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22/02/2022 | CJUE | N°C-14/21

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. A. Rantos, présentées le 22 février 2022., Sea Watch eV contre Ministero delle Infrastrutture e dei Trasporti e.a., 22/02/2022, C-14/21


CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. ATHANASIOS RANTOS

présentées le 22 février 2022 (1)

Affaires jointes C‑14/21 et C‑15/21

Sea Watch eV

contre

Ministero delle Infrastrutture e dei Trasporti,

Capitaneria di Porto di Palermo (C‑14/21)

Ministero delle Infrastrutture e dei Trasporti,

Capitaneria di Porto di Porto Empedocle (C‑15/21)

[demandes de décision préjudicielle formées par le Tribunale amministrativo regionale per la Sicilia (tribunal administratif régional pour la Sicil

e, Italie)]

« Renvoi préjudiciel – Transports maritimes – Activité de recherche et de sauvetage en mer – Régime applicable au...

CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. ATHANASIOS RANTOS

présentées le 22 février 2022 (1)

Affaires jointes C‑14/21 et C‑15/21

Sea Watch eV

contre

Ministero delle Infrastrutture e dei Trasporti,

Capitaneria di Porto di Palermo (C‑14/21)

Ministero delle Infrastrutture e dei Trasporti,

Capitaneria di Porto di Porto Empedocle (C‑15/21)

[demandes de décision préjudicielle formées par le Tribunale amministrativo regionale per la Sicilia (tribunal administratif régional pour la Sicile, Italie)]

« Renvoi préjudiciel – Transports maritimes – Activité de recherche et de sauvetage en mer – Régime applicable aux navires – Directive 2009/16/CE – Pouvoirs de contrôle de l’État du port – Article 3 – Champ d’application – Article 11 – Conditions pour une inspection supplémentaire – Article 13 – Inspection détaillée – Étendue des pouvoirs de contrôle – Article 19 – Immobilisation des navires »

I.      Introduction

1.        Les présentes demandes de décision préjudicielle ont été introduites par le Tribunale amministrativo regionale per la Sicilia (tribunal administratif régional pour la Sicile, Italie) dans le cadre de deux litiges opposant Sea Watch eV au Ministero delle Infrastrutture e dei Trasporti (ministère des Infrastructures et des Transports, Italie) ainsi qu’à la Capitaneria di Porto di Palermo (capitainerie du port de Palerme, Italie), dans la première affaire, et à la Capitaneria di Porto di
Porto Empedocle (capitainerie du port de Port-Empédocle, Italie), dans la seconde affaire, au sujet de deux ordres d’immobilisation donnés par chacune de ces capitaineries et portant, respectivement, sur les navires dénommés Sea Watch 4 et Sea Watch 3 (ci-après les « navires en cause »).

2.        Les questions préjudicielles concernent, pour l’essentiel, l’étendue des pouvoirs de contrôle de l’État du port, en vertu de la directive 2009/16/CE (2) et des autres normes internationales applicables, sur des navires privés qui exercent, de façon systématique et exclusive, l’activité de recherche et de sauvetage de personnes se trouvant en situation de danger ou de détresse en mer (ci-après l’« activité de recherche et de sauvetage en mer »). La Cour est appelée, plus particulièrement, à
préciser le champ d’application de la directive 2009/16, la fréquence et l’intensité des contrôles, ainsi que le fondement des mesures d’immobilisation.

3.        La principale difficulté qui se pose dans les présentes affaires réside dans l’absence d’une législation internationale ou européenne encadrant l’exercice systématique de l’activité de recherche et de sauvetage en mer par des entités privées (3), activité qui s’est accrue de manière importante au fil des dernières années, compte tenu des défaillances des organisations étatiques et internationales face à la situation de plus en plus critique touchant à la sécurité des personnes qui
traversent la mer Méditerranée à bord d’embarcations de fortune.

4.        Jusqu’à ce jour, les législateurs international et européen se sont abstenus de combler cette lacune et de prendre ainsi directement position face à ce phénomène (4), dont l’importance à l’heure actuelle est démontrée par le fait que les navires privés qui mènent de manière systématique l’activité de recherche et de sauvetage en mer coopèrent, en réalité, avec les systèmes étatiques de recherche et de sauvetage en mer (5). L’absence de règles particulières concernant cette pratique est,
toutefois, propice à l’apparition de situations ambiguës, dans lesquelles la présence de navires privés exerçant régulièrement l’activité de recherche et de sauvetage en mer peut aboutir à contourner les règles d’entrée sur le territoire de l’Union et même d’encourager ce type d’activité. Je fais néanmoins remarquer, d’emblée, que les présentes affaires ne portent pas sur l’activité de recherche et de sauvetage elle-même, mais concernent un stade distinct et postérieur à celle-ci, à savoir
l’activité d’inspection des navires après le débarquement des « naufragés ».

II.    Le cadre juridique

A.      Le droit de l’Union

5.        La directive 2009/16 (6) concerne le contrôle des navires par l’État du port. Le considérant 6 de cette directive est rédigé comme suit :

« La responsabilité du contrôle de la conformité des navires aux normes internationales relatives à la sécurité, à la prévention de la pollution et aux conditions de vie et de travail à bord incombe principalement à l’État du pavillon. S’appuyant au besoin sur des organismes agréés, l’État du pavillon garantit intégralement le caractère exhaustif et effectif des inspections et visites effectuées en vue de la délivrance des certificats appropriés. La responsabilité du maintien de l’état du navire et
de son équipement après la visite, afin de se conformer aux exigences des conventions applicables au navire, incombe à la compagnie du navire. Cependant, les normes internationales sont de moins en moins appliquées et mises en œuvre par un certain nombre d’États du pavillon. Dorénavant, pour assurer une deuxième ligne de défense contre les transports maritimes inférieurs aux normes, le contrôle de la conformité aux normes internationales relatives à la sécurité, à la prévention de la pollution et
aux conditions de vie et de travail à bord devrait donc également être assuré par l’État du port, étant entendu que l’inspection dans le cadre du contrôle par l’État du port n’est pas une visite et que les formulaires d’inspection correspondants ne sont pas des certificats d’aptitude à la navigation. »

6.        L’article 3 de ladite directive, intitulé « Champ d’application », énonce :

« 1.      La présente directive s’applique à tout navire ainsi qu’à son équipage faisant escale dans un port ou mouillage d’un État membre pour effectuer une activité d’interface navire/port.

[...]

Aucune disposition du présent article ne porte atteinte aux droits d’intervention dont dispose un État membre au titre des conventions applicables.

[...]

4.      Les bateaux de pêche, les navires de guerre, les bâtiments de servitude, les embarcations en bois de conception primitive, les navires des pouvoirs publics utilisés à des fins non commerciales et les bateaux de plaisance utilisés à des fins non marchandes sont exclus du champ d’application de la présente directive.

[...] »

7.        L’article 11 de la même directive, intitulé « Fréquence des inspections », prévoit :

« Les navires faisant escale dans des ports ou mouillages dans [l’Union] sont soumis à des inspections périodiques ou à des inspections supplémentaires dans les conditions suivantes :

a)      les navires sont soumis à des inspections périodiques à des intervalles déterminés à l’avance en fonction de leur profil de risque [...] ;

b)      les navires sont soumis à des inspections supplémentaires quel que soit le laps de temps écoulé depuis leur dernière inspection périodique, dans les conditions suivantes :

–      l’autorité compétente veille à ce que les navires auxquels s’appliquent les facteurs prépondérants énumérés à l’annexe I, partie II, point 2.A, soient inspectés,

–        les navires auxquels s’appliquent les facteurs imprévus énumérés à l’annexe I, partie II, point 2.B, peuvent être inspectés. La décision de procéder à une telle inspection supplémentaire est laissée au jugement professionnel de l’autorité compétente. »

8.        En vertu de l’article 13 de la directive 2009/16, intitulé « Inspections initiale et détaillée » :

« Les États membres veillent à ce que les navires qui sont sélectionnés pour inspection conformément à l’article 12 ou à l’article 14 bis soient soumis à une inspection initiale ou à une inspection détaillée dans les conditions suivantes :

1)      Lors de chaque inspection initiale d’un navire, l’autorité compétente veille à ce que l’inspecteur procède au moins aux opérations suivantes :

a)      contrôler les certificats [...] qui doivent se trouver à bord conformément au droit [de l’Union] en matière maritime et aux conventions relatives à la sécurité et à la sûreté ;

[...]

c)      s’assurer de l’état général du navire, y compris sur le plan de l’hygiène, et notamment de la salle des machines et du logement de l’équipage.

[...]

3)      Une visite détaillée, comprenant un contrôle approfondi de la conformité aux prescriptions relatives aux procédures opérationnelles à bord du navire, est effectuée lorsque, à l’issue de l’inspection visée au point 1, il existe des motifs évidents de croire que l’état du navire ou de son équipement, ou son équipage, ne répond pas en substance aux prescriptions d’une convention en la matière.

Il existe des ‟motifs évidents” lorsque l’inspecteur constate des faits qui, sur la base de son jugement professionnel, justifient une inspection détaillée du navire, de son équipement ou de son équipage.

Des exemples de ‟motifs évidents” sont indiqués à l’annexe V. »

9.        L’article 19 de cette directive, intitulé « Suppression des anomalies et immobilisation du navire », dispose :

« 1.      L’autorité compétente s’assure que toute anomalie confirmée ou révélée par les inspections a été ou sera supprimée conformément aux conventions.

2.      Lorsque les anomalies présentent un risque manifeste pour la sécurité, la santé ou l’environnement, l’autorité compétente de l’État du port dans lequel le navire est inspecté fait en sorte que le navire soit immobilisé ou que l’exploitation au cours de laquelle des anomalies ont été révélées soit arrêtée. L’immobilisation ou l’arrêt d’opération n’est levé(e) que si tout danger a disparu ou si l’autorité constate que le navire peut, sous réserve des conditions qu’elle estime nécessaire
d’imposer, quitter le port ou que l’exploitation peut reprendre sans risque pour la sécurité et la santé des passagers ou de l’équipage ou sans risque pour les autres navires, ou sans constituer une menace déraisonnable pour le milieu marin.

[...]

6.      En cas d’immobilisation, l’autorité compétente informe immédiatement, par écrit et en incluant le rapport d’inspection, l’administration de l’État du pavillon ou, lorsque cela n’est pas possible, le consul ou, en son absence, le plus proche représentant diplomatique de cet État, de toutes les circonstances dans lesquelles une intervention a été jugée nécessaire. En outre, les inspecteurs désignés ou les organismes agréés chargés de la délivrance des certificats de classification ou des
certificats réglementaires conformément aux conventions sont également informés, le cas échéant. [...]

[...] »

10.      L’annexe I de ladite directive, intitulée « Éléments du système communautaire d’inspection par l’État du port », contient une partie II, dont la section 2, intitulée « Inspections supplémentaires », comprend un point 2B, intitulé « Facteurs imprévus », qui est libellé comme suit :

« Les navires auxquels s’appliquent les facteurs imprévus énumérés ci-après peuvent faire l’objet d’une inspection quel que soit le laps de temps écoulé depuis leur dernière inspection périodique. La décision de procéder à une telle inspection supplémentaire est laissée au jugement professionnel de l’autorité compétente.

[...]

–        Les navires ayant été exploités de manière à présenter un danger pour les personnes, les biens ou l’environnement.

–        [...] »

11.      L’annexe V de la même directive, intitulée « Exemples de “motifs évidents” », indique dans la liste des « motifs évidents justifiant une inspection détaillée » (partie A), les exemples suivants :

« 1.      Les navires énumérés à l’annexe I, partie II, points 2.A et 2.B.

[...]

3.      Des inexactitudes ont été constatées lors de l’examen des certificats et autres documents de bord.

[...] »

B.      Le droit italien

12.      La directive 2009/16 a été transposée en droit italien par le decreto legislativo n^o 53 – Attuazione della direttiva [2009/16] recante le norme internazionali per la sicurezza delle navi, la prevenzione dell’inquinamento e le condizioni di vita e di lavoro a bordo per le navi che approdano nei porti comunitari e che navigano nelle acque sotto la giurisdizione degli Stati membri (décret législatif n^o 53 – Mise en œuvre de la directive [2009/16] portant règles internationales pour la
sécurité des navires, la prévention de la pollution et les conditions de vie et de travail à bord des navires faisant escale dans les ports de l’Union et naviguant dans les eaux relevant de la juridiction des États membres), du 24 mars 2011 (7).

III. Les litiges au principal et les questions préjudicielles

13.      Sea Watch est une organisation humanitaire à but non lucratif ayant son siège à Berlin (Allemagne) qui, selon ses statuts, a pour objet, notamment, l’activité de recherche et de sauvetage en mer et qui exerce cette activité dans les eaux internationales de la mer Méditerranée au moyen de navires dont elle est à la fois la propriétaire et l’exploitante. Parmi ces navires figurent en particulier les navires en cause, qui battent pavillon allemand et qui ont été certifiés par un organisme
agréé de classification et de certification établi en Allemagne (ci-après l’« organisme de certification ») en tant que « navires de charge généraux – polyvalents » (8).

14.      Au cours de l’été 2020, après avoir effectué des opérations de sauvetage dans les eaux internationales de la mer Méditerranée et avoir débarqué les personnes sauvées en mer dans les ports de Palerme (Italie) et de Port-Empédocle (Italie), conformément à l’autorisation et aux instructions des autorités italiennes, les navires en cause ont fait l’objet de procédures de nettoyage et de désinfection puis d’inspections à bord de la part, respectivement, des capitaineries de port de ces deux
villes, et notamment d’inspections détaillées au sens de l’article 13 de la directive 2009/16 (9).

15.      Ces inspections détaillées étaient fondées sur l’existence d’un « facteur prépondérant », au sens de l’article 11 de la directive 2009/16 (10), tenant à la circonstance que les navires en cause étaient engagés dans l’activité de recherche et de sauvetage en mer alors qu’ils n’étaient pas certifiés pour ce service et avaient recueilli à bord un nombre de personnes largement supérieur à ce qui correspondait aux certificats de sécurité de ces navires.

16.      Selon les autorités italiennes, lesdites inspections détaillées ont relevé un certain nombre de défaillances techniques et opérationnelles par rapport aux dispositions de la réglementation de l’Union et des conventions internationales applicables (11), dont certaines devaient être considérées, séparément ou ensemble, comme créant un risque manifeste pour la sécurité, la santé ou l’environnement et comme revêtant une gravité telle qu’elles justifiaient l’immobilisation de ces navires,
conformément à l’article 19 de la directive 2009/16 (12). Les deux capitaineries concernées ont en conséquence ordonné l’immobilisation desdits navires. Depuis lors, Sea Watch a mis fin à un certain nombre de ces irrégularités, tout en considérant que les irrégularités restantes (ci-après les « irrégularités en cause » (13)) n’étaient pas établies.

17.      À la suite de l’immobilisation des navires en cause, Sea Watch a introduit, devant le Tribunale amministrativo regionale per la Sicilia (tribunal administratif régional pour la Sicile), la juridiction de renvoi, deux recours tendant à l’annulation des avis d’immobilisation de ces navires, des rapports d’inspection ayant précédé ces avis et de « tout autre acte préalable, connexe ou consécutif ». À l’appui de ses recours, elle a fait valoir, pour l’essentiel, que les capitaineries dont
émanent ces mesures avaient excédé les pouvoirs attribués à l’État du port, tels qu’ils résultent de la directive 2009/16, interprétée à la lumière du droit international coutumier et conventionnel applicable.

18.      La juridiction de renvoi relève, de manière générale, qu’il y a désaccord quant à l’existence des irrégularités en cause non seulement entre les parties au principal, mais également entre les autorités concernées de l’État du port (l’Italie) et de l’État du pavillon (l’Allemagne) (14), et que les litiges au principal soulèvent des questions de droit complexes, nouvelles et particulièrement importantes, qui concernent notamment le cadre et le régime juridiques applicables aux navires
exploités par des organisations non gouvernementales à but humanitaire en vue de procéder, de façon intentionnelle et non simplement accidentelle, à l’activité de recherche et de sauvetage en mer. Cela étant précisé, cette juridiction s’interroge, en substance, d’une part, sur le point de savoir si la directive 2009/16 est applicable aux navires en cause et, d’autre part, sur les conditions et les fondements des pouvoirs de contrôle et d’immobilisation de l’État du port.

19.      Dans ces circonstances, le Tribunale amministrativo regionale per la Sicilia (tribunal administratif régional pour la Sicile) a décidé, dans chacun des deux litiges au principal, de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes, qui sont libellées dans des termes identiques dans les deux affaires :

« 1)      a)      Le champ d’application de la directive [2009/16] couvre-t-il un navire classé comme navire de charge par l’organisme de classification de l’État du pavillon, mais qui mène en réalité exclusivement et systématiquement des activités non commerciales, telles que les activités dites “search and rescue” [“SAR” ou “recherche et sauvetage”] (telles qu’elles sont exercées par [Sea Watch] au moyen [des navires en cause] sur la base de ses statuts) et, partant, l’inspection PSC [“Port State
Control” ou “contrôle par l’État du port”] peut-elle également être effectuée concernant un tel navire ?

b)      [S]i la Cour juge que les navires visés relèvent également du champ d’application de la directive [2009/16], alors une réglementation nationale telle que l’article 3 du décret législatif n^o 53/2011, qui a transposé l’article 3 de cette directive, mais qui, en revanche, définit expressément à son paragraphe 1 le champ d’application de l’inspection PSC en le limitant aux seuls navires utilisés à des fins commerciales, en excluant non seulement les bateaux de plaisance mais aussi les navires
de charge qui ne mènent pas en réalité d’activités commerciales (et ne sont donc pas utilisés aux fins de telles activités), s’oppose-t-elle à ladite directive, interprétée en ce sens ?

c)      Enfin, est-il possible de considérer valablement que relèvent du champ d’application de la directive [2009/16], en tant qu’il couvre également les navires à passagers, à la suite des modifications apportées en 2017, les navires de charge qui mènent systématiquement des activités [de recherche et de sauvetage], en assimilant ainsi le transport des personnes secourues en mer parce qu’elles sont en danger de mort au transport de passagers ?

2)      Le fait que le navire a transporté un nombre de personnes de loin supérieur à celui qui figure sur le certificat d’équipements de sécurité, bien que ce soit à l’issue d’activités [de recherche et de sauvetage], ou, en tout cas, qu’il dispose d’un certificat d’équipements de sécurité mentionnant un nombre de personnes de loin inférieur à celui des personnes effectivement transportées, peut-il valablement être considéré comme un facteur prépondérant, au sens de l’annexe I, partie II, point 2A,
ou comme un facteur imprévu, au sens de l’annexe I, partie II, point 2B, tels que mentionnés à l’article 11 de la directive [2009/16] ?

3)      Le pouvoir de procéder à une inspection PSC détaillée, conformément à l’article 13 de la directive [2009/16], des navires battant pavillon d’États membres peut-il ou doit-il également inclure celui de vérifier concrètement les activités effectivement menées par le navire, indépendamment de celles pour laquelle le certificat de classification et les certificats de sécurité qui en résultent lui ont été délivrés par l’État du pavillon et l’organisme de classification de celui-ci et, par
conséquent, le pouvoir de vérifier que ce navire dispose des certificats et, en général, respecte les exigences ou prescriptions prévues par les règles adoptées au niveau international en matière de sécurité, de prévention de la pollution et de conditions de vie et de travail à bord ? En cas de réponse affirmative, ledit pouvoir peut-il être exercé également s’agissant d’un navire qui mène en réalité de manière systématique des activités [de recherche et sauvetage] ?

4)      a)      Comment convient-il d’interpréter [l’article I], sous b), de la convention [pour la sauvegarde de la vie humaine en mer] – qui est expressément rappelé à l’article 2 de la directive [2009/16] et dont il y a lieu, dès lors, d’assurer une interprétation homogène [dans l’Union] aux fins et dans le cadre de l’inspection PSC – en tant qu’il dispose que “[l]es [g]ouvernements contractants s’engagent à promulguer toutes lois, tous décrets, ordres et règlements et à prendre toutes autres
mesures nécessaires pour donner à la [c]onvention son plein et entier effet, afin de garantir que, du point de vue de la sauvegarde de la vie humaine, un navire est apte au service auquel il est destiné” ? En particulier, s’agissant de juger si le navire est apte au service auquel il est destiné[,] ce que les États du port sont tenus de faire au moyen des inspections PSC, faut-il se limiter à prendre comme seul paramètre de vérification les exigences imposées sur la base de la classification et des
certifications de sécurité correspondantes détenues, obtenues sur la base des activités déclarées théoriquement, ou peut-on, en revanche, tenir compte également du service auquel le navire est concrètement affecté ?

b)      Partant, même en ce qui concerne ledit paramètre international, les autorités administratives des États du port ont-elles le pouvoir non seulement de vérifier la conformité des équipements de bord aux exigences prévues par les certifications délivrées par l’État du pavillon et découlant de la classification théorique du navire, mais également d’évaluer la conformité des certifications et des équipements de bord correspondants dont dispose le navire en fonction des activités réellement
menées, différentes de celles indiquées dans le certificat de classification et étrangères à celles-ci ?

c)      Il convient de formuler les mêmes considérations s’agissant du point 1.3.1 [de l’annexe] de la résolution [de l’OMI sur le contrôle par l’État du port], en tant qu’il dispose que, “[e]n vertu des dispositions des conventions pertinentes mentionnées dans la section 1.2 ci-dessus, l’[a]dministration (c’est-à-dire le [g]ouvernement de l’État du pavillon) est responsable de promulguer les lois et les règlements et de prendre toute autre mesure qui pourrait être nécessaire pour donner à ces
conventions un effet plein et entier de manière à garantir que, du point de vue de la sauvegarde de la vie humaine en mer et de la prévention de la pollution, un navire est apte au service auquel il est destiné et les gens de mer sont qualifiés et aptes à s’acquitter de leurs tâches” ?

5)      a)      [S]i la Cour juge que l’État du port a le pouvoir de vérifier la possession des certifications et le respect des exigences ou des prescriptions sur la base des activités auxquelles le navire est destiné en réalité, l’État du port qui a procédé à l’inspection PSC peut-il exiger la possession de certifications et le respect d’exigences ou prescriptions en matière de sécurité et de prévention de la pollution maritime – outre les certifications dont le navire dispose déjà et les
exigences ou prescriptions qu’il respecte déjà – concernant les activités réellement menées, plus précisément en l’espèce les activités [de recherche et de sauvetage], afin d’éviter l’immobilisation du navire ?

b)      S’il est répondu par l’affirmative au point [a)], convient-il de considérer que la possession de certifications et le respect d’exigences ou prescriptions – outre les certifications dont le navire dispose déjà et les exigences ou prescriptions qu’il respecte déjà – concernant les activités réellement menées, plus précisément en l’espèce les activités [de recherche et de sauvetage], peuvent être requis, afin d’éviter l’immobilisation du navire, seulement s’il existe un cadre juridique
international ou [de l’Union] clair et fiable en ce qui concerne la classification des activités [de recherche et de sauvetage] et les certifications et exigences ou prescriptions de sécurité et de prévention de la pollution maritime y afférentes ?

c)      S’il est répondu par la négative au point [b)], la possession de certifications et le respect d’exigences ou prescriptions – outre les certifications dont le navire dispose déjà et les exigences ou prescriptions qu’il respecte déjà – concernant les activités réellement menées, plus précisément en l’espèce les activités [de recherche et de sauvetage], doivent-ils être requis sur la base du droit national de l’État du pavillon ou de l’État du port et, à ces fins, une législation primaire
est-elle nécessaire ou bien une législation dérivée ou même seulement une réglementation administrative de nature générale sont-elles également appropriées ?

d)      En cas de réponse affirmative au point [c)], incombe-t-il à l’État du port d’indiquer de manière précise et spécifique, lors de l’inspection PSC, sur la base de quelle réglementation nationale (déterminée conformément au point [c)], de rang législatif, réglementaire ou résultant d’un acte administratif de nature générale, doivent être identifiées les exigences ou les prescriptions techniques de sécurité et de prévention de la pollution maritime que le navire soumis à l’inspection PSC doit
satisfaire pour mener les activités [de recherche et de sauvetage] et quelles actions de correction ou rectification sont exactement requises pour garantir le respect de cette réglementation ?

e)      En cas d’absence de réglementation de l’État du port ou de l’État du pavillon, de rang législatif, réglementaire ou résultant d’un acte administratif de nature générale, l’administration de l’État du port peut-elle indiquer, au cas par cas, les exigences ou les prescriptions techniques de sécurité, de prévention de la pollution maritime et de protection de la vie et du travail à bord que le navire soumis à l’inspection PSC doit satisfaire pour mener les activités [de recherche et de
sauvetage] ?

f)      S’il est répondu par la négative aux points [d)] et [e)], les activités [de recherche et de sauvetage], en l’absence d’indications spécifiques de l’État du pavillon en cette matière, peuvent-elles être considérées comme ayant été autorisées entre-temps et donc comme non susceptibles d’être empêchées par l’adoption d’une mesure d’immobilisation, lorsque le navire soumis à l’inspection PSC respecte les exigences ou les prescriptions susmentionnées d’une autre catégorie (plus précisément,
celles relatives aux navires de charge), dont l’État du pavillon a confirmé le respect effectif également ? »

IV.    La procédure devant la Cour

20.      Dans ses décisions de renvoi, le Tribunale amministrativo regionale per la Sicilia (tribunal administratif pour la Sicile) a demandé à la Cour de soumettre les présentes affaires à la procédure accélérée prévue à l’article 105 du règlement de procédure de la Cour.

21.      Par décision du président de la Cour en date du 2 février 2021, ces affaires ont été jointes aux fins des phases écrite et orale de la procédure et, par ordonnance du président de la Cour du 25 février 2021, celui-ci a rejeté la demande de procédure accélérée, tout en constatant que les circonstances particulières de ces affaires justifiaient que la Cour traite celles-ci en priorité, en application de l’article 53, paragraphe 3, du règlement de procédure.

22.      Des observations écrites ont été déposées par Sea Watch, les gouvernements italien, espagnol et norvégien, ainsi que par la Commission européenne. Ces parties ont également présenté des observations orales lors de l’audience de plaidoiries qui s’est tenue le 30 novembre 2021.

V.      Analyse

23.      Les questions préjudicielles posées par la juridiction de renvoi concernent le champ d’application de la directive 2009/16 (A) et l’étendue des pouvoirs de contrôle de l’État du port, en ce qui concerne, tout d’abord, les conditions requises pour une inspection détaillée supplémentaire en vertu de l’article 11 de cette directive (B), ensuite, l’étendue des pouvoirs d’inspection, en vertu tant de l’article 13 de ladite directive que de la convention pour la sauvegarde de la vie humaine en
mer et de la résolution de l’OMI sur le contrôle par l’État du port (C), et, enfin, les conditions de l’immobilisation d’un navire en vertu de l’article 19 de la même directive (D).

A.      Sur la première question préjudicielle (champ d’application de la directive 2009/16)

24.      Par sa première question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si la directive 2009/16 s’applique à des navires qui, tout en ayant été classés et certifiés en tant que navires de charge, sont exploités, de façon exclusive et systématique, aux fins de l’activité de recherche et de sauvetage en mer [sous a)], et le cas échéant, si l’activité de ces navires peut relever du champ d’application de cette directive en tant qu’activité assimilée à celle de transport de passagers
[sous c)]. Dans l’affirmative, cette juridiction demande si l’article 3 du décret législatif n^o 53/2011, qui transpose l’article 3 de ladite directive en limitant son champ d’application aux seuls navires utilisés à des fins commerciales, est compatible avec cette directive [sous b)].

25.      Ladite juridiction considère que la directive 2009/16 doit être comprise en ce sens qu’elle ne s’applique pas à des navires tels que les navires en cause, de telle sorte que ceux-ci ne peuvent pas faire l’objet d’une inspection menée sur la base de cette directive.

26.      En premier lieu, contrairement à la juridiction de renvoi, j’estime que la directive 2009/16 s’applique à des navires, tels que ceux en cause, qui, tout en ayant été enregistrés comme « navires de charge polyvalents », exercent l’activité de recherche et de sauvetage en mer.

27.      En effet, d’une part, l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2009/16 prévoit que celle-ci s’applique à tout navire ainsi qu’à son équipage faisant escale dans un port ou mouillage d’un État membre pour effectuer une activité d’interface navire/port. Or, les navires en cause sont enregistrés en tant que « navires » (15). En outre, il est à mon sens évident que ces navires effectuent une activité entraînant notamment le mouvement de personnes à partir du navire et vers le port et que,
partant, ils exercent une « activité d’interface navire/port » (16), le fait que cette activité n’est pas exercée à des rythmes réguliers ou prévisibles n’affectant pas la définition en question.

28.      D’autre part, l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2009/16 prévoit que sont exclus du champ d’application de celle-ci, notamment, les navires des pouvoirs publics utilisés à des fins non commerciales et les bateaux de plaisance utilisés à des fins non marchandes. Or, s’il est vrai que les navires en cause sont utilisés à des fins non commerciales, comme les deux catégories de navires susvisées, ils ne sauraient être assimilés, pour cette seule raison, à des « navires des pouvoirs
publics » ou à des « bateaux de plaisance ».

29.      À cet égard, je relève, tout d’abord, que même si ces navires contribuent, de facto, à assurer les missions de recherche et de sauvetage en mer incombant, en principe, aux autorités publiques de l’État côtier et sont, dans une certaine mesure, obligés de coopérer avec le système de coordination des activités de recherche et de sauvetage en mer (17), ils ne constituent pas des navires « des pouvoirs publics », au sens de l’article 3, paragraphe 4, de la directive 2009/16. D’ailleurs, il me
semble que cette dérogation est liée non pas au caractère d’intérêt public de l’activité exercée, mais plutôt à l’immunité complète de juridiction à l’égard de tout État autre que l’État du pavillon, garantie notamment à l’article 96 de la convention sur le droit de la mer (18) aux « navires appartenant à un État ou exploités par lui et utilisés exclusivement pour un service public non commercial ».

30.      Ensuite, les navires en cause ne sauraient constituer des « bateaux de plaisance », étant donné qu’ils sont enregistrés en tant que navires de charge polyvalents et qu’ils sont affectés à une activité qui est certes louable, mais qui n’est pas de type récréatif, sportif ou d’un type similaire.

31.      Enfin, j’estime que l’exclusion explicite de ces deux catégories de navires exerçant une activité non commerciale ne saurait constituer une indication supplémentaire du fait que le législateur de l’Union a voulu exclure du champ d’application de la directive 2009/16 l’ensemble de la catégorie des navires qui ne mènent pas des activités de nature commerciale. Au contraire, il me semble que la mention de deux dérogations bien spécifiques concernant des navires utilisés à des fins non
commerciales (à savoir les navires des pouvoirs publics et les bateaux de plaisance) confirme plutôt que ce législateur a voulu limiter l’exception en question à ces deux catégories.

32.      Partant, eu égard au libellé de l’article 3, paragraphes 1 et 4, de cette directive, il convient de constater que les navires utilisés à des fins non commerciales relèvent du champ d’application matériel de ladite directive, à l’exception des deux catégories susvisées.

33.      Cette constatation est confirmée, à mon avis, par l’interprétation téléologique de la directive 2009/16, laquelle, conformément à l’article 1^er et au considérant 4 de celle-ci, vise à contribuer à une diminution radicale des transports maritimes effectués à l’aide de navires ne satisfaisant pas aux normes qui naviguent dans les eaux relevant de la juridiction des État membres, afin notamment d’améliorer la sécurité, la prévention de la pollution et les conditions de vie et de travail à
bord. Or, le fait que les navires en cause exercent de manière systématique l’activité de recherche et de sauvetage en mer, à des fins non commerciales, ne saurait, à lui seul, soustraire ces navires aux pouvoirs de l’État du port, notamment en ce qui concerne les contrôles de la conformité aux normes internationales relatives à la sécurité, à la prévention de la pollution et aux conditions de vie et de travail à bord. Il ne saurait être exclu en principe, par exemple, que lesdits navires puissent
donner lieu à des problèmes liés à la sécurité, à la pollution et aux conditions de vie et de travail à bord, compte tenu de la façon dont ils sont utilisés (19). Une telle dérogation serait, d’ailleurs, contraire à l’objectif déclaré de cette directive, compte tenu du fait que des navires exerçant une activité identique ou similaire, dans un but lucratif, qui présentent par nature le même danger pour la sécurité, la pollution et les conditions de vie et de travail à bord, seraient soumis aux
obligations prévues par celle-ci.

34.      Par ailleurs, contrairement aux allégations de Sea Watch, il ne me semble pas que les activités de recherche et de sauvetage en mer ne puissent pas, en tant qu’activités de nature non commerciale, être visées par un acte législatif de l’Union, tel que la directive 2009/16, adopté sur la base de l’article 80, paragraphe 2, CE (devenu article 100, paragraphe 2, TFUE). En effet, cette disposition prévoit, en substance, que le législateur de l’Union peut établir les dispositions appropriées
pour la navigation maritime et aérienne, et n’opère pas de distinction entre les activités commerciales et les activités non commerciales. D’ailleurs, la directive 2009/16, adoptée sur le fondement de ladite disposition, concerne non pas directement l’activité des navires auxquels elle s’applique, mais les conditions de navigation et, plus précisément, les pouvoirs de contrôle de l’État du port à cet égard.

35.      S’agissant, enfin, de la possibilité, évoquée par la juridiction de renvoi, d’appliquer la directive 2009/16 aux navires en cause au motif que leur activité peut être assimilée à celle de transport de passagers, j’estime que, au vu du fait que cette directive concerne ces navires indépendamment de leur classification selon le droit de l’État du pavillon, l’assimilation de cette activité à celle de transport de passagers n’est pas nécessaire ni pertinente afin de pouvoir appliquer ladite
directive aux navires en question (20).

36.      En deuxième lieu, quant à la compatibilité de l’article 3 du décret législatif n^o 53/2011 avec le droit de l’Union, dans la mesure où cette disposition semble limiter l’application de la directive 2009/16 aux seuls navires exerçant une activité commerciale, je relève que cette directive adopte une approche uniforme visant à assurer le respect effectif des normes internationales relatives à la sécurité, à la prévention de la pollution et aux conditions de vie et de travail à bord des
navires opérant dans les eaux relevant de la juridiction des États membres et faisant escale dans leurs ports (21), dans le but de contribuer à une diminution radicale des transports maritimes effectués à l’aide de navires ne satisfaisant pas aux normes naviguant dans ces eaux (22). Il me semble, partant, que ladite directive ne laisse aux États membres aucune marge d’appréciation leur permettant de limiter son champ d’application aux seuls navires exerçant une activité commerciale.

37.      Cela étant précisé, il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier si l’article 3 du décret législatif n^o 53/2011 restreint, en principe, le champ d’application de la directive 2009/16 et, dans l’affirmative, d’apprécier s’il est possible de donner à cette disposition une interprétation conforme à l’article 3 de cette directive, ou, dans le cas contraire, de tirer les conséquences de l’incompatibilité partielle de ladite disposition avec le droit de l’Union, le cas échéant en laissant
celle-ci inappliquée(23).

38.      Je propose donc de répondre à la première question préjudicielle que la directive 2009/16 s’applique à des navires qui, tout en étant classés et certifiés en tant que « navires de charge polyvalents » par l’État du pavillon, exercent de façon exclusive et systématique l’activité de recherche et de sauvetage en mer et qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’en tirer toutes les conséquences quant à l’interprétation et à l’application de la législation nationale de transposition de cette
directive.

B.      Sur la deuxième question préjudicielle (conditions pour une inspection supplémentaire en vertu de l’article 11 de la directive 2009/16)

39.      Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si le fait d’avoir transporté, au cours des opérations de sauvetage à l’origine des mesures en cause au principal, un nombre de personnes supérieur au nombre maximum de personnes pouvant être transportées par les navires en cause en vertu de leurs certificats de sécurité peut constituer un « facteur prépondérant » ou un « facteur imprévu », au sens de l’annexe I, partie II, points 2A et 2B, de la
directive 2009/16, et plus précisément le facteur imprévu résidant dans le fait que « les navires [en cause] [ont] été exploités de manière à présenter un danger pour les personnes, les biens ou l’environnement » (24), qui justifierait que ces navires fassent l’objet d’une inspection supplémentaire fondée sur l’article 11 de cette directive.

40.      Cette juridiction estime que, si le sauvetage des personnes en mer et le caractère éventuellement inadéquat des certifications de sécurité délivrées par l’État du pavillon par rapport au nombre de personnes effectivement à bord ne constituent ni des « facteurs prépondérants » ni des « facteurs imprévus » au sens des dispositions précitées, la différence et l’inadéquation manifestes entre les personnes pouvant être transportées selon les certificats et les personnes effectivement
transportées lors des opérations de sauvetage pourraient, en revanche, être qualifiées de « facteur imprévu ».

41.      À cet égard, je relève qu’il ressort du considérant 6 de la directive 2009/16 que, si la responsabilité du contrôle de la conformité des navires aux normes internationales relatives à la sécurité, à la prévention de la pollution et aux conditions de vie et de travail à bord incombe principalement à l’État du pavillon, le contrôle de la conformité à ces normes devrait également être assuré par l’État du port pour garantir une seconde ligne de défense contre les transports maritimes ne
satisfaisant pas auxdites normes, étant entendu que l’inspection dans le cadre du contrôle par ce dernier n’est pas une visite (en vue de la délivrance des certificats) et que les formulaires d’inspection correspondants ne sont pas des certificats d’aptitude à la navigation (25).

42.      En vertu de l’article 11 de cette directive, les navires ne sont soumis à des inspections supplémentaires, par l’État du port, qu’en présence de « facteurs prépondérants » ou de « facteurs imprévus » énumérés, respectivement et de manière exhaustive, à l’annexe I, partie II, points 2A et 2B, de celle-ci (26). Parmi les facteurs imprévus figure celui, évoqué par la juridiction de renvoi, des « navires ayant été exploités de manière à présenter un danger pour les personnes, les biens ou
l’environnement », à propos duquel cette juridiction éprouve des difficultés d’interprétation.

43.      À cet égard, il me semble évident qu’un navire transportant systématiquement un nombre de personnes supérieur au nombre maximum de personnes pouvant être transportées selon ses certificats peut, dans certaines circonstances, présenter un danger pour des personnes, des biens ou l’environnement. Une telle circonstance est, en principe, susceptible de constituer un « facteur imprévu », au sens de l’annexe I, partie II, point 2B, de la directive 2009/16, et de justifier une « inspection
supplémentaire », au sens de l’article 11 de cette directive.

44.      Il convient toutefois d’opérer une vérification factuelle, au cas par cas, qui incombe à la juridiction nationale, laquelle ne peut se limiter à une constatation formelle de la différence entre le nombre des personnes transportées et celui des personnes dont le transport est autorisé selon les certificats (27), mais doit apprécier concrètement les risques d’un tel comportement (28).

45.      En outre, il convient de relever que cette situation peut parfois, comme en l’espèce, constituer la conséquence directe et nécessaire d’un transport effectué afin de respecter l’obligation de sauvetage en mer incombant au capitaine du navire en vertu du droit international coutumier et inscrite notamment à l’article 98 de la convention sur le droit de la mer (29) (ci-après l’« obligation de sauvetage en mer »). En effet, le droit coutumier de la mer exempte les navires, dans la mesure où
ils satisfont à cette obligation, des exigences imposées sur la base de la classification du navire (30). Dans de telles circonstances, le simple fait que le navire a transporté un nombre de personnes simplement supérieur à sa capacité maximale ne saurait être considéré, à lui seul, comme un « facteur imprévu », au sens de l’article 11 et de l’annexe I, partie II, point 2B, de la directive 2009/16 (31).

46.      Cela étant, il ne saurait être exclu, en principe, que, tout en respectant l’obligation de sauvetage en mer, les navires puissent être exploités, dans le cas concret, de manière à présenter un danger pour les personnes, les biens ou l’environnement, ce qui peut constituer un « facteur imprévu », au sens de l’article 11 et de l’annexe I, partie II, point 2B, de la directive 2009/16. Cela peut notamment être le cas lorsqu’il est démontré qu’un navire viole systématiquement, par son activité
prédominante, des règles concernant la sécurité des navires, indépendamment des normes relatives à leur classification (32). Il revient en définitive aux autorités nationales compétentes de démontrer que, en l’espèce, les navires en cause ont été exploités de manière à présenter un danger pour les personnes, les biens ou l’environnement, et ce en dehors des activités strictement nécessaires au respect de l’obligation de sauvetage en mer.

47.      Je propose donc de répondre à la deuxième question préjudicielle que l’article 11 et l’annexe I, partie II, points 2A et 2B, de la directive 2009/16, lus à la lumière de l’obligation de sauvetage en mer reprise notamment à l’article 98 de la convention sur le droit de la mer, doivent être interprétés en ce sens que le seul fait qu’un navire a transporté, à la suite d’opérations de sauvetage en mer, un nombre de personnes supérieur à la capacité maximale, telle qu’indiquée dans le certificat
de sécurité du matériel d’armement, ne saurait en soi être considéré comme un « facteur prépondérant » ou un « facteur imprévu » imposant ou justifiant, respectivement, des inspections supplémentaires au sens de ces dispositions. Cependant, il ne saurait être exclu, en principe, que le transport systématique d’un nombre de personnes largement supérieur aux capacités du navire puisse affecter ce dernier, de façon qu’il puisse comporter un danger pour les personnes, les biens ou l’environnement, qui
constituerait un « facteur imprévu » au sens desdites dispositions, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

C.      Sur les troisième et quatrième questions préjudicielles (étendue des pouvoirs d’inspection en vertu de l’article 13 de la directive 2009/16, de l’article I, sous b), de la convention pour la sauvegarde de la vie humaine en mer, et du point 1.3.1 de l’annexe de la résolution de l’OMI sur le contrôle par l’État du port)

48.      Par ses troisième et quatrième questions, qu’il convient de traiter ensemble, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si l’article 13 de la directive 2009/16, d’une part, ou l’article I, sous b), de la convention pour la sauvegarde de la vie humaine en mer et le point 1.3.1 de l’annexe de la résolution de l’OMI sur le contrôle par l’État du port, d’autre part, permettent à l’État du port de vérifier qu’un navire dispose des certificats nécessaires et respecte les règles
internationales en matière de sécurité, de prévention de la pollution et de conditions de vie et de travail à bord qui sont relatives à l’activité effectivement menée par ce navire, en l’espèce celle de recherche et de sauvetage en mer, indépendamment de l’activité pour laquelle il a été classé (33).

49.      Cette juridiction estime que le contrôle exercé par l’État du port ne saurait remettre en cause le contrôle effectué et les décisions prises dans l’État du pavillon et constate, d’une part, que ni les conventions internationales, ni le droit de l’Union ou le droit italien ou allemand ne prévoient des conditions précises pour les navires privés qui mènent de manière systématique l’activité de recherche et de sauvetage en mer (34) et, d’autre part, que les conventions internationales dérogent
explicitement aux exigences imposées, le cas échéant, en fonction de la classification du navire, au vu de l’objectif du sauvetage en mer (35).

50.      En vertu de l’article 13, point 3, de la directive 2009/16, une inspection détaillée, telle que celles qui font l’objet des affaires au principal, comprend un « contrôle approfondi de la conformité aux prescriptions relatives aux procédures opérationnelles à bord du navire » et est effectuée lorsque, à l’issue d’une inspection initiale, il existe des « motifs évidents » de croire que l’état du navire ou de son équipement, ou son équipage, ne répond pas en substance aux prescriptions d’une
convention en la matière (36). L’annexe V de cette directive fournit des exemples de « motifs évidents » (37).

51.      Pour ce qui est pertinent en l’espèce, les inspections détaillées au titre de l’article 13,point 3, de la directive 2009/16 étaient fondées, selon la décision de renvoi, sur le « motif évident » mentionné à l’annexe V, partie A, point 3, de cette directive, à savoir le fait que « [d]es inexactitudes ont été constatées lors de l’examen des certificats et autres documents de bord », en l’occurrence lors de l’examen du certificat de sécurité prévu à la règle 9 du chapitre XI-2 de la convention
pour la sauvegarde de la vie humaine en mer (38). En outre, le gouvernement italien relève, dans ses observations écrites, que, dans l’affaire au principal, le pouvoir d’effectuer les inspections détaillées était notamment fondé sur la règle 19 du chapitre I de l’annexe de cette convention (39).

52.      Or, si l’article 13, point 3, de la directive 2009/16 établit le cadre dans lequel une inspection détaillée est permise, il ne précise pas clairement les limites de cette inspection. La question est donc de savoir si le « contrôle approfondi de la conformité aux prescriptions relatives aux procédures opérationnelles à bord du navire » se limite aux seules prescriptions applicables sur la base de la classification du navire ou concerne également les prescriptions applicables à l’activité
concrètement exercée par le navire.

53.      Afin de déterminer l’étendue du contrôle par l’État du port au sens de cette disposition, il convient, à mon avis, de relever, d’une part, que celle-ci confère un pouvoir de contrôle qui dépasse forcément celui de l’« inspection initiale » prévue à l’article 13,point 1, de cette directive, lequel concerne, en substance, les certificats et l’état général du navire et, d’autre part, que ce contrôle a pour objet de vérifier la conformité aux « prescriptions d’une convention en la matière ». Un
tel contrôle ne saurait donc se limiter aux seules prescriptions de nature formelle prévues par les certificats afférents à la classification du navire par l’organisme de certification, mais concerne plutôt la conformité de ce navire avec toutes les règles conventionnelles internationales applicables en matière de sécurité, de prévention de la pollution et de conditions de vie et de travail à bord, en tenant compte de l’état réel du navire et de son équipement ainsi que des activités effectivement
exercées par celui-ci, surtout si celles‑ci diffèrent de celles qui sont liées à sa classification (40).

54.      Il est dès lors possible de conclure, en principe, que, ainsi que le fait valoir le gouvernement italien, la circonstance qu’un navire n’est pas exploité conformément à ses certifications peut constituer une violation des prescriptions relatives aux procédures opérationnelles à bord de ce navire et comporter notamment un danger pour les personnes, les biens ou l’environnement, ce qu’il incombe à l’administration compétente de démontrer, sur la base des règles applicables à l’activité à
laquelle le navire est effectivement affecté.

55.      Cela étant établi, il convient néanmoins de préciser, comme le fait valoir la juridiction de renvoi, qu’il n’existe pas, en droit de l’Union ou en droit international, une classification des navires effectuant des activités de recherche et de sauvetage en mer (41). Partant, en l’absence d’une telle classification, il ne saurait être conclu que la simple classification des navires en cause en tant que « navires de charge généraux – polyvalents » constitue en elle-même un « motif évident » de
croire que l’état du navire ou de son équipement, ou son équipage, ne répond pas en substance aux « prescriptions d’une convention en la matière », conformément à l’article 13, point 3, de la directive 2009/16, à moins que l’utilisation systématique de ce navire viole les règles relatives à sa classification (42).

56.      Je propose donc de répondre à la troisième question préjudicielle que le pouvoir de l’État du port de procéder à une inspection détaillée, conformément à l’article 13 de la directive 2009/16, d’un navire battant pavillon d’un État membre inclut celui de vérifier que ce navire respecte les prescriptions en matière de sécurité, de prévention de la pollution et de conditions de vie et de travail à bord qui sont applicables aux activités auxquelles le navire est effectivement affecté, tout en
tenant compte de celles pour lesquelles il a été classé.

D.      Sur la cinquième question préjudicielle (possibilité d’immobilisation d’un navire en vertu de l’article 19 de la directive 2009/16 en raison de l’exercice d’une activité différente de celle qui correspond à la certification)

57.      Par sa cinquième question, la juridiction de renvoi cherche tout d’abord à savoir, en substance, si les autorités de l’État du port sont en droit d’exiger la possession de certifications et le respect d’exigences ou de prescriptions en matière de sécurité et de prévention de la pollution maritime concernant les activités réellement menées par un navire, en l’occurrence celles de recherche et de sauvetage en mer, afin d’éviter l’immobilisation de celui-ci [sous a)] et, dans l’affirmative, si
ces certifications et ces exigences ou prescriptions peuvent être requises seulement s’il existe un cadre juridique international ou de l’Union clair et fiable en ce qui concerne la classification des activités de recherche et de sauvetage en mer ainsi que les certifications, les exigences ou les prescriptions y afférentes [sous b)] ou, au contraire, si celles-ci doivent être requises sur la base du droit national de l’État du pavillon ou de l’État du port et si, à ces fins, une législation primaire
ou dérivée est nécessaire, ou si une réglementation administrative de nature générale est suffisante [sous c)].

58.      Ensuite, cette juridiction soulève la question de savoir s’il incombe à l’État du port d’indiquer, lors de l’inspection, sur la base de quelle réglementation nationale (législative, réglementaire ou administrative) les exigences ou les prescriptions imposées doivent être déterminées et quelles corrections ou rectifications sont requises pour garantir le respect de cette réglementation [sous d)] et si, en cas d’absence d’une telle réglementation, l’administration de l’État du port peut
indiquer, au cas par cas, les exigences auxquelles le navire soumis à l’inspection doit satisfaire [sous e)].

59.      Enfin, ladite juridiction cherche à savoir si, en l’absence d’une telle réglementation et en l’absence d’indications spécifiques de l’État du pavillon, les activités de recherche et de sauvetage peuvent être considérées comme ayant été autorisées (et donc comme non susceptibles d’être empêchées par l’adoption d’une mesure d’immobilisation) lorsque le navire respecte les exigences ou les prescriptions d’une autre catégorie, dont l’État du pavillon a confirmé le respect effectif [sous f)].

60.      À titre liminaire, il convient de relever que, en vertu de l’article 19, paragraphe 1, de la directive 2009/16, l’autorité compétente s’assure que toute anomalie confirmée ou révélée par les inspections a été ou sera supprimée conformément aux conventions, et, en vertu de l’article 19, paragraphe 2, de cette directive, lorsque les anomalies confirmées ou révélées par les inspections présentent un risque manifeste, notamment pour la sécurité, l’autorité compétente de l’État du port fait en
sorte que le navire soit immobilisé.

61.      Ainsi qu’il ressort des réponses proposées aux questions préjudicielles précédentes, l’État du port peut, conformément à l’article 13, point 3), de la directive 2009/16, assurer le respect des conventions internationales et de la législation de l’Union applicables en matière de sécurité maritime, de sûreté maritime, de protection du milieu marin et de conditions de vie et de travail à bord, en tenant compte des activités effectivement exercées par le navire, pourvu qu’un tel contrôle
n’empiète pas sur les compétence de l’État du pavillon en ce qui concerne la classification du navire, ni sur le respect de l’obligation de sauvetage en mer.

62.      Partant, le simple fait qu’un navire exerce l’activité de recherche et de sauvetage en mer de manière systématique ne soustrait pas ce navire au respect des exigences qui lui sont applicables en vertu du droit international ou du droit de l’Union et n’empêche pas que ledit navire fasse l’objet de mesures d’immobilisation en vertu de l’article 19 de cette directive lorsqu’il viole ces règles. En d’autres termes, si, comme le relève la juridiction de renvoi, les navires sont exclus de
l’application des règles internationales relatives à la sécurité de la navigation et à la protection du milieu marin dans la mesure où ils mènent des missions ponctuelles de sauvetage en mer, ils ne sont pas exonérés de toute autre règle applicable aux navires sur la base des exigences du droit international, compte tenu de l’activité effectivement menée.

63.      Je propose donc de répondre à la cinquième question préjudicielle, tout d’abord, que la directive 2009/16 doit être interprétée en ce sens que les autorités de l’État du port sont en droit d’exiger la possession de certifications et le respect d’exigences ou de prescriptions en matière de sécurité et de prévention de la pollution maritime concernant les activités pour lesquelles un navire est classé, ainsi que toute autre certification, exigence ou prescription fondée sur le cadre juridique
international ou de l’Union (43).

64.      Ensuite, j’estime que cette directive doit être interprétée en ce sens qu’il incombe à l’État du port d’indiquer, lors de l’inspection, sur la base de quelle réglementation les exigences ou les prescriptions dont la violation est relevée doivent être déterminées et quelles corrections ou rectifications sont requises pour garantir le respect de cette réglementation.

65.      Enfin, il me semble que ladite directive doit être interprétée en ce sens qu’un navire exerçant de manière systématique l’activité de recherche et de sauvetage en mer n’est pas, en tant que tel, considéré comme non susceptible de faire l’objet de mesures d’immobilisation lorsqu’il viole des exigences qui lui sont applicables en vertu du droit international ou du droit de l’Union, sans préjudice de l’obligation de sauvetage en mer (44).

VI.    Conclusion

66.      Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Tribunale amministrativo regionale per la Sicilia (tribunal administratif régional pour la Sicile, Italie) de la manière suivante :

1)      La directive 2009/16/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, relative au contrôle par l’État du port, telle que modifiée par la directive 2013/38/UE du Parlement européen et du Conseil, du 12 août 2013, par les règlements (UE) n^os 1257/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 20 novembre 2013 et 2015/757 du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2015, ainsi que par la directive (UE) 2017/2110 du Parlement européen et du Conseil, du 15 novembre 2017, s’applique à
des navires qui, tout en étant classés et certifiés en tant que « navires de charge polyvalents » par l’État du pavillon, exercent de façon exclusive l’activité de recherche et de sauvetage en mer. Il appartient à la juridiction de renvoi d’en tirer toute conséquence quant à l’interprétation et à l’application des normes nationales de transposition de cette directive.

2)      L’article 11 et l’annexe I, partie II, points 2A et 2B, de la directive 2009/16, lus à la lumière de l’obligation de sauvetage en mer incombant au capitaine du navire en vertu du droit international coutumier et reprise notamment à l’article 98 de la convention des Nations unies sur le droit de la mer, conclue à Montego Bay le 10 décembre 1982, doivent être interprétés en ce sens que le fait qu’un navire a transporté, à la suite d’opérations de sauvetage en mer, un nombre de personnes
supérieur à sa capacité maximale, telle qu’indiquée dans le certificat de sécurité du matériel d’armement, ne saurait en soi être considéré comme un « facteur prépondérant » ou un « facteur imprévu » imposant ou justifiant, respectivement, des inspections supplémentaires au sens de ces dispositions. Cependant, il ne saurait être exclu, en principe, que le transport systématique d’un nombre de personnes largement supérieur aux capacités du navire puisse affecter ce dernier, de façon qu’il puisse
comporter un danger pour les personnes, les biens ou l’environnement, qui constituerait un « facteur imprévu » au sens desdites dispositions, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

3)      Le pouvoir de l’État du port de procéder à une inspection détaillée, conformément à l’article 13 de la directive 2009/16, d’un navire battant pavillon d’un État membre inclut celui de vérifier que ce navire respecte les prescriptions en matière de sécurité, de prévention de la pollution et de conditions de vie et de travail à bord qui sont applicables aux activités auxquelles le navire est effectivement affecté, tout en tenant compte de celles pour lesquelles il a été classé.

4)      a)      La directive 2009/16, telle que modifiée par la directive 2013/38, par les règlements n^os 1257/2013 et 2015/757 ainsi que par la directive 2017/2110, doit être interprétée en ce sens que les autorités de l’État du port sont en droit d’exiger la possession de certifications et le respect d’exigences ou de prescriptions en matière de sécurité et de prévention de la pollution maritime concernant les activités pour lesquelles un navire est classé, ainsi que toute autre certification,
exigence ou prescription fondée sur le cadre juridique international ou de l’Union.

b)      Cette directive doit être interprétée en ce sens qu’il incombe à l’État du port d’indiquer, lors de l’inspection, sur la base de quelle réglementation les exigences ou les prescriptions dont la violation est relevée doivent être déterminées et quelles corrections ou rectifications sont requises pour garantir le respect de cette réglementation.

c)      Ladite directive doit être interprétée en ce sens qu’un navire exerçant de manière systématique l’activité de recherche et de sauvetage en mer n’est pas, en tant que tel, considéré comme non susceptible de faire l’objet de mesures d’immobilisation lorsqu’il viole des exigences qui lui sont applicables en vertu du droit international ou du droit de l’Union, sans préjudice de l’obligation de sauvetage en mer.

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1      Langue originale : le français.

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2      Directive du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 relative au contrôle par l’État du port (JO 2009, L 131, p. 57, et rectificatif JO 2013, L 32, p. 23), telle que modifiée par la directive 2013/38/UE du Parlement européen et du Conseil, du 12 août 2013 (JO 2013, L 218, p. 1, et rectificatif JO 2014, L 360, p. 111), par les règlements (UE) n^os 1257/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 20 novembre 2013 (JO 2013, L 330, p. 1) et 2015/757 du Parlement européen et du Conseil,
du 29 avril 2015 (JO 2015, L 23, p. 55), ainsi que par la directive (UE) 2017/2110 du Parlement européen et du Conseil, du 15 novembre 2017 (JO 2017, L 315, p. 61) (ci-après la « directive 2009/16 »).

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3      La seule réglementation concernant les navires privés et, partant, leur exploitant est la directive 2002/90/CE du Conseil, du 28 novembre 2002, définissant l’aide à l’entrée, au transit et au séjour irréguliers (JO 2002, L 328, p. 17) (voir à cet égard, Dumas, P., « L’obligation de prêter assistance aux personnes en détresse en mer au prisme du droit de l’Union », Revue des affaires européennes, 12/2019, p. 305 à 327). En revanche, les règles relatives à l’activité de recherche et de
sauvetage en mer dans le cadre des opérations de surveillance des frontières menées par les États membres à leurs frontières maritimes extérieures sont prévues par le règlement (UE) nº 656/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mai 2014, établissant des règles pour la surveillance des frontières maritimes extérieures dans le cadre de la coopération opérationnelle coordonnée par l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres
de l’Union européenne (JO 2014, L 189, p. 93). En outre, les seuls textes conventionnels existants se réfèrent au sauvetage en mer dans des situations qui comportent des éléments essentiels, à savoir le caractère « accidentel » et « exceptionnel » de ce sauvetage. Ces dispositions doivent néanmoins être interprétées et appliquées aussi largement que leur formulation et leur contexte juridique le permettent, sans toutefois aller au-delà.

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4      La seule « réglementation » de l’Union européenne traitant explicitement de cette question est, à ma connaissance, la recommandation (UE) 2020/1365 de la Commission, du 23 septembre 2020, relative à la coopération entre les États membres en ce qui concerne les opérations effectuées par des bateaux détenus ou exploités par des entités privées aux fins d’activités de recherche et de sauvetage (JO 2020, L 317, p. 23), laquelle n’a pas, de par sa nature, un caractère contraignant et se borne dès
lors à énoncer une obligation de coopération entre les autorités compétentes des États membres concernés.

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5      Par exemple, les organisations qui gèrent lesdits navires doivent coopérer avec les centres de coordination des sauvetages en mer des États membres côtiers, qui leur donnent des instructions en ce qui concerne les possibilités de débarquement et de transbordement des personnes secourues dans l’État membre en question.

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6      La directive 2009/16 a été adoptée sur la base de l’article 80, paragraphe 2, CE [devenu article 100, paragraphe 2, TFUE], dans le but de procéder à la refonte de la directive 95/21/CE du Conseil, du 19 juin 1995, relative au contrôle des navires par l’État du port (JO 1995, L 157, p. 1), qui avait fait l’objet de nombreuses modifications depuis son adoption, et de renforcer les mécanismes mis en place par celle-ci. La directive 2009/16 fait partie d’un ensemble d’actes de droit dérivé de
l’Union adoptés le même jour, qui comprend également la directive 2009/21/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, concernant le respect des obligations des États du pavillon (JO 2009, L 131, p. 132) ; la directive 2009/15/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, établissant des règles et normes communes concernant les organismes habilités à effectuer l’inspection et la visite des navires et les activités pertinentes des administrations maritimes (JO 2009, L 131,
p. 47), ainsi que le règlement (CE) n^o 391/2009 du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, établissant des règles et normes communes concernant les organismes habilités à effectuer l’inspection et la visite des navires (JO 2009, L 131, p. 11).

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7      GURI n^o 96, du 27 avril 2011, p. 1, ci-après le « décret législatif n^o 53/2011 ».

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8      Ainsi qu’il a été confirmé lors de l’audience, les navires en cause battaient pavillon néerlandais jusqu’à la fin de l’année 2019 et, les autorités néerlandaises compétentes envisageant d’en modifier la classification à la demande des autorités italiennes, ils ont été enregistrés, par la suite, en Allemagne.

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9      Tel que transposé par l’article 16 du décret législatif n^o 53/2011.

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10      Tel que transposé par l’article 8 du décret législatif n^o 53/2011.

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11      La juridiction de renvoi se réfère en particulier à l’article I, sous b), de la convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer, conclue à Londres le 1^er novembre 1974 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 1185, n^o 18961, p. 3, ci-après la « convention pour la sauvegarde de la vie humaine en mer ») et au point 1.3.1 de l’annexe de la résolution A.1138(31), intitulée « Procédures de contrôle par l’État du port, 2019 », de l’organisation maritime internationale
(OMI) (ci-après la « résolution de l’OMI sur le contrôle par l’État du port »).

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12      Tel que transposé par l’article 22 du décret législatif n^oo53/2011.

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13      Ces irrégularités se rapportent, en substance, à ce que, tout d’abord, les navires en cause ne seraient pas certifiés pour accueillir à bord et pour transporter plusieurs centaines de personnes, comme ils l’ont fait systématiquement au cours de l’été 2020 ; ensuite, ces navires ne seraient pas dotés d’équipements techniques adaptés pour effectuer de telles activités, alors même qu’ils sont en réalité destinés à – et effectivement utilisés aux fins exclusives de – celles-ci (en particulier,
les installations de traitement des eaux usées dont ils sont dotés seraient dimensionnées, respectivement, pour 22 ou pour 30 personnes et non pas pour plusieurs centaines de personnes, et des toilettes ainsi que des douches additionnelles rejetant des eaux usées directement dans la mer auraient été installées sur les ponts) ; enfin, les opérations de sauvetage effectuées par les membres de l’équipage ne seraient pas comptabilisées dans leurs heures de travail.

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14      Toutefois, lors de l’audience, le gouvernement italien a précisé que, à la suite de contacts ultérieurs entre les autorités italiennes et allemandes, ces dernières ont imposé à Sea Watch, en tant qu’armateur, de procéder aux réparations nécessaires pour remédier auxdites irrégularités. Sea Watch a indiqué qu’elle a effectué des modifications pour se conformer à ces consignes, bien que ces dernières aient été données en dehors de tout cadre réglementaire, pour éviter des risques
d’immobilisation ultérieure.

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15      À cet égard, l’article 2, point 5, de la directive 2009/16 précise que, aux fins de celle-ci, la notion de « navire » englobe « tout navire de mer soumis à une ou à plusieurs des conventions et battant un pavillon autre que celui de l’État du port ».

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16      À cet égard, l’article 2, points 5 et 6, de la directive 2009/16 précise que la notion d’« activité d’interface navire/port » vise « les interactions qui se produisent lorsqu’un navire est directement et immédiatement affecté par des activités entraînant le mouvement de personnes ou de marchandises ou la fourniture de services portuaires vers le navire ou à partir du navire ».

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17      Je rappelle que, conformément à une pratique bien établie au cours des dernières années, les débarquements effectués à l’issue des opérations de sauvetage au principal ont été autorisés par le Ministero degli Interni (ministère de l’Intérieur, Italie) et coordonnés par l’Italian Maritime Rescue Coordination Centre (Centre italien de coordination des sauvetages en mer).

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18      Convention des Nations unies sur le droit de la mer, conclue à Montego Bay le 10 décembre 1982 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 1833, 1834 et 1835, p. 3, ci-après la « convention sur le droit de la mer »). Cette convention est entrée en vigueur le 16 novembre 1994. Sa conclusion a été approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 98/392/CE du Conseil, du 23 mars 1998 (JO 1998, L 179, p. 1).

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19      Par ailleurs, ainsi que l’a relevé le gouvernement italien dans ses observations écrites, les catégories exclues du champ d’application de la directive 2009/16 ne le sont pas parce qu’elles comporteraient des risques moindres que les navires auxquels s’applique cette directive. Chacune des catégories exclues trouve dans des sources spécifiques de l’ordre juridique de l’Union et international les raisons particulières de la non-application à celles-ci de la réglementation en cause.

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20      En tout état de cause, j’ajoute que toute question afférente à la classification de ces navires, telle qu’effectuée par l’organisme de certification, relève de la juridiction de l’État du pavillon et n’est pas pertinente en ce qui concerne les pouvoirs de l’État du port en vertu de la directive 2009/16. Par ailleurs, ainsi que l’a relevé le gouvernement espagnol, je doute que l’activité de recherche et de sauvetage en mer puisse être assimilée à celle de transport de passagers, au vu des
caractéristiques différentes de celle-ci, telles que, notamment, la prévisibilité absolue du service (fourni à un nombre de personnes bien identifiées, selon des itinéraires et des conditions préétablies) et sa nature contractuelle.

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21      Voir, notamment, considérant 7 de la directive 2009/16, et point 12 de la recommandation 2020/1365, qui font référence à des bateaux « correctement équipés ».

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22      Voir, notamment, article 1^er de la directive 2009/16.

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23      Arrêt du 29 juillet 2019, Torubarov (C‑556/17, EU:C:2019:626, point 77 et jurisprudence citée).

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24      Cette juridiction précise que si, dans les formulaires relatifs aux rapports d’inspection, l’administration italienne a qualifié cette circonstance de « facteur prépondérant » au sens de l’annexe I, partie II, point 2A, de la directive 2009/16 et non de « facteur imprévu » au sens de l’annexe I, partie II, point 2B, de celle-ci, cela est dû au fait que ces formulaires ne comprennent pas de partie destinée spécifiquement à l’indication des facteurs imprévus et qu’il convient donc de
considérer que, dans la partie dans laquelle ces formulaires indiquent le « facteur prépondérant », ils se réfèrent de manière générique aux conditions requises pour procéder à l’inspection supplémentaire visée à l’article 11 de la directive 2009/16.

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25      Le législateur de l’Union prend en compte, à cet égard, le protocole d’entente de Paris sur le contrôle des navires par l’État du port, signé à Paris le 26 janvier 1982, qui énonce, à ses quatrième et cinquième considérants, que la responsabilité de l’application efficace des normes établies dans les instruments internationaux incombe principalement aux autorités de l’État du pavillon, tout en ajoutant que les États des ports doivent prendre des mesures efficaces pour empêcher l’exploitation
de navires ne satisfaisant pas aux normes internationales.

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26      En ce qui concerne la différence entre les deux facteurs, les « facteurs imprévus » sont en général moins sérieux ou représentent une gravité moins évidente, sont liés à des problèmes de nature similaire, tels que des infractions aux règles en vigueur, anomalies, plaintes et immobilisations précédentes (voir Pimm M., « VIII. Commentary on Directive 2009/16/EC of the European Parliament and of the Council of 23 April 2009 on Port State Control », EU Maritime Transport Law, 03/2016, p. 872).
Par ailleurs, il ressort de l’article 11, sous b), de la directive 2009/16 que, en présence des facteurs prépondérants, l’inspection supplémentaire semble être obligatoire, tandis que, en cas de facteurs imprévus, la décision de procéder à une telle inspection relève du pouvoir discrétionnaire de l’autorité compétente.

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27      En effet, le respect des conditions prévues par les certificats de sécurité d’un navire, et plus particulièrement la condition relative au nombre de personnes transportées à bord, relève de la compétence de l’État du pavillon. Il en est de même en ce qui concerne le caractère adéquat, in abstracto, du certificat délivré pour l’exercice de l’activité à laquelle les navires sont destinés, question qui demeure de la compétence de l’État du pavillon.

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28      Il me semble particulièrement difficile de démontrer qu’un navire autorisé à transporter, par exemple, une centaine de personnes peut constituer un danger pour les personnes, les biens ou l’environnement lorsqu’il transporte quelques personnes de plus. La situation est différente lorsqu’un navire qui n’est pas, en principe, destiné au transport de personnes et pour lequel les certificats de sécurité prévoient un maximum de 30 personnes à bord en tant que membres d’équipage, comme en
l’espèce, embarque, disons, environ 400 personnes.

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29      Cette disposition, intitulée « Obligation de prêter assistance », est libellée comme suit à son paragraphe 1 : « Tout État exige du capitaine d’un navire battant son pavillon que, pour autant que cela lui est possible sans faire courir de risques graves au navire, à l’équipage ou aux passagers : a) il prête assistance à quiconque est trouvé en péril en mer ; b) il se porte aussi vite que possible au secours des personnes en détresse s’il est informé qu’elles ont besoin d’assistance, dans la
mesure où l’on peut raisonnablement s’attendre qu’il agisse de la sorte ; [...] »

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30      À cet égard, je rappelle, tout d’abord, que l’article IV, sous b), de la convention pour la sauvegarde de la vie humaine en mer, évoquée à l’article 2, point 1, sous b), de la directive 2009/16, prévoit que les personnes qui se trouvent à bord d’un navire par suite, notamment, de l’obligation qui est faite au capitaine de transporter des naufragés ne doivent pas entrer en ligne de compte lorsqu’il s’agit de vérifier l’application au navire d’une prescription quelconque de cette convention,
ensuite, que les annexes à la convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires, signée à Londres le 2 novembre 1973, telle que complétée par le protocole du 17 février 1978, évoquée également à l’article 2, point 1, sous c), de cette directive, prévoient des exceptions au régime concernant les déversements en mer dans le cas où cela est indispensable pour la sauvegarde de la vie humaine en mer et, enfin, que la convention du travail maritime, 2006, évoquée elle aussi à
l’article 2, point 1, sous i), de ladite directive, prévoit le droit du commandant d’exiger des gens de mer l’extension du temps de travail au-delà des limites conventionnelles lorsque cela est nécessaire pour fournir assistance à d’autres navires ou à des personnes en difficulté en mer.

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31      La juridiction de renvoi a exclu, à juste titre, que les justifications fournies par les autorités nationales compétentes puissent constituer des « facteurs prépondérants », au sens de l’article 11 et de l’annexe I, partie II, point 2A, de la directive 2009/16. En effet, aucun des motifs avancés par ces autorités ne correspond aux cas de figure énumérés de façon exhaustive au titre des « facteurs prépondérants ».

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32      En ce qui concerne les irrégularités en cause, cela pourrait être le cas, par exemple, des infractions relatives aux installations additionnelles qui rejettent des eaux usées directement dans la mer.

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33      Plus particulièrement, il me semble que la quatrième question préjudicielle, concernant l’application des instruments conventionnels cités, est accessoire à la troisième, concernant l’application de l’article 13,point 3, de la directive 2009/16, en ce sens que, par sa quatrième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir, en substance, si, dans l’impossibilité, pour l’État du port, de pouvoir contrôler le respect des exigences applicables au regard de l’activité effective de ce
navire au sens de cette directive, un tel pouvoir peut se fonder néanmoins sur un des instruments conventionnels évoqués.

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34      L’absence, en droit international ou de l’Union, de telles conditions serait confirmée par la recommandation 2020/1365, lorsqu’elle énonce, à son considérant 12, qu’il est indispensable, pour des questions d’« ordre public » et, notamment, de sécurité, que ces navires soient dûment enregistrés et correctement équipés pour satisfaire aux exigences applicables en matière de sécurité et de santé liées à ces activités, de manière à ne pas présenter de danger pour l’équipage ou les personnes
secourues. Dans le cas contraire, selon cette juridiction, il n’y aurait aucun motif d’invoquer l’ordre public à cette fin.

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35      En outre, selon ladite juridiction, lorsque les instruments conventionnels évoqués prévoient que les gouvernements contractants s’engagent, en substance, à prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir que, du point de vue de la sauvegarde de la vie humaine, un navire est « apte au service auquel il est destiné », l’aptitude au service auquel le navire est destiné doit être comprise dans un sens abstrait, eu égard au type de navire selon sa classification, et non pas dans un sens
concret, eu égard au type spécifique d’activités effectivement menées, étant donné que, dans le cas contraire, un terme tel que « utilisé » ou un terme similaire aurait été employé. Elle reconnaît toutefois que le recours au terme « destiné » se prête également à une interprétation selon laquelle la destination pourrait faire référence non pas aux caractéristiques intrinsèques du navire ni à l’usage auquel servent lesdites caractéristiques, mais également à l’objectif auquel le navire est réellement
destiné par son armateur.

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36      Cette disposition précise qu’il existe de tels « motifs évidents » lorsque l’inspecteur l’estime justifié sur la base de son jugement professionnel.

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37      En outre, il me semble que dès lors que l’article 13, point 3, de la directive 2009/16 renvoi aux prescriptions d’une convention en la matière, dont la convention pour la sauvegarde de la vie humaine en mer, évoquée à l’article 2 de celle-ci, il doit être interprété à la lumière, notamment, de l’article I, sous b), de cette convention. En effet, même si l’Union n’est pas partie contractante à cette convention (tous les État membres, en revanche, en sont signataires), la Cour peut tenir
compte des dispositions de celle-ci lors de l’interprétation d’un instrument juridique de droit dérivé [voir, en ce sens, arrêt du 3 juin 2008, Intertanko e.a. (C‑308/06, EU:C:2008:312, points 47 à 52)].

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38      La règle 9 du chapitre XI-2 de la convention pour la sauvegarde de la vie humaine en mer prévoit un contrôle limité relatif à la validité des certificats mentionnés au point 1.1 de cette règle et, notamment, du certificat international de sûreté. En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi que les inspections détaillées avaient été ordonnées au motif que les formulaires de transmission de renseignements en matière de sûreté préalables à l’entrée des navires dans le port avaient été
incorrectement remplis, puisqu’il manquait notamment le numéro de la compagnie, la localisation des navires au moment où la déclaration était établie, l’administration ayant délivré les certificats internationaux de sûreté ainsi que la date d’expiration de ces certificats. En outre, il aurait été indiqué que les résultats des plans de sûreté des navires avaient été approuvés, alors que ce n’était pas encore le cas.

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39      La règle 19 du chapitre I de la convention pour la sauvegarde de la vie humaine en mer, qui est relative au contrôle des certificats du navire, précise, sous b), que de tels certificats, s’ils sont valides, sont acceptés à moins qu’il n’existe de bonnes raisons de penser que l’état du navire ou de son armement ne correspond pas en substance aux indications de l’un des certificats ou que le navire et son armement ne satisfont pas aux dispositions de la règle 11, sous a) et b), dudit chapitre.
Selon la règle 11, sous a), du même chapitre, l’état du navire et de son armement doit être maintenu conformément aux prescriptions de la convention de manière que le navire puisse prendre la mer sans danger pour le navire ou les personnes à bord. En revanche, la règle 11, sous b), du chapitre I de la convention pour la sauvegarde de la vie humaine en mer n’est pas pertinente en l’espèce, puisqu’elle concerne l’interdiction d’apporter des changements après une inspection effectuée selon les règles 7
à 10 de ce chapitre.

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40      Par ailleurs, il me semble que cette conclusion n’est pas remise en cause par l’interprétation de l’article 13, point 1, de la directive 2009/16 lu à la lumière de l’article I, sous b), de la convention pour la sauvegarde de la vie humaine en mer, ainsi que du point 1.3.1 de l’annexe de la résolution de l’OMI sur le contrôle par l’État du port. En effet, ces dispositions, lorsqu’elles prévoient la possibilité de contrôler que le navire est « apte au service auquel il est destiné », peuvent
être interprétées en ce sens que toute évaluation concernant l’aptitude du navire doit être effectuée en tenant compte du service effectivement assuré par celui-ci, ainsi que des règlements pertinents.

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41      Par ailleurs, cette classification ne semble pas non plus exister en droit allemand ou en droit italien.

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42      J’avoue avoir du mal à accepter que le transport de personnes en détresse puisse être assimilé, dans une certaine mesure, au transport de « charges », tout en reconnaissant qu’il est nécessaire d’éviter de remettre en question la classification des navires en cause, telle qu’effectuée par l’organisme de certification de l’État du pavillon. Par ailleurs, au cas où l’État du port est en désaccord quant à la classification d’un navire, la convention sur le droit de la mer prévoit une procédure
de signalement, par laquelle tout État qui a des motifs sérieux de penser que la juridiction et le contrôle appropriés sur un navire n’ont pas été exercés peut signaler les faits à l’État du pavillon, lequel est obligé de procéder à une enquête à cet égard et de prendre, s’il y a lieu, les mesures nécessaires pour remédier à la situation (voir article 94, paragraphe 6, de cette convention). Cette approche est conforme à celle qui est suivie au point 1.3.3 de l’annexe de la résolution de l’OMI sur le
contrôle par l’État du port.

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43      Si, en revanche, le navire ne satisfait pas aux conditions requises sur la base de la législation de l’État du pavillon ou de l’État du port ou que ce dernier est en désaccord quant à la classification d’un navire, celui-ci peut (voire doit) en faire part à l’État du pavillon et coopérer avec celui-ci pour trouver une solution aux défaillances relevées.

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44      Je me permets, à ce stade, une toute dernière remarque. La vie humaine, et le sauvetage de celle-ci, est, bien entendu, la valeur qui prévaut sur toute autre considération. Cependant, le « devoir du bon Samaritain » n’est pas exempt d’obligations. Par exemple, pour autant que cela puisse avoir un intérêt, le Bon Samaritain du Testament a, certes, sauvé la personne en danger sans hésitation. Toutefois, il l’a transportée dans un endroit sûr, une hôtellerie, à ses propres frais, par le moyen
de transport le plus sûr, son âne ; il a pris soin de cette personne sans transférer cette charge à d’autres et il a donné son propre argent à l’hôte pour qu’il prenne soin d’elle entretemps, en promettant que « ce que tu dépenseras de plus, je te le rendrai à mon retour ». Les comparaisons sont quelquefois difficiles...


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-14/21
Date de la décision : 22/02/2022
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demandes de décision préjudicielle, introduites par le Tribunale amministrativo regionale per la Sicilia.

Renvoi préjudiciel – Activité de recherche et de sauvetage de personnes en péril ou en détresse en mer, menée par une organisation non gouvernementale (ONG) à but humanitaire – Régime applicable aux navires – Directive 2009/16/CE – Convention des Nations unies sur le droit de la mer – Convention internationale pour la sauvegarde de la vie humaine en mer – Compétences et pouvoirs respectifs de l’État du pavillon et de l’État du port – Inspection et immobilisation des navires.

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Parties
Demandeurs : Sea Watch eV
Défendeurs : Ministero delle Infrastrutture e dei Trasporti e.a.

Composition du Tribunal
Avocat général : Rantos

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2022:104

Source

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