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07/07/2022 | CJUE | N°C-42/21

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. A. Rantos, présentées le 7 juillet 2022., Lietuvos geležinkeliai AB contre Commission européenne., 07/07/2022, C-42/21


 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. ATHANASIOS RANTOS

présentées le 7 juillet 2022 ( 1 )

Affaire C‑42/21 P

Lietuvos geležinkeliai AB

contre

Commission européenne

« Pourvoi – Concurrence – Abus de position dominante – Marché du fret ferroviaire – Décision constatant une infraction à l’article 102 TFUE – Accès aux infrastructures gérées par la société nationale des chemins de fer de Lituanie – Démantèlement d’un tronçon de voie ferrée – Notion d’“abus” – Jurispru

dence Bronner – Caractère indispensable de l’accès – Intention anticoncurrentielle – Exercice de la compétence de pleine juridiction – Réduction du montan...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. ATHANASIOS RANTOS

présentées le 7 juillet 2022 ( 1 )

Affaire C‑42/21 P

Lietuvos geležinkeliai AB

contre

Commission européenne

« Pourvoi – Concurrence – Abus de position dominante – Marché du fret ferroviaire – Décision constatant une infraction à l’article 102 TFUE – Accès aux infrastructures gérées par la société nationale des chemins de fer de Lituanie – Démantèlement d’un tronçon de voie ferrée – Notion d’“abus” – Jurisprudence Bronner – Caractère indispensable de l’accès – Intention anticoncurrentielle – Exercice de la compétence de pleine juridiction – Réduction du montant de l’amende »

I. Introduction

1. Par son pourvoi, Lietuvos geležinkeliai AB (ci-après « LG ») demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 18 novembre 2020, Lietuvos geležinkeliai/Commission (T‑814/17, ci-après l’ arrêt attaqué , EU:T:2020:545), par lequel celui-ci a, d’une part, rejeté son recours en tant qu’il tendait à l’annulation de la décision C(2017) 6544 final de la Commission, du 2 octobre 2017, relative à une procédure d’application de l’article 102 TFUE (affaire AT.39813 – Baltic Rail)
(ci-après la « décision litigieuse »), et, d’autre part, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, réduit le montant de l’amende infligée par cette décision à LG en le fixant à 20068650 euros.

2. En l’occurrence, la décision litigieuse avait établi un abus de position dominante qui consistait en la suppression, par LG, qui est l’entreprise ferroviaire nationale de la Lituanie et gestionnaire de ses infrastructures ferroviaires, d’un tronçon de voie ferrée long de 19 km, situé en Lituanie et allant jusqu’à la frontière avec la Lettonie (ci-après la « voie ferrée »). Selon la Commission, cette suppression avait été susceptible d’empêcher une entreprise ferroviaire concurrente établie en
Lettonie d’entrer sur le marché lituanien de la fourniture de services de transport ferroviaire de produits pétroliers ou, à tout le moins, avait rendu cette entrée plus difficile.

3. Les trois premiers moyens du présent pourvoi sont dirigés, en substance, contre l’appréciation, par le Tribunal, de l’existence d’un abus de position dominante. Le quatrième moyen du pourvoi concerne l’appréciation du montant de l’amende.

4. Le présent pourvoi offre, d’une part, à la Cour l’occasion de préciser sa jurisprudence relative aux critères applicables à la constatation d’un abus de position dominante et, plus spécifiquement, de poursuivre la clarification de la portée de la jurisprudence issue de l’arrêt du 26 novembre 1998, Bronner (C‑7/97, ci-après l’ arrêt Bronner , EU:C:1998:569), relative aux critères permettant de qualifier de « pratique abusive » un refus d’accès ou de fourniture par une entreprise en situation de
position dominante. D’autre part, ce pourvoi permet également de tirer des constatations utiles concernant l’exercice du pouvoir de pleine juridiction par le Tribunal.

II. Les antécédents du litige

5. Les antécédents du litige ainsi que le contenu de la décision litigieuse sont exposés aux points 1 à 48 de l’arrêt attaqué. Pour les besoins du présent pourvoi, ils peuvent être résumés comme suit.

A. Le contexte factuel

6. LG est la société nationale des chemins de fer de Lituanie, une entreprise publique établie dans cet État membre, dont l’actionnaire unique est l’État lituanien. En tant qu’entreprise intégrée verticalement, LG est à la fois gestionnaire des infrastructures ferroviaires, qui demeurent cependant la propriété de l’État lituanien, et fournisseur de prestations de services de transport ferroviaire en Lituanie.

7. Orlen Lietuva AB (ci-après « Orlen ») est une entreprise établie en Lituanie, spécialisée dans le raffinage de pétrole brut et dans la distribution de produits pétroliers raffinés. Orlen est une filiale à 100 % de l’entreprise polonaise PKN Orlen SA. Dans le cadre de ses activités, Orlen exploite différentes installations en Lituanie, dont une importante raffinerie (ci-après la « raffinerie »), située à Bugeniai, dans le district de Mažeikiai, au nord-ouest de la Lituanie, à proximité de la
frontière avec la Lettonie. Cette raffinerie est l’unique installation de ce type dans les trois États baltes. À la fin des années 2000, 90 % des produits pétroliers raffinés issus de cette raffinerie étaient transportés par voie ferroviaire, faisant ainsi d’Orlen l’une des clientes les plus importantes de LG.

8. À cette époque, Orlen produisait, au sein de la raffinerie, environ 8 millions de tonnes de produits pétroliers raffinés par an. Les trois quarts de cette production étaient destinés à l’exportation, principalement par voie maritime à destination des pays d’Europe de l’Ouest. Ainsi, 4,5 à 5,5 millions de tonnes de produits pétroliers raffinés étaient transportées à travers la Lituanie, par train, vers le terminal maritime de Klaipėda (Lituanie). Le reste de la production exportée, soit environ 1
à 1,5 million de tonnes, était acheminé, également par train, vers ou à travers la Lettonie et était principalement destiné à la consommation sur les marchés intérieurs estonien et letton. Environ 60 % de cette production acheminée par train vers ou à travers la Lettonie empruntait la ligne ferroviaire « Bugeniai-Mažeikiai-Rengė », un itinéraire allant de la raffinerie, située à proximité de la jonction ferroviaire de Mažeikiai, à la ville de Rengė (Lettonie), dont 34 km se situaient sur le
territoire lituanien (ci-après l’« itinéraire court vers la Lettonie »). Le reste de cette production acheminée par train vers ou à travers la Lettonie empruntait la ligne ferroviaire « Bugeniai-Kužiai-Joniškis-Meitene », un itinéraire plus long, dont 152 km se situaient sur le territoire lituanien (ci-après l’« itinéraire long vers la Lettonie »).

9. Afin de transporter ses produits sur l’itinéraire court vers la Lettonie, Orlen avait recours aux services de LG pour la partie lituanienne de l’itinéraire, à savoir de la raffinerie à la frontière lettonne. LG avait alors conclu un contrat de sous-traitance avec Latvijas dzelzceļš, la société nationale des chemins de fer de Lettonie (ci-après « LDZ »), pour le transport sur cette partie lituanienne de l’itinéraire. Ne disposant pas des autorisations réglementaires nécessaires pour exercer ses
activités de manière indépendante sur le territoire lituanien, LDZ opérait en tant que sous-traitant de LG. Une fois la frontière lituanienne passée, LDZ poursuivait le transport des produits d’Orlen sur le territoire letton en vertu de divers contrats.

10. Les relations commerciales entre Orlen et LG concernant les services de transport de celle-ci sur le réseau ferroviaire lituanien, y compris les services de transport sur l’itinéraire court vers la Lettonie, étaient régies par un accord signé au cours de l’année 1999 (ci-après l’« accord de 1999 »). En plus d’encadrer les tarifs appliqués par LG pour les services de transport, l’accord de 1999 comprenait, notamment, un engagement spécifique de la part de LG de transporter le fret d’Orlen sur
l’itinéraire court vers la Lettonie pour toute la durée de l’accord, à savoir jusqu’à l’année 2024.

11. Au début de l’année 2008, un litige commercial est survenu entre LG et Orlen en ce qui concernait les tarifs payés par cette dernière pour le transport de ses produits pétroliers. En raison de ce litige commercial, Orlen a envisagé la possibilité de contracter directement avec LDZ pour les services de transport ferroviaire de son fret sur l’itinéraire court vers la Lettonie, ainsi que de redéployer ses activités d’exportation maritimes au départ de Klaipėda, en Lituanie, vers les terminaux
maritimes de Riga et de Ventspils, en Lettonie.

12. Le 12 juin 2008, une réunion s’est tenue entre LG et Orlen, au cours de laquelle ce projet de redéploiement des activités d’exportation d’Orlen a été évoqué. En outre, Orlen ayant décidé unilatéralement d’appliquer un taux inférieur à celui demandé par LG, cette dernière a, le 17 juillet 2008, entamé une procédure arbitrale contre Orlen.

13. Le 28 juillet 2008, LG a informé Orlen de la résiliation de l’accord de 1999 à compter du 1er septembre 2008. Orlen a précisé, au cours de la procédure administrative devant la Commission, que la résiliation de l’accord de 1999 à compter du 1er septembre 2008 avait été annoncée par LG trois jours après qu’elle eut formellement demandé à LDZ un devis afin de remplacer les services de LG pour le transport, depuis la raffinerie et en utilisant l’itinéraire court vers la Lettonie, d’environ 4,5
à 5 millions de tonnes de produits pétroliers raffinés vers les terminaux maritimes situés sur le territoire letton. Orlen a également suggéré que LG pouvait avoir été informée de la demande de devis directement par LDZ.

14. Le 2 septembre 2008, à la suite de la détection d’une déformation de la voie ferrée de quelques dizaines de mètres (ci-après la « déformation »), LG, invoquant principalement des raisons de sécurité, a suspendu le trafic sur la voie ferrée entre Mažeikiai et la frontière avec la Lettonie.

15. Le 3 septembre 2008, LG a nommé une commission d’inspection composée de cadres de sa filiale locale afin d’enquêter sur les raisons de la déformation. La commission d’inspection a présenté deux rapports, à savoir le rapport d’enquête du 5 septembre 2008 et le rapport technique du même jour.

16. D’après le rapport d’enquête du 5 septembre 2008, la déformation aurait été provoquée par la détérioration physique de nombreux éléments composant la structure de la voie ferrée. Ce rapport d’enquête a également confirmé que le trafic devait demeurer suspendu « jusqu’à ce que tous les travaux de restauration et de réparation soient terminés ».

17. Les observations contenues dans le rapport d’enquête du 5 septembre 2008 ont été confirmées par le rapport technique du même jour, qui se référait uniquement au site de la déformation et identifiait la cause de celle-ci dans divers problèmes relatifs à la structure de la voie ferrée. Ce rapport technique a conclu que l’accident de circulation qui s’était produit sous l’effet d’une déformation de la voie ferrée devait être qualifié d’« incident » et qu’il était dû à l’usure physique des éléments
supérieurs de la structure de la voie ferrée.

18. LDZ a présenté à Orlen une offre pour le transport de ses produits pétroliers le 29 septembre 2008, à la suite d’une réunion qui s’est tenue le 22 septembre 2008. Selon Orlen, cette offre était « concrète et attrayante ». À partir du 3 octobre 2008, LG a entrepris le démantèlement complet de la voie ferrée. À la fin du mois d’octobre 2008, la voie ferrée était totalement démantelée.

19. Le 17 octobre 2008, Orlen a envoyé une lettre à LDZ pour lui confirmer son intention de transporter environ 4,5 millions de tonnes de produits pétroliers depuis la raffinerie vers les terminaux maritimes lettons, puis une rencontre a eu lieu le 20 février 2009 et des discussions plus avancées ont eu cours durant le printemps de l’année 2009.

20. Au mois de janvier 2009, un nouvel accord général de transport a été conclu entre LG et Orlen pour une période de quinze ans, jusqu’au 1er janvier 2024 (ci-après l’« accord de 2009 »). Cet accord est venu remplacer un accord intérimaire qui avait été signé le 1er octobre 2008.

21. Les négociations entre Orlen et LDZ se sont poursuivies jusqu’à la fin du mois de juin 2009, lorsque LDZ a présenté une demande en vue d’obtenir une licence pour opérer sur la partie lituanienne de l’itinéraire court vers la Lettonie.

22. Le 10 novembre 2009, la cour arbitrale a déclaré que la résiliation unilatérale de l’accord de 1999 par LG était illégale et que cet accord devait être considéré comme ayant été en vigueur jusqu’au 1er octobre 2008, date à laquelle Orlen et LG avaient conclu l’accord de transport intérimaire cité au point 20 des présentes conclusions.

23. Selon Orlen, les discussions avec LDZ ont été interrompues au milieu de l’année 2010, lorsqu’elle a finalement estimé que LG n’avait pas l’intention de réparer la voie ferrée à court terme. À ce moment, LDZ a retiré sa demande de licence pour opérer sur la partie lituanienne de l’itinéraire court vers la Lettonie.

B. La procédure administrative

24. Le 14 juillet 2010, Orlen a saisi la Commission d’une plainte formelle, au titre de l’article 7 du règlement (CE) no 1/2003 ( 2 ). Dans sa plainte, Orlen a, en substance, exposé que, à la suite d’un désaccord commercial l’opposant à LG, cette dernière avait supprimé la voie ferrée, ce qui avait eu pour conséquence de rendre indisponible l’itinéraire court vers la Lettonie et de la contraindre à emprunter le seul itinéraire disponible, à savoir l’itinéraire long vers la Lettonie, pour acheminer,
par train, la partie de sa production destinée à être transportée vers ou à travers la Lettonie.

25. Après avoir, d’une part, adressé à LG une communication des griefs, puis une lettre d’exposé des faits, sur lesquelles les parties ont présenté leurs observations et, d’autre part, organisé une audition, la Commission a, le 2 octobre 2017, adopté la décision litigieuse.

C. La décision litigieuse

1.   Définition des marchés pertinents et position dominante

26. Dans cette décision, la Commission a identifié deux marchés concernés, à savoir, d’une part, le marché, en amont, de la gestion des infrastructures ferroviaires, et, d’autre part, le marché, en aval, de la fourniture de services de transport ferroviaire de produits pétroliers (ci-après le « marché en cause »).

27. Le marché géographique en cause pour la gestion des infrastructures ferroviaires est considéré comme étant le marché national lituanien. Quant au marché géographique en cause pour le transport ferroviaire de produits pétroliers, la Commission a estimé qu’il s’agissait du marché du transport de fret ferroviaire au départ de la raffinerie et à destination des trois terminaux maritimes de Klaipėda, de Riga et de Ventspils.

28. La Commission a constaté que, en application de la législation lituanienne, LG détenait un monopole légal sur le marché, en amont, de la gestion des infrastructures ferroviaires en Lituanie. À cet égard, la réglementation nationale prévoyait que les infrastructures ferroviaires publiques appartenaient à l’État lituanien et étaient confiées à LG pour leur gestion.

29. La Commission a également constaté que LG était essentiellement la seule entreprise active sur le marché, en aval, de la fourniture de services de transport ferroviaire de produits pétroliers, ce qui, partant, lui conférait une position dominante sur ce marché.

2.   Comportement abusif

30. La Commission a estimé que LG avait abusé de sa position dominante, en tant que gestionnaire des infrastructures ferroviaires en Lituanie, en supprimant la voie ferrée, ce qui était susceptible de produire des effets anticoncurrentiels d’éviction de la concurrence sur le marché en cause entre la raffinerie et les terminaux maritimes voisins, en dressant des barrières à l’entrée sur le marché sans qu’il existe une justification objective. En particulier, la Commission a considéré que, en
supprimant la voie ferrée dans son intégralité, LG avait eu recours à des méthodes autres que celles qui régissaient une concurrence normale.

31. À cet égard, la Commission a relevé, premièrement, que LG avait connaissance du projet d’Orlen de se tourner vers les terminaux maritimes de la Lettonie en recourant aux services de LDZ ; deuxièmement, que LG avait supprimé la voie en toute hâte, sans s’assurer du financement nécessaire et sans prendre aucune des mesures préparatoires normales pour sa reconstruction ; troisièmement, que la suppression de la voie était contraire aux pratiques courantes du secteur ; quatrièmement, que LG était
consciente du risque de perte de toute activité de transport des produits d’Orlen en cas de reconstruction de la voie ferrée et, cinquièmement, que LG avait œuvré pour convaincre le gouvernement lituanien de ne pas la reconstruire.

32. La Commission a observé que la voie ferrée permettait d’emprunter l’itinéraire le plus court et le moins onéreux pour relier la raffinerie à un terminal maritime letton. De l’avis de la Commission, en raison de sa proximité avec la Lettonie et avec la base logistique de LDZ, cet itinéraire offrait également à LDZ la possibilité, très favorable, de faire son entrée sur le marché lituanien.

33. S’agissant des effets anticoncurrentiels découlant du comportement de LG, la Commission a estimé que la suppression de la voie ferrée avait été susceptible d’empêcher LDZ d’entrer sur le marché ou, à tout le moins, avait rendu beaucoup plus difficile son entrée sur le marché, et ce alors même que, selon la Commission, avant la suppression de la voie ferrée, LDZ disposait d’une opportunité crédible de transporter les produits pétroliers d’Orlen destinés à l’exportation maritime, à partir de la
raffinerie vers les terminaux maritimes lettons, par l’itinéraire court vers la Lettonie. Avec la suppression de la voie ferrée, tout transport ferroviaire de la raffinerie vers un terminal maritime letton devait emprunter un itinéraire beaucoup plus long sur le territoire de la Lituanie. Après la suppression de la voie ferrée, la seule option pour LDZ pour concurrencer LG aurait été d’essayer d’être active sur l’itinéraire vers Klaipėda ou sur l’itinéraire long vers la Lettonie. LDZ aurait, de
ce fait, été contrainte de mener ses activités loin de sa base logistique en Lettonie et aurait été tributaire des services de gestion des infrastructures de son concurrent LG. Dans ces circonstances, la Commission a considéré que, d’un point de vue ex ante, LDZ était exposée à d’importants risques commerciaux, qu’elle était moins susceptible de supporter.

34. La Commission a également estimé que LG n’avait fourni aucune justification objective concernant la suppression de la voie ferrée, en ce que les explications avancées ne concordaient pas entre elles, se contredisaient parfois et étaient peu convaincantes.

3.   Amende et injonction

35. La Commission a infligé à LG une amende d’un montant de 27873000 euros et lui a enjoint de mettre fin à l’infraction et de lui communiquer, dans un délai de trois mois à compter de la notification de la décision litigieuse, une proposition de mesures à cet effet.

III. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

36. LG a introduit un recours devant le Tribunal tendant, à titre principal, à l’annulation de la décision litigieuse et, à titre subsidiaire, à la réduction du montant de l’amende infligée.

37. À l’appui de sa demande d’annulation de la décision litigieuse, LG a invoqué cinq moyens. Ceux-ci étaient tirés, en substance : le premier, d’erreurs manifestes d’appréciation et de droit dans l’application de l’article 102 TFUE en ce qui concerne le caractère abusif du comportement de LG ; le deuxième, d’erreurs d’appréciation et de droit dans l’application de l’article 102 TFUE en ce qui concerne l’appréciation de la pratique en cause ; le troisième, de la violation de l’article 296 TFUE et de
l’article 2 du règlement no 1/2003 pour insuffisance de preuve et défaut de motivation ; le quatrième, uniquement dans sa première branche, d’erreurs dans la détermination du montant de l’amende et ; le cinquième, d’erreurs tenant à l’imposition d’une mesure corrective.

38. Dans le cadre de sa demande tendant à la réduction du montant de l’amende, LG a fait valoir, par plusieurs griefs et la seconde branche du quatrième moyen, que ce montant était disproportionné et a contesté, en substance, premièrement, le pourcentage de la valeur des ventes retenu par la Commission au titre du facteur de gravité, deuxièmement, la durée de l’infraction et, troisièmement, la décision d’inclure, dans le montant de base, un montant supplémentaire au titre de la dissuasion.

39. Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté l’ensemble des moyens avancés par LG tant à l’appui de sa demande d’annulation de la décision litigieuse qu’à l’appui de sa demande tendant à la réduction du montant de l’amende. Le Tribunal a néanmoins fixé, dans l’exercice de son pouvoir de pleine juridiction, le montant de l’amende à 20068650 euros.

IV. La procédure devant la Cour et les conclusions des parties

40. Par son pourvoi, LG demande à la Cour :

– d’annuler, en tout ou en partie, l’arrêt attaqué, dans la mesure où cet arrêt a rejeté son recours en annulation de la décision litigieuse ;

– d’annuler, en tout ou en partie, la décision litigieuse ;

– à titre subsidiaire, d’annuler ou de réduire davantage le montant de l’amende qui lui a été infligée, et

– de condamner la Commission aux dépens de la présente procédure et de celle en première instance.

41. La Commission et Orlen demandent à la Cour :

– de rejeter le pourvoi, et

– de condamner LG aux dépens.

V. Analyse

42. À l’appui de son pourvoi, LG soulève quatre moyens. Par ses trois premiers moyens, elle conteste, en substance, l’appréciation, par le Tribunal, de l’existence d’un abus de position dominante. Son quatrième moyen concerne l’appréciation, par celui-ci, de l’amende qui lui a été infligée.

43. La Commission considère que ces moyens doivent être écartés. Pour sa part, Orlen demande le rejet des trois premiers moyens, ses observations ne portant pas sur le quatrième moyen.

44. Avant d’entamer l’examen de chacun de ces moyens, quelques observations liminaires d’ordre procédural s’imposent.

A. Observations liminaires d’ordre procédural

45. D’une part, il y a lieu d’observer que LG fait précéder l’exposé des moyens soulevés à l’appui du pourvoi d’un rappel des faits pertinents selon elle. Or, tant la Commission qu’Orlen font valoir que cette description est trompeuse et erronée. À cet égard, il suffit de constater que, en l’absence d’allégations de dénaturation des faits et des éléments de preuve de la part de LG, ce rappel des faits ne saurait être d’aucune pertinence, toutes les questions factuelles ayant déjà été définitivement
tranchées par le Tribunal. Il n’y a donc pas lieu de se prononcer sur le caractère trompeur ou erroné dudit rappel des faits.

46. D’autre part, tant la Commission qu’Orlen mentionnent, dans leurs observations écrites, un communiqué de presse du 30 décembre 2019, émis par l’actuel président-directeur général de LG, annonçant la fin de la reconstruction de la voie ferrée et contenant une appréciation critique des événements en cause. Force est de constater, ainsi que l’a reconnu la Commission lors de l’audience, que, dans la mesure où ce document est postérieur aux faits du litige en cause, il n’a aucune incidence sur la
légalité, la portée ou l’interprétation de la décision litigieuse et a fortiori de l’arrêt attaqué.

B. Sur le premier moyen

47. Par son premier moyen, LG reproche, en substance, au Tribunal d’avoir commis une erreur de droit en s’abstenant, aux points 90 à 99 de l’arrêt attaqué, d’appliquer les critères établis dans l’arrêt Bronner en matière de refus d’accès à des infrastructures essentielles pour déterminer si la suppression de la voie ferrée peut constituer une pratique abusive au sens de l’article 102 TFUE.

48. D’emblée, LG fait observer que, au point 226 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré, à l’instar de la Commission, que la suppression de la voie ferrée constituait une pratique abusive car elle pouvait comporter des effets d’éviction du marché pour LDZ en rendant son accès au marché plus difficile et en soumettant cet accès à des conditions moins avantageuses du fait que LDZ se voyait obligée d’utiliser l’itinéraire long vers la Lettonie pour desservir Orlen, cet itinéraire long appartenant
au même marché que l’itinéraire court. Ainsi, selon LG, le problème juridique posé dans la présente affaire se résume à la question de savoir si l’article 102 TFUE imposait à LG l’obligation légale d’accorder à LDZ l’accès à la voie ferrée.

49. Or, il ressortirait de l’arrêt Bronner qu’une entreprise en situation de position dominante n’est tenue d’accorder un tel accès que si son refus est de nature à éliminer toute concurrence sur le marché de la part du demandeur de l’accès, si ce refus ne peut être objectivement justifié et si l’accès en lui-même est indispensable à l’exercice de l’activité de cette personne. Ces trois critères cumulatifs ne seraient pas réunis dans la présente affaire, notamment, car l’accès à la voie ferrée ne
serait pas « indispensable » pour que LDZ puisse concurrencer LG sur le marché pertinent. Aux points 90 à 99 de l’arrêt attaqué, le Tribunal aurait toutefois erronément jugé que cette jurisprudence n’était pas pertinente en l’espèce. Ce faisant, il aurait commis quatre erreurs de droit.

50. Premièrement, contrairement à ce que le Tribunal aurait relevé au point 90 de l’arrêt attaqué, il n’existerait, dans la jurisprudence de la Cour, aucune règle selon laquelle les critères énoncés dans l’arrêt Bronner (ci-après les « critères Bronner ») ne s’appliquent que s’il y a une nécessité de protéger l’incitation d’une entreprise en situation de position dominante à investir dans la réalisation d’installations essentielles. Les conclusions de l’avocat général Jacobs ( 3 ), citées par le
Tribunal, ne permettraient pas non plus de considérer qu’une telle règle existe.

51. Deuxièmement, contrairement à ce que le Tribunal aurait jugé aux points 91 et 92 de l’arrêt attaqué, il n’existerait aucune règle selon laquelle les critères Bronner ne seraient pas applicables lorsque le cadre réglementaire en vigueur impose déjà (ex ante) une obligation de fourniture. En effet, tout d’abord, la non-application de ce test dans un tel cas impliquerait que le droit national, ou le droit dérivé de l’Union, définisse le champ d’application du droit primaire, ce qui serait
incompatible avec la primauté du droit de l’Union et avec l’exigence d’une application cohérente du droit de la concurrence de l’Union sur tout le territoire de celle-ci. Ensuite, le contrôle ex post au titre de l’article 102 TFUE et la réglementation ex ante serviraient des objectifs différents. Par ailleurs, il serait contraire au principe de sécurité juridique de soumettre les entreprises des secteurs réglementés à des critères légaux différents au titre de l’article 102 TFUE. Enfin, en
l’espèce, au moment de la suppression de la voie ferrée, LG n’était soumise à aucune obligation d’accorder à LDZ un accès à la voie ferrée, dès lors que cette dernière n’avait pas demandé, ni obtenu, de licence pour opérer en Lituanie. Cette circonstance permettrait de distinguer la présente affaire de celle ayant donné lieu à l’arrêt du 13 décembre 2018, Slovak Telekom/Commission (T‑851/14, EU:T:2018:929), par lequel le Tribunal a jugé que les critères énoncés dans l’arrêt Bronner n’étaient pas
applicables lorsque le cadre réglementaire imposait déjà une obligation de fourniture.

52. Troisièmement, aucune des dispositions du cadre réglementaire général mentionnées par le Tribunal aux points 96 et 97 de l’arrêt attaqué n’imposerait à un gestionnaire d’infrastructure, tel que LG, l’obligation légale absolue d’accorder l’accès à chaque tronçon de voie de son réseau, en particulier lorsque des itinéraires alternatifs sont disponibles. Aucune de ces dispositions n’imposerait, non plus, d’obligation absolue de rétablir une voie ferrée délabrée en ayant recours à une solution que
le gestionnaire de l’infrastructure considérerait inefficace et économiquement déraisonnable. En effet, l’article 5 de la directive 2001/14/CE ( 4 ), lu à la lumière du considérant 5 de cette dernière, ne prévoirait qu’un accès équitable et non discriminatoire aux infrastructures ferroviaires existantes et en service. De même, l’article 29, paragraphe 1, de cette directive, n’énoncerait qu’une obligation générale de « prendre toutes les dispositions nécessaires pour assurer le rétablissement de
la situation normale » en cas d’accident du trafic ferroviaire.

53. Quatrièmement, contrairement à ce que le Tribunal aurait jugé aux points 91 et 93 de l’arrêt attaqué, aucune règle de droit n’indiquerait que les critères Bronner ne sont pas applicables lorsque la position dominante découle d’un monopole d’État. Une telle considération ne saurait être déduite du point 23 de l’arrêt du 27 mars 2012, Post Danmark (C-209/10, EU:C:2012:172), cité par le Tribunal, qui n’énoncerait qu’une remarque d’ordre général selon laquelle la circonstance qu’une telle position
trouve son origine dans un ancien monopole légal doit être prise en compte. Il ne s’agirait pas, dans un cas tel que celui de la présente affaire, de déterminer si LG était tenue de fournir accès à un réseau fonctionnel construit par le passé sur des fonds publics, mais de savoir si elle était tenue, en vertu de l’article 102 TFUE, d’investir ses propres fonds dans la réparation et le remplacement d’une installation délabrée afin de rendre l’accès au marché moins difficile et plus avantageux
pour un concurrent particulier en aval. La mise en balance entre les intérêts de ces deux sociétés serait au cœur des critères énoncés dans l’arrêt Bronner. Enfin, cette même conclusion ne saurait être remise en cause par la référence à un seuil moins exigeant fixé par le juge de l’Union dans des situations n’impliquant pas une telle mise en balance d’intérêts ( 5 ).

54. Afin de faciliter l’analyse du présent moyen [sous 3], il convient, tout d’abord, de positionner l’arrêt Bronner dans le paysage normatif de l’article 102 TFUE [sous 1], et ensuite de rappeler l’analyse du Tribunal que LG conteste [sous 2].

1.   L’arrêt Bronner dans le paysage normatif de l’article 102 TFUE

55. À titre liminaire, je rappelle que l’article 102 TFUE déclare incompatible avec le marché intérieur et interdit, dans la mesure où le commerce entre États membres est susceptible d’en être affecté, le fait pour une ou plusieurs entreprises d’exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci. Il incombe donc à l’entreprise qui détient une position dominante une responsabilité particulière de ne pas porter atteinte, par son
comportement, à une concurrence effective et non faussée dans le marché intérieur ( 6 ).

56. Selon une jurisprudence constante de la Cour, la notion d’« exploitation abusive d’une position dominante », au sens de l’article 102 TFUE, est fondée sur une appréciation objective du comportement en cause. Cette notion vise les comportements d’une entreprise en position dominante qui, sur un marché où, à la suite précisément de la présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli, ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui
gouvernent une compétition normale des produits ou des services sur la base des prestations des opérateurs économiques, au maintien du degré de concurrence existant encore sur le marché ou au développement de cette concurrence ( 7 ).

57. Ainsi, s’agissant des pratiques d’éviction, catégorie dont relève le comportement en cause, il ressort de la jurisprudence de la Cour que le caractère abusif de telles pratiques suppose, notamment, que celles-ci aient la capacité de restreindre la concurrence et, en particulier, de produire les effets d’éviction reprochés, cette appréciation devant être effectuée au regard de l’ensemble des circonstances factuelles pertinentes entourant ledit comportement ( 8 ).

58. C’est au regard de ces précisions d’ordre général qu’il convient d’analyser la jurisprudence relative à des infrastructures qualifiées de « facilités essentielles » (essential facilities), en ce sens qu’elles sont indispensables pour exercer une activité sur un marché, dans la mesure où il n’en existe aucun substitut réel ou potentiel, et de telle sorte qu’en refuser l’accès peut conduire à l’élimination de toute concurrence ( 9 ). Cette jurisprudence concerne, en substance, les circonstances
dans lesquelles un « refus de fourniture » ( 10 ) de la part d’une entreprise en position dominante à des concurrents est susceptible de constituer un abus de position dominante. Cette jurisprudence, qui trouve ses origines dans la doctrine dite des « facilités essentielles » ( 11 ), a trait aux situations dans lesquelles le libre exercice d’un droit exclusif peut être limité dans l’intérêt d’une concurrence non faussée dans le marché intérieur ( 12 ).

59. Tout d’abord, je souligne que le juge de l’Union a traditionnellement considéré qu’un tel refus de fourniture ne saurait constituer en lui-même un abus de position dominante ( 13 ). En effet, ce n’est que dans des circonstances exceptionnelles qu’un tel refus, par le biais de l’exercice du droit de propriété, peut donner lieu à un tel abus. Si les premiers arrêts de la Cour ont permis d’esquisser le caractère exceptionnel de l’obligation de fourniture ( 14 ), l’arrêt Bronner est venu consolider
les critères pertinents en la matière.

60. Pour rappel, l’arrêt Bronner portait sur la question de savoir si constituait un abus de position dominante le fait pour une entreprise de presse, qui détenait une part très importante du marché des quotidiens dans un État membre et qui exploitait l’unique système de portage à domicile de journaux à l’échelle nationale existant dans cet État membre, de refuser l’accès audit système, contre une rémunération appropriée, à l’éditeur d’un quotidien concurrent qui, en raison de la faiblesse du tirage
de celui-ci, ne se trouvait pas en mesure de créer et d’exploiter, dans des conditions économiquement raisonnables, seul ou en collaboration avec d’autres éditeurs, son propre système de portage à domicile.

61. En réponse à cette question, en s’inspirant de sa jurisprudence antérieure ( 15 ), la Cour a jugé, au point 41 de l’arrêt Bronner, que, afin que le refus par une entreprise en position dominante d’accorder l’accès à un service puisse constituer un abus au sens de l’[article 102 TFUE], il fallait i) que ce refus soit de nature à éliminer toute concurrence sur le marché de la part du demandeur du service, ii) que ce refus ne puisse pas être objectivement justifié, et iii) que le service en
lui-même soit indispensable à l’exercice de l’activité du demandeur en ce sens qu’il n’existait à l’égard de celui-ci aucun substitut réel ou potentiel audit système de portage à domicile (critères Bronner).

62. S’agissant notamment du critère de l’indispensabilité, il ressort des points 43 et 44 de l’arrêt Bronner que, pour déterminer si un produit ou un service est indispensable pour permettre à une entreprise concurrente d’exercer son activité sur un marché déterminé, il convient de rechercher s’il existe des produits ou des services constituant des solutions alternatives, même si elles sont moins avantageuses, et s’il existe des obstacles techniques, réglementaires ou économiques de nature à rendre
impossible, ou du moins déraisonnablement difficile, pour toute entreprise concurrente entendant opérer sur ledit marché la création, éventuellement en collaboration avec d’autres opérateurs, de produits ou de services alternatifs. Selon le point 46 de cet arrêt, pour pouvoir admettre l’existence d’obstacles de nature économique, il doit à tout le moins être établi que la création de ces produits ou services n’est pas économiquement rentable pour une production à une échelle comparable à celle
de l’entreprise contrôlant le produit ou le service existant.

63. Comme l’explique en substance l’avocat général Jacobs, dans ses conclusions dans l’affaire Bronner ( 16 ), le choix du critère d’indispensabilité, ainsi que celui relatif au risque d’éliminer toute concurrence, correspond à deux objectifs.

64. D’une part, d’un point de vue juridique, l’imposition de tels critères exigeants, du point de vue probatoire, vise à protéger le droit d’une entreprise de choisir ses partenaires contractuels et de disposer librement de sa propriété, principes universellement consacrés dans les systèmes juridiques des États membres, et revêtant parfois un caractère constitutionnel. En effet, toute analyse d’un refus de fourniture doit partir du principe qu’une entreprise, qu’elle soit ou non dominante, doit
avoir le droit de contracter et de disposer librement de ses biens. Dès lors, toute intervention, au titre de l’article 102 TFUE, qui consisterait à imposer à une entreprise dominante une obligation de fourniture (totale ou partielle) à ses concurrents est clairement susceptible de porter atteinte à ce droit et devrait être soigneusement pesée et justifiée ( 17 ). Ainsi que la Cour l’a expliqué dans l’arrêt Slovak Telekom, « le constat qu’une entreprise dominante a abusé de sa position en raison
d’un refus de contracter avec un concurrent a pour conséquence que cette entreprise est forcée de contracter avec ce concurrent. Or, une telle obligation est particulièrement attentatoire à la liberté de contracter et au droit de propriété de l’entreprise dominante dès lors qu’une entreprise, même dominante, reste, en principe, libre de refuser de contracter et d’exploiter l’infrastructure qu’elle a développée pour ses propres besoins » ( 18 ). Il s’ensuit que toute approche qui consisterait en
une interprétation et une application strictes de cet arrêt méconnaitrait, à mes yeux, cette finalité sous-jacente ( 19 ).

65. D’autre part, d’un point de vue économique, les critères Bronner visent à favoriser, sur le long terme, la concurrence, dans l’intérêt des consommateurs, en permettant à une société de réserver à son propre usage les installations qu’elle a développées. La finalité des critères Bronner est ainsi de veiller à ce que l’obligation faite à une entreprise en situation de position dominante de fournir un accès à son infrastructure n’entrave pas, en définitive, la concurrence en diminuant, pour cette
entreprise, l’incitation initiale à construire une telle infrastructure. En effet, une entreprise dominante serait moins encouragée à investir dans des infrastructures si ses concurrents pouvaient, sur demande, en partager les bénéfices. À cet égard, il ne faut pas perdre de vue que l’objectif premier de l’article 102 TFUE est d’empêcher des distorsions de concurrence – et, en particulier, de sauvegarder les intérêts des consommateurs – plutôt que de protéger la position de concurrents ( 20 ).
L’obligation de fourniture en vertu de l’article 102 TFUE ne peut donc être invoquée que lorsque le refus de fournir est de nature à nuire suffisamment gravement au jeu de la concurrence et, plus précisément, aux intérêts des consommateurs. Ainsi, la Cour a itérativement reconnu que, du point de vue de la concurrence, bien que la condamnation d’une entreprise pour avoir abusé de sa position dominante en raison d’un refus de contracter avec un concurrent ait pour conséquence à court terme de
favoriser la concurrence, en revanche, sur le long terme, il est généralement favorable au développement de la concurrence et dans l’intérêt des consommateurs de permettre à une société de réserver à son propre usage les installations qu’elle a développées pour les besoins de son activité. L’existence d’une telle obligation de fourniture à des concurrents peut elle-même dissuader les entreprises d’investir et d’innover et, partant, léser les consommateurs. Plus précisément, le fait de savoir
qu’une obligation de fourniture peut leur être imposée contre leur gré est susceptible de conduire des entreprises (dominantes ou escomptant le devenir) à ne pas investir ou à moins investir dans l’activité en question. De même, des concurrents pourraient être tentés de profiter facilement et gratuitement (free-riding) des investissements réalisés par l’entreprise dominante au lieu d’investir eux-mêmes. Aucune de ces conséquences ne serait, à long terme, dans l’intérêt des consommateurs. Par
conséquent, lorsqu’une entreprise dominante refuse de donner accès à une infrastructure qu’elle a développée pour les besoins de sa propre activité, la décision d’obliger cette entreprise à octroyer cet accès ne peut se justifier, sur le plan de la politique de la concurrence, que lorsque l’entreprise dominante dispose d’une véritable mainmise sur le marché concerné ( 21 ).

66. C’est à la lumière de ces considérations qu’il convient d’examiner les arguments de LG consistant à reprocher au Tribunal d’avoir estimé que la Commission s’est justement abstenue d’apprécier si le comportement litigieux satisfaisait aux critères Bronner.

2.   L’analyse du Tribunal

67. Je rappelle que l’argument selon lequel la Commission aurait dû appliquer les critères Bronner dans la décision litigieuse a également été présenté en première instance ( 22 ). À cet égard, le Tribunal a jugé que, sans commettre d’erreur, la Commission s’est abstenue d’apprécier si le comportement litigieux satisfaisait aux critère Bronner et qu’il était suffisant, sous réserve d’une éventuelle justification objective, de démonter qu’il s’agissait d’un comportement de nature à restreindre la
concurrence et, notamment, à constituer un obstacle à l’entrée sur le marché ( 23 ).

68. Le Tribunal a motivé cette conclusion sur la base du raisonnement suivant. Tout d’abord, il a rappelé, en substance, que la finalité poursuivie par les critère Bronner est de veiller à ce que l’obligation faite à une entreprise en situation de position dominante de fournir un accès à son infrastructure n’entrave pas, en définitive, la concurrence en diminuant, pour cette entreprise, l’incitation initiale à construire une telle infrastructure ( 24 ). Toutefois, selon le Tribunal, une telle
exigence de protection de l’incitation de l’entreprise dominante à investir dans la réalisation d’installation essentielles ne subsistait pas lorsque le cadre réglementaire applicable imposait déjà une obligation de fourniture à l’entreprise en situation de position dominante ou lorsque la position dominante que l’entreprise a acquise sur le marché découle d’un ancien monopole de l’État ( 25 ). Or, tel était le cas en l’occurrence.

69. Plus précisément, d’une part, les critères Bronner s’appliqueraient uniquement en l’absence de toute obligation légale de fourniture d’accès à un service ou un produit, dans la mesure où lorsqu’une telle obligation existe, la mise en balance nécessaire des incitations économiques a déjà été réalisée par le législateur au moment où une telle obligation a été imposée. Or, en l’occurrence, en sa qualité de gestionnaire des infrastructures ferroviaires lituaniennes, LG est chargée, à la fois en
vertu du droit de l’Union et du droit national, notamment, d’accorder l’accès aux infrastructures ferroviaires publiques ( 26 ).

70. D’autre part, l’exigence de protection de l’incitation à investir ne subsisterait pas lorsque, comme en l’espèce, la position dominante trouve son origine dans un monopole légal et l’entreprise n’a pas investi dans la réalisation de l’infrastructure, cette dernière ayant été construite et développée au moyen de fonds publics ( 27 ).

3.   Sur le bien-fondé du premier moyen

71. En premier lieu, afin d’apprécier le bien-fondé de l’analyse du Tribunal, il convient d’examiner le bien-fondé de la prémisse sur laquelle repose l’ensemble de l’argumentation de LG, à savoir, que la présente affaire se résume à la question de savoir si l’article 102 TFUE imposait à LG l’obligation d’accorder à LDZ l’accès à la voie ferrée ( 28 ). En d’autres termes, il y a lieu de juger si la présente configuration factuelle relève d’une affaire où le comportement en cause constitue un « refus
de fourniture », de sorte que les critères Bronner devraient être appliqués.

72. À cet égard, je rappelle que le Tribunal a confirmé la qualification du comportement incriminé par la décision litigieuse (voir points 84 de l’arrêt attaqué) et estimé que ce comportement consistait en la suppression de la voie ferrée en tant que telle, indépendamment de la suspension du trafic sur cette voie le 2 septembre 2008 et de son absence de réparation. Ainsi faisant, le Tribunal a implicitement traité la suppression de la voie ferrée comme une forme autonome et différente d’abus, et non
pas comme un « refus d’accès » ( 29 ). Dans cette optique, il rappelle, à juste titre, au point 85 de l’arrêt attaqué, que la liste des pratiques abusives figurant à l’article 102 TFUE n’est pas limitative, de sorte que l’énumération des pratiques abusives contenue dans cette disposition n’épuise pas les modes d’exploitation abusive de position dominante interdits par le droit de l’Union européenne.

73. Cette qualification du comportement en cause me paraît juste. En effet, d’une part, LDZ, le concurrent potentiel de LG dans le marché en cause pouvait, techniquement, même après la suppression de la voie ferrée, accéder au réseau ferroviaire lituanien par d’autres voies. D’autre part, il ressort des antécédents du litige que LG n’a aucunement refusé l’accès aux services de fourniture de services de transport ferroviaire de produits pétroliers pour le marché géographique en cause ( 30 ).

74. Or, en l’absence d’un refus explicite d’accès, se pose la question de savoir si ce comportement présente une problématique commune à celle des affaires de « refus d’accès » dans la mesure où, avec la suppression de la voie ferrée, tout transport ferroviaire de la raffinerie vers un terminal maritime letton devait emprunter un itinéraire beaucoup plus long sur le territoire de la Lituanie, exposant ainsi LDZ à des risques commerciaux qu’elle était moins susceptible de prendre. De ce point de vue,
le comportement en cause pourrait être perçu comme un refus implicite de fourniture d’accès (constructive refusal to supply), à savoir un comportement aboutissant de facto au même résultat qu’un refus d’accès (explicite).

75. Si le comportement en cause présente une problématique commune à celle des affaires de « refus d’accès », notamment du fait qu’il peut revêtir les mêmes effets d’exclusion, il convient de vérifier si les éléments constitutifs du refus au sens voulu par l’arrêt Bronner sont également présents, de sorte qu’il faudrait analyser ce comportement sous l’angle de cet arrêt. Il convient donc d’apprécier si un tel comportement, qui ne constitue pas, techniquement, un « refus d’accès », doit néanmoins
satisfaire aux conditions de l’arrêt Bronner pour être qualifié d’abusif, ou si, pour cette qualification, il suffit, comme le Tribunal l’a indiqué au point 98 de l’arrêt attaqué, que le comportement en cause ait été susceptible d’avoir des effets anticoncurrentiels.

76. À cet égard, tout d’abord, il convient d’observer que toute problématique d’accès, partiel ou total, n’implique pas nécessairement l’application des conditions énoncées dans l’arrêt Bronner, afférentes au refus d’accès. En effet, la Cour a jugé, dans l’arrêt Slovak Telekom, que lorsqu’une entreprise dominante donne accès à son infrastructure, mais soumet cet accès à la fourniture de services ou la vente de produits à des conditions inéquitables, les critères Bronner ne s’appliquent pas. Certes,
lorsque l’accès à une telle infrastructure est indispensable pour permettre aux concurrents de l’entreprise dominante d’opérer de manière rentable sur un marché en aval, il est d’autant plus probable que des pratiques inéquitables sur ce marché auront des effets anticoncurrentiels, au moins potentiels, et constitueront un abus au sens de l’article 102 TFUE. Toutefois, s’agissant de pratiques autres qu’un refus d’accès, l’absence d’un tel caractère indispensable n’est pas déterminante en soi aux
fins de l’examen de comportements potentiellement abusifs de la part d’une entreprise dominante ( 31 ). Ainsi que l’a jugé la Cour, il ne saurait être déduit de l’arrêt Bronner, que les conditions nécessaires afin d’établir l’existence d’un refus abusif de fourniture doivent nécessairement s’appliquer dans le cadre de l’appréciation du caractère abusif d’un comportement consistant à soumettre la fourniture de services ou la vente de produits à des conditions désavantageuses ou auxquelles
l’acheteur pourrait ne pas être intéressé, de tels comportements pouvant, en soi, être constitutifs d’une forme autonome d’abus, différente du refus de fourniture ( 32 ).

77. Telle est précisément l’affaire en cause.

78. Premièrement, sur la base de la description du comportement en cause, force est de constater que le démantèlement de la voie ferrée a constitué une destruction indépendante d’infrastructures, empêchant l’usage non seulement aux concurrents, tels que LDZ, mais également à LG elle-même. Partant, ce cas se différencie nettement des affaires de refus d’accès, où l’entreprise dominante ne subit aucune perte infrastructurelle. Au contraire, il semblerait, tel qu’il en ressort du dossier de l’affaire,
que ce comportement ne répond à aucune justification autre que celle d’infliger des préjudices aux concurrents. Partant, ce comportement ne relève pas de la concurrence par les mérites et, à mon sens, présente des similitudes avec les exemples connus dans la doctrine du droit de la concurrence comme « restrictions non déguisées » (« naked restrictions ») ( 33 ).

79. Deuxièmement, ainsi que le relève à juste titre Orlen, la caractéristique essentielle du comportement en cause est qu’il suit la logique de la « prédation ». En effet, comme dans le cadre des prix prédateurs, LG aurait choisi de détruire, et donc de sacrifier un actif de valeur, la voie ferrée, en s’empêchant ainsi de l’utiliser et en faisant en sorte de ne plus pouvoir l’exploiter et générer de revenus, tout en ne permettant pas que des tiers concurrents l’utilisent également. Or, comme en
matière de prix prédateurs ( 34 ), la seule explication rationnelle pour l’action de LG était le bénéfice monopolistique que cette entreprise retirerait de l’exclusion de LDZ du marché. Il s’ensuit que la présente affaire ne suit pas la même logique que les affaires de refus d’accès. En effet, en l’espèce, les effets anticoncurrentiels d’éviction des concurrents se manifestent sur la base d’une logique de perte à court terme afin de tirer du profit à moyen et à long termes, tandis que les
affaires de refus d’accès se caractérisent nécessairement par une logique de profit immédiat.

80. Troisièmement, je constate que les critères Bronner s’appliquent, ainsi qu’il a été confirmé récemment au point 47 de l’arrêt Slovak Telekom, dans la mesure où « il est généralement favorable au développement de la concurrence et dans l’intérêt des consommateurs de permettre à une société de réserver à son propre usage les installations qu’elle a développées pour les besoins de son activité » ( 35 ). Il s’ensuit que la logique même des critères Bronner est fondée sur le maintien d’une
infrastructure. Or, en l’occurrence, la destruction volontaire d’une infrastructure sans procéder à son remplacement, de par sa nature, est incapable de correspondre à la logique inhérente auxdits critères, car LG ne tire aucun bénéfice de l’investissement qu’elle aurait fait dans ses propres infrastructures.

81. Quatrièmement, je constate également que, en l’espèce, il n’était pas nécessaire, pour que LG mette fin à l’abus en cause, qu’elle cède un élément d’actif ni qu’elle passe des contrats avec des personnes qu’elle n’avait pas choisies. En effet, il est rappelé que la Commission, par la décision litigieuse, a imposé une amende à LG et lui a enjoint de mettre fin à l’infraction. Toutefois, elle n’a pas obligé LG à accorder à LDZ un accès dans le marché en cause ( 36 ). Partant, la constatation de
l’abus n’a pas pour conséquence que cette entreprise soit forcée de contracter avec ce concurrent, ce qui serait, au sens de l’arrêt Slovak Telekom, « particulièrement attentatoire à la liberté de contracter et au droit de propriété » ( 37 ).

82. Il s’ensuit que la suppression de la voie ferrée, malgré le fait qu’elle soulève une problématique commune de refus ayant un effet d’éviction comparable, ne saurait être analysée en appliquant les critères Bronner.

83. Partant, le premier moyen du pourvoi étant exclusivement fondé sur une prémisse qui est erronée en droit, à savoir que le comportement en cause constitue un « refus de fourniture » au sens de l’arrêt Bronner, je propose de le rejeter dans son ensemble, sans devoir analyser les griefs de LG, qui sont dès lors nécessairement inopérants.

84. En second lieu, et à titre surabondant, j’observe que l’inapplicabilité des critères Bronner se justifie en l’espèce aussi au regard des finalités poursuivies par ceux-ci.

85. D’une part, du point de vue de la protection du droit de propriété de l’entreprise dominante, il découle des termes mêmes de l’arrêt Bronner, et de la jurisprudence ultérieure, que les critères dégagés dans cet arrêt s’appliquent aux infrastructures dont l’entreprise en position dominante est propriétaire et qui, en principe, reflètent son propre investissement ( 38 ). Or, en l’occurrence, ainsi que le relève le Tribunal aux points 94 et 95 de l’arrêt attaqué, il est constant, d’une part, que
l’infrastructure concernée n’est pas une installation appartenant à LG (celle-ci ne jouissant pas du libre exercice d’un droit exclusif de propriété et étant uniquement gestionnaire des infrastructures ferroviaires publiques qui appartient à l’État lituanien) et, d’autre part, que LG n’a pas investi dans le réseau ferroviaire lituanien, dans la mesure où il a été construit et développé au moyen de fonds publics. Il n’existe pas, dès lors, de raisons qui justifieraient l’application d’exigences
probatoires plus élevées visant à protéger le droit de propriété, telles que celles imposées par les critères Bronner. De même, aucune atteinte à la liberté de contracter n’est plausible du moment où LG agit en tant que gestionnaire des infrastructures ferroviaires de sorte à avoir, notamment, une obligation d’accorder l’accès aux infrastructure ferroviaires publiques.

86. D’autre part, du point de vue économique, ainsi que l’a indiqué, en substance, à juste titre le Tribunal, aux points 91 et 92 de l’arrêt attaqué, la protection de l’incitation de l’entreprise dominante à investir dans la réalisation d’installations essentielles est fortement affectée lorsque le cadre réglementaire applicable impose déjà une obligation de fourniture. Plus précisément, la règlementation en cause présuppose qu’est préservée l’incitation d’une entreprise en position dominante à
investir dans la création de produits et de services ( 39 ). En ce sens, le cadre réglementaire en vigueur ne peut limiter l’application de l’article 102 TFUE ( 40 ) et constitue un facteur pertinent pour apprécier le caractère abusif du comportement d’une entreprise en position dominante dès lors qu’il contribue à déterminer les conditions de concurrence dans lesquelles celle-ci opère ( 41 ). Indépendamment des objectifs visés, les contrôles ex post au titre du droit de la concurrence
complèteraient le cadre réglementaire ex ante ( 42 ).

87. Eu égard aux considérations qui précèdent, qui n’ont pas tous été expressément reflétées dans l’arrêt attaqué, j’estime que c’est sans commettre d’erreur de droit que le Tribunal a considéré, aux points 90 à 99 de l’arrêt attaqué, que les critères Bronner n’étaient pas applicables en l’espèce. Dans ces conditions, il y a lieu d’écarter le premier moyen de pourvoi comme étant non fondé.

C. Sur le deuxième moyen

88. Par son deuxième moyen, LG fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en qualifiant la suppression de la voie ferrée de « pratique abusive » au sens de l’article 102 TFUE. Plus précisément, aux points 168, 170, 177, 197, 204 et 231 de l’arrêt attaqué, le Tribunal n’aurait entérinée la conclusion de la Commission selon laquelle la suppression de la voie ferrée était abusive « que » sur deux éléments cumulés, à savoir sur la circonstance que cette suppression a été faite « en toute
hâte » ( 43 ) et « sans [que LG ait] obtenu les fonds nécessaires au préalable » ( 44 ). Or, aucun de ces deux éléments ne permettrait une telle qualification, d’autant moins que, comme le Tribunal l’aurait reconnu au point 168 de cet arrêt, la suppression de la voie ferrée était « la seule option pertinente et économiquement raisonnable ».

1.   Sur le caractère opérant du deuxième moyen

89. Dans la mesure où Orlen excipe du caractère inopérant de ce moyen, je rappelle que le caractère opérant d’un moyen renvoie à son aptitude, dans l’hypothèse où il serait fondé, à entraîner la conclusion que poursuit la partie requérante par ce moyen ( 45 ).

90. En l’espèce, par son deuxième moyen, LG conteste la qualification de la suppression de la voie ferrée de « pratique abusive » au sens de l’article 102 TFUE, en remettant en cause deux éléments sur lesquels la Commission, et, par la suite, le Tribunal, se seraient exclusivement fondés.

91. Or, ainsi qu’il ressort notamment des points 42 et 194 de l’arrêt attaqué, la Commission, dans la décision litigieuse, a estimé que, en supprimant la voie ferrée dans son intégralité, LG avait eu recours à des méthodes autres que celles qui régissaient une concurrence normale. Cette conclusion a été tirée sur le fondement d’un ensemble de circonstances juridiques et factuelles (ces circonstances sont regroupées en cinq catégories et figurent au point 31 des présentes conclusions) ( 46 ).

92. Il s’ensuit que, contrairement à ce que fait valoir LG, le caractère prétendument abusif du comportement ne résulterait pas « que de deux éléments cumulés identifiés par le Tribunal, à savoir un enlèvement effectué “en toute hâte” et “sans avoir obtenu les fonds nécessaires au préalable” ». En effet, ces éléments ne constituent qu’une partie d’un ensemble des circonstances factuelles auxquelles la Commission et, par la suite, le Tribunal se réfèrent pour qualifier le comportement en cause
d’abusif. Cette pratique est en effet conforme à une jurisprudence constante de la Cour, selon laquelle l’appréciation du caractère abusif d’un comportement doit s’effectuer au regard de l’ensemble des circonstances factuelles pertinentes ( 47 ).

93. Se pose ainsi la question de savoir si le deuxième moyen peut être considéré comme opérant, dans la mesure où LG ne conteste qu’une partie des circonstances prises en compte par la Commission dans le cadre de la qualification du comportement d’abusif.

94. À cet égard, il convient de constater que, aux points 168, 170, 204 et 231 de l’arrêt attaqué, qui sont visés par le présent moyen, le Tribunal s’est contenté d’écarter des contestations de LG à l’égard de certaines appréciations factuelles qui ne font pas partie du raisonnement retenu dans la décision litigieuse ( 48 ). Or, il ne saurait être déduit de cette seule constatation que ce moyen ne peut pas infirmer la conclusion selon laquelle le comportement en cause était abusif.

95. En effet, dans la mesure où ces deux éléments font partie d’un ensemble d’éléments pris en compte par la Commission (aux considérants 184 à 193 de la décision litigieuse) et confirmés par le Tribunal (aux points 164 à 177 de l’arrêt attaqué), et étant donné qu’il n’existe pas de pondération ou de hiérarchie entre l’importance attribuée à chacun de ces éléments, j’estime que l’on ne peut pas conclure avec certitude et d’emblée que, si la suppression de la voie ferrée n’avait pas été faite de
manière précipitée ou avait été faite après que LG eut obtenu les fonds nécessaires, la Commission aurait tout de même qualifié le comportement d’abusif.

96. Partant, j’estime qu’il y a lieu de considérer ce moyen comme opérant.

2.   Sur le caractère recevable et le bien-fondé du deuxième moyen

97. La Commission et Orlen font valoir, en substance, que, dans la mesure où le deuxième moyen vise à contester des appréciations des faits, sans faire apparaître d’erreur de droit, ce moyen devrait être rejeté comme étant irrecevable.

98. À cet égard, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante de la Cour, lorsque le Tribunal a constaté ou apprécié les faits, la Cour est seulement compétente pour exercer, en vertu de l’article 256 TFUE, un contrôle sur la qualification juridique de ceux-ci et les conséquences de droit qui en ont été tirées. L’appréciation des faits ne constitue donc pas, sous réserve du cas de la dénaturation des éléments de preuve produits devant le Tribunal, une question de droit soumise,
comme telle, au contrôle de la Cour ( 49 ).

99. Dans le cadre du deuxième moyen, LG n’allègue pas une dénaturation des éléments de preuve examinés par le Tribunal démontrant que la voie ferrée a été supprimée « en toute hâte » ou « sans avoir obtenu les fonds nécessaires au préalable » et il n’appartient pas à la Cour de réexaminer la valeur probante de ces éléments. Elle fait seulement valoir que le Tribunal a erronément considéré que la Commission avait pu à bon droit se fonder sur ces deux éléments pour conclure à l’existence d’une
pratique abusive. Ainsi, de prime abord, il semble que LG demande à la Cour non pas de procéder à une nouvelle appréciation des faits, mais de contrôler leur qualification juridique. Toutefois, une analyse plus approfondie des arguments de LG révèle que, en réalité, elle cherche à obtenir de la Cour une nouvelle appréciation des faits tels que constatés par le Tribunal ( 50 ).

100. En effet, en premier lieu, s’agissant des arguments de LG concernant sa précipitation dans la décision de supprimer la voie ferrée, d’une part, contrairement à ce qu’elle prétend, le Tribunal n’a pas « reconnu », au point 168 de l’arrêt attaqué, que la suppression de la voie ferrée était la « seule option pertinente et économiquement raisonnable ». Audit point 168, le Tribunal a simplement soulevé un argument hypothétique – ce qui ressort de manière évidente de l’expression introductive « à
supposer, comme le prétend la requérante, que l’option 2 ait été la seule option pertinente et économiquement raisonnable » ( 51 )– afin de confirmer que, même dans le cadre de l’option 2, il n’y aurait eu aucune nécessité de démanteler la voie ferrée en raison de préoccupations relatives à la sécurité du trafic ferroviaire ( 52 ). Partant, il me semble que LG vise à faire requalifier une appréciation factuelle effectuée du Tribunal, afin que la Cour reconnaisse que la suppression de la voie
ferrée était la seule option pertinente et économiquement raisonnable.

101. D’autre part, il convient de rappeler que, contrairement à ce que LG affirme, il ne ressort pas de l’arrêt attaqué qu’« il peut donc être considéré comme établi, aux fins du présent pourvoi, que LG devait tôt ou tard enlever la totalité de la voie ferrée ». En effet, cette affirmation, sur laquelle repose l’argument de LG, est contredite par les appréciations factuelles faites aux points 164 à 166 de l’arrêt attaqué ( 53 ). Il ne saurait donc être établi, ainsi que le prétend LG, que l’abus qui
lui est reproché « résiderait donc plutôt dans le moment où celle-ci a procédé à l’enlèvement de la voie [ferrée] ». Cet argument vise donc, implicitement, à une requalification des faits, de sorte à pouvoir contester la qualification juridique.

102. En second lieu, en ce qui concerne le défaut d’obtention de fonds, il me semble que l’affirmation de LG selon laquelle elle « s’attendait à recevoir ces fonds pour la reconstruction de la voie ferrée », et sur laquelle repose son deuxième argument, est clairement contredite par les appréciations factuelles effectuées par le Tribunal, notamment, aux points 151, 173, 175176, 177 et 181 de l’arrêt attaqué. Partant, dans la mesure où LG n’évoque pas de dénaturation des faits, ces appréciations
doivent être considérées comme définitivement établies aux fins du présent pourvoi.

103. Eu égard à ce qui précède, je propose de rejeter le deuxième moyen comme étant irrecevable ou, à tout le moins, comme manifestement non fondé.

D. Sur le troisième moyen

104. Par son troisième moyen, LG allègue que le Tribunal a commis une erreur de droit en qualifiant la suppression de la voie ferrée de pratique susceptible d’avoir, à partir du 3 octobre 2008, d’effets anticoncurrentiels alors que le trafic ferroviaire sur cette voie était déjà suspendu depuis le 2 septembre 2008. Ce moyen, qui s’articule en quatre branches ( 54 ), tend à contester, pour l’essentiel, les points 219 à 233 de l’arrêt attaqué, dans lesquels le Tribunal aurait rejeté les arguments de
LG selon lesquels la Commission avait erronément considéré que la suppression de la voie ferrée, en tant que telle et indépendamment de la suspension antérieure du trafic sur cette voie, était susceptible d’avoir des effets anticoncurrentiels sur le marché.

105. À cet égard, je rappelle que le Tribunal, au point 226 de l’arrêt attaqué, a jugé que, en dépit de la suspension antérieure du trafic, la suppression de la voie ferrée par LG « pouvait comporter des effets d’éviction du marché, consistant à rendre l’accès à ce dernier plus difficile, car soumis à des conditions moins avantageuses ». Plus précisément, en réponse à ce même argument présenté par LG en première instance, le Tribunal a jugé, au point 227 de l’arrêt attaqué, que c’est à tort que LG
affirme que, dans le cadre du scénario contrefactuel, la situation concurrentielle n’aurait pas été différente de celle du statu quo. En effet, selon le Tribunal, cette situation aurait pu être différente dès lors que la suppression de la voie ferrée, en toute hâte et sans sécuriser les fonds nécessaires à sa reconstruction, d’une part, a aggravé la situation existante au moment de la suspension du trafic, en transformant cette suspension, par nature temporaire, en une situation d’impossibilité
totale d’utilisation de la voie ferrée, et, d’autre part, a rendu la réparation de la voie ferrée plus difficile, car elle a rendu l’option qui aurait consisté en des réparations initiales ciblées suivies d’une reconstruction complète de la totalité de la voie ferrée dans un délai de cinq ans (ci-après l’ « option 1 ») impossible et n’a pas permis à l’option consistant en une reconstruction complète et immédiate de la voie ferrée (ci-après « l’option 2 ») d’être réalisée de manière complète.

106. Or, aucun des arguments avancés par LG dans le cadre du troisième moyen ne me paraît susceptible d’établir que cette appréciation du Tribunal est entachée d’erreurs de droit ou de contradictions.

1.   Sur la première branche

107. Par la première branche du troisième moyen, LG fait valoir, par un premier grief, que l’approche du Tribunal serait fondée sur une prémisse erronée, qui se dégagerait des points 223, 225 et 227 de l’arrêt attaqué. Selon LG, l’option 1 formerait une alternative pertinente et économiquement raisonnable à l’option 2. Or, le Tribunal n’aurait pas rejeté la position de LG, résumée aux points 150, 151 et 167 de cet arrêt, selon laquelle l’option 2 était la seule option pertinente et économiquement
raisonnable, mais se serait contenté de laisser cette question sans réponse, au point 168 dudit arrêt. LG en déduit que les points 223, 225 et 227 du même arrêt sont contradictoires et incompatibles avec le choix de l’option 2. Par un second grief, les points 223, 225 et 227 de l’arrêt attaqué reposeraient sur l’hypothèse erronée que la voie ferrée aurait pu être remise en service « à court terme » grâce aux réparations initiales de l’option 1. Or, tel ne serait pas le cas dès lors que de
telles réparations auraient requis qu’elle suive la même procédure, notamment aux fins de l’obtention des fonds de la part de la République de Lituanie ou de l’Union, que pour l’option 2. Le Tribunal aurait omis d’en tenir compte et se serait ainsi contredit.

108. S’agissant du premier grief, je constate, d’une part, que, aux points 223, 225 et 227 de l’arrêt attaqué, le Tribunal ne reproche pas à LG d’avoir choisi l’option 2, mais se limite à constater, au point 225 de cet arrêt, que « la suppression de la voie ferrée a rendu de facto impossible la réalisation de l’option 1, étant donné que la première étape de celle-ci, à savoir les réparations locales aux endroits de la voie ferrée qui ne permettaient pas un trafic ferroviaire sûr, ne pouvait
désormais plus être envisagée ». En effet, ainsi que le Tribunal l’a expliqué, au point 229 de l’arrêt attaqué, « la Commission ne reproche pas à [LG] d’avoir choisi l’option 2 au lieu de l’option 1, mais plutôt les modalités de mise en œuvre de l’option 2 ». D’autre part, au point 168 de cet arrêt, le Tribunal s’est limité à indiquer pourquoi l’allégation de LG selon laquelle l’option 2 était la seule option pertinente et économiquement raisonnable n’était pas susceptible d’établir que la voie
ferrée devait être retirée en toute hâte. Partant, dans la mesure où il n’y aurait aucune contradiction ou erreur d’appréciation, dans le sens indiqué par LG, je propose de rejeter ce premier grief comme non fondé.

109. S’agissant du second grief, selon lequel le Tribunal aurait omis de tenir compte que la réalisation de l’option 1 aurait exigé la même procédure relative à l’obtention des fonds que pour l’option 2, je considère que, par cet argument, qui consiste à répéter l’argumentation présentée en première instance ( 55 ), LG vise essentiellement à contester des constatations factuelles, ce qui ne constitue pas une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour ( 56 ). De surcroît, en
l’occurrence, LG n’invoque aucune dénaturation de fait et n’indique pas comment une nouvelle appréciation des faits devrait apparaître de façon manifeste. Enfin, en tout état de cause, même dans le cas d’une omission de la part du Tribunal, celle-ci n’établirait pas de contradiction avec un rétablissement d’un trafic sûr à court terme, le Tribunal ayant jugé, au point 176 de l’arrêt attaqué, que LG aurait pu obtenir des fonds de l’Union pour la reconstruction de la voie ferrée si elle avait mis
en place, en temps utile, la procédure administrative nécessaire à cet effet.

110. Je propose donc de rejeter cette première branche comme étant en partie non fondée et en partie irrecevable.

2.   Sur la deuxième branche

111. Par la deuxième branche du troisième moyen, LG fait valoir que le Tribunal s’est contredit en indiquant, au point 225 de l’arrêt attaqué, que la réalisation de l’option 1 impliquait des « réparations locales aux endroits de la voie ferrée qui ne permettaient pas un trafic ferroviaire sûr », alors que, au point 164 de cet arrêt, il aurait reconnu la nécessité de réparations « sur toute la longueur de la voie [ferrée] ».

112. Or, je peine à voir une contradiction entre ces deux points. En effet, au point 164 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a simplement relevé le contenu de la lettre interne de LG ( 57 ), selon laquelle, notamment, la réparation de la voie ferrée, dans le cadre de l’option 1, « devait comporter la suppression complète et immédiate de la voie ferrée » malgré le fait que « la voie ferrée aurait dû être entièrement réparée dans un délai de cinq ans », tandis que, au point 225 de cet arrêt, le Tribunal a
simplement constaté que la première étape de la réalisation de l’option 1 consistait à effectuer « les réparations locales aux endroits de la voie ferrée qui ne permettaient pas un trafic ferroviaire sûr ».

113. Partant, je propose de rejeter cette deuxième branche comme étant non fondée.

3.   Sur la troisième branche

114. Par la troisième branche de son troisième moyen, LG avance que, contrairement à ce que le Tribunal laisserait entendre aux points 221 à 223 de l’arrêt attaqué, elle n’était pas soumise à une obligation juridique absolue de rétablir la situation normale de la voie en réalisant les réparations initiales au titre de l’option 1 et pouvait légitimement choisir l’option 2. Celle-ci aurait permis un rétablissement de la situation normale, tout en précisant que le moment de la suppression de la voie,
inévitable dans la mise en œuvre de l’option 2, serait dépourvu de pertinence.

115. À cet égard, tout d’abord, je tiens à observer, ainsi qu’il a été relevé dans le cadre de la première branche, que l’argument repose sur la prémisse erronée selon laquelle le Tribunal aurait jugé que LG était soumise, en vertu de la législation de l’Union et de la législation nationale applicables, à une obligation juridique absolue de rétablir la situation normale en réalisant les réparations initiales au titre de l’option 1 et qu’elle ne pouvait pas choisir l’option 2.

116. Ensuite, je relève que les appréciations portant sur le cadre réglementaire applicable, et notamment les obligations que celui-ci impose aux gestionnaires d’infrastructures ferroviaires, ont été invoquées au point 222 de l’arrêt attaqué, notamment, afin de constater, d’une part, que le gestionnaire des infrastructures n’a pas, en vertu du cadre réglementaire applicable, uniquement l’obligation de garantir la sécurité du trafic, mais également celle « de minimiser les perturbations du réseau
ferroviaire et de rétablir la situation normale à la suite d’une perturbation de la circulation des trains » et, d’autre part, que la « suppression de la totalité de la voie ferrée ne pouvait être justifiée uniquement par des raisons de sécurité, la sécurité ayant déjà été dûment assurée par la suspension du trafic le 2 septembre 2008 ». En outre, au point 223 de cet arrêt, le Tribunal a estimé que, du fait que LG disposait d’une position dominante sur le marché pertinent, il lui incombait, au
titre de l’article 102 TFUE, d’« éviter d’éliminer toute possibilité de remettre la voie ferrée en service à court terme, au moyen d’une reconstruction échelonnée, en se conformant à son obligation de minimiser les perturbations sur le réseau ferroviaire en rétablissant la situation normale à la suite d’une perturbation ».

117. Il découle des constatations figurant dans ces points de l’arrêt attaqué que le Tribunal n’a pas conclu que LG avait une obligation juridique absolue de réaliser les réparations initiales au titre de l’option 1, et que, en tout état de cause, les constatations relatives aux obligations des gestionnaires d’infrastructures ferroviaires ont été fondées principalement sur la responsabilité spéciale de LG en vertu de l’article 102 TFUE.

118. Partant, je propose de rejeter la troisième branche comme étant non fondée.

4.   Sur la quatrième branche

119. Par la quatrième branche du troisième moyen, LG fait valoir que l’affirmation, figurant au point 225 de l’arrêt attaqué, d’un effet d’éviction du fait que, lorsqu’Orlen a estimé que LG n’avait pas l’intention de réparer la voie ferrée à court terme, LDZ a retiré sa demande de licence pour opérer sur la partie lituanienne de l’itinéraire court vers la Lettonie, serait contradictoire au regard des constatations effectuées aux points 24 et 25 de cet arrêt, par lesquelles le Tribunal aurait établi
que LDZ avait présenté une demande en vue d’obtenir une telle licence « à la fin du mois de juin [de l’année] 2009 », soit après la suppression de la voie ferrée. Cette dernière n’aurait donc eu aucune influence sur la décision de retirer la demande de licence, qui s’expliquerait, en réalité, par le fait que, au milieu de l’année 2010, Orlen était arrivée à la conclusion que LG n’avait pas l’intention de réparer la voie ferrée à court terme, ainsi qu’il ressortirait du point 26 de l’arrêt
attaqué.

120. À cet égard, je relève que, effectivement, il pourrait être soutenu, sur la base d’une lecture combinée des points 24, 25 et 225 de l’arrêt attaqué, qu’il n’existe pas de lien de causalité entre la suppression de la voie ferrée et le retrait de la demande de licence de la part de LDZ.

121. Or, la référence au retrait de la demande de LDZ visée au point 225 de l’arrêt attaqué doit être comprise dans son contexte très particulier. En effet, le Tribunal s’est référé au retrait de la demande de LDZ pour illustrer la constatation figurant à la phrase précédente, selon laquelle « le changement d’une situation temporaire en une situation permanente est susceptible d’avoir une incidence sur la situation concurrentielle, en ce que des concurrents potentiels ne se comporteront pas de la
même manière selon qu’ils estiment qu’un rétablissement de la situation “normale” pourra intervenir à brève échéance, à moyenne échéance ou ne jamais intervenir ». Le fait que, dès qu’il a été clair qu’il n’y aurait pas de réparation de la voie ferrée à court terme, LDZ a retiré sa demande en vue d’opérer en Lituanie sert à illustrer cette conclusion générale sur le comportement des concurrents, indépendamment de la date à laquelle le retrait en question a eu lieu. Partant, je propose de
rejeter la quatrième branche comme étant non fondée.

122. Si la Cour venait à constater une contradiction interne dans l’arrêt attaqué entachant la motivation du point 225 de celui-ci, à mon avis, cette contradiction ne saurait infirmer la conclusion à laquelle le Tribunal a abouti, selon laquelle « la suppression de la voie ferrée, en toute hâte et sans obtenir, au préalable, les fonds nécessaires à sa reconstruction, a augmenté le risque, réalisé en l’espèce, qu’un trafic ferroviaire sûr ne soit rétabli sur l’itinéraire court que plus de dix années
plus tard ». En ce sens, la quatrième branche du troisième moyen serait inopérante.

123. Eu égard à ce qui précède, je propose de rejeter la quatrième branche du troisième moyen et, ainsi, le troisième moyen dans son ensemble.

E. Sur le quatrième moyen

124. Par son quatrième moyen, qui comporte deux branches, LG reproche au Tribunal d’avoir commis des erreurs de droit et d’appréciation dans le cadre de son examen de la légalité de l’amende qui lui a été infligée.

125. Par la première branche, LG affirme que l’arrêt attaqué est entaché d’une contradiction des motifs dans la mesure où le Tribunal a considéré, notamment au point 196 de l’arrêt attaqué, que « la Commission ne s’est nullement fondée sur l’intention, la stratégie anticoncurrentielle ou la mauvaise foi de LG pour justifier sa conclusion relative à l’existence d’une violation du droit de la concurrence » ( 58 ), alors que, dans les parties subséquentes de l’arrêt dans lesquelles le Tribunal aborde
les moyens relatifs à la fixation du montant de l’amende, il aurait fait référence à une prétendue intention anticoncurrentielle de LG. Étant donné que rien n’indique que le Tribunal ait eu l’intention de modifier les constatations opérées au point 196 de l’arrêt attaqué, cette contradiction serait révélatrice d’une erreur d’appréciation à deux égards. D’une part, le Tribunal aurait commis une erreur d’appréciation au point 339 de l’arrêt attaqué, lorsque, en analysant la question du caractère
nouveau de la théorie juridique sur laquelle la décision litigieuse est fondée, il a décrit le comportement en cause comme « visant à tenir les concurrents éloignés du marché ». D’autre part, le Tribunal aurait erronément réitéré cette description du comportement en cause dans le cadre de l’analyse du caractère prétendument disproportionné du coefficient de gravité retenu par la Commission, notamment au point 368 de l’arrêt attaqué (qui renvoie au point 339 précité) et au point 374 de cet
arrêt, qui fait référence à « la suppression de la voie ferrée, dans le but de garder les concurrents éloignés du marché en leur donnant accès au marché à des conditions moins avantageuses ». Or, de telles erreurs d’appréciation du Tribunal auraient eu un impact tant sur l’appréciation de la nécessité d’infliger une amende que, le cas échéant, sur le montant même de celle-ci.

126. Par la seconde branche, LG avance, sans étayer ses dires, que le caractère prétendument nouveau du comportement en cause et l’absence d’intention anticoncurrentielle aurait pu influencer l’analyse du Tribunal dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction. Lors de l’audience, LG aurait apporté deux précisions à cet égard. D’une part, LG a soutenu que l’absence d’intention anticoncurrentielle était pertinente dans la mesure où, aux points 398 et 404 de l’arrêt attaqué, le
Tribunal a précisé que, dans le cadre de sa compétence de pleine juridiction, la fixation du montant de l’amende a été faite, notamment, sur la base d’« une juste appréciation de la gravité de l’infraction », l’intention anticoncurrentielle étant un élément clé de l’appréciation de la gravité de l’infraction. D’autre part, LG a fait valoir que le Tribunal a outrepassé les limites de sa compétence de pleine juridiction dans la mesure où, en présumant l’intention anticoncurrentielle en tant
qu’élément d’appréciation de la gravité, il aurait modifié des éléments constitutifs de l’infraction légalement constatée par la Commission.

1.   Sur le caractère opérant du quatrième moyen

127. La Commission estime que le quatrième moyen doit être rejeté comme étant inopérant ( 59 ), dans la mesure où le Tribunal, d’une part, a exercé sa compétence de pleine juridiction et substitué sa propre appréciation de l’amende à celle de la Commission et, d’autre part, n’a fait référence à aucune intention anticoncurrentielle de LG dans le cadre de cette appréciation.

128. En l’espèce, par son quatrième moyen, LG vise à faire réduire davantage le montant de l’amende qui lui a été infligée en invoquant une erreur d’appréciation du Tribunal lors du traitement des moyens relatifs à la fixation du montant de l’amende. Or, la circonstance que le Tribunal ait exercé sa compétence de pleine juridiction et substitué sa propre appréciation du montant de l’amende à celle de la Commission ne saurait rendre ce moyen inopérant. En effet, cette circonstance n’exclut pas, en
soi, d’une part, que, dans l’hypothèse où il serait fondé, ce quatrième moyen pourrait entraîner une diminution ultérieure du montant de l’amende initialement infligée par la Commission, une erreur d’appréciation relative au caractère intentionnel pouvant effectivement affecter certains paramètres de l’amende, et notamment le taux de gravité, et, d’autre part, qu’une telle diminution, à son tour, aurait amené le Tribunal à estimer qu’il n’était plus opportun d’exercer sa compétence de pleine
juridiction. Cette hypothèse est d’autant plus plausible dans la mesure où le Tribunal, d’une part, semble s’être livré, de sa propre initiative et en exerçant ses pouvoirs de pleine juridiction, à une réévaluation du montant de l’amende l’ayant conduit à fixer celle-ci à un montant sensiblement moins élevé que celui retenu par la Commission et, d’autre part, n’a pas exposé les raisons pour lesquels il a modifié le montant final de l’amende infligée, alors qu’il avait rejeté l’ensemble des
moyens soulevés à l’appui des conclusions tendant à l’annulation de la décision litigieuse et l’intégralité des griefs soulevés à l’appui de la demande de LG tendant à la réduction du montant de l’amende.

129. Il résulte de ce qui précède que le présent moyen ne peut pas d’emblée être rejeté comme étant inopérant. Il convient ainsi d’en examiner le bien-fondé.

2.   Sur le bien-fondé du quatrième moyen

130. À titre liminaire, je relève que le quatrième moyen repose nécessairement sur la prémisse selon laquelle le Tribunal aurait pris en compte, tant dans le cadre de la vérification de la fixation de l’amende, telle qu’effectuée par la Commission, que dans le cadre de l’exercice de sa pleine juridiction, la prétendue intention anticoncurrentielle de LG. En effet, c’est sur cette prémisse que se fonde LG pour faire valoir qu’il y a une contradiction interne à l’arrêt, dans la mesure où le Tribunal
aurait affirmé que l’intention anticoncurrentielle de LG n’avait pas été prise en compte lors de la qualification du comportement comme abusif.

131. À cet égard, il convient, tout d’abord, d’observer que, aux points 196 et 197 de l’arrêt attaqué ( 60 ), le Tribunal a jugé que la Commission ne s’est pas fondée, dans la décision litigieuse, sur l’intention, la stratégie anticoncurrentielle ou la mauvaise foi de LG pour justifier sa conclusion relative à l’existence d’une violation du droit de la concurrence. Ce faisant, le Tribunal a expressément rejeté l’argument de LG selon lequel la décision litigieuse était entachée d’une erreur de droit
en ce que la Commission aurait mis en évidence le caractère abusif de la pratique en cause en se fondant, notamment, sur son intention anticoncurrentielle ( 61 ).

132. Ensuite, je constate qu’aucune des parties de l’arrêt visées par le quatrième moyen ne se réfère expressément à une prétendue intention anticoncurrentielle de LG. Les seuls éléments qui pourraient donc étayer l’allégation de LG selon laquelle le Tribunal aurait pris en compte sa prétendue intention anticoncurrentielle sont, selon LG, d’une part, l’utilisation de formulations faisant allusion à une telle intention (aux points 339, 368 et 374 de l’arrêt attaqué, dans le cadre de la première
branche) et, d’autre part, de manière encore plus implicite, la référence à une juste appréciation de la gravité de l’infraction, dans la mesure où l’intention anticoncurrentielle serait pertinente à cet égard (aux points 398 et 404 de l’arrêt attaqué, dans le cadre de la seconde branche).

133. Pour les raisons qui suivent, j’estime qu’aucun de ces deux éléments ne suffit à démontrer la prise en compte de la prétendue intention anticoncurrentielle de LG de la part du Tribunal et que, dès lors, les deux branches du quatrième moyen devraient être rejetées comme non fondées.

a)   Sur la première branche

134. Par la première branche du quatrième moyen, LG soutient, en substance, que le Tribunal a commis une erreur d’appréciation lors de son examen de la légalité de l’amende infligée par la Commission. À ce propos, elle avance deux griefs, le premier, tiré d’une erreur d’appréciation, figurant au point 339 de l’arrêt attaqué, dans le cadre de l’analyse de la question du caractère nouveau de la théorie juridique sur laquelle la décision litigieuse est fondée, et le second, tiré d’une erreur
d’appréciation, aux points 368 et 374 de l’arrêt attaqué, dans le cadre de l’analyse du caractère prétendument disproportionné du coefficient de gravité.

135. En premier lieu, s’agissant du grief relatif au point 339 de l’arrêt attaqué, je constate que ce point fait partie de l’analyse du Tribunal relatif au grief de LG selon lequel la Commission aurait commis une erreur de droit et d’appréciation en lui infligeant une amende du fait que le comportement reproché dans la décision litigieuse constituait une nouvelle catégorie d’abus dont elle ignorait le caractère illégal. En effet, le Tribunal a rappelé que le comportement en cause « était susceptible
de produire des effets anticoncurrentiels potentiels d’éviction de la concurrence sur le marché [en cause], en dressant des barrières à l’entrée sur le marché sans qu’il existe une justification objective ». C’est donc à la lumière de cette constatation, et pour répondre à l’argument selon lequel le caractère abusif de ce comportement devrait être qualifié de nouveau, que le Tribunal a estimé que « le caractère abusif d’un comportement tel que celui de la requérante, visant à tenir les
concurrents éloignés du marché, a déjà été condamné par les juridictions de l’Union » ( 62 ).

136. Si, certes, la formulation « [un comportement] visant à tenir les concurrents éloignés » (dans la version en langue anglaise, à savoir la langue de procédure, « conduct […] seeking to keep competitors away from the market ») est empreinte d’ambiguïté et pourrait, prise hors contexte, effectivement être comprise comme faisant allusion à l’existence d’une intention anticoncurrentielle, elle doit néanmoins être appréciée dans son contexte particulier ( 63 ).

137. Cette formulation est inspirée du point 164 de l’arrêt AstraZeneca/Commission ( 64 ), où la Cour a notamment précisé, dans le cadre d’une appréciation du caractère inédit des infractions en cause et de l’effet de celles-ci, qu’AstraZeneca « était conscient[e] de la nature fortement anticoncurrentielle de son comportement et aurait dû s’attendre à ce que celui-ci soit incompatible avec les règles de concurrence du droit de l’Union » ( 65 ). Il s’ensuit que le caractère intentionnel, dans le
cadre de cette jurisprudence, revêt une nuance différente par rapport à la notion d’intention comprise comme l’existence d’« une stratégie commerciale poursuivie par une entreprise ». En effet, lorsque le Tribunal se réfère au caractère intentionnel aux points 196 et 197 de l’arrêt attaqué, il le fait en se fondant sur « des facteurs de nature subjective, à savoir les mobiles qui sous-tendent la stratégie commerciale en question » (voir point 191 de l’arrêt attaqué) ( 66 ). Tandis que,
lorsqu’il se réfère à un comportement « visant à tenir les concurrents éloignés du marché », il s’agit d’une appréciation de nature objective liée à la question de savoir si, eu égard à l’ensemble des circonstances pertinentes, un comportement est susceptible de restreindre la concurrence.

138. J’estime, dès lors, qu’il y a lieu de rejeter le premier grief de la première branche tiré d’une erreur d’appréciation figurant au point 339 de l’arrêt attaqué, dans le cadre de l’analyse relative à la qualification du comportement en cause de nouveau.

139. En second lieu, s’agissant du grief relevant des points 368 et 374 de l’arrêt attaqué, je constate que ces points font partie de l’analyse du Tribunal relatif au grief tiré du caractère prétendument disproportionné du coefficient de gravité retenu par la Commission lors de l’établissement du montant de l’amende.

140. À cet égard, je relève d’emblée que, au point 366 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a rappelé que, afin de déterminer le degré de gravité de l’infraction en cause, la Commission a pris en considération quatre éléments – à savoir la nature de l’infraction, la situation sur les marchés pertinents de LG, la portée géographique de l’infraction et les modalités de mise en œuvre effective de l’infraction. Force est de constater qu’aucun élément subjectif, tel que le caractère intentionnel du
comportement, ne fait partie de ces éléments pris en compte par la Commission aux fins de la détermination du degré de gravité ( 67 ).

141. Cette conclusion ne saurait être infirmée par l’argument avancé par LG qu’il existe deux références, à savoir les points 368 et 374 de l’arrêt attaqué, qui, lues isolément, pourraient suggérer la prise en compte d’un élément subjectif révélateur d’intention.

142. Plus précisément, d’une part, au point 368 de l’arrêt attaqué, à l’instar du point 339 précité, le Tribunal a énoncé que « le caractère abusif d’un comportement tel que celui de [LG], visant à tenir les concurrents éloignés du marché, a […] été condamné à plusieurs reprises par les juridictions de l’Union ». Cette référence à la même formulation utilisée au point 339 de l’arrêt attaqué examiné ci-dessus est due au fait que LG renvoie aux arguments avancés au soutien du moyen concernant le
caractère prétendument nouveau et sans précédent de l’affaire, afin de contester le caractère prétendument disproportionné du coefficient de gravité retenu par la Commission. Il s’ensuit que l’analyse effectuée aux points 135 et 136 des présentes conclusions s’applique mutatis mutandis.

143. D’autre part, au point 374 de l’arrêt attaqué, la Commission a visé à répondre à l’argument de LG selon lequel le coefficient de gravité serait également disproportionné à la lumière de sa pratique dans des cas comparables d’application de l’article 102 TFUE et violerait de ce fait le principe d’égalité de traitement. C’est dans ce contexte que le Tribunal a indiqué que « la suppression de la voie ferrée, dans le but de garder les concurrents éloignés du marché en leur donnant accès au marché à
des conditions moins avantageuses, ne pouvait s’analyser comme [un refus d’accès à une infrastructure essentielle] » ( 68 ).

144. Or, si la formulation « dans le but » est effectivement ambiguë, de sorte qu’elle pourrait être comprise comme se référant à une intention anticoncurrentielle, j’estime qu’il s’agit d’une formulation peu heureuse de la part du Tribunal, dans la mesure où, dans cette partie de l’arrêt attaqué, il ne fait que réitérer son analyse relative à la qualification du comportement d’abus de position dominante, selon laquelle le comportement en cause ne saurait être qualifié de « refus d’accès ». C’est
précisément pour cette raison que cette phrase est précédée de la phrase « il a été établi, dans le cadre de l’examen du premier moyen du recours ».

145. Partant, au point 374 de l’arrêt attaqué, le Tribunal n’a pas effectué une nouvelle appréciation quant au caractère intentionnel de l’infraction, qui pourrait être perçue comme contradictoire, mais se limite à réitérer la conclusion qu’il a déjà tirée dans le cadre de l’analyse du premier moyen, et notamment au point 98 de l’arrêt attaqué, selon laquelle « le comportement en cause [...] ne saurait être analysé à la lumière de la jurisprudence établie en matière de refus de fournir l’accès à des
infrastructures essentielles ».

146. En troisième lieu, dans un souci d’exhaustivité, il convient de rappeler que, pour les besoins du présent pourvoi, il n’y a pas lieu d’examiner la prétendue contradiction des motifs du point de vue d’un prétendu manque au devoir de motivation de la part du Tribunal, dans la mesure où la motivation de l’arrêt attaqué fait apparaître de façon claire et non équivoque que les éléments subjectifs, tels que l’intention, la stratégie anticoncurrentielle ou la mauvaise foi de LG, n’ont pas été pris en
compte pour établir l’existence de l’infraction. Il n’existe donc aucune contradiction interne entravant la bonne compréhension des raisons sous-tendant l’analyse du Tribunal à cet égard ( 69 ).

147. Eu égard à ce qui précède, je propose de rejeter le second grief de la première branche tiré d’une erreur d’appréciation dans le cadre de l’analyse relative au caractère prétendument disproportionné du coefficient de gravité retenu par la Commission ainsi que cette première branche dans son ensemble.

b)   Sur la seconde branche

148. Par la seconde branche du quatrième moyen, LG soutient, en substance, que le Tribunal a commis une erreur d’appréciation dans le cadre de l’exercice de sa compétence de pleine juridiction en présumant l’existence d’une intention anticoncurrentielle lors de l’appréciation de la gravité de l’infraction.

1) Sur l’appréciation de l’intention anticoncurrentielle

149. Tout d’abord, je rappelle que, conformément à une jurisprudence constante, à laquelle le Tribunal se réfère expressément au point 390 de l’arrêt attaqué, lorsqu’il exerce sa compétence de pleine juridiction, le juge de l’Union est habilité, au-delà du simple contrôle de la légalité de la sanction, à substituer, pour la détermination du montant de cette sanction, sa propre appréciation à celle de la Commission, auteur de l’acte dans lequel ce montant a été initialement fixé, à l’exclusion,
néanmoins, de toute modification des éléments constitutifs de l’infraction légalement constatée par la Commission dans la décision dont le Tribunal est saisi ( 70 ).

150. Il s’ensuit que, dans la mesure où, aux points 196 et 197 de l’arrêt attaqué ( 71 ), le Tribunal a jugé que c’était à juste titre que la Commission ne s’était pas fondée, dans la décision litigieuse, notamment, sur l’intention anticoncurrentielle de LG pour justifier sa conclusion relative à l’existence d’une violation du droit de la concurrence, le Tribunal n’est pas habilité à modifier un tel « élément constitutif de l’infraction » en prenant en compte une telle intention dans le cadre de sa
compétence de pleine juridiction.

151. Or, ainsi qu’il a déjà été relevé, notamment au point 132 des présentes conclusions, le terme « intention » ne figure nulle part dans la partie de l’arrêt dédiée à l’exercice de la compétence de pleine juridiction, à savoir les points 389 à 406 de l’arrêt attaqué. Par ailleurs, LG n’a pas précisé, dans sa requête, quelle partie de l’analyse du Tribunal serait entachée par des considérations liées au caractère intentionnel du comportement en cause, mais a indiqué, lors de l’audience, que des
considérations liées au caractère intentionnel seraient inhérentes à l’appréciation de la gravité du comportement.

152. À cet égard, je rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour, la compétence de pleine juridiction, reconnue au juge de l’Union à l’article 31 du règlement no 1/2003, conformément à l’article 261 TFUE, habilite celui-ci, au-delà du simple contrôle de légalité de la sanction, à substituer son appréciation à celle de la Commission et, en conséquence, à supprimer, à réduire ou à majorer l’amende ou l’astreinte infligée. Bien que l’exercice de cette compétence de pleine juridiction n’équivaille
pas à un contrôle d’office et que la procédure soit contradictoire, le juge de l’Union est tenu, dans l’exercice des compétences prévues aux articles 261 et 263 TFUE, d’examiner tout grief, de droit ou de fait, visant à démontrer que le montant de l’amende n’est pas en adéquation avec la gravité et la durée de l’infraction ( 72 ). L’exercice de la pleine juridiction suppose donc la prise en compte de la gravité de l’infraction commise ainsi que la durée de celle-ci, dans le respect, notamment,
des principes de proportionnalité, d’individualisation des sanctions et d’égalité de traitement ( 73 ). C’est, en effet, sur le fondement de ces deux critères relatifs à la gravité et à la durée de l’infraction que le Tribunal a exercé son pouvoir d’appréciation ( 74 ).

153. S’agissant de la gravité de l’infraction, qui est le critère pertinent dans le cadre de la présente branche, ainsi qu’il ressort du point 399 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a estimé approprié de prendre en considération trois éléments, à savoir la nature de l’infraction, la situation de LG sur les marchés pertinents ainsi que l’étendue géographique de cette infraction. Or, le caractère intentionnel de l’infraction, par sa nature, ne saurait entrer en ligne de compte que dans le cadre de
l’appréciation du premier élément, à savoir la nature de l’infraction.

154. Toutefois, force est de constater que, au point 400 de l’arrêt attaqué, qui est le point où le Tribunal a élaboré son analyse concernant la nature de l’infraction, celui-ci s’est référé à des considérations objectives, qui n’ont aucun lien, direct ou indirect, avec une prétendue intention anticoncurrentielle.

155. Il s’ensuit que, contrairement à ce qu’allègue LG, le Tribunal ne s’est pas fondé sur une prétendue intention anticoncurrentielle pour effectuer une « juste appréciation de la gravité de l’infraction », et que, dès lors, cette seconde branche du quatrième moyen, devrait également être écartée comme étant non fondée.

156. Toutefois, à titre surabondant et dans un souci de complétude, je souhaite apporter deux précisions sur l’appréciation du montant approprié de l’amende et sur le devoir de motivation dans le cadre de l’exercice de la pleine juridiction.

2) Sur l’appréciation du montant approprié de l’amende

157. D’une part, conformément à une jurisprudence constante, il n’appartient pas à la Cour, lorsqu’elle se prononce sur des questions de droit dans le cadre d’un pourvoi, de substituer, pour des motifs d’équité, son appréciation à celle du Tribunal statuant, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, sur le montant des amendes infligées à des entreprises en raison de la violation, par celles-ci, du droit de l’Union. Ce n’est que dans la mesure où la Cour estimerait que le niveau de la
sanction est non seulement inapproprié, mais également excessif, au point d’être disproportionné, qu’il y aurait lieu de constater une erreur de droit commise par le Tribunal, en raison du caractère inapproprié du montant d’une amende ( 75 ).

158. Or, en l’occurrence, LG conteste l’appréciation effectuée par le Tribunal quant au montant de l’amende infligée au regard des circonstances de l’espèce, sans pour autant établir ni même alléguer que ce montant serait non seulement inapproprié, mais également excessif, au point d’être disproportionné. Dès lors, la Cour pourrait également rejeter cette branche comme étant irrecevable.

3) Sur le devoir de motivation

159. D’autre part, je rappelle qu’il est de jurisprudence constante que le Tribunal est tenu, dans l’exercice de sa compétence de pleine juridiction, par certaines obligations, parmi lesquelles figure l’obligation de motivation, qui s’impose à lui en vertu de l’article 36 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable au Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, du même statut ( 76 ).

160. En l’espèce, le Tribunal, aux points 400 à 402 de l’arrêt attaqué, s’est contenté d’une motivation particulièrement vague qui ne permet guère de comprendre comment il a pu aboutir à une réduction considérable du montant de l’amende retenue. Cette absence de motivation est d’autant plus surprenante que le Tribunal a confirmé la décision litigieuse, en rejetant l’ensemble des moyens soulevés par LG. S’il est vrai que le Tribunal peut, dans le cadre de son pouvoir de pleine juridiction, réformer
l’acte attaqué, notamment en réduisant le montant de l’amende infligée, même en l’absence d’annulation de cet acte, il n’en demeure pas moins qu’une telle modification de l’amende doit être motivée de sorte à permettre d’identifier les raisons justifiant une telle modification de l’amende, sans qu’il soit, toutefois, indispensable d’effectuer un exercice arithmétique précis.

161. Or, en l’occurrence, LG n’a pas avancé un défaut de motivation, et la Commission, qui aurait également un intérêt légitime à faire valoir une violation de l’obligation de motivation, n’a pas formé de pourvoi incident limité à la contestation de l’amende.

162. Dans cette configuration particulière, la Cour ne devrait pas, selon moi, relever d’office la violation du devoir de motivation. Toutefois, si elle estime opportun de relever que l’exercice de pleine juridiction est entaché d’une motivation insuffisante, dans la mesure où il appartient au Tribunal d’apprécier la gravité des comportements illicites, il y a lieu de renvoyer cette affaire au Tribunal afin que ce dernier motive de manière plus détaillée le calcul effectué ( 77 ). Certes, dans une
telle hypothèse, afin de respecter le principe d’interdiction de la reformatio in pejus ( 78 ), ainsi que les principes de protection de la confiance légitime et de la sécurité juridique, en l’absence d’une quelconque contestation de la part de la Commission, le Tribunal ne saurait majorer le montant de l’amende au-delà du montant imposé par l’arrêt attaqué.

VI. Sur les dépens

163. En vertu de l’article 184, paragraphe 2, du règlement de procédure de la Cour, lorsque le pourvoi n’est pas fondé, la Cour statue sur les dépens. Conformément à l’article 138, paragraphe 1, de ce règlement, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, dudit règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, s’il est conclu en ce sens. LG devant, selon moi, succomber en ses moyen, je propose de la condamner aux dépens afférents au pourvoi.

VII. Conclusion

164. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de statuer comme suit :

– le pourvoi est rejeté, et

– Lietuvos geležinkeliai AB est condamnée à supporter, outre ses propres dépens, ceux exposés par la Commission européenne.

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( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Règlement du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1).

( 3 ) Conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Bronner (C‑7/97, ci-après les « conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Bronner », EU:C:1998:264).

( 4 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 26 février 2001 concernant la répartition des capacités d’infrastructure ferroviaire, la tarification de l’infrastructure ferroviaire et la certification en matière de sécurité (JO 2001, L 75, p. 29).

( 5 ) À cet égard, LG renvoie à l’arrêt du 1er juillet 2010, AstraZeneca/Commission (T‑321/05, EU:T:2010:266).

( 6 ) Arrêt du 25 mars 2021, Slovak Telekom/Commission (C‑165/19 P, ci-après l’ arrêt Slovak Telekom , EU:C:2021:239, point 40 et jurisprudence citée).

( 7 ) Arrêt du 12 mai 2022, Servizio Elettrico Nazionale e.a. (C‑377/20, EU:C:2022:379, point 68 et jurisprudence citée).

( 8 ) Voir arrêts du 17 février 2011, TeliaSonera Sverige, (C‑52/09 EU:C:2011:83, point 68), et du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C‑307/18, EU:C:2020:52, point 154).

( 9 ) Voir, en ce sens, arrêts du 15 septembre 1998, European Night Services e.a./Commission (T‑374/94, T‑375/94, T‑384/94 et T‑388/94, EU:T:1998:198, points 208 et 212 ainsi que jurisprudence citée) et du 10 novembre 2021, Google et Alphabet/Commission (Google Shopping) (T‑612/17, ci-après  arrêt Google Shopping , EU:T:2021:763, point 215, actuellement sous pourvoi).

( 10 ) Dans la pratique du droit de la concurrence, la notion de « refus de fourniture » couvre un large éventail de pratiques, telles que le refus de fournir des produits à des clients existants ou nouveaux, le refus d’accorder une licence de droits de propriété intellectuelle, notamment lorsque la licence est nécessaire aux fins de la communication d’informations d’interface, ou encore le refus de donner accès à des installations ou à un réseau essentiels [point 78 de la communication de la
Commission intitulée « Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour l’application de l’article 82 [CE] aux pratiques d’éviction abusives des entreprises dominantes » (JO 2009, C 45, p. 7, ci-après les « Orientations »)].

( 11 ) Pour un aperçu de la théorie des facilités essentielles, telle que conçue initialement dans la législation antitrust des États-Unis, voir conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Bronner (points 45 à 47).

( 12 ) Voir arrêt du 1er juillet 2010, AstraZeneca/Commission (T‑321/05, EU:T:2010:266, point 679).

( 13 ) Voir arrêts du 5 octobre 1988, Volvo (238/87, EU:C:1988:477, point 8) et du 17 septembre 2007, Microsoft/Commission (T‑201/04, EU:T:2007:289, point 331).

( 14 ) Dans sa jurisprudence antérieure à l’arrêt Bronner, la Cour avait jugé abusif le refus d’une entreprise dominante de fournir à une entreprise sur un marché voisin les matières premières [arrêt du 6 mars 1974, Istituto Chemioterapico Italiano et Commercial Solvents/Commission (6/73 et 7/73, EU:C:1974:18, point 25)] ou les services [arrêt du 3 octobre 1985, CBEM (311/84, EU:C:1985:394, point 26)] qui étaient indispensables à l’exercice des activités de celle-ci, uniquement dans la mesure où le
comportement en cause était de nature à éliminer toute concurrence de la part de cette entreprise. Cette même approche, selon laquelle l’exercice d’un droit exclusif, tel que le refus de licence de la part du titulaire d’un droit de propriété intellectuelle, ne peut donner lieu à un comportement abusif que dans « des circonstances exceptionnelles », a été confirmée dans l’arrêt du 6 avril 1995, RTE et ITP/Commission (C‑241/91 P et C‑242/91 P, EU:C:1995:98, points 49 et 50).

( 15 ) Voir note en bas de page précédente.

( 16 ) Voir points 56, 57 et 62 desdites conclusions.

( 17 ) Voir conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Bronner (point 56).

( 18 ) Arrêt Slovak Telekom (point 46).

( 19 ) Si l’avocat général Saugmandsgaard Øe, dans ses conclusions dans les affaires Deutsche Telekom/Commission et Slovak Telekom/Commission (C‑152/19 P et C‑165/19 P, EU:C:2020:678), affirme que l’arrêt Bronner représente « un cas particulier dans le paysage normatif de l’article 102 TFUE » dont « la portée [...] doit être interprétée de manière stricte afin de préserver l’effet utile de l’article 102 TFUE » (point 55 de ces conclusions se référant au point 58 de l’arrêt du 17 février 2011,
TeliaSonera Sverige, C‑52/09, EU:C:2011:83), je suis d’avis que, au contraire, l’arrêt Bronner constitue (et a toujours constitué) le point de départ de toute analyse en droit de la concurrence en matière de refus de fourniture à des concurrents. L’arrêt Bronner devrait donc être l’arrêt de principe et la règle plutôt que l’exception. Les critères énoncés ne sauraient être interprétés de manière restrictive.

( 20 ) Voir conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Bronner (point 58) et mes conclusions dans l’affaire Servizio Elettrico Nazionale e.a. (C‑377/20, EU:C:2021:998, points 87 à 108).

( 21 ) Arrêt Slovak Telekom (point 48) ainsi que points 57 et 65 des conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Bronner.

( 22 ) Voir point 70 de l’arrêt attaqué.

( 23 ) Voir points 99 et 103 de l’arrêt attaqué.

( 24 ) Voir point 90 de l’arrêt attaqué.

( 25 ) Voir point 91 de l’arrêt attaqué.

( 26 ) Voir points 91, 92, 95, 96 de l’arrêt attaqué.

( 27 ) Voir points 91 et 94 de l’arrêt attaqué.

( 28 ) Voir point 48 des présentes conclusions.

( 29 ) Voir, par analogie, arrêt du 10 juillet 2014, Telefónica et Telefónica de España/Commission (C‑295/12 P, EU:C:2014:2062, point 96), et conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans les affaires Deutsche Telekom/Commission et Slovak Telekom/Commission (C‑152/19 P et C‑165/19 P, EU:C:2020:678, point 106).

( 30 ) Je tiens à noter qu’il semblerait que l’arrêt Bronner s’applique à des situations où il y a eu un « refus » de fourniture d’accès, ce qu’implique l’existence d’une « demande », ou en tout état de cause, d’une manifestation d’un souhait de se voir accorder un accès, et d’un « refus » corrélatif (voir, en ce sens, arrêt Google Shopping, point 232 et jurisprudence citée)].

( 31 ) Arrêt Slovak Telekom (point 50).

( 32 ) Tel est notamment le cas d’abus que constitue la compression des marges d’opérateurs concurrents sur un marché en aval [voir arrêts du 17 février 2011, TeliaSonera Sverige (C‑52/09, EU:C:2011:83, point 58) ; du 10 juillet 2014, Telefónica et Telefónica de España/Commission (C‑295/12 P, EU:C:2014:2062, points 75 et 96), et Slovak Telekom (points 52 et 53)].

( 33 ) Voir, en ce sens, Orientations, point 22.

( 34 ) Arrêt 3 juillet 1991, AKZO/Commission (C‑62/86, EU:C:1991:286, point 69).

( 35 ) Mise en italique par mes soins.

( 36 ) Voir, en ce sens, arrêt du 23 octobre 2003, Van den Bergh Foods/Commission (T‑65/98, EU:T:2003:281, point 161).

( 37 ) Voir point 64 des présentes conclusions.

( 38 ) Voir, en ce sens, arrêts Bronner (point 37,) ainsi que Slovak Telekom (points 43, 45, 46, 48 et 49). Je note que l’avocat général Jacobs, dans ses conclusions dans l’affaire Bronner (C‑7/97, EU:C:1998:264, point 66), a pu envisager l’application des critères Bronner à un cas où l’installation concernée a été créée dans des conditions de non-concurrence, en partie grâce à des subventions publiques.

( 39 ) Voir, en ce sens, arrêt Slovak Telekom (points 47 et 48) ; conclusions de l’avocat général Saugmandsgaard Øe dans les affaires Deutsche Telekom/Commission et Slovak Telekom/Commission (C‑152/19 P et C‑165/19 P, EU:C:2020:678, points 75 à 78).

( 40 ) Arrêt du 10 juillet 2014, Telefónica et Telefónica de España/Commission (C‑295/12 P, EU:C:2014:2062, point 128).

( 41 ) Voir, en ce sens, arrêt Slovak Telekom (points 42 et 57).

( 42 ) Voir, en ce sens, arrêt du 14 octobre 2010, Deutsche Telekom/Commission (C‑280/08 P, EU:C:2010:603, point 92).

( 43 ) En renvoyant aux points 148, 164 et 168 de l’arrêt attaqué, LG souligne que le Tribunal a reconnu qu’elle pouvait choisir de supprimer la voie ferrée, plutôt que de procéder à des réparations partielles qui auraient conduit à son remplacement ultérieur. L’abus qui lui est reproché résiderait donc dans le seul moment de cette suppression, à partir du 3 octobre 2008. Or, dès lors que le moment de ladite suppression n’aurait pas d’impact sur son coût, la décision de procéder à une suppression
immédiate aurait été une décision de gestion rationnelle. De surcroît, le Tribunal aurait constaté, aux points 197, 204 et 209 de cet arrêt, que LG ne poursuivait aucune intention anticoncurrentielle. Partant, la suppression de la voie ferrée, qui aurait été, en tout état de cause, nécessaire ultérieurement sans coût supplémentaire, serait une décision de gestion rationnelle qui ne saurait être qualifiée de pratique abusive.

( 44 ) LG fait valoir que le fait d’enlever la voie ferrée « sans avoir obtenu les fonds nécessaires au préalable » ne constitue pas non plus une pratique abusive, dans la mesure où elle s’attendait à recevoir les fonds pour la reconstruction de la voie ferrée au moment de la réalisation de la majeure partie des travaux. Se référant aux points 152, 153, 160, 171, 174 à 176 et 196 dudit arrêt, LG soutient qu’elle avait bien sollicité un financement le 2 octobre 2008, avant d’entamer les travaux de
suppression de la voie ferrée, que des fonds européens étaient disponibles à ce moment-là et par la suite, et qu’elle n’a pas agi dans une intention anticoncurrentielle. Elle souligne que les circonstances relevées par le Tribunal pour constater l’abus sont essentiellement apparues après le 3 octobre 2008. Dans ce contexte, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en lui imposant, aux points 164, 165, 170 et 178 du même arrêt, d’établir ou de justifier le moment de la suppression de la voie
ferrée, alors qu’il reviendrait à la Commission d’établir l’abus. Par ailleurs, aux points 152 et 170 de l’arrêt, le Tribunal aurait omis de procéder à une analyse concrète de l’argument de LG relatif à l’entreposage des parties réutilisables de la voie ferrée et à leur réutilisation pour d’autres voies avant l’arrivée de l’hiver. En tout état de cause, il ne serait pas nécessaire, pour pouvoir entamer les étapes préparatoires d’un projet, d’avoir préalablement « obtenu » les fonds nécessaires pour
l’ensemble du projet.

( 45 ) Voir, en ce sens, arrêt du 21 septembre 2000, EFMA/Conseil (C‑46/98 P, EU:C:2000:474, point 38).

( 46 ) Voir, en ce sens, également, points 83, 193, 196 et 224 de l’arrêt attaqué.

( 47 ) Voir, en ce sens, arrêt du 12 mai 2022, Servizio Elettrico Nazionale e.a. (C‑377/20, EU:C:2022:379, point 72 ainsi que jurisprudence citée).

( 48 ) Plus précisément, i) le point 168 porte sur l’hypothèse avancée par LG selon laquelle l’option 2 était la seule option pertinente et économiquement raisonnable ; ii) le point 170 porte sur la prétendue nécessité de récupérer les matériaux appropriés de la voie ferrée afin d’éviter qu’ils soient endommagés pendant l’hiver ; iii) le point 204 porte sur la prétendue influence de la décision arbitraire du 17 décembre 2010 dans la décision de ne pas reconstruire la voie ferrée, et iv) le point 231
porte sur l’argument de LG selon lequel l’option 1 était moins efficace que l’option 2.

( 49 ) Arrêt du 25 mars 2021, Deutsche Telekom/Commission (C‑152/19 P, EU:C:2021:238, point 68 et jurisprudence citée).

( 50 ) Sur la difficulté de « tracer la distinction entre les questions de fait et les questions de droit », notamment dans les affaires de concurrence, voir conclusions de l’avocat général Jacobs dans l’affaire Hilti/Commission (C‑53/92 P, non publiées, EU:C:1993:875, points 46 et 47).

( 51 ) Mise en italique par mes soins.

( 52 ) Je note que LG, dans son pourvoi, reconnaît que « le Tribunal se contente de ne pas trancher cette question et n’établit aucun fait contraire ».

( 53 ) Plus précisément, le Tribunal a jugé que LG « n’a pas établi que, après l’apparition de la déformation et l’évaluation détaillée de l’état de la totalité de la voie ferrée, celle-ci se trouvait dans un état tel que cela justifiait sa suppression intégrale immédiate » (point 164), et que LG « n’étaye pas à suffisance l’allégation selon laquelle les défauts […] avaient été constatés à de nombreux autres endroits sur l’ensemble de la voie ferrée » (point 165). Mise en italique par mes soins.

( 54 ) Vu leur caractère technique, et aux fins d’une meilleure compréhension, pour le troisième moyen, chacune des quatre branches sera évaluée individuellement dans le cadre de mon analyse.

( 55 ) Voir résumé de l’argument de LG au point 216 de l’arrêt attaqué.

( 56 ) Voir points 98 à 101 des présentes conclusions. Voir, également, arrêt du 28 janvier 2021, Qualcomm et Qualcomm Europe/Commission (C‑466/19 P, EU:C:2021:76, points 42 et 43 ainsi que jurisprudence citée).

( 57 ) Lettre envoyée le 18 septembre 2008 par la direction des infrastructures ferroviaires de LG au conseil de planification stratégique de celle-ci et rédigée sur la base du rapport d’inspection de la commission extraordinaire du 12 septembre 2008.

( 58 ) Mise en italique par mes soins.

( 59 ) Ainsi qu’il a été rappelé au point 89 des présentes conclusions, le caractère opérant d’un moyen renvoie à son aptitude, dans l’hypothèse où il serait fondé, à entraîner la conclusion que poursuit la partie requérante par ce moyen.

( 60 ) Voir, notamment, points 204 et 209 de celui-ci.

( 61 ) Voir point 185 de l’arrêt attaqué.

( 62 ) Mise en italique par mes soins.

( 63 ) Mise en italique par mes soins.

( 64 ) Arrêt du 6 décembre 2012, AstraZeneca/Commission (C‑457/10 P, EU:C:2012:770).

( 65 ) Mise en italique par mes soins.

( 66 ) Voir, en ce même sens, arrêts du 19 avril 2012, Tomra Systems e.a./Commission (C‑549/10 P, EU:C:2012:221, points 20 et 21), et du 30 janvier 2020, Generics (UK) e.a. (C‑307/18, EU:C:2020:52, point 162).

( 67 ) S’agissant de la « nature de l’infraction », visée au point 366 de l’arrêt attaqué, le Tribunal a considéré « le fait que le comportement consistant à supprimer une voie ferrée publique située entre deux États membres portait préjudice à la consolidation du marché unique, notamment au marché ferroviaire unique européen ».

( 68 ) Mise en italique par mes soins.

( 69 ) Voir, à cet égard, arrêt du 16 décembre 2015, Cargolux Airlines/Commission (T‑39/11, non publié, EU:T:2015:991, point 31).

( 70 ) Voir, en ce sens, arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission (C‑603/13 P, EU:C:2016:38, points 75 à 77).

( 71 ) Voir, également, points 204 et 209 de l’arrêt attaqué.

( 72 ) Arrêt du 16 juillet 2020, Nexans France et Nexans/Commission (C‑606/18 P, EU:C:2020:571, points 96 et 97 ainsi que jurisprudence citée).

( 73 ) Arrêt du 21 janvier 2016, Galp Energía España e.a./Commission (C‑603/13 P, EU:C:2016:38, point 90).

( 74 ) Voir points 395 et 397 de l’arrêt attaqué.

( 75 ) Arrêt du 25 mars 2021, Lundbeck/Commission (C‑591/16 P, EU:C:2021:243, points 197 et 198 et jurisprudence citée).

( 76 ) Arrêt du 18 mars 2021, Pometon/Commission (C‑440/19 P, EU:C:2021:214, point 138).

( 77 ) Voir, en ce sens, arrêt du 16 juillet 2020, Nexans France et Nexans/Commission (C‑606/18 P, EU:C:2020:571, point 95 ainsi que jurisprudence citée).

( 78 ) Voir, à cet égard, point 273 des conclusions de l’avocate générale Kokott dans les affaires jointes Fresh Del Monte Produce/Commission et Commission/Fresh Del Monte Produce (C‑293/13 P et C‑294/13 P, EU:C:2014:2439).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-42/21
Date de la décision : 07/07/2022
Type d'affaire : Pourvoi - non fondé
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Pourvoi – Concurrence – Abus de position dominante – Marché du fret ferroviaire – Décision constatant une infraction à l’article 102 TFUE – Accès par des entreprises tierces aux infrastructures gérées par la société nationale des chemins de fer de Lituanie – Démantèlement d’un tronçon de voie ferrée – Notion d’“abus” – Éviction effective ou probable d’un concurrent – Exercice par le Tribunal de sa compétence de pleine juridiction – Réduction de l’amende.

Concurrence

Position dominante


Parties
Demandeurs : Lietuvos geležinkeliai AB
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Rantos

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:537

Source

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