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09/09/2021 | CJUE | N°C-234/20

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. A. Rantos, présentées le 9 septembre 2021., « Sātiņi-S » SIA., 09/09/2021, C-234/20


 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. ATHANASIOS RANTOS

présentées le 9 septembre 2021 ( 1 )

Affaire C‑234/20

SIA „Sātiņi-S”

contre

Lauku atbalsta dienests

[demande de décision préjudicielle formée par l’Augstākā tiesa (Cour suprême, Lettonie)]

« Renvoi préjudiciel – Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) – Règlement (UE) no 1305/2013 – Soutien au développement rural – Article 30 – Paiements au titre du réseau Natura 2000 – Indemnisation de

la perte de revenus dans les zones agricoles et forestières – Restriction ou exclusion des tourbières de l’indemnisation – Charte des droits fondament...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. ATHANASIOS RANTOS

présentées le 9 septembre 2021 ( 1 )

Affaire C‑234/20

SIA „Sātiņi-S”

contre

Lauku atbalsta dienests

[demande de décision préjudicielle formée par l’Augstākā tiesa (Cour suprême, Lettonie)]

« Renvoi préjudiciel – Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) – Règlement (UE) no 1305/2013 – Soutien au développement rural – Article 30 – Paiements au titre du réseau Natura 2000 – Indemnisation de la perte de revenus dans les zones agricoles et forestières – Restriction ou exclusion des tourbières de l’indemnisation – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 17 – Droit de propriété – Indemnisation pour des limitations à des activités économiques
antérieures à l’acquisition d’un bien immobilier et connues par le bénéficiaire »

I. Introduction

1. La demande de décision préjudicielle a été présentée dans le cadre d’un litige opposant SIA Sātiņi-S, une entreprise lettone (ci-après « Sātiņi-S »), au Lauku atbalsta dienests (service de soutien au monde rural, Lettonie).

2. Cette demande porte sur l’interprétation de l’article 30, paragraphe 1 et paragraphe 6, sous a), du règlement (UE) no 1305/2013 ( 2 ) et de l’article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») et, pour l’essentiel, concerne :

– la qualification des « tourbières » aux fins de l’application de l’article 30, paragraphe 1 et paragraphe 6, sous a), du règlement no 1305/2013 ;

– la question de savoir si un État membre peut exclure ou restreindre, à certaines zones ou activités, les paiements prévus à l’article 30, paragraphe 1 et paragraphe 6, sous a), du règlement no 1305/2013 ;

– le point de savoir s’il est justifié de verser des indemnités pour une perte de revenus causée par des limitations aux activités économiques sur un bien immobilier dont le propriétaire avait connaissance lors de l’acquisition de celui-ci.

II. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

1. La Charte

3. L’article 17 de la Charte, intitulé « Droit de propriété », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Toute personne a le droit de jouir de la propriété des biens qu’elle a acquis légalement, de les utiliser, d’en disposer et de les léguer. Nul ne peut être privé de sa propriété, si ce n’est pour cause d’utilité publique, dans des cas et conditions prévus par une loi et moyennant en temps utile une juste indemnité pour sa perte. L’usage des biens peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général. »

2. La directive « habitats »

4. L’article 3, paragraphe 1, de la directive 92/43/CEE ( 3 ) énonce :

« Un réseau écologique européen cohérent de zones spéciales de conservation, dénommé “Natura 2000”, est constitué. Ce réseau, formé par des sites abritant des types d’habitats naturels figurant à l’annexe I et des habitats des espèces figurant à l’annexe II, doit assurer le maintien ou, le cas échéant, le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des types d’habitats naturels et des habitats d’espèces concernés dans leur aire de répartition naturelle.

Le réseau Natura 2000 comprend également les zones de protection spéciale classées par les États membres en vertu des dispositions de la directive 79/409/CEE [ ( 4 )]. »

5. Aux termes de l’article 6 de la directive « habitats » :

« 1.   Pour les zones spéciales de conservation, les États membres établissent les mesures de conservation nécessaires impliquant, le cas échéant, des plans de gestion appropriés spécifiques aux sites ou intégrés dans d’autres plans d’aménagement et les mesures réglementaires, administratives ou contractuelles appropriées, qui répondent aux exigences écologiques des types d’habitats naturels de l’annexe I et des espèces de l’annexe II présents sur les sites.

2.   Les États membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les zones spéciales de conservation, la détérioration des habitats naturels et des habitats d’espèces ainsi que les perturbations touchant les espèces pour lesquelles les zones ont été désignées, pour autant que ces perturbations soient susceptibles d’avoir un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive.

[...] »

3. Le règlement no 1305/2013

6. Le règlement no 1305/2013 énonce, à ses considérants 7, 9 et 24 :

« (7) Afin d’assurer un démarrage immédiat et une mise en œuvre efficace des programmes de développement rural, le soutien du Feader devrait reposer sur l’existence d’un cadre administratif solide. Les États membres devraient ainsi évaluer l’applicabilité et le respect de certaines conditions ex ante. Chaque État membre devrait établir un programme national de développement rural couvrant tout son territoire, une série de programmes régionaux ou à la fois un programme national et un ensemble de
programmes régionaux. Chaque programme devrait définir une stratégie pour atteindre des objectifs liés aux priorités de l’Union pour le développement rural et un certain nombre de mesures. La programmation devrait respecter les priorités de l’Union pour le développement rural, tout en étant adaptée aux contextes nationaux et en complétant les autres politiques de l’Union, notamment la politique des marchés agricoles, la politique de cohésion et la politique commune de la pêche. Les États
membres qui optent pour l’élaboration d’un ensemble de programmes régionaux devraient être en mesure d’élaborer également un cadre national, sans dotation budgétaire distincte, en vue de faciliter la coordination entre les régions pour relever les défis qui se posent à l’échelle nationale.

[...]

(9) Les programmes de développement rural devraient recenser les besoins de la zone couverte et décrire une stratégie cohérente pour y répondre, à la lumière des priorités de l’Union pour le développement rural. Cette stratégie devrait reposer sur la fixation d’objectifs. Il convient d’établir les liens entre les besoins recensés, les objectifs définis et le choix des mesures retenues pour les atteindre. Il convient que les programmes de développement rural contiennent également toutes les
informations nécessaires pour évaluer leur conformité avec les exigences du présent règlement.

[...]

(24) Il convient de continuer à accorder aux agriculteurs et aux gestionnaires de forêts un soutien afin qu’ils puissent faire face, dans les zones concernées, aux désavantages spécifiques dus à la mise en œuvre de la [directive 2009/147/CE ( 5 )] et de la [directive “habitats”] et en vue de contribuer à une gestion efficace des sites Natura 2000. Il convient de même d’accorder un soutien aux agriculteurs afin de leur permettre de faire face, dans les zones de bassins hydrographiques, aux
désavantages liés à la mise en œuvre de la [directive 2000/60/CE ( 6 )]. L’aide devrait être liée à des exigences spécifiques décrites dans le programme de développement rural, qui vont au-delà des exigences et normes obligatoires correspondantes. Les États membres devraient également veiller à ce que les paiements accordés aux agriculteurs ne donnent pas lieu à un double financement au titre du présent règlement et du règlement (UE) no 1307/2013 [ ( 7 )]. De plus, les besoins spécifiques
des zones relevant de Natura 2000 devraient être pris en compte par les États membres dans la conception générale de leurs programmes de développement rural. »

7. L’article 2 du règlement no 1305/2013, intitulé « Définitions », prévoit :

« [...]

En outre, on entend par :

[...]

c) “mesure”, un ensemble d’opérations contribuant à la mise en œuvre d’une ou plusieurs des priorités de l’Union pour le développement rural ;

[...]

f) “surface agricole”, l’ensemble de la superficie des terres arables, des prairies permanentes et des pâturages permanents ou des cultures permanentes tels qu’ils sont définis à l’article 4 du [règlement no 1307/2013] ;

[...]

r) “forêt”, une étendue de plus de 0,5 [hectare] caractérisée par un peuplement d’arbres d’une hauteur supérieure à 5 mètres et des frondaisons couvrant plus de 10 % de sa surface, ou par un peuplement d’arbres pouvant atteindre ces seuils in situ, à l’exclusion des terres dédiées principalement à un usage agricole ou urbain, sous réserve du paragraphe 2[.]

2. Un État membre ou une région peut choisir d’appliquer une définition autre que celle figurant au paragraphe 1, [sous] r), fondée sur le droit national ou le système d’inventaire en vigueur. Les États membres ou les régions donnent la définition dans le programme de développement rural.

[...] »

8. Aux termes de l’article 4 du règlement no 1305/2013, intitulé « Objectifs » :

« Dans le cadre général de la [politique agricole commune (PAC)], le soutien en faveur du développement rural, notamment des activités relevant du secteur agroalimentaire ainsi que du secteur non-alimentaire et de la foresterie, contribue à la réalisation des objectifs suivants :

a) favoriser la compétitivité de l’agriculture ;

b) garantir la gestion durable des ressources naturelles et la mise en œuvre de mesures visant à préserver le climat ;

c) assurer un développement territorial équilibré des économies et des communautés rurales, notamment la création et la préservation des emplois existants. »

9. L’article 6 de ce règlement, intitulé « Programmes de développement rural », dispose, à son paragraphe 1 :

« Le Feader agit dans les États membres à travers les programmes de développement rural. Ces programmes mettent en œuvre une stratégie visant à répondre aux priorités de l’Union pour le développement rural grâce à un ensemble de mesures, définies au titre III. Un soutien auprès du Feader est demandé pour la réalisation des objectifs de développement rural poursuivis dans le cadre des priorités de l’Union. »

10. L’article 10 dudit règlement, intitulé « Approbation des programmes de développement rural », est libellé comme suit :

« 1.   Les États membres soumettent à la Commission, pour chaque programme de développement rural, une proposition contenant les informations visées à l’article 8.

2.   Chaque programme de développement rural est approuvé par la Commission au moyen d’un acte d’exécution. »

11. L’article 30 de ce même règlement, intitulé « Paiements au titre de Natura 2000 et de la directive-cadre sur l’eau », prévoit :

« 1.   L’aide au titre de la présente mesure est accordée annuellement par hectare de surface agricole ou par hectare de forêt, afin d’indemniser les bénéficiaires, dans les zones concernées, pour les coûts supplémentaires et la perte de revenus subis en raison des désavantages résultant de la mise en œuvre de la directive [“habitats”], de la directive [“oiseaux”] et de la directive-cadre sur l’eau.

[...]

6.   Les zones suivantes sont éligibles à des paiements :

a) les zones agricoles et forestières Natura 2000 désignées en vertu des directives [“habitats”] et [“oiseaux”] ;

[...] »

4. Le règlement d’exécution no 808/2014

12. L’article 10 du règlement d’exécution (UE) no 808/2014 ( 8 ), intitulé « Hypothèses standard relatives aux coûts supplémentaires et aux pertes de revenus », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Les États membres peuvent fixer le montant des paiements pour les mesures ou les types d’opérations visées aux articles 28 à 31 et aux articles 33 et 34 du [règlement no 1305/2013], sur la base d’hypothèses standard relatives aux coûts supplémentaires et aux pertes de revenus. »

13. La section 8 de l’annexe I, partie 1, de ce règlement d’exécution, intitulée « Description des mesures retenues », est libellée comme suit :

« [...]

11. Paiements au titre de Natura 2000 et de la directive-cadre sur l’eau [article 30 du règlement no 1305/2013]

[...]

– détermination des restrictions/désavantages en raison desquels des paiements peuvent être accordés et indication des pratiques obligatoires ;

– description de la méthode et des hypothèses agronomiques, et notamment description des exigences minimales visées à l’article 30, paragraphe 3, du [règlement no 1305/2013], en ce qui concerne les directives [“habitats”] et [“oiseaux”], ainsi qu’à l’article 30, paragraphe 4, dudit règlement dans le cadre de la directive-cadre sur l’eau, utilisées comme référence pour les calculs justifiant les coûts supplémentaires et les pertes de revenus résultant des désavantages dans les zones
concernées par la mise en œuvre de la [directive “habitats”], de la [directive “oiseaux”] et de la directive-cadre sur l’eau ; le cas échéant, cette méthode tient compte des paiements en faveur de pratiques agricoles bénéfiques pour le climat et l’environnement accordés conformément au [règlement no 1307/2013], afin d’exclure un double financement.

[...] »

14. La mesure 12 de l’annexe I, partie 5, dudit règlement d’exécution établit les paiements au titre de Natura 2000 et de la directive-cadre sur l’eau dans le cadre de l’article 30 du règlement no 1305/2013 et prévoit les typologies de paiements suivantes :

« Paiement d’indemnités en faveur des zones agricoles Natura 2000 [code 12.1]

Paiement d’indemnités en faveur des zones forestières Natura 2000 [code 12.2]

Paiement d’indemnités en faveur des zones agricoles incluses dans les plans de gestion de district hydrographique [code 12.3] ».

B.   Le droit letton

15. Le ministru kabineta 2010. gada 16. marta noteikumi Nr. 264 īpaši aizsargājamo dabas teritoriju vispārējie aizsardzības un izmantošanas noteikumi (décret no 264 du conseil des ministres portant dispositions générales relatives à la protection et à l’utilisation des zones spéciales de conservation), du 16 mars 2010 (ci-après le « décret no 264 ») ( 9 ), établit les règles générales de protection et d’utilisation des zones spéciales de conservation.

16. Le chapitre 5 de ce décret, intitulé « Zones naturelles protégées », énonce, au point 16 :

« Il est interdit dans les zones naturelles protégées :

[...]

16.12. d’établir des plantations d’airelles dans les tourbières ;

[...] »

17. Le ministru kabineta 2015. gada 7. aprīļa noteikumi Nr. 171 noteikumi par valsts un Eiropas Savienības atbalsta piešķiršanu, administrēšanu un uzraudzību vides, klimata un lauku ainavas uzlabošanai 2014.–2020. gada plānošanas periodā (décret no 171 du conseil des ministres, relatif à l’octroi, à la gestion et au contrôle des aides de l’État et de l’Union européenne destinées à l’amélioration de l’environnement, du climat et du paysage rural au cours de la période de programmation 2014-2020), du
7 avril 2015 (ci-après le « décret no 171 ») ( 10 ), dispose, à ses points 56 à 58 :

« 56. Les surfaces admissibles pour l’aide au titre de cette mesure sont les terres forestières (à l’exclusion des tourbières) :

56.1. figurant sur la liste des [zones Natura 2000] conformément à l’article 30, paragraphe 6, sous a), du règlement no 1305/2013 et déterminées conformément au likums “Par īpaši aizsargājamām dabas teritorijām” [loi relative aux zones spéciales de conservation] ;

[...]

58. L’aide peut être accordée si la surface admissible déclarée pour l’aide est d’au moins un hectare, qu’elle est constituée de champs d’au moins 0,1 hectare et que la surface minimale soumise à un type de limitation dans un champ est d’au moins 0,1 hectare, et si lesdits champs peuvent être identifiés par cartographie, s’ils sont inclus dans le système de demande électronique du service de soutien au monde rural et que, depuis le 1er mars de l’année en cours, en vertu de la réglementation
relative à la protection et à l’utilisation des zones spéciales de conservation ou à la protection d’espèces et de biotopes, l’une quelconque des limitations suivantes s’applique à l’activité économique :

58.1. interdiction d’activités d’exploitation forestière ;

58.2. interdiction de procéder à la récolte principale et d’effectuer des éclaircies ;

58.3. interdiction de procéder à la récolte principale ;

58.4. interdiction de la coupe rase. » ( 11 )

18. Le lauku attīstības programma 2014.-2020.gadam (programme letton de développement rural 2014-2020 ( 12 )), approuvé par la Commission européenne au titre de l’article 10, paragraphe 2, du règlement no 1305/2013, indique qu’une aide peut être perçue si des limitations sont imposées aux activités d’exploitation forestière dans les zones Natura 2000 ou dans les microréserves situées sur des terres forestières, à l’exclusion des tourbières.

III. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

19. Au cours de l’année 2002, Sātiņi-S a acheté 7,7 hectares de terrain de tourbières, situés dans une zone naturelle protégée et dans une zone de conservation d’importance communautaire Natura 2000 (ci-après la « zone Natura 2000 ») en Lettonie.

20. Le 2 février 2017, Sātiņi-S a introduit une demande auprès du Lauku atbalsta dienests (service de soutien au monde rural) visant à bénéficier, pour les années 2015 et 2016, d’une indemnisation au titre de l’interdiction d’installer des plantations d’airelles sur ce terrain de tourbières. Par décision du 28 février 2017, ce service a rejeté cette demande au motif que la réglementation nationale applicable ne prévoyait pas une telle indemnisation.

21. Sātiņi-S a introduit un recours contre cette décision devant l’Administratīvā apgabaltiesa (Cour administrative régionale, Lettonie), laquelle a rejeté ce recours par arrêt du 26 mars 2018.

22. Sātiņi-S a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt devant l’Augstākā tiesa (Cour suprême, Lettonie), laquelle a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 30, paragraphe 6, sous a), du [règlement no 1305/2013] doit-il être interprété en ce sens que les terres tourbeuses sont totalement exclues des paiements au titre de Natura 2000 ?

2) En cas de réponse négative à la première question, les terres tourbeuses font-elles partie des zones agricoles ou forestières ?

3) En cas de réponse négative à la première question, l’article 30 du règlement no 1305/2013 doit-il être interprété en ce sens qu’un État membre peut exclure totalement les terres tourbeuses des paiements au titre de Natura 2000 et que de telles dispositions nationales sont compatibles avec la finalité compensatoire de tels paiements prévue par le règlement no 1305/2013 ?

4) L’article 30 du règlement no 1305/2013 doit-il être interprété en ce sens qu’un État membre peut restreindre l’octroi des aides au titre des zones Natura 2000 en ne prévoyant une aide que pour une limitation imposée à un type spécifique d’activité économique, comme c’est le cas, dans les zones forestières, des seules activités d’exploitation forestière ?

5) L’article 30, paragraphe 1, du règlement no 1305/2013, lu en combinaison avec l’article 17 de la [Charte], doit-il être interprété en ce sens qu’une personne a droit, lorsqu’elle fait valoir ses projets en vue d’une nouvelle activité économique, à un paiement au titre de Natura 2000 si, au moment où elle a acquis la propriété, elle avait connaissance des limitations auxquelles ladite propriété était soumise ? »

23. Des observations écrites ont été déposées par Sātiņi-S, par les gouvernements letton et irlandais ainsi que par la Commission.

24. Lors de l’audience, qui s’est tenue le 3 juin 2021, des observations orales ont été présentées par les gouvernements letton et irlandais, ainsi que par la Commission.

IV. Analyse

A.   Sur les première et deuxième questions préjudicielles

25. Par ses deux premières questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 30, paragraphe 6, sous a), du règlement no 1305/2013 doit être interprété en ce sens que les terrains constitués de tourbières sont entièrement exclus du bénéfice des paiements au titre du réseau Natura 2000 et, en cas de réponse négative à cette question, si ces terrains relèvent des zones agricoles ou des zones forestières au sens de cette disposition.

26. Aux termes de l’article 30, paragraphe 1, du règlement no 1305/2013, une aide est accordée annuellement par hectare de surface agricole ou par hectare de forêt, afin d’indemniser les bénéficiaires, dans les zones concernées, pour les coûts supplémentaires et la perte de revenus subis en raison des désavantages résultant de la mise en œuvre de la directive « habitats », de la directive « oiseaux » et de la directive-cadre sur l’eau. L’article 30, paragraphe 6, sous a), de ce règlement précise que
sont éligibles à des paiements relatifs à l’aide en question les zones agricoles et forestières Natura 2000 désignées en vertu des directives « habitats » et « oiseaux ».

27. En l’occurrence, Sātiņi-S s’est vu refuser, par le service de soutien au monde rural, une indemnisation pour la limitation de l’activité économique consistant à installer des plantations d’airelles dans des tourbières, sur le fondement de la réglementation lettone excluant ces paiements pour les tourbières.

28. La juridiction de renvoi relève, tout d’abord, que le système des paiements au titre de Natura 2000 a pour objectif d’aider les bénéficiaires à faire face aux désavantages résultant de la mise en œuvre de la directive « habitats », de la directive « oiseaux » et de la directive-cadre sur l’eau et que les limitations adoptées par les États membres ne doivent pas éliminer la visée compensatoire de ce système, compte tenu du fait que les tourbières représentent une partie importante du territoire
letton et couvrent une grande partie des zones Natura 2000 de ce pays. Ensuite, cette juridiction constate que la détermination de ces zones à l’annexe I de la directive « habitats » comprend les tourbières parmi les types d’habitats naturels d’intérêt communautaire dont la conservation nécessite la désignation de zones spéciales de conservation. Enfin, ladite juridiction relève, d’une part, que si l’article 30, paragraphe 6, sous a), du règlement no 1305/2013 limite les paiements à certaines
zones, à savoir les zones agricoles et forestières, il ne limite pas pour autant les paiements à certains types d’activités économiques et, d’autre part, que le point 58 du décret no 171 restreint l’aide au titre de l’article 30, paragraphe 6, sous a), du règlement no 1305/2013 aux limitations imposées aux activités d’exploitation forestière, bien qu’il soit possible d’exercer des activités agricoles dans des tourbières situées sur des terres forestières, en y installant des plantations
d’airelles.

29. Sātiņi-S fait valoir que l’indemnisation accordée par la réglementation nationale aux seules zones forestières, à l’exclusion des tourbières, est « injuste » et que l’activité économique et la délimitation des terres de cette société ont débuté avant que le site naturel protégé ne soit désigné comme zone spéciale de conservation.

30. Le gouvernement letton, s’agissant de la première question préjudicielle, fait valoir que la limitation de l’octroi d’indemnités découle directement de l’article 30, paragraphe 6, sous a), du règlement no 1305/2013, qui réserve les paiements au titre de Natura 2000 aux zones agricoles et forestières, et que la terre tourbeuse ne relève pas des zones forestières auxquelles l’État limite l’octroi des paiements, puisqu’elle n’entre pas dans la notion de « forêt » telle que définie à l’article 2,
paragraphe 1, sous r), de ce règlement. Au vu de la réponse affirmative qu’il apporte à cette question, ce gouvernement soutient qu’il n’est pas nécessaire de se prononcer sur la deuxième question préjudicielle, tout en précisant que, selon la réglementation nationale, une surface terrestre est qualifiée selon le type d’utilisation des sols, en fonction de ses qualités naturelles et de son utilisation économique actuelle, et que, en fonction des caractéristiques spécifiques des parcelles de
terre, les « terres agricoles », les « forêts » et les « tourbières » constituent trois catégories de terres distinctes.

31. Selon la Commission, en l’absence d’une mention, d’une définition ou d’une description d’une « tourbière » ou d’une « terre tourbeuse » dans le règlement no 1305/2013, les terres tourbeuses concernées pourraient relever de l’article 30, paragraphe 6, sous a), de ce règlement, en fonction de leurs caractéristiques, lorsqu’elles relèvent, le cas échéant, de la définition de « surface agricole », aux termes de l’article 2, paragraphe 1, sous f), dudit règlement, ou de celle de « forêt », aux termes
de l’article 2, paragraphe 1, sous r), du même règlement.

32. Afin de répondre aux deux premières questions préjudicielles, j’examinerai la question de la classification des tourbières au sens de l’article 30, paragraphe 6, sous a), du règlement no 1305/2013, afin d’établir si cette disposition exclut totalement les tourbières des paiements au titre du réseau Natura 2000.

33. S’agissant de la classification des tourbières au sens de l’article 30, paragraphe 6, sous a), du règlement no 1305/2013 et en l’absence d’une définition d’une « tourbière » ou d’une « terre tourbeuse » en droit de l’Union, je relève qu’une tourbière est, pour l’essentiel, une zone humide caractérisée par la présence de la « tourbe », un sol caractérisé par sa très forte teneur en matière organique d’origine végétale et par des stockages de carbone organique ( 13 ). Il y a, certes, plusieurs
typologies de tourbières, mais ces éléments sont, à ma connaissance, les caractéristiques essentielles de ces zones.

34. Au vu de ces caractéristiques, d’une part, la définition d’une « tourbière » ne correspond pas entièrement à celle d’une « surface agricole », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous f), du règlement no 1305/2013 ( 14 ), selon laquelle on entend par « surface agricole »« l’ensemble de la superficie des terres arables, des prairies permanentes et des pâturages permanents ou des cultures permanentes tels qu’ils sont définis à l’article 4 du [règlement no 1307/2013] ». Toutefois, une tourbière
pourrait être constituée, à tout le moins en partie, par des « prairies permanentes » ( 15 ), qui sont incluses dans la définition de « surface agricole » ( 16 ).

35. D’autre part, la définition d’une « tourbière » ne correspond pas non plus entièrement à celle d’une « forêt », au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous r), du règlement no 1305/2013, selon laquelle on entend par « forêt »« une étendue de plus de 0,5 ha caractérisée par un peuplement d’arbres d’une hauteur supérieure à 5 mètres et des frondaisons couvrant plus de 10 % de sa surface, ou par un peuplement d’arbres pouvant atteindre ces seuils in situ, à l’exclusion des terres dédiées
principalement à un usage agricole ou urbain, sous réserve du paragraphe 2 » ( 17 ). Toutefois, une tourbière, selon la végétation présente, pourrait être constituée, à tout le moins en partie, par des forêts ( 18 ).

36. Je suis donc enclin à conclure que si les tourbières ne sont pas, en tant que telles, visées à l’article 30, paragraphe 6, sous a), du règlement no 1305/2013, elles ne constituent pas non plus, aux fins de l’application de cette disposition, un tertium genus par rapport aux zones agricoles et forestières mentionnées par ladite disposition. En d’autres termes, la définition scientifique des« tourbières » en tant que terrains présentant les caractéristiques particulières décrites au point 33 des
présentes conclusions n’exclut pas que ces mêmes terrains, selon leur composition, puissent relever de la définition juridique d’une zone « agricole » ou « forestière » au sens de la même disposition, dans la mesure où elles incluent, notamment, des prairies figurant dans la définition d’une « zone agricole » ou de la végétation qui correspond à celle composant une « zone forestière » ( 19 ).

37. Partant, j’estime que des zones tourbeuses peuvent, au moins partiellement, relever de la notion de zones « agricoles » ou « forestières », pouvant bénéficier des paiements sur le fondement de l’article 30, paragraphe 6, sous a), du règlement no 1305/2013.

38. En l’espèce, le législateur letton ayant limité les paiements au titre de l’article 30, paragraphe 6, sous a), du règlement no 1305/2013 aux zones forestières, excluant les zones agricoles, il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier si les tourbières qui font l’objet de l’affaire au principal, telles que définies par la législation lettone, relèvent de la notion de « zone forestière » au titre de cette disposition ( 20 ).

39. En outre, l’activité interdite en l’espèce étant une activité agricole (plantation d’airelles), la juridiction de renvoi demande également si des aides octroyées au titre de l’article 30, paragraphe 6, sous a), du règlement no 1305/2013 afin d’indemniser les propriétaires des terrains des désavantages subis dans des zones forestières permettent d’indemniser ces propriétaires pour l’interdiction d’exercer non seulement une activité forestière ( 21 ), mais également une activité agricole, telle
que la plantation d’airelles. À son avis, la limitation des paiements au titre de Natura 2000 à certaines zones (agricoles et forestières) ne concernerait pas les activités économiques exercées dans ces zones.

40. Or, je constate que les paiements accordés au titre de l’article 30, paragraphe 6, sous a), du règlement no 1305/2013 visent à « indemniser les bénéficiaires, dans les zones concernées, pour les coûts supplémentaires et la perte de revenus subis en raison des désavantages résultant de la mise en œuvre de la directive [“habitats”], de la directive [“oiseaux”] et de la directive-cadre sur l’eau ».

41. D’un point de vue textuel, ni l’article 30, paragraphe 1, du règlement no 1305/2013 ni ce règlement en général ne spécifient quelle est la cause de ces « désavantages » ni si ceux-ci découlent de l’interdiction d’exercer une activité agricole ou forestière. Néanmoins, l’annexe I, partie 1, section 8, du règlement d’exécution no 808/2014 impose notamment aux États membres de déterminer les restrictions ou les désavantages en raison desquels des paiements prévus dans les plans de développement
rural peuvent être accordés. Il semble donc que les États membres sont libres d’identifier les types de désavantages éligibles aux indemnisations.

42. D’un point de vue contextuel, si l’article 30, paragraphe 6, sous a), du règlement no 1305/2013 se limite à évoquer que les paiements peuvent concerner les zones agricoles et forestières Natura 2000 désignées en vertu des directives « habitats » et « oiseaux », l’article 30, paragraphe 6, sous b), de ce règlement étend ces paiements, à certaines conditions, aux « autres zones naturelles protégées qui sont assorties de restrictions environnementales touchant l’activité agricole ou forestière ( 22
) [...] ». J’estime donc que ces deux activités sont considérées comme étant également et indistinctement éligibles aux paiements.

43. D’un point de vue téléologique, il découle du champ d’application et des objectifs mêmes du règlement no 1305/2013, ainsi qu’énoncés à son article 4, que celui-ci soutient le développement rural et notamment les activités relevant du secteur agroalimentaire, ainsi que du secteur non-alimentaire et de la foresterie. Il s’ensuit, à mon avis, que les activités prises en compte aux fins des paiements au titre du réseau Natura 2000 ne peuvent qu’être des activités agricoles ou forestières, à
l’exclusion, par exemple, d’une des activités typiques d’exploitation des tourbières, notamment l’extraction de charbon, laquelle constitue une activité industrielle qui ne relève pas du champ d’application de ce règlement ( 23 ).

44. Dès lors, à mon sens, l’octroi de paiements pour compenser l’interdiction d’une activité agricole dans une zone forestière n’est pas en principe exclu par l’article 30, paragraphe 6, sous a), du règlement no 1305/2013. Il appartient aux États membres d’établir les activités dont la limitation donne lieu aux paiements susvisés.

45. Je propose donc de répondre aux deux premières questions préjudicielles que l’article 30, paragraphe 6, sous a), du règlement no 1305/2013 doit être interprété en ce sens qu’il n’exclut pas, en principe, les tourbières des paiements au titre de l’article 30, paragraphe 1, de ce règlement, dans la mesure où celles-ci peuvent, le cas échéant, être constituées par des zones agricoles ou forestières pouvant bénéficier des paiements au sens de cette disposition. Il incombe à la juridiction de renvoi
de vérifier si tel est le cas dans l’affaire au principal.

B.   Sur les troisième et quatrième questions préjudicielles

46. Par ses troisième et quatrième questions, qu’il convient d’examiner ensemble, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 30 du règlement no 1305/2013 permet à un État membre d’exclure les tourbières du bénéfice des paiements au titre du réseau Natura 2000 ou de restreindre l’aide aux limitations imposées à un type spécifique d’activité économique, notamment à l’activité forestière dans une zone forestière.

47. Cette juridiction souligne notamment que, s’il appartient aux États membres de décider de la mise en œuvre de ce règlement, les limitations adoptées par ceux-ci ne doivent pas éliminer la « visée compensatoire » du système des paiements au titre de Natura 2000 ( 24 ).

48. Le gouvernement letton fait valoir que l’article 30 du règlement no 1305/2013 permet aux États membres d’exclure totalement les terres tourbeuses des paiements au titre du réseau Natura 2000 ou de restreindre l’octroi des aides en faveur des zones Natura 2000 en prévoyant une aide uniquement pour une limitation imposée à un type spécifique d’activité économique. En effet, en vertu des articles 5 et 8 de ce règlement, les États membres seraient libres non seulement de choisir les mesures du
programme de développement rural, mais également de déterminer les conditions de leur mise en œuvre, et ne seraient pas obligés d’octroyer toutes les mesures d’aide prévues par ledit règlement. En l’espèce, les mesures du programme de développement rural de la Lettonie, approuvé par la Commission, seraient conformes aux objectifs de la réglementation de l’Union et respecteraient le pouvoir d’appréciation que le même règlement confère aux États membres en ce que le législateur national a ciblé
l’aide pour mieux contribuer à l’objectif de renforcer la biodiversité sur les terres forestières, évitant la fragmentation du financement.

49. La Commission, ayant rappelé que des terres tourbeuses peuvent constituer soit une zone agricole, soit une zone forestière, en fonction de leurs caractéristiques ( 25 ), et compte tenu du choix du législateur letton de n’accorder l’indemnisation que pour les limitations imposées dans les zones forestières, soutient que, en vertu de l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 1305/2013, un État membre peut choisir d’appliquer une définition du terme « forêt » autre que celle figurant au
paragraphe 1, sous r), de cet article et peut donc exclure totalement du bénéfice des paiements au titre de Natura 2000 les terres tourbeuses, pourvu que cette définition ne soit pas discriminatoire. Elle considère, en outre, que les États membres, à travers leurs programmes de développement rural, approuvés par elle-même, peuvent choisir les mesures qui doivent bénéficier d’un financement du Feader et que l’article 30 de ce règlement ne crée aucune obligation de financer des indemnisations pour
les limitations au titre de Natura 2000. Partant, elle estime qu’un État membre peut restreindre l’octroi des aides au titre des zones Natura 2000 en ne prévoyant une aide que pour certains types spécifiques de limitation de l’activité économique.

50. Je relève d’emblée que l’article 30 du règlement no 1305/2013 ne crée aucune obligation de paiement, ce qui ressort clairement du libellé de son paragraphe 6, qui prévoit que les zones qu’il mentionne, notamment les zones agricoles et forestières Natura 2000, sont éligibles à des paiements. Cette approche est d’ailleurs conforme à l’esprit de la réglementation de l’Union en matière de développement rural, qui laisse les États membres libres de déterminer les mesures de mise en œuvre de cette
réglementation dans leurs programmes de développement rural, dans le respect des priorités de l’Union et en tenant compte des contextes nationaux ( 26 ).

51. En outre, je constate, tout d’abord, que l’annexe I, partie 5, mesure 12, du règlement d’exécution no 808/2014 prévoit trois typologies de paiements, parmi lesquelles les États membres peuvent choisir, dans le cadre de l’article 30 du règlement no 1305/2013, à savoir le paiement d’indemnités en faveur des zones agricoles Natura 2000, le paiement d’indemnités en faveur des zones forestières Natura 2000 et le paiement d’indemnités en faveur des zones agricoles incluses dans les plans de gestion de
district hydrographique. Ensuite, l’annexe I, partie 1, section 8, paragraphe 2, sous e), point 11, de ce règlement d’exécution impose notamment aux États membres de déterminer les restrictions ou les désavantages en raison desquels des paiements prévus dans les plans de développement rural peuvent être accordés. Enfin, l’article 10, paragraphe 1, dudit règlement d’exécution prévoit que les États membres peuvent fixer le montant des paiements sur la base d’hypothèses standard relatives aux coûts
supplémentaires et aux pertes de revenus.

52. Partant, en principe, la réglementation de l’Union confère aux États membres une marge d’appréciation en ce qui concerne, d’une part, le choix des mesures qu’ils entendent mettre en œuvre parmi celles prévues par la réglementation de l’Union et, d’autre part, la détermination des restrictions ou des désavantages en raison desquels des paiements sont accordés. J’estime donc que c’est à bon droit que le législateur letton, lors de l’adoption des mesures de mise en œuvre de l’article 30 du
règlement no 1305/2013, faisant usage de la marge d’appréciation que lui confère ce règlement, n’a opté que pour des indemnités en faveur des terres forestières et a limité les paiements à certaines restrictions, à savoir l’interdiction d’activités d’exploitation forestière visée au point 58 du décret no 171.

53. Cette conclusion ne saurait être remise en question par la « visée compensatoire » du système des paiements au titre de Natura 2000, évoquée par la juridiction de renvoi sur le fondement de l’arrêt Lingurár ( 27 ). En effet, cet arrêt concernait une situation dans laquelle l’État membre concerné avait mis en œuvre une aide au titre du réseau Natura 2000 en raison des restrictions à l’utilisation des forêts et des autres surfaces boisées au bénéfice de particuliers et avait exclu complètement de
l’aide les zones forestières dans lesquelles il y avait une surface, de n’importe quelle étendue, appartenant à l’État, ce qui impliquait, en l’espèce, qu’une surface forestière dont 0,182 % appartenait à l’État n’était pas éligible à l’aide en question. C’était cette restriction qui, selon la Cour, portait atteinte à la visée compensatoire du système de paiements et constituait une mesure disproportionnée ( 28 ). La situation est différente dans l’affaire au principal, en ce que le législateur
letton a exclu totalement les tourbières des terres forestières auxquelles l’aide est octroyée, en effectuant un choix qui relève, en principe, de ses compétences.

54. Certes, lorsqu’il choisit les mesures à adopter, un État membre doit respecter les principes généraux de l’Union, tels que ceux de non-discrimination et de proportionnalité ( 29 ). Ainsi que l’a observé la Commission, si les tourbières en question, par leurs caractéristiques, relevaient des « forêts » conformément à la définition adoptée à l’article 2, paragraphe 1, sous r), du règlement no 1305/2013 ou à celle éventuellement adoptée dans son programme de développement rural conformément à
l’article 2, paragraphe 2, de ce règlement ( 30 ), l’exclusion de ces zones du bénéfice des aides au titre de l’article 30 dudit règlement se révélerait contraire au principe général de non-discrimination, qui est inhérent au système réglementaire de l’Union.

55. Je propose donc de répondre aux troisième et quatrième questions préjudicielles que l’article 30, paragraphe 6, sous a), du règlement no 1305/2013 doit être interprété en ce sens qu’il permet à un État membre, dans le respect du principe général de non-discrimination, soit d’exclure les tourbières du bénéfice des paiements au titre du réseau Natura 2000, sans que cette exclusion empiète sur la finalité compensatoire de ces paiements, soit de restreindre les aides accordées au titre de ces zones
aux limitations imposées à un type spécifique d’activité économique, notamment l’activité forestière.

C.   Sur la cinquième question préjudicielle

56. Par sa cinquième et dernière question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 30 du règlement no 1305/2013, lu en combinaison avec l’article 17 de la Charte, doit être interprété en ce sens que le propriétaire d’un bien immobilier a droit aux paiements pour une limitation de l’activité économique sur ce bien si, au moment où il a acquis ledit bien, il avait connaissance d’une telle limitation.

57. Le gouvernement letton propose de répondre par la négative à cette question, au motif que l’article 17 de la Charte autorise, dans l’intérêt général et dans le respect du principe de proportionnalité, des restrictions à l’usage des biens, que Sātiņi-S avait acquis les biens immeubles en question alors qu’il existait déjà des restrictions légales à l’exercice de l’activité économique qu’elle souhaitait entreprendre et qu’il n’existe aucune preuve que cette dernière avait reçu des assurances
légitimes que les mesures nationales relatives à l’octroi des paiements au titre du réseau Natura 2000 pouvaient être modifiées dans un sens plus favorable à son égard.

58. Le gouvernement irlandais, qui limite ses observations à cette question, propose de répondre à ladite question que l’article 30, paragraphe 1, du règlement no 1305/2013, lu en combinaison avec l’article 17 de la Charte, ne confère pas de droits à un paiement au titre du réseau Natura 2000 en raison des projets d’une personne pour une nouvelle activité économique sur une propriété si, au moment où elle a acquis cette propriété, elle avait déjà connaissance des limitations auxquelles ladite
propriété était soumise.

59. La Commission relève que, en l’espèce, il ne s’agit pas d’une expropriation immobilière, mais d’une réglementation de l’usage des biens, qui est permise dans la mesure nécessaire à l’intérêt général, au titre de l’article 17, paragraphe 1, dernière phrase, de la Charte, la protection de l’environnement constituant un objectif d’intérêt général et l’interdiction d’installer une plantation d’airelles n’étant pas disproportionnée à cet égard. Elle soutient que l’article 30 du règlement no 1305/2013
ne crée aucune obligation ni promesse de verser des indemnités à des personnes physiques pour toutes les limitations imposées au titre du réseau Natura 2000 et que les directives « habitats » et « oiseaux » ne contiennent pas non plus de dispositions relatives à la mise en place d’un mécanisme d’indemnisation. Elle soulève également la question de la compétence de la Cour pour se prononcer sur une limitation du droit de propriété, telle que celle en l’espèce, qui ne relèverait pas de la mise en
œuvre du droit de l’Union.

60. S’agissant, à titre liminaire, de la question de la compétence de la Cour pour se prononcer sur la cinquième question préjudicielle, je rappelle que, aux termes de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte, régissant son champ d’application, les dispositions de celle-ci s’adressent aux États membres uniquement lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. Cette disposition confirme la jurisprudence constante de la Cour, selon laquelle les droits fondamentaux garantis dans l’ordre juridique de
l’Union ont vocation à être appliqués dans toutes les situations régies par le droit de l’Union, mais ne sauraient être applicables en dehors de telles situations. Lorsqu’une situation juridique ne relève pas du champ d’application du droit de l’Union, la Cour n’est pas compétente pour en connaître et les dispositions éventuellement invoquées de la Charte ne sauraient, à elles seules, fonder cette compétence ( 31 ).

61. Or, en l’occurrence, la juridiction de renvoi pose une question d’interprétation de l’article 30, paragraphe 1, du règlement no 1305/2013, lu en combinaison avec l’article 17 de la Charte. Cette question concerne donc, à titre principal, l’application de l’article 30 de ce règlement.

62. À cet égard, il suffit de relever que, ainsi qu’il ressort des réponses proposées aux questions précédentes, l’article 30 du règlement no 1305/2013 ne crée aucune obligation de paiement ni aucun droit à des indemnités au titre des limitations imposées dans le cadre de Natura 2000. En effet, ainsi qu’il a été exposé aux points 50 et 51 des présentes conclusions, si les États membres peuvent adopter des mesures au titre de cette disposition, ils ne sont nullement obligés de le faire et ils
disposent, en outre, d’une marge d’appréciation quant aux mesures qu’ils estiment appropriées pour la mise en œuvre de ce règlement.

63. Cette conclusion ne saurait être remise en cause par l’interprétation de l’article 30 du règlement no 1305/2013, lu en combinaison avec l’article 17 de la Charte, cette dernière disposition n’ayant aucun effet sur le champ d’application de l’article 30 du règlement no 1305/2013, ni par l’éventuelle application à titre autonome dudit article 17, qui comporterait l’application de cette disposition dans une situation purement interne et ne relèverait pas de la mise en œuvre du droit de l’Union au
sens de l’article 51, paragraphe 1, de la Charte.

64. En ce qui concerne, plus particulièrement, l’article 6 de la directive « habitats », invoqué par le gouvernement irlandais comme source d’obligation pour les États membres, je constate que, pour l’essentiel, cette disposition prévoit, à son paragraphe 1, que les États membres établissent les mesures de conservation nécessaires pour les zones spéciales de conservation et, à son paragraphe 2, que ces États membres prennent les mesures appropriées pour éviter, dans les mêmes zones, la détérioration
des habitats ainsi que les perturbations significatives touchant les espèces pour lesquelles les zones ont été désignées. Il me semble que si ladite disposition oblige les États membres à adopter des mesures pour la protection des zones pertinentes, elle ne prévoit aucunement d’adopter des mesures d’indemnisation telles que celles qui font l’objet de l’affaire au principal.

65. À titre subsidiaire, j’observe que les limitations introduites par le législateur letton qui font l’objet de l’affaire au principal ne remettent pas en cause la substance du droit de propriété, mais éventuellement son usage, lequel, au sens de l’article 17, paragraphe 1, dernière phrase, de la Charte, peut être réglementé par la loi dans la mesure nécessaire à l’intérêt général. En effet, selon une jurisprudence constante de la Cour, des restrictions peuvent être apportées à l’usage du droit de
propriété, à condition que ces restrictions répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général et qu’elles ne constituent pas, au regard du but poursuivi, une intervention démesurée et intolérable qui porterait atteinte à la substance même du droit ainsi garanti ( 32 ). En l’espèce, la protection de l’environnement figure parmi ces objectifs et est donc susceptible de justifier une restriction à l’usage du droit de propriété ( 33 ), de sorte qu’une interdiction d’installer une plantation
d’airelles, telle qu’en l’espèce, est conforme à un objectif d’intérêt général et n’est pas disproportionnée par rapport au but poursuivi, puisque la nécessité de protéger l’écosystème comporte nécessairement l’interdiction d’opérer des transformations de l’état des lieux ( 34 ).

66. Je propose donc de répondre à la cinquième question préjudicielle que l’article 30 du règlement no 1305/2013, lu en combinaison avec l’article 17 de la Charte, doit être interprété en ce sens qu’il n’octroie pas au propriétaire d’un bien immobilier, tel que des tourbières, le droit à des paiements au titre du réseau Natura 2000 pour une limitation de l’exercice d’une activité économique sur ce bien.

V. Conclusion

67. Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par l’Augstākā tiesa (Cour suprême, Lettonie) de la manière suivante :

1) L’article 30, paragraphe 6, sous a), du règlement (UE) no 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 17 décembre 2013, relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et abrogeant le règlement (CE) no 1698/2005 du Conseil doit être interprété en ce sens qu’il n’exclut pas, en principe, les tourbières des paiements compensatoires au titre de l’article 30, paragraphe 1, de ce règlement, dans la mesure où celles-ci peuvent, le
cas échéant, être constituées par des zones agricoles ou forestières pouvant bénéficier des paiements au sens de cette disposition.

2) L’article 30, paragraphe 6, sous a), du règlement no 1305/2013 doit être interprété en ce sens qu’il permet à un État membre, dans le respect du principe général de non-discrimination, soit d’exclure les tourbières du bénéfice des paiements au titre du réseau Natura 2000, sans que cette exclusion empiète sur la finalité compensatoire de ces paiements, soit de restreindre les aides accordées pour ces zones aux limitations imposées à un type spécifique d’activité économique, notamment
l’activité forestière.

3) L’article 30 du règlement no 1305/2013, lu en combinaison avec l’article 17 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens qu’il n’octroie pas au propriétaire d’un bien immobilier, tel que des tourbières, le droit à des paiements au titre du réseau Natura 2000 pour une limitation de l’exercice d’une activité économique sur ce bien.

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( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et abrogeant le règlement (CE) no 1698/2005 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 487, et rectificatif JO 2016, L 130, p. 1).

( 3 ) Directive du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (JO 1992, L 206, p. 7, ci-après la « directive “habitats” »).

( 4 ) Directive du Conseil du 2 avril 1979 concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO 1979, L 103, p. 1).

( 5 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages (JO 2010, L 20, p. 7, ci-après la « directive “oiseaux” »).

( 6 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau (JO 2000, L 327, p. 1, ci-après la « directive-cadre sur l’eau »).

( 7 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 établissant les règles relatives aux paiements directs en faveur des agriculteurs au titre des régimes de soutien relevant de la politique agricole commune et abrogeant le règlement (CE) no 637/2008 du Conseil et le règlement (CE) no 73/2009 du Conseil (JO 2013, L 347, p. 608).

( 8 ) Règlement d’exécution de la Commission du 17 juillet 2014 portant modalités d’application du règlement no 1305/2013 (JO 2014, L 227, p. 18).

( 9 ) Latvijas Vēstnesis, 2010, no 58.

( 10 ) Latvijas Vēstnesis, 2015, no 76.

( 11 ) La Commission souligne, dans ses observations écrites, que la version de ce décret citée par la décision de renvoi comporte des modifications adoptées le 14 mars 2017, qui ne sont pas applicables ratione temporis aux faits au principal. Le texte du point 58 avant ces modifications était le suivant : « L’aide peut être accordée si la surface admissible déclarée pour l’aide est d’au moins un hectare et est constituée de champs d’au moins 0,5 hectare, dont les limites coïncident avec celles de
parcelles forestières, qui sont identifiables dans la nature et dans lesquelles l’une quelconque des limitations suivantes s’applique à l’activité économique à partir du 1er avril de l’année en cours, en vertu de la réglementation relative à la protection et à l’utilisation des zones spéciales de conservation ou à la protection d’espèces et de biotopes : [...] interdiction d’activités d’exploitation forestière ; [...] interdiction de procéder à la coupe définitive et d’effectuer des éclaircies ;
[...] interdiction de procéder à la coupe définitive ; [...] interdiction de la coupe rase ».

( 12 ) Ce programme est disponible sur le site Internet du gouvernement letton à l’adresse suivante : https://www.zm.gov.lv/public/files/CMS_Static_Page_Doc/00/00/01/81/03/Programme_2014LV06RDNP001_9_0_lv.pdf

( 13 ) Les quelques règles internationales concernant les tourbières en donnent une définition très flexible. Les tourbières sont considérées comme étant des « terres humides » au sens de la convention relative aux zones humides d’importance internationale particulièrement comme habitats des oiseaux d’eau, signée à Ramsar (Iran) le 2 février 1971 (Recueil des traités des Nations unies, vol. 996, p. 245, no 14583), et la définition de « zone humide » selon cette convention est très large. En ce qui
concerne plus particulièrement les tourbières, le document intitulé « Inscription de Sites Ramsar : Cadre stratégique et lignes directrices pour orienter l’évolution de la Liste des zones humides d’importance internationale de la Convention sur les zones humides », du secrétariat de la convention de Ramsar (4e édition, vol. 17, 2010), précise, à ses points 136 et 137, que les tourbières sont définies par la présence d’un substrat tourbeux (la « tourbe » étant formée de vestiges de plantes mortes et
partiellement décomposées qui se sont accumulés in situ dans des sols saturés d’eau) et sont des écosystèmes dans lesquels le dépôt de tourbe est parfois recouvert d’une végétation (qui se transforme ou non en tourbe) et parfois dépourvu de végétation. La présence de tourbe ou de végétation en mesure de produire de la tourbe est, selon ce document, la principale caractéristique des tourbières.

( 14 ) Il me semble utile de remarquer que si l’article 30, paragraphe 6, sous a), du règlement no 1305/2013 mentionne les « zones » agricoles, l’article 2, paragraphe 1, sous f), de ce règlement donne une définition de « surface » agricole. Il me semble, toutefois, que les deux expressions sont interchangeables.

( 15 ) L’article 4, paragraphe 1, sous h), du règlement no 1307/2013 définit les « prairies permanentes et pâturages permanents » (dénommés conjointement « prairies permanentes ») comme suit : « les terres consacrées à la production d’herbe ou d’autres plantes fourragères herbacées (ensemencées ou naturelles) qui ne font pas partie du système de rotation des cultures de l’exploitation depuis cinq ans au moins ; d’autres espèces adaptées au pâturage comme des arbustes et/ou des arbres peuvent être
présentes, pour autant que l’herbe et les autres plantes fourragères herbacées restent prédominantes ; les prairies permanentes peuvent également comprendre, lorsque les États membres le décident, des surfaces adaptées au pâturage et relevant des pratiques locales établies dans lesquelles l’herbe et les autres plantes fourragères herbacées ne prédominent pas traditionnellement ».

( 16 ) L’article 45 du règlement no 1307/2013, intitulé « Prairies permanentes », prévoit, à son paragraphe 1, premier alinéa, que « [l]es États membres désignent les prairies permanentes qui sont sensibles d’un point de vue environnemental dans les zones visées par les directives [“habitats”] ou [“oiseaux”], y compris dans les tourbières et les zones humides situées dans ces zones, et qui ont besoin d’une protection stricte afin de remplir les objectifs de ces directives » (mise en italique par mes
soins).

( 17 ) Au titre de l’article 2, paragraphe 2, du règlement no 1305/2013, un État membre ou une région peut choisir d’appliquer (dans le programme de développement rural) une définition autre que celle figurant au paragraphe 1, sous r), de ce règlement fondée sur le droit national ou le système d’inventaire en vigueur.

( 18 ) À titre d’exemple, je constate que l’annexe I de la directive « habitats », qui introduit la liste des types d’habitats naturels d’intérêt communautaire dont la conservation nécessite la désignation de zones spéciales de conservation, d’une part, distingue les « tourbières », figurant sous le code 7, des « forêts », figurant sous le code 9, et, d’autre part, inclut certains types de tourbières, à savoir les « tourbières boisées », parmi les « forêts de l’Europe tempérée », sous le code 91D0.

( 19 ) Par ailleurs, j’observe qu’un classement de telles zones, opéré selon la réglementation de l’Union ou nationale, n’est pas « définitif », puisque la morphologie d’un terrain peut changer, notamment à la suite d’une intervention humaine. À titre d’exemple, je citerai le considérant 81 de la directive (UE) 2018/2001 du Parlement européen et du Conseil, du 11 décembre 2018, relative à la promotion de l’utilisation de l’énergie produite à partir de sources renouvelables (JO 2018, L 328, p. 82),
qui prévoit explicitement la possibilité que des tourbières soient transformées en zones agricoles. S’agissant de la question des changements indirects dans l’affectation des sols, ce considérant précise qu’« [u]n changement indirect dans l’affectation des sols se produit lorsque des cultures aux fins de la production de biocarburants, de bioliquides et de combustibles issus de la biomasse entraînent le déplacement de cultures traditionnelles destinées à l’alimentation humaine ou animale. Cette
demande supplémentaire intensifie la pression qui s’exerce sur les terres et peut se traduire par une extension des terres agricoles vers des zones présentant un important stock de carbone, telles que les forêts, les zones humides et les tourbières [...] » (mise en italique par mes soins).

( 20 ) Sans vouloir empiéter sur les compétences de la juridiction de renvoi s’agissant de l’interprétation du droit national, je me limiterai à constater que la réglementation nationale évoquée par cette juridiction semble considérer, au moins implicitement, que les tourbières font partie des terres forestières, lorsqu’elle établit, au point 56 du décret no 171, que « [l]es surfaces admissibles pour l’aide au titre de cette mesure sont les terres forestières (à l’exclusion des tourbières) » (mise
en italique par mes soins). Toutefois, selon les observations du gouvernement letton lors de l’audience, il semblerait que la législation lettone ait adopté une définition de « tourbière » incompatible avec celle de « forêt », ce qui a été contesté par la Commission.

( 21 ) Je relève que, aux termes du point 58 du décret no 171, le législateur letton a limité les paiements à certaines restrictions relatives à l’activité forestière, à savoir les interdictions d’activités d’exploitation forestière et de procéder à certaines coupes.

( 22 ) Mise en italique par mes soins.

( 23 ) J’observe, par exemple, que l’annexe II de la directive 2011/92/UE du Parlement européen et du Conseil, du 13 décembre 2011, concernant l’évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l’environnement (JO 2012, L 26, p. 1) distingue, d’une part, les projets concernant l’exploitation des tourbières comme « industrie extractive » et, d’autre part, les projets concernant l’agriculture, la sylviculture et l’aquaculture.

( 24 ) La juridiction de renvoi se réfère, sur ce point, à l’arrêt du 30 mars 2017, Lingurár (C‑315/16, EU:C:2017:244).

( 25 ) Voir point 31 des présentes conclusions.

( 26 ) Voir, notamment, article 6, paragraphe 1, et considérant 7 du règlement no 1305/2013. En outre, aux termes de l’article 10 de ce règlement, la Commission se limite à approuver des programmes qui lui sont soumis par les États membres.

( 27 ) Arrêt du 30 mars 2017 (C‑315/16, EU:C:2017:244).

( 28 ) Voir arrêt du 30 mars 2017, Lingurár (C‑315/16, EU:C:2017:244, points 26 à 30).

( 29 ) Voir, en ce qui concerne le principe de proportionnalité, arrêt du 30 mars 2017, Lingurár (C‑315/16, EU:C:2017:244, point 29 et jurisprudence citée).

( 30 ) Voir note en bas de page 20 des présentes conclusions. Lors de l’audience, la Commission a exclu que le législateur letton ait adopté une définition d’une « forêt » au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous r), du règlement no 1305/2013, tandis que, selon les observations du gouvernement letton, il semblerait que la législation lettone ait adopté une définition d’une « tourbière » incompatible avec celle de « forêt ».

( 31 ) Voir, en ce sens, arrêt du 22 avril 2021, Profi Credit Slovakia (C‑485/19, EU:C:2021:313, point 37 et jurisprudence citée).

( 32 ) Voir arrêt du 15 janvier 2013, Križan e.a. (C‑416/10, EU:C:2013:8, point 113 et jurisprudence citée).

( 33 ) Voir arrêt du 15 janvier 2013, Križan e.a. (C‑416/10, EU:C:2013:8, point 114 et jurisprudence citée).

( 34 ) Par ailleurs, je doute que Sātiņi-S, qui avait acquis ces biens en connaissance des limitations préexistantes, puisse invoquer l’affectation même de son droit de propriété.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-234/20
Date de la décision : 09/09/2021
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Augstākā tiesa (Senāts).

Renvoi préjudiciel – Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) – Règlement (UE) no 1305/2013 – Soutien au développement rural – Article 30, paragraphe 6, sous a) – Paiements au titre de Natura 2000 – Indemnisation de la perte de revenus dans les zones agricoles et forestières – Tourbières – Interdiction de procéder à des plantations de canneberges – Absence d’indemnisation compensatoire – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Article 17 – Droit de propriété.

Agriculture et Pêche


Parties
Demandeurs : « Sātiņi-S » SIA.

Composition du Tribunal
Avocat général : Rantos

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2021:734

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