (Mandat d’arrêt – Témoin), et Spetsializirana prokuratura (Déclaration des droits).

( 101 ) Voir, notamment, arrêt du 27 mai 2019, PF (Procureur général de Lituanie) (C‑509/18, EU:C:2019:457, point 49).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-158/21
Date de la décision : 14/07/2022
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Tribunal Supremo (Espagne).

Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Coopération judiciaire en matière pénale – Mandat d’arrêt européen – Décision-cadre 2002/584/JAI – Procédures de remise entre États membres – Conditions d’exécution – Compétence de l’autorité judiciaire d’émission – Article 47, deuxième alinéa, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Droit d’accès à un tribunal établi préalablement par la loi – Possibilité d’émettre un nouveau mandat d’arrêt européen visant une même personne.

Coopération policière

Espace de liberté, de sécurité et de justice

Coopération judiciaire en matière pénale


Parties
Demandeurs : Procédure pénale
Défendeurs : Lluís Puig Gordi e.a.

Composition du Tribunal
Avocat général : Richard de la Tour

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:573

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