CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL
M. ATHANASIOS RANTOS
présentées le 9 septembre 2021 ( 1 )
Affaire C‑238/20
SIA „Sātiņi-S”
contre
Dabas aizsardzības pārvalde
[demande de décision préjudicielle formée par l’Augstākā tiesa (Cour suprême, Lettonie)]
« Renvoi préjudiciel – Aides d’État – Notion d’“avantage” – Indemnisation des dommages causés à l’aquaculture par les oiseaux sauvages protégés dans une zone Natura 2000 – Règlement (UE) no 717/2014 – Règle de minimis – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 17 – Droit de propriété »
I. Introduction
1. La demande de décision préjudicielle a été présentée dans le cadre d’un litige opposant SIA Sātiņi-S, une entreprise lettonne, au Dabas aizsardzības pārvalde (autorité de protection de l’environnement, Lettonie).
2. Cette demande porte sur l’interprétation de l’article 17, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), des articles 107 et 108 TFUE ainsi que de l’article 3, paragraphe 2, du règlement (UE) no 717/2014 ( 2 ) et concerne la question de savoir si des paiements accordés au titre de dommages causés à l’aquaculture par des oiseaux sauvages protégés dans une zone Natura 2000 en vertu de la directive 2009/147/CE ( 3 ), d’une part, peuvent être
inférieurs aux pertes subies et, d’autre part, constituent des aides d’État et, dans l’affirmative, relèvent de l’application du règlement « de minimis pêche ».
II. Le cadre juridique
A. Le droit de l’Union
1. La Charte
3. L’article 17 de la Charte, intitulé « Droit de propriété », prévoit, à son paragraphe 1 :
« Toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général. »
4. Aux termes de l’article 51 de la Charte, intitulé « Champ d’application » :
« 1. Les dispositions de la présente Charte s’adressent aux institutions, organes et organismes de l’Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu’aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l’application, conformément à leurs compétences respectives et dans le respect des limites des compétences de l’Union telles qu’elles lui sont conférées dans les traités.
2. La présente Charte n’étend pas le champ d’application du droit de l’Union au-delà des compétences de l’Union, ni ne crée aucune compétence ni aucune tâche nouvelle pour l’Union et ne modifie pas les compétences et tâches définies par les traités. »
2. La directive « habitats »
5. L’article 6, paragraphe 2, de la directive 92/43/CEE ( 4 ) dispose :
« Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les zones spéciales de conservation, la détérioration des habitats naturels et des habitats d’espèces ainsi que les perturbations touchant les espèces pour lesquelles les zones ont été désignées, pour autant que ces perturbations soient susceptibles d’avoir un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive. »
3. La directive « oiseaux »
6. L’article 4, paragraphe 4, de la directive « oiseaux » énonce :
« Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les zones de protection visées aux paragraphes 1 et 2, la pollution ou la détérioration des habitats ainsi que les perturbations touchant les oiseaux, pour autant qu’elles aient un effet significatif eu égard aux objectifs du présent article. En dehors de ces zones de protection, les États membres s’efforcent également d’éviter la pollution ou la détérioration des habitats. »
7. L’article 5 de cette directive prévoit :
« Sans préjudice des articles 7 et 9, les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un régime général de protection de toutes les espèces d’oiseaux visées à l’article 1er et comportant notamment l’interdiction :
a) de les tuer ou de les capturer intentionnellement, quelle que soit la méthode employée ;
b) de détruire ou d’endommager intentionnellement leurs nids et leurs œufs et d’enlever leurs nids ;
c) de ramasser leurs œufs dans la nature et de les détenir, même vides ;
d) de les perturber intentionnellement, notamment durant la période de reproduction et de dépendance, pour autant que la perturbation ait un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive ;
e) de détenir les oiseaux des espèces dont la chasse et la capture ne sont pas permises. »
8. Aux termes de l’article 9, paragraphe 1, de ladite directive :
« Les États membres peuvent déroger aux articles 5 à 8 s’il n’existe pas d’autre solution satisfaisante, pour les motifs ci-après :
a) – dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques,
– dans l’intérêt de la sécurité aérienne,
– pour prévenir les dommages importants aux cultures, au bétail, aux forêts, aux pêcheries et aux eaux,
– pour la protection de la flore et de la faune ;
b) pour des fins de recherche et d’enseignement, de repeuplement, de réintroduction ainsi que pour l’élevage se rapportant à ces actions ;
c) pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective, la capture, la détention ou toute autre exploitation judicieuse de certains oiseaux en petites quantités. »
4. Le règlement « de minimis pêche »
9. Aux termes du considérant 15 du règlement « de minimis pêche » :
« Dans une optique de transparence, d’égalité de traitement et d’efficacité du contrôle, il importe que le présent règlement ne s’applique qu’aux aides de minimis dont il est possible de calculer précisément et préalablement l’équivalent-subvention brut, sans qu’il soit nécessaire d’effectuer une analyse du risque (“aide transparente”). Ce calcul précis peut, par exemple, être réalisé pour des subventions, des bonifications d’intérêts, des exonérations fiscales plafonnées ou d’autres instruments
prévoyant un plafonnement garantissant le non-dépassement du plafond applicable. Du fait de ce plafonnement, dans la mesure où le montant exact de l’aide n’est pas, ou pas encore, connu, l’État membre est tenu de présumer que celui-ci correspond au montant plafonné, afin de veiller à ce que plusieurs mesures d’aide cumulées n’excèdent pas le plafond fixé dans le présent règlement, et est tenu d’appliquer les règles en matière de cumul. »
10. L’article 1er de ce règlement, intitulé « Champ d’application », dispose :
« 1. Le présent règlement s’applique aux aides octroyées aux entreprises du secteur de la pêche et de l’aquaculture, à l’exception :
a) des aides dont le montant est fixé sur la base du prix ou de la quantité des produits achetés ou mis sur le marché ;
b) des aides en faveur d’activités liées à l’exportation vers des pays tiers ou des États membres, c’est-à-dire des aides directement liées aux quantités exportées et des aides servant à financer la mise en place et le fonctionnement d’un réseau de distribution ou d’autres dépenses courantes liées à l’activité d’exportation ;
c) des aides subordonnées à l’utilisation de produits nationaux de préférence aux produits importés ;
d) des aides à l’achat de navires de pêche ;
e) des aides à la modernisation ou au remplacement du moteur principal ou du moteur auxiliaire des navires de pêche ;
f) des aides aux opérations qui augmentent la capacité de pêche d’un navire ou aux équipements qui augmentent la capacité d’un navire à détecter le poisson ;
g) des aides à la construction de nouveaux navires de pêche ou à l’importation de navires de pêche ;
h) des aides à l’arrêt temporaire ou définitif des activités de pêche, sauf dispositions particulières dans le règlement (UE) no 508/2014 [ ( 5 )] ;
i) des aides à la pêche expérimentale ;
j) des aides au transfert de propriété d’une entreprise ;
k) des aides au repeuplement direct, sauf si un acte juridique de l’Union le prévoit explicitement en tant que mesure de conservation ou en cas de repeuplement à titre expérimental.
2. Lorsqu’une entreprise est active dans le secteur de la pêche et de l’aquaculture et dans un ou plusieurs secteurs ou exerce d’autres activités relevant du champ d’application du règlement (UE) no 1407/2013 [ ( 6 )], [ce] règlement s’applique aux aides octroyées dans ces derniers secteurs ou activités, pour autant que les États membres veillent, par des moyens appropriés, tels que la séparation des activités ou la distinction des coûts, à ce que les activités exercées dans le secteur de la
pêche et de l’aquaculture ne bénéficient pas d’une aide de minimis au titre dudit règlement.
3. Lorsqu’une entreprise est active dans le secteur de la pêche et de l’aquaculture ainsi que dans le secteur de la production primaire de produits agricoles relevant du champ d’application du [règlement (UE) no 1408/2013 ( 7 )], les dispositions du présent règlement s’appliquent aux aides octroyées dans ces derniers secteurs ou activités, pour autant que les États membres veillent, par des moyens appropriés, tels que la séparation des activités ou la distinction des coûts, que la production
primaire de produits agricoles ne bénéficie pas d’une aide de minimis au titre du présent règlement. »
11. L’article 3 du règlement « de minimis pêche », intitulé « Aides de minimis », énonce, à ses paragraphes 1 à 3 :
« 1. Sont considérées comme ne remplissant pas tous les critères de l’article 107, paragraphe 1, [TFUE] et comme n’étant pas soumises, de ce fait, à l’obligation de notification prévue à l’article 108, paragraphe 3, [TFUE], les mesures d’aide qui satisfont aux conditions énoncées dans le présent règlement.
2. Le montant total des aides de minimis octroyées par État membre à une entreprise unique dans le secteur de la pêche et de l’aquaculture ne peut excéder 30000 [euros] sur une période de trois exercices fiscaux.
3. Le montant cumulé des aides de minimis octroyées par État membre aux entreprises du secteur de la pêche et de l’aquaculture sur une période de trois exercices fiscaux n’excède pas le plafond national fixé à l’annexe. »
12. L’article 4 de ce règlement, intitulé « Calcul de l’équivalent-subvention brut », prévoit :
« 1. Le présent règlement ne s’applique qu’aux aides pour lesquelles il est possible de calculer précisément et préalablement l’équivalent-subvention brut, sans qu’il soit nécessaire d’effectuer une analyse du risque (“aides transparentes”).
2. Les aides consistant en des subventions ou en des bonifications d’intérêts sont considérées comme des aides de minimis transparentes.
[...]
7. Les aides consistant en d’autres instruments sont considérées comme des aides de minimis transparentes dès lors que ces instruments prévoient un plafond garantissant que le seuil applicable n’est pas dépassé. »
B. Le droit letton
13. L’article 4 du sugu un biotopu aizsardzības likums (loi sur la conservation des espèces et des biotopes), du 16 mars 2000 ( 8 ), intitulé « Compétence du Conseil des ministres », dispose, à son point 6 :
« Le Conseil des ministres établit :
[...]
6) les procédures de détermination du montant des pertes subies par les utilisateurs des terres en raison des dommages graves causés par des animaux d’espèces migratrices et d’espèces non cynégétiques particulièrement protégées ainsi que les exigences minimales auxquelles les mesures de protection doivent satisfaire pour prévenir les dommages[.] »
14. L’article 10 de cette loi, intitulé « Droit des propriétaires ou des utilisateurs des terres à une indemnité », prévoit :
« 1. Les propriétaires ou les utilisateurs des terres ont droit à une indemnité sur les fonds du budget de l’État prévus à cette fin pour les dommages graves causés par des animaux d’espèces migratrices et d’espèces non cynégétiques particulièrement protégées, à condition qu’ils aient pris les mesures de protection nécessaires et qu’ils aient mis en place, en fonction de leurs connaissances, aptitudes et compétences pratiques, des méthodes respectueuses de l’environnement afin de prévenir ou
de réduire les dommages. Les propriétaires ou les utilisateurs des terres n’ont pas droit à une indemnité s’ils ont contribué, de manière malveillante, à causer le dommage ou à l’augmenter afin d’obtenir une indemnité.
[...]
3. L’indemnité au titre des dommages graves causés par des animaux d’espèces migratrices et d’espèces non cynégétiques particulièrement protégées n’est pas versée si le propriétaire ou l’utilisateur des terres a reçu d’autres paiements de l’État, de la municipalité ou de l’Union européenne prévus directement ou indirectement pour les mêmes limitations de l’activité économique ou pour les mêmes dommages causés par des animaux d’espèces migratrices et d’espèces non cynégétiques particulièrement
protégées pour lesquels les dispositions réglementaires prévoient une indemnisation, ou si le demandeur reçoit une aide en vertu du [règlement no 508/2014]. »
15. L’article 5 du lauksaimniecības un lauku attīstības likums (loi sur l’agriculture et le développement rural), du 7 avril 2004 ( 9 ), intitulé « Soutien de l’État et de l’Union européenne », énonce, à son paragraphe 7 :
« Le Conseil des ministres arrête les modalités de gestion et de contrôle de l’aide de l’État et de l’Union européenne à l’agriculture ainsi que de l’aide de l’État et de l’Union européenne au développement rural et de la pêche. »
16. Le Ministru kabineta noteikumi Nr. 558 « De minimis atbalsta uzskaites un piešķiršanas kārtība zvejniecības un akvakultūras nozarē » (décret no 558 du Conseil des ministres relatif aux modalités de comptabilisation et d’octroi des aides de minimis dans le secteur de la pêche et de l’aquaculture), du 29 septembre 2015 ( 10 ), est libellé comme suit :
« 1. Le présent décret fixe les modalités de comptabilisation et d’octroi des aides de minimis dans le secteur de la pêche et de l’aquaculture, conformément au règlement [“de minimis pêche”].
2. Pour obtenir une aide de minimis dans le respect des conditions prévues aux articles 3, 4 et 5 du règlement [“de minimis pêche”], le demandeur de l’aide doit présenter au dispensateur de l’aide une demande d’aide de minimis (annexe 1) (ci-après la “demande”). La demande indique l’aide de minimis reçue par le demandeur pendant l’année en cours et lors des deux exercices fiscaux précédents ainsi que l’aide de minimis projetée, quelle que soit la manière dont l’aide est octroyée et la personne
qui la confère. En cas de cumul d’aides de minimis, le demandeur de l’aide doit également fournir des informations sur les autres aides reçues pour le projet en question au titre des mêmes coûts éligibles. Lorsqu’il fournit des informations sur les aides de minimis et les autres aides d’État envisagées, le demandeur de l’aide doit indiquer les aides qu’il a sollicitées, mais sur lesquelles le dispensateur de l’aide ne s’est pas encore prononcé. Si le demandeur d’une aide de minimis n’a jamais
reçu une telle aide auparavant, il indique les informations pertinentes dans sa demande.
[...] »
17. Le Ministru kabineta noteikumi Nr. 353 « Kārtība, kādā zemes īpašniekiem vai lietotājiem nosakāmi to zaudējumu apmēri, kas saistīti ar īpaši aizsargājamo nemedījamo sugu un migrējošo sugu dzīvnieku nodarītajiem būtiskiem postījumiem, un minimālās aizsardzības pasākumu prasības postījumu novēršanai » (décret no 353 du Conseil des ministres relatif à la procédure de détermination du montant des pertes subies par les propriétaires ou les utilisateurs des terres en raison des dommages graves causés
par des animaux d’espèces migratrices et d’espèces non cynégétiques particulièrement protégées ainsi qu’aux exigences minimales auxquelles les mesures de protection doivent satisfaire pour prévenir les dommages), du 7 juin 2016 ( 11 ), prévoit :
« 1. Le présent décret établit :
1.1. la procédure de détermination du montant des pertes subies par les propriétaires ou les utilisateurs des terres en raison des dommages graves causés par des animaux d’espèces migratrices et d’espèces non cynégétiques particulièrement protégées (ci-après les “pertes”) ;
[...]
39. Lors de l’adoption de la décision relative à l’octroi de l’indemnité, l’administration doit satisfaire aux exigences suivantes :
39.1. accorder l’indemnité en respectant les limitations de secteur et d’activité prévues à l’article 1er, paragraphe 1, du [règlement no 1408/2013] ou à l’article 1er, paragraphe 1, du règlement [“de minimis pêche”] [...] ;
39.2. vérifier que le montant de l’indemnité ne porte pas le montant total des aides de minimis reçues au cours de l’exercice fiscal concerné et au cours des deux exercices fiscaux précédents à un niveau excédant le plafond de minimis fixé à l’article 3, paragraphe 2, du règlement no 1408/2013 (opérateurs économiques exerçant des activités dans la production primaire de produits agricoles) ou à l’article 3, paragraphe 2, du règlement [“de minimis pêche”] [opérateurs économiques exerçant des
activités dans le secteur de la pêche et de l’aquaculture, conformément au règlement (UE) no 1379/2013 ( 12 )]. Lors de la détermination du montant de l’indemnité, l’aide de minimis reçue est évaluée au regard d’une entreprise unique. On entend par “entreprise unique” toute entreprise qui remplit les critères fixés à l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 1408/2013 et à l’article 2, paragraphe 2, du règlement [“de minimis pêche”].
40. Dans un délai de deux mois suivant la détermination du montant des pertes, le fonctionnaire [compétent] prend soit une décision d’octroi de l’indemnité, qui en fixe le montant, soit une décision de refus. »
III. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour
18. Au cours de l’année 2002, Sātiņi-S a acheté 600,70 hectares d’étangs, dans une réserve naturelle Natura 2000 en Lettonie.
19. Au cours de l’année 2017, Sātiņi-S a introduit une demande auprès du Dabas aizsardzības pārvalde (autorité de protection de l’environnement) visant à bénéficier de l’indemnisation des dommages causés à l’aquaculture par des oiseaux et d’autres animaux protégés. Cette autorité a rejeté cette demande au motif que Sātiņi-S s’était déjà vu accorder une aide de minimis d’un montant de 30000 euros sur une période de trois exercices fiscaux.
20. Sātiņi-S a introduit un recours contre cette décision devant la juridiction compétente, en faisant valoir que, par son caractère compensatoire, l’indemnisation des dommages causés à l’aquaculture par des animaux protégés ne constituait pas une aide d’État. Sa demande ayant été rejetée en première et deuxième instances, Sātiņi-S a formé un pourvoi en cassation devant l’Augstākā tiesa (Cour suprême, Lettonie), laquelle a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions
préjudicielles suivantes :
« 1) Le droit à une juste indemnité en raison de la limitation du droit de propriété garanti par l’article 17 de la [Charte] permet-il que l’indemnisation accordée par un État au titre des pertes causées à l’aquaculture dans une zone Natura 2000 par des oiseaux protégés en vertu de la [directive “oiseaux”] soit sensiblement inférieure aux pertes effectivement subies ?
2) L’indemnisation accordée par un État au titre des pertes causées à l’aquaculture dans une zone Natura 2000 par des oiseaux protégés en vertu de la [directive “oiseaux”] constitue-t-elle une aide d’État au sens des articles 107 et 108 [TFUE] ?
3) En cas de réponse affirmative à la deuxième question, le plafond d’aide de minimis de 30000 euros prévu à l’article 3, paragraphe 2, du [règlement “de minimis pêche”] s’applique-t-il à une indemnité telle que celle en cause au principal ? »
21. Des observations écrites ont été déposées par Sātiņi-S, les gouvernements letton et irlandais, ainsi que par la Commission européenne.
22. Lors de l’audience, qui s’est tenue le 3 juin 2021, des observations orales ont été présentées par les gouvernements letton, irlandais et néerlandais, ainsi que par la Commission.
IV. Analyse
A. Sur la première question préjudicielle
23. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 17 de la Charte doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’une indemnité accordée par un État membre au titre des pertes causées à l’aquaculture dans une zone Natura 2000 par des oiseaux protégés en vertu de la directive « oiseaux » (ci-après l’« indemnité litigieuse ») soit inférieure aux pertes effectivement subies par l’entreprise concernée.
24. Cette juridiction relève qu’une indemnisation au titre de la limitation du droit de propriété, conformément à l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, doit être réelle et effective, tandis que, en l’espèce, le montant de l’indemnité litigieuse est calculé principalement par rapport à la superficie des étangs à poissons et ne tient pas compte du nombre de poissons mangés par les oiseaux protégés, de telle sorte qu’il ne couvre pas toutes les pertes réellement subies. Elle ajoute que la directive
« oiseaux » permet aux États membres d’y déroger pour prévenir des dommages importants aux pêcheries.
25. Sātiņi-S affirme que, selon la réglementation nationale, elle est forcée de supporter 88 % de ses pertes, ce qui réduit sa compétitivité, et que les petites entreprises aquacoles situées en dehors des zones Natura 2000 sont couvertes à 100 % pour les pertes subies, ce qui crée une concurrence déloyale.
26. Les gouvernements letton et irlandais font valoir qu’il n’existe aucune obligation pour un État membre de compenser la totalité des dommages causés par des oiseaux protégés à l’aquaculture dans une zone Natura 2000. Les obligations découlant des directives « oiseaux » et « habitats » ne constitueraient pas une privation du droit de propriété, mais plutôt le contrôle de son usage. En l’espèce, la restriction du droit de propriété découlerait de la directive « oiseaux » et poursuivrait un objectif
d’intérêt général, à savoir l’intérêt à préserver l’environnement. Par ailleurs, aucune indemnisation ne serait prévue dans cette directive. Le gouvernement letton précise, en outre, que le montant des pertes indemnisées est calculé selon une formule qui ne couvre pas forcément toutes les pertes subies et observe que la procédure de calcul de l’indemnité litigieuse sera revue en ce sens par le législateur letton et que la nouvelle mesure d’indemnisation sera notifiée à la Commission comme « aide
d’État ».
27. La Commission propose de ne pas répondre à la première question préjudicielle, faute de compétence de la Cour au titre de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte. En effet, le paiement de l’indemnisation litigieuse ne constituerait pas une mise en œuvre du droit de l’Union au sens de cette disposition, puisque ni la directive « oiseaux » ni la directive « habitats » ne prévoient d’indemnisation au titre des dommages causés aux propriétés privées, notamment aux bassins d’aquaculture, lors de
leur mise en œuvre. Le droit de l’Union prévoirait uniquement la possibilité de donner des aides d’État, au titre du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) ( 13 ), du Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (FEAMP) ( 14 ) ou des lignes directrices de l’Union européenne concernant les aides d’État dans les secteurs agricole et forestier et dans les zones rurales 2014-2020 ( 15 ) et des lignes directrices pour l’examen des aides d’État dans le secteur de la
pêche et de l’aquaculture ( 16 ).
28. Je relève d’emblée que, aux termes de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, régissant son champ d’application, les dispositions de celle-ci s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. Cette disposition confirme la jurisprudence constante de la Cour, selon laquelle les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de l’Union ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit de l’Union, mais ne sauraient être
applicables en dehors de telles situations. Lorsqu’une situation juridique ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union, la Cour n’est pas compétente pour en connaître et les dispositions éventuellement invoquées de la Charte ne sauraient, à elles seules, fonder cette compétence ( 17 ).
29. Or, les directives « oiseaux » et « habitats » ne contiennent aucune disposition visant à instaurer un régime d’indemnisation des dommages causés aux particuliers par des mesures de mise en œuvre de ces directives. Par ailleurs, il me semble que l’article 9 de la directive « oiseaux », évoqué par la juridiction de renvoi, prévoyant que les États membres peuvent établir des dérogations aux exigences de cette directive, notamment pour prévenir les dommages importants aux pêcheries, ne peut pas
fonder un droit à indemnisation. En ce sens, la Cour a déjà jugé que si, dans certains domaines où il dispose d’un large pouvoir d’appréciation, tel qu’en matière de politique agricole, le législateur de l’Union peut considérer qu’il est indiqué de fournir des indemnisations, il ne saurait être déduit de cette constatation l’existence, dans le droit de l’Union, d’un principe général qui imposerait l’octroi d’une indemnisation en toutes circonstances ( 18 ).
30. Il s’ensuit que, dès lors qu’une obligation de réparation ne saurait être fondée sur le droit de l’Union, une mesure nationale prévoyant le versement par l’État concerné d’une indemnisation, fût‑elle partielle, des dommages causés à l’aquaculture dans une zone Natura 2000 par des oiseaux protégés en vertu de la directive « oiseaux » relève non pas du champ d’application du droit de l’Union, mais exclusivement du choix du législateur national. Or, dans le cadre de la procédure de renvoi
préjudiciel, prévue à l’article 267 TFUE, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier l’interprétation des dispositions du droit national ou de juger si l’interprétation que la juridiction nationale en donne est correcte ( 19 ).
31. En conclusion, j’estime que le paiement de l’indemnité litigieuse, en raison de la limitation du droit de propriété garanti par l’article 17 de la Charte, ne constitue pas, dans les circonstances de l’espèce, une mise en œuvre du droit de l’Union, au sens de l’article 51, paragraphe 1, de celle-ci.
32. Par conséquent, je propose de répondre à la juridiction de renvoi que la Cour n’est pas compétente pour répondre à la première question préjudicielle.
B. Sur la deuxième question préjudicielle
33. Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi cherche à savoir si l’indemnité litigieuse constitue une aide d’État.
34. Cette juridiction doute que les paiements d’indemnités accordées en raison du respect des obligations, de droit public, découlant de la directive « oiseaux », constituent des aides d’État. Elle estime que ces paiements constituent plutôt des indemnités au titre de pertes subies, au sens de l’article 17, paragraphe 1, de la Charte.
35. Le gouvernement letton et la Commission font valoir que l’indemnité litigieuse constitue une aide d’État. Ils font remarquer, en particulier, que les limitations découlant de la législation de l’Union, et notamment l’obligation légale de protéger les animaux sauvages et de tolérer les dommages qu’ils peuvent causer, constituent un risque commercial normal pour un aquaculteur et que, par l’indemnité litigieuse, l’État membre allège une charge pesant normalement sur certains opérateurs
économiques. En outre, l’indemnité litigieuse ne correspondrait à aucune des situations, mises en exergue par la Commission, dans lesquelles la jurisprudence de la Cour a exclu l’existence d’un avantage, mais, au contraire, correspondrait à une typologie d’aides accordées conformément aux lignes directrices dans les secteurs agricole et forestier ou aux lignes directrices dans le secteur de la pêche et de l’aquaculture.
36. En revanche, le gouvernement irlandais soutient que l’indemnité litigieuse constitue une compensation du préjudice subi ou l’indemnisation d’un service effectué dans l’intérêt général par le propriétaire d’un site protégé, chargé d’une responsabilité environnementale supplémentaire, et, partant, ne confère pas un avantage susceptible de constituer une aide d’État au sens de l’article 107 TFUE. En outre, cette indemnité ne serait pas non plus sélective, puisque les bénéficiaires ne se
trouveraient pas dans une situation comparable à celle des personnes dont les sites n’ont pas été désignés comme sites protégés. Le gouvernement néerlandais, intervenu à l’audience, a également plaidé pour l’absence d’une aide d’État dans l’affaire au principal, puisque l’État membre, sur le fondement de l’article 17, paragraphe 1, de la Charte, serait obligé de verser une compensation pour les dommages engendrés par le respect de certaines obligations de droit public, en application des
directives « oiseaux » et « habitats », qui entraîneraient une charge disproportionnée et excessive pour le propriétaire.
37. À titre liminaire, je relève que, selon une jurisprudence constante de la Cour, la qualification d’une mesure nationale d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, requiert que toutes les conditions suivantes soient remplies. Premièrement, il doit s’agir d’une intervention de l’État ou au moyen de ressources d’État. Deuxièmement, cette intervention doit être susceptible d’affecter les échanges entre les États membres. Troisièmement, elle doit accorder un avantage sélectif à
son bénéficiaire. Quatrièmement, elle doit fausser ou menacer de fausser la concurrence ( 20 ). En outre, la notion d’« aide d’État » est une notion juridique objective. Il est de jurisprudence constante de la Cour que l’article 107, paragraphe 1, TFUE ne distingue pas selon les causes ou les objectifs des interventions étatiques, mais définit celles-ci en fonction de leurs effets ( 21 ).
38. La question posée par la juridiction de renvoi concerne principalement le point de savoir si l’indemnité litigieuse confère un avantage à son bénéficiaire, compte tenu de son caractère prétendument compensatoire.
39. À cet égard, il résulte également d’une jurisprudence constante de la Cour que sont considérées comme étant des aides d’État les interventions qui, sous quelque forme que ce soit, sont susceptibles de favoriser directement ou indirectement des entreprises ou qui doivent être considérées comme étant un avantage économique que l’entreprise bénéficiaire n’aurait pas obtenu dans des conditions normales de marché ( 22 ). Ainsi, sont notamment considérées comme étant des aides d’État les interventions
qui allègent les charges qui normalement grèvent le budget d’une entreprise et qui, de ce fait, sans être des subventions au sens strict du mot, sont de même nature et ont des effets identiques ( 23 ). À cet égard, la notion de « charges qui grèvent normalement le budget d’une entreprise » inclut, notamment, les coûts supplémentaires que les entreprises doivent supporter en raison des obligations d’origine légale, réglementaire ou conventionnelle qui s’appliquent à une activité économique ( 24
).
40. Il s’ensuit que l’existence d’un avantage n’est pas remise en cause par le prétendu caractère « compensatoire » d’une mesure qui vise à remédier aux pertes subies par un opérateur économique à la suite de l’application d’une obligation dérivant d’une réglementation de l’Union ou à indemniser les dommages causés par l’occurrence d’événements naturels liés aux conditions normales d’exercice de l’activité économique en question.
41. En effet, d’une part, les coûts liés au respect des règles obligatoires visant la protection de l’environnement constituent des coûts normaux de fonctionnement pour une entreprise dans le secteur de l’aquaculture ( 25 ). Par conséquent, les mesures de compensation de ces coûts constituent des interventions qui allègent les charges grevant normalement le budget d’une entreprise et qui doivent être considérées comme étant un avantage économique que l’entreprise bénéficiaire n’aurait pas obtenu
dans des conditions normales de marché.
42. D’autre part, il ressort du texte même de l’article 107, paragraphe 2, sous b), TFUE que les aides destinées à remédier aux dommages causés par les calamités naturelles ou par d’autres événements extraordinaires sont compatibles avec le marché intérieur. Il s’ensuit que, selon le traité FUE, ces types de mesures, tout en ayant un objectif « compensatoire », sont considérés comme étant des aides d’État au sens du paragraphe 1 de cet article. Il en est ainsi, a fortiori, pour les dommages causés
par des événements naturels tout à fait ordinaires et prévisibles, tels que le passage d’oiseaux sauvages. D’ailleurs, ainsi que la Commission l’a relevé dans ses observations écrites, les mesures destinées à compenser les dommages causés par des animaux protégés, très fréquentes dans les secteurs de l’agriculture, de la pêche et de l’aquaculture, sont régulièrement qualifiées d’« aides d’État » et font l’objet d’un examen de compatibilité au sens des lignes directrices dans les secteurs
agricole et forestier ( 26 ) ou des lignes directrices dans le secteur de la pêche et de l’aquaculture.
43. En outre, l’indemnité litigieuse n’entre pas dans les hypothèses dans lesquelles la Cour a jugé que des contributions étatiques revêtaient une nature juridique fondamentalement différente de celle d’une aide et a donc exclu qu’elles constituaient un avantage susceptible de constituer une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
44. En effet, tout d’abord, le fait, mis en exergue par la juridiction de renvoi, que l’indemnité litigieuse ait été accordée en application des directives « oiseaux » et « habitats », à le supposer établi, ne démontre pas que cette indemnité satisfait aux conditions, établies par la jurisprudence « Altmark » ( 27 ), selon lesquelles une mesure en faveur d’une entreprise chargée d’obligations de service public ne constitue pas un avantage susceptible de constituer une aide d’État au sens de
l’article 107, paragraphe 1, TFUE.
45. À cet égard, d’une part, le simple fait que les obligations étatiques relatives à la zone Natura 2000 sont imposées en application du droit de l’Union, à savoir de la directive « oiseaux », ne suffit pas, à lui seul, à démontrer que Sātiņi-S a été chargée de l’exécution d’obligations de service public clairement définies au sens de la première des quatre conditions cumulatives énoncées par cette jurisprudence ( 28 ). Au contraire, les autorités lettones, au cours de la procédure administrative,
et le gouvernement letton, devant la Cour, loin de qualifier l’indemnité litigieuse de « compensation de coûts de service public », l’ont qualifiée d’« aide » (de minimis).
46. D’autre part, il ne ressort pas du dossier soumis à la Cour que les autres conditions énoncées par cette jurisprudence sont remplies. Au contraire, même s’il revient à la juridiction de renvoi d’en vérifier le respect dans le cas d’espèce, il me semble prima facie que ce n’est pas le cas ( 29 ).
47. Ensuite, il est vrai que, dans l’arrêt Asteris e.a./Grèce et CEE ( 30 ), la Cour a considéré que les dommages-intérêts que les autorités nationales seraient condamnées à payer à des entreprises en réparation d’un préjudice qu’elles leur auraient causé ne constituent pas des « aides d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Elle a précisé que les aides publiques, constituant des mesures de l’autorité publique favorisant certaines entreprises ou certains produits, revêtent une nature
juridique fondamentalement différente des dommages-intérêts que les autorités nationales seraient, éventuellement, condamnées à verser à des particuliers en réparation d’un préjudice qu’elles leur auraient causé et que ces dommages-intérêts ne constituent donc pas des aides au sens des articles 107 et 108 TFUE.
48. Toutefois, j’estime que l’interprétation retenue dans l’arrêt du 27 septembre 1988, Asteris e.a./Grèce et CEE (106/87 à 120/87, EU:C:1988:457), n’est pas pertinente en ce qui concerne l’affaire au principal, dès lors que celle-ci porte non pas sur des sommes dues ou payées sur le fondement de la responsabilité non contractuelle de l’État membre concerné, mais sur l’indemnisation des coûts – dérivant d’obligations réglementaires ou d’événements naturels – normalement supportés par les entreprises
concernées dans le cadre de leur activité économique ( 31 ).
49. Enfin, ainsi que la Commission l’a relevé dans ses observations écrites, il est évident que l’indemnité litigieuse n’entre pas dans le cas de figure du remboursement de taxes perçues illégalement ( 32 ) ni dans celui du paiement d’une indemnité d’expropriation ( 33 ). Dans ces deux cas de figure, l’État membre était obligé de rembourser des sommes indûment perçues ou de payer la contre-valeur d’un bien dont le propriétaire avait été dessaisi. Contrairement à l’indemnité litigieuse, les paiements
concernaient des charges ne pouvant pas être qualifiées de « charges qui, dans des conditions normales de marché, grèvent le budget d’une entreprise » au sens de la jurisprudence citée au point 39 des présentes conclusions.
50. Partant, s’il ne saurait être exclu, en principe, que, dans d’autres situations particulières, la compensation d’une charge exceptionnelle par rapport aux conditions normales de marché puisse échapper à la qualification d’aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE ( 34 ), tel n’est pas le cas en l’espèce.
51. Je propose donc de répondre à la deuxième question préjudicielle que l’indemnité litigieuse constitue un avantage susceptible de constituer une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, dès lors que les autres conditions prévues sont remplies, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier ( 35 ).
C. Sur la troisième question préjudicielle
52. Par sa troisième et dernière question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si, dans le cas où l’indemnité litigieuse constitue une aide d’État, le plafond de minimis prévu à l’article 3, paragraphe 2, du règlement « de minimis pêche » doit s’appliquer.
53. Selon cette juridiction, il ressort de l’article 1er de ce règlement, lu à la lumière du considérant 15 de celui-ci, que ledit règlement n’est pas prima facie applicable à cette indemnité.
54. Le gouvernement letton et la Commission considèrent que l’indemnité litigieuse relève du champ d’application du règlement « de minimis pêche », compte tenu du fait que la République de Lettonie a choisi d’appliquer ce règlement.
55. Afin de répondre à la question posée, il me semble utile de faire une distinction entre, d’une part, l’applicabilité du règlement « de minimis pêche » à une situation telle que celle de l’espèce et, d’autre part, l’application concrète de ce règlement par les autorités lettones.
56. S’agissant du premier élément, j’estime que, dans l’hypothèse où l’indemnité litigieuse constitue une « aide d’État », le règlement « de minimis pêche » est applicable, dans la mesure où aucune des exceptions au champ d’application de ce règlement, énumérées à son article 1er, ne s’applique en l’espèce.
57. En outre, le considérant 15 du règlement « de minimis pêche », évoqué par la juridiction de renvoi, et l’article 4 de ce règlement précisent notamment que ledit règlement ne s’applique qu’aux aides dont il est possible de calculer précisément et préalablement l’équivalent-subvention brut, sans qu’il soit nécessaire d’effectuer une analyse du risque (« aides transparentes »), telles que, par exemple, les subventions. Or, étant donné que l’indemnité litigieuse consiste en une indemnisation ex
post, elle correspond, en substance, à une subvention en ce qu’elle permet de calculer précisément et préalablement l’équivalent-subvention brut. Selon moi, elle constitue donc une « aide transparente » au sens du même règlement.
58. S’agissant du second élément, je souligne que, une fois que le règlement « de minimis pêche » est applicable, l’État membre peut soit notifier l’indemnité litigieuse à la Commission au vu de son approbation comme aide compatible avec le marché intérieur, soit se contenter de la qualifier d’« aide de minimis ». Il s’ensuit que, en l’occurrence, les autorités lettones pouvaient légitimement qualifier cette indemnité d’« aide de minimis ».
59. Partant, je propose de répondre à la troisième question préjudicielle qu’un État membre peut appliquer le plafond de minimis visé à l’article 3, paragraphe 2, du règlement « de minimis pêche » aux paiements accordés au titre des dommages causés à l’aquaculture par des oiseaux sauvages protégés dans une zone Natura 2000 en vertu de la directive « oiseaux ».
V. Conclusion
60. Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par l’Augstākā tiesa (Cour suprême, Lettonie) de la manière suivante :
1) La Cour de justice de l’Union européenne n’est pas compétente pour répondre à la première question préjudicielle.
2) L’indemnisation accordée par un État membre au titre des pertes causées à l’aquaculture dans une zone Natura 2000 par des oiseaux protégés en vertu de la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 novembre 2009, concernant la conservation des oiseaux sauvages constitue un avantage susceptible de constituer une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, dès lors que les autres conditions prévues sont remplies.
3) Un État membre peut appliquer le plafond de minimis visé à l’article 3, paragraphe 2, du règlement (UE) no 717/2014 de la Commission, du 27 juin 2014, concernant l’application des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux aides de minimis dans le secteur de la pêche et de l’aquaculture, aux paiements accordés au titre des dommages causés à l’aquaculture par des oiseaux sauvages protégés dans une zone Natura 2000 en vertu de la directive 2009/147.
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( 1 ) Langue originale : le français.
( 2 ) Règlement de la Commission du 27 juin 2014 concernant l’application des articles 107 et 108 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne aux aides de minimis dans le secteur de la pêche et de l’aquaculture (JO 2014, L 190, p. 45, ci-après le « règlement “de minimis pêche” »).
( 3 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO 2010, L 20, p. 7, ci-après la « directive “oiseaux” »).
( 4 ) Directive du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO 1992, L 206, p. 7, ci-après la « directive “habitats” »).
( 5 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 15 mai 2014 relatif au Fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche et abrogeant les règlements du Conseil (CE) no 2328/2003, (CE) no 861/2006, (CE) no 1198/2006 et (CE) no 791/2007 et le règlement (UE) no 1255/2011 du Parlement européen et du Conseil (JO 2014, L 149, p. 1).
( 6 ) Règlement de la Commission du 18 décembre 2013 relatif à l’application des articles 107 et 108 [TFUE] aux aides de minimis (JO 2013, L 352, p. 1).
( 7 ) Règlement de la Commission du 18 décembre 2013 relatif à l’application des articles 107 et 108 [TFUE] aux aides de minimis dans le secteur de l’agriculture (JO 2013, L 352, p. 9).
( 8 ) Latvijas Vēstnesis, 2000, no 121/122.
( 9 ) Latvijas Vēstnesis, 2004, no 64.
( 10 ) Latvijas Vēstnesis, 2015, no 199.
( 11 ) Latvijas Vēstnesis, 2016, no 111.
( 12 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2013 portant organisation commune des marchés dans le secteur des produits de la pêche et de l’aquaculture, modifiant les règlements (CE) no 1184/2006 et (CE) no 1224/2009 du Conseil et abrogeant le règlement (CE) no 104/2000 du Conseil (JO 2013, L 354, p. 1).
( 13 ) À savoir l’article 30 du règlement (UE) no 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et abrogeant le règlement (CE) no 1698/2005 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 487).
( 14 ) À savoir l’article 54 du règlement no 508/2014.
( 15 ) JO 2014, C 204, p. 1 (ci-après les « lignes directrices dans les secteurs agricole et forestier »).
( 16 ) JO 2015, C 217, p. 1 (ci-après les « lignes directrices dans le secteur de la pêche et de l’aquaculture »).
( 17 ) Voir, en ce sens, arrêt du 22 avril 2021, Profi Credit Slovakia (C‑485/19, EU:C:2021:313, point 37 et jurisprudence citée).
( 18 ) Voir, en ce sens, arrêt du 22 mai 2014, Érsekcsanádi Mezőgazdasági (C‑56/13, EU:C:2014:352, point 48 et jurisprudence citée).
( 19 ) Voir, en ce sens, arrêt du 22 mai 2014, Érsekcsanádi Mezőgazdasági (C‑56/13, EU:C:2014:352, point 53 et jurisprudence citée).
( 20 ) Voir arrêts du 16 mars 2021, Commission/Pologne (C‑562/19 P, EU:C:2021:201, point 27 et jurisprudence citée), ainsi que du 16 mars 2021, Commission/Hongrie (C‑596/19 P, EU:C:2021:202, point 33 et jurisprudence citée).
( 21 ) Voir arrêts du 9 juin 2011, Comitato Venezia vuole vivere e.a./Commission (C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, EU:C:2011:368, point 94), et du 26 octobre 2016, Orange/Commission (C‑211/15 P, EU:C:2016:798, point 38).
( 22 ) Voir arrêt du 4 mars 2021, Commission/Fútbol Club Barcelona (C‑362/19 P, EU:C:2021:169, point 58 et jurisprudence citée).
( 23 ) Voir arrêt du 27 juin 2017, Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania (C‑74/16, EU:C:2017:496, point 66 et jurisprudence citée), ainsi que conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Commission/Pologne (C‑562/19 P, EU:C:2020:834, point 32) et dans l’affaire Commission/Hongrie (C‑596/19 P, EU:C:2020:835, point 39).
( 24 ) Voir arrêt du Tribunal du 25 mars 2015, Belgique/Commission (T‑538/11, EU:T:2015:188, point 76 et jurisprudence citée), confirmé sur pourvoi par l’arrêt du 30 juin 2016, Belgique/Commission (C‑270/15 P, EU:C:2016:489, points 36 et 37).
( 25 ) Je remarque, par ailleurs, que les obligations qui découlent notamment de l’application de la directive « oiseaux » ne constituent que la cause indirecte des dommages réclamés par Sātiņi‑S, la cause directe de ces dommages étant le passage des oiseaux protégés. Or, si la directive « oiseaux » interdit l’abattage de ces animaux, j’estime que ce remède extrême n’est qu’une des mesures envisageables – et probablement pas la plus efficace – afin de protéger les stocks de poissons élevés.
( 26 ) Voir, en particulier, points 390 à 392 de ces lignes directrices.
( 27 ) Arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, EU:C:2003:415). Je remarque, en passant, que la compensation des coûts des obligations de service public, selon les critères établis par la jurisprudence « Altmark », ne constitue pas un cas de figure dans lequel la constatation de l’octroi d’un avantage économique n’emporte pas la qualification de la mesure en cause d’« aide d’État » au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE (ainsi que relevé par l’arrêt
du 26 octobre 2016, Orange/Commission, C‑211/15 P, EU:C:2016:798, point 44), mais plutôt un cas de figure dans lequel l’entreprise chargée des obligations de service public ne profite pas, en réalité, d’un avantage financier (voir arrêt du 9 juin 2011, Comitato Venezia vuole vivere e.a./Commission, C‑71/09 P, C‑73/09 P et C‑76/09 P, EU:C:2011:368, points 90 à 92).
( 28 ) Voir arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, EU:C:2003:415, point 89).
( 29 ) Voir arrêt du 24 juillet 2003, Altmark Trans et Regierungspräsidium Magdeburg (C‑280/00, EU:C:2003:415, points 90 à 93). En effet, aucun élément de l’affaire au principal ne laisse à penser, tout d’abord, que les paramètres sur le fondement desquels est calculée la compensation ont été préalablement établis de façon objective et transparente, ensuite, que la compensation ne dépasse pas ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l’exécution des obligations de
service public et, enfin, que l’entreprise a été sélectionnée à travers une procédure de marché public permettant de sélectionner le candidat capable de fournir ces services au moindre coût pour la collectivité, ou que le niveau de la compensation nécessaire a été déterminé sur la base d’une analyse des coûts qu’une entreprise moyenne, bien gérée et adéquatement équipée afin de pouvoir satisfaire aux exigences de service public requises, aurait encourus pour exécuter ces obligations, en tenant
compte des recettes y relatives ainsi que d’un bénéfice raisonnable pour l’exécution de ces obligations. Au contraire, la juridiction de renvoi et le gouvernement letton ont précisé que l’indemnité litigieuse n’était pas strictement liée – et pouvait être supérieure – au montant des dommages réellement causés à l’aquaculture.
( 30 ) Voir arrêt du 27 septembre 1988 (106/87 à 120/87, EU:C:1988:457, points 23 et 24).
( 31 ) Sans omettre le fait que, ainsi qu’il a été précisé par la juridiction de renvoi et le gouvernement letton, la méthodologie de calcul de l’indemnité litigieuse prenait en compte, principalement, la superficie des étangs à poissons et ne correspondait donc pas aux pertes effectives subies par les propriétaires, de sorte que cette indemnité n’était pas strictement liée – et pouvait être supérieure – au montant des dommages réellement causés à l’aquaculture.
( 32 ) Voir arrêts du 27 mars 1980, Amministrazione delle finanze dello Stato/Denkavit italiana (61/79, EU:C:1980:100, points 29 à 32), et du 10 juillet 1980, Amministrazione delle finanze dello Stato/Ariete (811/79, EU:C:1980:195, point 15).
( 33 ) Voir arrêt du Tribunal du 1er juillet 2010, Nuova Terni Industrie Chimiche/Commission (T‑64/08, non publié, EU:T:2010:270, points 59 à 63 et 140 à 141).
( 34 ) À titre d’exemple, dans l’arrêt du 23 mars 2006, Enirisorse (C‑237/04, EU:C:2006:197, points 46 à 48), la Cour a jugé qu’une réglementation nationale qui se borne à éviter que le budget d’une entreprise soit grevé par une charge qui, dans une situation normale, n’aurait pas existé ne confère pas à cette entreprise un avantage susceptible de constituer une aide d’État au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Il s’agissait, en l’espèce, d’un régime « doublement dérogatoire » qui, compte
tenu d’une première dérogation au régime de droit commun (la faculté exceptionnelle de retrait de certains actionnaires), prévoyait une seconde dérogation destinée à neutraliser l’avantage concédé par la première (la dispense du remboursement du montant des actions détenues par les associés ayant exercé la faculté exceptionnelle de retrait).
( 35 ) Sans vouloir empiéter sur les compétences de la juridiction de renvoi, je me limiterai à indiquer que, sur le fondement des éléments fournis par cette juridiction, il me semble que ces conditions sont prima facie satisfaites en l’espèce. Premièrement, l’indemnité litigieuse a été octroyée directement par des autorités étatiques en utilisant des ressources publiques ; deuxièmement, contrairement à ce que soutient le gouvernement irlandais, cette indemnité ne vise que les entreprises qui, à
l’instar de Sātiņi-S, ont été victimes de pertes causées à l’aquaculture dans une zone Natura 2000 par des oiseaux protégés en vertu de la directive « oiseaux » ; et, troisièmement, le marché de l’aquaculture étant ouvert à la concurrence et aux échanges entre États membres, il est très probable que ladite indemnité est susceptible de fausser la concurrence et d’affecter le commerce entre États membres. Si ces constatations étaient confirmées par la juridiction de renvoi, il y aurait lieu de
conclure que la même indemnité constitue une « aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE.