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22/06/2022 | CJUE | N°C-259/21

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. N. Emiliou, présentées le 22 juin 2022., Parlement européen contre Conseil de l'Union européenne., 22/06/2022, C-259/21


 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NICHOLAS EMILIOU

présentées le 22 juin 2022 ( 1 )

Affaire C‑259/21

Parlement européen

contre

Conseil de l’Union européenne

« Politique commune de la pêche – Recours en annulation – Articles 15 à 17, article 20 et article 59, deuxième alinéa, du règlement (UE) 2021/92 – Portée de l’article 43, paragraphe 3, TFUE – Pouvoirs du Conseil – Prétendu détournement de pouvoirs par le Conseil – Procédure d’adoption de mesures techniques prévue

à l’article 10, paragraphe 4, et à l’article 15 du règlement (UE) 2019/1241 et à l’article 9 du règlement (UE) 2019/472 – Pouvoirs de la Commissi...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NICHOLAS EMILIOU

présentées le 22 juin 2022 ( 1 )

Affaire C‑259/21

Parlement européen

contre

Conseil de l’Union européenne

« Politique commune de la pêche – Recours en annulation – Articles 15 à 17, article 20 et article 59, deuxième alinéa, du règlement (UE) 2021/92 – Portée de l’article 43, paragraphe 3, TFUE – Pouvoirs du Conseil – Prétendu détournement de pouvoirs par le Conseil – Procédure d’adoption de mesures techniques prévue à l’article 10, paragraphe 4, et à l’article 15 du règlement (UE) 2019/1241 et à l’article 9 du règlement (UE) 2019/472 – Pouvoirs de la Commission de déterminer ces mesures techniques par
des actes délégués – Principe de coopération loyale »

I. Introduction

1. Au sens large, la présente affaire concerne un désaccord entre les institutions de l’Union quant au rôle que le Conseil de l’Union européenne doit jouer dans l’adoption de certaines mesures techniques dans le domaine de la pêche.

2. Avant l’entrée en vigueur du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, le Conseil jouait le rôle principal pour décider tous les aspects de la politique commune de la pêche (ci-après la « PCP »). Or, tel n’est plus le cas. En vertu de l’article 43, paragraphe 2, TFUE, la PCP relève de la procédure législative ordinaire et le Conseil ne conserve de pouvoirs décisionnels unilatéraux que dans les limites énoncées à l’article 43, paragraphe 3, TFUE. Cette disposition lui permet d’adopter
les mesures relatives, notamment, « à la fixation et à la répartition des possibilités de pêche ».

3. Par le présent recours, le Parlement européen demande l’annulation de certaines mesures techniques du règlement (UE) 2021/92 ( 2 ) (ci-après le « règlement litigieux »), que le Conseil a adopté en application de cette dernière disposition. Ces mesures figurent aux articles 15, 16, 17 et 20 et à l’article 59, second alinéa, de ce règlement (ci-après les « dispositions attaquées »).

4. Le Parlement soutient, en substance, que le Conseil a excédé les limites de ses pouvoirs en adoptant les dispositions attaquées. Il considère que celles-ci sont en contradiction avec deux règlements, à savoir le règlement (UE) 2019/472 ( 3 ) et le règlement (UE) 2019/1241 ( 4 ) (ci-après, pris ensemble, les « règlements de base »), qui ont été adoptés par le Conseil et le Parlement en vertu de l’article 43, paragraphe 2, TFUE. Selon le Parlement, ces deux règlements ont limité les pouvoirs de
décision du Conseil au titre de l’article 43, paragraphe 3, TFUE en ce qu’ils ont spécifiquement habilité la Commission à déterminer, par des actes délégués adoptés en vertu de l’article 290, paragraphe 1, TFUE ( 5 ), les mesures techniques correspondant aux mesures établies par les dispositions attaquées.

II. Le cadre juridique

A. Les dispositions pertinentes du traité FUE

5. L’article 43, paragraphes 2 et 3, TFUE est rédigé comme suit :

« 2.   Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire et après consultation du Comité économique et social, établissent l’organisation commune des marchés agricoles prévue à l’article 40, paragraphe 1, ainsi que les autres dispositions nécessaires à la poursuite des objectifs de la politique commune de l’agriculture et de la pêche.

3.   Le Conseil, sur proposition de la Commission, adopte les mesures relatives à la fixation des prix, des prélèvements, des aides et des limitations quantitatives, ainsi qu’à la fixation et à la répartition des possibilités de pêche. »

B. Les règlements de base

1.   Le règlement 2019/472

6. L’article 9, paragraphe 1, du règlement 2019/472 dispose ce qui suit :

« La Commission est habilitée à adopter des actes délégués conformément à l’article 18 du présent règlement et à l’article 18 du règlement (UE) no 1380/2013 [ ( 6 )] afin de compléter le présent règlement en ce qui concerne les mesures techniques suivantes :

a) les spécifications concernant les caractéristiques des engins de pêche et les règles régissant leur utilisation afin d’assurer ou d’améliorer la sélectivité, de réduire les captures indésirées ou de réduire au minimum les incidences négatives sur l’écosystème ;

b) les spécifications concernant les modifications ou des dispositifs additionnels pour les engins de pêche afin d’assurer ou d’améliorer la sélectivité, de réduire les captures indésirées ou de réduire au minimum les incidences négatives sur l’écosystème ;

c) les limitations ou les interdictions applicables à l’utilisation de certains engins de pêche et aux activités de pêche dans certaines zones ou durant certaines périodes afin de protéger les reproducteurs, les poissons dont la taille est inférieure à la taille minimale de référence de conservation ou les espèces de poissons non ciblées, ou de réduire au minimum les incidences négatives sur l’écosystème ; et

d) la fixation de tailles minimales de référence de conservation pour tout stock auquel le présent règlement s’applique afin de veiller à la protection des juvéniles d’organismes marins. »

2.   Le règlement 2019/1241

7. L’article 10, paragraphe 4, du règlement 2019/1241 dispose :

« La Commission est habilitée à adopter des actes délégués conformément à l’article 29 afin de modifier la liste énoncée à l’annexe I, lorsque les meilleurs avis scientifiques disponibles indiquent qu’il est nécessaire de modifier cette liste. »

8. Aux termes de l’article 15, paragraphe 2, de ce règlement :

« Afin que les spécificités régionales des pêcheries concernées soient prises en compte, la Commission est habilitée à adopter des actes délégués conformément à l’article 29 du présent règlement et à l’article 18 du [règlement no 1380/2013] en vue de modifier, de compléter ou d’abroger les mesures techniques figurant dans les annexes [V à XI et XIII], ou d’y déroger, y compris dans le cadre de la mise en œuvre de l’obligation de débarquement visée à l’article 15, paragraphes 5 et 6, du [règlement
no 1380/2013]. La Commission adopte de tels actes délégués sur la base d’une recommandation commune présentée conformément à l’article 18 du [règlement no 1380/2013] et aux articles pertinents du présent chapitre. »

9. L’article 29, paragraphe 6, dudit règlement dispose :

« Un acte délégué adopté en vertu de l’article 2, paragraphe 2, de l’article 8, paragraphe 3, de l’article 10, paragraphe 4, de l’article 12, paragraphe 2, de l’article 15, paragraphe 2, de l’article 23, paragraphes 1 et 5, de l’article 27, paragraphe 7, et de l’article 31, paragraphe 4, n’entre en vigueur que si le Parlement européen ou le Conseil n’a pas exprimé d’objections dans un délai de deux mois à compter de la notification de cet acte au Parlement européen et au Conseil ou si, avant
l’expiration de ce délai, le Parlement européen et le Conseil ont tous deux informé la Commission de leur intention de ne pas exprimer d’objection. Ce délai est prolongé de deux mois à l’initiative du Parlement européen ou du Conseil. »

10. L’annexe VI du règlement 2019/1241 contient les mesures techniques applicables aux eaux occidentales septentrionales ( 7 ).

C. Le règlement litigieux

11. L’article 15 du règlement litigieux, intitulé « Mesures techniques applicables au cabillaud et au merlan de la mer Celtique », prévoit un certain nombre de mesures relatives, notamment, au maillage. Ces mesures s’appliquent aux navires de l’Union opérant avec des chaluts de fond ou des sennes dans la mer Celtique.

12. L’article 16 de ce règlement, intitulé « Mesures techniques applicables en mer d’Irlande », prévoit des obligations en ce qui concerne les engins de pêche de l’Union opérant avec des chaluts de fond ou des sennes dans la mer d’Irlande.

13. L’article 17 dudit règlement, intitulé « Mesures techniques applicables à l’ouest de l’Écosse », prévoit également des mesures concernant, notamment, le maillage. Elles s’appliquent aux navires de pêche de l’Union opérant avec des chaluts de fond ou des sennes situées en Norvège dans les pêcheries de langoustine (Nephrops norvegicus) à l’ouest de l’Écosse.

14. En vertu de l’article 20 du règlement litigieux, intitulé « Espèces dont la pêche est interdite », il est interdit aux navires de pêche de l’Union de pêcher, de détenir à bord, de transborder ou de débarquer certaines espèces dans certaines divisions CIEM ( 8 ) et sous-zones des eaux de l’Union de l’époque. Cette disposition indique également que, lorsque les espèces visées sont capturées accidentellement, elles ne doivent pas être blessées et les spécimens capturés doivent être rapidement remis
à la mer.

15. Aux termes de l’article 59 de ce règlement, intitulé « Dispositions transitoires » :

« Les articles 11, 19, 20, 27, 33, 34, 41, 42, 43, 48, 50 et 57 continuent de s’appliquer mutatis mutandis en 2022 jusqu’à l’entrée en vigueur du règlement fixant les possibilités de pêche pour 2022.

Les articles 15, 16 et 17 s’appliquent jusqu’à la date à laquelle un acte délégué adopté conformément à l’article 15, paragraphe 2, du règlement [2019/1241] et modifiant l’annexe VI dudit règlement par l’introduction de mesures techniques correspondantes pour les eaux occidentales septentrionales devient applicable. »

III. Les antécédents du litige

16. Le 27 octobre 2020, la Commission a proposé d’adopter un règlement établissant, pour 2021, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux de l’Union et, pour les navires de pêche de l’Union, dans certaines eaux n’appartenant pas à l’Union (ci‑après la « proposition de la Commission »).

17. Le 14 décembre 2020, la Commission a mis à jour cette proposition en adoptant des dispositions identiques aux dispositions attaquées. Ce projet de dispositions a d’abord été inscrit dans un document non officiel (ci-après le « document officieux ») et, ensuite, publié sur le site Internet de la Commission.

18. Le 28 janvier 2021, le Conseil a adopté le règlement litigieux sur la base de l’article 43, paragraphe 3, TFUE. Ce règlement a été publié au Journal officiel de l’Union européenne le 29 janvier 2021. Il est entré en vigueur le jour suivant sa publication.

19. Par requête déposée au greffe de la Cour le 23 avril 2021, le Parlement a introduit, en vertu de l’article 263, deuxième alinéa, TFUE, le présent recours tendant à l’annulation des dispositions attaquées.

IV. Faits postérieurs à l’introduction du recours

20. Le 23 août 2021, la Commission a adopté le règlement délégué (UE) 2021/2324 de la Commission modifiant le [règlement 2019/1241] en ce qui concerne les mesures techniques applicables à certaines pêcheries démersales et pélagiques en mer Celtique, en mer d’Irlande et à l’ouest de l’Écosse ( 9 ). Ce règlement a été adopté sur la base de l’article 10, paragraphe 4, et de l’article 15, paragraphe 2, du règlement 2019/1241 (l’un des deux règlements de base).

21. Il ressort clairement du considérant 6 du règlement délégué 2021/2324 que cet instrument est destiné à « intégrer dans un acte unique » les mesures techniques correspondant aux mesures établies aux articles 15 à 17 du règlement litigieux ainsi que certaines autres mesures.

22. En outre, le Conseil a adopté, le 27 janvier 2022, un nouveau règlement établissant les possibilités de pêche pour l’année 2022 (ci-après le « règlement établissant les possibilités de pêche pour 2022 ») ( 10 ). Ce règlement est entré en vigueur le 31 janvier 2022, le jour de sa publication au Journal officiel ( 11 ).

V. Procédure devant la Cour et conclusions des parties

23. Le Parlement demande à la Cour :

– d’annuler les dispositions attaquées, et

– de condamner le Conseil aux dépens.

24. Le Conseil demande à la Cour :

– de rejeter le recours comme non fondé et de maintenir les effets des dispositions attaquées jusqu’à l’adoption de nouvelles dispositions remplaçant ces dispositions, et

– de condamner le Parlement aux dépens.

25. Par décision du président de la Cour du 19 août 2021, la Commission a été admise à intervenir au soutien des conclusions du Conseil.

VI. Le recours

26. Dans le domaine de la pêche, par « mesures techniques », on entend « des mesures visant à réglementer la composition des captures par espèce et par taille, ainsi qu’à réguler les incidences des activités de pêche sur les composantes des écosystèmes, en instaurant des conditions pour l’utilisation et la structure des engins de pêche et des restrictions d’accès aux zones de pêche » ( 12 ). Selon les termes du Parlement et du Conseil, les mesures techniques sont des « instruments » destinés à
faciliter la mise en œuvre de la PCP ( 13 ). Sans ces mesures, les objectifs de conservation des ressources de la pêche et de maintien d’une stabilité relative des activités de pêche, qui sous-tendent l’ensemble de la réglementation de l’Union dans ce domaine ( 14 ), ne sauraient être atteints.

27. Ces mesures peuvent, en théorie, être adoptées i) par le Conseil et le Parlement, agissant conjointement, sur la base de l’article 43, paragraphe 2, TFUE ; ii) par la Commission en vertu de l’article 290, paragraphe 1, TFUE, pour autant qu’un acte législatif adopté sur la base de l’article 43, paragraphe 2, TFUE lui délègue cette compétence ; ou iii) par le Conseil agissant seul en vertu de l’article 43, paragraphe 3, TFUE ( 15 ). La présente affaire concerne l’articulation et les limites de ces
pouvoirs décisionnels respectifs.

28. Comme je l’ai expliqué au point 2 des présentes conclusions, l’article 43, paragraphe 3, TFUE habilite le Conseil à adopter des mesures relatives « à la fixation et à la répartition des possibilités de pêche ». Le règlement litigieux a été adopté sur la base de cette disposition ( 16 ). Il vise à établir et à répartir entre les États membres les totaux admissibles des captures (TAC) et des quotas pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, pour l’année 2021.

29. Outre les règles fixant des TAC et des quotas, ce règlement prévoit, en ses articles 15 à 17, plusieurs mesures techniques applicables à certains navires de l’Union (ceux opérant avec des chaluts de fond ou des sennes) dans certaines parties des eaux de l’Union de l’époque (la mer Celtique, la mer d’Irlande et l’Ouest de l’Écosse). En substance, ces dispositions visent à réduire les prises accessoires de certaines espèces en imposant des obligations techniques concernant les engins de pêche (en
particulier les maillages) ( 17 ). En outre, l’article 20 du règlement litigieux fournit une liste d’espèces dont la pêche est expressément interdite. Le Parlement demande à la Cour d’annuler ces quatre dispositions ainsi que l’article 59, second alinéa, du règlement litigieux, qui limite le champ d’application temporel des articles 15, 16 et 17 de celui-ci.

30. Le Parlement fait valoir que le pouvoir du Conseil d’adopter ces mesures techniques en vertu de l’article 43, paragraphe 3, TFUE a été expressément limité par trois dispositions des règlements de base, à savoir l’article 10, paragraphe 4, et l’article 15, paragraphe 2, du règlement 2019/1241 ainsi que l’article 9 du règlement 2019/472. Ces dispositions habilitent la Commission à adopter ces mesures techniques par des actes délégués ( 18 ). Le Parlement estime que, en conséquence, le Conseil ne
pouvait pas se fonder sur l’article 43, paragraphe 3, TFUE pour adopter les dispositions attaquées, étant donné que ces mesures ne pouvaient être valablement adoptées que par la Commission dans des actes délégués ( 19 ).

31. Plus précisément, selon le Parlement, en adoptant les dispositions attaquées de manière unilatérale, le Conseil a suivi une procédure décisionnelle qui contrevenait aux prérogatives institutionnelles du Parlement et méconnaissait son droit d’objecter ou de s’opposer aux mesures techniques qu’il contient.

32. À cet égard, je rappelle que tant le Parlement que le Conseil conservent, en vertu de l’article 29, paragraphe 3, du règlement 2019/1241, le pouvoir de révoquer à tout moment les délégations de pouvoirs visées à l’article 10, paragraphe 4, et à l’article 15, paragraphe 2, de ce règlement. Ils ont également la faculté d’exprimer une objection aux actes délégués adoptés en vertu de ces dispositions dans un délai de deux mois à compter de leur notification ( 20 ). Il en va de même des actes
délégués adoptés par la Commission en vertu de l’article 9 du règlement 2019/472 ( 21 ).

33. Au contraire, si un acte est adopté par le Conseil sur la base de l’article 43, paragraphe 3, TFUE (comme l’a été le règlement litigieux), le Parlement ne peut pas formuler d’objection à son contenu. L’adoption d’un tel acte incombe au Conseil uniquement.

34. Par conséquent, la présente affaire concerne en substance, avant tout, la ligne de démarcation entre les rôles respectifs du Parlement, du Conseil et de la Commission dans l’adoption des mesures techniques contenues dans les dispositions attaquées. Si la Cour devait annuler ces dispositions (comme le demande le Parlement), cela confirmerait le droit du Parlement de contrôler l’adoption des mesures techniques qu’elles contiennent, soit en y opposant une objection, soit en révoquant le pouvoir de
la Commission d’adopter de tels actes délégués à l’avenir. Inversement, rejeter le recours aurait pour effet de permettre au Conseil de statuer valablement sur de tels aspects de manière unilatérale, sur la base de l’article 43, paragraphe 3, TFUE.

35. Les parties s’opposent sur la question de savoir si le recours est devenu sans objet à la suite de l’adoption du règlement délégué 2021/2324 par la Commission, le 23 août 2021 ( 22 ). J’examinerai cette question d’abord, conjointement avec l’incidence du règlement établissant les possibilités de pêche pour 2022 sur le présent recours (section A). J’examinerai ensuite les deux moyens invoqués par le Parlement dans son recours et exposerai les raisons pour lesquelles je pense que ces moyens ne
sont pas fondés (section B).

A. L’incidence du règlement délégué 2021/2324 et du règlement établissant les possibilités de pêche pour 2022 sur la nécessité de statuer

1.   Le règlement délégué 2021/2324

36. Il me paraît clair que, depuis l’entrée en vigueur du règlement délégué 2021/2324, les articles 15 à 17 du règlement litigieux ne s’appliquent plus. Comme je l’ai déjà indiqué au point 21 des présentes conclusions, ce règlement délégué est destiné à « intégrer dans un acte unique » les mesures techniques correspondant aux mesures établies aux articles 15 à 17 du règlement litigieux ainsi que certaines autres mesures. De plus, l’article 59, second alinéa, de ce dernier règlement énonce dans des
termes non équivoques que ces dispositions sont destinées à s’appliquer seulement « jusqu’à la date à laquelle un acte délégué adopté conformément à l’article 15, paragraphe 2, du règlement [2019/1241] [...] devient applicable ».

37. Le règlement délégué 2021/2324 a été adopté précisément en application de cette disposition, le 23 août 2021, et il est entré en vigueur le 30 décembre 2021 ( 23 ). Aucune des parties à la présente affaire ne conteste que les mesures qu’il contient correspondent à celles qui sont prévues aux articles 15 à 17 du règlement litigieux et qu’elles ont donc effectivement « remplacé » ces dispositions. Il est également constant entre les parties que l’article 20 du règlement litigieux n’est pas affecté
par l’adoption du règlement délégué 2021/2324, étant donné que cette disposition n’est mentionnée ni à l’article 59, second alinéa, du règlement litigieux ni dans ce règlement délégué.

38. Compte tenu de ce nouvel élément, les parties s’opposent sur la question de savoir si le présent recours est devenu sans objet dans la mesure où le Parlement demande l’annulation des articles 15 à 17 et de l’article 59, second alinéa, du règlement litigieux ( 24 ).

39. D’une part, le Parlement considère que, nonobstant l’adoption du règlement délégué 2021/2324 par la Commission, la Cour doit toujours se prononcer sur la validité de ces dispositions. En substance, il soutient que, bien que certaines dispositions de ce règlement délégué reflètent désormais le contenu des articles 15 à 17 du règlement litigieux, il n’en demeure pas moins ces dispositions existent toujours dans le paysage législatif et qu’elles devraient être abrogées dans l’intérêt de la sécurité
juridique. Dès lors, il soutient que son recours n’est pas devenu sans objet.

40. D’autre part, le Conseil fait valoir que, à la suite de l’adoption du règlement délégué 2021/2324, il n’y a plus lieu de statuer sur cette question. Il estime qu’il ressort de l’article 59, second alinéa, du règlement litigieux que les articles 15 à 17 de ce règlement n’étaient censés s’appliquer que jusqu’à ce que la Commission adopte un acte délégué sur les questions couvertes par ces dispositions. Par ailleurs, le Conseil fait valoir qu’il n’a jamais eu l’intention que ces dispositions
produisent un effet après 2021.

41. À première vue, je dois admettre que j’éprouve une certaine sympathie pour le raisonnement du Conseil. Si les articles 15 à 17 du règlement litigieux ne sont plus en vigueur, il n’est certes pas évident que le Parlement puisse encore « gagner » quoi que ce soit de l’annulation de ces dispositions par la Cour. À cet égard, je relève que le Conseil et le Parlement s’accordent d’ailleurs à demander que la Cour maintienne les effets passés des quatre dispositions attaquées. Ainsi, par son recours,
le Parlement ne cherche même pas à modifier l’« état de fait » résultant de l’adoption par le Conseil des dispositions attaquées.

42. Cela étant précisé, je dirais que, en l’espèce, il existe au moins trois raisons précises de conclure que le présent recours n’est pas devenu sans objet à la suite de l’adoption du règlement délégué 2021/2324.

43. Premièrement, le Parlement a introduit le présent recours contre le Conseil sur la base de l’article 263, second alinéa, TFUE. À cet égard, je rappelle que le Parlement n’est pas tenu de démontrer un intérêt ( 25 ) à agir aux fins d’obtenir l’annulation de décisions ou d’actes émanant, notamment, du Conseil ( 26 ). Cette disposition ouvre au Parlement le droit de contester, par un recours en annulation, la légalité d’un règlement du Conseil, sans que l’exercice de ce droit soit conditionné par
la justification d’un intérêt pour agir ( 27 ).

44. Deuxièmement, la Cour a déjà conclu à la recevabilité d’un recours en annulation alors même que la mesure litigieuse avait déjà été exécutée ou n’était plus en vigueur au moment de l’introduction du recours ( 28 ). Selon moi, il peut en aller a fortiori de même pour un recours en annulation portant sur une mesure qui (comme les articles 15 à 17 du règlement litigieux) était encore en vigueur au moment de l’introduction du recours, mais a expiré pendant la procédure devant la Cour. De telles
circonstances n’ont pas nécessairement pour conséquence que le recours perd son objet dès le moment où les dispositions ou l’acte litigieux viennent à expiration.

45. En effet, ce qui importe, selon moi, est de savoir si l’annulation de l’acte est susceptible, en soi, d’avoir des conséquences juridiques.

46. À cet égard, je voudrais souligner que, comme je l’ai déjà relevé au point 31 des présentes conclusions, le Parlement soutient que l’adoption unilatérale par le Conseil des dispositions attaquées l’a privé du droit d’examiner et, le cas échéant, de s’opposer aux mesures techniques que ces dispositions contiennent. Il fait valoir que, si de telles mesures avaient été intégrées dans un ou plusieurs actes délégués adoptés par la Commission en application de l’article 10, paragraphe 4, et de
l’article 15, paragraphe 2, du règlement 2019/1241 ainsi que de l’article 9 du règlement 2019/472, plutôt que par le Conseil sur la base de l’article 43, paragraphe 3, TFUE, il aurait pu influer sur leur contenu.

47. Il me semble que, par son recours, le Parlement entend s’assurer que le Conseil s’abstienne, à l’avenir, d’utiliser les pouvoirs décisionnels qu’il tire de l’article 43, paragraphe 3, TFUE lorsque l’exercice de tels pouvoirs empiète sur certains pouvoirs délégués et procédures réservés à la Commission dans des actes de droit dérivé (en l’espèce, l’article 10, paragraphe 4, et l’article 15, paragraphe 2, du règlement 2019/1241 ainsi que l’article 9 du règlement 2019/472). En substance, l’objectif
que poursuit le Parlement en introduisant le présent recours est d’obtenir de la Cour un arrêt empêchant le Conseil d’adopter à l’avenir, sur la base de l’article 43, paragraphe 3, TFUE, des mesures techniques analogues à celles prévues par les dispositions attaquées.

48. Il s’ensuit que, bien que les dispositions attaquées ne soient plus en vigueur et ne produisent plus d’effets juridiques, leur annulation est susceptible, en soi, d’avoir des conséquences juridiques, notamment en empêchant le Conseil de réitérer la pratique législative mise en cause ( 29 ). Pour cette raison, j’estime que le présent recours n’est pas devenu sans objet à la suite de l’adoption du règlement délégué 2021/2324.

49. Ma position sur ce point est confortée par la jurisprudence de la Cour sur les recours en manquement. De manière générale, les recours en manquement deviennent sans objet lorsque le manquement reproché a cessé de produire tout effet avant l’expiration du délai fixé par la Commission dans son avis motivé. Toutefois, dans des cas particuliers, la Cour a jugé que la Commission pouvait encore être recevable à agir devant elle alors que le manquement lui-même avait pris fin. Il s’agit en général de
cas dans lesquels il existe un risque imminent de récidive ( 30 ) ou dans lesquels le manquement a un caractère saisonnier ( 31 ), de sorte qu’il échapperait autrement à tout contrôle juridictionnel.

50. Selon moi, un parallèle peut être établi entre ce courant de jurisprudence et la présente affaire, étant donné que, ici aussi, l’objectif que poursuit le Parlement en introduisant son recours est d’éviter la réitération de l’acte du Conseil à l’avenir. En outre, le règlement litigieux est destiné à couvrir une période très précise – en l’espèce très courte (l’année 2021) –, ce qui rend difficile pour le Parlement non seulement d’ouvrir une procédure en temps utile, mais aussi de clôturer une
telle procédure avant que le règlement litigieux cesse de s’appliquer.

51. Troisièmement, et d’un point de vue pratique, je dois avouer que je trouverais plutôt surprenant qu’un acte tel que le règlement litigieux, qui est conçu pour rester en vigueur pendant une année seulement (ou encore moins), ne soit attaquable que pendant cette période précise et qu’il ne le soit plus une fois celle‑ci venue à expiration. À mon avis, il serait irréaliste et préjudiciable pour les requérants que la Cour exige invariablement, i) que leur recours intervienne dans un délai maximal
d’un an (ou, le cas échéant, un délai encore plus bref) après l’adoption de l’acte et, ii) que la procédure devant la Cour soit également menée et clôturée pour cette date.

52. Il est vrai que, en pareil cas, la Cour a la faculté d’appliquer une « procédure accélérée » (en application de l’article 133, paragraphes 1 et 3, de son règlement de procédure). Cependant, il n’existe absolument aucune garantie à cet égard ( 32 ). Cette simple possibilité ne suffit donc pas, selon moi, à garantir un accès suffisant au juge de l’Union ( 33 ).

53. Je pense que l’approche pragmatique que je suggère à la Cour de suivre est d’autant plus nécessaire lorsque, comme en l’espèce, le litige dont la Cour est saisie revêt une importance constitutionnelle et concerne le partage des compétences législatives entre différentes institutions de l’Union. Dans ce contexte, je ne vois pas pourquoi un recours fondé sur un défaut de base juridique ou sur l’adoption irrégulière d’un acte, comme c’est le cas en l’espèce, devrait systématiquement échapper au
contrôle de la Cour, au seul motif que ses effets juridiques seraient de courte durée. Si tel devait être le cas, alors il deviendrait impossible pour la Cour d’exercer son contrôle juridictionnel à l’égard de tels actes et, le cas échéant, d’empêcher l’adoption d’actes similaires à l’avenir.

54. Pour ces raisons, j’estime qu’une décision de la Cour sur le présent recours reste nécessaire malgré l’adoption du règlement délégué 2021/2324.

2.   Le règlement établissant les possibilités de pêche pour l’année 2022

55. L’adoption du règlement délégué 2021/2324 n’a pas été la seule évolution législative postérieure à l’introduction du présent recours par le Parlement. Ainsi que je l’ai déjà relevé au point 22 des présentes conclusions, le Conseil a adopté, le 27 janvier 2022, le règlement établissant les possibilités de pêche pour 2022, qui a effectivement remplacé le règlement litigieux. Ce règlement est entré en vigueur le 31 janvier 2022. En vertu de l’article 59, premier alinéa, du règlement litigieux ( 34
), l’article 20 de ce règlement a cessé de s’appliquer à cette même date. En conséquence, alors que l’entrée en vigueur du règlement délégué 2021/2324 a mis fin à l’application des articles 15 à 17 du règlement litigieux, c’est le règlement établissant les possibilités de pêche pour l’année 2022 qui a rendu cette disposition inapplicable.

56. En réponse à une question de la Cour, adoptée sur le fondement de l’article 62 du règlement de procédure, le Parlement et la Commission ont expliqué que l’adoption du règlement établissant les possibilités de pêche pour 2022 est sans incidence sur le présent recours. Le Parlement observe que l’article 18 de ce règlement reproduit la liste d’espèces interdites figurant à l’article 20 du règlement litigieux (de sorte que cette disposition continue d’avoir des effets juridiques). En outre, le
Parlement soutient que, nonobstant l’adoption du règlement établissant les possibilités de pêche pour 2022, l’illégalité prétendue (l’adoption par le Conseil de mesures techniques correspondant à celles qui figurent dans les dispositions attaquées) risque de se reproduire à l’avenir.

57. Le Conseil conteste ces arguments. Il considère que, à la suite de l’adoption du règlement établissant les possibilités de pêche pour 2022, le présent recours a perdu son objet en ce qui concerne l’article 20 du règlement litigieux. Selon lui, cela ressort du premier alinéa de l’article 59 du règlement litigieux.

58. Il me semble que les considérations que j’ai exposées, dans la section précédente des présentes conclusions, à propos des articles 15 à 17 et de l’article 59, deuxième alinéa, du règlement litigieux s’appliquent mutatis mutandis à l’article 20 de ce règlement, pour ce qui est des conséquences de l’adoption du règlement fixant les possibilités de pêche pour l’année 2022 sur cette disposition.

59. À la lumière des considérations qui précèdent, j’estime que, bien qu’aucune des dispositions attaquées ne soit plus en vigueur, il y a toujours lieu de statuer sur le présent recours.

B. Sur le fond

60. Le Parlement soulève deux moyens à l’appui de son recours en annulation. En premier lieu, il soutient que le Conseil a détourné la procédure prévue par les règlements de base. En second lieu, il soutient que le Conseil a violé le « principe de coopération loyale » au sens de l’article 13, paragraphe 2, TUE ( 35 ). J’examinerai successivement chacun de ces moyens.

1.   Sur le premier moyen, tiré d’un détournement de la procédure prévue par les règlements de base

a)   Principaux arguments des parties

1) Les principaux arguments du Parlement

61. En substance, le Parlement soutient que le pouvoir du Conseil d’adopter des mesures techniques en vertu de l’article 43, paragraphe 3, TFUE est limité dans la mesure où le Parlement et le Conseil sont convenus, dans un ou plusieurs actes législatifs adoptés en vertu de l’article 43, paragraphe 2, TFUE, que la Commission, plutôt que le Conseil, soit habilitée à adopter de telles mesures.

62. En l’espèce, le Parlement considère que, dès lors que l’article 10, paragraphe 4, et l’article 15 du règlement 2019/1241 ainsi que l’article 9 du règlement 2019/472 (qui ont tous été adoptés en vertu de l’article 43, paragraphe 2, TFUE) ont conféré expressément à la Commission le pouvoir d’adopter des règles techniques telles que celles qui sont prévues par les dispositions attaquées, le Conseil ne pouvait se fonder sur l’article 43, paragraphe 3, TFUE pour adopter ces dispositions de manière
unilatérale ( 36 ).

63. Le Parlement fait valoir que toutes les conditions imposées par la jurisprudence de la Cour pour établir l’existence d’un détournement de pouvoir sont remplies en l’espèce. Il souligne que le Conseil a expressément reconnu, au considérant 59 et à l’article 59, second alinéa, du règlement litigieux, que la Commission aurait dû se charger d’adopter les mesures techniques prévues aux articles 15 à 17 de ce règlement. Par ailleurs, il considère que le Conseil n’a nullement justifié que ce soit lui,
et non la Commission, qui adopte les dispositions attaquées, par exemple en expliquant pourquoi leur adoption par la Commission était impossible en l’espèce.

64. Le Parlement fait valoir en outre que, si l’adoption des mesures techniques contenues dans les dispositions attaquées avait été justifiée par des circonstances impératives, la base juridique appropriée pour leur adoption aurait alors été les articles 12 et 13 du règlement no 1380/2013. En vertu de ces dispositions, des mesures « d’urgence » (destinées à répondre à une menace grave pour la conservation des ressources biologiques de la mer ou pour l’écosystème marin) peuvent être adoptées soit par
la Commission ( 37 ), soit par les États membres ( 38 ), mais non par le Conseil. Le Parlement observe que, en l’absence d’une telle urgence, il ressort clairement de l’article 8, paragraphes 2 et 3, du règlement 2019/472 que des mesures correctives (mesures adoptées pour assurer le retour rapide du stock concerné ou de l’unité fonctionnelle concernée à des niveaux déterminés) ne peuvent être adoptées que par la Commission dans des actes délégués.

65. Enfin, le Parlement souligne que, tout comme le pouvoir du Conseil d’adopter des mesures techniques « relatives à la fixation et à la répartition des possibilités de pêche » résulte de l’article 43, paragraphe 3, TFUE, la Commission tire son pouvoir général d’adopter des actes délégués de l’article 290, paragraphe 1, TFUE et, partant, également du droit primaire.

2) Les principaux arguments du Conseil et de la Commission

66. Le Conseil conteste les arguments du Parlement. Il estime que le premier moyen n’est pas fondé en ce que le Parlement ferait une interprétation erronée de la notion de « détournement de procédure » et n’apprécierait pas correctement l’objectif et le contenu des dispositions attaquées.

67. Il soutient également que l’adoption des dispositions attaquées est pleinement conforme à l’article 43, paragraphe 3, TFUE, étant donné que leur objectif est lié à la « fixation [...] des possibilités de pêche ». En revanche, les mesures techniques mentionnées dans les règlements de base auraient une finalité différente et plus large que ces dispositions.

68. Le Conseil souligne que rien dans les règlements de base ne permet de considérer que les pouvoirs conférés à la Commission par l’article 10, paragraphe 4, et l’article 15 du règlement 2019/1241 ainsi que par l’article 9 du règlement 2019/472 étaient destinés à être exclusifs, en ce sens qu’ils devraient empêcher le Conseil d’adopter des mesures techniques sur des questions identiques.

69. Le Conseil souligne en outre que l’article 59, second alinéa, du règlement litigieux indique expressément que les articles 15 à 17 de ce règlement n’avaient pas vocation à s’appliquer après que la Commission aurait adopté un acte délégué couvrant les mêmes questions que ces dispositions. Cela montrerait clairement que le Conseil n’a pas entendu outrepasser ses compétences. De même, l’article 20 du règlement litigieux aurait pour objectif de préserver pleinement le pouvoir de la Commission
d’adopter des actes délégués en vertu de l’article 10, paragraphe 2, du règlement 2019/1241. À cet égard, il faudrait garder à l’esprit que les dispositions attaquées ont été adoptées peu de temps après le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne, dans un contexte où il subsistait beaucoup d’incertitudes quant à la « fixation des possibilités de pêche » pour 2021 et où il était clair que la Commission devait encore compléter sa propre proposition avant d’adopter tout acte délégué sur ces
questions.

70. La Commission approuve, d’une manière générale, les arguments du Conseil. Elle souligne que rien dans les règlements de base ne l’oblige à adopter des mesures techniques sur les questions couvertes par les dispositions attaquées.

71. La Commission explique également que, puisque les mesures correctives antérieures [celles contenues à l’article 13 du règlement (UE) 2020/123 ( 39 )] ne devaient rester en vigueur que jusqu’au 31 décembre 2020, il était nécessaire que le Conseil adopte de nouvelles mesures techniques au début de l’année 2021 ( 40 ). La Commission aurait pu adopter ces nouvelles mesures dans un acte délégué, si une recommandation commune des États membres avait été présentée en temps utile ( 41 ). Or, aucune
recommandation commune n’aurait été formellement soumise à la Commission (sous une forme finale) avant le 14 décembre 2020 ( 42 ). Le document officieux de la Commission, qui a conduit à l’adoption par le Conseil des dispositions attaquées, aurait servi à combler cette lacune.

b)   Analyse

72. Selon une jurisprudence constante, un acte n’est entaché de détournement de pouvoir que s’il apparaît, sur le fondement d’indices objectifs, pertinents et concordants, qu’il a été pris exclusivement, ou à tout le moins de manière déterminante, à des fins autres que celles pour lesquelles le pouvoir en cause a été conféré ou dans le but d’éluder une procédure spécialement prévue par les traités pour parer aux circonstances de l’espèce ( 43 ).

73. En l’espèce, le premier moyen du Parlement repose, en substance, sur la thèse selon laquelle le Conseil, en adoptant les dispositions attaquées, a contourné la procédure prévue pour l’adoption des mesures techniques dans les règlements de base, qui conféreraient à la seule Commission la compétence pour adopter de telles mesures.

74. Toutefois, j’estime que la thèse du Parlement doit être rejetée. Cette institution ne démontre pas que les dispositions attaquées ont été adoptées dans le but exclusif ou déterminant d’atteindre des fins autres que celles pour lesquelles les pouvoirs prévus à l’article 43, paragraphe 3, TFUE ont été conférés au Conseil, ou dans le but d’éluder une procédure spécialement prévue par le traité FUE pour parer aux circonstances de l’espèce.

75. À cet égard, je rappelle que la Cour a déjà eu l’occasion de préciser les champs d’application respectifs de l’article 43, paragraphe 3, TFUE, qui prévoit que le Conseil est habilité à adopter des mesures concernant, notamment, la « fixation [...] des possibilités de pêche », et de l’article 43, paragraphe 2, TFUE. La Cour a jugé que les décisions autonomes adoptées sur le fondement des intérêts politiques de l’Union relèvent de la compétence du législateur de l’Union (c’est‑à‑dire relèvent du
champ d’application de l’article 43, paragraphe 2, TFUE). En revanche, l’article 43, paragraphe 3, TFUE trouve à s’appliquer à des mesures principalement techniques mettant en œuvre ces choix ( 44 ).

76. Dans ses conclusions dans les affaires jointes Parlement et Commission/Conseil ( 45 ), l’avocat général Wahl a expliqué qu’il ressort de cette jurisprudence que la procédure législative ordinaire prévue à l’article 43, paragraphe 2, TFUE doit s’appliquer à la catégorie de mesures la plus générale, à savoir celles nécessaires à la poursuite des objectifs de la PCP, alors que la procédure non législative prévue à l’article 43, paragraphe 3, TFUE devrait être réservée à un certain type de mesures
réglementaires. Ainsi, les mesures relevant de l’article 43, paragraphe 3, TFUE devraient être circonscrites à celles qui sont étroitement liées à la définition de qui peut pêcher quoi, et à quel endroit, ainsi qu’à la définition des conditions fonctionnellement liées à ces questions ( 46 ), et ne comprennent pas toutes les mesures techniques liées d’une manière ou d’une autre aux possibilités de pêche. L’élément déterminant, ainsi que la Cour l’a confirmé, est de savoir si l’acte en cause
implique un choix politique réservé au législateur de l’Union parce qu’il est nécessaire à la poursuite des objectifs des politiques communes de l’agriculture et de la pêche ( 47 ).

77. En l’espèce, il me paraît clair que les dispositions attaquées sont fonctionnellement liées à la « fixation [...] des possibilités de pêche », au sens de l’article 43, paragraphe 3, TFUE, plutôt qu’à un choix politique réservé au législateur de l’Union ( 48 ).

78. En effet, comme le relèvent le Conseil et la Commission, les dispositions attaquées ont pour objectif d’améliorer la sélectivité des engins de pêche (articles 15 à 17) et la protection de certaines espèces (article 20). Ces dispositions ont été adoptées en lieu et place d’une réduction des TAC allant encore plus loin que ce qui avait déjà été arrêté pour cette année. Cela est confirmé par le considérant 3 du règlement délégué 2021/2324, selon lequel les mesures établies dans les dispositions
attaquées étaient « liées sur le plan fonctionnel aux niveaux de TAC des espèces cibles capturées », étant donné que, « en l’absence de celles‑ci, ces niveaux de TAC auraient dû être réduits pour permettre aux stocks de prises accessoires de se reconstituer » ( 49 ).

79. Par ailleurs, à la différence des modifications apportées par le Conseil sur la base de l’article 43, paragraphe 3, TFUE qui étaient au cœur de l’arrêt rendu dans l’affaire Parlement et Commission/Conseil ( 50 ), l’application des dispositions attaquées est limitée à des circonstances particulières (étant donné qu’elles sont destinées à s’appliquer à certains types de navires, opérant dans certaines zones seulement, et à ne concerner que certains types d’espèces) et pour une durée d’un an
(l’année 2021). Elles ne sont pas destinées à adapter le mécanisme général de fixation des TAC et des limitations de l’effort de pêche afin d’éliminer les défauts découlant de l’application des règles antérieures ni à définir le cadre juridique dans lequel ces TAC et les limitations de l’effort de pêche sont établis ( 51 ).

80. Par conséquent, j’estime que les dispositions attaquées relèvent du pouvoir conféré au Conseil par l’article 43, paragraphe 3, TFUE.

81. S’agissant maintenant de la question précise de savoir si le Conseil pouvait valablement utiliser cette base juridique pour adopter les mesures techniques figurant dans les dispositions attaquées malgré le fait que les règlements de base prévoyaient l’adoption de ces mesures par la Commission, je rappelle que la Cour a jugé que le Conseil pouvait utiliser l’article 43, paragraphe 3, TFUE comme base juridique pour fonder l’adoption de mesures déterminées dans le cadre de la PCP, à la condition
qu’il agisse en respectant les limites de ses compétences ainsi que, le cas échéant, le cadre juridique déjà établi en application de l’article 43, paragraphe 2, TFUE ( 52 ). Dans cette mesure, la marge d’appréciation dont jouit le Conseil pour adopter des mesures sur la base de l’article 43, paragraphe 3, TFUE dépend de la marge de manœuvre que le législateur de l’Union a décidé de lui accorder. Je dois donc examiner si le cadre juridique déjà établi dans les règlements de base a été conçu par
le législateur de l’Union pour limiter le pouvoir du Conseil d’agir en application de l’article 43, paragraphe 3, TFUE.

82. À cet égard, il me semble que rien dans l’un ou l’autre des deux règlements de base ne permet de considérer que les pouvoirs conférés à la Commission respectivement par l’article 10, paragraphe 4, et l’article 15 du règlement 2019/1241 et par l’article 9 du règlement 2019/472 avaient pour objet d’empêcher le Conseil d’adopter des mesures techniques concernant les mêmes questions dans un cas où, comme en l’espèce, la Commission n’est pas intervenue pour adopter elle-même des actes délégués. Je
partage l’avis du Parlement selon lequel le Conseil ne peut pas priver la Commission des pouvoirs qui lui sont attribués par ces dispositions, faute de quoi celles-ci seraient vidées de leur sens et le Conseil ne respecterait pas le cadre qu’elles définissent. Cependant, il me semble clair que ce n’est pas ce qu’a fait le Conseil en adoptant les dispositions attaquées.

83. En effet, il ressort clairement de l’article 59, second alinéa, du règlement litigieux que les articles 15 à 17 de celui-ci étaient censés cesser de s’appliquer dès que la Commission adopterait un ou plusieurs actes délégués portant sur les mêmes mesures techniques. À l’instar du Conseil et de la Commission, j’estime donc que les dispositions attaquées avaient bel et bien vocation à revêtir un caractère temporaire et que, en les adoptant, le Conseil n’a pas empiété sur le pouvoir de la
Commission d’adopter des actes délégués, mais qu’il a expressément entendu le préserver.

84. En effet, ce pouvoir de la Commission est reconnu tant à l’article 59, second alinéa, du règlement litigieux qu’à son considérant 59, qui indique que les mesures techniques que la Commission adoptera sur la base du règlement 2019/1241 sont « plus complètes et s’appliqueront de manière plus stable » que les mesures techniques figurant dans les dispositions attaquées.

85. Dans ces conditions, je peux aisément conclure que le Conseil a agi non seulement dans les limites de ses compétences au titre de l’article 43, paragraphe 3, TFUE, mais également dans le cadre juridique spécifique déjà établi au titre de l’article 43, paragraphe 2, TFUE.

86. Cette conclusion n’est nullement infirmée par l’argument du Parlement exposé au point 63 des présentes conclusions, selon lequel les dispositions attaquées auraient dû être adoptées soit en tant que mesures « d’urgence » visant à répondre à une menace grave pour la conservation des ressources biologiques de la mer, soit, en l’absence de telles raisons d’urgence, par la Commission dans des actes délégués, étant donné que l’article 8, paragraphes 2 et 3, du règlement 2019/472 n’envisageait que ces
deux possibilités.

87. Je partage l’avis du Parlement selon lequel les dispositions attaquées ne constituent pas des « mesures d’urgence » visant à répondre à une menace grave pour la conservation des ressources biologiques de la mer. Cela étant, et pour autant que de besoin, j’estime qu’il existait des circonstances particulières justifiant que le Conseil soit intervenu et ait adopté les dispositions attaquées pour la période intermédiaire pendant laquelle la Commission n’avait pas encore fait usage de l’autre
possibilité expressément laissée ouverte par l’article 8, paragraphes 2 et 3, du règlement 2019/472 ni adopté un ou plusieurs actes délégués en vertu de ces dispositions.

88. Comme l’a expliqué la Commission, les mesures correctives antérieures (celles qui figurent à l’article 13 du règlement 2020/123) ne devaient rester en vigueur que jusqu’au 31 décembre 2020 et, étant donné que les efforts se concentraient sur la conclusion d’un accord entre l’Union européenne et le Royaume-Uni sur des mesures techniques liées sur le plan fonctionnel à la suite du Brexit, aucune recommandation commune n’avait été présentée assez tôt pour que la Commission adopte un acte délégué au
début de l’année 2021. Cela est confirmé par le considérant 2 du règlement délégué 2021/2324, selon lequel, bien que la Belgique, l’Espagne, la France, l’Irlande et les Pays-Bas eussent présenté une première recommandation commune en mai 2020, elles n’ont présenté une recommandation commune révisée que le 14 décembre 2020.

89. Dans ce contexte, il est clair que l’adoption par le Conseil des dispositions attaquées a servi à combler une lacune qui aurait autrement perduré pendant une partie, voire la totalité, de l’année 2021.

90. À la lumière de ce qui précède, rien n’indique que, en adoptant les dispositions attaquées, le Conseil aurait excédé ses pouvoirs ou les aurait détournés.

91. Aucun des arguments avancés par le Parlement au soutien de son premier moyen n’ayant prospéré, il y a lieu de rejeter ce moyen.

2.   Sur le second moyen, tiré d’une violation du principe de coopération loyale

a)   Arguments essentiels des parties

92. Le Parlement soutient que, en ne respectant pas la procédure décrite dans les règlements de base, le Conseil a violé le principe de coopération loyale.

93. Le Parlement observe que, en vertu de l’article 13, paragraphe 2, TUE, tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour, ce principe exige que chaque institution exerce ses compétences dans le respect de celles des autres institutions. Il rappelle également que l’accord interinstitutionnel « Mieux légiférer » ( 53 ), adopté sur la base de l’article 295 TFUE, produit des effets contraignants pour le Parlement, le Conseil et la Commission. Le point 25 de cet accord exige qu’un échange de vues ait
lieu entre ces trois institutions « [s]’il est envisagé de procéder à une modification de la base juridique entraînant le passage de la procédure législative ordinaire à une procédure législative spéciale ou à une procédure non législative ». Le point 2 de l’annexe à cet accord ( 54 ) oblige les institutions à coopérer tout au long de la procédure afin d’assurer le bon déroulement de l’exercice du pouvoir délégué et un contrôle effectif de ce pouvoir par le Parlement. En l’espèce, le Parlement
estime que le Conseil l’a effectivement privé du pouvoir d’exercer ce contrôle.

94. Selon le Parlement, le Conseil aurait dû le consulter au sujet de son intention d’adopter les dispositions attaquées sur la base de l’article 43, paragraphe 3, TFUE, en violation des règlements de base.

95. Le Conseil, soutenu par la Commission, conteste ces arguments. Il renvoie à son argumentation relative au premier moyen. Selon lui, il résulte de l’absence de tout détournement de procédure (concernant le premier moyen) que le principe de coopération loyale n’a pas été violé en l’espèce.

96. Le Conseil ajoute que l’accord interinstitutionnel « Mieux légiférer » n’est pas pertinent en l’espèce. Il soutient que le règlement litigieux a été adopté sur la même base juridique que celle proposée par la Commission dans le document officieux et que, en conséquence, les actions du Conseil ne constituaient pas une « modification de la base juridique » au sens du point 25 de cet accord.

b)   Analyse

97. En vertu de l’article 13, paragraphe 2, TUE, les institutions pratiquent entre elles une coopération loyale. Cette coopération loyale doit toutefois s’exercer dans le respect des limites des pouvoirs conférés dans les traités à chaque institution. L’obligation résultant de l’article 13, paragraphe 2, TUE n’est donc pas de nature à modifier ces pouvoirs ( 55 ).

98. Quant à la question de savoir si le Conseil a violé le principe de coopération loyale en adoptant les dispositions attaquées, je relève que le Parlement fait valoir à l’appui du présent moyen un raisonnement semblable à celui déjà exposé dans son argumentation concernant le premier moyen.

99. Il résulte de la section précédente que le premier moyen du Parlement doit, selon moi, être rejeté au motif que le Conseil n’a pas commis de détournement de pouvoir en l’espèce. Par conséquent, et étant donné que les arguments avancés par le Parlement à l’appui de ses deux moyens sont étroitement liés, je partage l’avis du Conseil et de la Commission quant à l’absence de violation du principe de coopération loyale en l’espèce. Selon moi, le second moyen doit donc également être rejeté comme non
fondé.

100. Les arguments du Parlement relatifs à l’accord interinstitutionnel « Mieux légiférer » n’affectent pas ma conclusion à cet égard.

101. En effet, il résulte de la section précédente que la Commission n’a nullement été empêchée d’adopter un acte délégué en vertu des règlements de base (et, plus précisément, de l’article 10, paragraphe 4, et de l’article 15, paragraphe 2, du règlement 2019/1241 et l’article 9 du règlement 2019/472). Dès lors, l’adoption par le Conseil des dispositions attaquées ne saurait être considérée comme constituant une « modification de la base juridique » au sens du point 25 de cet accord.

102. En outre et, à nouveau, étant donné que la Commission restait pleinement en droit d’adopter le règlement délégué 2021/2324 (ce qu’elle a d’ailleurs fait), il me semble que le Parlement n’a nullement été privé de son pouvoir de superviser l’adoption d’actes délégués au sens du point 2 de l’annexe audit accord, et qu’il était, au contraire, tout à fait en mesure d’exercer ce contrôle en l’espèce.

103. Il résulte de tout ce qui précède que le présent recours doit, selon moi, être rejeté comme non fondé.

3.   Sur la demande de maintien des effets des dispositions attaquées

104. Étant donné que les deux moyens soulevés par le Parlement doivent, selon moi, être écartés et que le présent recours doit être rejeté comme non fondé, j’estime qu’il n’y a pas lieu pour la Cour de statuer sur la demande des parties tendant à maintenir les effets des dispositions attaquées.

105. À cet égard, je voudrais seulement indiquer qu’une décision de maintenir les effets d’un acte annulé est habituellement justifiée lorsque d’importants motifs de sécurité juridique l’exigent ou que le maintien des effets est nécessaire pour éviter des conséquences négatives graves dans le domaine concerné et que la légalité de l’acte en cause est contestée non pas en raison de sa finalité ou de son contenu, mais pour des motifs d’incompétence ou de violation des formes substantielles ( 56 ).

106. En l’espèce, il me semble que les parties à la présente procédure s’opposent seulement quant à la base juridique utilisée, mais non quant au contenu matériel des dispositions attaquées. En outre, il ne saurait être contesté que l’annulation rétroactive des effets des dispositions attaquées non seulement serait problématique en matière de sécurité juridique, mais aurait également de graves conséquences pour le secteur de la pêche, puisque cela signifierait qu’aucune des restrictions prévues par
les dispositions attaquées (en ce qui concerne les engins de pêche ou les espèces interdites) ne pourrait être effectivement appliquée pour l’année 2021. À cet égard, j’ajoute qu’aucune des parties à la présente procédure ne conteste que les mesures prévues par ces dispositions étaient destinées à favoriser les objectifs de la PCP de conserver les ressources halieutiques et de réaliser l’exploitation durable des ressources aquatiques vivantes. Je relève en outre que les deux actes adoptés après
le règlement litigieux, à savoir le règlement délégué 2021/2324 et le règlement établissant les possibilités de pêche pour 2022, visent à reproduire le contenu des dispositions attaquées ( 57 ).

107. Si la Cour ne partageait pas ma position selon laquelle le Conseil était habilité à adopter les dispositions attaquées, je pense donc qu’il y aurait lieu de maintenir les effets de ces dispositions.

VII. Conclusion

108. À la lumière des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour :

– de rejeter le recours du Parlement européen tendant à l’annulation des articles 15 à 17, de l’article 20 et de l’article 59, second alinéa, du règlement (UE) 2021/92 du Conseil, du 28 janvier 2021, établissant, pour 2021, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux de l’Union et, pour les navires de pêche de l’Union, dans certaines eaux n’appartenant pas à l’Union, et

– de condamner le Parlement aux dépens.

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( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Règlement du Conseil du 28 janvier 2021 établissant, pour 2021, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux de l’Union et, pour les navires de pêche de l’Union, dans certaines eaux n’appartenant pas à l’Union (JO 2021, L 31, p. 31).

( 3 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 19 mars 2019 établissant un plan pluriannuel pour les stocks pêchés dans les eaux occidentales et les eaux adjacentes ainsi que pour les pêcheries exploitant ces stocks, modifiant les règlements (UE) 2016/1139 et (UE) 2018/973 et abrogeant les règlements (CE) no 811/2004, (CE) no 2166/2005, (CE) no 388/2006, (CE) no 509/2007 et (CE) no 1300/2008 du Conseil (JO 2019, L 83, p. 1).

( 4 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 20 juin 2019 relatif à la conservation des ressources halieutiques et à la protection des écosystèmes marins par des mesures techniques, modifiant les règlements (CE) no 2019/2006 et (CE) no 1224/2009 du Conseil et les règlements (UE) no 1380/2013, (UE) 2016/1139, (UE) 2018/973, (UE) 2019/472 et (UE) 2019/1022 du Parlement européen et du Conseil, et abrogeant les règlements (CE) no 894/97, (CE) no 850/98, (CE) no 2549/2000, (CE) no 254/2002,
(CE) no 812/2004 et (CE) no 2187/2005 du Conseil (JO 2019, L 198, p. 105).

( 5 ) Aux termes de l’article 290, paragraphe 1, TFUE, « [u]n acte législatif peut déléguer à la Commission le pouvoir d’adopter des actes non législatifs de portée générale qui complètent ou modifient certains éléments non essentiels de l’acte législatif ».

( 6 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 relatif à la politique commune de la pêche, modifiant les règlements (CE) no 1954/2003 et (CE) no 1224/2009 du Conseil et abrogeant les règlements (CE) no 2371/2002 et (CE) no 639/2004 du Conseil et la décision 2004/585/CE du Conseil (JO 2013, L 354, p. 22).

( 7 ) Avant le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne, les eaux occidentales septentrionales faisaient pleinement partie des eaux de l’Union et comprenaient, entre autres, la mer Celtique, la mer d’Irlande et l’Ouest de l’Écosse [voir annexe I de la décision du Conseil du 19 juillet 2004 instituant des conseils consultatifs régionaux dans le cadre de la politique commune de la pêche (JO 2004, L 256, p. 17) ; voir aussi la carte disponible sur le site Internet du conseil consultatif pour les
eaux occidentales septentrionales à l’adresse suivante : https://www.nwwac.org/_fileupload/Structure%20of%20NWWAC/NWWAC_Area_Map%20incl%20EU%20zone.pdf].

( 8 ) Conseil international pour l’exploration de la mer.

( 9 ) JO 2021, L 465, p. 1.

( 10 ) Voir règlement (UE) 2022/109 du Conseil, du 27 janvier 2022, établissant, pour 2022, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux de l’Union et, pour les navires de pêche de l’Union, dans certaines eaux n’appartenant pas à l’Union (JO 2022, L 21, p. 1).

( 11 ) Voir article 60 du règlement 2022/109.

( 12 ) Voir article 4, paragraphe 1, point 20, du règlement no 1380/2013.

( 13 ) Voir considérant 2 du règlement 2019/1241.

( 14 ) Voir arrêt du 15 mai 2008, Espagne/Conseil (C‑442/04, EU:C:2008:276, point 42). Je relève que le considérant 7 du règlement 2019/1241 se réfère à « la réalisation des objectifs de la PCP qui consistent à pêcher à des niveaux correspondant au rendement maximal durable, à réduire les captures indésirées et à éliminer les rejets, et contribuer également à la réalisation d’un bon état écologique ».

( 15 ) À cet égard, je relève que l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1380/2013 énumère de manière non exhaustive ce que les « mesures techniques » peuvent inclure. Toutefois, aucune disposition de ce règlement n’indique quelle institution de l’Union est responsable de l’adoption de ces mesures.

( 16 ) Voir considérant 1 du règlement litigieux.

( 17 ) Selon les explications données par la Commission au considérant 3 du règlement délégué 2021/2324. Les espèces de poissons concernées par les articles 15 à 17 du règlement litigieux sont le cabillaud, le merlan et les gadidés.

( 18 ) Selon le libellé de ces dispositions, la Commission est habilitée à modifier la liste des espèces de poissons et de crustacés dont la capture, la détention, le transbordement ou le débarquement sont interdits (voir article 10, paragraphe 4, du règlement 2019/1241) ; à modifier, compléter ou abroger les mesures techniques destinées à prendre en compte les spécificités régionales de certaines pêcheries (c’est-à-dire les mesures techniques régionales) (voir article 15, paragraphe 2, du
règlement 2019/1241), et à compléter les mesures techniques relatives aux engins de pêche, les dispositifs additionnels pour les engins de pêche et la fixation de tailles minimales de référence de conservation (voir article 9 du règlement 2019/472).

( 19 ) Plus précisément, le Parlement considère que le Conseil a adopté les articles 15 à 17 du règlement litigieux en violation de l’article 15, paragraphe 2, du règlement 2019/1241 ou, à titre subsidiaire, de l’article 9 du règlement 2019/472. L’article 20 du règlement litigieux violerait l’article 10, paragraphe 4, du règlement 2019/1241.

( 20 ) Voir article 29, paragraphe 6, du règlement 2019/1241.

( 21 ) Voir article 18, paragraphes 3 et 6, du règlement 2019/472.

( 22 ) Voir points 20 et 21 des présentes conclusions.

( 23 ) Voir article 3 du règlement délégué 2021/2324.

( 24 ) Ainsi que je l’ai indiqué au point précédent des présentes conclusions, le second alinéa de l’article 59 du règlement litigieux concerne l’application dans le temps des articles 15 à 17 de ce même acte. En conséquence, si la Cour devait juger que le recours a perdu son objet dans la mesure où le Parlement conclut à l’annulation de ces trois dispositions, elle devrait également rejeter l’argument du Parlement relatif au second alinéa de l’article 59 de ce règlement.

( 25 ) Par « intérêt », j’entends ici un intérêt tel que celui que doivent établir les personnes physiques ou morales pour agir sur la base de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.

( 26 ) Voir, en ce sens, arrêt du 1er octobre 2009, Commission/Conseil (C‑370/07, EU:C:2009:590, point 16 et jurisprudence citée).

( 27 ) Voir, en ce sens, arrêt du 26 mars 1987, Commission/Conseil (45/86, EU:C:1987:163, point 3).

( 28 ) Voir arrêt du 1er octobre 2009, Commission/Conseil (C‑370/07, EU:C:2009:590, point 17 et jurisprudence citée). Dans cette affaire, la Cour a annulé une décision du Conseil établissant la position à adopter au nom de la Communauté européenne lors de la Conférence des Parties à la convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction (CITES), alors même que cette décision avait déjà produit tous ses effets juridiques, puisque cette position
avait déjà été exprimée lors de la Conférence en question.

( 29 ) Étant donné que, comme je l’ai souligné au point 22 des présentes conclusions, le Conseil a adopté, le 27 janvier 2022, le règlement établissant les possibilités de pêche pour 2022, il ne fait aucun doute que la décision de la Cour dans la présente affaire pourrait être directement pertinente pour la question de savoir si ce règlement devrait aussi être annulé en tout ou en partie (s’il était attaqué devant la Cour), selon qu’il contient des dispositions analogues aux dispositions attaquées.
En outre, si la Cour annulait les dispositions attaquées, cette issue aurait pour conséquence naturelle d’empêcher le Conseil d’adopter des dispositions similaires à l’avenir.

( 30 ) Voir arrêt du 25 octobre 2001, Allemagne/Commission (C‑276/99, EU:C:2001:576, point 32).

( 31 ) Voir arrêt du 11 octobre 2007, Commission/Grèce (C‑237/05, EU:C:2007:592, points 36 à 39).

( 32 ) En effet, l’article 133, paragraphe 1, du règlement de procédure prévoit que le président de la Cour « peut » (mise en italique par mes soins), lorsque la nature de l’affaire l’exige, décider de la soumettre à une procédure accélérée.

( 33 ) À cet égard, j’ajoute que la procédure accélérée requiert de la Cour de mobiliser ses ressources de telle manière que, d’un point de vue logistique, il est évident que cette procédure ne peut concerner qu’une poignée d’affaires chaque année. La question de savoir si le recours devient sans objet dans une affaire comme celle-ci ne peut donc pas, selon moi, dépendre de la décision de la Cour d’octroyer ou non cette procédure accélérée.

( 34 ) L’article 59, premier alinéa, de ce règlement dispose que l’article 20 de ce règlement (ainsi que la plupart des autres dispositions de celui-ci qui ne font pas l’objet du présent recours) « continu[e] de s’appliquer [...] jusqu’à l’entrée en vigueur du règlement fixant les possibilités de pêche pour 2022 ».

( 35 ) Aux termes de cette disposition, « [c]haque institution agit dans les limites des attributions qui lui sont conférées dans les traités, conformément aux procédures, conditions et fins prévues par ceux-ci. Les institutions pratiquent entre elles une coopération loyale ».

( 36 ) Plus précisément, le Parlement estime que les articles 15 à 17 et l’article 20 du règlement litigieux modifient les règles établies à l’annexe VI, partie B, point 1, et partie C, ainsi qu’à l’annexe I, du règlement 2019/1241. Ce faisant, ces dispositions enfreindraient l’article 10, paragraphe 4 et l’article 15, paragraphe 2, de ce dernier règlement, lesquels montreraient clairement que la modification de ces règles incombe à la Commission, et non au Conseil.

( 37 ) Voir article 12 du règlement no 1380/2013 (intitulé « Mesures de la Commission en cas de menace grave pour les ressources biologiques de la mer »).

( 38 ) Voir article 13 du règlement no 1380/2013 (intitulé « Mesures d’urgence adoptées par les États membres »).

( 39 ) Règlement du Conseil du 27 janvier 2020 établissant, pour 2020, les possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux de l’Union et, pour les navires de pêche de l’Union, dans certaines eaux n’appartenant pas à l’Union (JO 2020, L 25, p. 1).

( 40 ) Sinon, les TAC eux-mêmes auraient dû être réduits (afin de compenser l’absence de telles mesures techniques).

( 41 ) Voir article 15, paragraphe 2, du règlement 2019/1241 et article 9, paragraphe 1, du règlement 2019/472 (voir aussi article 18 du règlement no 1380/2013 et, notamment, article 15, paragraphe 3, du règlement 2019/1241). Cependant, les actes délégués adoptés en vertu de l’article 10, paragraphe 4, de ce règlement ne sont pas soumis à une telle condition.

( 42 ) Voir considérant 2 du règlement délégué 2021/2324.

( 43 ) Arrêts du 15 mai 2008, Espagne/Conseil (C‑442/04, EU:C:2008:276, point 49 et jurisprudence citée), ainsi que du 16 avril 2013, Espagne et Italie/Conseil (C‑274/11 et C‑295/11, EU:C:2013:240, point 33).

( 44 ) Voir, en ce sens, arrêt du 26 novembre 2014, Parlement et Commission/Conseil (C‑103/12 et C‑165/12, EU:C:2014:2400, points 79 et 81).

( 45 ) C‑124/13 et C‑125/13, EU:C:2015:337, point 61.

( 46 ) Conclusions de l’avocat général Wahl dans les affaires jointes Parlement et Commission/Conseil (C‑124/13 et C‑125/13, EU:C:2015:337, point 66).

( 47 ) Arrêt du 1er décembre 2015, Parlement et Commission/Conseil (C‑124/13 et C‑125/13, EU:C:2015:790, point 59).

( 48 ) Je relève que les arguments du Parlement à cet égard sont, dans une certaine mesure, contradictoires. D’une part, le Parlement affirme clairement qu’il n’entend pas soulever le point de savoir si le Conseil aurait pu se fonder sur l’article 43, paragraphe 3, TFUE pour adopter les dispositions attaquées si les règlements de base n’avaient pas été adoptés. D’autre part, il me semble que le Parlement n’admet pas que les articles 15 à 17 du règlement litigieux sont relatifs à la « fixation [...]
des possibilités de pêche ». En effet, il affirme, en substance, que si l’on admettait la justification du Conseil selon laquelle les articles 15 à 17 sont relatifs à la « fixation [...] des possibilités de pêche » (au sens de l’article 43, paragraphe 3, TFUE), le Conseil aurait effectivement le pouvoir d’adopter toutes sortes de mesures techniques en invoquant cette justification et de perturber la procédure « standard » prévue pour l’adoption de mesures techniques relatives à la pêche (qui devrait
consister, premièrement, en l’adoption d’un acte législatif en vertu de l’article 43, paragraphe 2, TFUE et, deuxièmement, en l’adoption d’actes délégués par la Commission en vertu de ce premier acte).

( 49 ) Ainsi que je l’ai expliqué au point 26 des présentes conclusions, on entend par « TAC » les totaux admissibles des captures. Il est constant que l’établissement des TAC est l’un des moyens par lesquels le Conseil peut « fixer et répartir les possibilités de pêche », au sens de l’article 43, paragraphe 3, TFUE.

( 50 ) Dans cette affaire, la Cour a jugé que les modifications litigieuses étaient destinées à « réformer sensiblement » la procédure spéciale de fixation annuelle des TAC pour les stocks de cabillaud et à se substituer aux réductions automatiques des TAC initialement prévues à cet égard (voir arrêt du 1er décembre 2015, Parlement et Commission/Conseil, C‑124/13 et C‑125/13, EU:C:2015:790, point 73). La Cour a conclu que la base juridique appropriée était en l’espèce l’article 43, paragraphe 2,
TFUE et non l’article 43, paragraphe 3, TFUE.

( 51 ) Arrêt du 1er décembre 2015, Parlement et Commission/Conseil (C‑124/13 et C‑125/13, EU:C:2015:790, points 79 et 80). En substance, une mesure qui, à la différence des dispositions attaquées, établit le cadre ou constitue une condition de la fixation et de la répartition des possibilités de pêche et qui n’est pas simplement destinée à mettre en œuvre une disposition adoptée à un niveau supérieur relèvera normalement du champ d’application de l’article 43, paragraphe 2, TFUE, et non de celui de
l’article 43, paragraphe 3, TFUE (voir les explications données par l’avocat général Wahl dans ses conclusions dans les affaires jointes Parlement et Commission/Conseil, C‑124/13 et C‑125/13, EU:C:2015:337, point 66).

( 52 ) Conclusions de l’avocat général Wahl dans les affaires jointes Parlement et Commission/Conseil (C‑124/13 et C‑125/13, EU:C:2015:337, point 58). Dans cette mesure, je ne suis pas d’accord avec le raisonnement du Conseil selon lequel des actes adoptés en vertu de l’article 43, paragraphe 3, TFUE (tels que le règlement litigieux) auraient toujours la préséance sur des actes délégués adoptés par la Commission sur la base d’un acte législatif adopté en vertu de l’article 43, paragraphe 2, TFUE.
Selon moi, le Conseil ne peut utiliser les pouvoirs décisionnels qu’il tire de la première de ces dispositions que si cette utilisation est compatible avec la délégation de pouvoir conférée par des actes adoptés en vertu de cette dernière disposition, étant donné que la Cour a clairement jugé qu’il existe une relation hiérarchique entre ces deux dispositions du traité FUE (voir arrêt du 26 novembre 2014, Parlement et Commission/Conseil, C‑103/12 et C‑165/12, EU:C:2014:2400, points 79 et 81).

( 53 ) Accord interinstitutionnel entre le Parlement européen, le Conseil de l’Union européenne et la Commission européenne « Mieux légiférer » (JO 2016, L 123, p. 1).

( 54 ) Intitulée « Convention d’entente entre le Parlement européen, le Conseil et la Commission sur les actes délégués ».

( 55 ) Voir, à cet égard, arrêt du 12 février 2015, Parlement/Conseil (C‑48/14, EU:C:2015:91, points 57 et 58).

( 56 ) Voir, par exemple, arrêts du 3 septembre 2009, Parlement/Conseil (C‑166/07, EU:C:2009:499, points 74 et 75) ; du 5 septembre 2012, Parlement/Conseil (C‑355/10, EU:C:2012:516, points 89 et 90), ainsi que du 6 mai 2014, Commission/Parlement et Conseil (C‑43/12, EU:C:2014:298, points 54 à 56).

( 57 ) Voir article 2 du règlement délégué 2021/2324 et article 18 du règlement établissant les possibilités de pêche pour 2022.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-259/21
Date de la décision : 22/06/2022
Type de recours : Recours en annulation - non fondé

Analyses

Recours en annulation – Politique commune de la pêche – Règlement (UE) 2021/92 – Établissement, pour 2021, des possibilités de pêche pour certains stocks halieutiques et groupes de stocks halieutiques, applicables dans les eaux de l’Union européenne et, pour les navires de pêche de l’Union, dans certaines eaux n’appartenant pas à l’Union – Conservation des ressources halieutiques et protection des écosystèmes marins par des mesures techniques – Articles 15 à 17 et 20 ainsi que article 59, second alinéa – Article 43, paragraphe 3, TFUE – Détournement de pouvoir – Principe de coopération loyale.

Agriculture et Pêche

Politique de la pêche


Parties
Demandeurs : Parlement européen
Défendeurs : Conseil de l'Union européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Emiliou

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:498

Source

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