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10/03/2022 | CJUE | N°C-207/21

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. N. Emiliou, présentées le 10 mars 2022., Commission européenne contre République de Pologne., 10/03/2022, C-207/21


 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NICHOLAS EMILIOU

présentées le 10 mars 2022 ( 1 )

Affaire C‑207/21 P

Commission européenne

contre

République de Pologne

« Pourvoi – Annulation de la décision d’exécution (UE) 2017/1442 – Article 16, paragraphes 4 et 5, TUE – Article 3, paragraphes 2 et 3, du protocole (no 36) sur les dispositions transitoires – Application ratione temporis – Règles de vote du Conseil – Majorité qualifiée »

I. Introduction

1.

Les modalités de vote pour la prise de décision au sein du Conseil de l’Union européenne ont traditionnellement été considérées comme étant ...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. NICHOLAS EMILIOU

présentées le 10 mars 2022 ( 1 )

Affaire C‑207/21 P

Commission européenne

contre

République de Pologne

« Pourvoi – Annulation de la décision d’exécution (UE) 2017/1442 – Article 16, paragraphes 4 et 5, TUE – Article 3, paragraphes 2 et 3, du protocole (no 36) sur les dispositions transitoires – Application ratione temporis – Règles de vote du Conseil – Majorité qualifiée »

I. Introduction

1. Les modalités de vote pour la prise de décision au sein du Conseil de l’Union européenne ont traditionnellement été considérées comme étant un véritable casse-tête par tous, sauf par (relativement peu) d’initiés. En effet, en raison de compromis âprement obtenus et minutieusement élaborés, ces modalités de vote ne brillent malheureusement pas par leur simplicité.

2. Au cours des 70 dernières années, les modalités de vote du Conseil ont connu un certain nombre de changements, résultant tant de modifications expresses des traités que d’autres types de règles ou pratiques convenues de manière formelle ou informelle ( 2 ). Les règles de vote du Conseil ont notamment à nouveau été révisées et, dans une certaine mesure, simplifiées par le traité de Lisbonne ( 3 ).

3. Pour formuler les choses simplement, en fonction de la question débattue, le Conseil prend ses décisions soit à la majorité simple, soit à la majorité qualifiée, soit à l’unanimité ( 4 ). La majorité qualifiée – qui est le mode de vote le plus largement utilisé et le plus important au sein du Conseil – est désormais définie, sauf exception, comme une « double majorité ». En vertu de l’article 16, paragraphe 4, TUE, la majorité qualifiée est, dans la plupart des cas ( 5 ), obtenue lorsque « au
moins 55 % des membres du Conseil, comprenant au moins quinze d’entre eux et représentant des États membres réunissant au moins 65 % de la population de l’Union » votent en faveur de l’adoption de l’acte en cause.

4. Toutefois, ce système de double majorité n’est pas devenu applicable avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, mais uniquement à partir du 1er novembre 2014. En outre, conformément au protocole (no 36) sur les dispositions transitoires ( 6 ), pendant une période transitoire, allant du 1er novembre 2014 au 31 mars 2017, tout membre du Conseil pouvait demander que le vote sur un acte ait lieu selon les règles prévues à l’article 3 de ce protocole, correspondant pour l’essentiel aux règles de
la majorité qualifiée en vigueur dans le cadre du traité de Nice.

5. La présente affaire concerne l’application ratione temporis de ce protocole. En résumé, la question posée par la présente affaire porte sur le point de savoir si, pour pouvoir bénéficier de l’application des « anciennes » règles de la majorité qualifiée, il suffisait qu’un membre du Conseil demande l’application de ces règles entre le 1er novembre 2014 et le 31 mars 2017, ou s’il était également nécessaire que le vote ait lieu au cours de cette période.

II. Le cadre juridique de l’Union

A.   Le traité UE et le protocole no 36

6. L’article 16, paragraphes 4 et 5, TUE énonce que :

« 4.   À partir du 1er novembre 2014, la majorité qualifiée se définit comme étant égale à au moins 55 % des membres du Conseil, comprenant au moins quinze d’entre eux et représentant des États membres réunissant au moins 65 % de la population de l’Union.

Une minorité de blocage doit inclure au moins quatre membres du Conseil, faute de quoi la majorité qualifiée est réputée acquise.

Les autres modalités régissant le vote à la majorité qualifiée sont fixées à l’article 238, paragraphe 2, [TFUE].

5.   Les dispositions transitoires relatives à la définition de la majorité qualifiée qui sont applicables jusqu’au 31 octobre 2014, ainsi que celles qui seront applicables entre le 1er novembre 2014 et le 31 mars 2017, sont fixées par le protocole sur les dispositions transitoires. »

7. L’article 3 du protocole no 36 prévoit que :

« 1.   Conformément à l’article 16, paragraphe 4, [TUE], les dispositions de ce paragraphe et les dispositions de l’article 238, paragraphe 2, [TFUE], relatives à la définition de la majorité qualifiée au Conseil européen et au Conseil, prennent effet le 1er novembre 2014.

2.   Entre le 1er novembre 2014 et le 31 mars 2017, lorsqu’une délibération doit être prise à la majorité qualifiée, un membre du Conseil peut demander que cette délibération soit prise à la majorité qualifiée telle que définie au paragraphe 3. Dans ce cas, les paragraphes 3 et 4 s’appliquent.

3.   Jusqu’au 31 octobre 2014, les dispositions suivantes sont en vigueur, sans préjudice de l’article 235, paragraphe 1, deuxième alinéa, [TFUE].

Pour les délibérations du Conseil européen et du Conseil qui requièrent une majorité qualifiée, les voix des membres sont affectées de la pondération suivante :

[...] [ ( 7 )]

Les délibérations sont acquises si elles ont recueilli au moins 260 voix exprimant le vote favorable de la majorité des membres, lorsque, en vertu des traités, elles doivent être prises sur proposition de la Commission. Dans les autres cas, les délibérations sont acquises si elles ont recueilli au moins 260 voix exprimant le vote favorable d’au moins deux tiers des membres.

Un membre du Conseil européen ou du Conseil peut demander que, lorsqu’un acte est adopté par le Conseil européen ou par le Conseil à la majorité qualifiée, il soit vérifié que les États membres constituant cette majorité qualifiée représentent au moins 62 % de la population totale de l’Union. S’il s’avère que cette condition n’est pas remplie, l’acte en cause n’est pas adopté.

4.   Jusqu’au 31 octobre 2014, dans les cas où, en application des traités, tous les membres du Conseil ne prennent pas part au vote, à savoir dans les cas où il est fait renvoi à la majorité qualifiée définie conformément à l’article 238, paragraphe 3, [TFUE], la majorité qualifiée se définit comme étant la même proportion des voix pondérées et la même proportion du nombre des membres du Conseil, ainsi que, le cas échéant, le même pourcentage de la population des États membres concernés que ceux
fixés au paragraphe 3 du présent article. »

B.   Le règlement (UE) no 182/2011

8. L’article 5, paragraphes 1 et 2, du règlement (UE) no 182/2011 du Parlement européen et du Conseil, du 16 février 2011, établissant les règles et principes généraux relatifs aux modalités de contrôle par les États membres de l’exercice des compétences d’exécution par la Commission ( 8 ) prévoit que :

« 1.   Lorsque la procédure d’examen s’applique, le comité émet son avis à la majorité définie à l’article 16, paragraphes 4 et 5, [TUE] et, le cas échéant, à l’article 238, paragraphe 3, [TFUE], pour les actes à adopter sur proposition de la Commission. Les votes des représentants des États membres au sein du comité sont pondérés de la manière définie auxdits articles.

2.   Lorsque le comité émet un avis favorable, la Commission adopte le projet d’acte d’exécution. »

C.   La directive 2010/75/UE

9. Conformément à son article 1er, la directive 2010/75/UE du Parlement européen et du Conseil, du 24 novembre 2010, relative aux émissions industrielles (prévention et réduction intégrées de la pollution) ( 9 ) énonce « des règles concernant la prévention et la réduction intégrées de la pollution due aux activités industrielles » et « des règles visant à éviter ou, lorsque cela s’avère impossible, à réduire les émissions dans l’air, l’eau et le sol, et à empêcher la production de déchets, afin
d’atteindre un niveau élevé de protection de l’environnement considéré dans son ensemble ».

10. Conformément à l’article 14, paragraphe 3, de la directive 2010/75, les conclusions sur les meilleures techniques disponibles (MTD) « servent de référence pour la fixation des conditions d’autorisation » d’exploitation des installations de combustion.

11. Les conclusions sur les MTD sont adoptées en deux étapes, conformément à l’article 13 de la directive 2010/75 et à l’annexe de la décision d’exécution 2012/119/UE de la Commission, du 10 février 2012, établissant les lignes directrices sur la collecte de données, sur l’élaboration de documents de référence MTD et sur leur assurance qualité, visées par la directive 2010/75 ( 10 ).

12. La première étape consiste à établir un document technique de référence sur les MTD (ci-après le « BREF ») à la suite d’un échange d’informations avec la participation de la Commission, des États membres, des secteurs concernés et des organisations non gouvernementales œuvrant pour la protection de l’environnement. Dans ce cadre, un groupe de travail technique élabore les documents relatifs au BREF en tenant compte des résultats de l’échange d’informations pour le secteur déterminé. Le projet
final du BREF est envoyé au forum mis en place par l’article 13, paragraphe 3, de la directive 2010/75, qui donne son avis sur le contenu proposé du BREF à l’issue des travaux réalisés sur le plan technique.

13. Dans la seconde étape, conformément à l’article 13, paragraphe 5, et à l’article 75, paragraphe 2, de la directive 2010/75, la Commission présente un projet de décision d’exécution concernant les conclusions sur les MTD au comité établi par l’article 75 de la directive 2010/75 (ci-après le « comité ») et composé des représentants des États membres. Le comité émet, en application de la procédure d’examen visée par l’article 5 du règlement no 182/2011, son avis sur le projet de décision
d’exécution de la Commission à la majorité qualifiée définie à l’article 16, paragraphes 4 et 5, TUE. Lorsque cet avis est favorable, la Commission adopte la décision d’exécution fixant les conclusions sur les MTD.

III. Les faits à l’origine du litige au principal

14. Le 9 mars 2017, la Commission a, en sa qualité de président du comité, présenté au comité un projet de décision d’exécution établissant les conclusions sur les MTD, au titre de la directive 2010/75, pour les grandes installations de combustion (ci-après les « GIC »).

15. Par courrier du 23 mars 2017, la Commission a invité les membres du comité à une réunion devant avoir lieu le 28 avril 2017. L’objet de cette réunion était de procéder au vote sur l’avis relatif à ce projet de décision d’exécution. Un projet d’ordre du jour était joint à ce courrier.

16. Le 30 mars 2017, la République de Pologne a demandé que le comité vote sur l’avis relatif audit projet de décision d’exécution selon les règles de vote énoncées à l’article 3, paragraphe 3, du protocole no 36.

17. Le 4 avril 2017, le service juridique du Conseil a adressé au comité des représentants permanents des États membres un avis selon lequel, en substance, pour qu’un vote sur un projet d’acte soit émis selon les règles applicables avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, il fallait que l’État membre présente une demande en ce sens au plus tard le 31 mars 2017 et que le vote faisant l’objet de cette demande intervienne également avant cette date.

18. Le 10 avril 2017, la direction générale de l’environnement de la Commission a refusé la demande de la République de Pologne du 30 mars 2017, au motif que le vote sur l’avis susmentionné était prévu pour le 28 avril 2017, soit après le 31 mars 2017, date limite prévue à l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36.

19. Le 28 avril 2017 s’est tenue une réunion du comité au cours de laquelle les membres ont voté afin d’adopter un avis sur un projet modifié de décision d’exécution. Le vote a eu lieu en application des règles de vote établies par l’article 16, paragraphe 4, TUE et non de celles établies par l’article 3, paragraphe 3, du protocole no 36. Ce vote a abouti à un avis favorable du comité à l’égard de ce projet à la suite du vote positif de 20 États membres représentant 65,14 % de la population
et 71,43 % des membres de ce comité. Huit États membres, dont la République de Pologne, ont émis un vote négatif.

20. Le 31 juillet 2017, à la suite de ce vote, la Commission a adopté la décision d’exécution (UE) 2017/1442 établissant les conclusions sur les meilleures techniques disponibles (MTD), au titre de la directive 2010/75, pour les [GIC] (ci‑après la « décision litigieuse ») ( 11 ).

21. La décision litigieuse impose notamment les niveaux d’émissions associés aux meilleures techniques disponibles en ce qui concerne les émissions d’oxydes d’azote (NOx), de mercure (Hg) et de chlorure d’hydrogène (HCl) pour les GIC, c’est-à-dire des installations d’une puissance thermique nominale d’au moins 50 mégawatts (MW) indépendamment du type de combustible utilisé.

IV. L’arrêt attaqué

22. Le 11 octobre 2017, la République de Pologne a introduit un recours en annulation devant le Tribunal contre la décision litigieuse en invoquant cinq moyens d’annulation.

23. Dans le cadre de la procédure devant le Tribunal, la République de Bulgarie et la Hongrie sont intervenues au soutien des conclusions de la République de Pologne, tandis que le Royaume de Belgique, la République française et le Royaume de Suède sont intervenus au soutien des conclusions de la Commission.

24. Par son arrêt du 27 janvier 2021 ( 12 ), le Tribunal a accueilli le premier moyen d’annulation soulevé par la République de Pologne, selon lequel la décision litigieuse aurait dû être adoptée conformément aux « anciennes » règles de la majorité qualifiée prévues par le protocole no 36 et non selon les « nouvelles » règles établies par le traité de Lisbonne.

25. Pour parvenir à cette conclusion, le Tribunal a procédé à « une interprétation littérale, contextuelle, téléologique et historique de l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36 », à la lumière des différentes versions linguistiques de ce protocole ( 13 ).

26. En premier lieu, s’agissant de l’interprétation littérale de l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36, le Tribunal a constaté que le libellé de cette disposition était peu explicite, et ce même examiné dans les différentes versions linguistiques. Le Tribunal a notamment considéré que ce libellé ne faisait pas clairement apparaître si un acte, dont un membre du Conseil a demandé, entre le 1er novembre 2014 et le 31 mars 2017, qu’il soit adopté conformément aux « anciennes » règles de la
majorité qualifiée, aurait également dû être adopté au cours de cette période ( 14 ).

27. En deuxième lieu, une interprétation historique de la disposition en cause n’a pas non plus, selon le Tribunal, apporté d’éclaircissements sur l’interprétation qu’il convenait de donner à cette disposition. Les documents soumis par les parties ont, en effet, été considérés comme étant peu concluants ( 15 ).

28. En troisième lieu, s’agissant de l’interprétation téléologique, le Tribunal a jugé que l’objectif du protocole no 36 était, selon son considérant unique, « d’organiser la transition entre les dispositions institutionnelles des traités applicables avant l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne et celles prévues par ledit traité ». À cette fin, l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36 attribuait à un État membre le droit de demander, durant une période spécifique, l’application des
« anciennes » règles de la majorité qualifiée. L’interprétation avancée par la Commission, ainsi que l’a constaté le Tribunal, viderait de son effet utile la fixation expresse de cette période pour exercer la prérogative en cause. En effet, elle réduirait significativement la période pendant laquelle un vote selon les règles du traité de Nice pouvait effectivement être demandé par un État membre. En revanche, l’interprétation proposée par la République de Pologne était, selon le Tribunal,
susceptible d’assurer qu’un État membre puisse utilement exercer ce droit durant l’intégralité de cette période ( 16 ).

29. En quatrième lieu, le Tribunal a considéré qu’une telle conclusion était également corroborée par une interprétation contextuelle de l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36. Cette disposition s’inscrit dans le cadre d’un ensemble de normes visant à instaurer trois étapes transitoires pour l’application des règles de la majorité qualifiée introduites par le traité de Lisbonne. Par conséquent, l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36 ne devait pas être considéré, selon le Tribunal,
comme étant une exception à la règle fixée à l’article 16, paragraphe 4, TUE, mais comme une disposition de nature transitoire, dont l’effet utile doit être garanti ( 17 ).

30. Dans ce contexte, le Tribunal a ajouté que, contrairement à ce que soutient la Commission, l’interprétation de l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36 avancée par la République de Pologne répondait à l’exigence d’interprétation stricte d’une disposition transitoire. Il a mentionné que le droit des membres du Conseil de présenter une demande demeurait limité dans le temps. En outre, le Tribunal a considéré que l’argument de la Commission, selon lequel cette interprétation irait à l’encontre
de l’objectif poursuivi par le traité de Lisbonne de renforcer la légitimité démocratique des votes du Conseil, était non fondé. À cet égard, le Tribunal a souligné que l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36 faisait partie du droit primaire et que son effet utile ne devait donc pas être affecté négativement par une « application prématurée de l’article 16, paragraphe 4, TUE » ( 18 ).

31. Enfin, le Tribunal a jugé que l’interprétation retenue de l’article 3, paragraphe 3, du protocole no 36 était conforme au principe de sécurité juridique. La période pendant laquelle un membre du Conseil pouvait demander l’application des « anciennes » règles de la majorité qualifiée était expressément limitée. En revanche, l’interprétation avancée par la Commission rendrait incertaine, selon le Tribunal, la période pendant laquelle ce droit pouvait être exercé, dans la mesure où cette période
dépendrait en définitive de la date effective du vote, un événement susceptible d’être soumis à de nombreuses variables. En outre, l’interprétation proposée par la Commission créerait, selon le Tribunal, la possibilité de contourner la disposition transitoire en question, son application pouvant être écartée par la simple fixation de la date du vote sur un projet d’acte à une date postérieure au 31 mars 2017 ( 19 ).

32. À la lumière de l’ensemble des considérations qui précèdent, le Tribunal a conclu qu’il convenait d’interpréter l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36 en ce sens que, pour qu’un projet d’acte soit adopté selon les règles de la majorité qualifiée définies à l’article 3, paragraphe 3, du protocole no 36, il suffisait que l’application de ces règles soit demandée par un État membre entre le 1er novembre 2014 et le 31 mars 2017, sans qu’il soit nécessaire que le vote sur le projet d’acte en
question intervienne également entre ces dates ( 20 ).

33. Par conséquent, dans l’arrêt attaqué, le Tribunal a :

– annulé la décision litigieuse ;

– ordonné que les effets de la décision litigieuse soient maintenus jusqu’à l’entrée en vigueur, dans un délai raisonnable qui ne saurait excéder douze mois à compter de la date du prononcé du présent arrêt, d’un nouvel acte appelé à la remplacer et adopté selon les règles de la majorité qualifiée prévues à l’article 3, paragraphe 3, du protocole no 36 sur les dispositions transitoires ;

– condamné la Commission à supporter ses propres dépens ainsi que ceux exposés par la République de Pologne, et le Royaume de Belgique, la République de Bulgarie, la République française, la Hongrie ainsi que le Royaume de Suède à supporter leurs propres dépens.

V. La procédure devant la Cour

34. Dans le cadre de son pourvoi devant la Cour, déposé le 2 avril 2021, la Commission conclut à ce qu’il plaise à la Cour :

– annuler l’arrêt attaqué ;

– rejeter le premier moyen d’annulation invoqué par la République de Pologne ;

– renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue sur les autres moyens d’annulation, et

– réserver les dépens.

35. Le même jour, par acte séparé, la Commission a demandé à la Cour de soumettre l’affaire à une procédure accélérée, conformément à l’article 133 du règlement de procédure de la Cour.

36. Dans son mémoire en défense, déposé le 28 juin 2021, la République de Pologne demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner la Commission aux dépens. À titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la Cour annulerait l’arrêt attaqué, la République de Pologne demande à la Cour de renvoyer l’affaire devant le Tribunal afin qu’il statue sur les autres moyens d’annulation.

37. Par décision du 7 juillet 2021, le président de la Cour a décidé de rejeter la demande de procédure accélérée, présentée par la Commission.

VI. Appréciation

38. À l’appui de son recours devant la Cour, la Commission invoque un moyen unique, dirigé contre les points 38 à 60 de l’arrêt attaqué.

A.   Arguments des parties

39. La Commission soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que le comité était tenu de voter le projet d’acte susmentionné conformément aux règles de la majorité qualifiée énoncées à l’article 3 du protocole no 36 au seul motif qu’un État membre avait présenté une demande d’application de ces règles avant l’expiration de la période transitoire, le 31 mars 2017, sans tenir compte du fait que la date du vote sur ce projet était postérieure au 31 mars 2017. La Commission
considère que, ce faisant, le Tribunal a interprété de manière erronée l’article 3 du protocole no 36, en violation de l’article 16, paragraphes 4 et 5, TUE.

40. Le moyen de la Commission peut, en substance, être divisé en deux branches.

41. Dans le cadre de la première branche de son moyen, la Commission invoque essentiellement une violation alléguée de l’article 16, paragraphe 5, TUE. Selon elle, c’est à tort que le Tribunal a considéré que le libellé de cette disposition était ambigu. La Commission soutient que, selon cette disposition, il ne peut y avoir de période transitoire après le 31 mars 2017. Selon la Commission, le Tribunal a donc retenu une interprétation de l’article 3 du protocole no 36 qui ne saurait être conforme à
l’article 16, paragraphe 5, TUE. En outre, la Commission fait valoir qu’un régime transitoire doit être d’interprétation stricte afin d’éviter de prolonger inutilement (et sans limitation) la période transitoire et la situation d’insécurité juridique qui en découle. En effet, la Commission et les États membres doivent pouvoir prévoir la période d’application pendant laquelle les règles de vote du traité de Nice demeurent applicables. Cette date ne saurait dépendre de la date effective du vote
d’un projet d’acte, car cette date peut varier en fonction de nombreuses circonstances.

42. Cette absence de certitude quant aux règles applicables au vote serait, selon la Commission, encore aggravée par le retrait, le 31 janvier 2020, du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord de l’Union européenne (ci-après le « Brexit »). En raison du Brexit, la majorité requise au sein du comité pour approuver un nouveau projet de décision d’exécution établissant des conclusions sur les MTD – qui serait la conséquence de l’annulation de la décision litigieuse – serait, en tout état de
cause, différente de celle qui s’imposait en 2017.

43. Dans le cadre de la seconde branche de son moyen, la Commission invoque une violation alléguée de l’article 16, paragraphe 4, TUE. La Commission fait valoir que l’interprétation de l’article 3 du protocole no 36 retenue par le Tribunal prive la règle de la double majorité énoncée à l’article 16, paragraphe 4, TUE d’une partie de son effet utile. Selon elle, les nouvelles règles de majorité introduites par le traité de Lisbonne sont plus « démocratiques » que les règles antérieures, dans la
mesure où elles renforcent la représentativité des votes du Conseil. Elle estime que l’interprétation retenue par le Tribunal de l’article 3 du protocole no 36 engendre ainsi un retard dans la pleine application des nouvelles règles, ce qui méconnaît l’objectif poursuivi par les rédacteurs du traité de Lisbonne.

44. À l’inverse, la République de Pologne partage l’interprétation de l’article 3 du protocole no 36 retenue par le Tribunal. Selon lui, cette disposition est – dans toutes les versions linguistiques – dépourvue d’ambiguïté en ce que les membres du Conseil ont le droit de demander l’application des « anciennes » règles de la majorité qualifiée entre le 1er novembre 2014 et le 31 mars 2017. La République de Pologne souligne que l’article 16, paragraphes 4 et 5, TUE fait référence au protocole no 36
en ce qui concerne les modalités et le calendrier d’application des nouvelles règles de vote. Selon elle, c’est donc à tort que la Commission soutient que l’interprétation de l’article 3 de ce protocole retenue par le Tribunal est contraire aux dispositions susmentionnées du traité UE.

45. La République de Pologne considère également que l’interprétation de l’article 3 du protocole no 36 retenue par le Tribunal ne conduit pas à une durée indéterminée d’application de cette disposition. Elle estime qu’il est évident que le droit de demander l’application des « anciennes » règles de la majorité qualifiée ne peut pas être exercé au-delà du 31 mars 2017. C’est, en réalité, l’interprétation de l’article 3 du protocole no 36 avancée par la Commission qui, selon la République de Pologne,
introduit un élément d’insécurité dans le système. En effet, la République de Pologne souligne que l’application des anciennes règles serait subordonnée à une date qui, comme la Commission le reconnaît elle-même, peut différer en fonction de nombreuses variables. Enfin, la République de Pologne conteste le caractère plus démocratique des nouvelles règles de vote par rapport aux anciennes. Elle soutient que cet aspect est, en tout état de cause, sans pertinence en ce qui concerne l’interprétation
des différentes dispositions en cause qui, ainsi que l’indique à juste titre l’arrêt attaqué, font toutes partie du droit primaire de l’Union.

B.   Appréciation du moyen soulevé dans le cadre du pourvoi

46. À titre liminaire, je dois préciser que, bien que des opinions divergentes aient été exprimées dans la doctrine ( 21 ), je suis d’avis que l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36 a accordé aux membres du Conseil un droit subjectif à demander l’adoption d’un acte selon les « anciennes » règles de la majorité qualifiée. Lorsqu’un tel droit était invoqué, le Conseil ne disposait d’aucun pouvoir d’appréciation quant à l’acceptation ou non de la demande. Ainsi que le précise expressément cette
disposition, dans de telles circonstances, les anciennes règles « s’appliquent » ( 22 ). C’est cette interprétation qui a été retenue dans l’arrêt attaqué et qui semble être constante entre les parties.

47. Cela dit, la question déterminante en l’espèce est celle de savoir si, pour pouvoir bénéficier de l’application des « anciennes » règles de la majorité qualifiée, il suffisait qu’un État membre demande l’application de ces règles entre le 1er novembre 2014 et le 31 mars 2017 ou s’il était également nécessaire que le vote ait lieu au cours de cette période.

48. À cet égard, je précise d’emblée que j’estime peu convaincants les arguments avancés par la Commission à l’encontre de l’interprétation de l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36 retenue par le Tribunal. Pour les raisons que j’exposerai ci-après, je proposerai donc à la Cour de rejeter le pourvoi de la Commission et de confirmer l’arrêt attaqué.

49. Premièrement, je suis d’accord avec la Commission sur le fait que le libellé des dispositions pertinentes (traité et protocole) n’est pas aussi ambigu que le laisse entendre l’arrêt attaqué. Toutefois, je considère qu’une interprétation littérale de ces dispositions étaye, en réalité, l’interprétation retenue par le Tribunal et non celle avancée par la Commission.

50. Même si je n’irais pas jusqu’à dire que le libellé de l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36 est un exemple de clarté, il est constant que cette disposition se réfère à une « demande » qui peut être formulée « entre le 1er novembre 2014 et le 31 mars 2017 ». En d’autres termes, il apparaît que la période transitoire prévue par cette disposition se rapporte à la faculté, pour les membres du Conseil, d’exercer leur droit en ce qui concerne l’application des « anciennes » règles de la
majorité qualifiée. Une comparaison des différentes versions linguistiques du protocole no 36 confirme cette lecture ( 23 ).

51. Deuxièmement, étant précisé que ce point est strictement lié au précédent, le libellé de l’article 16, paragraphes 4 et 5, TUE ne remet pas en cause ce constat. En effet, ces dispositions ne comportent aucun élément semblant contredire l’interprétation proposée de l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36.

52. L’article 16, paragraphe 4, TUE prévoit la nouvelle définition de la « majorité qualifiée », applicable à partir du 1er novembre 2014. Le fait que, exceptionnellement, un vote selon les « anciennes » règles de la majorité qualifiée puisse encore avoir lieu après le 31 mars 2017 ne modifie en rien le fait que, après cette date, la majorité qualifiée est, de manière générale, définie selon la nouvelle règle de la double majorité énoncée à l’article 16, paragraphe 4, TUE.

53. Pour sa part, l’article 16, paragraphe 5, TUE indique simplement que : i) des dispositions transitoires s’appliquent notamment en ce qui concerne la période comprise entre le 1er novembre 2014 et le 31 mars 2017, et ii) que ces dispositions sont fixées « par le protocole sur les dispositions transitoires ». L’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36 fait incontestablement partie de ces dispositions transitoires. Contrairement à ce que soutient la Commission, je ne vois pas comment, au regard
de son libellé, l’article 16, paragraphe 5, TUE fournit une quelconque indication sur la manière dont il convient d’interpréter l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36. En particulier, le fait que certaines dispositions transitoires figurant dans le protocole no 36 soient applicables du 1er novembre 2014 au 31 mars 2017 n’exclut pas que, lorsqu’elles sont invoquées en temps utile, ces dispositions puissent encore produire des effets au-delà de cette dernière date.

54. Troisièmement, contrairement à ce que soutient la Commission, je ne crois pas que le Tribunal ait, par son interprétation de l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36, prolongé indéfiniment la période transitoire ou créé une situation d’insécurité juridique. Comme le souligne à juste titre la République de Pologne, seules les demandes présentées avant une date précise (le 31 mars 2017) déclenchent l’application des « anciennes » règles de la majorité qualifiée. En outre, j’ajouterais que,
pour pouvoir être valablement formulée, une telle demande ne pouvait concerner que des projets d’actes dûment présentés pour l’adoption jusqu’à cette date. Partant, la simple possibilité que le vote sur le projet d’acte puisse avoir lieu après le 31 mars 2017 n’entraînait pas une « prolongation illimitée » de la période transitoire.

55. Cette éventualité ne créait pas non plus une situation d’insécurité pour le président et les membres du Conseil, violant ainsi le principe de sécurité juridique. Selon ce principe, les règles de droit doivent être claires et précises et leur application prévisible pour les justiciables. Plus précisément, une réglementation doit permettre aux intéressés de connaître avec exactitude l’étendue des obligations qu’elle leur impose et ces personnes doivent pouvoir connaître sans ambiguïté leurs droits
et leurs obligations et prendre leurs dispositions en conséquence ( 24 ).

56. Je ne vois pas pourquoi l’interprétation de l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36 retenue par le Tribunal serait contraire à ce principe. En effet, lorsqu’une demande présentée au titre de cette disposition était formulée dans la période prévue par cette dernière, tant la Commission que les membres du Conseil pouvaient être certains des règles de vote applicables. En revanche, si l’interprétation proposée par la Commission devait être suivie, les règles de vote pertinentes varieraient en
fonction de la date concrètement choisie par la présidence pour le vote. Les membres du Conseil ne seraient pas en mesure de connaître la majorité applicable tant que la date de ce vote n’aurait pas été fixée par la présidence ( 25 ).

57. En outre, comme l’a fait observer le Tribunal ( 26 ), l’interprétation avancée par la Commission ouvrirait la possibilité de contourner aisément les règles du protocole no 36. En effet, la date dudit vote pourrait être choisie de manière stratégique, aux fins de faire échec à une demande présentée par un membre du Conseil au titre de l’article 3, paragraphe 2, de ce protocole. Cela constitue, à nouveau, un aspect susceptible de créer une insécurité juridique dans l’application des règles de
vote.

58. Enfin, sur ce dernier point, je ne vois pas en quoi les considérations relatives au Brexit (qui a eu lieu le 31 janvier 2020) devraient avoir une incidence sur l’interprétation des règles énoncées dans le protocole no 36 (convenu lors de la conférence intergouvernementale ayant conclu ses travaux en octobre 2007). Le simple fait que, actuellement, la majorité requise au sein du comité pour approuver un projet de décision d’exécution établissant les conclusions sur les MTD serait différente de la
majorité requise en 2017 (au moment de l’adoption de la décision litigieuse) ne donne lieu à aucune situation d’insécurité juridique. Ce qui importe à cet égard, c’est que la majorité requise pour l’approbation de ce projet d’acte soit claire pour le président et les membres du comité, sur le fondement des règles pertinentes, ce qui n’est pas contesté par la Commission.

59. En outre, il est tout à fait possible que, après le Brexit, l’application des règles de vote du Conseil prévues par le traité de Nice entraîne certaines complications qui n’existent pas dans le cadre des règles introduites par le traité de Lisbonne, lesquelles sont – dans une certaine mesure – plus simples. Toutefois, il ne s’agit que d’une simple conséquence du fait que les États membres ont décidé de ne pas modifier les traités de l’Union immédiatement après le Brexit et continuent à appliquer
les règles existantes, interprétées à la lumière de leur objet et de leur finalité, ainsi qu’au regard du principe d’effectivité. Je ne vois pas comment un aspect concret, lié à des circonstances actuelles qui étaient imprévues et imprévisibles en 2007, pourrait être considéré comme étant un véritable critère d’interprétation de l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36.

60. Quatrièmement, je ne suis pas convaincu que l’interprétation de l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36 retenue dans l’arrêt attaqué soit contraire au principe d’interprétation stricte des dispositions transitoires. À cet égard, je fais observer que la Commission se réfère à une seule affaire ( 27 ) dans laquelle la Cour a interprété de manière stricte une dérogation à une règle générale contenue dans des dispositions transitoires ( 28 ). En l’espèce, la disposition transitoire en cause
n’introduit pas de dérogation à une règle générale, mais concerne l’entrée en vigueur progressive d’une disposition nouvelle, en permettant une application prolongée de l’ancienne disposition ( 29 ). Je ne suis pas sûr que les deux situations soient tout à fait comparables, ce que la Commission n’a pas cherché à expliquer dans ses observations.

61. En tout état de cause, et plus important encore, même s’il était constant que, de manière générale, les dispositions transitoires ne doivent pas faire l’objet d’une interprétation excessivement large ( 30 ), cela ne signifie pas que ces dispositions puissent être interprétées d’une manière qui semble contredire leur libellé ( 31 ). L’exigence d’interprétation stricte des exceptions et dérogations ne signifie pas non plus que les termes utilisés pour les définir puissent être interprétés d’une
manière qui priverait ces exceptions et dérogations de leurs effets ( 32 ).

62. Sur ce point, je suis d’ailleurs d’accord avec la République de Pologne sur le fait que l’interprétation avancée par la Commission aurait pour effet de raccourcir la période – prévue par le protocole no 36 – pendant laquelle les membres du Conseil pouvaient effectivement exercer le droit de demander l’application des « anciennes » règles de la majorité qualifiée ( 33 ). À cet égard, j’ajouterais que, dès lors que plusieurs semaines s’écoulent normalement entre le dépôt d’une proposition et le
vote effectif sur cette proposition, la réduction de la période prévue par le protocole no 36 n’est nullement négligeable.

63. Cinquièmement, je ne crois pas qu’il appartienne à la Cour de juger si, comme le soutient la Commission, les règles de vote introduites par le traité de Lisbonne sont, en comparaison avec les règles applicables dans le cadre du traité de Nice, intrinsèquement plus « démocratiques » et qu’elles renforcent ainsi la légitimité des votes du Conseil. Il s’agit d’un argument que j’estime manifestement dénué de pertinence aux fins de l’interprétation de l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36.

64. En tout état de cause, il me semble qu’il est même plutôt plus respectueux du principe de démocratie de donner plein effet à l’intention claire des rédacteurs du traité de Lisbonne qui, ayant reçu un mandat démocratique de négocier des modifications des traités de l’Union, ont convenu d’y inclure des règles transitoires. En effet, il est constant que les rédacteurs du traité de Lisbonne avaient l’intention d’introduire les nouvelles règles de vote avec un certain degré de flexibilité et, à cette
fin, ils ont instauré deux périodes transitoires. Telle est la raison d’être du protocole no 36 qui, ainsi qu’il a été mentionné dans l’arrêt attaqué, relève également, aux côtés des traités, du droit primaire ( 34 ). Par conséquent, la portée temporelle des dispositions de ce protocole ne saurait être indûment limitée par ce que la Commission considère être des règles plus démocratiques.

65. À la lumière de ce qui précède, l’allégation de la Commission selon laquelle l’interprétation de l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36 retenue par le Tribunal ferait échec à l’un des objectifs poursuivis par les rédacteurs du traité de Lisbonne me laisse perplexe. À cet égard, je fais également observer que, ainsi qu’il ressort de l’arrêt attaqué ( 35 ), aucun des documents soumis par les parties en première instance ne révèle une intention des rédacteurs du traité de Lisbonne de voir
appliquer les nouvelles règles de double majorité même lorsque cela priverait de facto les membres du Conseil des droits accordés par le protocole no 36.

66. Plus généralement, je me demande si la Commission ne surestime pas, en fait, l’importance des effets que l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36 devait conserver après la fin de la période transitoire. Le vote selon les « anciennes » règles de la majorité qualifiée après le 31 mars 2017 ne pouvait avoir lieu, en raison des limitations mentionnées au point 54 des présentes conclusions, qu’à titre exceptionnel. L’argument selon lequel l’interprétation de cette disposition retenue par le
Tribunal serait contraire au principe de démocratie ou susceptible de faire échec à l’un des objectifs poursuivis par les rédacteurs du traité de Lisbonne me rappelle un sketch des Monty Python dans lequel des chasseurs utilisent des mitrailleuses, des bazookas et l’artillerie pour tuer un moustique. Contrairement à l’issue de ce sketch, cette forme de surenchère ne me semble pas être couronnée de succès.

67. En conclusion, je considère que l’interprétation de l’article 3, paragraphe 2, du protocole no 36 retenue par le Tribunal dans l’arrêt attaqué est correcte. Je propose donc à la Cour de rejeter le pourvoi introduit par la Commission.

VII. Sur les dépens

68. Aux termes de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure de la Cour, applicable à la procédure de pourvoi en vertu de l’article 184, paragraphe 1, de ce règlement, toute partie qui succombe est condamnée aux dépens s’il est conclu en ce sens.

69. La République de Pologne a conclu à la condamnation aux dépens de la partie ayant succombé.

70. La Commission ayant, selon moi, succombé en ses moyens, il y a lieu de la condamner aux dépens afférents à la présente procédure de pourvoi.

VIII. Conclusion

71. Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de :

– rejeter le pourvoi ;

– condamner la Commission aux dépens.

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( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) Voir notamment le « compromis de Luxembourg » de 1966 (conclusions de la réunion extraordinaire du Conseil qui s’est tenue à Luxembourg les 17, 18, 27 et 28 janvier 1966) (Bulletin de la Communauté économique européenne, mars 1966, 3‑66, p. 5 à 11) ; le « compromis de Ioánnina » de 1994 [décision du Conseil du 29 mars 1994 concernant la prise de décision par le Conseil à la majorité qualifiée (JO 1994, C 105, p. 1), telle que modifiée par la décision du Conseil du 1er janvier 1995 (JO 1995,
C 1, p. 1)], et, plus récemment, la déclaration (no 7) ad article 16, paragraphe 4, du traité sur l’Union européenne et article 238, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, annexée au traité de Lisbonne (JO 2008, C 115, p. 338).

( 3 ) Pour un aperçu historique, avec références supplémentaires, voir notamment Jacqué, J.-P., « Le vote au Conseil de l’Union européenne », dans Blanquet, M., La Prise de décision dans le système de l’Union européenne, Bruylant, 2011, p. 61 à 89, et Dann, P., « The Council », dans Schütze, R., et Tridimas, T., Oxford Principles of European Union Law, vol. I, Oxford University Press, 2018, p. 540 à 544.

( 4 ) Voir, en particulier, article 16, paragraphes 3 à 5, TUE ainsi qu’article 238 TFUE et article 11 de la décision 2009/937/UE du Conseil, du 1er décembre 2009, portant adoption de son règlement intérieur (JO 2009, L 325, p. 35), telle que modifiée.

( 5 ) Tel est le cas lorsque le Conseil statue sur proposition de la Commission européenne ou du haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité (voir article 238, paragraphe 2, TFUE). Il s’agit de la vaste majorité des cas dans lesquels le Conseil est tenu de voter selon les règles de la majorité qualifiée.

( 6 ) JO 2016, C 202, p. 321 (ci-après le « protocole no 36 »).

( 7 ) Tableau non reproduit.

( 8 ) JO 2011, L 55, p. 13.

( 9 ) JO 2010, L 334, p. 17.

( 10 ) JO 2012, L 63, p. 1.

( 11 ) JO 2017, L 212, p. 1.

( 12 ) Arrêt du 27 janvier 2021, Pologne/Commission (T‑699/17, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2021:44).

( 13 ) Voir point 34 de l’arrêt attaqué.

( 14 ) Points 35 et 36 de l’arrêt attaqué.

( 15 ) Point 37 de l’arrêt attaqué.

( 16 ) Points 38 à 42 de l’arrêt attaqué.

( 17 ) Points 43 à 49 de l’arrêt attaqué.

( 18 ) Points 50 à 52 de l’arrêt attaqué.

( 19 ) Points 53 à 55 de l’arrêt attaqué.

( 20 ) Point 56 de l’arrêt attaqué.

( 21 ) Voir, notamment, Ponzano, P., « Comment to Article 16 TEU », dans Curti Gialdino, C., (éd.), Codice dell’Unione europea – Operativo, Simone, Naples, 2012, p. 196 et 197.

( 22 ) Mise en italique par mes soins.

( 23 ) Voir, notamment, la version en langue allemande (« für den Zeitraum vom 1. November 2014 bis zum 31. März 2017 [...] kann ein Mitglied des Rates beantragen ») ; la version en langue grecque (« aπό την 1η Νοεμβρίου 2014 έως την 31η Μαρτίου 2014 [...] ένα μέλος του Συμβουλίου μπορεί να ζητά να θεσπισθεί ») ; la version en langue espagnole (« entre el 1 de noviembre de 2014 y el 31 de marzo de 2017 [...] cualquier miembro del Consejo podrá solicitar ») ; la version en langue française (« [e]ntre
le 1er novembre 2014 et le 31 mars 2017 [...] un membre du Conseil peut demander ») ; la version en langue croate (« u razdoblju od 1.11.2014. do 31.3.2017 [...] član Vijeća može zatražiti »), et la version en langue italienne (« nel periodo dal 1o novembre 2014 al 31 marzo 2017 [...] un membro del Consiglio può chiedere »).

( 24 ) Voir, par exemple, arrêt du 1er juillet 2014, Ålands Vindkraft (C‑573/12, EU:C:2014:2037, points 127 et 128).

( 25 ) Sur ce point, voir, de manière convaincante, point 55 de l’arrêt attaqué.

( 26 ) Sur ce point, voir, de manière convaincante, point 55 de l’arrêt attaqué.

( 27 ) Arrêt du 2 septembre 2010, Kirin Amgen (C‑66/09, EU:C:2010:484, points 30 à 33).

( 28 ) Sur ce point, voir également conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire Kirin Amgen (C‑66/09, EU:C:2010:96, points 5 et 57).

( 29 ) Voir, également, point 47 de l’arrêt attaqué.

( 30 ) Voir point 50 de l’arrêt attaqué et jurisprudence citée.

( 31 ) Voir points 48 et 49 des présentes conclusions.

( 32 ) Voir, notamment, arrêt du 30 septembre 2021, Icade Promotion (C‑299/20, EU:C:2021:783, point 31 et jurisprudence citée). Voir également, à cet égard, arrêt du 14 octobre 2010, Union syndicale Solidaires Isère (C‑428/09, EU:C:2010:612, point 40).

( 33 ) Sur ce point, voir, à nouveau, de manière convaincante, point 41 de l’arrêt attaqué.

( 34 ) Point 51 de l’arrêt attaqué.

( 35 ) Point 37 de l’arrêt attaqué.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-207/21
Date de la décision : 10/03/2022
Type d'affaire : Pourvoi - non fondé
Type de recours : Recours en annulation

Analyses

Pourvoi – Annulation de la décision d’exécution (UE) 2017/1442 – Article 16, paragraphes 4 et 5, TUE – Article 3, paragraphes 2 et 3, du protocole (no 36) sur les dispositions transitoires – Application ratione temporis – Règles de vote du Conseil – Majorité qualifiée.

Environnement


Parties
Demandeurs : Commission européenne
Défendeurs : République de Pologne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Emiliou

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:186

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