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02/06/2022 | CJUE | N°C-245/21

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. P. Pikamäe, présentées le 2 juin 2022., Bundesrepublik Deutschland contre MA e.a., 02/06/2022, C-245/21


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 2 juin 2022 (1)

Affaires jointes C‑245/21 et C‑248/21

Bundesrepublik Deutschland vertreten durch Bundesministerium des Innern, für Bau und Heimat

contre

MA,

PB (C‑245/21)

et

LE (C‑248/21)

[demandes de décision préjudicielle formées par le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Règlement (UE) nº 604/2013 – Détermination de l’État memb

re responsable de l’examen d’une demande de protection internationale – Transfert de l’intéressé vers l’État membre responsable de l’examen de sa demande...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 2 juin 2022 (1)

Affaires jointes C‑245/21 et C‑248/21

Bundesrepublik Deutschland vertreten durch Bundesministerium des Innern, für Bau und Heimat

contre

MA,

PB (C‑245/21)

et

LE (C‑248/21)

[demandes de décision préjudicielle formées par le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Règlement (UE) nº 604/2013 – Détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale – Transfert de l’intéressé vers l’État membre responsable de l’examen de sa demande – Articles 27 et 29 – Suspension du transfert à cause de la pandémie de COVID-19 – Lien avec la protection juridictionnelle – Conséquences sur le délai de transfert »

I.      Introduction

1.        Les demandes de décision préjudicielle déférées par le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne) au titre de l’article 267 TFUE ont pour objet l’interprétation de l’article 27, paragraphe 4, et de l’article 29, paragraphe 1, du règlement (UE) nº 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un
des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (2).

2.        Ces demandes de décision préjudicielle ont été présentées dans le cadre de litiges opposant trois ressortissants de pays tiers à la République fédérale d’Allemagne, au sujet de décisions adoptées par le Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Office fédéral de la migration et des réfugiés, Allemagne, ci-après l’« Office ») qui a déclaré irrecevables leurs demandes d’asile à la suite du constat de l’absence de motifs s’opposant à leur éloignement, ordonné leur reconduite vers l’Italie et
prononcé à leur encontre des interdictions d’entrée et de séjour. Les décisions de transfert en Italie, État membre considéré par les autorités allemandes comme responsable de l’examen de ces demandes d’asile, conformément au règlement Dublin III, ont été suspendues par l’Office lui-même, en se fondant sur l’impossibilité matérielle d’exécuter lesdites décisions en raison de la pandémie de COVID‑19.

3.        Les présentes affaires offrent à la Cour l’occasion de se prononcer sur les conséquences juridiques d’une décision de suspension de transfert prise par les autorités administratives de l’État membre requérant face aux défis que pose la pandémie en tant que phénomène ayant perturbé sensiblement le bon fonctionnement du régime d’asile européen commun. Plus concrètement, la Cour devra se prononcer sur la question de savoir si une telle décision de suspension a pour effet d’interrompre le
cours du délai de transfert ou, dans le cas où le transfert n’est pas exécuté dans ce délai, si l’État membre responsable de l’examen des demandes de protection internationale est libéré de son obligation de prendre en charge la personne concernée, la responsabilité d’examiner la demande d’asile de celle-ci étant alors transférée à l’État membre requérant. Sous cet angle, et dans la mesure où la pandémie perdure, les présentes affaires revêtent une grande importance pour la gestion du régime d’asile
européen commun.

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

4.        Le règlement Dublin III établit les critères et les mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride. Les considérants 4, 5 et 19 du règlement énoncent ce qui suit à cet égard :

« (4)      Les conclusions [du Conseil européen, lors de sa réunion spéciale] de Tampere [les 15 et 16 octobre 1999,] ont également précisé que le [régime d’asile européen commun] devrait comporter à court terme une méthode claire et opérationnelle pour déterminer l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile.

(5)      Une telle méthode devrait être fondée sur des critères objectifs et équitables tant pour les États membres que pour les personnes concernées. Elle devrait, en particulier, permettre une détermination rapide de l’État membre responsable afin de garantir un accès effectif aux procédures d’octroi d’une protection internationale et ne pas compromettre l’objectif de célérité dans le traitement des demandes de protection internationale.

[...]

(19)      Afin de garantir une protection efficace des droits des personnes concernées, il y a lieu d’instaurer des garanties juridiques et le droit à un recours effectif à l’égard de décisions de transfert vers l’État membre responsable conformément, notamment, à l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Afin de garantir le respect du droit international, un recours effectif contre de telles décisions devrait porter à la fois sur l’examen de l’application du présent
règlement et sur l’examen de la situation en fait et en droit dans l’État membre vers lequel le demandeur est transféré. »

5.        L’article 27, paragraphes 3 et 4, de ce règlement dispose :

« 3.      Aux fins des recours contre des décisions de transfert ou des demandes de révision de ces décisions, les États membres prévoient les dispositions suivantes dans leur droit national :

a)      le recours ou la révision confère à la personne concernée le droit de rester dans l’État membre concerné en attendant l’issue de son recours ou de sa demande de révision ; ou

b)      le transfert est automatiquement suspendu et une telle suspension expire au terme d’un délai raisonnable, pendant lequel une juridiction, après un examen attentif et rigoureux de la requête, aura décidé s’il y a lieu d’accorder un effet suspensif à un recours ou une demande de révision ; ou

c)      la personne concernée a la possibilité de demander dans un délai raisonnable à une juridiction de suspendre l’exécution de la décision de transfert en attendant l’issue de son recours ou de sa demande de révision. Les États membres veillent à ce qu’il existe un recours effectif, le transfert étant suspendu jusqu’à ce qu’il ait été statué sur la première demande de suspension. La décision de suspendre ou non l’exécution de la décision de transfert est prise dans un délai raisonnable, en
ménageant la possibilité d’un examen attentif et rigoureux de la demande de suspension. La décision de ne pas suspendre l’exécution de la décision de transfert doit être motivée.

4.      Les États membres peuvent prévoir que les autorités compétentes peuvent décider d’office de suspendre l’exécution de la décision de transfert en attendant l’issue du recours ou de la demande de révision. »

6.        L’article 28, paragraphe 3, troisième alinéa, dudit règlement prévoit :

« Lorsqu’une personne est placée en rétention en vertu du présent article, son transfert de l’État membre requérant vers l’État membre responsable est effectué dès qu’il est matériellement possible et au plus tard dans un délai de six semaines à compter de l’acceptation implicite ou explicite par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou à compter du moment où le recours ou la révision n’a plus d’effet suspensif conformément à
l’article 27, paragraphe 3. »

7.        L’article 29, paragraphes 1 et 2, du même règlement est libellé comme suit :

« 1.      Le transfert du demandeur [...] de l’État membre requérant vers l’État membre responsable s’effectue [...] dès qu’il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l’acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l’effet suspensif est accordé conformément à l’article 27, paragraphe 3.

[...]

2.      Si le transfert n’est pas exécuté dans le délai de six mois, l’État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l’État membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s’il n’a pas pu être procédé au transfert en raison d’un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. »

B.      Le droit allemand

1.      La loi en matière d’asile

8.        L’article 29 de l’Asylgesetz (loi en matière d’asile) traite des demandes d’asile irrecevables. Son premier paragraphe dispose notamment :

« Une demande d’asile est irrecevable si

1.      un autre État est responsable de la mise en œuvre de la procédure d’asile

a)      en vertu du [règlement Dublin III] ou

b)      sur le fondement d’autres dispositions du droit de l’Union européenne ou d’un traité international,

[...] »

9.        L’article 34bis de la loi en matière d’asile, intitulé « Ordre d’éloignement », est libellé comme suit (extraits) :

« (1)      Si le ressortissant étranger doit être éloigné vers un État tiers sûr (article 26bis) ou vers un État responsable de la mise en œuvre de la procédure d’asile (article 29, paragraphe 1, point 1), l’[Office] ordonne l’éloignement vers cet État dès qu’il est établi qu’il peut y être procédé. [...] L’ordre d’éloignement ne suppose ni avertissement préalable ni délai. Si un ordre d’éloignement ne peut être pris en vertu de la première ou de la deuxième phrase ci-dessus, l’Office avertit [la
personne concernée] du fait que son éloignement vers l’État concerné est imminent.

(2)      Les demandes fondées sur l’article 80, paragraphe 5, du [Verwaltungsgerichtsordnung (code de justice administrative)], dirigées contre l’ordre d’éloignement, doivent être présentées dans le délai d’une semaine à compter de la notification. En cas de demande présentée dans ce délai, aucun éloignement n’est autorisé avant que le tribunal ait statué. »

2.      Le code de justice administrative

10.      L’article 80, paragraphes 4 et 5, du code de justice administrative énonce :

« (4)      L’autorité qui est l’auteur de l’acte administratif ou l’autorité qui doit se prononcer sur l’opposition peut suspendre l’exécution de l’acte dans les cas visés au paragraphe 2, sauf disposition contraire du droit fédéral. [...]

(5)      Sur requête, la juridiction saisie du fond du litige peut ordonner l’effet suspensif total ou partiel […] »

III. Les faits à l’origine des litiges au principal, les procédures au principal et les questions préjudicielles

A.      L’affaire C‑245/21

11.      MA et PB ont introduit, en novembre 2019, des demandes d’asile en Allemagne. Une recherche dans le système Eurodac ayant fait apparaître qu’ils étaient entrés irrégulièrement sur le territoire italien et qu’ils avaient été enregistrés en tant que demandeurs de protection internationale dans cet État membre, l’Office a demandé, le 19 novembre 2019, aux autorités italiennes de prendre en charge MA et PB sur la base du règlement Dublin III. Les autorités italiennes n’ont pas répondu à cette
requête aux fins de prise en charge.

12.      Par décision du 22 janvier 2020, l’Office a rejeté comme irrecevables les demandes d’asile de MA et PB, constaté l’absence de motifs s’opposant à leur éloignement, ordonné leur reconduite vers l’Italie et prononcé à leur encontre une interdiction d’entrée et de séjour.

13.      MA et PB ont introduit, le 1^er février 2020, un recours contre cette décision de l’Office devant le tribunal administratif compétent. PB a, en outre, assorti ce recours d’une demande de suspension de l’exécution de la décision de transfert. Cette demande a été rejetée le 11 février 2020.

14.      Par lettre du 8 avril 2020, l’Office a suspendu, jusqu’à nouvel ordre, l’exécution des ordres d’éloignement en application de l’article 80, paragraphe 4, du code de justice administrative et de l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III, au motif que, eu égard à l’évolution de la pandémie de COVID-19, l’exécution des transferts n’était pas possible.

15.      Par décision du 14 août 2020, le tribunal administratif saisi a annulé la décision de l’Office. Cette décision était fondée sur le constat que, à supposer que la République italienne ait été responsable de l’examen des demandes d’asile de MA et de PB, cette responsabilité a été transférée à la République fédérale d’Allemagne en raison de l’expiration du délai de transfert énoncé à l’article 29, paragraphe 1, du règlement Dublin III, dès lors que l’écoulement de ce délai n’avait pas été
interrompu par la décision de suspension arrêtée par l’Office le 8 avril 2020.

16.      La République fédérale d’Allemagne a introduit directement, devant le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale), un recours en Revision contre cette décision du 14 août 2020.

B.      L’affaire C‑248/21

17.      LE a introduit, en août 2019, une demande d’asile en Allemagne. Une recherche dans le système Eurodac ayant fait apparaître qu’il avait introduit, le 7 juin 2017, une demande de protection internationale en Italie, l’Office a demandé aux autorités italiennes de reprendre en charge LE sur la base du règlement Dublin III. Les autorités italiennes ont fait droit à cette requête aux fins de reprise en charge.

18.      L’Office a rejeté comme irrecevable la demande d’asile de LE, a constaté l’absence de motifs s’opposant à son éloignement, a ordonné sa reconduite vers l’Italie et a prononcé à son encontre une interdiction d’entrée et de séjour.

19.      LE a introduit, le 11 septembre 2019, un recours contre cette décision de l’Office devant le tribunal administratif compétent. Il a, en outre, assorti ce recours d’une demande de suspension de l’exécution de la décision de transfert. Cette demande a été rejetée le 1^er octobre 2019.

20.      Par lettre du 24 février 2020, les autorités italiennes ont informé les autorités allemandes que, en raison de la pandémie de COVID-19, les transferts vers et à partir de l’Italie en application du règlement Dublin III n’auraient plus lieu.

21.      Par lettre du 25 mars 2020, l’Office a suspendu, jusqu’à nouvel ordre, l’exécution de l’ordre d’éloignement en application de l’article 80, paragraphe 4, du code de justice administrative et de l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III, au motif que, eu égard à l’évolution de la pandémie de COVID-19, l’exécution du transfert n’était pas possible.

22.      Après avoir rejeté, le 4 mai 2020, une seconde demande de suspension de la décision de transfert, le tribunal administratif saisi a, par jugement du 10 juin 2020, annulé la décision de l’Office. Ce jugement était fondé sur des motifs similaires à ceux du jugement mentionné au point 15 des présentes conclusions.

23.      La République fédérale d’Allemagne a introduit directement, devant le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale), un recours en Revision contre ce jugement.

C.      Considérations communes aux deux affaires

24.      La juridiction de renvoi estime que les recours introduits devant elle devront être accueillis s’il est établi qu’une suspension de l’exécution d’un ordre d’éloignement, motivée par l’impossibilité matérielle de transfert due à la pandémie de COVID-19, relève du champ d’application de l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III et peut, en conséquence, avoir pour effet d’interrompre le délai de transfert prévu à l’article 29, paragraphe 1, de ce règlement.

25.      Elle considère que, si l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III exige que la suspension de l’exécution de la décision de transfert qu’il prévoit soit liée à l’exercice d’un recours, son application, dans une situation telle que celle en cause au principal, pourrait éventuellement être envisagée, dès lors qu’un recours contre une décision de transfert est pendant et que l’impossibilité de procéder à l’éloignement peut, en droit allemand, faire naître des doutes sur la légalité de
cette décision. Il conviendrait, toutefois, de tenir compte des objectifs de ce règlement ainsi que des intérêts respectifs des personnes concernées et de l’État membre en cause, dont l’équilibre devrait être assuré dans le contexte sanitaire actuel.

26.      Dans ces conditions, le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      Le champ d’application de l’article 27, paragraphe 4, du règlement [...] Dublin III recouvre-t-il l’hypothèse dans laquelle l’administration décide, alors qu’une procédure de recours juridictionnel est pendante, de suspendre l’exécution de la décision de transfert avec possibilité de révocation exclusivement en raison de l’impossibilité matérielle (temporaire) de procéder aux transferts du fait de la pandémie de COVID‑19 ?

2)      Dans le cas où la première question appelle une réponse affirmative, une telle décision de suspension interrompt-elle le cours du délai de transfert institué par l’article 29, paragraphe 1, du règlement Dublin III ?

3)      En cas de réponse affirmative à la deuxième question, cela vaut-il également si, antérieurement à l’apparition de la pandémie de COVID-19, un tribunal avait rejeté une requête présentée, conformément à l’article 27, paragraphe 3, sous c), du règlement Dublin III, par le demandeur de protection internationale visant à voir ordonner le sursis à l’exécution de la décision de transfert dans l’attente de l’issue du recours ? »

IV.    La procédure devant la Cour

27.      Les décisions de renvoi dans les affaires C‑245/21 et C‑248/21, datées du 26 janvier 2021, sont parvenues au greffe de la Cour, respectivement le 19 avril 2021 et le 21 avril 2021. Par décision du président de la Cour du 7 juin 2021, les présentes affaires ont été jointes aux fins des procédures écrites et orales ainsi que de l’arrêt.

28.      Par ailleurs, la juridiction de renvoi a demandé à la Cour que les présents renvois préjudiciels soient soumis à la procédure accélérée, en application de l’article 105, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour. Le 7 juin 2021, le président de la Cour a décidé, le juge rapporteur et l’avocat général entendus, de rejeter cette demande.

29.      Les gouvernements allemand et suisse ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites dans le délai imparti conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

30.      Lors de l’audience du 9 mars 2022, les mandataires ad litem de MA et PB, du gouvernement allemand ainsi que de la Commission ont présenté des observations.

V.      Analyse juridique

A.      Remarques préliminaires

1.      Les caractéristiques du régime d’asile européen commun

31.      Le droit d’asile est un élément essentiel du droit international. Reconnu pour la première fois en 1951 dans la convention relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951 (3), ce droit accorde une protection internationale aux personnes qui fuient la persécution dans leur propre pays. Au niveau de l’Union, la création d’un espace de libre circulation, aux frontières intérieures ouvertes, a encouragé l’harmonisation des procédures d’asile. Dans ses conclusions du sommet
de Tampere des 15 et 16 octobre 1999, le Conseil européen avait réaffirmé l’importance que l’Union et ses États membres attachaient au respect absolu du droit de demander l’asile. Il était convenu de travailler à la mise en place d’un régime d’asile européen commun, fondé sur l’application intégrale et globale de la convention de Genève, et d’assurer ainsi que nul ne serait renvoyé là où il risquerait à nouveau d’être persécuté, c’est-à-dire de maintenir le principe de non‑refoulement. L’article 78,
paragraphe 1, TFUE et l’article 18 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte ») attestent de cet engagement.

32.      Le régime d’asile européen commun est actuellement régi par plusieurs instruments juridiques. Le système dit « de Dublin », en raison du lieu de signature, le 15 juin 1990, de la convention relative à la détermination de l’État responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres des Communautés européennes (4), repose sur le principe qu’un seul État est compétent pour un demandeur d’asile, cette compétence devant être déterminée sur la base de critères
objectifs. À la suite du traité d’Amsterdam, le règlement (CE) n^o 343/2003 (Dublin II) (5) est entré en vigueur et a institué des délais de procédure et de transfert ainsi que le principe de protection de l’unité familiale. Le règlement Dublin III, adopté sur la base du traité de Lisbonne et en vigueur depuis le 19 juillet 2013, est venu ajouter, à la charge de l’État membre responsable de l’examen de leur demande d’asile (6), des garanties procédurales pour les personnes susceptibles de faire
l’objet d’un transfert. La célérité dans le traitement des demandes de protection internationale et la garantie du droit à un recours effectif contre les décisions de transfert sont deux principes cardinaux du système de Dublin, lesquels s’avèrent pertinents aux fins de l’appréciation des présentes affaires.

2.      La pertinence des questions préjudicielles pour la résolution des litiges au principal

33.      L’importance de la question de savoir si les autorités administratives nationales ont la faculté de suspendre l’exécution d’une décision de transfert et d’interrompre le cours du délai de transfert s’explique par les particularités des interactions entre le droit de l’Union et le droit national qu’il convient d’exposer brièvement. Conformément à l’article 29, paragraphe 1, du règlement Dublin III, la période de transfert commence à partir de l’acceptation de la demande d’admission par
l’autre État membre. Toutefois, si le demandeur forme un recours contre la décision de transfert, le délai ne commencera à courir qu’à partir de la décision définitive sur le recours, ce qui retarde le début de la période de transfert. Toutefois, la condition préalable à cela est que le recours ait un effet suspensif, conformément à l’article 27, paragraphe 3, du règlement Dublin III.

34.      En droit allemand, un recours en annulation contre un ordre d’éloignement en vertu de l’article 75, paragraphe 1, de la loi en matière d’asile n’a pas d’effet suspensif. Toutefois, les personnes concernées peuvent introduire, dans un délai d’une semaine, une demande d’effet suspensif en vertu de l’article 34bis, paragraphe 2, deuxième alinéa, première phrase, de cette loi. Si la demande de mesures provisoires n’a pas été présentée ou a été rejetée, la période de transfert commencera à
courir ; cette situation a, durant la pandémie de COVID-19, exposé les autorités administratives à des difficultés, notamment pour respecter le délai de transfert. Dans de telles circonstances, les autorités administratives allemandes ont recouru à la possibilité d’interrompre le délai en suspendant l’exécution de la décision de transfert, en application de l’article 80, paragraphe 4, du code de justice administrative. Cela soulève toutefois la question de savoir si une telle approche est compatible
avec le droit de l’Union.

35.      Les trois questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi sont intrinsèquement liées dans la mesure où il n’est nécessaire d’examiner les deuxième et troisième questions que s’il a été répondu par l’affirmative à la première. Dans l’intérêt d’une analyse structurée et compréhensible de ces questions préjudicielles, il est proposé de les examiner ensemble et de donner une réponse claire qui permette à la juridiction de trancher les litiges au principal. Ces questions portent, en
substance, sur la faculté des autorités administratives nationales de suspendre, sur le fondement de l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III, l’exécution d’une décision de transfert et d’interrompre le cours du délai de transfert institué par l’article 29, paragraphe 1, dudit règlement.

36.      L’analyse de ces questions exige de mettre en évidence, dans un premier temps, l’articulation entre les dispositions susmentionnées (7) et d’examiner, dans un second temps, si l’impossibilité matérielle de procéder à un tel transfert en raison de la pandémie de COVID-19 constitue un motif légitime permettant aux autorités nationales de recourir auxdites dispositions (8). J’examinerai de manière approfondie ce dernier point dans la mesure où il se trouve au cœur des présentes affaires, tout
en prenant en compte les circonstances particulières de chaque affaire au principal (9).

B.      Sur l’articulation entre l’article 27, paragraphe 4, et l’article 29, paragraphe 1, du règlement Dublin III

1.      Interprétation des dispositions pertinentes à la lumière de la jurisprudence

37.      La reconnaissance de la faculté pour les autorités administratives nationales de suspendre l’exécution d’une décision de transfert et, en conséquence, d’interrompre le cours du délai de transfert, impose d’analyser l’articulation qui existe entre les dispositions pertinentes.

38.      En vertu de l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III, « [l]es États membres peuvent prévoir que les autorités compétentes peuvent décider d’office de suspendre l’exécution de la décision de transfert ». L’article 29, paragraphe 1, de ce règlement, prévoit que le « transfert [...] de l’État membre requérant vers l’État membre responsable s’effectue [...] après concertation entre les États membres concernés, dès qu’il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de
six mois à compter de l’acceptation par un autre État membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l’effet suspensif est accordé conformément à l’article 27, paragraphe 3 ».

39.      Ainsi qu’il ressort d’une lecture combinée des dispositions précitées, la première difficulté pour déterminer comment celles-ci s’articulent résulte du fait que l’article 29, paragraphe 1, du règlement Dublin III renvoie au paragraphe 3, et non au paragraphe 4, de l’article 27 de ce règlement.

40.      Cependant, je ne considère pas que cette absence de référence explicite à l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III soit susceptible de faire obstacle à une interprétation selon laquelle les autorités administratives nationales devraient avoir la faculté d’interrompre le cours du délai de transfert à la suite d’une suspension de l’exécution de la décision de transfert en cause. Au contraire, il me semble qu’il existe des arguments en faveur de la thèse en vertu de laquelle
l’article 29, paragraphe 1, du règlement Dublin III doit être interprété en ce sens qu’il comprend également une suspension ordonnée par les autorités nationales sur le fondement de l’article 27, paragraphe 4, de ce règlement.

41.      Il découle de l’article 29, paragraphe 1, du règlement Dublin III que le délai d’exécution du transfert ne commence à courir que lorsque la réalisation future du transfert est, en principe, convenue et assurée et qu’il ne reste à régler que les modalités de celui-ci. Tel n’est cependant pas le cas aussi longtemps que l’exécution de la décision de transfert est suspendue, jusqu’au terme d’un recours ou d’une révision.

42.      À cet égard, il convient de noter qu’il n’y a aucune raison objective pour opérer une distinction entre une suspension de l’exécution de la décision de transfert en vertu de l’article 27, paragraphe 3, ou de l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III. Dans les deux cas, la suspension de l’exécution est liée à un recours formé contre la décision de transfert et les États membres concernés font face aux mêmes difficultés pratiques pour organiser le transfert. Par conséquent, ils
devraient, dans les deux cas, disposer du même délai de six mois qu’ils peuvent mettre pleinement à profit pour régler les modalités techniques de la réalisation du transfert.

43.      Par ailleurs, il convient d’observer que, dans le cadre de la règle applicable en matière de délai, fixée par l’article 28, paragraphe 3, troisième alinéa, du règlement Dublin III, la Cour a déjà dit pour droit que, bien que cette règle se réfère uniquement au paragraphe 3 et non au paragraphe 4 de l’article 27 de ce règlement en ce qui concerne le début du délai, celui-ci ne commence à courir qu’au moment où le recours ou la révision n’a plus d’effet suspensif et lorsque la suspension de
l’exécution de la décision de transfert n’a pas été, comme dans le cas de l’article 27, paragraphe 4, dudit règlement, spécifiquement demandée par la personne concernée (10).

44.      La Cour a également souligné la similitude des termes employés à l’article 28, paragraphe 3, troisième alinéa, et à l’article 29, paragraphe 1, premier alinéa, du même règlement. Elle a constaté à cet égard qu’une interprétation de cette disposition selon laquelle le délai pour effectuer le transfert serait décompté à partir de l’acceptation de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge, même lorsque l’autorité compétente fait usage de la faculté prévue à l’article 27,
paragraphe 4, du règlement Dublin III, priverait largement en pratique ladite disposition d’effet utile. Elle ne pourrait en effet être utilisée sans risquer de faire obstacle à la réalisation du transfert dans les délais impartis par ce règlement (11).

45.      Les considérations exposées ci-dessus m’amènent à penser que le délai visé à l’article 29, paragraphes 1 et 2, du règlement Dublin III ne peut pas commencer à courir aussi longtemps qu’une décision administrative prise conformément à l’article 27, paragraphe 4, de ce règlement suspend l’exécution de la décision de transfert dans l’attente de l’issue du recours formé par la personne concernée.

2.      Conclusion intermédiaire

46.      Il résulte de ce qui précède que les autorités administratives nationales disposent, en principe, de la faculté de suspendre l’exécution d’une décision de transfert et, en conséquence, d’interrompre le cours du délai de transfert.

C.      Sur la faculté des autorités administratives nationales de suspendre l’exécution d’une décision de transfert et, en conséquence, d’interrompre le cours du délai de transfert au motif d’une impossibilité matérielle liée à la pandémie

47.      Ainsi qu’il a déjà été indiqué dans mes remarques préliminaires, la question de savoir si les autorités administratives nationales ont cette faculté, en raison du fait qu’elles ne peuvent pas exécuter matériellement un transfert du fait de la pandémie de COVID-19, se situe au cœur des présentes affaires.

48.      Afin de répondre à cette question, il est nécessaire de déterminer, en ayant recours aux méthodes d’interprétation reconnues par la jurisprudence de la Cour, si une mesure telle que celle prise par les autorités allemandes dans les affaires au principal relève du champ d’application de l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III.

1.      Application des méthodes d’interprétation reconnues dans la jurisprudence

49.      Conformément à une jurisprudence constante de la Cour, il découle de l’exigence d’une application uniforme du droit de l’Union que, dans la mesure où une disposition de celui-ci ne renvoie pas au droit des États membres en ce qui concerne une notion particulière, cette dernière doit trouver, dans toute l’Union, une interprétation autonome et uniforme qui doit être recherchée en tenant compte non seulement des termes de la disposition concernée, mais également de son contexte et de
l’objectif poursuivi par la réglementation dont cette disposition fait partie (12).

a)      Interprétation littérale

50.      Le libellé de l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III indique que cette disposition vise les décisions administratives qui ont été adoptées au regard d’un recours formé par la personne concernée. En effet, selon cette disposition, les autorités compétentes des États membres peuvent décider d’office « de suspendre l’exécution de la décision de transfert en attendant l’issue du recours ou de la demande de révision » (13). Le libellé même de cette disposition présuppose donc
clairement l’existence d’un rapport entre le recours formé par la personne concernée et la décision de suspension des autorités.

51.      Contrairement à ce que soutient le gouvernement allemand dans ses observations, ce lien ne se limite pas à une correspondance uniquement temporelle. L’analyse de différentes versions linguistiques permet d’interpréter l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III dans le sens où la décision de suspension doit avoir été prise dans l’intention de protéger le statut juridique du demandeur d’asile pendant toute la durée de la procédure de recours ou de révision (14). Cette conclusion est
confirmée par d’autres méthodes d’interprétation.

b)      Interprétation systématique

52.      La position systématique de l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III confirme que seules peuvent être visées par cette disposition les décisions administratives de suspension de l’exécution qui sont accessoires à un recours formé par la personne concernée. En effet, ainsi qu’il ressort du titre (« Voies de recours ») et du paragraphe 1 de l’article 27 de ce règlement, ledit article traite des recours formés par la personne concernée. Par conséquent, seules les décisions
administratives prises en rapport avec un tel recours peuvent être visées par l’article 27, paragraphe 4, dudit règlement.

53.      La place de cette disposition dans l’économie du règlement Dublin III au sens large plaide également en faveur de la nécessité d’un tel lien. En particulier, le fait que cette disposition relève de la section IV (« Garanties procédurales ») permet de souligner l’objectif législatif, énoncé au considérant 19 de ce règlement, de garantir une protection efficace des droits des personnes concernées, en instaurant des garanties juridiques et le droit à un recours effectif à l’égard des décisions
de transfert vers l’État membre responsable conformément, notamment, à l’article 47 de la Charte.

c)      Interprétation téléologique

1)      Considérations liées à l’objectif de garantir une protection juridictionnelle effective

54.      Une interprétation téléologique impose de rappeler que la Cour a, elle aussi, souligné l’importance de la suspension de l’exécution d’une décision de transfert demandée par la personne concernée devant un tribunal dans le cadre de l’application de l’article 27, paragraphes 3 à 6, du règlement Dublin III. En effet, la Cour a constaté dans sa jurisprudence que le législateur de l’Union a décidé d’associer les demandeurs d’asile à ce processus, en obligeant les États membres à leur assurer un
droit de recours effectif contre la décision de transfert éventuellement prise à l’issue du processus (15).

55.      Pour les raisons exposées aux points précédents des présentes conclusions, je suis convaincu que la faculté conférée aux autorités administratives nationales, au titre de l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III, de décider d’office de suspendre l’exécution de la décision de transfert ne peut être dissociée de sa fonction consistant à garantir une protection juridictionnelle effective à la personne concernée.

56.      J’estime donc qu’une interprétation trop large de l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III, qui permettrait aux autorités administratives nationales de suspendre l’exécution d’une décision de transfert, indépendamment d’un recours formé par la personne concernée, aurait inévitablement pour conséquence de les mettre en mesure de différer, pour n’importe quel motif, le transfert de la personne concernée vers l’État membre responsable, sans que cela ait des conséquences sur le
transfert entre États membres de la responsabilité de l’examen de la demande de protection internationale.

57.      Or, il me semble qu’une telle situation irait précisément à l’encontre de l’objectif poursuivi par le règlement Dublin III d’établir une méthode permettant de déterminer rapidement l’État membre responsable sans compromettre l’objectif de célérité dans le traitement des demandes d’asile, mentionné au considérant 5 de ce règlement. En effet, un demandeur d’asile serait livré à la volonté des autorités administratives nationales, ces dernières pouvant prolonger le temps d’attente, alors que
ce temps pourrait être utilisé plus efficacement pour le traitement de sa demande d’asile.

58.      En outre, il me semble qu’une prolongation du délai de six mois, prévu pour effectuer le transfert, ne peut être justifiée que par l’intérêt de la personne concernée à la clarification par une autorité judiciaire de la légalité de la décision de transfert, et non par l’intérêt, quel qu’il soit, des autorités administratives à voir la décision suspendue. En effet, il y a lieu d’observer que la Cour a souligné à plusieurs reprises que « le législateur de l’Union n’a pas entendu sacrifier la
protection juridictionnelle des demandeurs d’asile à l’exigence de célérité dans le traitement des demandes d’asile » (16). Il s’ensuit que la Cour n’a jamais entendu laisser aux autorités administratives nationales une marge de manœuvre illimitée dans l’exercice de leurs pouvoirs. Cela vaut en particulier pour la faculté conférée à l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III qui, comme l’indique la juridiction de renvoi elle-même, fixe certaines limites au vaste champ d’action ouvert par le
droit national.

59.      Je suis dès lors d’avis qu’une interprétation de cette disposition qui permettrait aux autorités administratives nationales d’interrompre comme bon leur semble le cours du délai de transfert en raison d’une difficulté pratique, quelle qu’elle soit, rencontrée dans le cadre de leur activité, ne serait pas conforme au système instauré par le règlement Dublin III.

2)      Considérations liées à l’obligation de supporter le risque d’une impossibilité matérielle éventuelle du transfert

60.      Dans ce contexte, il convient de rappeler que des cas de figure similaires ont déjà fait l’objet d’une réglementation par le législateur de l’Union ou ont été reconnus dans la jurisprudence de la Cour, et dans lesquels il a été explicitement prévu que la responsabilité de l’examen de la demande de protection internationale doit être transférée à l’État membre requérant. Il me semble pertinent, aux fins de la présente analyse, de mentionner deux cas de figure dans lesquels une impossibilité
matérielle de procéder au transfert du demandeur d’asile a précisément eu pour conséquence un tel transfert de la responsabilité.

61.      D’une part, il y a le cas de figure visé à l’article 3, paragraphe 2, du règlement Dublin III, qui prévoit que l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile devient lui-même État membre responsable lorsque le transfert est impossible en raison de « défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant » dans l’État membre
initialement désigné comme responsable et qu’aucun autre État membre ne peut être désigné comme responsable. À cet égard, il importe de relever que cette disposition codifie la jurisprudence de la Cour, telle qu’établie dans les affaires N. S. e.a. (17)

62.      D’autre part, je tiens à relever que la Cour a jugé, dans l’arrêt rendu dans l’affaire C. K. e.a., que, dans l’hypothèse où l’état de santé du demandeur d’asile concerné ne permet pas à l’État membre requérant de procéder à son transfert avant l’échéance du délai de six mois prévu à l’article 29, paragraphe 1, du règlement Dublin III, l’État membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge le demandeur d’asile et la responsabilité est alors transférée au premier État
membre, conformément au paragraphe 2 de cet article (18).

63.      Ces exemples révèlent l’intention claire du législateur de l’Union d’obliger l’État membre requérant à supporter le risque éventuel d’une impossibilité matérielle du transfert du demandeur d’asile à l’État membre qui est, en principe, responsable de l’examen d’une demande de protection internationale (19). Ainsi qu’il a déjà été indiqué dans les présentes conclusions (20), ce type de risque ne devrait pas avoir un effet défavorable sur le droit de la personne concernée de voir sa demande
d’asile traitée avec toute la célérité requise.

64.      Or, une interruption du cours du délai, probablement sine die, par l’État membre requérant, face à la moindre difficulté d’exécution d’une décision de transfert, irait précisément dans un sens défavorable. La solution préconisée par le législateur de l’Union en ce qui concerne la répartition des risques dans la gestion du système instauré par le règlement Dublin III serait ignorée si l’État membre avait la possibilité de s’affranchir de ses obligations en empêchant un transfert de
responsabilité au titre de l’article 29, paragraphe 2, de ce règlement.

65.      Les considérations que je viens d’exprimer valent à plus forte raison dans une situation telle que celles en cause au principal, à savoir une crise sanitaire à l’échelle mondiale qui, en tant que cas de force majeure, ne peut être imputée ni au demandeur d’asile ni à l’État membre qui est, en principe, responsable de l’examen de la demande de protection internationale. À la lumière des considérations présentées ci-dessus, le système institué par le règlement Dublin III exige que l’État
membre ayant ordonné l’éloignement du demandeur d’asile soit celui qui doit supporter le risque d’une éventuelle impossibilité matérielle d’effectuer ledit transfert.

66.      En effet, cette situation ne présente aucune différence substantielle par rapport à d’autres situations, considérées comme des cas de force majeure et susceptibles de faire échec à une telle procédure de transfert, telles qu’une maladie subite de la personne concernée, une défaillance technique inattendue de l’avion censé effectuer le vol de transfert ou un changement soudain du temps rendant le transport impossible (21). Conformément au principe d’égalité de traitement, ces situations
largement comparables ne devraient pas être traitées de manière différente (22).

67.      De surcroît, il me paraît nécessaire d’attirer l’attention sur le fait que, dans ses orientations relatives à la mise en œuvre des dispositions pertinentes de l’Union régissant les procédures d’asile et de retour et à la réinstallation adoptées en raison de la pandémie de COVID-19 (23), la Commission reconnaît expressément les difficultés auxquelles sont confrontés les États membres dans un tel contexte. Cela étant dit, il convient toutefois d’observer que la Commission souligne la
nécessité de « reprendre les transferts dès que cela sera possible d’un point de vue pratique compte tenu de l’évolution de la situation » (mise en italique par mes soins).

68.      L’indication de la Commission dans le document susmentionné selon laquelle « [s]i un transfert vers l’État membre responsable n’est pas effectué dans le délai applicable, la responsabilité est transférée à l’État membre qui a demandé le transfert au titre de l’article 29, paragraphe 2, du [règlement Dublin III] » me paraît particulièrement pertinente aux fins de l’examen des présentes affaires. En effet, cette affirmation doit être lue en combinaison avec l’appréciation contenue dans le
même paragraphe selon laquelle « [a]ucune disposition du règlement ne permet de déroger à cette règle dans une situation telle que celle résultant de la pandémie de COVID-19 » (mise en italique par mes soins). Cette appréciation me semble correcte et confirme, d’ailleurs, l’interprétation retenue dans les présentes conclusions (24).

3)      Considérations liées à la sécurité juridique dans le cadre de la gestion du régime d’asile européen commun

69.      Je considère pertinent de mentionner dans ce contexte encore deux cas de figure d’impossibilité matérielle temporaire, déjà réglementés par le législateur de l’Union, dans lesquels l’article 29, paragraphe 2, du règlement Dublin III prévoit, non pas une interruption du cours du délai sine die, mais une prolongation du délai de transfert à un an maximum s’il n’a pas pu être procédé au transfert en raison d’un emprisonnement de la personne concernée ou à 18 mois maximum si la personne
concernée prend la fuite. Ces exemples montrent que le législateur de l’Union a pour objectif de fixer des délais clairs dans l’intérêt de la sécurité juridique, en rendant les procédures du régime d’asile européen commun suffisamment prévisibles pour l’ensemble des États membres.

70.      Ces cas de figure, qui ont fait l’objet d’une réglementation spécifique, corroborent le constat que, selon l’appréciation effectuée par le législateur de l’Union, une dérogation à l’objectif de célérité ne peut être admise qu’exceptionnellement, et ce pour certaines raisons considérées comme légitimes. Parmi ces raisons figure le comportement (emprisonnement et fuite) imputable au demandeur d’asile. Une autre raison est la nécessité de lui garantir une protection juridictionnelle effective,
comme cela découle de l’articulation entre, d’une part, l’article 27, paragraphes 3 et 4, et, d’autre part, l’article 29, paragraphe 1, du règlement Dublin III. En d’autres termes, l’objectif de célérité doit céder le pas à d’autres intérêts protégés par le législateur. En revanche, dans des circonstances qui ne sont pas imputables au demandeur ou qui ne sont pas liées à sa protection juridictionnelle, c’est plutôt l’État membre requérant qui devra assumer le risque qu’un transfert devienne
éventuellement impossible ou, à tout le moins, difficile à organiser (25).

71.      Par conséquent, il me semble que les considérations exprimées par la juridiction de renvoi, suggérant l’existence d’un « vide juridique involontaire », conduisant à appliquer par analogie l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III et à admettre l’interruption du délai de transfert, institué par l’article 29, paragraphe 1, de ce règlement, sont dénuées de fondement. Au contraire, les exemples évoqués aux points précédents des présentes conclusions militent en faveur d’une
interprétation favorable au transfert de responsabilité à l’État membre requérant si le transfert n’est pas exécuté dans le délai de six mois, conformément à l’article 29, paragraphe 2, dudit règlement.

72.      Je partage, dès lors, les doutes exprimés par le gouvernement suisse au sujet d’une interprétation trop large du champ d’application de l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III. En particulier, je considère que le fait de permettre aux autorités administratives nationales de surseoir à l’exécution de la décision de transfert « jusqu’à nouvel ordre » (en allemand, « bis auf Weiteres ») et donc, pour le moment au moins, de façon indéfinie serait préjudiciable à la sécurité
juridique au motif que les États parties au système de Dublin ne pourraient plus se fier à des délais fermes.

73.      D’autres incertitudes résulteraient, en outre, du fait que, dans le cadre d’une interprétation telle que celle proposée par la juridiction de renvoi, les États parties au système de Dublin pourraient désormais invoquer des obstacles factuels au transfert, ayant pour effet, à chaque fois, d’interrompre le délai de transfert qui ne recommencerait à courir que dès que la possibilité d’un transfert existerait à nouveau. Toutefois, il est à craindre qu’une telle interprétation conduise à des
problèmes sensibles de compétence entre les États membres concernés. Le bon fonctionnement du régime d’asile européen commun serait, dès lors, sensiblement compromis.

2.      Conclusion intermédiaire

74.      Pour les motifs exposés ci-dessus, j’estime qu’il convient d’interpréter l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III en ce sens qu’il recouvre les décisions de suspension prises par les autorités administratives nationales en raison du fait qu’il existerait des doutes au sujet de la légalité de la décision de transfert soulevés dans le cadre du recours formé par la personne concernée. En revanche, cette disposition ne couvre pas les décisions des autorités administratives nationales
qui sont prises pour d’autres motifs, notamment l’intérêt de ces dernières à voir la décision suspendue afin d’éviter un transfert de responsabilité à l’État requérant.

D.      Sur les motifs invoqués par les autorités administratives allemandes ayant ordonné le sursis à l’exécution de la décision de transfert des requérants au principal

1.      La prétendue impossibilité matérielle d’exécution, susceptible d’entacher d’illégalité la décision de transfert

75.      La question qui se pose ensuite est de savoir si la prétendue impossibilité matérielle de procéder au transfert d’un demandeur d’asile en raison de la pandémie de COVID-19, dans les circonstances décrites par la juridiction de renvoi, constitue un motif légitime permettant aux autorités nationales d’invoquer lesdites dispositions. Afin de répondre à cette question, il y a lieu d’examiner si la décision prise par les autorités administratives allemandes dans les affaires au principal relève
du champ d’application de l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III, tel que défini au point 74 des présentes conclusions.

76.      Ainsi que cela a été expliqué aux points précédents, dans le cadre de l’examen de l’étendue du champ d’application de l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III, il est déterminant de savoir si les doutes au sujet de la légalité de la décision de transfert, qui découlent d’une impossibilité de procéder au transfert en raison de la pandémie de COVID-19, ont été soulevés dans le cadre du recours formé par la personne concernée.

77.      Selon les informations fournies par la juridiction de renvoi, la suspension de l’exécution ordonnée par les autorités allemandes serait liée à la protection juridictionnelle en cas d’impossibilité temporaire de transfert, puisqu’un éloignement ne peut être ordonné que dès qu’il est établi qu’il peut y être procédé. La juridiction de renvoi explique que, conformément au droit allemand, si un éloignement n’est pas possible, la légalité de l’ordre d’éloignement est douteuse. Cette
argumentation peut être comprise en ce sens que, par cette suspension, l’Office a prétendu éviter de devoir exécuter une décision administrative entachée d’illégalité.

78.      Un examen des antécédents du litige au principal m’amène toutefois à penser que les autorités administratives allemandes pourraient avoir décidé, en réalité, de suspendre l’exécution de transfert des requérants au principal pour des motifs qui ne sont pas visés par l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III. En effet, certains indices laissent supposer que lesdites autorités administratives ont adopté une mesure qui ne relève pas du champ d’application matériel de cette
disposition. J’exposerai d’abord mon point de vue dans une analyse visant à établir les limites que le droit de l’Union impose à la marge de manœuvre des États membres lors de l’application de cette disposition. Ensuite, j’indiquerai les éléments qui, à mon avis, suscitent des doutes quant à son application correcte.

2.      L’exigence d’un « recours » ou d’une « demande de révision » pendant « devant une juridiction » administrative nationale

79.      Il convient de relever d’emblée que l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III énonce sans équivoque que « les autorités compétentes peuvent décider d’office de suspendre l’exécution de la décision de transfert en attendant l’issue du recours ou de la demande de révision » (mise en italique par mes soins). Comme il a déjà été indiqué dans les présentes conclusions (26), cette disposition permet aux autorités administratives nationales de tenir compte de l’objectif de garantir au
demandeur d’asile une protection juridictionnelle effective.

80.      À cet égard, il y a lieu d’observer que, ainsi qu’il découle, premièrement, de la terminologie employée dans ladite disposition et, deuxièmement, d’une lecture combinée avec son paragraphe 1 (« devant une juridiction »), les autorités administratives ne peuvent pas se prononcer elles-mêmes sur un tel « recours » ou une telle « demande de révision », et que seule la juridiction compétente saisie du litige a ce pouvoir. En d’autres termes, les autorités administratives peuvent engager la
suspension d’office, mais pas le contrôle juridictionnel lui-même en vue duquel une telle mesure est prise.

81.      La suspension par les autorités administratives nationales de l’exécution d’une décision de transfert sans qu’aucun litige soit pendant devant une juridiction ne peut donc pas être considérée comme une mesure couverte par la base juridique susmentionnée, dès lors qu’elle ne serait pas prise « en attendant l’issue du recours ou de la demande de révision ». En conséquence, une telle suspension de l’exécution de la décision de transfert ne peut pas avoir pour effet d’interrompre le cours du
délai de transfert en vertu de l’article 29, paragraphe 1, du règlement Dublin III. Il en va de même d’une décision de suspension adoptée ultérieurement, c’est-à-dire après qu’un arrêt définitif a été rendu par la juridiction compétente.

82.      Interrogé lors de l’audience sur la portée de la pratique administrative de l’Office en cause, le gouvernement allemand a assuré que l’exécution des décisions relatives aux demandeurs d’asile n’avait pas été suspendue pour tous, mais uniquement pour ceux qui avaient introduit un recours devant les juridictions administratives nationales. Tel est, d’ailleurs, le cas des requérants au principal. Dès lors, il y a lieu de retenir à ce stade de l’analyse qu’une condition essentielle aux fins de
l’application de l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III, liée à l’existence d’un recours pendant, a été remplie en l’occurrence.

3.      La suspension de l’exécution d’une décision de transfert « jusqu’à nouvel ordre » outrepasse les limites imposées par le droit de l’Union

83.      Si le règlement Dublin III est directement applicable dans les États membres, il n’en reste pas moins que plusieurs de ses dispositions requièrent de recourir au droit national aux fins de leur mise en œuvre effective. Tel est notamment le cas des règles nationales en matière de procédure qui doivent être interprétées de manière conforme au texte et à la finalité du droit de l’Union. Ainsi que cela découle de l’exégèse effectuée dans les présentes conclusions (27), l’article 27,
paragraphe 4, du règlement Dublin III exige qu’il existe un lien intrinsèque entre le recours introduit contre une décision de transfert devant la juridiction et l’effet suspensif accordé par les autorités administratives. L’expression « en attendant l’issue du recours » (mise en italique par me soins) indique que la décision de suspension de l’exécution de la décision de transfert doit rester en vigueur jusqu’à la fin de la procédure juridictionnelle en cours.

84.      À cet égard, il convient d’observer que l’Office a suspendu l’exécution des ordres d’éloignement « jusqu’à nouvel ordre », en application de l’article 80, paragraphe 4, du code de justice administrative. Cela signifie qu’il est à prévoir que la décision de transfert en cause sera exécutée dès que l’Office l’estimera opportun. La locution « jusqu’à nouvel ordre » comporte, d’un point de vue sémantique, la reconnaissance d’une large marge de manœuvre qui, à mon avis, va bien au-delà de la
latitude que confère l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III aux autorités administratives nationales.

85.      En effet, contrairement à ce que prévoit cette disposition, une suspension en application de l’article 80, paragraphe 4, du code de justice administrative, n’exige nullement qu’un « recours » ait été introduit ou qu’une « demande de révision » ait été faite devant une juridiction. De surcroît, l’expression « jusqu’à nouvel ordre » implique que la suspension de l’exécution d’un acte administratif soit ordonnée sous réserve d’une décision ultérieure, laissée à la seule discrétion des
autorités administratives (28).

86.      En l’absence d’informations précises, il est logique de supposer que ce pouvoir discrétionnaire revendiqué en l’espèce par les autorités administratives comprend même la faculté de déterminer la durée de la suspension, tandis que l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III ne permet une telle suspension que jusqu’à « l’issue du recours ou de la demande de révision » (mise en italique par mes soins), c’est-à-dire pendant la durée du contentieux, assurant ainsi que le demandeur
d’asile ne sera pas reconduit à la frontière avant que la juridiction saisie ne se soit prononcée sur la légalité de la décision de transfert. La marge de manœuvre accordée par le législateur de l’Union aux autorités administratives nationales vise donc un objectif déterminé et est, en principe, limitée dans le temps. Ces aspects me confortent dans l’idée qu’il existe des divergences fondamentales entre l’approche suivie par l’Office et le cadre normatif fixé par le droit de l’Union.

87.      Plus concrètement, on ne saurait exclure que la suspension de l’exécution des décisions de transfert soit motivée par des intérêts propres aux autorités administratives et, notamment, l’intérêt d’empêcher un transfert de responsabilité vers l’État membre requérant, à savoir, dans les présentes affaires, la République fédérale d’Allemagne, conformément à l’article 29, paragraphe 1, du règlement Dublin III, en raison de la difficulté des autorités administratives dudit État membre à effectuer
des transferts en temps utile pendant la crise sanitaire (29). Une interruption du cours du délai de six mois en vertu de l’article 29, paragraphe 1, du règlement Dublin III aurait permis aux autorités administratives de disposer d’un « temps supplémentaire » pour exécuter les transferts.

88.      Cette hypothèse me semble corroborée, au moins en partie, par les explications des requérants au principal qui, lors de l’audience, ont fait référence aux défis organisationnels auxquels se verraient confrontées les autorités allemandes. Cependant, une application de l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III motivée par ce type de considérations irait à l’encontre de l’objectif de célérité dans le traitement des demandes d’asile, mentionné au considérant 5 de ce règlement (30). En
effet, une suspension de l’exécution d’une décision de transfert pour une durée indéterminée a pour effet de prolonger inutilement le temps d’attente de la personne concernée, alors que ce temps pourrait être utilisé pour examiner sa demande d’asile.

89.      Comme l’a souligné à juste titre la Commission lors de l’audience, il paraît inacceptable qu’une personne qui demande une protection internationale soit maintenue dans une situation d’incertitude juridique pendant une longue période de temps. En outre, il faut prendre en compte le fait que, dans la mesure où la fin d’une pandémie mondiale comme celle de COVID-19 ne peut pas être prédite avec une certitude suffisante, l’approche suivie par l’Office reviendrait en pratique à un report sine
die, ce qui aurait pour conséquence de paralyser le régime d’asile européen commun. Or, il est évident qu’un tel résultat ne serait absolument pas souhaitable. Une telle approche porterait atteinte à la sécurité juridique et compromettrait le bon fonctionnement du régime d’asile européen commun (31).

4.      La suspension de l’exécution d’une décision de transfert ne peut pas avoir pour objectif principal d’éviter la responsabilité de l’État requérant

90.      S’agissant spécifiquement des raisons concrètes qui auraient amené l’Office à suspendre l’exécution des décisions de transfert, j’observe que l’argumentation présentée par le gouvernement allemand et la juridiction de renvoi, qui tend à mettre en avant la prévalence de l’intérêt de l’État membre entendant procéder au transfert sur celui du demandeur d’asile, se trouve jusqu’à un certain point en contradiction avec le raisonnement également exposé par ce gouvernement, selon lequel la
décision de suspension susmentionnée aurait été prise dans l’intérêt de garantir une protection juridictionnelle effective du demandeur d’asile. Cette incohérence dans l’argumentation suscite des doutes quant aux véritables motifs de l’approche adoptée par l’Office.

91.      Il convient d’observer, à titre surabondant, qu’il ressort des décisions de renvoi que la décision de l’Office de suspendre l’exécution de la décision de transfert n’a été prise qu’après qu’une juridiction allemande a rejeté la demande de mesures provisoires des requérants visant à ce que leur recours soit assorti d’un effet suspensif. Par conséquent, la juridiction compétente s’était déjà prononcée préalablement et de manière défavorable sur la nécessité d’accorder aux requérants au
principal une protection juridictionnelle provisoire. Il est dès lors logique de supposer que cette décision judiciaire était motivée par des raisons très différentes de celle prise par la suite, c’est-à-dire durant la crise sanitaire, par les autorités administratives.

92.      La décision prise par l’Office de suspendre l’exécution de la décision de transfert me semble donc ne pas avoir été prise avec l’intention d’attendre « l’issue » de la procédure juridictionnelle, comme l’exige l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III, mais sur le fondement de considérations étrangères à celles visées par cette disposition, à savoir dans l’objectif d’empêcher un transfert de responsabilité conformément à l’article 29, paragraphe 1, du règlement Dublin III. Dans
une telle hypothèse, l’existence éventuelle d’un litige devant une juridiction n’aurait été qu’une circonstance fortuite (32). De ce point de vue, l’argument avancé par le gouvernement allemand, selon lequel les autorités administratives allemandes auraient, en fin de compte, « donné une suite favorable à la demande de protection juridictionnelle des requérants au principal », ne me paraît pas convaincant.

93.      Dans ces circonstances, se pose la question de savoir s’il n’aurait pas été plus approprié, face à l’impossibilité matérielle de procéder à un transfert, de révoquer la décision d’éloignement prise à l’encontre de la personne concernée et d’assumer la responsabilité de l’examen de sa demande de protection internationale, en vertu de la clause discrétionnaire de l’article 17, paragraphe 1, du règlement Dublin III. Il convient de rappeler que, conformément à l’article 67, paragraphe 2, et à
l’article 80 TFUE, le régime d’asile européen commun, dans lequel s’intègre le règlement Dublin III, repose sur « la solidarité entre États membres » et le « partage équitable de responsabilités » entre ces derniers. Ainsi que cela ressort du considérant 22 de ce règlement, cette solidarité constitue un « élément central » de ce régime. L’approche proposée aurait été le reflet d’une solidarité plus importante, en particulier envers ces États membres qui font face à la fois aux conséquences de la
crise sanitaire et à des flux migratoires importants (33).

94.      Certes, on se saurait exclure que, dans les cas où un litige est pendant devant une juridiction nationale, l’argument concernant l’impossibilité matérielle d’exécuter une décision de transfert puisse également faire l’objet du litige pendant devant la juridiction administrative. Cela exige toutefois que le droit de procédure national autorise les parties à invoquer cet argument dans le cadre dudit litige. Dans ce cas, il serait légitime d’affirmer qu’une décision de suspension a été
effectivement prise « en attendant l’issue d’un recours ou d’une demande de révision » au sens de l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III (mise en italique par mes soins). Ainsi que je l’ai déjà expliqué dans les présentes conclusions (34), cette disposition doit être interprétée en ce sens qu’elle vise les décisions de suspension prises par les autorités administratives nationales en raison de doutes soulevés dans le recours formé par la personne concernée quant à la légalité de la
décision de transfert.

95.      À cet égard, il suffit de relever, en ce qui concerne les affaires au principal, qu’il n’y a aucun indice que la prétendue illégalité tirée d’une impossibilité matérielle d’effectuer le transfert ait été soulevée dans le cadre des recours introduits par les requérants au principal. En tout état de cause, les décisions de renvoi ne contiennent aucune information précise à cet égard. Par conséquent, il me semble que, même dans cette hypothèse, les conditions d’application de l’article 27,
paragraphe 4, du règlement Dublin III ne sont pas réunies en l’occurrence.

96.      Cela étant dit, je considère qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier les faits en vue d’établir avec la certitude nécessaire si la motivation retenue par l’Office aux fins de suspendre l’exécution des décisions de transfert résidait exclusivement dans le fait d’empêcher un transfert de responsabilité à la République fédérale d’Allemagne en vertu de l’article 29, paragraphe 2, du règlement Dublin III, en raison des difficultés rencontrées par les autorités administratives
allemandes pour effectuer des transferts en temps utile pendant la crise sanitaire ou pour garantir une protection juridictionnelle effective aux requérants au principal (35). Dans le premier cas de figure, une interruption du cours du délai de transfert devrait être exclue.

97.      Dans le second cas de figure, la possibilité d’interrompre le cours du délai de transfert devrait être soumise à certaines conditions. Plus concrètement, l’Office devrait avoir le droit d’invoquer l’article 27, paragraphe 4, et l’article 29, paragraphe 1, du règlement Dublin III en raison de l’impossibilité matérielle temporaire de procéder aux transferts du fait de la pandémie de COVID-19, pour autant que la décision de suspension ait été prise en raison de doutes au sujet de la légalité
de la décision de transfert soulevés dans le cadre d’un recours contre une décision de transfert ou d’une révision d’une décision de transfert de la personne concernée.

5.      Conclusion intermédiaire

98.      Certains indices permettent de supposer que l’Office pourrait avoir suspendu l’exécution des décisions de transfert afin d’éviter un transfert de responsabilité, après l’expiration du délai de six mois prévu à l’article 29, paragraphe 2, du règlement Dublin III, en raison des difficultés à effectuer des transferts de demandeurs d’asile en temps utile vers d’autres États membres pendant la crise sanitaire.

99.      Dans la mesure où un tel motif ne constitue pas, à lui seul, une raison légitime susceptible de justifier une interruption du délai de transfert en vertu de l’article 27, paragraphe 4, et de l’article 29, paragraphe 1, dudit règlement, il paraît indiqué de demander à la juridiction de renvoi d’établir si la décision de suspension a été prise principalement en raison de doutes au sujet de la légalité de la décision de transfert.

100. Il convient toutefois de préciser qu’un tel motif n’est pertinent aux fins de l’application des dispositions précitées que si les doutes au regard de la légalité ont été soulevés devant une juridiction dans le cadre d’un contentieux, à savoir d’un recours contre une décision de transfert ou d’une demande de révision d’une décision de transfert de la personne concernée.

VI.    Conclusion

101. À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne) :

1)      L’administration de l’État membre requérant dispose, sous certaines conditions, de la faculté de suspendre l’exécution d’une décision de transfert et, en conséquence, d’interrompre le cours du délai de transfert en vertu de l’article 27, paragraphe 4, et de l’article 29, paragraphe 1, du règlement (UE) n^o 604/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection
internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

2)      L’administration de l’État membre requérant peut exercer cette faculté pour autant que la suspension de l’exécution ait été ordonnée principalement en raison de doutes au sujet de la légalité de la décision de transfert, soulevés devant une juridiction nationale dans le cadre d’un recours contre une décision de transfert ou d’une demande de révision d’une décision de transfert de la personne concernée.

3)      L’intérêt de l’administration à éviter un transfert de responsabilité à l’État membre requérant après l’expiration du délai de six mois prévu à l’article 29, paragraphe 2, du règlement n^o 604/2013, en raison de difficultés pour effectuer des transferts de demandeurs d’asile en temps utile vers d’autres États membres pendant la pandémie de COVID-19 ne constituant pas, à lui seul, une raison légitime susceptible de justifier une interruption du cours du délai de transfert, il incombe à la
juridiction de renvoi d’établir les motifs qui ont conduit l’administration à suspendre l’exécution des décisions de transfert concernées.

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1      Langue originale : le français.

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2      JO 2013, L 180, p. 31 (ci-après le « règlement Dublin III »).

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3      Recueil des traités des Nations unies, vol. 189, p. 150, n^o 2545 (1954) (ci-après la « convention de Genève »).

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4      JO 1997, C 254, p. 1.

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5      Règlement du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers (JO 2003, L 50, p. 1).

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6      Warin, C., « Le contentieux du règlement Dublin III », Droit luxembourgeois et européen de l’asile, Chaouche, F., Gerkrath, J., Silga, J., Sinnig, J.,Warin, C.(dir.), Luxembourg, 2019, p. 118.

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7      Voir points 37 et suiv. des présentes conclusions.

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8      Voir points 47 et suiv. des présentes conclusions.

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9      Voir points 75 et suiv. des présentes conclusions.

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10      Arrêt du 13 septembre 2017, Khir Amayry (C‑60/16, EU:C:2017:675, points 63 à 73).

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11      Arrêt du 13 septembre 2017, Khir Amayry (C‑60/16, EU:C:2017:675, points 70 et 71).

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12      Arrêt du 19 mars 2019, Jawo (C‑163/17, EU:C:2019:218, point 55).

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13      Mise en italique par mes soins.

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14      Voir versions en langues espagnole (« para suspender [...] hasta la resolución del recurso o revisión ») ; danoise (« udsætte [...] indtil resultatet af klagen eller indbringelsen foreligger ») ; allemande (« um [...] bis zum Abschluss des Rechtsbehelfs oder der Überprüfung auszusetzen ») ; estonienne (« kuni vaidlustamise või läbivaatamise tulemuse selgumiseni ») ; anglaise (« to suspend [...] pending the outcome of the appeal or review ») ; italienne : (« sospendere [...] in attesa
dell’esito del ricorso o della revisione ») ; néerlandaise (« [...] op te schorten in afwachting van de uitkomst van het beroep of het bezwaar »), et portugaise (« suspender [...] enquanto se aguarda o resultado do recurso ou da revisão »).

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15      Arrêt du 7 juin 2016, Ghezelbash (C‑63/15, EU:C:2016:409, points 50 à 52).

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16      Arrêt du 7 juin 2016, Ghezelbash (C‑63/15, EU:C:2016:409, point 57).

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17      Arrêt du 21 décembre 2011 (C‑411/10 et C‑493/10, EU:C:2011:865).

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18      Arrêt du 16 février 2017 (C‑578/16 PPU, EU:C:2017:127, point 89).

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19      Werdermann, D., « Dublin-Überstellungsfristen in der Coronakrise: Die Taschenspielertricks des BAMF », Legal Tribune Online, 9 avril 2020. Cet auteur considère que les motifs d’impossibilité d’un transfert donnant lieu à une prolongation du délai ont été réglementés de manière exhaustive par l’article 29, paragraphe 2, du règlement Dublin III. Plus concrètement, sont visés les cas d’emprisonnement et de fuite du demandeur d’asile. Dans tous les autres cas, l’État membre qui ne peut pas
respecter le délai supporte le risque d’une éventuelle impossibilité matérielle de transfert et le droit du demandeur d’asile à un examen rapide de sa demande de protection prévaut.

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20      Voir point 57 des présentes conclusions.

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21      Petterson, P., « Abschiebungen und Corona – Auswirkungen der Pandemie auf die Asylrechtsprechung », Zeitschrift für Ausländerrecht und Ausländerpolitik, n^o 7, 2020, p. 232. Cet auteur considère que le fait qu’un État membre ne puisse pas prendre en charge des personnes en raison de la pandémie constitue un cas de force majeure.

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22      Arrêt du 15 avril 2010, Gualtieri/Commission (C‑485/08 P, EU:C:2010:188, point 70).

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23      Communication de la Commission, « COVID-19 : orientations relatives à la mise en œuvre des dispositions pertinentes de l’UE régissant les procédures d’asile et de retour et à la réinstallation » (2020/C 126/02) (JO 2020, C 126, p. 12).

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24      Neumann, C., « Offene Fragen rund um die Aussetzung der sofortigen Vollziehung in Dublin-Verfahren durch das BAMF », Zeitschrift für Ausländerrecht und Ausländerpolitik, n^o 9, 2020, p. 319. Cet auteur considère que la situation sanitaire ne justifie pas une interruption du cours des délais de transfert, tels que prévus dans le règlement Dublin III. L’auteur se prononce également contre une application par analogie au motif que, selon lui, il n’existe aucune lacune juridique. Il interprète
les orientations de la Commission en ce sens que les délais susmentionnés ne sont pas soumis au bon vouloir des États membres ou laissés à leur discrétion.

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25      Voir, en ce sens, Lehnert, M., et Werdermann, D., « Aussetzungen der Dublin-Überstellungen durch das Bundesamt für Migration und Flüchtlinge während der Corona-Krise », Neue Zeitschrift für Verwaltungsrecht, vol. 39, n^o 18, 2020, p. 1310.

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26      Voir point 55 des présentes conclusions.

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27      Voir points 47 à 74 des présentes conclusions.

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28      Neumann, C., « Offene Fragen rund um die Aussetzung der sofortigen Vollziehung in Dublin-Verfahren durch das BAMF », Zeitschrift für Ausländerrecht und Ausländerpolitik, n^o 9, 2020, p. 318. Cet auteur reconnaît que, en situation de pandémie, il peut y avoir des doutes quant à la légalité d’une décision de transfert. Néanmoins, il considère qu’une suspension de l’exécution sur le fondement de l’article 80, paragraphe 4, du code de justice administrative ne vise pas réellement à garantir un
contrôle juridictionnel, mais plutôt à mettre les autorités administratives en mesure de reprendre les transferts, à la suite d’une révocation de la décision de suspension d’exécution, dès que les difficultés pratiques liées à la pandémie auront disparu.

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29      Petterson, P., « Abschiebungen und Corona – Auswirkungen der Pandemie auf die Asylrechtsprechung », Zeitschrift für Ausländerrecht und Ausländerpolitik, n^o 7, 2020, p. 232. Cet auteur estime qu’une autorité administrative nationale ne peut pas interrompre, comme bon lui semble, le cours du délai de transfert. Ce délai est nécessaire afin de satisfaire aux conditions de l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III, à savoir assurer la protection juridictionnelle du demandeur d’asile.
Une suspension dans le seul but d’interrompre le cours de ce délai constituerait plutôt un « abus de droit ». L’auteur considère que l’approche suivie par l’Office n’a pas pour objectif de garantir une protection juridictionnelle.

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30      Voir point 57 des présentes conclusions.

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31      Voir points 69 et suiv. des présentes conclusions.

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32      Lehnert, M., et Werdermann, D., « Aussetzungen der Dublin-Überstellungen durch das Bundesamt für Migration und Flüchtlinge während der Corona-Krise », Neue Zeitschrift für Verwaltungsrecht, vol. 39, n^o 18, 2020, p. 1310 et 1311. Ces auteurs considèrent que la décision de suspendre l’exécution des décisions de transfert n’a pas été prise « au motif d’un recours » mais plutôt « à l’occasion d’un recours » (mise en italique par mes soins). Selon les auteurs, les décisions de suspension ne
permettent pas de déceler un motif lié aux personnes concernées, qui justifie une dérogation à l’objectif de célérité.

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33      Voir arrêt du 26 juillet 2017, Jafari (C‑646/16, EU:C:2017:586, point 100).

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34      Voir point 74 des présentes conclusions.

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35      Dans ce contexte, il importe d’observer que le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale) reconnaît dans sa jurisprudence le risque d’un « abus de droit » dans le cadre de l’application de l’article 27, paragraphe 4, du règlement Dublin III, entre autres dans l’hypothèse où une décision de suspension de transfert aurait été prise par les autorités administratives allemandes dans le seul but d’interrompre le cours du délai, au motif que ce délai n’aurait pu être respecté du fait
de défaillances de l’administration (voir arrêt du Bundesverwaltungsgericht du 8 janvier 2019, BVerwG 1 C 16.18, point 27).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-245/21
Date de la décision : 02/06/2022
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demandes de décision préjudicielle, introduites par le Bundesverwaltungsgericht.

Renvoi préjudiciel – Règlement (UE) no 604/2013 – Détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale – Articles 27 et 29 – Transfert de la personne concernée vers l’État membre responsable de l’examen de sa demande – Suspension du transfert à cause de la pandémie de COVID-19 – Impossibilité de procéder au transfert – Protection juridictionnelle – Conséquences sur le délai de transfert.

Espace de liberté, de sécurité et de justice

Politique d'asile


Parties
Demandeurs : Bundesrepublik Deutschland
Défendeurs : MA e.a.

Composition du Tribunal
Avocat général : Pikamäe

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:433

Source

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