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07/07/2022 | CJUE | N°C-83/21

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. M. Szpunar, présentées le 7 juillet 2022., Airbnb Ireland UC plc et Airbnb Payments UK Ltd contre Agenzia delle Entrate., 07/07/2022, C-83/21


 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 7 juillet 2022 ( 1 )

Affaire C‑83/21

Airbnb Ireland UC,

Airbnb Payments UK Ltd

contre

Agenzia delle Entrate,

en présence de

Presidenza del Consiglio dei Ministri,

Ministero dell’Economia e delle Finanze,

Federazione delle Associazioni Italiane Alberghi e Turismo – Federalberghi,

Renting Services Group Srl,

Codacons – Coordinamento delle Associazioni e dei Comitati di tutela dell’

ambiente e dei diritti degli utenti e dei consumatori

[demande de décision préjudicielle formée par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Itali...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 7 juillet 2022 ( 1 )

Affaire C‑83/21

Airbnb Ireland UC,

Airbnb Payments UK Ltd

contre

Agenzia delle Entrate,

en présence de

Presidenza del Consiglio dei Ministri,

Ministero dell’Economia e delle Finanze,

Federazione delle Associazioni Italiane Alberghi e Turismo – Federalberghi,

Renting Services Group Srl,

Codacons – Coordinamento delle Associazioni e dei Comitati di tutela dell’ambiente e dei diritti degli utenti e dei consumatori

[demande de décision préjudicielle formée par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie)]

« Renvoi préjudiciel – Services de la société de l’information – Commerce électronique – Portail télématique d’intermédiation immobilière – Directive 2000/31/CE – Article 1er, paragraphe 5, sous a) – Directive 2006/123/CE – Services dans le marché intérieur – Article 2, paragraphe 3 – Exclusion du “domaine de la fiscalité” et de la “matière fiscale” de ces directives – Directive (UE) 2015/1535 – Procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux
services de la société de l’information – Article 1er, point 1, sous e) et f) – Notions de “règle relative aux services” et de “règle technique” – Location de biens immeubles à des fins d’habitation pour une durée maximale de 30 jours – Obligation faite aux prestataires de services d’intermédiation immobilière, y compris par portail télématique, de transmettre au fisc les données des contrats de location et de procéder à la retenue à la source de l’impôt sur les paiements effectués – Obligation de
désigner un représentant fiscal faite aux prestataires de services ne disposant pas d’un établissement stable en Italie – Article 56 TFUE – Libre prestation des services – Caractère restrictif – Justification – Efficacité des contrôles fiscaux et lutte contre l’évasion fiscale – Proportionnalité – Article 267, troisième alinéa, TFUE »

Introduction

1. Les plateformes en ligne sont des fournisseurs de services dits « de la société de l’information », c’est-à-dire, plus simplement, des services par Internet, qui permettent non seulement à des professionnels, mais également à des particuliers n’exerçant pas d’activité économique, de proposer des services de diverses natures à des consommateurs, en mettant les uns en relation avec les autres.

2. Le développement de ces plateformes a donné à une multitude de particuliers la possibilité, d’une part, de fournir des services en dehors d’une activité économique de pleine envergure et, d’autre part, de bénéficier de ces services à des prix souvent bien plus avantageux que ceux pratiqués par les professionnels. Ainsi, lesdites plateformes ont contribué, sinon à la création de marchés jusqu’alors inexistants, du moins à un développement exponentiel de certains marchés de services, du fait de
l’augmentation tant de l’offre que de la demande. En même temps, elles ont contribué à l’aggravation de nombreux problèmes, tant sociaux que politiques, administratifs et juridiques, liés au développement massif de ces services.

3. Se pose donc la question de savoir dans quelle mesure les plateformes en ligne doivent également contribuer à résoudre les problèmes liés à leur fonctionnement. La recherche de ces solutions doit, bien entendu, être faite dans le respect de la loi, et notamment du droit de l’Union. Ce qui caractérise, en effet, les services fournis par Internet, c’est leur caractère facilement transfrontalier – sur Internet, la situation géographique du prestataire et du destinataire du service est sans
incidence. La spécificité des plateformes en ligne réside dans le fait que leurs services, qui sont fournis par Internet et peuvent donc, par principe, être transfrontaliers, sont fortement liés aux services fournis ensuite par leurs utilisateurs, ces services étant le plus souvent « réels » et ayant une localisation physique précise. Ces plateformes ont donc profondément modifié le caractère des services transfrontaliers, non seulement en permettant qu’ils soient fournis et utilisés massivement,
mais également en leur donnant un caractère mixte, en ce sens que ces services sont fortement liés à des prestations subséquentes n’ayant pas cette qualité.

4. Ce véritable changement de paradigme nécessite de repenser certains principes du droit de l’Union, notamment celui de libre prestation de services, afin de répondre aux nouveaux défis posés par le fonctionnement des plateformes en ligne. La présente affaire donne à la Cour l’opportunité de se prononcer sur les mesures que les États membres sont susceptibles d’adopter en réponse à l’un de ces défis, à savoir celui du traitement fiscal des prestations fournies par l’intermédiaire des plateformes en
ligne.

Le cadre juridique

Le droit de l’Union

5. L’article 1er, paragraphe 1 et paragraphe 5, sous a), de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique ») ( 2 ) dispose :

« 1.   La présente directive a pour objectif de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur en assurant la libre circulation des services de la société de l’information entre les États membres.

[...]

5.   La présente directive n’est pas applicable :

a) au domaine de la fiscalité ;

[...] »

6. L’article 1er, paragraphe 1, et l’article 2, paragraphe 3, de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur ( 3 ), disposent :

« Article 1er

1.   La présente directive établit les dispositions générales permettant de faciliter l’exercice de la liberté d’établissement des prestataires ainsi que la libre circulation des services, tout en garantissant un niveau de qualité élevé pour les services.

[...]

Article 2

[...]

3.   La présente directive ne s’applique pas en matière fiscale. »

7. L’article 1er, paragraphe 1, sous b) et sous e) à g), de la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil, du 9 septembre 2015, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information ( 4 ) énonce :

« Au sens de la présente directive, on entend par :

[...]

b) “service”, tout service de la société de l’information, c’est-à-dire tout service presté normalement contre rémunération, à distance, par voie électronique et à la demande individuelle d’un destinataire de services.

[...]

e) “règle relative aux services”, une exigence de nature générale relative à l’accès aux activités de services au sens du point b) et à leur exercice, notamment les dispositions relatives au prestataire de services, aux services et au destinataire de services, à l’exclusion des règles qui ne visent pas spécifiquement les services définis audit point.

Aux fins de la présente définition :

i) une règle est considérée comme visant spécifiquement les services de la société de l’information lorsque, au regard de sa motivation et du texte de son dispositif, elle a pour finalité et pour objet spécifiques, dans sa totalité ou dans certaines dispositions ponctuelles, de réglementer de manière explicite et ciblée ces services ;

ii) une règle n’est pas considérée comme visant spécifiquement les services de la société de l’information si elle ne concerne ces services que d’une manière implicite ou incidente ;

f) “règle technique”, une spécification technique ou autre exigence ou une règle relative aux services, y compris les dispositions administratives qui s’y appliquent, dont l’observation est obligatoire de jure ou de facto, pour la commercialisation, la prestation de services, l’établissement d’un opérateur de services ou l’utilisation dans un État membre ou dans une partie importante de cet État, de même que, sous réserve de celles visées à l’article 7, les dispositions législatives,
réglementaires et administratives des États membres interdisant la fabrication, l’importation, la commercialisation ou l’utilisation d’un produit ou interdisant de fournir ou d’utiliser un service ou de s’établir comme prestataire de services.

Constituent notamment des règles techniques de facto :

[...]

iii) les spécifications techniques ou d’autres exigences ou les règles relatives aux services liées à des mesures fiscales ou financières qui affectent la consommation de produits ou de services en encourageant le respect de ces spécifications techniques ou autres exigences ou règles relatives aux services ; ne sont pas concernées les spécifications techniques ou autres exigences ou les règles relatives aux services liées aux régimes nationaux de sécurité sociale.

[...]

g) “projet de règle technique”, le texte d’une spécification technique, ou d’une autre exigence ou d’une règle relative aux services, y compris de dispositions administratives, qui est élaboré dans le but de l’établir ou de la faire finalement établir comme une règle technique et qui se trouve à un stade de préparation où il est encore possible d’y apporter des amendements substantiels. »

8. En vertu de l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de cette directive :

« Sous réserve de l’article 7, les États membres communiquent immédiatement à la Commission [européenne] tout projet de règle technique, sauf s’il s’agit d’une simple transposition intégrale d’une norme internationale ou européenne, auquel cas une simple information quant à la norme concernée suffit ; ils adressent également à la Commission une notification concernant les raisons pour lesquelles l’établissement d’une telle règle technique est nécessaire, à moins que ces raisons ne ressortent déjà
du projet. »

Le droit italien

9. L’article 4 du decreto-legge n. 50 convertito con modificazioni dalla L. 21 giugno 2017, n. 96 – Disposizioni urgenti in materia finanziaria, iniziative a favore degli enti territoriali, ulteriori interventi per le zone colpite da eventi sismici e misure per lo sviluppo (décret-loi no 50, converti avec modifications par la loi no 96 du 21 juin 2017, portant dispositions urgentes en matière financière, initiatives en faveur des organismes territoriaux, interventions supplémentaires en faveur des
zones touchées par des séismes et mesures de développement), du 24 avril 2017 ( 5 ), tel que modifié (ci-après le « décret-loi no 50 ») établit le régime fiscal des locations immobilières de courte durée en dehors d’une activité commerciale (ci-après le « régime fiscal litigieux »).

10. Le régime fiscal litigieux s’applique aux contrats de location des biens immeubles d’habitation par des personnes physiques en dehors d’une activité commerciale, d’une durée maximale de 30 jours, qu’ils soient conclus directement avec les locataires ou par l’intermédiaire de personnes exerçant l’activité d’intermédiation immobilière « ou de personnes qui gèrent des portails télématiques » (article 4, paragraphe 1, du décret-loi no 50).

11. À compter du 1er juin 2017, les revenus provenant de tels contrats de location sont soumis, de manière optionnelle, à un impôt cédulaire par prélèvement libératoire au taux de 21 %, au lieu de l’impôt sur le revenu standard (article 4, paragraphe 2, du décret-loi no 50).

12. Les personnes qui exercent des activités d’intermédiation immobilière se référant aux locations susvisées, « ainsi que celles qui gèrent des portails télématiques », ont l’obligation de transmettre les données relatives aux contrats de location conclus par leur intermédiaire avant le 30 juin de l’année qui suit celle à laquelle ces données se réfèrent. La non‑communication desdites données ainsi que la communication incomplète ou inexacte de celles-ci sont passibles de sanctions pécuniaires
(article 4, paragraphe 4, du décret-loi no 50).

13. Les personnes résidentes sur le territoire italien qui exercent des activités d’intermédiation immobilière, « ainsi que celles qui gèrent des portails télématiques », lorsqu’elles encaissent les loyers ou les contreparties relatifs aux contrats de location susvisés, ou lorsqu’elles interviennent dans le cadre du paiement de ces loyers et de ces contreparties, doivent opérer, en qualité de collecteurs de l’impôt, une retenue de 21 % sur le montant des loyers et des contreparties lors du paiement
au bénéficiaire et procéder au versement de celle-ci au fisc. Dans le cas où il n’est pas opté pour l’application du régime d’impôt cédulaire par prélèvement libératoire, la retenue est considérée comme opérée à titre d’acompte (article 4, paragraphe 5, du décret-loi no 50).

14. Les personnes non-résidentes exerçant les mêmes activités qui possèdent un établissement stable en Italie remplissent les obligations découlant du régime fiscal litigieux par le truchement de leur établissement stable. Les personnes non-résidentes considérées comme dépourvues d’établissement stable en Italie ont l’obligation de désigner, en qualité de responsable de l’impôt, un représentant fiscal. En l’absence de désignation d’un représentant fiscal, les personnes résidentes sur le territoire
italien qui appartiennent au même groupe que les personnes susmentionnées sont solidairement responsables avec ces dernières de la mise en œuvre et du versement de la retenue sur le montant des loyers et des contreparties relatifs aux contrats de location (article 4, paragraphe 5 bis, du décret-loi no 50).

15. Les dispositions de mise en œuvre de l’article 4, paragraphes 4, 5 et 5 bis, du décret-loi no 50 devaient être établies par décision du directeur de l’administration fiscale.

Les faits, la procédure et les questions préjudicielles

16. Les requérantes au principal, Airbnb Ireland UC et Airbnb Payments UK Ltd (ci-après, conjointement, « Airbnb »), appartiennent au groupe mondial Airbnb, qui gère le portail d’intermédiation immobilière du même nom sur Internet. Ce portail permet de mettre en relation, d’une part, des bailleurs disposant des lieux d’hébergement et, d’autre part, des personnes recherchant ce type d’hébergement, en percevant du client le paiement afférent à la mise à disposition du logement avant le début de la
location et en transférant ce paiement au bailleur après que la location a débuté, s’il n’y a pas eu de contestation de la part du locataire ( 6 ).

17. Airbnb a présenté un recours devant le Tribunale amministrativo del Lazio (tribunal administratif régional du Latium, Italie) tendant à l’annulation, d’une part, de la décision no 132395 du directeur de l’administration fiscale, du 12 juillet 2017, mettant en œuvre le régime fiscal litigieux, et, d’autre part, de la circulaire interprétative no 24 de l’administration fiscale, du 12 octobre 2017, relative au régime fiscal litigieux.

18. Au soutien de son recours, Airbnb a fait valoir que le régime fiscal litigieux avait introduit, en droit italien, une « règle technique » ou une « règle relative aux services » et que celle-ci aurait donc dû être notifiée au préalable à la Commission, en application de l’article 5, paragraphe 1, premier alinéa, de la directive 2015/1535. Airbnb a également soutenu que les obligations prévues par ce régime en matière de transmission d’informations et de fiscalité violaient le principe de libre
prestation des services. Airbnb a, en outre, argué que l’obligation de désigner un représentant fiscal, pour toute personne exploitant un portail télématique d’intermédiation immobilière qui n’est pas résidente ou établie en Italie, constituait une restriction disproportionnée aux libertés fondamentales telles que la libre prestation des services.

19. Par jugement du 18 février 2019, la juridiction de première instance a rejeté le recours. Airbnb a introduit un pourvoi contre ce jugement devant la juridiction de renvoi.

20. Par décision du 11 juillet 2019, parvenue à la Cour le 30 septembre 2019, la juridiction de renvoi a soumis à la Cour une demande de décision préjudicielle concernant plusieurs dispositions du droit de l’Union. Par l’ordonnance du 30 juin 2020, Airbnb Ireland et Airbnb Payments UK (C‑723/19, non publiée, EU:C:2020:509), la Cour a déclaré cette demande manifestement irrecevable, faute d’indications lui permettant d’apporter une réponse utile aux questions posées, tout en précisant que la
juridiction de renvoi était à même de lui soumettre une nouvelle demande de décision préjudicielle.

21. C’est dans ces conditions que le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Comment convient-il d’interpréter les expressions “règle technique” des services de la société de l’information et “règle relative aux services” de la société de l’information qui figurent dans la [directive 2015/1535] et, en particulier, ces expressions doivent-elles être interprétées en ce sens qu’elles couvrent également des mesures de nature fiscale qui ne visent pas directement à réglementer le service spécifique de la société de l’information, mais qui sont de nature à régler
l’exercice concret de l’activité sur le territoire de l’État membre, notamment en mettant à la charge de tous les prestataires de services d’intermédiation immobilière, y compris, par conséquent, ceux qui ne sont pas établis dans cet État et qui fournissent leurs services en ligne, des obligations qui ont pour fonction de contribuer à l’efficacité du recouvrement des impôts dus par les bailleurs, telles que :

a) la collecte et la communication ultérieure aux autorités fiscales de l’État membre des données relatives aux contrats de location de courte durée conclus à la suite de l’activité de l’intermédiaire ;

b) la retenue de la quote-part due au fisc des sommes versées par les preneurs aux bailleurs et le versement ultérieur de ces sommes au Trésor public [?]

2) a) Le principe de libre prestation des services énoncé à l’article 56 TFUE ainsi que, s’ils sont jugés applicables dans le domaine en cause, les principes analogues résultant des [directives 2000/31 et 2006/123] s’opposent-ils à une mesure nationale qui prévoit, à la charge des intermédiaires immobiliers actifs en Italie – y compris, par conséquent, les opérateurs non établis qui fournissent leurs services en ligne – des obligations de collecte des données relatives aux contrats de location
de courte durée conclus par leur intermédiaire et de communication ultérieure de ces données à l’administration fiscale, aux fins du recouvrement des impôts directs dus par les utilisateurs du service ?

b) Le principe de libre prestation des services énoncé à l’article 56 TFUE ainsi que, s’ils sont jugés applicables dans le domaine en cause, les principes analogues résultant des [directives 2000/31 et 2006/123] s’opposent-ils à une mesure nationale qui prévoit, à la charge des intermédiaires immobiliers actifs en Italie – y compris, par conséquent, les opérateurs non établis qui fournissent leurs services en ligne – qui interviennent au cours de la phase du paiement afférent aux contrats de
location de courte durée conclus par leur intermédiaire, l’obligation d’opérer, aux fins du recouvrement des impôts directs dus par les utilisateurs du service, une retenue sur ces paiements et de la verser ensuite au Trésor public ?

c) En cas de réponse affirmative aux questions qui précèdent, l’application du principe de libre prestation des services énoncé à l’article 56 TFUE ainsi que, s’ils sont jugés applicables dans le domaine en cause, des principes analogues résultant des [directives 2000/31 et 2006/123] peut-elle néanmoins être restreinte, conformément au droit de l’Union, par des mesures nationales telles que celles décrites sous a) et b), compte tenu de l’inefficacité, dans le cas contraire, du prélèvement
fiscal relatif aux impôts directs dus par les utilisateurs du service ?

d) L’application du principe de libre prestation des services énoncé à l’article 56 TFUE ainsi que, s’ils sont jugés applicables dans le domaine en cause, des principes analogues résultant des [directives 2000/31 et 2006/123] peut-elle être restreinte, conformément au droit de l’Union, par une mesure nationale qui impose aux intermédiaires immobiliers non établis en Italie l’obligation de désigner un représentant fiscal tenu d’exécuter, au nom et pour le compte de l’intermédiaire non établi,
les mesures nationales décrites sous b), eu égard à l’inefficacité, dans le cas contraire, du prélèvement fiscal relatif aux impôts directs dus par les utilisateurs du service ?

3) L’article 267, troisième alinéa, TFUE doit-il être interprété en ce sens que, en présence d’une question d’interprétation du droit de l’Union (primaire ou dérivé) soulevée par l’une des parties et assortie de l’indication précise du texte des questions, le juge conserve néanmoins la faculté de procéder à la formulation autonome de ces questions, en indiquant de manière discrétionnaire, en son âme et conscience, les dispositions de référence du droit de l’Union, les dispositions nationales qui
sont potentiellement contraires à celles-ci et le libellé exact des questions, pourvu qu’elles demeurent dans le cadre de l’objet du litige, ou est-il tenu de reprendre les questions telles qu’elles ont été formulées par la partie demandant le renvoi ? »

22. La demande de décision préjudicielle est parvenue à la Cour le 9 février 2021. Des observations écrites ont été présentées par Airbnb, la Federazione delle Associazioni Italiane Alberghi e Turismo – Federalberghi (Fédération des associations italiennes hôtelières et de tourisme, ci-après la « Federalberghi »), les gouvernements italien, belge, tchèque, espagnol, français, néerlandais, autrichien et polonais, ainsi que par la Commission. Airbnb, la Federalberghi, les gouvernements italien,
espagnol et français, ainsi que la Commission, étaient représentés à l’audience, qui s’est tenue le 28 avril 2022.

Analyse

Sur la première question préjudicielle

23. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 1er, paragraphe 1, sous f), de la directive 2015/1535 doit être interprété en ce sens que constitue une « règle technique », au sens de cette disposition, une réglementation nationale qui impose aux intermédiaires de location immobilière de courte durée, y compris ceux exerçant leur activité en ligne, l’obligation de collecte et de communication aux autorités fiscales des données relatives aux contrats de
location conclus à la suite de l’activité de l’intermédiaire, ainsi que, lorsque ces intermédiaires interviennent dans le paiement du loyer, l’obligation de retenue de l’impôt dû sur les sommes versées par les preneurs aux bailleurs et de versement de cet impôt au Trésor public.

Sur l’applicabilité de la directive 2015/1535 aux dispositions fiscales

24. Les parties et les intéressés présents à l’audience ont été interrogés par la Cour sur l’applicabilité de la directive 2015/1535 à des mesures telles que celles du régime fiscal litigieux au regard du fait que l’article 114 TFUE, dont le paragraphe 1 constitue la base juridique de cette directive, exclut, à son paragraphe 2, l’application de ce paragraphe 1 « aux dispositions fiscales ».

25. Je dois d’emblée signaler que je partage l’avis exprimé, notamment, par le gouvernement français, selon lequel l’article 114, paragraphe 2, TFUE ne s’oppose pas, par principe, à l’applicabilité de la directive 2015/1535 aux mesures fiscales. En effet, cette disposition doit être interprétée comme se référant à une harmonisation de ces dispositions que l’on pourrait qualifier d’« harmonisation positive ». Des mesures de cette nature sont prises, en ce qui concerne les impôts et les taxes
indirectes, sur le fondement de l’article 113 TFUE.

26. En revanche, la directive 2015/1535 n’opère pas une telle harmonisation positive. Cette directive se limite à établir des règles afin de prévenir l’adoption, par les États membres, de mesures contraires au bon fonctionnement du marché intérieur. Ces règles consistent en une obligation procédurale de notification de certaines dispositions au stade de projet, aux fins de leur contrôle préventif du point de vue de leur conformité aux règles du marché intérieur. Or un tel contrôle n’équivaut
nullement à une harmonisation de ces dispositions par la législation de l’Union, telle que prévue à l’article 114, paragraphe 1, TFUE. Si la directive 2015/1535 opère une harmonisation, elle concerne les règles procédurales d’adoption des dispositions législatives, règlementaires ou administratives des États membres.

27. Par conséquent, l’article 114, paragraphe 2, TFUE n’exclut pas, à mon avis, l’applicabilité de la directive 2015/1535 aux dispositions fiscales telles que celles en cause dans la présente affaire.

Sur la qualification des dispositions du régime fiscal litigieux de « règles relatives aux services »

28. Constitue une « règle technique », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sous f), de la directive 2015/1535, notamment, une « règle relative aux services », telle que définie à l’article 1er, paragraphe 1, sous e), de cette directive.

29. Pour rappel, aux termes de cette définition, constitue une « règle relative aux services » une exigence de nature générale relative à l’accès aux activités de services de la société de l’information et à leur exercice, notamment les dispositions relatives au prestataire de services, aux services et au destinataire de services, à l’exclusion des règles qui ne visent pas spécifiquement de tels services.

30. Il est constant que les services tels que ceux fournis par Airbnb constituent des services de la société de l’information, au sens de la directive 2015/1535 ( 7 ). Il reste à déterminer si les différentes obligations qui pèsent sur les intermédiaires en location immobilière de courte durée en vertu du régime fiscal litigieux remplissent les autres critères énoncés dans la définition de « règle relative aux services ».

31. Le point de savoir si ces obligations concernent les services de la société de l’information « de manière explicite et ciblée » ou seulement « de manière implicite ou incidente », au sens du second alinéa de la définition figurant à l’article 1er, paragraphe 1, sous e), de la directive 2015/1535, fait l’objet d’un débat entre les parties.

32. D’une part, la Federalberghi soutient que le régime fiscal litigieux ne fait qu’élargir aux locations immobilières de courte durée le régime fiscal existant qui s’applique à des locations de longue durée. Selon elle, ce régime a pour objectif non pas de réglementer les services d’intermédiation en tant que tels, mais d’imposer de manière effective les locations immobilières, en évitant l’évasion fiscale dans ce secteur. Par ailleurs, elle affirme que les différentes obligations imposées aux
intermédiaires par ledit régime sont formulées de façon technologiquement neutre, en ce sens qu’elles incombent tant aux intermédiaires qui opèrent en ligne qu’à ceux qui exercent par d’autres moyens. Or, selon cette partie, la présence d’opérateurs hors ligne sur le marché de la location de courte durée ne serait pas uniquement théorique.

33. D’autre part, Airbnb soutient que, en réalité, le régime fiscal litigieux a été conçu spécifiquement pour cibler les locations immobilières conclues par l’intermédiaire des plateformes en ligne telles que celle gérée par Airbnb. Je suis sensible à cet argument. En effet, il ressort clairement des informations figurant dans le dossier soumis à la Cour que le régime fiscal litigieux a été adopté afin de pallier à l’évasion fiscale de masse dans le secteur des locations immobilières de courte durée
conclues entre particuliers. Or il est notoire que c’est grâce à ces plateformes en ligne, telles que celle gérée par Airbnb, et, donc, grâce aux services de la société de l’information que ce secteur a connu un développement aussi important. Si des intermédiaires opérant par d’autres moyens existent dans ce secteur, leurs parts de marché doivent, selon moi, être minimes.

34. La situation en cause au principal concerne donc non pas une simple application à des services de la société de l’information des règles préexistantes, applicables à des prestataires exerçant hors ligne ( 8 ), mais l’établissement de règles dont l’objectif est de résoudre des problèmes apparus spécifiquement dans l’environnement d’Internet et qui s’adressent donc spécifiquement aux prestataires de services en ligne ( 9 ).

35. Ainsi, il est à mon avis permis de considérer que les obligations qui pèsent sur les intermédiaires en vertu du régime fiscal litigieux visent spécifiquement les services de la société de l’information, sans que la seule formulation technologiquement neutre des dispositions nationales en cause puisse modifier cette appréciation ( 10 ).

36. Cependant, cette analyse ne prend en compte qu’un seul aspect du problème, à savoir la simple affectation spécifique des prestataires de services de la société de l’information. Certes, une telle approche peut être suffisante dans la situation concernant des règles dont l’objectif est de réglementer les conditions mêmes de l’accès et de l’exercice d’une activité en ligne ( 11 ) ou d’interdire une telle activité ( 12 ). En revanche, dans une situation telle que celle en cause dans l’affaire au
principal, qui concerne des dispositions ayant un objectif différent, la très complexe définition de « règle relative aux services » exige, à mon avis, une interprétation plus nuancée, afin de déterminer avec justesse si ces dispositions relèvent de l’obligation de notification et de la sanction qui accompagne cette obligation en cas de sa méconnaissance éventuelle, à savoir la non-opposabilité aux particuliers des dispositions qui auraient dû être notifiées ( 13 ).

37. Une telle interprétation plus nuancée requiert de déterminer si la disposition dont il est soutenu qu’elle constitue une règle technique a pour objectif spécifique de réglementer l’accès ou l’exercice d’un service de la société de l’information. En effet, la lecture combinée de l’article 1er, paragraphe 1, sous e), premier alinéa, et second alinéa, point i), de la directive 2015/1535 m’amène à conclure que la formulation de cette seconde disposition, selon laquelle « une règle est considérée
comme visant spécifiquement les services de la société de l’information lorsque [...] elle a pour finalité et pour objet spécifiques [...] de réglementer de manière explicite et ciblée ces services », doit être comprise comme exigeant qu’une règle relative à de tels services ait pour finalité et objet spécifiques de réglementer de manière explicite et ciblée l’accès et l’exercice de ces services, c’est-à-dire les matières indiquées à cette première disposition.

38. En ce qui concerne les différentes obligations qui pèsent sur les intermédiaires en vertu du régime fiscal litigieux, je partage l’avis de certains intéressés ayant présenté des observations dans la présente affaire, notamment le gouvernement polonais, selon lequel ces obligations n’ont pas pour finalité et objets spécifiques de réglementer l’accès ou l’exercice des services d’intermédiation immobilière par Internet.

39. Premièrement, s’agissant de l’obligation de collecte et de fourniture d’informations, force est de constater, à mon avis, qu’elle ne vise nullement à réglementer l’accès ou l’exercice du service d’intermédiation dans les locations immobilières de courte durée. En effet, la fourniture d’informations à l’administration fiscale n’a pas pour objectif de réglementer, ni même de contrôler, l’activité de l’intermédiaire, mais uniquement de réglementer celle de ses clients bailleurs. Cette obligation ne
concerne donc l’activité de l’intermédiaire que « de manière incidente », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sous e), premier alinéa, et second alinéa, point ii), de la directive 2015/1535. Si ladite obligation est la conséquence directe de l’exercice du service d’intermédiation concernant les biens immobiliers situés en Italie et mis en location par des personnes physiques, elle ne conditionne toutefois pas, contrairement à ce que soutient Airbnb, la possibilité d’exercer cette activité (
14 ) et ne détermine ni la façon ni les conditions de son exercice. La même obligation survient ex post du fait de l’exercice de l’activité et concerne non pas les relations de l’intermédiaire avec ses clients, mais uniquement celles avec l’administration fiscale ( 15 ).

40. Deuxièmement, s’agissant de l’obligation de retenue d’impôt, elle présente, à l’évidence, un lien plus direct avec l’exercice du service d’intermédiation, dans la mesure où ce service englobe l’intermédiation dans le paiement du loyer. En effet, en remplissant cette obligation, l’intermédiaire transfère au bailleur non pas la totalité du loyer reçu ( 16 ), mais uniquement la somme restante après la retenue de l’impôt.

41. Cependant, l’obligation de retenue de l’impôt, à l’instar de l’obligation d’information, a pour objectif non pas de réglementer le service d’intermédiation, mais de taxer l’activité de location immobilière sous-jacente. La retenue de l’impôt par l’intermédiaire qui intervient dans le cadre du paiement ne constitue qu’un instrument permettant de réaliser cet objectif. Cette obligation, tout comme l’obligation de collecte et de fourniture d’informations, ne concerne donc le service
d’intermédiation que de manière incidente. À cet égard, il y a lieu de relever, comme le souligne à juste titre le gouvernement français, que la technique de retenue d’impôt à la source est communément utilisée dans différents domaines sans lien avec les services de la société de l’information tels que les relations de travail ou l’imposition de revenus de capitaux. Cet instrument n’est donc en rien spécifique aux services de la société de l’information.

42. L’argument selon lequel l’intermédiaire concerné se trouverait contraint d’adopter des procédures techniques et organisationnelles afin de se conformer aux obligations découlant du régime fiscal litigieux, soulevé par Airbnb, ne saurait modifier mon appréciation relative aux obligations en cause du point de vue de la directive 2015/1535. L’adoption de telles procédures constituerait, en effet, des mesures internes au prestataire concernant ses relations avec l’administration de l’État membre
dans lequel est situé le lieu des prestations sous-jacentes à son service d’intermédiation. De telles mesures n’affectent cependant pas l’exercice de son propre service. Il en irait autrement uniquement si les obligations incidentes imposées à un prestataire des services le contraignaient à modifier les modalités de l’exercice de ce service, comme le fait de demander à ses clients des informations supplémentaires.

43. Enfin, troisièmement, s’agissant de l’obligation de nommer un représentant fiscal, elle n’est pas mentionnée par la juridiction de renvoi dans sa première question préjudicielle. J’indique toutefois, par souci d’exhaustivité, que, conformément à mon analyse relative à l’article 1er, paragraphe 1, sous e), de la directive 2015/1535, cette obligation tombe en dehors du cadre de la définition de la « règle relative aux services » dans la mesure où elle ne vise pas à réglementer l’accès ou
l’exercice d’un service de la société de l’information, mais constitue uniquement une conséquence administrative de l’exercice d’un tel service, étroitement liée à l’obligation de retenue d’impôt.

Sur les règles techniques de facto liées à des mesures fiscales

44. Lors de l’audience a également été débattue la question de savoir si les obligations découlant, pour les intermédiaires, du régime fiscal litigieux devraient être qualifiées de « règles techniques de facto », au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sous f), deuxième alinéa, point iii), de la directive 2015/1535, en tant que règles relatives aux services liées à des mesures fiscales.

45. Cependant, comme l’a fait valoir le gouvernement français, de telles règles accompagnent des mesures fiscales qui ont pour objectif d’influencer la consommation de certains produits ou services tels que les produits moins nocifs pour l’environnement ou plus économes en énergie. Or tel n’est pas l’objectif du régime fiscal litigieux. En effet, l’objectif de celui-ci est uniquement, comme l’expose de manière convaincante le gouvernement italien, de faciliter le recouvrement d’impôts et de lutter
contre l’évasion fiscale. Les obligations en cause sont donc des mesures fiscales au sens propre et ne sauraient être qualifiées de « règles techniques de facto » ( 17 ).

Proposition de réponse à la première question préjudicielle

46. Je propose donc de répondre à la première question préjudicielle que l’article 1er, paragraphe 1, sous f), de la directive 2015/1535, lu conjointement avec l’article 1er, paragraphe 1, sous e), de celle-ci, doit être interprété en ce sens que ne constitue pas une « règle technique », au sens de cette première disposition, une réglementation nationale qui impose aux intermédiaires de location immobilière de courte durée, y compris ceux exerçant leur activité en ligne, l’obligation de collecte et
de communication aux autorités fiscales des données relatives aux contrats de location conclus à la suite de l’activité de l’intermédiaire, ainsi que, lorsque ces intermédiaires interviennent dans le paiement du loyer, l’obligation de retenue de l’impôt dû sur les sommes versées par les preneurs aux bailleurs et de versement de cet impôt au Trésor public.

Sur la deuxième question préjudicielle

47. Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande si les directives 2000/31 et 2006/123, ainsi que l’article 56 TFUE, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale qui impose aux intermédiaires de location immobilière de courte durée, y compris ceux exerçant leur activité en ligne :

a) l’obligation de collecte et de communication aux autorités fiscales des données relatives aux contrats de location conclus à la suite de l’activité de l’intermédiaire ;

b) lorsque ces intermédiaires interviennent dans le paiement du loyer, l’obligation de retenue de l’impôt dû sur les sommes versées par les preneurs aux bailleurs et de versement de cet impôt au Trésor public, et

c) l’obligation de désigner un représentant fiscal, si l’intermédiaire en question ne dispose pas d’établissement stable en Italie.

Sur l’obligation d’information

48. En ce qui concerne l’obligation de collecte et de communication d’informations, la Cour a jugé, dans son arrêt Airbnb Ireland ( 18 ), que la réglementation belge, qui imposait des obligations analogues à celles en cause en l’espèce, était exclue du champ d’application de la directive 2000/31 dans la mesure où elle relevait du « domaine de la fiscalité », au sens de l’article 1er, paragraphe 5, sous a), de cette directive.

49. La même conclusion s’impose, à mon avis, en ce qui concerne la notion de « matière fiscale », au sens de l’article 2, paragraphe 3, de la directive 2006/123, de sorte que la réglementation nationale en cause en l’espèce devrait également être exclue du champ d’application de cette directive.

50. Par ailleurs, la considération de la Cour, dans l’arrêt Airbnb Ireland ( 19 ), selon laquelle l’article 56 TFUE ne s’oppose pas à la réglementation belge est directement transposable au présent cas.

Sur l’obligation de retenue d’impôt

51. La Cour a considéré, dans l’arrêt Airbnb Ireland ( 20 ), que l’obligation d’information imposée aux prestataires des services d’intermédiation dans la location immobilière de courte durée est exclue du champ d’application de la directive 2000/31 en tant que relevant du domaine de la fiscalité, étant donné que le destinataire de ces informations est l’administration fiscale, que l’obligation fait partie d’une réglementation fiscale et que les informations dont cette obligation impose la
transmission sont indissociables, quant à leur substance, de cette réglementation, puisqu’elles servent à identifier le redevable effectif de la taxe, l’assiette de cette dernière et, par conséquent, son montant.

52. Il en va a fortiori de même de l’obligation de retenue de l’impôt, qui a par excellence un caractère fiscal. Il ne fait donc aucun doute que cette obligation relève, au même titre que l’obligation d’information, du « domaine de la fiscalité », au sens de l’article 1er, paragraphe 5, sous a), de la directive 2000/31, ainsi que de la « matière fiscale », au sens de l’article 2, paragraphe 3, de la directive 2006/123.

53. Il y a donc lieu de constater que l’obligation de retenue d’impôt est exclue du champ d’application des directives 2000/31 et 2006/123.

54. Ensuite, en ce qui concerne l’article 56 TFUE, la Cour a considéré, dans l’arrêt Airbnb Ireland, que cette disposition ne s’oppose pas à l’obligation de collecte et de transmission d’informations par un intermédiaire immobilier, au motif, notamment, que, selon sa jurisprudence, ne sont pas visées à l’article 56 TFUE des mesures dont le seul effet est d’engendrer des coûts supplémentaires pour la prestation en cause et qui affectent de la même manière la prestation de services entre les États
membres et celles internes à un État membre ( 21 ).

55. Cependant, Airbnb conteste indirectement, dans ses observations, cette conclusion de la Cour en arguant que la jurisprudence sur laquelle celle-ci est fondée concerne les impôts et les taxes grevant les activités propres des prestataires transfrontaliers et que les coûts supplémentaires visés dans cette jurisprudence étaient engendrés directement par cette taxation. Or, selon Airbnb, les obligations qui pèsent sur elle en vertu du régime fiscal litigieux découlent non pas de l’imposition de son
activité propre, mais de celle de l’activité de ses clients bailleurs. Airbnb soutient que, par conséquent, la jurisprudence sur laquelle est basé le point 46 de l’arrêt Airbnb Ireland n’est pas applicable en l’espèce.

56. Cette argumentation n’est pas dépourvue de fondement, en tout cas en ce qui concerne l’obligation de retenue d’impôt. En effet, cette obligation constitue une charge bien plus importante qu’une simple obligation d’information, ne serait-ce que du fait de la responsabilité financière qu’elle engendre non seulement envers l’État d’imposition, mais également envers les clients. Il me semble donc nécessaire d’analyser sa conformité avec l’article 56 TFUE.

57. Pour rappel, selon une jurisprudence constante, l’article 56 TFUE s’oppose à l’application des mesures nationales qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l’exercice de la libre prestation des services ( 22 ).

58. Airbnb soutient, en premier lieu, que le régime fiscal litigieux, et notamment l’obligation de retenue d’impôt, constitue une discrimination indirecte des prestataires transfrontaliers, au motif que la « quasi-totalité » des plateformes d’intermédiation immobilière présentes sur le marché italien, et « plus particulièrement celles qui gèrent également les paiements », sont établies dans d’autres États membres. Il y a lieu, à mon avis, de comprendre cet argument en ce sens que, selon Airbnb, le
législateur italien, en imposant l’obligation de retenue d’impôt uniquement aux intermédiaires qui interviennent dans le paiement du loyer, aurait discriminé les plateformes non-résidentes, qui interviennent d’habitude dans les paiements, par rapport aux intermédiaires résidents, qui le plus souvent ne le font pas.

59. L’exactitude de la prémisse factuelle sur laquelle est basée cette thèse ne peut être vérifiée que par la juridiction de renvoi. Nonobstant cela, du point de vue de la liberté de prestation des services, la thèse d’Airbnb ne me paraît pas fondée.

60. Premièrement, en ce qui concerne l’imposition de l’obligation de retenue d’impôt aux seuls intermédiaires qui interviennent dans le paiement du loyer, il serait à l’évidence difficile d’imposer cette obligation aux intermédiaires qui ne proposent pas un tel service additionnel. Cependant, l’élément le plus important, selon moi, est le fait que le choix de l’intermédiaire de fournir ce service n’est pas accidentel mais, au contraire, répond à des préoccupations analogues à celles ayant conduit le
législateur italien à adopter le régime fiscal litigieux.

61. En effet, il convient de constater, comme l’admet d’ailleurs Airbnb dans ses observations, que, s’agissant de contrats de location de courte durée, le niveau de risque est bien plus élevé dans la situation où ces contrats sont conclus entre des personnes physiques que dans celle où le bailleur est un professionnel et le locataire, un consommateur. En effet, dans cette première situation, s’agissant, d’une part, du locataire, celui-ci n’est pas toujours en mesure de s’assurer à l’avance de la
qualité réelle, voire de l’existence, d’un bien n’appartenant pas à un professionnel de tourisme et il ne bénéficie pas de la protection conférée aux consommateurs ; s’agissant, d’autre part, du bailleur non professionnel, celui-ci n’a souvent pas la même capacité qu’un professionnel de s’assurer du paiement effectif du loyer par le locataire. Ainsi, l’intermédiaire, en garantissant que le locataire ne pourra accéder aux lieux qu’à la condition d’avoir payé le loyer et que le bailleur ne recevra
son argent qu’après que le locataire a pris possession du bien en ayant constaté que celui-ci répond aux termes du contrat, non seulement facilite la procédure de paiement, mais crée les conditions de sécurité nécessaires au développement du secteur de location immobilière de courte durée par des non-professionnels en tant que marché de masse.

62. Or l’autorité publique souhaitant imposer cette activité de location est confrontée à des difficultés analogues. L’activité d’un nombre important de personnes physiques qui ne sont pas soumises aux différentes obligations incombant aux professionnels est, par nature, difficile à contrôler fiscalement. Il est donc parfaitement cohérent d’imposer l’obligation de retenue d’impôt aux intermédiaires qui interviennent dans le paiement du loyer, pour les mêmes raisons que celles pour lesquelles ceux-ci
proposent un tel service.

63. Deuxièmement, le fait que la majorité des intermédiaires intervenant dans le paiement des loyers soit établie dans d’autres États membres que celui où se situe le bien mis en location tient à ce que la prestation de services en ligne n’exige pas d’être établi dans un lieu donné, ainsi qu’à la concentration de l’activité dans un nombre limité d’entités économiques propre à l’économie des plateformes en ligne ( 23 ). En revanche, la nature de ces services, notamment le service lié à l’intervention
dans le paiement, ne les prédestine nullement à être fournis par des prestataires non‑résidents plutôt que par des résidents. La jurisprudence citée par Airbnb ( 24 ), relative aux enseignants des langues étrangères, c’est-à-dire à un groupe étant, par nature, susceptible de comprendre une grande proportion d’étrangers, n’est donc pas transposable en l’espèce.

64. En second lieu, Airbnb soutient que le législateur italien, en imposant la même obligation de retenue d’impôt aux résidents et aux non-résidents, a discriminé ces derniers qui, dans la mesure où ils ne sont pas soumis à la compétence fiscale de l’Italie, se trouvent dans une situation différente de celle des résidents.

65. Cet argument est, à mon avis, également infondé. Le régime fiscal litigieux concerne non pas l’imposition des services d’Airbnb, mais celle des activités de location des biens immobiliers se situant sur le territoire italien, sous-jacentes à ces services. Par conséquent, ce régime relève, sans aucun doute, de la compétence fiscale du gouvernement italien. Or les services fournis par des intermédiaires tels qu’Airbnb sont indissociables de ces activités de location, du fait d’être dépourvus d’une
valeur économique propre. Il existe donc, à mon avis, un lien de rattachement largement suffisant pour permettre à cet État membre d’imposer aux intermédiaires des obligations dans le cadre de l’imposition des contrats de location de biens immobiliers situés sur son territoire, sans effectuer de distinction en ce qui concerne le lieu d’établissement de ces intermédiaires ( 25 ). Les non‑résidents ne se trouvent donc pas, de ce point de vue, dans une situation différente de celle des résidents.

66. J’en conclus que l’obligation de retenue d’impôt imposée aux intermédiaires dans le cadre du régime fiscal litigieux n’implique pas une discrimination envers des opérateurs non‑résidents. En revanche, il me semble que cette obligation pourrait être considérée comme une entrave à la libre prestation des services en tant que mesure susceptible de rendre moins attrayant l’exercice de cette liberté.

67. En effet, une telle obligation impose aux opérateurs concernés de jouer un rôle nouveau, dès lors qu’ils seront des intermédiaires non plus seulement entre les bailleurs et les locataires, mais également entre les bailleurs et les autorités fiscales, qui implique une responsabilité financière accrue, d’une part, envers le fisc pour le paiement exact de l’impôt dû et, d’autre part, envers les bailleurs, qui seront en droit de considérer être déchargés de leurs obligations fiscales du fait de la
retenue opérée par les intermédiaires. Ainsi, l’exercice de la libre prestation des services, notamment ceux tenant à l’intermédiation dans le paiement des loyers, s’accompagne d’un risque supplémentaire qui n’existerait pas en l’absence de l’obligation de retenue d’impôt ( 26 ).

68. Cependant, je considère, contrairement à ce que soutient Airbnb, que cette entrave est pleinement justifiée. À cet égard, le gouvernement italien soulève la nécessité de garantir la perception efficace de l’impôt sur les revenus provenant des locations immobilières de courte durée et de lutter contre l’évasion fiscale dans ce secteur. Il y a lieu de relever que, selon une jurisprudence constante, un tel objectif constitue une raison d’intérêt général susceptible de justifier une entrave à une
liberté de marché intérieur ( 27 ).

69. La retenue de l’impôt (ou d’un précompte d’impôt) à la source est une technique fiscale universellement utilisée, qui non seulement permet de garantir le recouvrement efficace de l’impôt, mais également constitue une mesure de simplification et de sécurité juridique accrue pour les contribuables. Par ailleurs, pour l’opérateur qui, de toute façon, se trouve en possession des fonds qui constituent l’assiette de l’impôt, comme c’est le cas d’un intermédiaire immobilier qui intervient dans le
paiement du loyer, l’obligation de transférer une partie de cet argent aux autorités fiscales ne présente pas une charge démesurée.

70. Ainsi que l’ont rappelé plusieurs intéressés ayant présenté des observations dans la présente affaire, la Cour a reconnu la technique de retenue d’impôt comme justifiant une entrave à une liberté du marché intérieur ( 28 ). S’il est vrai, comme le souligne Airbnb, que cette conclusion concernait des situations où des contribuables non‑résidents percevaient des revenus de source interne ( 29 ), je ne vois pas de raison pour qu’elle ne puisse s’appliquer dans des situations telles que celle en
cause dans l’affaire au principal. La difficulté du recouvrement de l’impôt tient non pas uniquement au lieu d’établissement ou de résidence du contribuable, mais également à plusieurs autres facteurs, l’un des plus importants étant la pluralité de contribuables percevant chacun un revenu relativement peu élevé. Il me paraît assez évident que la perception d’une somme d’impôts auprès d’une multitude de petits contribuables exige bien plus d’efforts et de ressources que le recouvrement de la même
somme auprès d’un seul grand contribuable. Il est alors parfaitement légitime de recourir à la technique de la retenue à la source, dans la situation où un seul intermédiaire reçoit et reverse les revenus soumis à l’imposition en question à plusieurs contribuables, même si cela présente une charge administrative additionnelle pour cet intermédiaire. Il est également évident qu’une telle mesure permet de lutter efficacement contre l’évasion fiscale, en imposant à un opérateur n’étant pas
personnellement intéressé à éluder l’impôt la responsabilité du versement de cet impôt à l’administration fiscale.

71. Ainsi, cette obligation de retenue ne me paraît nullement disproportionnée au regard de l’objectif légitime de recouvrement efficace de l’impôt et de lutte contre l’évasion fiscale. Notamment, la solution prônée par Airbnb, consistant en des accords volontaires entre les intermédiaires et les autorités fiscales en vue de la transmission d’informations, me paraît être manifestement moins efficace, du fait, justement, de son caractère volontaire. Après tout, la fiscalité ne saurait être basée sur
le volontariat.

72. Quant à l’argument d’Airbnb selon lequel les obligations imposées aux intermédiaires dans le cadre du régime fiscal litigieux, notamment l’obligation de retenue d’impôt, auraient un caractère incohérent, il y a lieu d’observer que le choix opéré quant aux personnes et aux types des contrats de location concernés par ces obligations résulte du champ d’application du régime fiscal litigieux et relève de la seule compétence de l’État membre concerné ( 30 ). Par ailleurs, le fait d’introduire des
règles spécifiques pour les locations de courte durée, dont la fonction économique est différente de celle des locations de longue durée, ainsi que pour les personnes physiques n’agissant pas à titre professionnel, dont le régime d’imposition est naturellement différent de celui des personnes morales et des professionnels, ne me paraît aucunement incohérent.

73. Enfin, le fait qu’un intermédiaire tel qu’Airbnb puisse théoriquement être soumis à des obligations semblables à celles en cause dans la présente affaire, mais présentant des différences quant à certains détails, dans différents États membres dans lesquels il offre ses services résulte du fait que ces services, bien qu’ils constituent des services en ligne fournis à distance, sont liés aux services de location immobilière sous-jacents, dont les conditions de fourniture et, notamment,
d’imposition ne sont pas harmonisées au niveau de l’Union. Cela ne saurait toutefois remettre en cause mon constat tenant au caractère justifié des mesures que les États membres sont susceptibles de prendre, dans le cadre de leurs compétences, pour réglementer ces services de location immobilière.

74. En définitive, je considère que l’article 56 TFUE ne s’oppose pas à une obligation de retenue d’impôt telle que celle prévue par le régime fiscal litigieux.

Sur l’obligation de désigner un représentant fiscal

75. Pour rappel, un intermédiaire soumis à l’obligation de retenue d’impôt qui n’est pas résident en Italie est tenu, en vertu du régime fiscal litigieux, de désigner un représentant fiscal aux fins du respect de cette obligation. Il ressort des éclaircissements fournis par le gouvernement italien lors de l’audience que, bien que cela ne soit pas expressément prévu par les textes, ce représentant doit, en toute logique, être résident italien, faute de quoi sa désignation perdrait toute son utilité.

76. En tant que mesure à caractère fiscal par excellence, liée à l’obligation de retenue à la source, l’obligation de désigner un représentant fiscal relève à l’évidence, à l’instar des deux autres obligations qui pèsent sur les intermédiaires en vertu du régime fiscal litigieux, du « domaine de la fiscalité », au sens de l’article 1er, paragraphe 5, sous a), de la directive 2000/31, ainsi que de la « matière fiscale », au sens de l’article 2, paragraphe 3, de la directive 2006/123, de sorte que
cette obligation est exclue du champ d’application de ces deux directives.

77. Il convient néanmoins encore de vérifier si l’obligation de désigner un représentant fiscal est conforme à l’article 56 TFUE.

78. À cet égard, Airbnb soutient d’emblée qu’une telle obligation, qui ne s’applique qu’aux résidents étrangers, est directement discriminatoire envers les prestataires d’autres États membres et est, par conséquent, contraire à l’article 56 TFUE.

79. Je ne suis pas convaincu par cet argument. Du point de vue fiscal, les non‑résidents ne se trouvent pas toujours dans la même situation que les résidents, ce qui peut justifier une différence de traitement, sans que cette différence donne lieu à une discrimination ( 31 ).

80. En revanche, la Cour a déjà jugé, dans l’arrêt Commission/Espagne ( 32 ), qu’une obligation de désigner un représentant fiscal imposée par la législation espagnole aux prestataires des services transfrontaliers aux fins, précisément, de la transmission d’informations et de la retenue d’impôt constitue une restriction disproportionnée à la libre prestation des services et est donc contraire à l’article 56 TFUE.

81. Je suis d’avis que, contrairement à ce que semble suggérer le gouvernement italien, le constat formulé par la Cour dans cet arrêt ne constitue pas une appréciation « dans un cas d’espèce unique », mais est bien le résultat de l’application des principes gouvernant l’interprétation de l’article 56 TFUE à l’obligation de désigner un représentant fiscal imposée aux prestataires de services établis dans d’autres États membres. En effet, ledit arrêt était déjà basé sur un précédent ( 33 ). Or les
différences existant entre les législations en cause dans ces deux affaires n’ont pas été jugées comme étant déterminantes par la Cour ( 34 ). Par ailleurs, les raisons invoquées par le gouvernement italien pour justifier l’obligation de désigner un représentant fiscal sont substantiellement identiques à celles qu’avait présentées le gouvernement espagnol dans l’affaire ayant donné lieu audit arrêt, à savoir la nécessité d’un contrôle fiscal efficace ainsi que la lutte contre la fraude fiscale (
35 ).

82. Il en résulte que l’obligation de désigner un représentant fiscal est contraire à l’article 56 TFUE.

Réponse à la deuxième question préjudicielle

83. Au vu des considérations que je viens d’exposer, je propose de répondre à la deuxième question préjudicielle que l’article 1er, paragraphe 5, sous a), de la directive 2000/31, ainsi que l’article 2, paragraphe 3, de la directive 2006/123, doivent être interprétés en ce sens qu’une réglementation nationale qui impose aux intermédiaires de location immobilière de courte durée, y compris ceux exerçant leur activité en ligne, des obligations de collecte et de transmission d’informations, de retenue
d’impôt et de désigner un représentant fiscal, telles que prévues par le régime fiscal litigieux, est exclue du champ d’application de ces directives et que l’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ces deux premières obligations, mais qu’il s’oppose à la troisième.

Sur la troisième question préjudicielle

84. Par sa troisième question préjudicielle, la juridiction de renvoi demande si l’article 267 TFUE doit être interprété en ce sens que, en présence d’une question d’interprétation du droit de l’Union soulevée par l’une des parties, le juge dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours juridictionnel de droit interne conserve la faculté de procéder à la formulation autonome des questions préjudicielles à adresser à la Cour ou s’il est tenu de reprendre les questions telles qu’elles ont été
formulées par la partie demandant le renvoi.

85. À cet égard, la juridiction de renvoi indique que, dans la présente affaire, les parties ont demandé de soumettre à la Cour des questions précises relatives à l’interprétation du droit de l’Union et que, selon elle, l’omission de respecter cette demande pourrait conduire à reconnaître la responsabilité de l’État et, en conséquence, dans l’ordre juridique italien, celle du juge en tant que personne physique.

86. Cependant, il résulte d’une jurisprudence bien établie de la Cour que, si une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours juridictionnel de droit interne est en principe tenue d’opérer un renvoi préjudiciel lorsqu’elle constate qu’une question d’interprétation du droit de l’Union se présente devant elle, la détermination et la formulation des questions à soumettre à la Cour n’appartiennent qu’à la juridiction nationale et les parties au principal ne sauraient en
déterminer la teneur ( 36 ). En effet, le système instauré par l’article 267 TFUE ne constitue pas une voie de recours ouverte aux parties à un litige pendant devant un juge national. Il ne suffit donc pas qu’une partie soutienne que le litige pose une question d’interprétation du droit de l’Union pour que la juridiction concernée soit tenue de considérer qu’une telle question est soulevée au sens de l’article 267 TFUE ( 37 ). Il en va de même en ce qui concerne la teneur des questions.

87. Par ailleurs, en soumettant un renvoi préjudiciel, la juridiction nationale est tenue de respecter les exigences portant sur le contenu d’une demande de décision préjudicielle, figurant à l’article 94 du règlement de procédure de la Cour ( 38 ), exigences que les parties ne sont pas tenues de respecter en formulant leurs propositions de questions préjudicielles. La responsabilité de respecter ces exigences incombe donc uniquement à la juridiction nationale, sous peine du rejet de cette demande
ou de certaines questions comme étant irrecevables.

88. Je propose donc de répondre à la troisième question préjudicielle que l’article 267 TFUE doit être interprété en ce sens que, en présence d’une question d’interprétation du droit de l’Union soulevée par l’une des parties, le juge national dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours juridictionnel de droit interne conserve la faculté de procéder à la formulation autonome des questions préjudicielles.

Conclusion

89. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je propose à la Cour d’apporter la réponse suivante aux questions préjudicielles soumises par le Consiglio di Stato (Conseil d’État, Italie) :

1) L’article 1er, paragraphe 1, sous f), de la directive (UE) 2015/1535, du Parlement européen et du Conseil, du 9 septembre 2015, prévoyant une procédure d’information dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l’information, lu conjointement avec l’article 1er, paragraphe 1, sous e), de cette directive, doit être interprété en ce sens que ne constitue pas une « règle technique », au sens de cette première disposition, une réglementation
nationale qui impose aux intermédiaires de location immobilière de courte durée, y compris ceux exerçant leur activité en ligne, l’obligation de collecte et de communication aux autorités fiscales des données relatives aux contrats de location conclus à la suite de l’activité de l’intermédiaire, ainsi que, dans le cas des intermédiaires qui interviennent dans le paiement du loyer, l’obligation de retenue de l’impôt dû sur les sommes versées par les preneurs aux bailleurs et de versement de
cet impôt au Trésor public.

2) L’article 1er, paragraphe 5, sous a), de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur (« directive sur le commerce électronique »), ainsi que l’article 2, paragraphe 3, de la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur, doivent être
interprétés en ce sens qu’une réglementation nationale qui impose aux intermédiaires de location immobilière de courte durée, y compris ceux exerçant leur activité en ligne

a) l’obligation de collecte et de communication aux autorités fiscales des données relatives aux contrats de location conclus à la suite de l’activité de l’intermédiaire ;

b) dans le cas des intermédiaires qui interviennent dans le paiement du loyer, l’obligation de retenue de l’impôt dû sur les sommes versées par les preneurs aux bailleurs et de versement cet impôt au Trésor public, et

c) l’obligation de désigner un représentant fiscal, si l’intermédiaire en question ne dispose pas d’un établissement stable en Italie,

est exclue du champ d’application de ces directives.

L’article 56 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui établit les obligations visées sous a) et b) et qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui établit l’obligation visée sous c).

3) L’article 267 TFUE doit être interprété en ce sens que, en présence d’une question d’interprétation du droit de l’Union soulevée par l’une des parties, le juge national dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours juridictionnel de droit interne conserve la faculté de procéder à la formulation autonome des questions préjudicielles.

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( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) JO 2000, L 178, p. 1.

( 3 ) JO 2006, L 376, p. 36.

( 4 ) JO 2015, L 241, p. 1.

( 5 ) GURI no 144, du 23 juin 2017.

( 6 ) Plus exactement, c’est Airbnb Ireland qui gère le portail Internet sur le territoire de l’Union, tandis que Airbnb Payments UK, à l’époque des faits au principal, gérait les paiements.

( 7 ) Arrêt du 19 décembre 2019, Airbnb Ireland (C‑390/18, EU:C:2019:1112, point 1 du dispositif).

( 8 ) Voir arrêt du 3 décembre 2020, Star Taxi App (C‑62/19, EU:C:2020:980, points 64 à 66).

( 9 ) Voir arrêt du 12 septembre 2019, VG Media (C‑299/17, EU:C:2019:716, point 36).

( 10 ) Voir arrêt du 12 septembre 2019, VG Media (C‑299/17, EU:C:2019:716, point 37).

( 11 ) Telle que celle en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 3 décembre 2020, Star Taxi App (C‑‑62/19, EU:C:2020:980).

( 12 ) Telle que celle en cause dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 12 septembre 2019, VG Media (C‑299/17, EU:C:2019:716).

( 13 ) Cette sanction est d’origine prétorienne. Voir, notamment, arrêt du 30 avril 1996, CIA Security International (C‑194/94, EU:C:1996:172, point 2 du dispositif).

( 14 ) Si cette obligation est accompagnée de sanctions, celles-ci se traduisent toutefois non pas par une interdiction d’exercer l’activité d’intermédiation, mais par de simples sanctions pécuniaires.

( 15 ) À moins de considérer le fait de permettre aux bailleurs d’exercer l’activité de location à l’insu de l’administration fiscale comme étant un élément important du service d’intermédiation en cause. Cela reviendrait cependant à présumer l’existence d’une fraude.

( 16 ) Déduction faite de sa provision.

( 17 ) Voir, en ce sens, arrêt du 11 juin 2015, Berlington Hungary e.a. (C‑98/14, EU:C:2015:386, points 96 et 97).

( 18 ) Arrêt du 27 avril 2022 (C‑674/20, ci-après l’« arrêt Airbnb Ireland , EU:C:2022:303, point 1 du dispositif).

( 19 ) Point 2 du dispositif de cet arrêt.

( 20 ) Voir points 32 à 34 de cet arrêt.

( 21 ) Point 46 de cet arrêt et jurisprudence citée.

( 22 ) Voir, récemment, arrêt du 3 mars 2020, Google Ireland (C‑482/18, EU:C:2020:141, point 26).

( 23 ) Voir, à cet égard, Perrot, A., « L’économie digitale et ses enjeux : le point de vue de l’économiste », AJ Contrats d’affaires Concurrence Distribution, no 2, Dalloz Revues, février 2016, p. 74.

( 24 ) Arrêt du 26 juin 2001, Commission/Italie (C‑212/99, EU:C:2001:357).

( 25 ) Voir, au sujet de l’étendue de la compétence fiscale des États membres, conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Google Ireland (C‑482/18, EU:C:2019:728, points 42 à 47).

( 26 ) Voir, en ce sens, arrêt du 26 février 2019, N Luxembourg 1 e.a. (C‑115/16, C‑118/16, C 119/16 et C‑299/16, EU:C:2019:134, point 159).

( 27 ) Voir, récemment, arrêt du 26 février 2019, N Luxembourg 1 e.a. (C‑115/16, C‑118/16, C‑119/16 et C‑299/16, EU:C:2019:134, point 160).

( 28 ) Arrêt du 26 février 2019, N Luxembourg 1 e.a. (C‑115/16, C‑118/16, C‑119/16 et C‑299/16, EU:C:2019:134, point 160 et jurisprudence citée).

( 29 ) Voir, cependant, arrêt du 11 décembre 2014, Commission/Espagne (C‑678/11, EU:C:2014:2434, point 47), dans lequel la Cour a admis, bien que sous forme d’un obiter dictum, une telle obligation pesant sur les prestataires des services transfrontaliers.

( 30 ) Voir, en ce sens, arrêt du 16 mars 2021, Commission/Pologne (C‑562/19 P, EU:C:2021:201, point 38).

( 31 ) Voir, en ce qui concerne la situation des contribuables résidents et non‑résidents, notamment, arrêt du 14 décembre 2006, Denkavit Internationaal et Denkavit France (C‑170/05, EU:C:2006:783, points 23 à 25). La même logique peut à mon avis s’appliquer en ce qui concerne les personnes qui, sans être des contribuables, sont cependant responsables du versement d’un impôt au Trésor.

( 32 ) Arrêt du 11 décembre 2014 (C‑678/11, EU:C:2014:2434, notamment points 57 à 59 et 61).

( 33 ) À savoir l’arrêt du 5 juillet 2007, Commission/Belgique (C‑522/04, EU:C:2007:405).

( 34 ) Voir arrêt du 11 décembre 2014, Commission/Espagne (C‑678/11, EU:C:2014:2434, notamment points 54 et 55).

( 35 ) Voir arrêt du 11 décembre 2014, Commission/Espagne (C‑678/11, EU:C:2014:2434, notamment point 44).

( 36 ) Les parties ont en revanche le droit d’accès à un juge doté de la compétence pour formuler une demande de décision préjudicielle.

( 37 ) Voir, pour un rappel récent de cette jurisprudence, arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi (C‑561/19, EU:C:2021:799, points 53 à 58).

( 38 ) Arrêt du 6 octobre 2021, Consorzio Italian Management et Catania Multiservizi (C‑561/19, EU:C:2021:799, points 68 et 69).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-83/21
Date de la décision : 07/07/2022
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Consiglio di Stato.

Renvoi préjudiciel – Marché intérieur – Article 114, paragraphe 2, TFUE – Exclusion des dispositions fiscales – Directive 2000/31/CE – Services de la société de l’information – Commerce électronique – Portail télématique d’intermédiation immobilière – Article 1er, paragraphe 5, sous a) – Exclusion du “domaine de la fiscalité” – Directive 2006/123/CE – Services dans le marché intérieur – Article 2, paragraphe 3 – Exclusion de la “matière fiscale” – Directive (UE) 2015/1535 – Article 1er, paragraphe 1, sous e) et f) – Notions de “règle relative aux services” et de “règle technique” – Obligation faite aux prestataires de services d’intermédiation immobilière de collecter et de transmettre au fisc les données de contrats de location et de procéder à la retenue à la source de l’impôt sur les paiements effectués – Obligation de désigner un représentant fiscal faite aux prestataires de services ne disposant pas d’un établissement stable en Italie – Article 56 TFUE – Caractère restrictif – Objectif légitime – Caractère disproportionné de l’obligation de désigner un représentant fiscal �� Article 267, troisième alinéa, TFUE – Prérogatives d’une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles de recours juridictionnel de droit interne.

Libre prestation des services

Droit d'établissement

Marché intérieur - Principes

Rapprochement des législations

Protection des consommateurs


Parties
Demandeurs : Airbnb Ireland UC plc et Airbnb Payments UK Ltd
Défendeurs : Agenzia delle Entrate.

Composition du Tribunal
Avocat général : Szpunar

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:545

Source

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