La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/09/2021 | CJUE | N°C-296/20

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. M. Campos Sánchez-Bordona, présentées le 9 septembre 2021., Commerzbank AG contre E.O., 09/09/2021, C-296/20


 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 9 septembre 2021 ( 1 )

Affaire C‑296/20

Commerzbank AG

contre

E.O.

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Convention de Lugano II – Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Compétence en matière de contrats

conclus par les consommateurs – Déménagement du consommateur, postérieurement à la conclusion du contrat, dans un autre État lié par la ...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MANUEL CAMPOS SÁNCHEZ-BORDONA

présentées le 9 septembre 2021 ( 1 )

Affaire C‑296/20

Commerzbank AG

contre

E.O.

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Convention de Lugano II – Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions en matière civile et commerciale – Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs – Déménagement du consommateur, postérieurement à la conclusion du contrat, dans un autre État lié par la convention – Exercice d’activités commerciales ou professionnelles dans l’État lié par la convention sur le territoire duquel le consommateur
a son domicile »

1. Le présent renvoi préjudiciel concerne l’interprétation de l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la convention de Lugano de 2007 ( 2 ) et vise à déterminer la juridiction compétente pour régler un litige dans lequel un établissement bancaire demande à un client le paiement du solde débiteur de son compte courant.

2. La spécificité de l’affaire tient au fait que les deux parties étaient domiciliées dans le même État (Allemagne) au moment de la conclusion du contrat, alors que le client était domicilié en Suisse lors de l’introduction de la demande en justice ( 3 ). L’affaire présente donc un caractère international survenu a posteriori, et non originel.

3. Sauf erreur de ma part, la Cour ne s’est pas encore prononcée sur l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la convention de Lugano II ( 4 ). Elle l’a fait sur la règle équivalente du règlement (CE) no 44/2001 ( 5 ), qui a été à son tour reprise dans le règlement (UE) no 1215/2012 ( 6 ), actuellement en vigueur.

4. Les arrêts de la Cour en la matière, lus dans leur ensemble, n’apportent pas, à mon avis, un éclairage suffisant sur une question dont l’incidence sur l’activité économique de ceux qui concluent des contrats avec des consommateurs n’est pas négligeable.

I. Le cadre juridique : la convention de Lugano II

5. La section 1 (« Dispositions générales ») du titre II de la convention de Lugano II comprend les articles 2 et 3, qui sont libellés comme suit :

– Article 2, paragraphe 1 : « Sous réserve des dispositions de la présente convention, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État lié par la présente convention sont attraites (assignées), quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État. »

– Article 3, paragraphe 1 : « Les personnes domiciliées sur le territoire d’un État lié par la présente convention ne peuvent être attraites devant les tribunaux d’un autre État lié par la présente convention qu’en vertu des règles énoncées aux sections 2 à 7 du présent titre. »

6. La section 4 (« Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs ») du titre II de la convention de Lugano II comprend les articles 15, 16 et 17 qui prévoient ce qui suit :

– Article 15, paragraphe 1, sous c) :

« 1. En matière de contrat conclu par une personne, le consommateur, pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, la compétence est déterminée par la présente section, sans préjudice des dispositions de l’article 4 et de l’article 5, paragraphe 5 :

[…]

c) lorsque, dans tous les autres cas, le contrat a été conclu avec une personne qui exerce des activités commerciales ou professionnelles dans l’État lié par la présente convention sur le territoire duquel le consommateur a son domicile ou qui, par tout moyen, dirige ces activités vers cet État ou vers plusieurs États, dont cet État, et que le contrat entre dans le cadre de ces activités. »

– Article 16, paragraphe 2 :

« 2. L’action intentée contre le consommateur par l’autre partie au contrat ne peut être portée que devant les tribunaux de l’État lié par la présente convention sur le territoire duquel est domicilié le consommateur. »

– Article 17, paragraphe 3 :

« Il ne peut être dérogé aux dispositions de la présente section que par des conventions [d’élection de for] :

[...]

3. qui, passées entre le consommateur et son cocontractant ayant, au moment de la conclusion du contrat, leur domicile ou leur résidence habituelle dans un même État lié par la présente convention, attribuent compétence aux tribunaux de cet État, sauf si la loi de celui-ci interdit de telles conventions. »

II. Les faits à l’origine du litige et les questions préjudicielles

7. Commerzbank AG, dont le siège principal est situé à Francfort‑sur-le-Main (Allemagne), possède une succursale à Dresde (Allemagne) par l’intermédiaire de laquelle elle a ouvert, en 2009, un compte, géré sous la forme d’un compte courant, pour un client qui était à l’époque également domicilié à Dresde.

8. La banque a délivré au client une carte de crédit dont les opérations passaient par ce compte. La banque a toléré que ledit compte soit à découvert lorsque le client procédait à des opérations avec sa carte de crédit, débitant ainsi ce même compte alors qu’il n’était pas suffisamment approvisionné.

9. Le client a déménagé pour vivre en Suisse en 2014. En janvier 2015, il a souhaité mettre fin à la relation d’affaires avec Commerzbank. À cette date, le compte bancaire présentait un solde débiteur résultant d’un montant débité en septembre 2013, solde que le client a refusé de verser au motif que ce débit était la conséquence de l’utilisation, sans son autorisation, de la carte de crédit par des tiers à des fins frauduleuses.

10. En avril 2015, Commerzbank a mis fin à la relation contractuelle avec effet immédiat et constaté un solde débiteur exigible en sa faveur. Le client a persisté à ne pas régler ce solde.

11. Commerzbank a introduit une action en recouvrement de créances devant l’Amtsgericht Dresden (tribunal de district de Dresde, Allemagne), qui l’a déclarée irrecevable pour manque de compétence.

12. Son appel n’ayant pas abouti, Commerzbank a formé un pourvoi (« Revision ») devant le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne), qui a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Convient-il d’interpréter l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la convention de Lugano II en ce sens que l’“exercice” d’activités commerciales ou professionnelles dans l’État lié par la convention sur le territoire duquel le consommateur a son domicile suppose, dès la préparation et la conclusion du contrat, l’existence d’une activité transfrontalière du cocontractant du consommateur ou convient-il également d’appliquer cette disposition pour déterminer le tribunal compétent pour
connaître d’une action en justice, lorsque, au moment de la conclusion du contrat, les parties à celui-ci avaient leur domicile au sens des articles 59 et 60 de la convention de Lugano II dans le même État lié par la convention et que la relation juridique a seulement acquis un caractère international a posteriori, du fait que le consommateur a, par la suite, déménagé dans un autre État lié par la convention ?

2) Dans l’hypothèse où l’existence d’une activité transfrontalière au moment de la conclusion du contrat n’est pas nécessaire :

Les dispositions combinées de l’article 15, paragraphe 1, sous c), et de l’article 16, paragraphe 2, de la convention de Lugano II excluent-elles de manière générale la détermination du tribunal compétent conformément à l’article 5, point 1, de [cette] convention lorsque le consommateur a, entre le moment de la conclusion du contrat et celui de l’introduction d’une action en justice, déménagé dans un autre État lié par la convention ou faut-il en plus que le cocontractant du consommateur
exerce ses activités commerciales ou professionnelles également dans le nouvel État de résidence ou qu’il dirige celles-ci vers cet État et que le contrat entre dans le cadre de ces activités ? »

III. La procédure devant la Cour

13. La demande de décision préjudicielle a été enregistrée au greffe de la Cour le 3 juillet 2020.

14. À la suite de la publication de l’ordonnance de la Cour dans l’affaire mBank ( 7 ), et en raison de son lien avec les questions abordées dans le cadre du présent renvoi préjudiciel, la juridiction de renvoi a été invitée, le 3 septembre 2020, à indiquer si elle souhaitait maintenir ses questions préjudicielles.

15. Le 6 octobre 2020, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) a informé la Cour qu’il retirait la seconde question préjudicielle et maintenait la première.

16. Commerzbank, le gouvernement suisse et la Commission européenne ont présenté des observations écrites. Il n’a pas été jugé indispensable de tenir une audience.

IV. Analyse

A. Considérations liminaires

17. La juridiction de renvoi souhaite savoir si, aux fins de l’application de l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la convention de Lugano II :

– la relation entre le professionnel et le consommateur doit comporter un « élément » d’extranéité – en l’occurrence, l’activité transfrontalière de la banque – déjà au moment de la préparation et de la conclusion du contrat ;

– ou si un caractère international survenu a posteriori, en raison du déménagement du consommateur dans un autre État lié par la convention, serait, au contraire, suffisant.

18. La Commission, le gouvernement suisse et Commerzbank donnent à cette double question des réponses différentes au terme de raisonnements également divergents. À la lumière de certains de ces arguments ( 8 ), il me semble opportun, avant d’aborder l’interprétation de l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la convention de Lugano II, de rappeler certains aspects de la section 4 du titre II de cette convention, relative à la compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs.

19. Le fait que la disposition en cause soit pratiquement identique aux articles correspondants des règlements no 44/2001 et no 1215/2012 impose de veiller à une interprétation convergente de toutes ces règles ( 9 ).

20. Comme dans les règlements no 44/2001 et no 1215/2012, les notions de l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la convention de Lugano II doivent être interprétées de manière autonome afin d’assurer leur application uniforme dans tous les États liés par cette convention ( 10 ).

1.   Ratio legis de la section 4 du titre II de la convention de Lugano II : protection du consommateur.

21. L’un des objectifs prioritaires de la section 4 du titre II de la convention de Lugano II est d’assurer une protection adéquate au consommateur en tant que partie au contrat réputée économiquement plus faible et juridiquement moins expérimentée que son cocontractant ( 11 ) professionnel ( 12 ).

22. Cet objectif n’est pas absolu : le législateur n’a pas conçu la protection du consommateur sans limites et la Cour ne l’a pas davantage comprise en ce sens ( 13 ).

23. Le caractère international de la situation en cause est une condition sine qua non de l’application de la convention de Lugano II. La section 4 du titre II de cette convention ne déroge pas à cette règle lorsqu’elle détermine la compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs ( 14 ). La protection que cette section offre vise à rééquilibrer la situation des cocontractants concernant la compétence judiciaire internationale ( 15 ).

24. Les dispositions qui concentrent les actions intentées par ou contre le consommateur dans l’État de son domicile éliminent, pour celui-ci, l’inconvénient de devoir agir ou se défendre dans un autre État. En tant que « partie faible », le consommateur est présumé ne pas toujours être en mesure de prévoir ex ante le caractère international d’un éventuel litige et de calculer ses risques et coûts ( 16 ). Les dispositions visées évitent en outre que le consommateur, face à la perspective de devoir
défendre ses droits en dehors de l’État de son domicile, renonce à les faire valoir ( 17 ).

25. La protection accordée à un consommateur domicilié sur le territoire d’un État lié par la convention de Lugano II consiste donc : a) à lui permettre d’accéder, en tant que demandeur, aux mêmes juridictions qui seraient disponibles pour des litiges découlant de contrats nationaux ( 18 ), et b) à limiter l’accès du professionnel à ces mêmes juridictions, lorsqu’il souhaite poursuivre le consommateur en justice.

26. Une solution différente pourrait freiner la propension à consommer au-delà des frontières de son propre État, sur le marché intérieur de l’Union [ou de l’Association européenne de libre-échange (AELE)].

2.   Attention portée à l’opérateur économique et à la prévisibilité du for

27. Comme je l’ai déjà souligné, la protection des consommateurs en ce qui concerne la compétence judiciaire internationale n’est ni inconditionnelle ni étrangère aux autres objectifs communs de la convention de Lugano II.

28. Pour l’opérateur économique, les règles de compétence judiciaire internationale en matière de contrats conclus par les consommateurs remplacent celles prévues à l’article 2 (qui attribue la compétence aux juridictions de l’État du domicile du défendeur) et à l’article 5, paragraphe 1 (relatif à la compétence spéciale en matière contractuelle), de la convention de Lugano II. Il convient donc de les interpréter de manière stricte, sans les étendre à d’autres situations que celles visées par le
texte ( 19 ).

29. Cela est d’autant plus vrai que, pour le consommateur qui intente une action, les règles de la section 4 du titre II de la convention de Lugano II se traduisent par un for du demandeur.

30. L’application de ces règles à une situation de fait exige que celle-ci remplisse trois conditions cumulatives ( 20 ), dont l’interprétation doit également être stricte, voire restrictive ( 21 ).

31. Je le répète, les règles de compétence judiciaire internationale en matière de contrats conclus par les consommateurs ne fonctionnent pas indépendamment des principes généraux de la convention de Lugano II. Le renforcement de la protection juridique des personnes domiciliées dans l’Union, la prévisibilité de la compétence judiciaire et la prévention des procédures multiples ayant le même objet et la même cause entre les mêmes parties sont des objectifs communs, que l’on doit veiller à combiner
avec le souci de protéger le consommateur ( 22 ).

32. Pour l’opérateur économique, la prévisibilité de l’État où il pourra assigner et être assigné constitue un facteur clé. Elle oriente l’interprétation de la section 4 du titre II de la convention de Lugano II en tant que contrepoids aux privilèges des consommateurs. J’expliquerai dans les présentes conclusions que tel est aussi le cas en ce qui concerne l’article 15, paragraphe 1, sous c), de cette convention.

33. La convention de Lugano II, telle qu’interprétée par la Cour, intègre d’autres mesures allant dans le même sens. Sans vouloir être exhaustif, l’on peut souligner les mesures suivantes :

– la définition du « consommateur » renforce la sécurité juridique de l’opérateur économique. Cette qualité est refusée si l’usage du bien ou du service faisant l’objet du contrat présente un rapport non négligeable avec l’activité professionnelle du (prétendu) consommateur ( 23 ) ;

– le consommateur et le professionnel doivent avoir conclu un contrat. Cette exigence est indispensable, en tant que facteur permettant à l’opérateur économique de prévoir la compétence exclusive des juridictions du domicile du consommateur ( 24 ) ;

– le professionnel doit avoir clairement exprimé sa volonté de s’obliger. Les situations où cette volonté n’est pas établie pourraient tout au plus être qualifiées de « précontractuelles » ou de« quasi contractuelles » et seraient soumises à la section de la convention de Lugano II relative aux compétences spéciales ( 25 ) ;

– le contrat doit être conclu entre les parties au litige. La notion d’« autre partie au contrat », prévue à l’article 16, paragraphe 1, du règlement no 44/2001, doit être interprétée en ce sens qu’elle désigne également, outre l’opérateur avec lequel le consommateur a conclu le contrat, le cocontractant de cet opérateur, mais uniquement si le consommateur était d’emblée contractuellement lié aux deux, de manière indissociable ( 26 ).

B. Article 15, paragraphe 1, sous c), de la convention de Lugano II : interprétations possibles

34. L’article 15, paragraphe 1, sous c), de la convention de Lugano II, dont l’interprétation fait l’objet de la seule question préjudicielle restante, se prête, en principe, à deux lectures différentes, qui aboutissent à des réponses respectivement négative ou affirmative :

– la première réponse (négative) serait fondée sur le fait que la disposition s’applique lorsqu’un professionnel crée volontairement le caractère international du contrat, en projetant ou en exerçant son activité économique au-delà des frontières de son propre État afin d’attirer des clients dans d’autres États. Tel ne serait pas le cas lorsque l’élément d’extranéité du rapport juridique ne naît que postérieurement à la conclusion du contrat, en raison du déménagement du consommateur ;

– la seconde réponse (affirmative) serait fondée sur l’octroi d’une plus grande importance au domicile du consommateur au moment de l’introduction du recours juridictionnel.

35. Je souligne d’ores et déjà que les raisons en faveur de la première réponse me semblent avoir plus de poids. Il serait cependant possible d’envisager une solution de compromis permettant d’équilibrer les positions du consommateur et du professionnel en ce qui concerne la compétence judiciaire internationale, lorsque le premier déménage dans un autre État après la conclusion du contrat.

1.   Cette question a-t-elle été précédemment résolue ?

36. La Cour s’est déjà prononcée sur l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement no 44/2001 et sur l’article 17, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012. Il est donc légitime de se demander si l’on peut déduire de ses arrêts que la question relative au même texte, prévu par la convention de Lugano II, a été tranchée.

37. Je n’exclus pas un raisonnement qui prendrait comme point de départ l’arrêt Pammer et Hotel Alpenhof et qui, dans un second temps, s’attacherait à vérifier s’il y a lieu de distinguer, dans le contexte de l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la convention de Lugano II, l’activité que le professionnel exerce dans un État et l’activité qu’il dirige vers cet État. J’y reviendrai dans les présentes conclusions ( 27 ).

38. À l’inverse, je ne crois pas que les arrêts qui, parmi ceux rendus jusqu’à présent, sont cités dans les observations présentées dans cette affaire soient déterminants pour la résolution de la problématique.

39. Il me semble difficile de déduire de ces arrêts que la Cour aurait eu l’intention de répondre tacitement à une question ayant la portée de celle qui nous occupe. La juridiction de renvoi, qui connaît manifestement la jurisprudence de la Cour, n’en déduit pas de réponse univoque. Les lourdes conséquences que l’application des règles de protection des consommateurs entraîne pour le professionnel, lorsqu’il est surpris par un déménagement du client qu’il n’avait pas prévu ou ne pouvait pas prévoir,
exigent une discussion explicite.

40. Il est vrai que l’affaire mBank concernait une situation similaire à celle qui nous occupe. La Cour a cependant reformulé ( 28 ) les questions qui lui étaient posées et a répondu que « la notion de “domicile du consommateur” visée à l’article 18, paragraphe 2, du règlement no 1215/2012 doit être interprétée comme désignant le domicile du consommateur à la date de l’introduction du recours juridictionnel ». La Cour a limité son raisonnement à cet aspect ( 29 ).

41. L’arrêt rendu dans l’affaire C‑327/10 ( 30 ) ne dissipe pas davantage le doute exprimé en l’espèce. Dans cette affaire, la Cour n’a pas nié qu’un contrat entre un professionnel et un consommateur domiciliés, au moment de la conclusion du contrat, dans le même État membre puisse relever de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement no 44/2001. Elle n’a cependant pas abordé le point qui fait l’objet de la présente discussion ( 31 ).

42. Il en va de même pour l’arrêt rendu dans l’affaire C‑478/12 ( 32 ), qui, à mon avis, ne résout pas non plus le problème qui nous occupe :

– cet arrêt ne se prononce pas sur le caractère international en tant que condition d’application de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement no 44/2001, mais en tant que condition d’application de ce règlement dans son ensemble ( 33 ) ;

– à cet égard, la Cour a considéré qu’il « convient d’opérer une distinction entre, d’une part, la question de savoir à quelles conditions les règles de compétence [du] règlement [no 44/2001] doivent s’appliquer et, d’autre part, celle de savoir selon quels critères la compétence internationale est régie en application de ces règles » ( 34 ) ;

– si la section 4 du chapitre II (plus précisément l’article 16, paragraphe 1) du règlement no 44/2001 a ensuite été appliquée au professionnel domicilié dans l’État membre du consommateur, cela a été fait dans le but d’éviter des procédures multiples concernant une « opération unique », composée de contrats « indissociables » bien qu’ils aient été conclus avec deux professionnels différents ( 35 ).

2.   Arguments en faveur d’un (indispensable) caractère international originel

a)   Activité transfrontalière du professionnel

43. L’article 15, paragraphe 1, sous c), de la convention de Lugano II joue le rôle précédemment dévolu à l’article 13, paragraphe 1, point 3, de la convention de Lugano de 1988 ( 36 ), qui est à cet égard identique à la convention de Bruxelles.

44. Pour comprendre cette disposition, il faut remonter à son inclusion, en 1978, dans la convention de Bruxelles et savoir comment elle a évolué depuis.

1) Premier libellé

45. Dans la version originelle de la convention de Bruxelles, de 1968, la protection des consommateurs en ce qui concerne la compétence judiciaire internationale comprenait les articles 13 à 15. Elle était limitée aux contrats de vente à tempérament et à leur financement et reflétait la situation des États membres fondateurs de la CEE en matière de consommation.

46. La convention du 9 octobre 1978 relative à l’adhésion du Royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord à la convention de Bruxelles ainsi qu’au protocole concernant son interprétation par la Cour de justice ( 37 ) a été l’occasion de compléter l’article 13 par un paragraphe 3, qui étendait la couverture à tout contrat de fourniture de services ou d’objets mobiliers corporels si deux conditions étaient, en outre, remplies :

– la conclusion du contrat devait avoir été précédée dans l’État du domicile du consommateur d’une proposition spécialement faite ou d’une publicité, et

– le consommateur devait avoir accompli dans cet État les actes nécessaires à la conclusion du contrat.

47. Ces conditions, cumulatives, s’inspiraient de l’article 5, paragraphe 2, premier tiret, de la convention sur la loi applicable aux obligations contractuelles, ouverte à la signature à Rome le 19 juin 1980 (JO 1980, L 266, p. 1) ( 38 ). Elles envisageaient un consommateur « passif », c’est-à-dire un consommateur que le professionnel allait démarcher à domicile, et permettaient d’assurer l’existence d’un lien étroit entre le contrat et l’État du domicile du consommateur.

48. Le cas de figure typique envisagé dans les deux textes était celui d’un opérateur économique pénétrant le marché d’un autre pays par l’intermédiaire d’une publicité transfrontalière ( 39 ) ou de propositions d’affaires individuelles présentées, en particulier, par des agents ou des colporteurs ( 40 ).

49. Le caractère transnational du contrat résultait de l’initiative de l’opérateur économique. La réaction du consommateur à la publicité ou à l’offre du professionnel était confinée à son propre État. Il était donc justifié que le risque lié au caractère international et les frais d’une procédure dans cet État soient exclusivement à la charge du professionnel.

50. La juridiction devant laquelle le consommateur pouvait être assigné et devant laquelle ce dernier pouvait intenter une action était prévisible pour tous.

2) Modifications

51. L’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement no 44/2001, reproduit dans la convention de Lugano II, a étendu la section 4 du chapitre II à tout contrat et a modifié les conditions requises pour invoquer la compétence protectrice. Cette modification visait à assurer la protection des consommateurs « eu égard aux nouveaux moyens de communication et au développement du commerce électronique » ( 41 ).

52. Le législateur de l’Union a remplacé les exigences respectivement imposées au professionnel et au consommateur par des exigences uniquement applicables au professionnel. L’action du consommateur et le lieu ou le mode de conclusion du contrat seraient sans incidence ( 42 ).

53. Le rapport Pocar sur la convention de Lugano II explique la nouvelle formulation du texte ( 43 ). Ce rapport souligne que cette nouvelle formulation « n’innove pas en ce qui concerne la vente à tempérament d’objets mobiliers corporels ou les prêts à tempérament, pour lesquels il n’est pas nécessaire qu’une proximité existe entre le contrat et l’État dans lequel le consommateur est domicilié », alors que, « [p]our les autres contrats [...], l’extension de la protection à tous les contrats conclus
par les consommateurs et l’extension du for du demandeur que cela entraîne ne seraient pas justifiées en l’absence de facteur rattachant l’autre partie contractante et l’État du domicile du consommateur » ( 44 ).

54. La Cour a interprété les termes « dirige ces activités » de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement no 44/2001 en subordonnant son application à la volonté du vendeur d’établir des relations commerciales avec les consommateurs d’un ou de plusieurs autres États membres et de conclure des contrats avec eux ( 45 ).

55. La Cour a clairement établi que l’extension de la protection des consommateurs s’inscrit dans le sillage de ce même scénario, à savoir celui du professionnel établi dans un État membre qui tente de séduire les consommateurs d’autres États membres.

56. Ce n’est que dans ces conditions que le professionnel peut prévoir la compétence judiciaire internationale – qui est, à son égard, impérative – des juridictions de ces autres États membres.

b)   Activité exercée dans l’État du domicile du consommateur

1) « Exercer » ou « diriger » l’activité

57. La Cour a précisé les termes « dirige ces activités » repris dans l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement no 44/2001.

58. Je ne vois aucune raison d’interpréter cette disposition d’une manière différente selon que l’action du professionnel consiste à exercer une activité dans l’État où le consommateur a son domicile ou à la diriger vers ce même État.

59. La volonté de l’opérateur économique établi dans un État, qui entend nouer des relations commerciales avec des consommateurs domiciliés dans un autre État et conclure des contrats avec eux, est, selon moi, requise de la même manière dans les deux cas.

60. Les travaux préparatoires du règlement no 44/2001 montrent le caractère unitaire de la notion d’« activité » (exercée dans l’État du domicile du consommateur ou dirigée vers cet État) et confirment que l’article 15, paragraphe 1, sous c), de ce règlement s’applique au contrat de consommation passé « par un site Internet interactif accessible dans l’État du domicile du consommateur » ( 46 ). Les contrats électroniques sont ainsi assimilés aux autres contrats à distance passés par téléphone, fax,
ou par d’autres moyens, pour lesquels la compétence de l’article 16 dudit règlement n’est pas contestée ( 47 ).

61. Dans le texte, les termes « exercer » et « diriger » l’activité sont placés au même niveau et reliés par la conjonction de coordination « ou » qui, dans cette fonction, dénote l’équivalence des éléments qu’elle associe ( 48 ).

62. En matière de compétence judiciaire internationale pour le professionnel, la conséquence est la même dans les deux cas et doit donc être soumise aux mêmes conditions.

2) Domicile du consommateur au sens de l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la convention de Lugano II

63. L’article 15, paragraphe 1, sous c), de la convention de Lugano II délimite l’application de la section 4 du titre II de cette convention en fonction de l’activité du professionnel « dans l’État [...] sur le territoire duquel le consommateur a son domicile », car ce domicile détermine la juridiction compétente en cas de litige.

64. La Cour a identifié le domicile du consommateur aux fins de l’article 18, paragraphe 2, du règlement no 1215/2012 (équivalent de l’article 16, paragraphe 2, de la convention de Lugano II) au domicile de celui-ci à la date de l’introduction du recours juridictionnel ( 49 ).

65. Un contrat impliquant un consommateur sera couvert par cette disposition si, en tant qu’élément conférant un caractère international à la situation, le domicile du consommateur qui fonde ( 50 ) la compétence internationale se trouve dans l’État où le professionnel exerce ou vers lequel il dirige son activité.

66. Cette interprétation est cohérente avec ce qui a été exposé concernant l’historique de l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la convention de Lugano II et l’objectif consistant à assurer une compétence judiciaire internationale prévisible pour l’opérateur économique.

c)   « Dans tous les autres cas » : différence entre les types de contrat

67. Littéralement, l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la convention de Lugano II est résiduel, en ce sens qu’il régit les contrats de consommation non couverts par l’article 15, paragraphe 1, sous a) et b).

68. L’application de ces points – comme celle de toutes les dispositions de la convention de Lugano II – exige que l’affaire ait un caractère international. À l’inverse, elle n’exige pas un lien particulier avec le domicile du consommateur généré par le cocontractant de ce dernier.

69. L’absence de condition particulière caractérisait le texte de la première version de la convention de Bruxelles, qui a été conservé jusqu’à ce jour.

70. La Cour a expliqué le traitement spécifique des contrats visés par l’article 15, paragraphe 1, sous a) et b), de la convention de Lugano II par les risques inhérents aux paiements différés. La vente désormais visée par l’article 15, paragraphe 1, sous a), de cette convention est seulement celle dans laquelle le vendeur a transféré la possession des objets mobiliers corporels à l’acheteur avant que celuici n’en ait intégralement payé le prix.

71. Dans de tels cas, « d’une part, au moment de la conclusion du contrat, l’acheteur peut être induit en erreur quant au montant réel de la somme dont il est redevable et, d’autre part, il assumera le risque de perte dudit bien tout en étant tenu de s’acquitter des versements restant à payer » ( 51 ).

72. La gravité de ces risques compenserait le fait que la proximité entre le contrat et l’État du domicile du consommateur ne soit pas additionnellement requise aux fins de l’application de la section 4 du titre II de la convention de Lugano II.

d)   Conclusion intermédiaire

73. L’historique et la finalité de la disposition en cause, la jurisprudence de la Cour relative à cette disposition (ou à ses équivalents antérieurs) et sa lecture conjointe avec l’article 16 de la convention de Lugano II conduiraient donc à interpréter l’article 15, paragraphe 1, sous c), de cette convention en ce sens qu’il exige : a) que, par l’exercice de son activité économique ou par son offre, le professionnel crée volontairement un lien avec un État partie à ladite convention autre que
celui sur le territoire duquel il est établi, et b) que cet « autre État » soit celui sur le territoire duquel le consommateur a son domicile, notion qui désigne le domicile qui sert (ou servira le moment venu) à fonder la compétence judiciaire internationale.

74. Logiquement, il y aurait lieu de déduire de ce qui précède que :

– l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la convention de Lugano II ne couvre pas les contrats dont les deux parties sont, au moment de leur conclusion, domiciliées dans un même État lié par cette convention ;

– un déménagement ultérieur du consommateur dans un autre État, avant l’introduction du recours juridictionnel, ne suffit pas à ouvrir la section 4 du titre II de la convention de Lugano II aux contrats autres que l’achat à tempérament de biens meubles ou aux contrats conclus en vue du financement de tels achats.

3.   Arguments en faveur d’un (éventuel) caractère international né a posteriori

75. La compréhension de la disposition que je viens de préconiser pourrait toutefois se heurter à l’article 17 de la convention de Lugano II, qui régit l’élection de for dans les contrats visés à l’article 15 de cette convention.

76. L’article 17, paragraphe 3, de la convention de Lugano II reconnaît la validité des conventions d’élection de for passées entre des parties qui, « au moment de la conclusion du contrat », avaient leur domicile ou leur résidence habituelle dans un même État (lié par ladite convention), pour autant que ces conventions attribuent une compétence aux juridictions de cet État et que la loi de celui-ci ne les interdise pas.

77. La convention de Lugano II semble donc elle-même admettre, à première vue, que le fait que le domicile des deux parties (professionnel et consommateur) soit situé dans un même État à la date de la conclusion du contrat n’empêche pas d’apprécier le caractère international de ce contrat et, in fine, de déterminer la compétence judiciaire.

a)   Élection de for antérieure au changement de domicile

78. La première version de la convention de Bruxelles, de 1968, contenait une règle similaire à l’article 17, paragraphe 3, de la convention de Lugano II, à savoir l’article 15, paragraphe 3.

79. Le rapport Jenard explique son inclusion par des raisons d’équité, au profit du vendeur ou du prêteur domicilié dans le même État que l’acheteur ou l’emprunteur, lorsque ce dernier s’établit à l’étranger après avoir conclu le contrat ( 52 ).

80. Le libellé de la disposition a été modifié dans le texte de la convention de Bruxelles de 1978 pour préciser qu’il s’agit du domicile commun au moment de la conclusion du contrat, et non au moment de l’introduction du recours juridictionnel ( 53 ).

81. La référence aux vendeurs et aux prêteurs a été remplacée par la formulation actuelle. Ce changement n’a fait l’objet d’aucune explication.

82. Le rapport Schlosser indique expressément, lors de l’analyse du transfert du domicile dans un autre État après la conclusion du contrat, que celui-ci a une faible probabilité d’affecter le cas de figure visé à l’article 13, paragraphe 3, de la convention de Bruxelles, dans sa formulation en vigueur à l’époque ( 54 ). L’application de l’article 15, paragraphe 3, de ladite convention, dans de tels cas serait dont également exceptionnelle.

b)   Relation entre l’article 15 et l’article 17, paragraphe 3, de la convention de Lugano II

83. L’inclusion de l’article 17, paragraphe 3, de la convention de Lugano II dans la section relative aux contrats conclus par les consommateurs n’a aucun rapport avec celle de l’article 15, paragraphe 1, sous c), de cette convention ni avec celle des articles correspondants repris dans les textes précédents.

84. De surcroît, le point de départ de l’article 17, paragraphe 3, de la convention de Lugano II (la localisation du domicile des parties contractantes, au moment de la conclusion du contrat, dans le même État lié par la convention) est en réalité opposé à celui de l’article 15, paragraphe 1, sous c), de cette convention.

85. Il ne semble cependant pas que le législateur ait voulu exclure tout lien entre les deux dispositions, car, si tel avait été le cas, il n’aurait pas supprimé la référence originelle à l’accord entre le vendeur et l’acheteur ou le prêteur et l’emprunteur.

86. J’estime qu’il n’y a pas lieu de résoudre la contradiction (que le législateur n’a peut-être pas remarquée) en faisant relever de l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la convention de Lugano II des situations pour lesquelles il n’a pas été conçu et qui laissent le professionnel à la merci de l’autre partie ( 55 ), sans lui offrir en contrepartie une solution sûre.

87. La possibilité de convenir de la compétence judiciaire dans les circonstances énoncées à l’article 17, paragraphe 3, de la convention de Lugano II n’est pas automatique, puisqu’elle dépend en dernier ressort de la décision de chaque État lié par la convention.

88. Je ne suis pas non plus certain qu’une telle possibilité protège en pratique le professionnel contre un changement inattendu de circonstances provoqué par la volonté unilatérale du consommateur.

89. La situation décrite à l’article 17, paragraphe 3, de la convention de Lugano II est, par définition, interne : les parties qui conviennent de la compétence ont pour volonté naturelle de choisir la compétence territoriale. Une extension ex lege de la portée de l’accord initial, qui transformerait celui-ci en une attribution de compétence au niveau international ( 56 ), ne correspond pas aux prévisions des parties et je ne vois pas pourquoi elle devrait leur être imposée.

90. Le champ d’application propre à l’article 17, paragraphe 3, de la convention de Lugano II est celui des clauses d’élection de for passées avant tout litige, dans l’intention spécifique de neutraliser un futur caractère international créé par le changement de domicile de n’importe laquelle des parties ( 57 ).

91. La probabilité d’une telle prévision diffère selon les circonstances dans lesquelles le contrat est conclu : elle est plus élevée si la situation comporte déjà un élément d’extranéité et plus faible, voire inexistante, dans le cas contraire.

92. Cette probabilité dépendra également, dans une large mesure, de l’expérience de l’opérateur économique concerné et des règles nationales en matière d’élection de for :

– un petit commerçant qui n’exerce ni ne projette son activité économique dans d’autres pays songera difficilement à la compétence judiciaire internationale dans ses affaires quotidiennes ;

– pour le professionnel avisé, il sera plus pratique d’inclure systématiquement une clause d’élection de for dans ses contrats si le droit applicable le permet. Il répercutera le coût supplémentaire de cette opération sur le consommateur, conformément aux dispositions légales ( 58 ) ;

– le professionnel domicilié dans un État dont la loi interdit les conventions d’élection de for, ou génère des doutes à cet égard, préférera ne pas conclure le contrat ou imputera de manière préventive à tout consommateur les coûts d’une éventuelle procédure à l’étranger, augmentant ainsi le prix des contrats.

93. En définitive, une interprétation qui, pour concilier l’article 15, paragraphe 1, sous c), et l’article 17, paragraphe 3, de la convention de Lugano II, ferait peser sur le professionnel, en tout état de cause, le risque du caractère international créé a posteriori par le changement de domicile du consommateur :

– ignore le cas de figure typique visé par la première disposition ;

– offre une solution inégale selon l’État contractant dans lequel le contrat est conclu, et

– est susceptible de produire des conséquences indésirables du point de vue de l’analyse économique et des intérêts de toutes les parties concernées.

94. J’estime par conséquent qu’il y a lieu de rejeter cette interprétation.

C. Proposition alternative

95. Dans l’hypothèse où la Cour ne retiendrait pas ma proposition, peut-être devrait-elle chercher une formule permettant de sauvegarder à la fois l’objectif de protection du consommateur contre l’exigence d’un caractère international (y compris celle qu’il crée lui-même) et celui de prévisibilité de la compétence judiciaire internationale pour l’opérateur économique, prévisibilité que l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la convention de Lugano II associe à l’activité commerciale
transfrontalière de ce dernier.

96. Surmonter l’antinomie que j’ai décrite dans les présentes conclusions n’est, à mon avis, pas totalement impossible. L’article 15, paragraphe 1, sous c), de la convention de Lugano II pourrait être interprété en ce sens qu’il couvre toute situation dans laquelle le professionnel exerce ou dirige son activité économique vers des États autres que celui dans lequel il est établi, l’un d’eux étant l’État sur le territoire duquel le consommateur à son domicile au moment de l’introduction du recours
juridictionnel.

97. Dans ce contexte, le fait que les deux parties soient domiciliées, au moment de la conclusion du contrat, dans un même État lié par la convention de Lugano II n’empêchera pas l’application de l’article 15, paragraphe 1, sous c), de cette convention et donc de la section 4 du titre II de ladite convention, avec toutes ses conséquences.

98. Dans ce même contexte, le consommateur qui transfère a posteriori son domicile dans un autre État lié par la convention de Lugano II pourra porter son action devant les juridictions du domicile de l’opérateur économique ou devant celles de son nouveau domicile. L’opérateur économique ne pourra introduire une action que devant ces dernières.

99. Je suis conscient que si l’opérateur économique est domicilié dans le même État que le consommateur au moment de la préparation et de la conclusion du contrat, sans aucun élément laissant présager la survenance d’un éventuel caractère international a posteriori, il n’aura, en principe, aucune raison d’anticiper un recours juridictionnel dans un autre État pour ce contrat particulier.

100. La prévisibilité se situe dans ce cas à un niveau plus élevé d’abstraction. En exerçant un certain type d’activité dans un autre État, le professionnel normalement diligent ne peut ignorer qu’il peut y être assigné pour tout contrat qui, par son objet, entre dans le cadre de cette activité ( 59 ), si le consommateur transfère son domicile dans cet autre État.

101. Face à cette éventualité, dont il est conscient puisqu’elle découle de sa propre activité, l’opérateur économique normalement diligent pourra recourir à l’outil que lui offre l’article 17, paragraphe 3, de la convention de Lugano II, à savoir la conclusion d’une convention d’attribution de compétence désignant les juridictions de l’État du domicile commun au moment de la conclusion du contrat (à condition que la loi de cet État ne l’interdise pas).

102. La solution, qui n’est pas optimale, s’inspire dans une certaine mesure de la jurisprudence de la Cour :

– dans l’arrêt Emrek, la Cour a dissocié l’activité commerciale dans un État et la conclusion du contrat avec les consommateurs qui y sont domiciliés, en considérant que l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement no 44/2001 n’exige pas de lien de causalité entre le moyen employé pour diriger l’activité commerciale ou professionnelle vers l’État membre du domicile du consommateur et la conclusion du contrat avec ce consommateur ( 60 ) ;

– dans l’arrêt Hobohm, la Cour a admis que l’activité pour laquelle l’opérateur économique est assigné peut ne pas être celle qu’il dirige vers l’État du domicile du consommateur. Cette solution est subordonnée à l’existence d’un lien étroit entre les contrats entrant dans le cadre des différentes activités du professionnel. La Cour a indiqué certains éléments qui constitueraient ce lien et a considéré que, s’il existe, « ce professionnel peut raisonnablement s’attendre à ce que les deux
contrats soient soumis au même régime de compétence juridictionnelle » ( 61 ).

V. Conclusion

103. Eu égard ce qui précède, je suggère à la Cour de répondre au Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) comme suit :

L’article 15, paragraphe 1, sous c), de la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée à Lugano le 30 octobre 2007, dont la conclusion a été approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2009/430/CE du Conseil, du 27 novembre 2008, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’applique pas lorsque les parties au contrat sont, au moment de sa conclusion, domiciliées (au sens des articles 59
et 60 de cette convention) dans le même État lié par ladite convention et que l’élément d’extranéité du rapport juridique ne survient qu’a posteriori, après que le consommateur a transféré son domicile dans un autre État également lié par la même convention.

À titre subsidiaire, l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée à Lugano le 30 octobre 2007, serait applicable lorsque le domicile des parties au moment de la conclusion du contrat se trouve dans un même État lié par cette convention et que le consommateur se rend par la suite dans un autre État, également lié par ladite convention, à condition que le
professionnel exerce, dans l’État du nouveau domicile du consommateur, des activités professionnelles telles que celles qui ont donné lieu à la conclusion du contrat.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

( 1 ) Langue originale : l’espagnol.

( 2 ) Convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée à Lugano le 30 octobre 2007, approuvée au nom de la Communauté européenne par la décision 2009/430/CE du Conseil, du 27 novembre 2008 (JO 2009, L 147, p. 1, ci-après la « convention de Lugano II »). Son interprétation relève de la compétence de la Cour en vertu du protocole no 2 qui lui est joint.

( 3 ) Les deux États sont liés par la convention de Lugano II. Dans les présentes conclusions, le terme « État » désigne les États liés par cette convention, à l’exclusion des États tiers.

( 4 ) La Cour a abordé la notion de « consommateur » visée à l’article 15 de la convention de Lugano II dans l’arrêt du 2 mai 2019, Pillar Securitisation (C‑694/17, EU:C:2019:345).

( 5 ) Règlement du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2001, L 12, p. 1).

( 6 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 2012, L 351, p. 1). La disposition équivalente de ce règlement est l’article 17, paragraphe 1, sous c).

( 7 ) Ordonnance du 3 septembre 2020, mBank (C‑98/20, ci-après l’« ordonnance mBank , EU:C:2020:672). L’affaire portait sur l’interprétation de l’article 18, paragraphe 2, du règlement no 1215/2012, dont le libellé correspond à celui de l’article 16, paragraphe 2, de la convention de Lugano II.

( 8 ) La Commission, en particulier, sacrifie la prévisibilité des compétences du point de vue du professionnel qui conclut un contrat avec le consommateur (observations de la Commission, points 51 et suivants).

( 9 ) Arrêt du 2 mai 2019, Pillar Securitisation (C‑694/17, EU:C:2019:345, point 27).

( 10 ) Ce qui n’empêche pas de tenir compte de notions tirées d’autres dispositions du droit de l’Union, en particulier si elles ont inspiré les règles de compétence : voir point 47 des présentes conclusions.

( 11 ) Je reprends ici le terme utilisé dans la convention de Lugano II.

( 12 ) Règlement no 1215/2012, considérant 18. Voir, entre autres, arrêts du 11 juillet 2002, Gabriel (C‑96/00, ci-après l’« arrêt Gabriel , EU:C:2002:436, point 39), du 7 décembre 2010, Pammer et Hotel Alpenhof (C‑585/08 et C‑144/09, ci-après l’« arrêt Pammer et Hotel Alpenhof , EU:C:2010:740, point 58), et du 14 mars 2013, Česká spořitelna (C‑419/11, EU:C:2013:165, point 33).

( 13 ) S’agissant, en particulier, de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement no 44/2001, voir arrêts Pammer et Hotel Alpenhof, point 70 ; du 6 septembre 2012, Mühlleitner (C‑190/11, ci‑après l’« arrêt Mühlleitner , EU:C:2012:542, point 33), et du 23 décembre 2015, Hobohm (C‑297/14, ci-après l’« arrêt Hobohm , EU:C:2015:844, point 32).

( 14 ) En l’espèce, la question consiste à déterminer si, en vertu de l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la convention de Lugano II, le caractère international doit présenter des caractéristiques particulières.

( 15 ) Voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Cruz Villalón dans l’affaire Emrek (C‑218/12, EU:C:2013:494, point 23).

( 16 ) C’est pour cette raison qu’une clause d’élection de for postérieure à la naissance du différend est considérée comme étant valide, même si elle déroge à la compétence de l’État du domicile du consommateur (article 17, paragraphe 1, de la convention de Lugano II). Il est également admis que le consommateur se soumette tacitement à des juridictions autres que celles de son domicile, ainsi qu’il ressort de l’article 26, paragraphe 2, du règlement no 1215/2012.

( 17 ) Arrêt du 20 janvier 2005, Gruber (C‑464/01, ci-après l’« arrêt Gruber , EU:C:2005:32, point 34).

( 18 ) En plus d’autres juridictions.

( 19 ) S’agissant du régime de la convention de Bruxelles de 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1972, L 299, p. 32, texte consolidé publié au JO 1998, C 27, p. 1, ci-après la « convention de Bruxelles »), voir arrêts du 3 juillet 1997, Benincasa (C‑269/95, EU:C:1997:337, point 14) ; Gabriel (point 36), et Gruber (points 32 et 33). S’agissant du règlement no 44/2001, voir arrêt Mühlleitner (points 26 et 27). S’agissant du
règlement no 1215/2012, voir arrêt du 10 décembre 2020, Personal Exchange International (C‑774/19, EU:C:2020:1015, point 24).

( 20 ) Arrêt du 10 décembre 2020, Personal Exchange International (C‑774/19, EU:C:2020:1015, point 25) : « [...] l’article 15, paragraphe 1, du règlement no 44/2001 est applicable dans l’hypothèse où trois conditions sont remplies, à savoir, premièrement, qu’une partie contractuelle a la qualité de consommateur qui agit dans un cadre pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle, deuxièmement, que le contrat entre un tel consommateur et un professionnel a été effectivement
conclu et, troisièmement, qu’un tel contrat relève de l’une des catégories visées au paragraphe 1, sous a) à c), dudit article 15 ».

( 21 ) Sur l’interprétation restrictive de la notion de « consommateur », voir, entre autres, arrêts du 3 juillet 1997, Benincasa (C‑269/95, EU:C:1997:337, point 16), et du 3 octobre 2019, Petruchová (C‑208/18, EU:C:2019:825, point 41).

( 22 ) Arrêt du 3 octobre 2019, Petruchová (C‑208/18, EU:C:2019:825, point 52), et décisions citées dans les notes suivantes.

( 23 ) Arrêt Gruber, point 45.

( 24 ) Arrêts du 28 janvier 2015, Kolassa (C‑375/13, EU:C:2015:37, point 29) ; du 25 janvier 2018, Schrems (C‑498/16, EU:C:2018:37, point 46), et du 26 mars 2020, Primera Air Scandinavia (C‑215/18, EU:C:2020:235, points 62 et 63).

( 25 ) Arrêts du 20 janvier 2005, Engler (C‑27/02, EU:C:2005:33, points 35 et suiv. ainsi que dispositif) ; du 14 mai 2009, Ilsinger (C‑180/06, EU:C:2009:303, points 56 et 57), ainsi que du 28 janvier 2015, Kolassa (C‑375/13, EU:C:2015:37).

( 26 ) Arrêts du 14 novembre 2013, Maletic (C‑478/12, EU:C:2013:735, point 32) ; du 28 janvier 2015, Kolassa (C‑375/13, EU:C:2015:37, point 33) ; du 25 janvier 2018, Schrems (C‑498/16, EU:C:2018:37, point 46), et du 26 mars 2020, Primera Air Scandinavia (C‑215/18, EU:C:2020:235, point 64).

( 27 ) Points 54, 55, 57 et suiv. des présentes conclusions.

( 28 ) La Cour s’est limitée à déterminer « si l’article 18, paragraphe 2, du règlement no 1215/2012 doit être interprété en ce sens que la notion de “domicile du consommateur” visée à cette disposition désigne le domicile du consommateur à la date de la conclusion du contrat en cause ou le domicile de celui-ci à la date de l’introduction du recours juridictionnel » (ordonnance mBank, point 23).

( 29 ) L’article 17, paragraphe 1, du règlement no 1215/2012 est évoqué aux points 24 et 25 (ainsi que, par extension, au point 33) de l’ordonnance mBank et n’est pas pertinent aux fins qui nous intéressent : « [...] le contrat en cause [...] a été conclu par une personne physique ayant la qualité de consommateur et aucun autre élément [...] ne laisse entendre que PA aurait conclu ce contrat pour un usage lié à une activité professionnelle, au sens de l’article 17, paragraphe 1, du règlement
no 1215/2012. Il s’ensuit que, conformément à cette dernière disposition, le contrat en cause au principal est susceptible de relever de la catégorie des “contrats conclus par un consommateur”, au sens de ladite disposition ».

( 30 ) Arrêt du 17 novembre 2011, Hypoteční banka (C‑327/10, EU:C:2011:745).

( 31 ) Dans cette affaire, la juridiction de renvoi avait inscrit sa question, sans plus d’explications, dans le cadre de l’article 16, paragraphe 2, du règlement no 44/2001. Les circonstances du litige étaient, en tout état de cause, exceptionnelles, il est donc déconseillé d’en faire un paradigme sur un point qui ne semble avoir donné lieu à aucune réflexion. Cet aspect n’a été abordé ni dans les observations des parties ni dans les conclusions de l’avocate générale Trstenjak dans l’affaire
Hypoteční banka (C‑327/10, EU:C:2011:561). L’arrêt ne mentionne pas l’article 15 du règlement no 44/2001.

( 32 ) Arrêt du 14 novembre 2013, Maletic (C‑478/12, EU:C:2013:735).

( 33 ) Arrêt du 14 novembre 2013, Maletic (C‑478/12, EU:C:2013:735, point 25).

( 34 ) Arrêt du 17 novembre 2011, Hypoteční banka (C‑327/10, EU:C:2011:745, point 31).

( 35 ) Arrêt du 14 novembre 2013, Maletic (C‑478/12, EU:C:2013:735, points 29 et suivants).

( 36 ) Convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée à Lugano le 16 septembre 1988 (JO 1988, L 319, p. 9).

( 37 ) JO 1978, L 304, p. 1.

( 38 ) Arrêt Gabriel, points 40 et suiv., qui se réfèrent au rapport du professeur Dr. P. Schlosser sur la convention du 9 octobre 1978 relative à l’adhésion du Royaume de Danemark, de l’Irlande et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord à la convention concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, ainsi qu’au protocole concernant son interprétation par la Cour de justice (JO 1979, C 59, p. 71, ci-après le « rapport Schlosser »),
point 158.

( 39 ) Rapport Schlosser, point 161, in fine.

( 40 ) Arrêt Gabriel, point 44. Les notions d’« agent » et de « colporteur » confirment l’idée d’établissement de l’offreur dans un État différent de celui du consommateur. Les ventes par correspondance ou par téléphone étaient, à l’époque, d’autres activités typiques.

( 41 ) Arrêts Pammer et Hotel Alpenhof (points 59 et 60), ainsi que Mühlleitner (point 38).

( 42 ) Dans l’arrêt Mühlleitner, la Cour a déclaré que la conclusion d’un contrat à distance n’était pas indispensable pour l’application de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement no 44/2001. Après avoir consulté le site Internet du professionnel, le consommateur s’était déplacé dans l’État membre où ce dernier était établi et c’est là qu’il avait conclu et exécuté l’achat. Les faits sont similaires à ceux ayant donné lieu à l’arrêt du 17 octobre 2013, Emrek (C‑218/12, EU:C:2013:666).

( 43 ) S’agissant du règlement no 44/2001, voir exposé des motifs de la proposition de règlement (CE) du Conseil concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (COM/99/0348 final), p. 15 à 17, en particulier p. 16 : « Le point de départ du nouvel article 15 est que c’est le cocontractant qui crée le lien en dirigeant ses activités vers l’État du consommateur ».

( 44 ) Convention concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, signée à Lugano le 30 octobre 2007 – Rapport explicatif par M. Fausto Pocar (JO 2009, C 319, p. 1), points 82 et 83. Mise en italique par mes soins.

( 45 ) Arrêt Pammer et Hotel Alpenhof, points 75 et 76, ainsi que second point du dispositif.

( 46 ) Voir l’exposé des motifs de la proposition de règlement (COM/99/0348 final) (note 43), p. 16.

( 47 ) Voir l’exposé des motifs de la proposition de règlement (COM/99/0348 final) (note 43), p. 16.

( 48 ) Il n’y a pas d’opposition entre les deux ; en effet, « diriger » l’activité pourrait déjà être une forme de l’« exercer » ou constituer une étape de cet exercice.

( 49 ) Ordonnance mBank.

( 50 ) En réalité, le domicile sera pertinent si et lorsqu’un litige naît, en tant que critère d’attribution de compétence.

( 51 ) Arrêt du 27 avril 1999, Mietz (C‑99/96, EU:C:1999:202, point 31). Cela explique qu’une vente ne soit pas considérée comme étant à tempérament lorsque le prix doit être intégralement payé avant que le transfert de possession ne s’effectue, même si l’acheteur s’est vu accorder la possibilité de s’acquitter du prix en plusieurs versements.

( 52 ) Rapport de M. P. Jenard sur la convention du 27 septembre 1968 concernant la compétence judiciaire et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale (JO 1979, C 59, p. 1, ci‑après le « rapport Jenard »), point 152.

( 53 ) Rapport Schlosser, point 161 bis.

( 54 ) Voir point 46 des présentes conclusions. Le point 161 du rapport Schlosser indique, in fine, que « la nouvelle section 4 devient inapplicable, sauf rare exception, lorsque le consommateur transfère son domicile dans un autre État après la conclusion du contrat. En effet, les actes nécessaires à la conclusion du contrat ne seront presque jamais accomplis dans le nouvel État de domicile ».

( 55 ) Dans le système de la convention de Lugano II, l’apparition, après la conclusion du contrat, d’un élément d’extranéité ayant des conséquences sur la compétence judiciaire constitue un risque commun. Dans les rapports juridiques sans partie faible, le demandeur dispose cependant de plusieurs « juridictions d’attaque », ce qui n’est pas le cas dans la section 4 du titre II de cette convention. Le professionnel relevant de cette section ne peut accéder, en tant que demandeur, à d’autres
juridictions que celles de l’État du domicile du consommateur. L’article 17, paragraphe 3, de ladite convention ne lui ouvre pas de possibilités supplémentaires : il remplace uniquement la juridiction du domicile actuel du consommateur par celle du domicile au moment de la conclusion du contrat.

( 56 ) Cela implique que l’accord réunisse les conditions exigées pour être également valable à ce niveau. Les parties peuvent bien entendu donner à la convention de Lugano II une portée différente tenant compte du caractère international né a posteriori. Il est peu vraisemblable qu’elles le fassent avant la naissance du litige : ce n’est fréquemment qu’à ce moment que le professionnel prend connaissance du transfert de domicile du consommateur. Dans cette hypothèse, c’est l’article 17,
paragraphe 1, et non paragraphe 3, de cette convention qui s’applique.

( 57 ) C’est également ce qui ressort du rapport Jenard, point 152. L’hypothèse était le changement de domicile du consommateur. En réalité, la convention d’élection de for réduit également les possibilités de ce dernier en tant que demandeur.

( 58 ) Le point 161 bis du rapport Schlosser se réfère exclusivement aux conditions de forme de la convention, qui doivent être celles prévues par l’article 17 de la convention de Bruxelles (article 23 de la convention de Lugano II). D’autres conditions sont imposées par la législation en matière de protection du consommateur de l’État dont la loi régit la validité de la convention.

( 59 ) La condition selon laquelle le contrat entre dans le cadre de l’activité internationale du professionnel est expressément exigée par l’article 15, paragraphe 1, sous c), de la convention de Lugano II (arrêt Hobohm, point 39).

( 60 ) Arrêt du 17 octobre 2013, Emrek (C‑218/12, EU:C:2013:666). Dans cette affaire, le consommateur n’avait pas pris connaissance de l’activité du vendeur par l’intermédiaire du site Internet de ce dernier, mais par des personnes de sa connaissance. La Cour a suivi la juridiction de renvoi et a admis que le professionnel avait la volonté de cibler des consommateurs d’un pays différent du sien par l’intermédiaire de ce site.

( 61 ) Arrêt Hobohm, points 39, 40 et dispositif.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-296/20
Date de la décision : 09/09/2021
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Bundesgerichtshof.

Renvoi préjudiciel – Coopération judiciaire en matière civile – Compétence judiciaire, reconnaissance et exécution des décisions – Matière civile et commerciale – Convention de Lugano II – Article 15, paragraphe 1, sous c) – Compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs – Transfert du domicile du consommateur dans un autre État lié à la convention.

Coopération judiciaire en matière civile

Espace de liberté, de sécurité et de justice


Parties
Demandeurs : Commerzbank AG
Défendeurs : E.O.

Composition du Tribunal
Avocat général : Campos Sánchez-Bordona

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2021:733

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award