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09/06/2022 | CJUE | N°C-243/21

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. A. M. Collins, présentées le 9 juin 2022., TOYA sp. z o.o. et Polska Izba Informatyki i Telekomunikacji contre Prezes Urzędu Komunikacji Elektronicznej., 09/06/2022, C-243/21


 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. ANTHONY M. COLLINS

présentées le 9 juin 2022 ( 1 )

Affaire C‑243/21

« TOYA » sp. z o.o.,

Polska Izba Informatyki i Telekomunikacji

contre

Prezes Urzędu Komunikacji Elektronicznej,

autre partie à la procédure :

Polska Izba Komunikacji Elektronicznej

[demande de décision préjudicielle formée par le Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie, Pologne)]

« Renvoi préjudiciel – Télécommunications – Direc

tive 2014/61/UE – Article 3 – Pouvoir de l’autorité réglementaire nationale d’imposer des conditions relatives à l’accès à l’infrastructure physique à un...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. ANTHONY M. COLLINS

présentées le 9 juin 2022 ( 1 )

Affaire C‑243/21

« TOYA » sp. z o.o.,

Polska Izba Informatyki i Telekomunikacji

contre

Prezes Urzędu Komunikacji Elektronicznej,

autre partie à la procédure :

Polska Izba Komunikacji Elektronicznej

[demande de décision préjudicielle formée par le Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie, Pologne)]

« Renvoi préjudiciel – Télécommunications – Directive 2014/61/UE – Article 3 – Pouvoir de l’autorité réglementaire nationale d’imposer des conditions relatives à l’accès à l’infrastructure physique à un opérateur ne disposant pas d’une puissance significative sur le marché – Absence de litige relatif à l’accès – Article 1er, paragraphe 3 – Harmonisation minimale »

I. Introduction

1. La présente demande de décision préjudicielle formée par le Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie, Pologne) soulève deux questions concernant l’interprétation de la directive 2014/61/UE relative à des mesures visant à réduire le coût du déploiement de réseaux de communications électroniques à haut débit ( 2 ). Premièrement, la directive 2014/61, lue à la lumière de la directive 2002/21/CE relative à un cadre réglementaire commun pour les réseaux et services de communications
électroniques (directive « cadre ») ( 3 ) et de la directive 2002/19/CE relative à l’accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu’à leur interconnexion (directive « accès ») ( 4 ), s’oppose-t-elle à ce qu’une autorité réglementaire nationale impose des conditions à un fournisseur de réseaux de communications électroniques qui ne dispose pas d’une puissance significative sur le marché pertinent ? Deuxièmement, la directive 2014/61 s’oppose-t-elle à ce
qu’une autorité réglementaire nationale impose aux opérateurs de télécommunications des conditions pour autoriser l’accès à leur infrastructure physique en l’absence d’un litige relatif à un tel accès ?

II. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

1. La directive-cadre

2. Le préambule de la directive-cadre énonce notamment les objectifs suivants :

« [...]

(25) Il est nécessaire d’instituer des obligations ex ante dans certaines circonstances afin de garantir le développement d’un marché concurrentiel. La définition de la puissance sur le marché inscrite dans la directive 97/33/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 juin 1997, relative à l’interconnexion dans le secteur des télécommunications en vue d’assurer un service universel et l’interopérabilité par l’application des principes de fourniture d’un réseau ouvert (ONP) [...] s’est révélée
efficace lors des premières phases d’ouverture des marchés en tant que seuil de déclenchement des obligations ex ante, mais elle doit à présent être adaptée pour tenir compte de l’évolution des marchés qui deviennent plus complexes et plus dynamiques. Pour cette raison, la définition utilisée dans la présente directive est équivalente à la notion de position dominante telle que la définit la jurisprudence de la Cour de justice et du [Tribunal] des Communautés européennes.

[...]

(27) Il est essentiel que les obligations réglementaires ex ante ne soient imposées qu’en l’absence de concurrence effective, c’est-à-dire sur les marchés où opèrent une ou plusieurs entreprises disposant d’une puissance significative sur le marché et lorsque les recours fondés sur le droit national ou le droit [de l’Union] de la concurrence ne suffisent pas à résoudre le problème. [...]

[...] »

3. Le chapitre III de la directive-cadre est intitulé « Tâches des autorités réglementaires nationales ». Son article 8 fixe des objectifs généraux et des principes réglementaires. Le paragraphe 5, sous f), de cet article 8 prévoit que les autorités réglementaires nationales n’imposent des obligations de réglementation ex ante que lorsqu’il n’y a pas de concurrence efficace et durable. Elles doivent suspendre ou supprimer celles-ci dès que cette condition est satisfaite.

4. Le chapitre IV de la directive-cadre est intitulé « Dispositions générales ». L’article 14 définit la puissance significative sur le marché (ci-après la « PSM »). L’article 16 décrit la procédure d’analyse du marché qu’une autorité réglementaire nationale doit adopter afin de déterminer si un marché pertinent est effectivement concurrentiel : lorsqu’un marché n’est pas effectivement concurrentiel, l’autorité réglementaire nationale identifie les entreprises qui sont puissantes sur ce marché.

2. La directive « accès »

5. L’article 8, paragraphe 2, de la directive « accès » dispose :

« Lorsqu’à la suite d’une analyse du marché effectuée conformément à l’article 16 de la [directive-cadre] un opérateur est désigné comme disposant d’une puissance significative sur un marché donné, les autorités réglementaires nationales lui imposent les obligations énumérées aux articles 9 à 13 de la présente directive, selon le cas. »

6. Les obligations visées aux articles 9 à 13 de la directive « accès » concernent : i) la transparence, comprenant l’obligation pour un opérateur de publier une offre de référence ( 5 ) ; ii) la non‑discrimination ; iii) la séparation comptable ; iv) l’accès à des ressources de réseau spécifiques et leur utilisation, et v) le contrôle des prix et la comptabilisation des coûts.

7. L’article 8, paragraphe 3, de la directive « accès » prévoit que, sans préjudice de l’article 5, paragraphe 1, et de l’article 6 de ladite directive ainsi que des articles 12 et 13 de la directive-cadre, les autorités réglementaires nationales n’imposent pas les obligations définies aux articles 9 à 13 de la directive « accès » aux opérateurs qui n’ont pas été désignés comme disposant d’une puissance significative sur un marché donné.

3. La directive 2014/61

8. Le préambule de la directive précise ses objectifs comme suit :

« [...]

(6) Tenant compte de la nécessité d’une action au niveau de l’Union pour améliorer la couverture à haut débit, y compris par la réduction des coûts des infrastructures à haut débit, telle qu’elle apparaît dans les conclusions du Conseil européen des 13 et 14 décembre 2012, la communication de la Commission intitulée “Acte pour le marché unique II” souligne que des efforts supplémentaires sont nécessaires pour atteindre rapidement les objectifs énoncés dans la stratégie numérique, entre autres en
relevant le défi de l’investissement dans les réseaux à haut débit.

(7) Le déploiement de réseaux de communications électroniques fixes et sans fil à haut débit dans toute l’Union exige des investissements significatifs dont le coût des travaux de génie civil représente une part importante. Limiter certains travaux de génie civil coûteux rendrait le déploiement du haut débit plus efficace.

(8) Ces coûts sont, pour la plupart, imputables à des déficiences dans le processus de déploiement liées à l’utilisation des infrastructures passives existantes (telles que les gaines, conduites, trous de visite, boîtiers, poteaux, pylônes, installations liées aux antennes, tours et autres appuis), à des goulets d’étranglement relatifs à la coordination des travaux de génie civil, à la lourdeur des procédures administratives de délivrance des autorisations et à des obstacles au déploiement des
réseaux à l’intérieur d’immeubles, ce qui crée des obstacles financiers importants, en particulier dans les zones rurales.

(9) Les mesures destinées à permettre une utilisation plus efficace des infrastructures existantes et à réduire les coûts et les obstacles liés à l’exécution de nouveaux travaux de génie civil devraient contribuer de manière significative à garantir un déploiement rapide et de grande envergure des réseaux de communications électroniques à haut débit, tout en préservant une concurrence effective, sans incidence négative sur la sécurité, la sûreté et le bon fonctionnement des infrastructures
publiques existantes.

(10) Certains États membres ont adopté des mesures visant à réduire les coûts du déploiement du haut débit. Cependant, ces mesures demeurent rares et isolées. L’extension de ces mesures à l’ensemble de l’Union pourrait favoriser significativement l’établissement d’un marché unique du numérique. En outre, la disparité des exigences réglementaires empêche parfois la coopération entre entreprises de réseaux et peut créer des obstacles à l’entrée sur le marché de nouveaux opérateurs de réseaux et à
l’ouverture de nouvelles perspectives commerciales, ce qui nuit au développement d’un marché intérieur pour l’utilisation et le déploiement d’infrastructures physiques de réseaux de communications électroniques à haut débit. Enfin, il semble que les initiatives prises au niveau des États membres ne soient pas toujours globales, alors qu’il est essentiel d’adopter des mesures qui concernent l’ensemble du processus de déploiement et l’ensemble des secteurs pour que l’effet obtenu soit cohérent
et significatif.

(11) La présente directive a pour but d’établir certains droits et obligations minimaux applicables dans l’ensemble de l’Union de manière à faciliter le déploiement des réseaux de communications électroniques à haut débit et la coordination intersectorielle. Il convient de parvenir à une harmonisation minimale des conditions, sans toutefois porter atteinte aux meilleures pratiques existantes et aux mesures adoptées aux niveaux national et local et comportant des dispositions et conditions plus
détaillées ainsi que des mesures supplémentaires qui complètent ces droits et obligations, conformément au principe de subsidiarité.

[...]

(13) Pour les opérateurs de réseaux de communications électroniques, et en particulier pour les nouveaux entrants, il peut se révéler nettement plus efficace de réutiliser les infrastructures physiques existantes, y compris celles d’autres entreprises de réseaux, pour mettre en place des réseaux de communications électroniques, notamment dans des zones où aucun réseau de communications électroniques adapté n’est disponible ou lorsqu’il ne serait pas économiquement faisable de construire une
nouvelle infrastructure physique. En outre, la création de synergies intersectorielles peut limiter significativement les travaux de génie civil nécessaires au déploiement des réseaux de communications électroniques et, par conséquent, les coûts sociaux et environnementaux qui y sont liés, tels que la pollution, les nuisances et les encombrements. Par conséquent, la présente directive ne devrait pas uniquement s’appliquer aux fournisseurs de réseau de communications public mais à tout
propriétaire ou détenteur et, dans ce dernier cas, sans préjudice des droits de propriété de tout tiers, de droits d’utilisation d’infrastructures physiques généralisées susceptibles d’accueillir des éléments de réseaux de communications publics, tels que les réseaux physiques de fourniture d’électricité et de gaz, d’alimentation en eau, d’assainissement des eaux usées et de systèmes d’égouts ou de chauffage, ainsi que les services de transport.

(14) En vue d’améliorer le déploiement des réseaux de communications électroniques à haut débit sur le marché intérieur, la présente directive devrait prévoir des droits permettant aux fournisseurs de réseau de communications public d’avoir accès à l’infrastructure physique, quel que soit le lieu où celle-ci est située, dans des conditions équitables et raisonnables conformes à l’exercice normal des droits de propriété. L’obligation de donner accès à l’infrastructure physique devrait s’entendre
sans préjudice des droits du propriétaire du terrain ou de l’immeuble où est située l’infrastructure.

[...] »

9. L’article 1er de la directive 2014/61, intitulé « Objet et champ d’application », dispose :

« 1.   La présente directive vise à faciliter et à encourager le déploiement des réseaux de communications électroniques à haut débit en promouvant l’utilisation conjointe des infrastructures physiques existantes et en permettant un déploiement plus efficace de nouvelles infrastructures physiques afin de réduire les coûts liés à la mise en place de ces réseaux.

2.   La présente directive établit des exigences minimales relatives aux travaux de génie civil et aux infrastructures physiques, en vue de rapprocher certains aspects des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres dans ces domaines.

3.   Les États membres peuvent maintenir ou introduire des mesures conformes au droit de l’Union qui vont au-delà des exigences minimales établies par la présente directive en vue de mieux atteindre l’objectif visé au paragraphe 1.

4.   En cas de conflit entre une disposition de la présente directive et une disposition de [la directive-cadre], de [la directive “accès”], de la directive 2002/20/CE[ ( 6 )], de la directive 2002/22/CE[ ( 7 )] ou de la directive 2002/77/CE[ ( 8 )], les dispositions pertinentes de ces directives priment. »

10. L’article 3 de la directive 2014/61 est ainsi libellé :

« 1.   Les États membres veillent à ce que tout opérateur de réseau ait le droit d’offrir aux entreprises fournissant ou autorisées à fournir des réseaux de communications électroniques l’accès à ses infrastructures physiques en vue du déploiement d’éléments de réseaux de communications électroniques à haut débit. Réciproquement, les États membres peuvent prévoir que les opérateurs de réseau de communications public sont en droit d’offrir l’accès à leur infrastructure physique afin de déployer
des réseaux autres que des réseaux de communications électroniques.

2.   Les États membres veillent à ce que tout opérateur de réseau ait l’obligation, en réponse à une demande écrite formulée par une entreprise fournissant ou autorisée à fournir des réseaux de communications publics, de faire droit à toute demande raisonnable d’accès à ses infrastructures physiques selon des modalités et des conditions équitables et raisonnables, y compris au niveau du prix, en vue du déploiement d’éléments de réseaux de communications électroniques à haut débit. Cette demande
écrite indique de manière détaillée les éléments du projet pour lequel l’accès est demandé, y compris un échéancier précis.

[...]

5.   Les États membres font obligation à l’organisme national de règlement des litiges visé au paragraphe 4 de rendre, en tenant dûment compte du principe de proportionnalité, une décision contraignante afin de résoudre le litige engagé en vertu du paragraphe 4, y compris la fixation, le cas échéant, de modalités et de conditions équitables et raisonnables, dont, le cas échéant, le prix.

L’organisme national de règlement des litiges règle le litige dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de quatre mois à compter de la date de réception de la demande complète, sauf circonstances exceptionnelles, sans préjudice de la possibilité pour toute partie de saisir une juridiction.

Lorsque le litige porte sur l’accès à l’infrastructure d’un fournisseur de réseau de communications électroniques et que l’organisme national de règlement des litiges est une autorité de réglementation nationale, cette dernière prend en compte, le cas échéant, les objectifs énoncés à l’article 8 de la [directive-cadre]. [...]

[...] »

11. L’article 4, paragraphe 1, de la directive 2014/61 énonce que les entreprises fournissant des réseaux de communications publics ont le droit d’accéder, sur simple demande, aux informations minimales relatives aux infrastructures physiques existantes de tout opérateur de réseau.

B.   Le droit polonais

12. L’article 17, paragraphes 1 et 2, de l’Ustawa o wspieraniu rozwoju usług i sieci telekomunikacyjnych (loi relative au soutien au développement des réseaux et services de télécommunications), du 7 mai 2010 (ci-après la « loi relative au soutien au développement ») dispose :

« 1.   L’opérateur de réseau fournit aux entreprises de télécommunications l’accès à l’infrastructure physique, y compris son partage, afin de déployer un réseau de télécommunications à haut débit.

2.   L’accès à l’infrastructure physique est payant, sauf si les parties au contrat en conviennent autrement. »

13. L’article 18, paragraphes 1 à 3 et 6 à 8, de la loi relative au soutien au développement dispose :

« 1.   Les conditions d’accès à l’infrastructure physique, y compris les conditions techniques, opérationnelles et financières de la coopération, sont déterminées par les parties dans un contrat d’accès à l’infrastructure physique, conclu par écrit sous peine de nullité.

2.   Le président de l’UKE[ ( 9 )] peut demander à l’opérateur de réseau de fournir des informations sur les conditions d’accès à l’infrastructure physique.

3.   Après que l’opérateur de réseau a fourni des informations sur les conditions d’accès à l’infrastructure physique, le président de l’UKE, agissant conformément aux critères définis à l’article 22, paragraphes 1 à 3, peut déterminer par voie de décision les conditions d’accès à l’infrastructure physique. L’article 22, paragraphe 4, s’applique mutatis mutandis.

[...]

6.   L’opérateur de réseau qui s’est vu délivrer une décision relative à la détermination des conditions d’accès à l’infrastructure physique est tenu de conclure les contrats visés au paragraphe 1 dans des conditions qui ne soient pas moins favorables que celles définies dans ladite décision.

7.   L’opérateur de réseau qui s’est vu délivrer une décision relative à la détermination des conditions d’accès à l’infrastructure physique publie sur son site web les conditions actuelles de fourniture de cet accès.

8.   L’opérateur de réseau qui s’est vu délivrer une décision relative à la détermination des conditions d’accès à l’infrastructure physique fournit au président de l’UKE des informations sur l’adresse de son site web dans un délai de sept jours à compter de la date de publication sur celui‑ci des conditions de fourniture de cet accès. Les informations relatives à l’adresse du site web sont mises à disposition par le point d’information en matière de télécommunications sur le territoire de la
République de Pologne [...] »

14. L’article 22, paragraphes 1 à 3, de la loi relative au soutien au développement énonce :

« 1.   Le président de l’UKE rend une décision relative à l’accès à l’infrastructure physique dans un délai de 60 jours à compter de la date d’introduction de la demande à cet effet, en tenant compte notamment de la nécessité de garantir des conditions d’accès non discriminatoires et proportionnées.

2.   Le président de l’UKE, lorsqu’il rend une décision relative à l’accès à l’infrastructure physique d’une entreprise de télécommunications, veille à ce que les redevances versées à ce titre permettent le remboursement des coûts supportés par cette entreprise, eu égard notamment aux objectifs énoncés à l’article 8 de la directive 2002/21 et à l’impact de l’accès à l’infrastructure physique sur le plan d’affaires de cette entreprise de télécommunications, en particulier sur ses investissements
dans les réseaux de télécommunications à haut débit.

3.   Les redevances d’accès à l’infrastructure physique d’une entité exerçant des missions d’intérêt général sont fixées à un montant permettant de rembourser une partie des coûts que l’entité supporte pour l’entretien de cette infrastructure. »

III. Le litige au principal et les questions préjudicielles

15. Sur le fondement de l’article 17 de la loi relative au soutien au développement, le 10 mai 2017, le Prezes Urzędu Komunikacji Elektronicznej (le président de l’Office des communications électroniques, Pologne, ci-après le « président de l’UKE ») a demandé à TOYA sp. z o.o., entreprise de télécommunications et opérateur de réseau, de fournir des informations sur les conditions de l’accès à son infrastructure physique. Le 6 décembre 2017, le président de l’UKE a ouvert une procédure administrative
afin de définir les conditions d’accès à l’infrastructure physique de TOYA. Entre le 8 mars et le 7 avril 2018 et entre le 3 juillet et le 2 août 2018, le président de l’UKE a procédé respectivement à deux consultations distinctes dans le cadre de cette procédure. Le 11 septembre 2018, en application de la réglementation nationale transposant la directive 2014/61, le président de l’UKE a adopté une décision exigeant que TOYA se tienne prête à conclure des contrats et à accepter des demandes
d’accès à son infrastructure physique (ci-après la « décision attaquée »). À cette date, le président de l’UKE a adopté six décisions analogues à l’égard de six autres opérateurs de télécommunications.

16. La décision attaquée indique que son fondement juridique est, notamment, l’article 18, paragraphe 3, de la loi relative au soutien au développement, lu en combinaison avec son article 17. Elle définit les conditions d’accès aux infrastructures physiques de TOYA s’agissant des canalisations de câbles (annexe 1) et des canalisations de télécommunications d’immeuble (annexe 2). Elle impose à TOYA de se tenir prête à conclure des contrats-cadres et des contrats particuliers, et à accepter les
demandes d’accès à l’infrastructure physique conformément aux conditions d’accès précitées.

17. La décision attaquée précise que le recours à l’article 17, paragraphe 1, de la loi relative au soutien au développement comme fondement juridique est justifié pour garantir aux entreprises de télécommunications l’accès à l’infrastructure physique, ce qui inclut le partage de cette infrastructure, afin de mettre en place un réseau de télécommunications à haut débit. Sous l’intitulé relatif aux objectifs réglementaires, la décision attaquée indique que le président de l’UKE a tenu compte d’un
certain nombre de documents stratégiques, dont la stratégie numérique mentionnée au point 34 des présentes conclusions et les objectifs définis par la directive 2014/61, notamment ceux énoncés aux considérants 4 à 9 de celle-ci. La décision attaquée précise également qu’elle contribuera à l’harmonisation des délais, des procédures et des taux du marché, liés à la mise à disposition de ces canalisations de câbles.

18. La décision attaquée fait état d’une objection soulevée par la PIKE ( 10 ), selon laquelle il y a eu une violation du principe de proportionnalité à l’égard des entités détenant une faible part de marché, pour lesquelles des problèmes de marché n’avaient pas été identifiés. En réponse, la décision attaquée a précisé que la procédure devant le président de l’UKE portait sur la résolution des litiges relatifs à l’accès aux canalisations de câbles. S’agissant des conditions dans lesquelles le
président de l’UKE est habilité à adopter des décisions fixant les conditions d’accès à l’infrastructure physique, la loi relative au soutien au développement ne se réfère ni à l’importance de l’infrastructure détenue ni au nombre de litiges.

19. La décision attaquée fait également référence aux exigences de l’article 22, paragraphes 1 et 2, de la loi relative au soutien au développement, selon lesquelles le président de l’UKE rend une décision en ce qui concerne l’accès à l’infrastructure physique, en tenant compte de la nécessité d’assurer le caractère non discriminatoire et proportionné de l’accès, et de fixer des redevances à un niveau permettant à une entreprise de télécommunications de récupérer les coûts occasionnés par la
fourniture d’un tel accès. Cela inclut la prise en compte des objectifs visés à l’article 8 de la directive-cadre.

20. TOYA a formé un recours contre la décision attaquée devant le Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie). TOYA considère que, en vertu de l’article 3, paragraphes 2 et 5, et de l’article 1er, paragraphe 4, de la directive 2014/61 ainsi que du considérant 12 de celle-ci, lu en combinaison avec l’article 8, paragraphes 2 et 3, de la directive « accès » et l’article 8, paragraphe 5, sous f), de la directive-cadre, une autorité réglementaire nationale peut exiger la publication d’une
offre de référence au sens de l’article 9 de la directive « accès » uniquement des opérateurs de télécommunications disposant d’une PSM. La décision attaquée serait contraire au droit de l’Union au motif qu’il n’y aurait pas eu d’analyse de marché visant à établir que TOYA dispose d’une PSM et qu’il n’y aurait pas non plus de litige portant sur l’accès à l’infrastructure physique au sens de l’article 3, paragraphe 5, de la directive 2014/61.

21. La juridiction de renvoi nourrit des doutes quant à la compatibilité avec le droit de l’Union des dispositions du droit national sur lesquelles se fonde la décision attaquée et, en particulier, concernant l’interprétation de la directive 2014/61 à la lumière de la directive « accès ». En outre, étant donné que cette directive et la directive-cadre ont été abrogées et remplacées par la directive (UE) 2018/1972 établissant le code des communications électroniques européen ( 11 ), la juridiction de
renvoi s’interroge sur la question de savoir quelles sont les directives de l’Union applicables. Elle a donc décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 8, paragraphe 3, de la [directive “accès”], lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 5, et avec l’article 1er, paragraphes 3 et 4, de la [directive 2014/61], doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que l’autorité réglementaire nationale puisse imposer à un opérateur, disposant d’une infrastructure physique et étant également fournisseur de services ou de réseaux de communications électroniques accessibles au public, qui n’a pas été désigné comme un opérateur
disposant d’une [PSM], l’obligation d’appliquer les conditions, telles que déterminées ex ante par ladite autorité, qui régissent les modalités d’accès à l’infrastructure physique de cet opérateur, y compris les règles et les procédures de conclusion des contrats ainsi que la tarification appliquée pour l’accès, indépendamment de l’existence d’un litige relatif à l’accès à l’infrastructure physique de cet opérateur et d’une concurrence effective sur le marché ?

Alternativement (seconde option) :

2) L’article 67, paragraphes 1 et 3, lu en combinaison avec l’article 68, paragraphes 2 et 3, de la [directive 2018/1972] ainsi qu’avec l’article 3, paragraphe 5, et avec l’article 1er, paragraphes 3 et 4, de la [directive 2014/61], doit-il être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce que l’autorité réglementaire nationale puisse imposer à un opérateur, disposant d’une infrastructure physique et étant également fournisseur de services ou de réseaux de communications électroniques accessibles
au public, qui n’a pas été désigné comme un opérateur disposant d’une [PSM], l’obligation d’appliquer les conditions, telles que déterminées ex ante par ladite autorité, qui régissent les modalités d’accès à l’infrastructure physique de cet opérateur, y compris les règles et les procédures de conclusion des contrats ainsi que la tarification appliquée pour l’accès, indépendamment de l’existence d’un litige relatif à l’accès à l’infrastructure physique de cet opérateur et d’une concurrence
effective sur le marché ? »

22. TOYA, le président de l’UKE, les gouvernements polonais et hellénique, ainsi que la Commission européenne, ont déposé des observations écrites.

IV. Analyse juridique

A.   Sur la portée du renvoi

23. À titre liminaire, je formulerai trois observations sur la portée du renvoi. Premièrement, la juridiction de renvoi nourrit des doutes quant à l’application ratione temporis des directives de l’Union.

24. La décision attaquée a été adoptée le 11 septembre 2018. Ainsi que le relèvent la juridiction de renvoi et TOYA, elle a continué à produire des effets après que l’article 125 de la directive 2018/1972 a abrogé, le 21 décembre 2020, la directive-cadre ainsi que la directive « accès ».

25. La directive-cadre et la directive « accès » étaient en vigueur au moment de l’adoption de la décision attaquée. Elles sont dès lors pertinentes pour apprécier la compatibilité avec le droit de l’Union des dispositions de droit national sur lesquelles cette décision est fondée. La directive 2018/1972 demeure en vigueur à la date des présentes conclusions et il n’existe aucun doute quant à son applicabilité.

26. Il s’ensuit qu’il y a lieu, pour la Cour, de répondre à la première question posée par la juridiction de renvoi et non à la seconde.

27. Deuxièmement, les observations déposées par TOYA, le président de l’UKE et le gouvernement polonais comportent des analyses détaillées de la décision attaquée et de son fondement juridique ( 12 ). Toutefois, ainsi que TOYA le reconnaît elle-même, dans le cadre de la procédure visée à l’article 267 TFUE, fondée sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, le juge national est seul compétent pour constater et apprécier les faits du litige au principal ainsi
que pour interpréter et appliquer le droit national ( 13 ). Il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur la nature ou les caractéristiques d’une décision nationale ni sur le fondement sur lequel elle repose en droit national.

28. Troisièmement, dans ses observations, la Commission explique que les pouvoirs que détient une autorité réglementaire nationale pour imposer des conditions ex ante sur la base de la directive 2014/61 sont soumis au respect de certains principes et de certaines exigences procédurales découlant de cette directive, de la directive-cadre, de la directive « accès » et de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il ne ressort pas de la décision de renvoi que la juridiction de renvoi
demande à la Cour d’éclaircir cette problématique. En outre, aucune des autres parties ne l’a abordée dans ses observations. Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu pour la Cour de se prononcer à cet égard.

B.   Sur la première question

29. Comme l’indique l’introduction, la première question semble être constituée de deux éléments. Premièrement, lue en combinaison avec la directive « accès », la directive 2014/61 s’oppose-t-elle à ce qu’une autorité réglementaire nationale impose des conditions d’accès à un fournisseur de réseaux de communications électroniques ne disposant pas d’une PSM ? Deuxièmement, la directive 2014/61 s’oppose-t-elle à ce qu’une autorité réglementaire nationale impose de telles conditions en l’absence de
litige portant sur l’accès à l’infrastructure physique ?

30. TOYA estime que ces deux éléments appellent une réponse affirmative ( 14 ). Le président de l’UKE, les gouvernements hellénique et polonais ainsi que la Commission sont en désaccord, mais pour des motifs différents. Le gouvernement hellénique et la Commission se fondent sur une interprétation textuelle et contextuelle des directives pertinentes. Le président de l’UKE et le gouvernement polonais concentrent leurs observations sur la nature de la décision attaquée et le fondement juridique sur
lequel elle repose. Ils entendent se prévaloir de la disposition d’harmonisation minimale figurant à l’article 1er, paragraphe 3, de la directive 2014/61, pour justifier la légalité des mesures imposées à TOYA en vertu du droit national ( 15 ).

31. Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, il y a lieu, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de cette disposition, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie ( 16 ). En l’espèce, je propose d’examiner d’abord les objectifs et le contexte des trois directives en cause avant d’analyser le texte de la directive 2014/61.

1. Les objectifs et le contexte des directives pertinentes

32. En 2002, un grand nombre de directives et de directives modificatives ont été consolidées en vue de promouvoir le développement de marchés concurrentiels dans le domaine des télécommunications. La directive-cadre prévoyait que les autorités réglementaires nationales définiraient les marchés pertinents selon les principes du droit de la concurrence et identifieraient les opérateurs disposant d’une PSM auxquels certaines obligations pourraient être imposées afin de favoriser le développement de
tels marchés concurrentiels. Quatre directives spécifiques ont été adoptées, notamment la directive « accès » qui réglemente l’accès aux réseaux de télécommunications ainsi que leur interconnexion. La législation adoptée en 2009 a souligné la nécessité d’encourager les investissements, l’innovation et les réseaux de nouvelle génération, sans modifier les objectifs et principes réglementaires contenus dans le paquet de directives adopté en 2002 ( 17 ).

33. L’un des principaux objectifs des paquets législatifs de 2002 et de 2009 était d’améliorer la concurrence en facilitant, pour les autorités réglementaires nationales, l’imposition d’obligations aux opérateurs disposant d’une PSM. Néanmoins, la directive‑cadre et la directive « accès » envisageaient également la possibilité que les autorités réglementaires nationales puissent imposer des obligations aux opérateurs ne disposant pas d’une PSM. Le considérant 23 de la directive-cadre fait référence
au partage de ressources pour ses effets bénéfiques en matière d’urbanisme, de santé publique ou d’environnement, si possible sur la base d’accords volontaires. L’article 12 de la directive-cadre, telle que modifiée par la directive 2009/140/CE ( 18 ), est intitulé « Colocalisation et partage des éléments de réseaux et des ressources associées pour les fournisseurs de réseaux de communications électroniques ». Il permettait aux autorités réglementaires nationales d’imposer l’obligation de
partager des ressources ou de prendre des mesures visant à coordonner les travaux publics, selon des modalités objectives, transparentes et non discriminatoires, dans certaines circonstances et sous certaines conditions. Le recours à l’article 12 de la directive-cadre n’exigeait pas de l’autorité réglementaire nationale la constatation préalable qu’un opérateur de télécommunications disposait d’une PSM ( 19 ). L’article 5, paragraphe 1, de la directive « accès » permettait aux autorités
réglementaires nationales d’encourager et d’assurer un accès et une interconnexion adéquats sous certaines conditions, sans préjudice des mesures qui pourraient être prises à l’égard d’entreprises disposant d’une PSM ( 20 ).

34. En mai 2010, la Commission a publié la stratégie numérique pour l’Europe (ci‑après la « stratégie numérique ») dans le but de procurer des avantages économiques et sociaux durables grâce à un marché unique numérique fondé sur la disponibilité de l’internet rapide et ultrarapide ( 21 ). Elle a considéré que, sans intervention, le résultat obtenu risquait de ne pas être optimal, c’est-à-dire que les réseaux à haut débit resteraient concentrés dans quelques zones à forte densité de population, ce
qui entraînerait des coûts d’accès au marché importants et des tarifs d’utilisation élevés. Cela s’est traduit par l’adoption de deux initiatives qui sont pertinentes dans le cadre du présent renvoi préjudiciel.

35. Premièrement, en septembre 2010, la Commission a publié la recommandation 2010/572/UE ( 22 ) sur l’accès réglementé aux réseaux d’accès de nouvelle génération (NGA). Cette recommandation s’applique d’emblée aux mesures correctrices qui doivent être imposées aux opérateurs considérés comme disposant d’une PSM à l’issue d’une procédure d’analyse de marché appliquée conformément à l’article 16 de la directive-cadre. Toutefois, lorsque la duplication de l’infrastructure serait économiquement
inefficace ou physiquement irréalisable, les États membres pourraient aussi, conformément à l’article 12 de cette directive, imposer aux entreprises exploitant un réseau de communications électroniques des obligations relatives au partage de ressources qui permettraient d’éliminer les goulets d’étranglement dans l’infrastructure de génie civil et les segments terminaux.

36. Indépendamment de cela, la stratégie numérique proposait que les autorités compétentes veillent à ce que les travaux de génie civil, publics et privés, prévoient systématiquement des réseaux à haut débit et le câblage des bâtiments, à régler les questions relatives aux droits de passage, et à faire un relevé des infrastructures passives disponibles et adaptées au câblage ( 23 ). Cette initiative a finalement conduit à l’adoption de la directive 2014/61, qui vise à faciliter et à encourager le
déploiement des réseaux de communications électroniques à haut débit en promouvant l’utilisation conjointe des infrastructures physiques existantes et en permettant un déploiement plus efficace de nouvelles infrastructures physiques afin de réduire les coûts liés à la mise en place de ces réseaux ( 24 ).

2. Le texte de la directive 2014/61

37. Le texte de la directive 2014/61 indique clairement que son application n’est pas limitée aux situations dans lesquelles les opérateurs sont désignés comme disposant d’une PSM ou lorsque les marchés ne sont pas effectivement concurrentiels. Les articles 3 et 4 de la directive 2014/61 sont consacrés à l’accès aux infrastructures physiques existantes et à la transparence en ce qui concerne ces dernières. Les opérateurs de réseau en matière d’énergie, d’eau, de transport et autres, ainsi que les
fournisseurs de réseau de communications public, ont le droit d’offrir un accès à l’infrastructure physique. Il existe une obligation, qui incombe aux opérateurs de réseaux de manière générale et non pas seulement à ceux désignés comme disposant d’une PSM, de faire droit à toute demande raisonnable d’accès à leurs infrastructures physiques selon des modalités et des conditions équitables et raisonnables, y compris au niveau du prix, en vue du déploiement d’éléments de réseaux de communications
électroniques à haut débit ( 25 ). Si l’accès est refusé ou si aucun accord n’a été trouvé sur les modalités et conditions spécifiques, les États membres veillent à ce que chaque partie soit habilitée à porter l’affaire devant l’organisme national compétent en matière de règlement des litiges ( 26 ). Cet organisme doit alors rendre une décision contraignante afin de résoudre le litige en fixant des modalités et des conditions équitables et raisonnables de cet accès, dont, le cas échéant, le
prix ( 27 ).

38. Conformément au considérant 12 de la directive 2014/61, lorsque des mesures réglementaires plus spécifiques sont applicables (lex specialis), celles-ci devraient prévaloir sur les droits et obligations minimaux prévus par ladite directive (lex generalis). Il est ainsi précisé que la directive 2014/61 doit s’entendre sans préjudice du cadre réglementaire fixé dans la directive-cadre et dans la directive « accès ». Le considérant 17 de la directive 2014/61 indique que les obligations relatives à
l’accès aux infrastructures imposées à des entreprises désignées comme disposant d’une PSM sont déjà couvertes par des obligations réglementaires spécifiques auxquelles ladite directive ne porte pas atteinte. Le considérant 31 renvoie à la possibilité que les États membres aient déjà adopté, sur la base de l’article 12 de la directive-cadre, des mesures relatives à la colocalisation et au partage des éléments de réseau et des ressources associées pour les fournisseurs de réseaux de
communications électroniques ( 28 ).

39. Il résulte de ce qui précède que l’objectif de la directive 2014/61 est d’assurer la disponibilité des réseaux de communications électroniques à haut débit, qui sont considérés comme étant l’infrastructure numérique de la société de demain. La directive 2014/61 s’applique de manière transsectorielle et a recours à des mécanismes de régulation tels que la transparence, le contrôle administratif et la résolution des litiges, à d’autres fins que la facilitation de la concurrence en tant que telle.
Elle établit un droit de demander et d’obtenir l’accès à l’infrastructure physique qui est plus large que celui existant à l’égard des opérateurs désignés comme disposant d’une PSM conformément à la directive-cadre et à la directive « accès ». Dès lors que la directive-cadre et la directive « accès » envisagent également la possibilité d’imposer des obligations d’accès aux fournisseurs qui ne sont pas désignés comme disposant d’une PSM, il n’existe ni conflit ni contradiction entre ces
directives et la directive 2014/61.

40. La directive « accès » ne s’oppose donc pas à ce qu’une autorité réglementaire nationale impose des conditions d’accès à l’infrastructure physique aux opérateurs qui ne sont pas désignés comme disposant d’une PSM. En d’autres termes, les autorités réglementaires nationales peuvent imposer des conditions au titre de la directive 2014/61, en l’absence de constatation que le marché pertinent n’est pas effectivement concurrentiel.

41. En ce qui concerne le second élément de la première question, autrement dit la question de savoir si la directive 2014/61 s’oppose à ce qu’une autorité réglementaire nationale impose des conditions en l’absence de litige concernant l’accès à l’infrastructure physique, il est pertinent de noter que, conformément à son article 1er, paragraphe 2, ladite directive établit des exigences minimales. L’article 1er, paragraphe 3, de la directive 2014/61 prévoit que les États membres peuvent maintenir ou
introduire des mesures conformes au droit de l’Union qui vont au-delà des exigences minimales établies par ladite directive en vue de mieux atteindre les objectifs visant à faciliter et encourager le déploiement de réseaux de communications électroniques à haut débit en promouvant l’utilisation conjointe des infrastructures physiques existantes et en permettant un déploiement plus efficace de nouvelles infrastructures physiques afin de réduire les coûts liés à la mise en place de ces réseaux (
29 ).

42. Si la directive 2014/61 prévoit ainsi que ses objectifs seront atteints en réglant les litiges relatifs aux modalités et conditions d’accès, y compris le prix, ex post, c’est-à-dire après la survenance de tels litiges, des mesures nationales adoptées en vue de mieux atteindre ces objectifs, mais allant au-delà de celles prévues par la directive 2014/61, sont autorisées ( 30 ).

43. La Commission considère que l’approche ex ante envisagée par la réglementation nationale vise à faciliter la suppression d’obstacles majeurs à l’accès à l’infrastructure physique. La Commission et le gouvernement polonais soulignent que les approches ex ante et ex post visent toutes deux à atteindre plus facilement les objectifs de la directive 2014/61. Dans ce contexte, il est intéressant d’observer que, selon le rapport de synthèse de la consultation publique sur l’évaluation et la révision de
la directive 2014/61, une majorité de personnes interrogées sont d’avis que les difficultés pour convenir des modalités et des conditions d’accès avec les propriétaires de l’infrastructure physique ainsi que la lenteur ou l’inefficacité de la procédure de règlement des litiges (l’approche ex post) rendent le déploiement des réseaux plus onéreux et/ou plus long. Il n’est dès lors pas déraisonnable de considérer que l’approche ex ante, apparemment facilitée par la législation polonaise pertinente,
peut présenter certains avantages par rapport à l’approche ex post décrite dans la directive 2014/61 pour aider à la réalisation des objectifs visés.

44. Selon moi, si la juridiction de renvoi devait considérer que l’approche ex ante envisagée par la réglementation nationale partage les mêmes objectifs que l’approche ex post contenue dans la directive 2014/61, cette réglementation nationale serait en principe compatible avec ladite directive.

V. Conclusion

45. Je propose donc à la Cour de répondre à la question posée par le Sąd Okręgowy w Warszawie (tribunal régional de Varsovie, Pologne) en ces termes :

L’article 8, paragraphe 3, de la directive 2002/19/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à l’accès aux réseaux de communications électroniques et aux ressources associées, ainsi qu’à leur interconnexion (directive « accès »), lu en combinaison avec l’article 3, paragraphe 5, et avec l’article 1er, paragraphes 3 et 4, de la directive 2014/61/UE du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, relative à des mesures visant à réduire le coût du déploiement de réseaux
de communications électroniques à haut débit, ne s’oppose pas à ce qu’une autorité réglementaire nationale puisse imposer à un opérateur disposant d’une infrastructure physique et étant également fournisseur de services ou de réseaux de communications électroniques accessibles au public, qui n’a pas été désigné comme un opérateur disposant d’une puissance significative sur le marché, l’obligation d’appliquer les conditions, telles que déterminées ex ante par ladite autorité, qui régissent les
modalités d’accès à l’infrastructure physique de cet opérateur, y compris les règles et les procédures de conclusion des contrats ainsi que la tarification appliquée pour l’accès, indépendamment de l’existence d’un litige relatif à l’accès à l’infrastructure physique de cet opérateur et d’une concurrence effective sur le marché.

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( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 (JO 2014, L 155, p. 1).

( 3 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 (JO 2002, L 108, p. 33), telle que modifiée (ci-après la « directive-cadre »).

( 4 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 (JO 2002, L 108, p. 7), telle que modifiée (ci-après la « directive “accès” »).

( 5 ) Article 9, paragraphes 2 et 4, de la directive « accès ».

( 6 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 relative à l’autorisation de réseaux et de services de communications électroniques (directive « autorisation ») (JO 2002, L 108, p. 21).

( 7 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 7 mars 2002 concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques (directive « service universel ») (JO 2002, L 108, p. 51).

( 8 ) Directive de la Commission du 16 septembre 2002 relative à la concurrence dans les marchés des réseaux et des services de communications électroniques (JO 2002, L 249, p. 21).

( 9 ) Défini au point 15 des présentes conclusions.

( 10 ) La Polska Izba Komunikacji Elektronicznej w Warszawie (PIKE) (Chambre polonaise des communications électroniques de Varsovie, Pologne) (ci-après la « PIKE ») a présenté des observations dans la procédure devant le président de l’UKE et intervient à l’appui de TOYA dans la procédure devant la juridiction de renvoi. La Polska Izba Informatyki i Telekomunikacji w Warszawie (PIIT) (Chambre polonaise des technologies de l’information et des télécommunications de Varsovie, Pologne) (ci-après la
« PIIT ») a également formé un recours contre la décision attaquée. Même si la juridiction de renvoi a joint les deux recours, les moyens invoqués par la PIIT ne sont pas pertinents dans le cadre du présent renvoi.

( 11 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 (JO 2018, L 321, p. 36).

( 12 ) TOYA considère que la décision attaquée présente toutes les caractéristiques d’une décision adressée à un opérateur disposant d’une PSM, mais qu’elle ne présente pas celles d’une décision relative au règlement d’un litige concernant l’accès, visé à l’article 3 de la directive 2014/61. Le gouvernement polonais et le président de l’UKE sont en désaccord. Ils soulignent le fait que la directive « accès » et la directive-cadre, d’une part, et la directive 2014/61, d’autre part, ont été
transposées en droit polonais au moyen de deux lois différentes, à savoir, l’Ustawa r. prawo telekomunikacyjne (loi sur les télécommunications), du 16 juillet 2004, et la loi relative au soutien au développement. Il existe, en droit polonais, des différences significatives entre les offres de référence publiées par les opérateurs disposant d’une PSM en application de l’article 42 de la loi sur les télécommunications du 16 juillet 2004 et les décisions relatives à l’accès à l’infrastructure physique
au sens des articles 17 et 18 de la loi relative au soutien au développement. Ils estiment que la décision attaquée a été prise dans l’exercice des pouvoirs conférés au président de l’UKE par les articles 17 et 18 de la loi relative au soutien au développement, dont les dispositions mettent en œuvre la directive 2014/61.

( 13 ) Arrêt du 9 juillet 2020, Raiffeisen Bank et BRD Groupe Société Générale (C‑698/18 et C‑699/18, EU:C:2020:537, point 46).

( 14 ) Voir point 20 des présentes conclusions.

( 15 ) Voir point 23 des présentes conclusions.

( 16 ) Arrêt du 17 septembre 2015, KPN (C‑85/14, EU:C:2015:610, point 33 et jurisprudence citée).

( 17 ) Voir, à titre d’exemple, Savin, A., EU Telecommunications Law, Elgar European Law Series, 2018, chapitres 1 et 2.

( 18 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2009 (JO 2009, L 337, p. 37).

( 19 ) L’article 8, paragraphe 3, de la directive « accès » indique que l’exigence consistant à imposer les obligations visées aux article 9 à 13 de ladite directive uniquement aux opérateurs désignés comme disposant d’une PSM est sans préjudice de l’article 12 de la directive-cadre.

( 20 ) L’article 8, paragraphe 3, de la directive « accès », qui prévoit que l’exigence consistant à imposer les obligations visées aux article 9 à 13 de cette directive uniquement aux opérateurs de télécommunications désignés comme disposant d’une PSM, est également sans préjudice de l’article 5, paragraphe 1, de ladite directive. Voir arrêts du 12 novembre 2009, TeliaSonera Finland (C‑192/08, EU:C:2009:696), et du 17 septembre 2015, KPN (C‑85/14, EU:C:2015:610).

( 21 ) Communication de la Commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Une stratégie numérique pour l’Europe, 19 mai 2010 [COM(2010) 245 final].

( 22 ) JO 2010, L 251, p. 35.

( 23 ) Voir section 2.4.1 de la stratégie numérique ; point 9 des actions prioritaires exposées dans l’Acte pour le marché unique II, « Ensemble pour une nouvelle croissance », publié par la Commission en octobre 2012, et considérants 1 à 10 de la directive 2014/61.

( 24 ) Article 1er, paragraphe 1, de la directive 2014/61.

( 25 ) Article 3, paragraphe 2, de la directive 2014/61.

( 26 ) Article 3, paragraphe 4, de la directive 2014/61.

( 27 ) Article 3, paragraphe 5, de la directive 2014/61.

( 28 ) Voir point 33 des présentes conclusions. L’examen du texte de la directive 2014/61 dans un certain nombre d’autres versions linguistiques, telles que les versions en langues espagnole, française, italienne, néerlandaise, polonaise et portugaise, mène à la même conclusion.

( 29 ) Voir, dans le même sens, considérant 11 de la directive 2014/61.

( 30 ) Article 3, paragraphes 2 à 5, de la directive 2014/61.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-243/21
Date de la décision : 09/06/2022
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Sąd Okręgowy w Warszawie.

Renvoi préjudiciel – Télécommunications – Directive 2002/19/CE (directive “accès”) – Article 8, paragraphe 3 – Directive 2014/61/UE – Article 1er, paragraphes 3 et 4, et article 3, paragraphe 5 – Pouvoir de l’autorité réglementaire nationale d’imposer des conditions réglementaires ex ante relatives à l’accès à l’infrastructure physique d’un opérateur de réseau ne disposant pas d’une puissance significative sur le marché – Absence de litige relatif à l’accès.

Télécommunications

Agriculture et Pêche

Rapprochement des législations

Santé publique


Parties
Demandeurs : TOYA sp. z o.o. et Polska Izba Informatyki i Telekomunikacji
Défendeurs : Prezes Urzędu Komunikacji Elektronicznej.

Composition du Tribunal
Avocat général : Collins

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:455

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