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12/05/2021 | CJUE | N°C-124/20

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. G. Hogan, présentées le 12 mai 2021., Bank Melli Iran contre Telekom Deutschland GmbH., 12/05/2021, C-124/20


 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GERARD HOGAN

présentées le 12 mai 2021 ( 1 )

Affaire C‑124/20

Bank Melli Iran, Aktiengesellschaft nach iranischem Recht

contre

Telekom Deutschland GmbH

[demande de décision préjudicielle formée par le Hanseatisches Oberlandesgericht Hamburg (tribunal régional supérieur de Hambourg, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Politique commerciale – Protection contre les effets de l’application extraterritoriale d’une législation adoptée par un pays tiers 

Mesures restrictives à l’encontre de la République islamique d’Iran – Sanctions secondaires adoptées par les États‑Unis d’Améri...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. GERARD HOGAN

présentées le 12 mai 2021 ( 1 )

Affaire C‑124/20

Bank Melli Iran, Aktiengesellschaft nach iranischem Recht

contre

Telekom Deutschland GmbH

[demande de décision préjudicielle formée par le Hanseatisches Oberlandesgericht Hamburg (tribunal régional supérieur de Hambourg, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Politique commerciale – Protection contre les effets de l’application extraterritoriale d’une législation adoptée par un pays tiers – Mesures restrictives à l’encontre de la République islamique d’Iran – Sanctions secondaires adoptées par les États‑Unis d’Amérique – Interdiction de se conformer à une telle législation – Exercice d’un droit ordinaire de résilier un contrat »

I. Introduction

1. La présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation du règlement (CE) no 2271/96 du Conseil, du 22 novembre 1996, portant protection contre les effets de l’application extraterritoriale d’une législation adoptée par un pays tiers, ainsi que des actions fondées sur elle ou en découlant (ci‑après la « loi de blocage de l’UE ») ( 2 ), tel que dernièrement modifié par le règlement délégué (UE) 2018/1100 de la Commission du 6 juin 2018 ( 3 ). Elle découle directement de la
décision de mai 2018 du président américain (de l’époque), Donald Trump, de se retirer, au nom des États‑Unis d’Amérique, de ce qui est communément connu comme étant l’« accord sur le nucléaire iranien », un accord qui avait été conclu auparavant en juillet 2015. Cette décision a eu pour effet de déclencher le rétablissement de certaines sanctions américaines à l’encontre de sociétés et autres entités iraniennes, dont l’application avait été suspendue en 2015.

2. Pour des raisons de politique étrangère et de sécurité nationale, notamment dans le cadre de la lutte contre le terrorisme, les États‑Unis d’Amérique ont imposé différents types de sanctions économiques contre des États, des particuliers ou des entités juridiques. Certaines de ces sanctions sont de longue date, tel l’embargo sur Cuba, qui avait été autorisé par le Foreign Assistance Act of 1961 (loi d’assistance étrangère de 1961) et codifié en 1996 par le Cuban Liberty and Democratic Solidarity
(Libertad) Act [loi sur la liberté cubaine et la solidarité démocratique (Libertad)]. Depuis le 11 septembre 2001 et l’intensification de la lutte contre le terrorisme, le programme de sanctions économiques américain a crû.

3. Alors que ces sanctions s’appliquent essentiellement aux personnes américaines et non américaines relevant de la juridiction des États‑Unis d’Amérique qui font du commerce avec les pays concernés ou y investissent (sanctions primaires), certaines des dispositions visent également des activités ne relevant pas de la juridiction des États‑Unis d’Amérique, essentiellement celles de sociétés étrangères (sanctions secondaires). En effet, une grande partie de la législation américaine mettant en œuvre
ces sanctions cherche soit à imposer des sanctions à des entités de pays tiers qui font du commerce avec l’État cible, soit à interdire à ces entités de pays tiers de faire à leur tour du commerce avec les États‑Unis d’Amérique ( 4 ).

4. Ces tentatives d’élargir la compétence extraterritoriale des États‑Unis d’Amérique ont historiquement été critiquées au niveau de l’Union européenne ( 5 ), étant donné que ces efforts équivalent typiquement à une forme de compétence exorbitante, que certains considèrent comme difficilement réconciliable avec les principes généraux du droit public international ( 6 ). Il peut être relevé ici que l’article 21, paragraphe 1, et l’article 21, paragraphe 2, sous h), TUE enjoignent à l’Union européenne
de protéger et de promouvoir ce système de droit international. De plus, les milieux d’affaires européens ont contesté ce type de législation au motif qu’en pratique il affecte presque exclusivement les sociétés étrangères ( 7 ).

5. Pour toutes ces raisons, l’existence d’une telle législation avec des effets extraterritoriaux potentiellement considérables n’est pas passée inaperçue. En 1996, l’Union européenne a adopté la loi de blocage de l’UE, dont l’article 5, premier alinéa, interdit aux sociétés européennes de se conformer aux mesures américaines ( 8 ). Néanmoins, les tensions entre les deux régimes juridiques, qui sont au cœur de la présente procédure préjudicielle, sont sources de problèmes géopolitiques potentiels,
non seulement en termes de conflit de souveraineté, mais également en termes de barrières réglementaires concurrentes sur les marchés européen et américain. Comme le montrent de manière dramatique les faits de l’espèce, le fonctionnement de la loi de blocage de l’UE fait naître une série de problèmes juridiques non résolus jusqu’à ce jour et une variété de problèmes extrêmement pratiques, dont le fait que les sociétés européennes sont confrontées à des dilemmes impossibles – et très injustes –
causés par l’application de deux régimes juridiques différents et directement opposés n’est pas le moindre ( 9 ). Je ne peux m’empêcher de relever que la nature de ces dilemmes, ensemble avec l’absence de lignes directrices claires relatives à des problèmes juridiques importants découlant directement du fonctionnement de la loi de blocage de l’UE, est telle que le législateur de l’Union pourrait avantageusement revoir la manière dont cette loi opère actuellement.

6. En particulier, nombre de ces difficultés sont brusquement revenues au centre de l’attention à la suite de la décision de mai 2018 du président américain de l’époque, Donald Trump, de se retirer de l’accord sur le nucléaire iranien [formellement intitulé le Joint Comprehensive Plan of Action (plan d’action global commun)] conclu par la République islamique d’Iran et les pays de ce que l’on appelle de manière informelle le « P5 + 1 » à Vienne en juillet 2015 ( 10 ). Cela ne semble pas avoir été un
traité formel en tant que tel, mais plutôt un accord géopolitique entre les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies (les États‑Unis d’Amérique, la Fédération de Russie, la République populaire de Chine, le Royaume‑Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord et la République française) ensemble avec la République fédérale d’Allemagne et l’Union européenne, d’une part, et la République islamique d’Iran, d’autre part. Cet accord envisageait, entre autres,
que la République islamique d’Iran réduirait ses stocks d’uranium enrichi et de centrifugeuses et marquerait son accord à un programme d’inspection de routine en échange d’une levée graduelle de certaines sanctions économiques. Cet accord avait pour objet de s’assurer que la République islamique d’Iran ne réaliserait aucune ambition qu’elle aurait pu nourrir d’obtenir la capacité de fabriquer et de produire des armes nucléaires.

7. La décision du président Trump de se retirer de cet accord a entraîné consécutivement de nouvelles sanctions américaines. Cela a posé des difficultés considérables à certaines sociétés européennes majeures ( 11 ). Par conséquent, afin de prévenir les effets de cette réactivation des sanctions américaines dirigées contre des entités iraniennes après le retrait des États‑Unis d’Amérique du plan d’action global commun, l’Union européenne a ajouté la législation américaine relative au programme de
sanctions contre l’Iran à la liste des législations étrangères couvertes par la loi de blocage de l’UE.

8. Avant d’examiner ces questions, il convient tout d’abord d’exposer les dispositions applicables.

II. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

1. La loi de blocage de l’UE

9. Les sept premiers considérants de la loi de blocage de l’UE disposent :

« considérant que la Communauté a notamment pour objectif de contribuer au développement harmonieux du commerce mondial et à la suppression progressive des restrictions aux échanges internationaux ;

considérant que la Communauté s’efforce de réaliser, dans la plus large mesure possible, l’objectif de libre circulation des capitaux entre États membres et pays tiers, et notamment la suppression de toute restriction aux investissements directs, y compris les investissements immobiliers, à l’établissement, à la prestation de services financiers ou à l’admission de titres sur les marchés des capitaux ;

considérant qu’un pays tiers a promulgué certaines lois, certains règlements et certains autres instruments législatifs visant à réglementer les activités de personnes physiques ou morales relevant de la juridiction des États membres ;

considérant que, par leur application extraterritoriale, ces lois, règlements et autres instruments législatifs violent le droit international et empêchent la réalisation des objectifs précités ;

considérant que ces lois, règlements et autres instruments législatifs, ainsi que les actions fondées sur eux ou en découlant, affectent ou sont susceptibles d’affecter l’ordre juridique établi et lèsent les intérêts de la Communauté et ceux des personnes physiques ou morales exerçant des droits sous le régime du traité instituant la Communauté européenne ;

considérant que, dans ces circonstances exceptionnelles, il est nécessaire d’entreprendre une action au niveau de la Communauté afin de protéger l’ordre juridique établi, ainsi que les intérêts de la Communauté et ceux desdites personnes physiques ou morales, notamment en éliminant, en neutralisant, en bloquant ou en contrecarrant de toute autre manière les effets de la législation étrangère en cause ;

considérant que la demande de transmission d’informations au titre du présent règlement n’empêche pas un État membre de demander que des informations de même nature soient fournies à ses autorités ;

[…] »

10. L’article 1er, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE dispose :

« Le présent règlement a pour but d’assurer une protection contre l’application extraterritoriale des lois citées en annexe, y compris les règlements et autres instruments législatifs, et contre les actions fondées sur elles ou en découlant, ainsi que d’en contrecarrer les effets, lorsque cette application porte atteinte aux intérêts des personnes visées à l’article 11 qui effectuent des opérations de commerce international et/ou des mouvements de capitaux et des activités commerciales connexes
entre la Communauté et des pays tiers. »

11. L’article 4 de la loi de blocage de l’UE dispose :

« Aucune décision d’une juridiction ou d’une autorité administrative extérieure à la Communauté qui donne effet, directement ou indirectement, aux lois citées en annexe ou aux actions fondées sur elles ou en découlant n’est reconnue ou rendue exécutoire de quelque manière que ce soit. »

12. L’article 5 de la loi de blocage de l’UE dispose :

« Aucune personne visée à l’article 11 ne se conforme, directement ou par filiale ou intermédiaire interposé, activement ou par omission délibérée, aux prescriptions ou interdictions, y compris les sommations de juridictions étrangères, fondées directement ou indirectement sur les lois citées en annexe ou sur les actions fondées sur elles ou en découlant.

Selon les procédures prévues aux articles 7 et 8, une personne peut être autorisée à se conformer entièrement ou partiellement auxdites prescriptions ou interdictions dans la mesure où le non‑respect de celles‑ci léserait gravement ses intérêts ou ceux de la Communauté. Les critères pour l’application de la présente disposition sont fixés selon la procédure prévue à l’article 8. Lorsqu’il existe des éléments de preuve suffisants pour établir que le non-respect desdites prescriptions ou
interdictions causerait un dommage grave à une personne physique ou morale, la Commission soumet promptement au comité visé à l’article 8 un projet des mesures appropriées à prendre au titre du présent règlement. »

13. L’article 6 de la loi de blocage de l’UE dispose :

« Toute personne visée à l’article 11 qui exerce une activité visée à l’article 1er a le droit de recouvrer les indemnités, y compris les frais de justice, dues pour tout dommage qui lui a été causé du fait de l’application des lois citées en annexe ou des actions fondées sur elles ou en découlant.

Ce recouvrement peut se faire sur la personne physique ou morale ou toute autre entité qui a causé le dommage ou toute personne agissant en son nom ou en qualité d’intermédiaire.

[...] »

14. L’article 7 de la loi de blocage de l’UE dispose :

« Aux fins de l’application du présent règlement, la Commission :

[...]

b) accorde les autorisations dans les conditions énoncées à l’article 5 et, lorsqu’elle fixe les délais impartis au comité pour rendre son avis, tient pleinement compte des délais à respecter par les personnes qui doivent faire l’objet d’une autorisation ;

[...] »

15. L’article 8 de la loi de blocage de l’UE prévoit :

« 1.   Aux fins de l'application de l'article 7, point b) la Commission est assistée par le comité de la législation extraterritoriale. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée au paragraphe 2 du présent article. Ledit comité est un comité au sens du règlement (UE) no 182/2011 du Parlement européen et du Conseil [ ( 12 )].

2.   Lorsqu’il est fait référence au présent paragraphe, l’article 5 du règlement (UE) no 182/2011 s’applique. »

16. L’article 9 de la loi de blocage de l’UE dispose :

« Chaque État membre détermine les sanctions à imposer en cas d’infraction à toute disposition pertinente du présent règlement. Ces sanctions doivent être efficaces, proportionnées et dissuasives. »

17. L’article 11 de la loi de blocage de l’UE dispose :

« Le présent règlement s’applique à :

1) toute personne physique qui réside dans la Communauté et qui est un ressortissant d’un État membre ;

2) toute personne morale constituée en société dans la Communauté ;

3) toute personne physique ou morale visée à l’article 1er paragraphe 2 du règlement (CEE) no 4055/86 ( 13 );

4) toute autre personne physique qui réside dans la Communauté, à moins que cette personne ne se trouve dans le pays dont elle est un ressortissant ;

5) toute autre personne physique se trouvant dans la Communauté, y compris dans ses eaux territoriales et son espace aérien ou à bord de tout aéronef ou de tout navire relevant de la juridiction ou du contrôle d’un État membre, et agissant à titre professionnel. »

2. Le règlement d’exécution (UE) 2018/1101

18. L’article 4 du règlement d’exécution (UE) 2018/1101 de la Commission, du 3 août 2018, établissant les critères pour l’application de l’article 5, deuxième alinéa, du règlement no 2271/96 ( 14 ) dispose :

« Pour apprécier si un dommage grave serait causé aux intérêts protégés visés à l’article 5, deuxième alinéa, [de la loi de blocage de l’UE], la Commission tient notamment compte des critères non cumulatifs suivants, selon le cas :

a) la probabilité que l’intérêt protégé soit spécifiquement menacé, eu égard au contexte, à la nature et à l’origine du dommage causé à l’intérêt protégé ;

b) l’existence d’une enquête administrative ou judiciaire en cours contre le demandeur menée par le pays tiers qui est à l’origine de la législation extraterritoriale visée, ou d’un accord de règlement préalable avec ce pays tiers ;

c) l’existence d’un lien substantiel avec le pays tiers qui est à l’origine de la législation extraterritoriale visée ou des actions ultérieures ; il peut s’agir, notamment, de la possession de sociétés mères ou de filiales par le demandeur, ou de la participation de personnes physiques ou morales soumises au premier chef à la juridiction du pays tiers qui est à l’origine de la législation extraterritoriale visée ou des actions ultérieures ;

d) le fait que des mesures pourraient être raisonnablement prises par le demandeur pour éviter ou atténuer le dommage ;

e) les effets négatifs sur l’exercice de l’activité économique et, en particulier, la probabilité que le demandeur subisse des pertes économiques importantes, pouvant par exemple menacer sa viabilité ou entraîner un risque grave de faillite ;

f) la probabilité que l’activité du demandeur soit rendue excessivement difficile, en raison de la perte d’intrants ou de ressources essentiels ne pouvant être raisonnablement remplacés ;

g) la probabilité que la jouissance de ses droits individuels par le demandeur soit notablement entravée ;

h) l’existence d’une menace pour la sûreté, la sécurité, la protection de la vie et de la santé humaines et la protection de l’environnement ;

i) l’existence d’une menace pour la capacité de l’Union de mener à bien ses actions humanitaires, de développement et commerciales ou pour les aspects extérieurs de ses politiques intérieures ;

j) la sécurité de l’approvisionnement en biens ou services stratégiques au sein ou à destination de l’Union ou d’un État membre et l’incidence qu’aurait une réduction ou une interruption de cet approvisionnement ;

k) les conséquences pour le marché intérieur du point de vue de la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux, ainsi que pour la stabilité financière et économique ou les infrastructures essentielles de l’Union ;

l) les effets systémiques du dommage, et en particulier ses retombées dans d’autres secteurs ;

m) les répercussions sur le marché du travail d’un ou de plusieurs États membres et leurs effets transfrontières au sein de l’Union ;

n) et tout autre facteur pertinent. »

B.   Le droit américain

1. Les mesures relatives à l’Iran

19. Les États‑Unis d’Amérique ont adopté des législations prévoyant des sanctions pour la violation de ses embargos à l’encontre d’autres pays. Initialement, la loi de blocage de l’UE ne mentionnait toutefois que trois textes législatifs à son annexe, à savoir le National Defense Authorization Act for Fiscal Year 1993 (loi relative à l’autorisation au titre de la défense nationale pour l’exercice 1993), dont les conditions sont consolidées dans le titre I de la loi de 1996 sur la liberté cubaine et
la solidarité démocratique (Libertad), ainsi que l’Iran and Libya Sanctions Act 1996 (loi de 1996 relative aux sanctions à l’encontre de l’Iran et de la Libye).

20. La loi de 1996 sur la liberté cubaine et la solidarité démocratique (Libertad), dite « loi Helms-Burton », a été adoptée pour renforcer et poursuivre l’embargo américain à l’encontre de Cuba. Elle interdit l’exportation vers les États‑Unis de tout bien ou service d’origine cubaine ou contenant des matériaux ou des biens originaires de Cuba, que ce soit directement ou par l’intermédiaire de pays tiers ; les transactions commerciales impliquant des marchandises qui se trouvent ou se sont trouvées
à Cuba, qui ont été transportées depuis Cuba, ou qui ont transité par Cuba ; la réexportation vers les États‑Unis de sucre originaire de Cuba sans notification de la part de l’autorité nationale compétente de l’exportateur ; ou l’importation aux États‑Unis de produits à base de sucre sans avoir l’assurance que ces produits ne sont pas des produits cubains. De plus, cette législation gelait les avoirs cubains ainsi que les opérations financières avec la République de Cuba.

21. En particulier, les dispositions du titre III de cette loi prévoient à la fois un moyen de dissuader les investissements à Cuba et un recours pour ceux dont les biens ont été expropriés. Elles instituent en particulier une voie de recours pour les citoyens américains victimes des pratiques d’expropriation de la République de Cuba en leur reconnaissant un droit de poursuivre devant les juridictions américaines tout ressortissant étranger coupable de « trafic » de propriété « confisquée » par le
gouvernement cubain le 1er janvier 1959 ou ultérieurement. La loi Helms-Burton définit le « trafic » de manière large, englobant une large catégorie d’activités liées à la propriété expropriée, y compris la vente ou la gestion de celle‑ci, ainsi que le fait de tirer bénéfice du trafic effectué par une autre personne ( 15 ).

22. La loi de 1996 relative aux sanctions à l’encontre de l’Iran et de la Libye, connue aussi sous le nom de « loi d’Amato-Kennedy », prévoit que les opérateurs économiques couverts par l’embargo contre l’Iran ou la Libye ne peuvent investir, au cours d’une période de douze mois, dans aucun de ces pays une somme supérieure à 40 millions d’USD « qui contribue directement et significativement à augmenter la capacité de l’Iran ou de la Libye à développer leurs ressources pétrolières ». Le terme
« investissement » couvre la conclusion d’un contrat pour ledit développement ou la fourniture de garanties, le fait d’en tirer un avantage ou l’acquisition d’une part de propriété.

23. En réaction à l’adoption de cette législation, outre la formulation de réprimandes politiques et l’adoption de la loi de blocage de l’UE, l’Union européenne a introduit une plainte dans le cadre du mécanisme de règlement des différends de l’Organisation mondiale du commerce, cherchant à faire constater l’illégalité d’un acte législatif américain en application de l’article XXI de l’accord général sur les tarifs douaniers et le commerce ( 16 ). Cette plainte a été ensuite retirée après que
l’Union européenne a conclu un mémorandum d’accord avec les États‑Unis d’Amérique sur la législation extraterritoriale américaine le 11 avril 1997.

24. Comme je l’ai déjà relevé, en mai 2018, les États‑Unis d’Amérique se sont retirés du plan d’action global commun, également connu sous le nom d’« accord sur le nucléaire iranien », signé à Vienne le 14 juillet 2015. Le plan d’action global commun visait à contrôler le programme nucléaire iranien et à lever les sanctions économiques frappant l’Iran. Ce retrait a relancé les Iran Transactions and Sanctions Regulations américains (ITSR) (règlements relatifs aux transactions et aux sanctions
concernant l’Iran). En réaction à ces nouvelles mesures de sanctions, l’annexe à la loi de blocage de l’UE a été modifiée en 2018 ( 17 ) aux fins d’y inclure davantage de législation américaine, principalement la législation visant à faire exécuter les sanctions à l’encontre de l’Iran. Le renvoi préjudiciel précise que la requérante a été incluse dans la Specially Designated Nationals and Blocked Person List (liste des ressortissants nationaux expressément identifiés et des personnes dont les
avoirs sont bloqués, ci‑après la « SDN ») tenue par l’OFAC, auquel il est fait référence dans différents textes législatifs mentionnés à l’annexe de la loi de blocage de l’UE.

25. Un de ces textes législatifs est l’Iran Threat Reduction and Syria Human Rights Act of 2012 (loi de 2012 relative à la réduction de la menace iranienne et aux droits de l’homme en Syrie). L’article 220(c) de cette loi prévoit que le président américain peut imposer des sanctions si une personne continue, en connaissance de cause et de manière directe, à fournir à la Banque centrale d’Iran ou à une institution financière iranienne des services de messagerie financière spécialisée ou à permettre
ou à faciliter sciemment un accès direct ou indirect à de tels services de messagerie.

26. L’autre texte législatif pertinent ajouté à l’annexe de la loi de blocage de l’UE sont les ITSR.

27. L’article 560.211 des ITSR, intitulé « Opérations interdites impliquant des avoirs bloqués », dispose :

« (a) Tout avoir et intérêt dans des avoirs du gouvernement iranien, y compris de la Banque centrale d’Iran, qui se trouve aux États‑Unis ou qui se retrouve ultérieurement aux États‑Unis, ou qui est possédé ou se retrouve ultérieurement en la possession ou sous le contrôle de toute personne des États‑Unis, y compris une filiale étrangère, sont bloqués et ne peuvent faire l’objet d’un transfert, d’un paiement, d’une exportation, d’un retrait ou de tout autre traitement.

(b) Tout avoir et intérêt dans des avoirs de toute institution financière iranienne, y compris de la Banque centrale d’Iran, qui se trouve aux États‑Unis ou qui se retrouve ultérieurement aux États‑Unis, ou qui est possédé ou se retrouve ultérieurement en la possession ou sous le contrôle de toute personne des États‑Unis, y compris une filiale étrangère, sont bloqués et ne peuvent faire l’objet d’un transfert, d’un paiement, d’une exportation, d’un retrait ou de tout autre traitement.

(c)(1) Tout avoir et intérêt dans des avoirs qui se trouve aux États‑Unis ou qui se retrouve ultérieurement aux États‑Unis, ou qui est possédé ou se retrouve ultérieurement en la possession ou le contrôle de toute personne des États‑Unis, y compris une filiale étrangère, des personnes suivantes sont bloqués et ne peuvent faire l’objet d’un transfert, d’un paiement, d’une exportation, d’un retrait ou de tout autre traitement :

(i) Toute personne désignée par le secrétaire au Trésor, en consultation avec le secrétaire d’État, possédée ou contrôlée par une personne dont les avoirs et les intérêts dans des avoirs sont bloqués en application des paragraphes (a) à (c)(1)(i) du présent article, ou qui a agi ou envisagé d’agir, directement ou indirectement, pour ou au nom de cette personne [...]

(d) Les interdictions visées aux paragraphes (a) à (c) du présent article incluent les interdictions des opérations suivantes, mais ne sont pas limitées à celles‑ci :

(1) Toute contribution à des fonds, biens ou services, ou fourniture de fonds, biens ou services, effectuée par toute personne dont les avoirs et les intérêts dans des avoirs sont bloqués en application des paragraphes (a) à (c) du présent article, ou effectuée à destination ou au bénéfice d’une telle personne.

(2) La réception de toute contribution à des fonds, biens ou services, ou fourniture de fonds, biens ou services, de la part de toute personne dont les avoirs et les intérêts dans des avoirs sont bloqués en application des paragraphes (a) à (c) du présent article. »

28. L’article 560.325 des ITSR, intitulé « Avoirs, intérêts sur des avoirs », prévoit :

« Les termes avoirs et intérêts sur avoirs incluent, sans y être limités, l’argent, les chèques, les effets, les lingots, les dépôts bancaires, les comptes d’épargne, les dettes, les créances, les obligations, les garanties, les actions, les coupons et tout autre instrument financier, les acceptations d’un banquier, les hypothèques, les gages, les privilèges ou autres droits ayant la nature d’une sûreté, les récépissés d’entrepôt, les connaissements, les quittances de fiducie, les actes de
vente, tout autre titre, titre de propriété ou de créance, les lettres de crédit et tout document relatif à tout droit ou obligation en relevant, les procurations, les biens, les marchandises, les biens et effets, les navires, les biens sur navire, les hypothèques immobilières, les actes constitutifs de fiducie, les accords de vente des vendeurs, les contrats fonciers, les baux, les redevances emphytéotiques, les biens immobiliers et les intérêts dans ceux‑ci, les options, les titres
négociables, les lettres de change, les redevances de droits d’auteur, les registres de comptes, les comptes créanciers, les jugements, les brevets, les marques ou droits d’auteur, les polices d’assurance, les coffres-forts et leur contenu, les rentes, les accords de mise en commun, les services de quelque nature que ce soit, les contrats de quelque nature que ce soit et toute autre propriété réelle, personnelle ou mixte, matérielle ou immatérielle, ou les intérêts ou les intérêts dans ces
dernières, présents, futurs ou éventuels. »

29. L’article 560.410 des ITSR, intitulé « Fourniture de services », énonce :

« [...]

(c) Les interdictions des opérations impliquant des avoirs gelés prévues à l’article 560.211 s’appliquent aux services effectués aux États‑Unis ou par des personnes américaines, où qu’elles se trouvent, y compris par une filiale étrangère d’une entité située aux États‑Unis :

[...]

(2) En ce qui concerne les intérêts dans des avoirs du gouvernement iranien, d’une institution financière iranienne ou de toute autre personne dont les avoirs et les intérêts dans des avoirs sont gelés en vertu de l’article 560.211.

[...] »

30. Dans la présente affaire, ni la juridiction de renvoi dans son renvoi préjudiciel, ni aucune des parties dans leurs observations n’a spécifié exactement quel texte législatif et quelles dispositions de ce dernier s’appliqueraient probablement à Deutsche Telekom GmbH si celle‑ci ne résiliait pas ses contrats avec Bank Melli Iran. Selon moi, les deux textes législatifs américains mentionnés ci‑dessus semblent être les seuls susceptibles d’avoir cet effet, bien que cela dépende des circonstances de
l’affaire.

31. S’agissant des sanctions monétaires, tant la loi d’Amato‑Kennedy que les ITSR font référence à l’article 206 de l’International Emergency Economic Powers Act (50 U.S.C. 1705) (loi relative aux pouvoirs économiques en cas d’urgence internationale). Cette loi prévoit que la sanction civile pour violation de ses dispositions (et donc pour violation des deux autres lois précitées) est d’un montant n’excédant pas le montant le plus élevé entre 250000 USD et le double du montant de l’opération qui est
la base de la violation au titre de laquelle la sanction est imposée. La loi relative aux pouvoirs économiques en cas d’urgence internationale prévoit également, en ce qui concerne les sanctions pénales, qu’une personne reconnue coupable d’une violation des dispositions applicables de cette loi (et donc des dispositions applicables de la loi d’Amato-Kennedy et des ITSR) doit être condamnée à une amende maximale de 1 million d’USD ou, dans le cas d’une personne physique, à une peine privative de
liberté n’excédant pas 20 ans, ou au deux peines ( 18 ).

2. La doctrine de la contrainte de la souveraineté étrangère en droit américain

32. La doctrine de la contrainte de la souveraineté étrangère (Foreign Sovereign Compulsion Doctrine) est un moyen de défense reconnu par la Cour suprême américaine en 1958 dans l’arrêt Société Internationale c. Rogers 357 U.S. 197 (1958) ( 19 ). Cette doctrine trouve son origine dans le principe du respect de la légalité, ainsi que dans le principe de courtoisie internationale, c’est‑à‑dire le respect du système légal d’un autre État souverain ( 20 ). Selon cette doctrine, qui a été appliquée
notamment dans le cas de règles antitrust ( 21 ), il est interdit pour un État ou une administration fédérale d’exiger d’une personne i) d’accomplir un acte dans un autre État qui est interdit par le droit de l’État dont elle est un ressortissant ; ou ii) de s’abstenir d’accomplir un acte dans un autre État qui est requis par le droit de cet État ou par le droit de l’État dont elle est un ressortissant.

33. Toutefois, s’agissant de son application dans le cadre des lois de blocage adoptées par le Canada, le Royaume‑Uni et l’Unioneuropéenne, la US District Court for the Eastern District of Pennsylvania (tribunal fédéral des États‑Unis d’Amérique du district est de l’État de Pennsylvanie) a déclaré, dans l’arrêt United States v. Brodie, 174 F. Supp. 2d 294 (E.D.P. 2001), que les défendeurs dans cette affaire, qui avaient effectué avec la République de Cuba des transactions interdites par le droit
américain, ne pouvaient pas invoquer comme moyen de défense la doctrine de la contrainte de la souveraineté étrangère, et ce pour deux raisons ( 22 ). Premièrement, si la justification de cette doctrine est la déférence pour les lois d’un souverain étranger, il n’y a pas de place pour cette doctrine en matière pénale puisque la violation de l’ordre public américain l’emporte sur toute considération de courtoisie internationale. Deuxièmement, sans affirmer que cette doctrine ne pourrait jamais
soulever de préoccupations en matière de respect de la légalité dans un contexte pénal, la District Court américaine a jugé que cette affaire ne soulevait aucun problème de respect de la légalité car les diverses lois de blocage nationales en vigueur à cette époque au Canada, au Royaume‑Uni et dans l’Union européenne ne créaient pas d’obligation à charge d’une société de réaliser des opérations commerciales avec la République de Cuba. En effet, dans des affaires précédentes où ladite doctrine
avait été jugée applicable, des injonctions spécifiques avaient été prononcées par des juridictions étrangères à l’encontre des défendeurs, leur enjoignant spécifiquement de faire quelque chose. En l’absence de telles injonctions, la menace de poursuites n’existait pas. Or, de telles injonctions faisaient défaut dans l’affaire United States v. Brodie. Mais surtout, aucun élément de preuve n’avait été produit dans cette affaire quant au fait que les lois de blocage en cause obligeaient les
défendeurs à vendre leur produit à la République de Cuba. L’élément de contrainte requis par la doctrine de la contrainte de la souveraineté étrangère faisait donc défaut.

C.   Le droit allemand

34. D’après le gouvernement allemand, dans le cas des contrats de services dits « libres » (dont relèvent les contrats de fourniture de services de télécommunication) conclus pour une période indéterminée, chaque partie dispose, en vertu de l’article 620, paragraphe 2, du Bürgerliches Gesetzbuch (code civil, ci‑après le « BGB »), d’un droit de résiliation ordinaire, ce qui signifie qu’elle a le droit de résilier le contrat sans aucun motif particulier. Les délais de préavis et d’échéance applicables
sont définis à l’article 621 du BGB, qui en prévoit différents selon le type d’échéance (quotidienne, hebdomadaire, mensuelle, trimestrielle ou autre). À l’inverse, pour les contrats de services conclus pour une période déterminée, aucun droit de résiliation « ordinaire » n’est prévu par la loi. Ces contrats sont résiliés au terme du contrat, en application de l’article 620, paragraphe 1, du BGB. Comme ces règles sont des dispositions supplétives, les parties peuvent y déroger. De plus, en
application de l’article 314 du BGB, tous les contrats à exécution continue, ce qui est le cas de nombreux contrats de prestations de services, peuvent être résiliés à tout moment pour des motifs graves.

35. L’article 134 du BGB dispose :

« Tout acte juridique pris en violation d’une interdiction légale est frappé de nullité si une autre conclusion ne ressort pas de la loi. » ( 23 )

36. Une violation de l’article 5, premier alinéa, [de la loi de blocage de l’UE] peut faire l’objet de poursuites en Allemagne en tant qu’infraction administrative au sens de l’article 19, paragraphe 4, première phrase, point 1, de l’Außenwirtschaftsgesetz (loi sur le commerce extérieur, ci‑après l’« AWG »), lu en combinaison avec l’article 82, paragraphe 2, de l’Außenwirtschtsverordnung (règlement relatif au commerce extérieur), et est passible d’une amende pouvant aller jusqu’à 500000 euros
(article 19, paragraphe 6, de l’AWG) ( 24 ).

III. Les faits de la procédure au principal et la demande de décision préjudicielle

37. La requérante, Bank Melli Iran, est une banque iranienne, ayant la forme d’une société anonyme de droit iranien. Elle a une succursale à Hambourg (Allemagne) et son activité principale consiste à conclure des opérations commerciales étrangères avec l’Iran. La défenderesse, Telekom Deutschland GmbH, est une filiale de Deutsche Telekom, un des fournisseurs allemands de services de télécommunications de premier plan. Le groupe emploie plus de 270000 personnes dans le monde, dont 50000 aux
États‑Unis, où environ 50 % de son chiffre d’affaires est réalisé.

38. La requérante et la défenderesse ont conclu un contrat-cadre qui autorise la requérante à regrouper l’ensemble de ses connexions dans différents sites en Allemagne dans un seul contrat. Dans le cadre de cette relation contractuelle, la requérante a commandé différents services que la défenderesse a mis à disposition et facturés mensuellement pour un montant d’environ 2000 euros, somme qui a toujours été payée sans retard. Les services régis par ces contrats constituent la base exclusive des
structures de communication interne et externe de la requérante en Allemagne et sont, par conséquent, comme établi par la juridiction de renvoi, indispensables à ses activités commerciales.

39. La décision du président Trump en mai 2018 par laquelle les États‑Unis se sont retirés du plan d’action global commun a réactivé les ITSR. En particulier, après l’adoption de l’Executive Order 13846 of August 6 2018, Reimposing Certain Sanctions With Respect to Iran (ordre exécutif 13846 du 6 août 2018, réimposant certaines sanctions contre l’Iran), Bank Melli Iran a été à nouveau placée sur une liste de personnes ciblées par des sanctions établies par l’OFAC : la liste SDN. Bank Melli Iran
figurait auparavant sur cette liste depuis 2007, après avoir été qualifiée de « personne bloquée » par l’OFAC en application de l’Executive Order 13382 of June 28 2005, Blocking Property of Weapons of Mass Destruction Proliferators and Their Supporters (ordre exécutif 13382 du 28 juin 2005, bloquant les avoirs des proliférateurs d’armes de destruction massive et de leurs soutiens) ( 25 ), avant que ces sanctions ne soient levées à la suite du plan d’action global commun. Ces nouvelles sanctions
sont entrées en vigueur le 5 novembre 2018.

40. Par lettre du 16 novembre 2018, la défenderesse a notifié la résiliation de tous les contrats la liant à la requérante, avec effet immédiat. Le même jour, elle a envoyé des lettres de résiliation identiques à au moins quatre autres clients ayant des liens avec l’Iran et basés en Allemagne. La requérante a introduit un recours contre la défenderesse invoquant une violation de la loi de blocage de l’UE et, le 28 novembre 2018, la juridiction de première instance, le Landgericht Hamburg (tribunal
régional de Hambourg, Allemagne) a enjoint à la défenderesse d’exécuter les contrats jusqu’à l’expiration du délai de préavis pour résiliation ordinaire.

41. Par lettre du 11 décembre 2018, la défenderesse a envoyé une autre lettre de résiliation. Cette lettre indiquait, entre autres, ceci : « [...] par lettre du 16 novembre 2018, nous avions résilié avec effet immédiat les prestations mentionnées ci‑dessous. À titre de précaution, nous prononçons en outre par la présente la résiliation ordinaire de ces prestations dans les meilleurs délais ».

42. Les délais de préavis pour la résiliation ordinaire des contrats ont expiré, respectivement, le 25 janvier 2019, le 10 février 2019, le 13 mars 2019, les 10 et 25 septembre 2019, le 30 janvier 2020, le 22 août 2020 et le 7 janvier 2021. La réaction de la requérante a été de demander au Landgericht Hamburg (tribunal régional de Hambourg) d’ordonner à la défenderesse de laisser actives toutes les connexions convenues par contrat.

43. La juridiction de première instance a enjoint à la défenderesse d’exécuter les contrats jusqu’à l’expiration des délais de préavis ordinaires. Elle a déclaré que la résiliation ordinaire des contrats litigieux par la défenderesse était valable et, en particulier, ne violait pas l’article 5 de la loi de blocage de l’UE. Cette juridiction a rejeté le recours pour le surplus.

44. La requérante a fait appel de la décision du Landgericht Hamburg (tribunal régional de Hambourg) devant la juridiction de renvoi, le Hanseatisches Oberlandesgericht Hamburg (tribunal régional supérieur de Hambourg, Allemagne), faisant valoir que le préavis de résiliation ordinaire donné par la défenderesse viole l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE et devrait dès lors être qualifié d’« inopérant et sans effet » puisqu’il était motivé uniquement par le souci de la
défenderesse de respecter une des réglementations énumérées à l’annexe de cette loi. Se fondant sur la note d’orientation de la Commission, la défenderesse soutient que l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE ne modifie pas son droit à une résiliation ordinaire, qui ne dépend pas d’un motif de résiliation, étant donné que cet article lui permet de mettre un terme à sa relation commerciale avec la requérante à tout moment et quels que soient ses motifs.

45. Dans ce contexte, la juridiction de renvoi a fait observer, premièrement, que la requérante n’a pas établi que la résiliation des contrats avait été précédée d’une injonction directe ou indirecte officielle ou judiciaire en provenance des États‑Unis d’Amérique. Or, il se trouve qu’une autre juridiction d’appel allemande, l’Oberlandesgericht Köln (tribunal régional supérieur de Cologne, Allemagne), dans un arrêt du 7 février 2020, a jugé que, dans une telle situation, l’article 5, premier alinéa,
de la loi de blocage de l’UE ne serait pas applicable. Pour sa part, la juridiction de renvoi considère que la simple existence de sanctions secondaires suffit pour établir une violation dudit article 5, premier alinéa, puisque c’est l’unique moyen d’assurer l’effectivité de l’obligation imposée.

46. Deuxièmement, la juridiction de renvoi fait observer que la résiliation (ordinaire) d’un contrat viole l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE lorsque son motif déterminant est le respect des sanctions américaines. Toutefois, la résiliation ordinaire des contrats ne violerait pas le premier alinéa de cet article 5, si elle est motivée par des raisons purement économiques n’ayant aucun rapport concret avec les sanctions américaines. Par conséquent, la juridiction de renvoi
aurait à se prononcer sur le point de savoir si, aux fins d’assurer l’effectivité de cet article, il ne serait pas approprié de considérer que la défenderesse doit exceptionnellement expliquer les raisons de la résiliation, ou même, le cas échéant, démontrer que la décision de résilier les contrats n’a pas été adoptée par peur de répercussions éventuellement négatives sur le marché américain.

47. Troisièmement, la juridiction nationale considère que, en vertu de l’article 134 du BGB, une résiliation d’un contrat qui viole l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE est dénuée d’effet juridique. Cela étant, elle se demande si, au vu du risque de préjudice économique pour la défenderesse, qui réalise 50 % de son chiffre d’affaires sur le marché américain, il pourrait être considéré comme étant contraire au principe de proportionnalité des sanctions, prévu à l’article 9 de la
loi de blocage de l’UE, d’exiger de la défenderesse de poursuivre sa relation commerciale avec la requérante en plus d’imposer une amende pécuniaire.

48. Quatrièmement, la juridiction de renvoi souligne que, conformément à son préambule, la loi de blocage de l’UE vise à protéger les opérateurs économiques. Toutefois, elle considère que cet objectif ne pourrait pas être atteint étant donné que le risque de préjudice économique sur le marché américain résultant de l’application de l’article 5, premier alinéa, de cette loi n’est pas suffisamment compensé par le droit au recouvrement régi à l’article 6 de ladite loi et par la possibilité d’obtenir
une autorisation de déroger à la loi de blocage de l’UE en application du second alinéa dudit article 5 dans la mesure où des pertes économiques imminentes à elles seules pourraient ne pas fournir une base suffisante pour une exemption. Dans ces circonstances, la juridiction nationale se demande si une mesure interdisant à une entreprise de se séparer d’un partenaire commercial est compatible avec la liberté d’entreprendre protégée par l’article 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne (ci-après la « Charte ») et le principe de proportionnalité consacré à l’article 52 de cette Charte.

49. Dans ces circonstances, le Hanseatisches Oberlandesgericht Hamburg (tribunal régional supérieur de Hambourg) a décidé de suspendre la procédure et de saisir la Cour des questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 5, premier alinéa, [de la loi de blocage de l’UE] s’applique-t-il uniquement si les États‑Unis d’Amérique adressent, directement ou indirectement, à un opérateur économique de l’Union européenne au sens de l’article 11 [de ladite loi] des instructions des autorités administratives ou judiciaires, ou suffit-il pour que cet article s’applique que l’action de l’opérateur économique de l’Union européenne vise, même en l’absence de telles instructions, à se conformer à des sanctions
secondaires ?

2) Dans l’hypothèse où la Cour devrait répondre à la première question dans le sens suggéré par la deuxième branche de l’alternative :

L’article 5, premier alinéa, [de la loi de blocage de l’UE] s’oppose‑t-il à une interprétation du droit national en ce sens que la personne qui prononce la résiliation peut résilier toute relation contractuelle s’inscrivant dans la durée avec un partenaire contractuel repris par l’[OFAC] américain dans la [liste SDN] – et ainsi prononcer une résiliation au motif de vouloir respecter des sanctions des États‑Unis d’Amérique – sans qu’il faille à cet effet un motif de résiliation et donc sans
devoir exposer et démontrer dans le cadre d’un procès civil que le motif de la résiliation ne serait en tout cas pas le souhait de respecter des sanctions des États‑Unis d’Amérique ?

3) Dans l’hypothèse où la Cour devrait répondre à la deuxième question par l’affirmative :

Une résiliation ordinaire violant l’article 5, premier alinéa, [de la loi de blocage de l’UE] doit-elle nécessairement être considérée comme dépourvue d’effet, ou l’objectif [de la loi] peut-il être également satisfait par d’autres sanctions comme l’imposition d’une amende ?

4) Dans l’hypothèse où la Cour répondrait à la troisième question dans le sens suggéré par la première branche de l’alternative :

En va-t-il ainsi au vu des articles 16 et 52 de la [Charte], d’une part, et de la possibilité d’accorder des dérogations au titre de l’article 5, second alinéa, [de la loi de blocage de l’UE], d’autre part, même lorsque l’opérateur économique de l’Union européenne risquerait, en poursuivant la relation commerciale avec le partenaire contractuel listé, de subir d’importantes pertes économiques sur le marché américain (en l’espèce 50 % du chiffre d’affaires du groupe) ? »

IV. Analyse

50. À titre préliminaire, je souhaiterais faire observer que, bien que certaines parties aient cité la note d’orientation de la Commission – Questions/réponses : adoption de l’actualisation de la loi de blocage du 7 août 2018 ( 26 ), ce document n’a ni une valeur normative contraignante, puisqu’il n’a pas été adopté selon une procédure prévue par les traités, ni ne peut avoir une valeur interprétative contraignante, dès lors que la compétence d’interpréter un acte adopté par les institutions de
l’Union, telle la loi de blocage de l’UE, est conférée par les traités à la seule Cour ( 27 ). Dans ces circonstances, je considère que ce document ne saurait être pris en considération pour l’examen des questions soulevées.

51. De même, dans la mesure où le règlement d’exécution 2018/1101 est une norme de rang inférieur, ses dispositions ne peuvent pas être prises en considération aux fins de l’interprétation des dispositions de la loi de blocage de l’UE ( 28 ).

52. Par conséquent, c’est à la seule lumière de la loi de blocage de l’UE et du droit primaire qu’il y a lieu d’examiner les questions déférées par la juridiction de renvoi.

A.   Sur la première question préjudicielle

53. Par sa première question, la juridiction nationale demande si l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’applique que lorsqu’une autorité administrative ou judiciaire d’un pays dont les lois et réglementations sont énumérées à l’annexe de cette loi a adressé, directement ou indirectement, des instructions à une personne visée à l’article 11 de ladite loi, ou s’il suffit, pour que ledit article 5, premier alinéa, s’applique, que
l’opérateur économique qui se trouve sur le territoire de l’Union se soit conformé spontanément à la législation extraterritoriale étrangère en question afin de prévenir l’application potentielle d’une telle législation.

54. À cet égard, il convient de rappeler que l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE prévoit qu’« aucune personne visée à l’article 11 ne se conforme, directement ou par filiale ou intermédiaire interposé, activement ou par omission délibérée, aux prescriptions ou interdictions, y compris les sommations de juridictions étrangères, fondées directement ou indirectement sur les lois citées en annexe ou sur les actions fondées sur elles ou en découlant ».

55. Ainsi qu’il ressort de ce libellé, l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE se réfère à des « sommations de juridictions étrangères » uniquement comme étant une des multiples « prescriptions ou interdictions » prévues par les lois énumérées à l’annexe de cette loi et que toute personne au sens de l’article 11 de ladite loi a l’interdiction de respecter ( 29 ). Cela implique que, à tout le moins, l’article 5 de la loi de blocage de l’UE ne s’applique pas seulement lorsque dans
les faits une autorité judiciaire a adressé une sommation ou une instruction. On pourrait également faire observer que cet article interdit de se conformer à toute « prescription » prévue dans une des lois spécifiées à l’annexe à la loi de blocage de l’UE, alors que le terme « prescription » se réfère, en droit, à une obligation imposée par tout type d’acte juridique, qu’il s’agisse d’un traité, d’une convention, d’une loi, d’une réglementation ou d’une décision de justice. À la lumière de ces
deux éléments, il est clair que le libellé de l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE appuie l’interprétation selon laquelle cette disposition s’applique même en l’absence d’instructions ou de sommations par une autorité administrative ou judiciaire ( 30 ).

56. Selon la jurisprudence établie de la Cour, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, il y a lieu de tenir compte de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie ( 31 ).

57. En ce qui concerne le contexte de l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE, on peut faire observer que chaque fois que cette loi prévoit une disposition exigeant l’existence d’une décision administrative ou judiciaire pour s’appliquer, elle se réfère expressément à ce type d’acte et non pas à des concepts plus généraux tels que celui de « prescription » ou d’« interdiction ». Par conséquent, étant donné que l’article 5 de cette loi est rédigé en des termes comparativement plus
larges, je suis persuadé que cette disposition ne s’applique pas uniquement lorsqu’une autorité administrative ou judiciaire d’un pays dont les lois et les réglementations sont citées à l’annexe de la loi de blocage de l’UE a adressé, directement ou indirectement, des instructions à une personne visée à l’article 11 de ladite loi. De plus, étant donné que l’article 4 de la loi de blocage de l’UE exclut la possibilité que des instructions données par une autorité administrative ou judiciaire
située en dehors de l’Union puissent produire des effets au sein de l’Union, l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE serait dépourvu de toute portée autonome si cette disposition exigeait que les personnes visées à l’article 11 de cette loi aient reçu de telles instructions avant que cette disposition ne trouve à s’appliquer ( 32 ).

58. L’objectif poursuivi par la loi de blocage de l’UE tend aussi à confirmer la portée large qui doit être reconnue à l’article 5 de ladite loi.

59. Premièrement, il ressort des quatrième à sixième considérants de la loi de blocage de l’UE que celle‑ci a été adoptée en réaction aux effets produits par les lois citées à son annexe. En particulier, il peut être déduit de son cinquième considérant que ce sont ces lois en elles‑mêmes, et non pas uniquement les actions prises sur leur fondement, qui sont susceptibles d’affecter l’ordre juridique international établi, que l’Union s’est donné pour mission de défendre, et qui lèsent ses intérêts et
ceux des personnes physiques ou morales exerçant des droits au titre du régime du droit de l’Union.

60. Deuxièmement, il ressort du septième considérant de la loi de blocage de l’UE que celle‑ci vise à protéger les personnes physiques ou morales dont les intérêts sont affectés par les actes précités, ce qui est supposé être fait, conformément au sixième considérant, « en éliminant, en neutralisant, en bloquant ou en contrecarrant de toute autre manière les effets de la législation étrangère en cause » ( 33 ). Il ressort donc clairement de ce dernier considérant que l’objectif est de contrecarrer
les effets de la législation étrangère elle‑même et non pas simplement les effets de décisions donnant effet aux obligations prévues dans ces lois.

61. Troisièmement, l’article 1er de la loi de blocage de l’UE, qui résume les objectifs poursuivis par cette loi, indique également qu’elle a pour objectifs de contrecarrer les effets des lois citées à son annexe et d’en protéger les opérateurs européens, et non pas uniquement leur application lorsqu’une autorité administrative ou judiciaire adresse une instruction, ainsi que le soutient la défenderesse. De tels objectifs ne pourraient pas être atteints si la loi de blocage de l’UE, et en
particulier le premier alinéa de son article 5, devait être interprétée comme ne couvrant que la situation où un opérateur économique a reçu une instruction formelle de la part d’une juridiction ou d’une autorité administrative ( 34 ). En effet, étant donné que les opérateurs économiques sont généralement considérés comme étant réticents à courir des risques, ceux qui sont zélés tendront à se conformer spontanément à la contrainte légale résultant de leur environnement juridique ( 35 ). Si
l’inverse était le cas, il y aurait un risque réel que, même en l’absence d’une instruction formelle de cesser les relations commerciales, des entités puissent néanmoins invoquer l’application potentielle de la législation américaine en matière de sanctions pour justifier la non‑exécution ou la résiliation de leurs obligations contractuelles. Dans ces circonstances, toute partie affectée de cette manière serait laissée sans recours au titre de la loi de blocage de l’UE au seul motif qu’elle ne
pourrait pas invoquer une instruction formelle à cet effet, même si les préoccupations relatives à l’application potentielle des sanctions étaient uniquement artificielles.

62. En toute hypothèse, étant donné que l’article 4 de la loi de blocage de l’UE s’applique clairement en vue d’empêcher l’exécution de toute décision d’une autorité judiciaire ou administrative fondée sur l’existence d’une législation relative à des sanctions même en l’absence d’une instruction à cet effet par toute autorité judiciaire ou administrative étrangère de ce type, l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE serait privé de toute portée autonome si son application était
subordonnée à l’exigence que les personnes visées à l’article 11 de cette loi aient reçu une telle instruction.

63. En outre, les lois énumérées à l’annexe de la loi de blocage de l’UE n’obligent pas les autorités administratives ou judiciaires en charge de la mise en œuvre desdites lois d’adresser des instructions pour mettre en demeure tout cocontractant d’une entreprise visée par des sanctions primaires de se conformer à ces mêmes lois avant de pouvoir lui imposer une sanction. Par conséquent, ces lois génèrent un risque judiciaire pour les personnes visées à l’article 11 de la loi de blocage de l’UE dès
le moment où elles deviennent pleinement applicables. C’est donc à partir de ce moment que ces opérateurs devront décider s’ils doivent chercher à éviter ce risque en se désengageant des marchés concernés (ou en les évitant) (stratégie d’évitement) ou s’ils doivent chercher à réduire ce risque en se conformant à cette législation par des moyens appropriés qui, en pratique, exigeront à tout le moins de ces sociétés qu’elles surveillent leurs transactions (stratégies de réduction) ( 36 ).

64. En pratique, de nombreuses grandes sociétés ont déjà mis en place des départements de « compliance » pour s’assurer que leurs actions sont conformes à de telles contraintes ( 37 ). En conséquence, ces sociétés, lorsqu’elles opèrent dans des pays potentiellement affectés par la législation mentionnée à l’annexe de la loi de blocage de l’UE, tendront à s’y conformer même en l’absence de toute instruction à cet effet. Par conséquent, afin de contrecarrer les effets d’une telle législation et de
protéger les sociétés européennes, il est nécessaire que l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE puisse s’appliquer même en l’absence d’une telle instruction formelle de la part d’une autorité administrative ou judiciaire du pays tiers visant à faire cesser les opérations commerciales. Certes, comme relevé par la défenderesse, l’article 1er de cette loi résume les objectifs poursuivis par ladite loi comme étant « d’assurer une protection contre l’application extraterritoriale
des lois citées en annexe [...] ainsi que d’en contrecarrer les effets » (italique ajouté par mes soins). Toutefois, je ne pense pas que le terme « application » employé à cet article 1er doit être compris, dans le contexte de la loi de blocage de l’UE, comme signifiant que cette loi exige, pour pouvoir être appliquée, une concrétisation des obligations prévues par les lois énumérées son annexe sous la forme d’une instruction judiciaire ou administrative de la part d’un État étranger. En effet,
cette disposition précise que la protection que ladite loi cherche à établir s’applique aussi à des actions fondées sur une telle législation ou, également, en résultant, ce qui implique, a fortiori, que cette protection est censée s’appliquer en premier lieu aux dispositions de cette loi. Par conséquent, je pense plutôt que ce terme est utilisé pour se référer à ce que le législateur de l’Union semble considérer comme étant un problème, à savoir, ainsi que cela ressort des troisième et
quatrième considérants de ladite loi, non pas le principe même des interdictions prévues, mais leur portée extraterritoriale.

65. À la lumière des considérations qui précèdent, je propose de répondre à la première question que l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE doit être interprété comme ne s’appliquant pas uniquement lorsqu’une autorité administrative ou judiciaire d’un pays dont les lois et réglementations sont citées à l’annexe de cette loi a adressé, directement ou indirectement, des instructions à une personne visée à l’article 11 de ladite loi. L’interdiction contenue dans cette disposition
s’applique par conséquent même lorsqu’un opérateur se conforme à une telle législation sans avoir reçu préalablement une injonction en ce sens de la part d’une administration étrangère ou d’un organe judiciaire.

B.   Sur la deuxième question préjudicielle

66. Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande en substance si l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE doit être interprété comme s’opposant à une interprétation d’une loi nationale selon laquelle une personne visée à l’article 11 de cette loi peut résilier une relation contractuelle s’inscrivant dans la durée avec un partenaire contractuel repris sur la liste SDN tenue par l’OFAC sans donner de motif à sa décision de résiliation.

67. Alors qu’il est admis que le droit des contrats allemand (en commun avec les systèmes juridiques de nombreux États membres) permet généralement aux opérateurs de résilier des relations contractuelles avec tout autre opérateur économique sans fournir de raison à cette décision, l’argument en cause ici est que, sauf à exiger de Telekom Deutschland qu’elle justifie la décision de résilier la relation contractuelle avec Bank Melli Iran, la juridiction de renvoi ne pourrait pas vérifier que cette
société a résilié cette relation pour une raison qui ne viole pas la loi de blocage de l’UE.

68. Avant de passer à l’examen du point de savoir si l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE devrait être interprété comme prévoyant une obligation, à charge d’une personne physique ou morale visée à l’article 11 de ladite loi, de fournir un motif lorsqu’elle résilie un contrat avec une partie reprise sur la liste SDN ou de justifier une telle résiliation, il est tout d’abord nécessaire de soulever la question de savoir si, dans des circonstances telles que celles de la procédure
au principal, le premier alinéa de cet article 5 , peut être invoqué par un cocontractant d’une telle personne ( 38 ).

1. La loi de blocage de l’UE s’applique-t-elle à une situation telle que celle en cause dans la procédure au principal ?

69. La question à examiner ici porte sur le point de savoir si l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE devrait être compris comme conférant à une personne le droit de se prévaloir de cette disposition afin d’empêcher un opérateur européen de violer cette disposition de sorte que, dans la procédure au principal, Bank Melli Iran pourrait invoquer cet article pour contester la résiliation du contrat en cause.

70. La première chose à relever est que l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE doit être interprété restrictivement dans la mesure où il affecte gravement la liberté d’entreprendre. En effet, si, par exemple, cet article pouvait être appliqué à la demande d’une entité privée telle que Bank Melli Iran, cela aurait pour effet d’obliger une autre entreprise européenne, telle Telekom Deutschland, de faire des affaires avec elle. Il s’agirait là d’une grave interférence dans les
libertés commerciales ordinaires.

71. Deuxièmement, la loi de blocage de l’UE ne contient aucune référence expresse à des droits que ce règlement conférerait à des personnes autres que celles visées à l’article 11 de cette loi. En particulier, on peut observer que, s’agissant de l’article 5, premier alinéa, de ladite loi, cette disposition vise à interdire un comportement général de la part des entreprises visées à l’article 11 de ce règlement, à savoir, se conformer à l’une des lois citées à son annexe. Étant donné la nature
générale de cette interdiction et le choix du législateur de l’Union d’adopter un règlement plutôt qu’une directive, si cette disposition visait à conférer des droits individuels, on aurait pu s’attendre à ce que le législateur de l’Union précise les circonstances spécifiques dans lesquelles une partie affectée par l’une des législations visées dans cette annexe peut invoquer l’interdiction édictée dans l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE afin de défendre ses propres
intérêts privés. Tel n’est toutefois pas le cas.

72. Troisièmement, l’article 9 de la loi de blocage de l’UE (qui est la seule disposition consacrée aux conséquences de la violation de cette loi) impose aux États membres l’obligation de prévoir des sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives en cas de violation de ladite loi. Il s’agit là d’une forme de terminologie – en particulier l’utilisation de l’adjectif « dissuasif » – qui se réfère d’ordinaire à l’application du droit par la sphère publique (public enforcement) plutôt que privée (
39 ).

73. Quatrièmement, l’article 5, second alinéa de la loi de blocage de l’UE, qui confère à la Commission le pouvoir d’autoriser des personnes à se conformer entièrement ou partiellement aux prescriptions ou interdictions prévues par la législation étrangère ou en résultant, ne prévoit pas que, lorsqu’elle décide d’accorder ou non une telle exemption, cette institution doive prendre en considération les intérêts de tiers, comme on aurait pu s’y attendre si la loi de blocage de l’UE était censée
reconnaître des droits aux personnes susceptibles d’être visées par les législations listées dans l’annexe de la cette loi ( 40 ).

74. Hormis ces arguments tirés du libellé et du contexte de l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE, peut-être l’argument le plus fort en faveur d’une interprétation selon laquelle celle‑ci pose simplement une règle de police économique et ne confère pas de droits aux parties contractantes réside dans les objectifs de la loi de blocage de l’UE ( 41 ). En effet, ces objectifs consistent, après tout, non pas à protéger les sociétés de pays tiers directement visées par les mesures
américaines, mais, ainsi que le prévoit l’article 1er de cette loi, à contrer les effets des lois visées ainsi qu’à protéger les sociétés européennes, et indirectement, les souverainetés nationales des États membres contre cette législation contraire au droit international ( 42 ). Si Bank Melli Iran pouvait faire appliquer l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE via une action privée du type de celle en cause ici, cela pourrait être vu comme violant les objectifs de cette loi
qui sont de protéger les sociétés européennes (et non pas les sociétés visées par les sanctions primaires), parce que cela les place dans une situation non enviable et pratiquement impossible ( 43 ).

75. Tout en reconnaissant le poids de ces considérations, je me sens néanmoins obligé, pour ma part, de conclure que l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE doit être interprété comme conférant de tels droits à des tiers tels que Bank Melli Iran.

76. Le point de départ ici est le ton impératif des termes introduisant l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE elle‑même (« Aucune personne visée à l’article 11 ne se conforme [...] aux prescriptions ou interdictions [...] fondées [...] sur les lois citées en annexe ou sur les actions fondées sur elles ou en découlant. »). Comme si ce langage catégorique et sans compromis ne suffisait pas, le législateur de l’Union a puisé profondément dans l’arsenal du vocabulaire juridique pour
s’assurer de la pleine efficacité de cette interdiction (« directement ou par filiale ou intermédiaire interposé, activement ou par omission délibérée, [...] fondées directement ou indirectement sur les lois citées en annexe ou sur les actions fondées sur elles ou en découlant. »).

77. Les objectifs politiques poursuivis par cette disposition sont précisés dans les considérants. Ils incluent la conviction (exposée aux troisième, quatrième et cinquième considérants) que ce type de législation extraterritoriale viole le droit international et compromet le fonctionnement efficace du marché intérieur. Le sixième considérant indique que, dans ces circonstances exceptionnelles, il est nécessaire de protéger « l’ordre juridique établi, ainsi que les intérêts de [l’Union] et ceux
[des] personnes physiques ou morales » exerçant les droits tirés du traité, « en éliminant, en neutralisant, en bloquant ou en contrecarrant de toute autre manière les effets de la législation étrangère en cause ».

78. Par conséquent, il appartient à la Cour de donner effet à ce choix politique qui est reflété dans les considérants et les dispositions normatives de la loi de blocage de l’UE et que le législateur de l’Union a prescrit en les termes les plus intransigeants et catégoriques ( 44 ). En effet, si un droit d’agir n’était pas reconnu en faveur de Bank Melli Iran, l’effet net en serait que la mise en œuvre de la politique exprimée dans l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE
reposerait uniquement sur la volonté des États membres ( 45 ) et, indirectement, sur la Commission.

79. Cela signifierait, à son tour, que, par exemple, dans les États membres peu enclins à veiller au respect de la loi de blocage de l’UE, un important opérateur économique tel que Telekom Deutschland pourrait décider ouvertement de se conformer au régime de sanctions américaines en résiliant le contrat conclu avec Bank Melli Iran.

80. Dans ce cas, d’autres feraient certainement de même et l’ensemble de la politique publique sous-tendant la loi de blocage de l’UE pourrait être rapidement ébranlée par une situation dans laquelle de nombreuses entités européennes auraient discrètement décidé de se conformer (même indirectement) à ces sanctions. Dans ces circonstances, la menace de sanctions « dissuasives » prévues dans les lois des États membres, envisagée à l’article 9 de la loi de blocage de l’UE, serait vraisemblablement
creuse et l’Union et ses États membres en seraient réduits, tout comme le Roi Lear de Shakespeare, à déclarer que « les choses qu’[ils feront], ce qu’elles sont, [ils] ne le [savent] pas encore, mais ce seront les terreurs de la Terre ».

81. Il est vrai que l’une des conséquences de cette interprétation est qu’une entité étrangère – telle que Bank Melli Iran – obtiendra collatéralement le bénéfice de ce droit de recours au détriment d’une entité européenne – telle que Telekom Deutschland – qui sera ensuite obligée de rester contractuellement liée à un client qu’elle ne désire plus. Toutefois, aussi insatisfaisant que cela puisse sembler à certains, je ne vois pas d’autres alternatives si la Cour doit faire respecter les objectifs de
politique publique auxquels l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE est censé donner effet.

82. Cela peut peut-être être analysé d’une autre manière. Supposons, par exemple, qu’une société américaine ait obtenu aux États‑Unis une décision de justice à l’encontre de Bank Melli Iran et que cette décision de justice fût basée « directement ou indirectement » sur le régime de sanctions américain. Supposons en outre que la société américaine cherche ensuite à faire exécuter cette décision de justice devant les juridictions allemandes. Pourrait-il être soutenu que Bank Melli Iran n’aurait pas le
droit de saisir ces juridictions pour suspendre ces procédures d’exécution en vertu de l’article 4 de la loi de blocage de l’UE, même si (comme en l’espèce) cette disposition ne dit rien quant au droit des entités non européennes d’introduire un recours de ce type ?

83. Je pense que poser la question c’est y répondre et que la même chose peut également être dite à propos des droits de tiers au regard de l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE.

2. L’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE peut‑il être interprété en ce sens qu’il impose une obligation aux personnes visées à l’article 11 de cette loi de fournir des motifs ab initio lorsqu’elles résilient une relation contractuelle avec une personne visée par des sanctions primaires ?

84. Dès le départ, il convient de relever que cette question doit être envisagée dans le contexte du droit allemand, qui autorise des personnes dans la situation des parties à la procédure au principal à exercer, en vertu de la liberté contractuelle, le droit ordinaire de résilier tout contrat à durée indéterminée, sans requérir l’existence ou l’identification d’un motif de résiliation. Par conséquent, la deuxième question doit être comprise comme portant essentiellement sur le point de savoir si
l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE oblige les États membres à reconnaître une exception à cette liberté contractuelle lorsque le contrat a été conclu avec une personne visée par des sanctions primaires, en vertu de quoi, dans cette circonstance particulière, un motif doit être avancé pour vérifier si la résiliation est motivée par l’existence des lois énumérées à l’annexe de ladite loi et, partant, pour donner à cette disposition un effet utile.

85. Il est vrai qu’il n’y a rien dans le texte spécifique de l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE en particulier ou dans cette loi en général pour appuyer l’opinion selon laquelle ladite loi impose une obligation de fournir une justification à la résiliation d’une relation commerciale avec une personne visée par des sanctions primaires. Je considère néanmoins qu’une telle obligation doit nécessairement être déduite des objectifs poursuivis par la loi de blocage de l’UE,
essentiellement pour l’ensemble des raisons que je viens de fournir quant à l’existence d’un droit de recours pour faire respecter l’article 5, premier alinéa, de cette loi. Dans le cas contraire, une entité pourrait discrètement décider de donner effet à la législation américaine en matière de sanctions en gardant un silence opaque ne permettant pas de connaître ses motifs ni de contrôler (effectivement) ses méthodes ( 46 ), ce qui compromettrait et viderait de leur substance les principaux
objectifs énoncés dans les considérants et l’article 5, premier alinéa, de ladite loi.

86. C’est essentiellement ce qui semble s’être produit en l’espèce. Le fait que Telekom Deutschland a cherché à résilier son contrat avec Bank Melli Iran (et, ainsi que l’a fait observer la juridiction de renvoi, a écrit une lettre aux termes plus ou moins identiques à quatre autres clients, qui avaient chacun d’importantes connexions avec l’Iran) dans un délai de deux semaines avant l’entrée en vigueur des sanctions américaines renouvelées pourrait être considéré comme parlant de lui‑même, bien que
la déduction appropriée qui peut en être tirée relève bien entendu, en dernier ressort, de la juridiction de renvoi. Assurément, l’absence de justification suggère que Telekom Deutschland a décidé que, plutôt que de risquer d’être exposée à l’application des sanctions américaines (avec les risques afférents d’importantes amendes, de perturbations de ses activités commerciales et d’un important préjudice porté à sa réputation), elle donnerait en pratique effet à ces sanctions, quoique
l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE ait prévu le contraire.

87. Il convient de reconnaître, bien entendu, qu’il existe de nombreuses sociétés et de nombreux particuliers qui éprouvent des scrupules et des réserves éthiques à entretenir des relations commerciales avec des États comme la République islamique d’Iran (et, par extension, avec de grandes entités iraniennes telles que Bank Melli Iran, qui sont effectivement contrôlées par le gouvernement iranien) : ses ambitions nucléaires ; ses tentatives de déstabiliser d’autres gouvernements dans la région ; sa
volonté de mener des guerres par procuration, souvent en finançant et appuyant des groupes terroristes à cet effet ; son fondamentalisme religieux et son intolérance générale par rapport à la dissidence ; son traitement discriminatoire des femmes et des minorités, ainsi que son usage irréfléchi de la peine de mort souvent à la suite de jugements sommaires et – selon nos normes, à tout le moins – profondément inéquitables, sont toutes des caractéristiques de cet État que de nombreuses personnes
trouvent, de manière compréhensible, pénibles et hautement critiquables. Le droit d’une entreprise de décider, selon son propre sens éthique des valeurs professionnelles, de ne pas entretenir de relations commerciales avec des régimes de cette nature est, bien entendu, un élément clé de la liberté de conscience protégée par l’article 10, paragraphe 1, de la Charte et de la liberté d’entreprise au sens de l’article 16 de la Charte.

88. Toutefois, afin d’établir que les raisons avancées pour toute décision de résiliation d’un contrat sur ce fondement étaient en fait sincères, la personne visée à l’article 11 de la loi de blocage en question – en l’espèce Telekom Deutschland – devrait, selon moi, démontrer qu’elle est activement engagée, de manière cohérente et systématique, dans une politique de responsabilité sociale d’entreprise (RSE), qui l’oblige notamment à refuser de négocier avec toute société ayant des liens avec le
régime iranien ( 47 ).

89. En toute hypothèse, il ressort toutefois des termes fermes de l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE que, en principe, à tout le moins une entreprise cherchant à résilier un contrat normalement valable conclu avec une entité iranienne visée par des sanctions américaines doit démontrer, et convaincre la juridiction nationale, qu’elle ne l’a pas fait par souci de se conformer à ces sanctions.

90. À cet égard, comme je l’ai déjà indiqué, l’obligation de la défenderesse ne consiste pas simplement à fournir les motifs de la décision, mais également à la justifier. En effet, pour l’ensemble des raisons que j’ai mentionnées, l’effet utile de l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE serait compromis si les personnes concernées étaient autorisées à se cacher derrière une raison vaguement crédible pour leur décision ( 48 ). En particulier, selon moi, une personne visée à
l’article 11 de cette loi ne devrait pas pouvoir invoquer une clause de résiliation pour force majeure pour justifier la résiliation des relations contractuelles sans au moins démontrer que l’événement constitutif de la force majeure n’a pas de lien avec la législation américaine imposant des sanctions, citée à l’annexe de ladite loi ( 49 ). Toute autre conclusion compromettrait la capacité d’une entité affectée par la résiliation du contrat de faire valoir les droits conférés par la loi de
blocage de l’UE.

91. Cela étant, je ne méconnais pas le fait que, pour certains types de contrats, un contact personnel (intuitu personae) entre les parties contractantes peut être important, mais cela ne saurait en soi exclure l’exigence d’une justification de la résiliation. Au contraire, la spécificité de ces contrats et la relation qu’ils impliquent entre les parties peuvent précisément constituer une raison légitime pour justifier, en cas de changement de circonstances sans rapport avec les sanctions primaires,
la résiliation des contrats. En l’occurrence, il serait cependant très irréaliste de supposer que les présents contrats conclus entre les parties devraient être considérés de cette manière : au contraire, il s’agissait d’un contrat impersonnel négocié entre deux sociétés commerciales prévoyant la fourniture de services essentiels d’utilité publique par une entreprise de télécommunications de premier plan qui, en pratique, occupait une position dominante sur le marché pertinent de la fourniture
de tels services.

92. Cela étant, cette obligation de justifier la résiliation d’un contrat n’est pas distincte de l’obligation, au titre de l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE, incombant aux personnes visées à l’article 11 de cette loi de ne pas se conformer à la législation imposant des sanctions, énumérée à l’annexe de ladite loi. Elle vise plutôt la charge de la preuve et, partant, cette justification ne doit pas nécessairement être fournie à la date de la résiliation, mais pourrait, par
exemple, être également avancée à titre d’un moyen de défense à la suite de l’introduction d’une procédure judiciaire visant l’exécution de l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE.

93. Certes, selon la jurisprudence de la Cour, en l’absence d’harmonisation, les États membres sont libres de concevoir leurs propres règles procédurales régissant l’exécution du droit de l’Union. Toutefois, je ne pense pas que le principe d’autonomie procédurale puisse être appliqué lorsque, comme en l’espèce, la nécessité de garantir un « effet utile » impose une certaine répartition de la charge de la preuve ( 50 ). En effet, même à considérer que la charge de la preuve relève du droit
procédural ( 51 ) et non pas, comme cela semble être le cas dans certains États membres, du droit matériel, l’exigence d’assurer l’effectivité du droit de l’Union s’opposerait à ce que cette charge de la preuve soit modifiée de telle manière à rendre difficile l’application du droit de l’Union à un litige.

94. En droit de l’Union, si le principe qui prévaut est que la charge de la preuve pèse sur l’auteur de la demande ( 52 ), il est également admis que, dans certaines circonstances spécifiques, un renversement de la charge de la preuve puisse être nécessaire ( 53 ). C’est l’approche qui a été adoptée, par exemple, dans le cadre des directives anti-discrimination de l’Union européenne, un domaine où il est bien connu qu’il peut être difficile de fournir la preuve d’un comportement discriminatoire ( 54
).

95. S’agissant de l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE, les tiers éprouveront manifestement la plus grande difficulté à rassembler les éléments de preuve de ce que la décision de ne pas nouer ou de ne pas poursuivre des relations commerciales est la conséquence de la volonté d’une personne visée à l’article 11 de cette loi de se conformer au droit américain. Hormis le cas improbable où une personne visée dans cet article admettrait, par exemple, publiquement sa volonté de se
conformer à la législation citée à l’annexe de ladite loi, je ne vois pas quel élément de preuve pourrait être avancé par des requérants. Une concomitance de décisions mettant fin à des relations commerciales ou refusant de nouer des relations avec des personnes visées par des sanctions primaires ? Toutefois, en pratique, le secret des affaires fait qu’il est extrêmement difficile pour une société de connaître les décisions réellement adoptées par un fournisseur vis-à-vis d’autres sociétés ( 55
).

96. Dans ces circonstances, je considère que, lorsque, d’une part, un requérant a fourni des éléments de preuve de ce que la personne relevant de l’article 11 de la loi de blocage de l’UE, avec laquelle ce requérant souhaite nouer ou poursuivre des relations commerciales, peut se sentir concernée par l’un des textes législatifs mentionnés à l’annexe de cette loi et que, d’autre part, ce requérant a rempli les conditions prévues pour devenir ou rester un client de cette entreprise ( 56 ),
l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE a pour effet que la personne visée à l’article 11 de cette loi doit justifier sa décision commerciale de mettre fin au contrat en cause ou de refuser le requérant en tant que client ( 57 ).

97. Certes, un tel renversement de la charge de la preuve peut paraître à certains contraire à la liberté contractuelle. Toutefois, comme relevé par la Cour, l’exercice des libertés visées par la Charte n’est garanti que dans les limites de la responsabilité qu’encourt chaque ressortissant pour ses propres actes ( 58 ). De plus, il y a lieu de relever que la Cour a déjà jugé, à tout le moins dans le contexte du droit de la concurrence, que, à certaines conditions, une société peut être obligée de
contracter avec des tiers ( 59 ). Dans ces circonstances particulières, les motifs impérieux de politique publique, le maintien du droit international et la répugnance de l’Union européenne pour les législations extraterritoriales intrusives de ce type, qui, ainsi que nous l’avons déjà vu, sont tous reflétés ici dans les considérants ainsi que dans les dispositions de l’article 4 et de l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE, n’en exigent pas moins ( 60 ).

98. Par conséquent, en ce qui concerne la procédure devant les juridictions nationales, étant donné que Bank Melli Iran et Telekom Deutschland avaient déjà des relations commerciales et qu’aucune d’elles ne semble avoir modifié son activité commerciale (un élément qu’il incombe toutefois à la juridiction nationale de vérifier), je considère qu’il appartient à Telekom Deutschland d’établir qu’il existait une raison objective, autre que le fait que Bank Melli Iran était visée par des sanctions
primaires, pour résilier les contrats en cause et qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier la véracité de tels motifs. Il ressort clairement du libellé de l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE que c’est l’intention de l’opérateur économique de se conformer auxdites sanctions qui importe, indépendamment du point de savoir s’il est effectivement préoccupé par leur application.

99. À la lumière des considérations qui précèdent, je propose de répondre à la deuxième question que l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une interprétation du droit national selon laquelle une personne visée à l’article 11 de cette loi peut résilier une relation contractuelle s’inscrivant dans la durée avec un partenaire commercial repris par l’OFAC sur la liste SDN sans jamais avoir à justifier une telle décision.

C.   Sur les troisième et quatrième questions préjudicielles

100. Par ses troisième et quatrième questions, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE doit être interprété en ce sens que, en cas de non‑respect des dispositions de cet article, les tribunaux saisis par une partie contractante faisant l’objet de sanctions primaires sont tenus d’enjoindre à une personne visée à l’article 11 de cette loi de maintenir cette relation contractuelle, même si, premièrement, l’article 5, second alinéa, de
ladite loi doit être interprété de manière restrictive, deuxièmement, une mesure d’injonction est susceptible de violer l’article 16 de la Charte et, troisièmement, une telle personne est passible de lourdes sanctions par les autorités responsables de l’application d’une des lois citées à l’annexe de la loi de blocage de l’UE.

101. Il y a lieu de rappeler ici qu’il appartient aux juridictions nationales responsables de l’application, dans le cadre de leurs compétences, des dispositions du droit de l’Union ayant un effet direct d’assurer que celles‑ci soient pleinement effectives ( 61 ). Étant donné que, aux termes de l’article 288 TFUE, un règlement, tel que la loi de blocage de l’UE, est directement applicable dans tous les États membres, cette obligation s’impose à ces juridictions même en l’absence d’une disposition
dans le droit national transposant cette réglementation.

102. En ce qui concerne l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE, il peut être relevé que cette disposition ne précise pas les conséquences à tirer du fait qu’une personne visée à l’article 11 de cette loi décide, en violation dudit article 5, premier alinéa, de ne pas nouer ou de résilier une relation commerciale avec une personne visée par des sanctions primaires afin de se conformer à la législation énumérée à l’annexe de ladite loi.

103. Certes, l’article 9 de la loi de blocage de l’UE prévoit qu’il appartient aux États membres de déterminer les règles relatives aux sanctions applicables aux infractions aux dispositions nationales adoptées, à condition que ces sanctions soient efficaces, proportionnelles ( 62 ) et dissuasives ( 63 ). Par conséquent, si la Cour devait considérer, comme je le propose, que l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE doit être compris en ce sens qu’il confère des droits aux personnes
visées par des sanctions primaires, alors le terme « sanction » devrait nécessairement être compris dans un sens large, comme englobant à la fois des sanctions pénales, administratives et civiles dont la finalité n’est pas nécessairement répressive, pour autant qu’elles visent à garantir l’effet utile de la disposition en cause ( 64 ).

104. Toutefois cela ne signifie pas qu’il appartiendrait entièrement aux États membres de décider de la nature des sanctions. En effet, il convient de rappeler que, lorsqu’une norme confie aux États membres la tâche de déterminer les sanctions à adopter en cas de violation d’une obligation prévue par le droit de l’Union, ce pouvoir de détermination est limité par l’obligation incombant aux États membres, et en particulier aux juridictions nationales, de garantir le plein effet du droit de l’Union.
Cette obligation exige des juridictions nationales de remédier à la situation résultant de l’illégalité commise et, notamment, de placer les titulaires de droits dans la situation qui aurait été la leur en l’absence de cette illégalité.

105. Il s’ensuit que, en cas de violation d’une disposition d’un règlement, une distinction doit être opérée, parmi les mesures à adopter par les États afin de sanctionner cette violation, entre les mesures ayant une finalité répressive, qui sont nécessaires pour garantir le niveau requis de dissuasion, et les mesures prises en vue de remédier à la situation résultant de l’illégalité commise, dont l’adoption est nécessaire pour garantir le plein effet du droit de l’Union ( 65 ). Alors que, dans le
cadre des premières, l’État membre dispose d’une marge d’appréciation relativement large pour décider quelles mesures adopter, à condition que ces mesures soient, comme indiqué, efficaces, proportionnelles et dissuasives ( 66 ), dans la mesure où les deuxièmes donnent effet à l’obligation des États membres de garantir le plein effet du droit de l’Union, cette marge peut être limitée, voire inexistante ( 67 ).

106. En particulier, dans le cas d’une violation d’une disposition prévue dans un règlement ( 68 ) conférant des droits à des tiers, étant donné le caractère directement applicable d’un règlement, même en l’absence d’indication quant aux détails procéduraux des actions visant à sauvegarder les droits conférés à certaines personnes par cette disposition, les juridictions nationales sont tenues par l’obligation d’assurer le plein effet de cette disposition ( 69 ). Tout cela oblige nécessairement ces
juridictions nationales à (r)établir le statu quo ante qui aurait prévalu en l’absence de l’illégalité commise.

107. À cet égard, j’ajouterais que, à la différence des mesures visant à punir, cette obligation d’assurer la préservation des droits juridiques des personnes ou entités concernées ainsi que le rétablissement du statu quo ante ne saurait, dans la mesure où elle concerne la substance même des droits conférés par le droit de l’Union, aboutir à un résultat qui diffère d’un État membre à l’autre. En d’autres termes, alors que les modalités procédurales de la mise en œuvre par les juridictions nationales
peuvent varier, le résultat doit en principe être le même dans toute l’Union européenne. En effet, il ne suffit pas de proclamer l’existence de droits pour que ceux‑ci deviennent une réalité dans la vie quotidienne des citoyens de l’Union ; ces droits doivent également être sanctionnés effectivement, notamment lorsqu’ils dérivent d’un règlement qui est supposé être directement applicable.

108. Par conséquent, je considère que, en cas de violation d’une disposition imposant une règle de conduite à laquelle il faut se conformer sur une base continue (comme en l’espèce), les juridictions nationales sont tenues d’enjoindre au contrevenant de mettre un terme à la violation, sous peine d’astreinte ou d’une autre sanction appropriée, puisque ce n’est que de cette manière qu’il peut être mis un terme aux effets continus de l’illégalité et que le respect du droit de l’Union peut être
pleinement garanti.

109. Ici, on pourrait faire observer que l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE interdit aux personnes visées à l’article 11 de cette loi de se conformer à la législation citée à l’annexe de cette loi. Dans la présente affaire, la législation en question interdit à toute société non américaine d’entretenir des relations commerciales avec une personne visée par des sanctions primaires. Il s’agit donc d’une interdiction générale. Le non‑respect de celle‑ci implique donc qu’à aucun
moment une personne visée à l’article 11 de cette loi ne peut refuser de maintenir des relations commerciales pour une raison découlant de l’existence de la législation américaine en matière de sanctions.

110. Dans ce contexte, admettre que toute violation de cette disposition peut être sanctionnée uniquement par le paiement d’une d’indemnisation forfaitaire reviendrait à admettre la possibilité qu’une personne visée à l’article 11 de la loi de blocage de l’UE puisse se conformer à l’un des textes de la législation américaine en matière de sanctions cités à l’annexe de cette loi, en dehors du mécanisme prévu à l’article 5, second alinéa, de ladite loi, en se contentant de verser une compensation aux
titulaires de droits contractuels. Si tel était en effet le cas, l’interdiction prévue de manière très claire au premier alinéa de cet article 5 serait dénaturée et les objectifs de politique publique que j’ai déjà identifiés, à savoir contrecarrer et neutraliser les effets de la législation américaine en matière de sanctions, ne pourraient pas être atteints.

111. Comme je suis d’avis que l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE confère des droits aux personnes visées par des sanctions primaires, la conséquence logique est que toute décision d’une personne visée à l’article 11 de cette loi de résilier une relation contractuelle avec une personne visée par des sanctions primaires qui ne saurait être justifiée par aucun motif autre que le souci de se conformer aux mesures visées par ladite loi devrait être considérée comme invalide et sans
effet, avec pour conséquence que les juridictions nationales sont tenues de traiter la relation contractuelle comme s’étant poursuivie aux mêmes conditions commerciales que celles prévalant auparavant ( 70 ). Une telle obligation implique donc que, lorsque cela est justifié, les juridictions nationales doivent enjoindre à toute personne visée à l’article 11 de la loi de blocage de l’UE de poursuivre la relation contractuelle en cause, sous peine d’astreinte ou de toute autre sanction
appropriée.

112. À cet égard, il importe peu que la législation nationale en cause dans la procédure au principal prévoie des sanctions administratives sous la forme d’une amende. Étant donné qu’il doit être admis que l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE confère des droits aux personnes visées par des sanctions primaires, l’existence de sanctions administratives ne permet pas de remédier à l’obligation incombant directement aux juridictions nationales, en cas de violation de cette
disposition, de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir le plein effet de ces droits ( 71 ).

113. Selon moi, cette conclusion n’est pas remise en cause par l’article 16 de la Charte.

114. Certes, la Charte s’applique aux sanctions adoptées par les États membres en vue d’exécuter le droit de l’Union ( 72 ), et il ne fait pas de doute que l’adoption d’une telle injonction serait susceptible d’affecter de manière considérable la liberté d’entreprendre de l’entreprise concernée, telle que garantie par l’article 16 de la Charte. En effet, il est constant que la liberté d’entreprendre inclut la liberté de contracter ( 73 ) et, par conséquent, nécessairement aussi la liberté de ne pas
contracter.

115. Toutefois, comme je l’ai déjà expliqué, si l’on admet – comme je pense qu’on doit le faire – que l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE confère des droits aux entreprises visées par des sanctions primaires, la nécessité d’assurer le plein effet de ces droits résultera en une obligation à charge des juridictions nationales, en cas de violation de ces droits, d’enjoindre à tout personne visée à l’article 11 de cette loi de maintenir la relation commerciale en question.

116. Par conséquent, il s’ensuit que la violation de la liberté d’entreprise garantie par la Charte n’est pas la conséquence de l’exercice par la juridiction nationale en cause d’une quelconque marge d’appréciation, mais celle de son obligation de garantir le plein effet du droit de l’Union. C’est par conséquent au niveau du seul droit de l’Union que doit être examinée la question d’une éventuelle violation injustifiée de l’article 16 de la Charte.

117. Avant d’examiner le point de savoir si l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE constitue une violation injustifiée de l’article 16 de la Charte se pose la question de savoir si, d’un point de vue procédural, la Cour peut procéder à un tel examen. En effet, la juridiction de renvoi n’a pas formulé sa question comme se référant à la validité de cet article 5, premier alinéa (ou de la décision d’inclure la législation américaine en cause dans l’annexe à ladite loi), mais comme
portant sur l’interprétation dudit article, ainsi que de l’article 16 de la Charte.

1. Sur la possibilité pour la Cour d’examiner d’office la validité de l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE et de la décision d’inclure la législation américaine en cause à l’annexe de cette loi

118. Selon la jurisprudence de la Cour, lorsque la compatibilité d’un acte de l’Union n’a pas été expressément remise en cause par la juridiction de renvoi dans ses questions, la Cour n’est aucunement tenue d’examiner la validité de l’acte ( 74 ), étant donné qu’il appartient à la seule juridiction nationale, qui est saisie de l’affaire et qui doit assumer la responsabilité de la décision judiciaire à adopter, d’apprécier, à la lumière des caractéristiques particulières de l’affaire pendante devant
elle, à la fois la nécessité d’une décision préjudicielle afin d’être en mesure de rendre un jugement ainsi que la pertinence des questions déférées à la Cour ( 75 ). Toutefois, si la Cour n’est pas tenue d’examiner d’office la validité d’un acte lorsqu’elle est saisie d’un renvoi préjudiciel portant sur l’interprétation du droit de l’Union, peut-elle le faire de sa propre initiative ?

119. À cet égard, deux arguments à l’encontre de cette solution pourraient être soulevés. Premièrement, selon la jurisprudence, dans le cadre d’un recours en annulation, la violation d’une norme supérieure ne constitue pas un moyen d’ordre public susceptible d’être soulevé d’office par le juge de l’Union ( 76 ). Deuxièmement, la justification de la procédure du renvoi préjudiciel ne réside pas dans la formulation d’opinions consultatives sur des questions générales ou hypothétiques, mais dans la
résolution d’un litige relatif au droit de l’Union ( 77 ). Or, selon la jurisprudence de la Cour, ce n’est que lorsque le droit national confère à une juridiction le pouvoir d’appliquer d’office une règle de droit contraignante que ce pouvoir devient une obligation pour cette juridiction de soulever d’office la violation d’une règle du droit de l’Union ( 78 ). Par conséquent, constater qu’une règle du droit de l’Union est invalide sans qu’elle soit contestée par les parties n’est pas
nécessairement susceptible d’avoir une incidence sur la résolution effective d’un litige, l’existence d’une telle incidence variant selon la nature des moyens qui peuvent être soulevés d’office par la juridiction nationale.

120. Néanmoins, dans plusieurs arrêts, la Cour s’est reconnu le droit d’examiner d’office la validité de la disposition en cause dans un renvoi préjudiciel dans deux situations particulières, à savoir, premièrement, lorsque, en dépit du libellé de la question, il ressort clairement du renvoi préjudiciel que les doutes exprimés par la juridiction de renvoi visent en réalité la validité de l’acte dont l’interprétation est formellement demandée, et, deuxièmement, lorsque la question de la validité de
cet acte a été soulevée dans la procédure au principal ( 79 ). En effet, dans ces deux cas de figure, le fait d’examiner d’office la question de la validité de la disposition en cause ne semble pas aller totalement à l’encontre de la jurisprudence rappelée ci‑dessus, dans la mesure où cette question fait déjà partie, d’une certaine manière, du litige, de sorte qu’il peut également être raisonnablement considéré qu’un tel examen peut être utile pour la juridiction de renvoi.

121. Toutefois, un examen d’office de la validité de la disposition dont l’interprétation est sollicitée requiert le respect du droit à être entendu dont bénéficient les institutions qui ont adopté la disposition et celui des droits procéduraux des États membres. En effet, ainsi que la Cour l’a encore une fois fait observer très récemment, « apporter une réponse à des questions complémentaires [non soulevées par la juridiction de renvoi] serait incompatible avec l’obligation de la Cour d’assurer la
possibilité aux gouvernements des États membres et aux parties intéressées de présenter des observations conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, compte tenu du fait que, en vertu de cette disposition, seules les décisions de renvoi sont notifiées aux intéressés » ( 80 ). En particulier, il est évident que, au regard des effets produits par une constatation d’invalidité, la décision des États membres ou des institutions concernées d’intervenir ou non
dans le cadre de la procédure préjudicielle est susceptible de différer selon que la question posée doit être comprise comme concernant l’interprétation ou la validité d’un acte.

122. Il s’ensuit que, bien que les questions posées ne portent que formellement sur l’interprétation d’une disposition, la Cour peut néanmoins examiner d’office la validité d’un acte dans le cadre d’un renvoi préjudiciel s’il ressort de manière suffisamment claire de ce renvoi, tel que notifié aux États membres dans leur langue officielle ou dans le résumé du renvoi, que les doutes de la juridiction de renvoi portent sur la validité de l’acte dont seule l’interprétation a été formellement sollicitée
ou que la validité de cet acte constitue l’objet central du litige au principal. Si tel n’est pas le cas, le respect des prérogatives des auteurs de l’acte en question et des États membres requiert que la Cour leur notifie préalablement son intention d’examiner d’office la validité de l’acte en question.

123. Dans la présente affaire, il ressort clairement du renvoi préjudiciel que ce dernier est suffisamment argumenté en droit pour comprendre que les doutes exprimés par la juridiction nationale et justifiant la quatrième question se rattachent à l’existence d’une « interdiction générale », qui est le résultat de l’adoption de la loi de blocage de l’UE et de la décision d’inclure les ITSR dans l’annexe à cette loi. En particulier, la juridiction de renvoi a fait observer ceci : « D’après
l’interprétation de la chambre, l’interdiction de respecter les sanctions secondaires conduit à un dilemme pour les opérateurs économiques de l’Union européenne comme la défenderesse (la personne même que le règlement, d’après son préambule, est supposé protéger). [...] Selon la chambre, ce risque n’est pas suffisamment compensé par le droit à réparation prévu à l’article 6 [de la loi de blocage de l’UE]. Il en va de même pour la possibilité prévue à l’article 5, [second alinéa, de la loi de
blocage de l’UE] [...]. Dans ces circonstances, la chambre doute qu’en cas de risque de pertes économiques importantes sur le marché américain, une interdiction générale de se séparer d’un partenaire commercial – au demeurant sans importance sur le plan économique – afin d’écarter ce danger soit compatible avec la liberté d’entreprise protégée par l’article 16 de la Charte [...] et le principe de proportionnalité consacré par l’article 52 de ladite Charte. » (italique ajouté par mes soins). En
outre, il ressort clairement des observations des différentes parties qui sont intervenues dans la procédure en cause que celles‑ci ont pleinement compris les doutes de la juridiction de renvoi concernant la validité de la loi de blocage de l’UE.

124. Par conséquent, je considère que la validité de la loi de blocage de l’UE et la décision d’inclure les ITSR dans l’annexe à celle‑ci au regard de l’article 16 de la Charte peuvent être examinées d’office par la Cour au regard de l’article 16 de la Charte sans que celle‑ci n’ait à notifier aux États membres son intention de procéder à cet examen ( 81 ).

2. Sur la compatibilité de l’article 5 de la loi de blocage de l’UE avec l’article 16 de la Charte

125. À cet égard, il convient de rappeler que, conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la Charte, une violation de toute liberté garantie par la Charte peut être autorisée si elle est prévue par la loi et si elle respecte le contenu essentiel de ces droits et libertés. En outre, conformément au principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être prévues que si elles sont nécessaires et poursuivent effectivement des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou la nécessité de
protéger les droits et libertés de tiers.

126. Il est constant que la première de ces conditions est satisfaite dans la mesure où il convient de considérer que la violation de la liberté d’entreprendre en raison de l’interdiction faite aux personnes visées à l’article 11 de respecter la Charte est prévue par la loi de blocage de l’UE, puisqu’elle résulte de l’article 5, premier alinéa, de ladite loi.

127. En ce qui concerne la deuxième condition relative au respect du contenu essentiel de la liberté d’entreprendre, dont la liberté de contracter ne constitue qu’un aspect, il y a lieu de rappeler que toute liberté mentionnée dans la Charte, à l’exception de la dignité humaine consacrée à l’article 1er de celle‑ci, dont le libellé indique expressément qu’elle est inviolable – ou peut-être aussi toutes les dispositions contenues dans le titre I de la Charte ( 82 ) –, ne constitue pas un droit
absolu ( 83 ), mais est plutôt soumise, dans l’intérêt général, à un large éventail d’interventions des autorités publiques, à condition que ( 84 ), du point de vue institutionnel desdites libertés, ces interventions visent des situations spécifiques.

128. En particulier, s’agissant de la liberté de contracter, la Cour a déjà reconnu que le droit de l’Union peut imposer une obligation de contracter à un opérateur, notamment pour des motifs relevant du droit de la concurrence ( 85 ). Pour des raisons analogues, on peut donc conclure que, alors que la liberté de ne pas contracter fait généralement partie du contenu essentiel de la liberté d’entreprendre, il existe également des circonstances où ce droit peut être annihilé. Tout comme la législation
relative à l’égalité de traitement prévoit, par exemple, que les entreprises ne sont pas libres d’opérer des discriminations dans leurs rapports contractuels avec le public pour des motifs de race ou de genre, il peut également exister d’autres circonstances où des considérations publiques peuvent l’emporter sur la liberté d’entreprendre. Il s’agit donc d’un droit qui peut être limité à condition que les autres conditions prévues à l’article 52 de la Charte soient respectées.

129. Par conséquent, la question qu’il reste à examiner est celle de savoir si l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE doit être considéré comme une mesure proportionnée pour atteindre un objectif d’intérêt général reconnu par l’Union, ce qui, conformément à l’article 52 de la Charte, suppose qu’une telle mesure soit nécessaire et qu’elle rencontre effectivement un tel objectif. Dans la mesure où la jurisprudence de la Cour interprète ces deux conditions comme se référant aux
conditions usuelles d’un test de proportionnalité, cela présuppose que de telles mesures doivent être aptes à atteindre l’objectif qu’elles poursuivent, en ce sens qu’elles doivent au moins contribuer à atteindre cet objectif et qu’elles n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire à cette fin ( 86 ).

130. À cet égard, il convient de relever tout d’abord que, comme déjà indiqué, l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE vise à protéger l’Union, ses États membres ainsi que les personnes physiques et morales exerçant leurs libertés fondamentales au sein de l’Union contre l’application extraterritoriale des lois citées à son annexe et à contrecarrer les effets de ces lois. Comme indiqué dans le sixième considérant de ladite loi, cet objectif fait partie d’objectifs plus généraux qui
consistent à préserver l’ordre juridique établi ainsi que les intérêts de l’Union et ceux des États membres contre les effets extraterritoriaux d’une législation étrangère dont la portée est jugée exorbitante et qui opère d’une manière contraire au droit international. Étant donné que, en particulier, l’article 21, paragraphe 2, sous a), b), e) et h), TUE assigne à l’Union européenne l’objectif de sauvegarder ses intérêts fondamentaux, de soutenir les principes du droit international,
d’encourager la suppression des obstacles au commerce international et de promouvoir une bonne gouvernance mondiale, de tels objectifs doivent être considérés comme relevant des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ( 87 ). Ce sont également des objectifs d’intérêt général qui servent tous à protéger le cœur des souverainetés nationales des États membres de l’Union.

131. Ensuite, l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE semble être apte à atteindre ces objectifs. À cet égard, il convient en effet de rappeler que, comme déjà expliqué, cet article se contente de définir les conséquences qui s’attachent à l’inclusion d’une législation dans l’annexe à cette loi. Certes, la loi de blocage de l’UE ne précise pas expressément sur la base de quels critères la Commission peut décider d’inclure une législation à l’annexe ( 88 ). Toutefois, il peut être
déduit des objectifs de ladite loi que le principal critère est que la législation étrangère relative à des sanctions ait un effet extraterritorial, à tout le moins au sens de cette loi. À la lumière de ce critère, une mesure interdisant aux sociétés européennes de se conformer aux législations visées à l’annexe semble être apte à atteindre les objectifs mentionnés ci‑dessus ( 89 ).

132. Une telle disposition semble également nécessaire puisqu’il ne semble pas y avoir de moyens moins restrictifs de parvenir aux objectifs précités tout en étant, dans le même temps, aussi efficaces ( 90 ).

133. Enfin, s’agissant de la nécessité que la mesure en question ne produise pas des inconvénients disproportionnés par rapport aux objectifs poursuivis, à laquelle la jurisprudence de la Cour se réfère de manière intermittente, on peut relever que la Cour a déjà accepté que des mesures adoptées par l’Union européenne aux fins de la politique étrangère et de sécurité commune puissent produire « des effets qui affectent les droits de propriété et le libre exercice des activités professionnelles,
causant ainsi des préjudices à des parties qui n’ont aucune responsabilité quant à la situation ayant conduit à l’adoption des sanctions » ( 91 ).

134. De plus, conformément à l’article 5, second alinéa, de la loi de blocage de l’UE, les opérateurs économiques peuvent demander à la Commission à être autorisés à déroger au premier alinéa dudit article dans la mesure où, notamment, un autre comportement léserait gravement leurs intérêts ou ceux de l’Union. Selon la jurisprudence de la Cour, l’existence d’un tel mécanisme de dérogation suffit à garantir que l’interdiction en question n’enfreint pas indûment une liberté fondamentale ( 92 ). En
effet, dans ces circonstances, une violation de la liberté d’entreprendre ne pourra résulter que d’un refus injustifié de la part de la Commission d’octroyer une telle dérogation ( 93 ).

135. Par conséquent, je considère que l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE n’est pas en soi contraire à l’article 16 de la Charte. Toutefois, cela ne signifie pas que la même chose vaut nécessairement pour la décision d’inclure une législation à l’annexe. Il est clair, en revanche, que la Commission doit également s’assurer, au moment d’ajouter à l’annexe une législation adoptée par un pays tiers, que cette inclusion sert les objectifs de la loi de blocage de l’UE et que les
conséquences de cette inclusion sont justifiées et proportionnées aux effets produits par la loi de blocage de l’UE. Cependant, cette question n’a été soulevée ni par la juridiction de renvoi ni par les parties et, en l’occurrence, elle n’a même pas été mentionnée par la juridiction de renvoi ou par les parties et, en tout état de cause, il n’a pas été suggéré dans la présente affaire que l’inclusion, dans l’annexe à la loi de blocage de l’UE, de la législation américaine relative aux sanctions
était inappropriée.

V. Conclusion

136. En conclusion, je ne peux m’empêcher de faire observer que cela ne me procure aucun plaisir particulier de parvenir à ce résultat précis. Comme l’ont souligné les faits de la présente affaire, la loi de blocage de l’UE est un instrument très émoussé, conçu, comme il l’est, pour stériliser les effets extraterritoriaux intrusifs des sanctions américaines au sein de l’Union. Cette méthode de stérilisation entraînera inévitablement des victimes et beaucoup peuvent penser que Telekom Deutschland
sera parmi les premières à en souffrir, ne serait-ce qu’en raison de l’importance de ses opérations aux États‑Unis. Comme je l’ai déjà laissé entendre, il s’agit là de questions que le législateur de l’Union pourrait bien souhaiter méditer et prendre en considération.

137. Néanmoins, la Cour est simplement un tribunal du droit et notre devoir est de donner effet au langage d’une législation dûment adoptée. Pour les raisons que j’ai avancées, je considère que l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE produit ces effets à la portée large même si, dans les présentes circonstances, on peut penser que de telles dispositions législatives priment, d’une manière inhabituelle et intrusive, sur les libertés d’entreprendre ordinaires. Par conséquent, je
propose de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par le Hanseatisches Oberlandesgericht Hamburg (tribunal régional supérieur de Hambourg, Allemagne) :

1) L’article 5, premier alinéa, du règlement (CE) no 2271/96 du Conseil, du 22 novembre 1996, portant protection contre les effets de l’application extraterritoriale d’une législation adoptée par un pays tiers, ainsi que des actions fondées sur elle ou en découlant doit être interprété comme ne s’appliquant pas uniquement lorsqu’une autorité administrative ou judiciaire d’un pays dont les lois et réglementations sont citées à l’annexe de ce règlement a adressé, directement ou indirectement, des
instructions à une personne visée à l’article 11 dudit règlement. L’interdiction contenue dans cette disposition s’applique par conséquent même lorsqu’un opérateur se conforme à une telle législation sans avoir préalablement reçu une injonction en ce sens de la part d’une administration ou d’un organe judiciaire étrangers.

2) L’article 5, premier alinéa, du règlement no 2271/96 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une interprétation du droit national selon laquelle une personne visée à l’article 11 de ce règlement peut résilier une relation contractuelle s’inscrivant dans la durée avec un partenaire commercial repris par l’Office of Foreign Assets Control (bureau de contrôle des avoirs étrangers) sur la Specially Designated Nationals and Blocked Person List (liste des ressortissants nationaux
expressément identifiés et des personnes dont les avoirs sont bloqués) sans jamais avoir à justifier une telle décision.

3) L’article 5, premier alinéa, du règlement no 2271/96 doit être interprété en ce sens que, en cas de non‑respect des dispositions de cet article, la juridiction nationale saisie par une partie contractante visée par des sanctions primaires est tenue d’enjoindre à une personne visée à l’article 11 de ce règlement de maintenir ces relations contractuelles, même si, premièrement, le second alinéa dudit article 5 doit être interprété de manière restrictive, deuxièmement, une telle mesure
d’injonction est susceptible de violer l’article 16 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et, troisièmement, une telle personne est susceptible d’être sévèrement sanctionnée par les autorités responsables de l’application des lois citées à l’annexe dudit règlement.

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( 1 ) Langue originale : l’anglais.

( 2 ) JO 1996, L 309, p. 1.

( 3 ) Règlement délégué modifiant l’annexe du règlement no 2271/96 (JO 2018, L 199, p. 1).

( 4 ) Voir Redding, B., « The Long Arm of the Law or the Invasive Reach of the American legal system », International Business Law Journal, 2007, p. 659. Dans son opinion divergente dans l’arrêt United States v. Verdugo-Urquidez, 494 U.S. 259 (1990) 280‑281, Brennan J. a déclaré que « l’énorme expansion de la compétence fédérale en matière pénale en dehors des limites de notre nation a poussé un commentateur à affirmer que les trois plus grandes exportations de notre pays sont désormais la musique
rock, les blue-jeans et le droit des États‑Unis » (citant Grundman, V.R., « The New Imperialism : The Extraterritorial Application of United States Law », The International Lawyer, vol. 14, 1980, p. 257).

( 5 ) Les défis posés au droit de l’Union par l’extraterritorialité de certaines législations devraient également se poser avec acuité dans les prochaines années dans un domaine cher à la Cour, à savoir celui de la protection des données à caractère personnel. En effet, le US Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act 2018 (loi des États‑Unis de 2018 précisant l’utilisation légale de données à l’étranger), modifié par le 1986 Stored Communications Act (loi de 1986 relative aux communications
stockées), donne aux autorités répressives américaines le pouvoir de réclamer des données stockées par les principaux fournisseurs de services en nuage, même si ce stockage est effectué en dehors des États‑Unis. Or, le marché du stockage des données est largement dominé par des sociétés américaines, qui détiennent plus de 85 % des parts de marché.

( 6 ) Selon un rapport du Parlement français, l’administration américaine se donne rarement la peine de justifier sa compétence. En pratique, il semble que les sociétés européennes reconnues coupables de violation des sanctions américaines, surtout les banques, l’ont été au titre des sanctions primaires. Les accords de règlement qu’elles concluent reposent sur une conception extensive des principes généraux traditionnels relatifs à la compétence territoriale au motif que les transactions en cause
ont été effectuées à l’égard ou par l’intermédiaire d’institutions financières américaines ou qu’elles ont transité par les États‑Unis parce qu’elles sont réalisées en dollars et impliquent donc nécessairement des chambres de compensation américaines. Voir Lellouche, P., et Berger, K., L’extraterritorialité de la législation américaine, Rapport d’information, Assemblée nationale, France, 2016, p. 49 à 53. S’agissant de la justification potentielle, ou l’absence de justification, de la législation
américaine au regard du droit international, voir, entre autres, Ryngaert, C., « Extraterritorial Export Controls (Secondary Boycotts) », Chinese Journal of International Law, vol. 7, 2008, p. 625, surtout p. 642 et suiv. ; Meyer, J.A., « Second Thoughts on Secondary Sanctions », University of Pennsylvania Journal of International Law, 30, 2009, p. 905, p. 932 et suiv. ; Ruys, T., et Ryngaert, C., « Secondary Sanctions : A Weapon out of Control ? The International Legality of, and European Responses
to US, Secondary Sanctions », British Yearbook of International Law, 2020, p. 9 à 65.

( 7 ) Selon Hubert de Vauplane, « ce qui choque le plus dans le mode de fonctionnement de l’[Office of Foreign Assets Control (OFAC) (bureau de contrôle des avoirs étrangers), qui est en charge de l’application de ces sanctions], c’est un certain tropisme à sanctionner principalement les banques étrangères, y compris quand le seul lien juridique avec les États‑Unis est l’utilisation du dollar comme monnaie de paiement ». De Vauplane, H., « Iran : Sanctions américaines contre les banques européennes,
hypocrisie ou arnaque ? », Les Échos, 23 août 2012. Voir également « Deutsche Firmen leiden unter US-Sanktionen – Amerikanische Konkurrenten werden geschont », Handelsblatt, 12 février 2019, et « Wie hart Amerikas Forderung deutsche Unternehmen trifft », Frankfurter Allgemeine Zeitung, 10 mai 2018, disponible à l’adresse Internet suivante : https://www.faz.net/aktuell/wirtschaft/schutz-deutscher-unternehmen-vor-us-sanktionen-schwierig-15583846.html. Dans un domaine lié, la lutte contre la
corruption, le New York Times a également relevé qu’en 2012 « la liste des principales sociétés passant ces accords est remarquable à un égard : l’absence de noms américains ». Wayne, L., « Foreign Firms Most Affected by a US Law Barring Bribes », The New York Times, 3 septembre 2012. Voir aussi Jakobeit, C., « Große Schmiergeldzahler », Welt-sichen, publié dans le numéro 9, 2010 (disponible à l’adresse Internet suivante : https://www.welt-sichten.org/artikel/3103/grosse-schmiergeldzahler), qui fait
des commentaires sur le fait que les sociétés américaines ont des décennies d’expérience dans la manière de contourner les stipulations du Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) (loi sur les pratiques de corruption à l’étranger) et de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), invoquant la pression politique exercée par le gouvernement américain sur la base de connaissances obtenues par ses services secrets, ce qui a entraîné à plusieurs occasions un nouvel appel d’offres
pour des projets lucratifs ainsi que la possibilité de demander au US Department of Justice (ministère de la Justice, États-Unis) une dérogation au FCPA dans l’intérêt de la sécurité nationale. De plus, la portée très large de cette législation est aggravée par des problèmes de coûts de procédure dus à certains mécanismes procéduraux, à des demandes d’informations dans le cadre de ces mêmes procédures qui peuvent concerner des données économiques, financières ou industrielles sensibles, et à une
incertitude judiciaire. Enfin, certains auteurs ont critiqué le recours à ces législations par les autorités répressives comme étant un moyen d’ouvrir des négociations directes avec ces sociétés pour les forcer à coopérer. Voir Garapon, A., « Une justice “très” économique », dans Garapon, A., et Servan-Schreiber, P. (éd.), Deals de justice : le marché américain de l’obéissance mondialisée, PUF, 2015, p. 119‑120. Voir aussi Lohmann, S., Extraterritoriale US-Sanktionen, SWP-Aktuell, Nr. 31, mai 2019.
D’autres ont considéré que ces mesures étaient une nouvelle manifestation de la prétention hégémonique des États‑Unis. Voir Szurek, S., « Le recours aux sanctions », dans Gherari, H., Szurek, S., Sanctions unilatérales, mondialisation du commerce et ordre juridique international, Cedin-Paris X Nanterre, Montchrestien, 1998, p. 36, ainsi que « Nord Stream 2 Schwesig empört über amerikanische Drohung gegen Ostseehafen », Frankfurter Allgemeine Zeitung, 7 août 2020, disponible à l’adresse Internet
suivante : https://www.faz.net/aktuell/wirtschaft/klima-energie-und-umwelt/nord-stream-2-schwesig-empoert-ueber-drohung-gegen-hafen-16894385.html. Enfin, même si cette situation est plus en lien avec la législation anticorruption, certains se sont alarmés de ce que les sanctions imposées ont eu pour effet de déstabiliser plusieurs sociétés européennes concernées et ont été ensuite suivies de rachats par des sociétés américaines. Laïdi, A., Le droit, nouvelle arme de guerre économique : Comment les
États‑Unis déstabilisent les entreprises européennes, Actes Sud, 2019, p. 156 et suiv.

( 8 ) Bien que la loi de blocage de l’UE ne soit pas le premier acte adopté en vue de contrer l’extraterritorialité du droit américain, elle a néanmoins servi de modèle à la République populaire de Chine, qui a très récemment adopté des règles similaires, avec pour principale différence que ces règles ne visent pas des mesures de sanction spécifiques prises par un pays tiers, mais prévoient qu’elles s’appliquent de manière générale, « là où l’application extraterritoriale d’une législation ou
d’autres mesures étrangères, en violation du droit international et des principes de base des relations internationales, interdit ou restreint de manière injustifiable l’exercice, par des citoyens, des personnes morales ou d’autres organisations chinoises, d’activités économiques, commerciales ou connexes normales avec un pays (ou une région) tiers ou avec ses citoyens, personnes morales ou autres organisations ». Voir Jingru Wang, « Can China’s New “Blocking Statute” Combat Foreign Sanctions ? »,
Conflictoflaws.net, 30 janvier 2021.

( 9 ) En ce sens, voir Truyens, L., et Loosveld, S., « The EU Blocking Regulation : Navigating a Diverging Sanctions Landscape », ICCLR, 30(9), 2019, p. 490‑501, p. 501, et, en référence à une « Catch-22 situation », de Vries, A., « Council Regulation (EC) No 2271/96 (the EU Blocking Regulation) », International Business Lawyer, 26(8), 1998, p. 345, p. 348.

( 10 ) La loi de blocage de l’UE est restée inappliquée pour un long moment étant donné que les présidents américains successifs ont suspendu le controversé titre III du Helms-Burton Act et que l’Union et les sanctions américaines concernant l’Iran tendaient à converger après 2006. Ruys, T., et Ryngaert, C., « Secondary Sanctions : A Weapon out of Control ? The International Legality of, and European Responses to US Secondary Sanctions », British Yearbook of International Law, 2020, p. 81.

( 11 ) Le cas le plus connu est celui de BNP Paribas, à qui a été imposée une amende de 8,9 milliards de dollars des États-Unis (USD) pour avoir fait transiter de l’argent via les États‑Unis de 2004 à 2012 au nom de clients soudanais (6,4 milliards d’USD), cubains (1,7 milliard d’USD) et iraniens (650 millions d’USD). De plus, la banque a été exclue des opérations de compensation en dollars pendant un an pour ses opérations financières sur le pétrole et le gaz, et plusieurs cadres, y compris son
directeur général des opérations du groupe, ont été invités à quitter la banque.

( 12 ) Règlement du 16 février 2011 établissant les règles et principes généraux relatifs aux modalités de contrôle par les États membres de l’exercice des compétences d’exécution par la Commission (JO 2011, L 55, p. 13).

( 13 ) Règlement (CEE) du Conseil du 22 décembre 1986 portant application du principe de la libre prestation des services aux transports maritimes entre États membres et entre États membres et pays tiers (JO 1986, L 378, p. 1).

( 14 ) JO 2018, L 199 I, p. 7.

( 15 ) Voir Arendt, M., « The Cuban Liberty and Democratic Solidarity (Libertad) Act of 1996 : Isolationist Obstacle to Policy of Engagement », Case Western Reserve Journal of International Law, 30(1), 1998, p. 262.

( 16 ) JO 1994, L 336, p. 11. Voir Lesguillons, H., « Helms-Burton and D’Amato Acts : Reactions of the European Union », IBLJ, vol. 1, 1997, p. 95 à 111, notamment p. 97 à 103 et suiv. ; Van der Borght, K., « The EU-US Compromise on the Helms‑Burton and D’Amato Acts », American Journal of International Law, 93, 1999, p. 227, notamment p. 231 à 235.

( 17 ) Voir règlement délégué 2018/1100.

( 18 ) On peut faire observer, s’agissant de l’article 6 de la loi de blocage de l’UE (dite disposition de restitution – claw-back provision), que, dans la mesure où les États‑Unis d’Amérique bénéficient en principe de l’immunité de juridiction en vertu de l’état actuel du droit coutumier international, cette disposition est susceptible de s’appliquer principalement à des exécuteurs privés (private enforcers). Toutefois, la législation américaine relative à l’Iran citée à l’annexe de cette loi ne
semble pas prévoir un mécanisme d’exécution privée (private enforcement), comme dans le titre III de la loi Helms-Burton.

( 19 ) Dans l’affaire Société Internationale c. Rogers, la Cour suprême américaine a renversé la conclusion d’une District Court (tribunal de district) américaine selon laquelle il y avait violation d’une injonction américaine de production de documents (discovery) au motif que la menace de poursuites en Suisse pour violation des règles de confidentialité de ce pays empêchait le requérant dans cette affaire de respecter l’injonction.

( 20 ) Voir Wallace Jr., D., « The Restatement and Foreign Sovereign Compulsion : A Plea for Due Process », International Lawyer, vol. 23, ABA, 1989, p. 593, surtout p. 595 à 596.

( 21 ) Dans l’arrêt Interamerican Refining Corp. v. Texaco Maracaibo, Inc 307 F. Supp. 1291 (D. Del. 1970), le tribunal de district du Delaware a reconnu que le refus de la défenderesse de vendre du pétrole avait été imposé par le gouvernement vénézuélien.

( 22 ) Il convient cependant de faire observer que, dans l’arrêt Société Nationale Aéronautique v. District Court, 482 U.S. 522 (1987), Stevens J., prononçant l’arrêt de la Cour suprême américaine, a mentionné, quoique dans une note en bas de page, qu’« il est établi que les lois [de blocage] ne privent pas une juridiction américaine du pouvoir d’ordonner à une partie relevant de sa juridiction de produire des preuves même si l’acte de production est susceptible de violer cette loi » (note en bas de
page 29). Stevens J. a néanmoins fait observer que « les juridictions américaines devraient [...] veiller à tenir dûment compte de tout problème spécial auquel est confrontée la partie étrangère en raison de sa nationalité ou du lieu de ses opérations, ainsi que de tout intérêt de souveraineté manifesté par un État étranger ».

( 23 ) Selon les informations fournies par le gouvernement allemand, la notion d’« acte juridique » utilisée à l’article 134 du BGB ne vise pas uniquement les contrats, mais également les actes juridiques unilatéraux, tel un acte de résiliation d’un contrat.

( 24 ) Le lancement d’une procédure administrative aux fins de l’imposition d’une amende est régi, à la différence des procédures pénales, par le principe de l’opportunité des poursuites, ce qui signifie que les poursuites diligentées au titre d’une infraction par une autorité administrative sont discrétionnaires au vu des circonstances du cas particulier.

( 25 ) Voir Federal Register, vol. 72, no 213, 5 novembre 2007, notices.

( 26 ) C/2018/5344 (JO 2018, C 277 I, p. 4).

( 27 ) Selon la jurisprudence de la Cour, premièrement, en dehors des procédures prévues par les traités, la Commission ne peut adopter que des règles indicatives de la manière dont cette institution entend exercer un pouvoir discrétionnaire que lui ont conféré les traités, règles dont elle ne peut de surcroît s’écarter sans donner les raisons qui l’ont poussée à le faire. Voir, en ce sens, arrêts du 9 octobre 1984, Adam e.a./Commission (80/81 à 83/81 et 182/82 à 185/82, EU:C:1984:306, point 22),
ainsi que du 18 mai 2006, Archer Daniels Midland et Archer Daniels Midland Ingredients/Commission (C‑397/03 P, EU:C:2006:328, point 91). En outre, même lorsqu’elle s’acquitte de cette obligation, une institution ne peut jamais renoncer entièrement à l’exercice d’un tel pouvoir d’appréciation. Voir, par exemple, arrêt du 10 octobre 2019, Société des produits Nestlé/EUIPO – European Food (FITNESS) (T‑536/18, non publié, EU:T:2019:737, point 38). Deuxièmement, la portée des dispositions prévues dans
les actes juridiques ne peut jamais dépendre de la conduite ou des déclarations des institutions. Voir arrêt du 10 décembre 2013, Commission/Irlande e.a. (C‑272/12 P, EU:C:2013:812, point 53).

( 28 ) Toute solution contraire reviendrait à admettre qu’une norme de rang inférieur peut modifier la portée d’une règle de rang supérieur.

( 29 ) Étant donné que, s’agissant des sociétés, l’article 11, point 2), de la loi de blocage de l’UE se réfère aux personnes juridiques « constituées en sociétés dans [l’Union] », l’article 5 de cette loi s’applique aux filiales européennes de sociétés américaines, mais non aux sociétés américaines opérant en Europe ou aux filiales américaines de sociétés européennes. Dans le cas de la Banque centrale européenne et de la Banque européenne d’investissement, étant donné que leur personnalité
juridique dérive des traités, respectivement de l’article 282 et de l’article 308 TFUE, et que, par conséquent, elles ne sont pas « constituées en société », l’article 5 de la loi de blocage de l’UE ne s’applique pas à elles en tant que telles. Toutefois, toutes les deux sont tenues, en principe, d’appliquer l’article 4 de cette loi.

( 30 ) Certes, cette disposition se réfère aux « prescriptions ou interdictions [qui sont] fondées sur [...] les lois citées en annexe ou sur les actions fondées sur elles ou en résultant » (italique ajouté par mes soins), ce qui peut donner l’impression que ces prescriptions ou interdictions sont distinctes des obligations contenues dans ces lois. Toutefois, je considère que l’expression « en résultant », utilisée alternativement, est suffisamment large pour inclure les obligations directement
édictées dans ces lois.

( 31 ) Voir, en ce sens, arrêts du 10 septembre 2014, Holger Forstmann Transporte (C‑152/13, EU:C:2014:2184, point 26), ainsi que du 10 décembre 2018, Wightman e.a. (C‑621/18, EU:C:2018:999, point 47).

( 32 ) Cette disposition implique en particulier un devoir pour les États membres d’honorer toute demande d’extradition de la part des États‑Unis d’Amérique, fondée sur une des réglementations citées à l’annexe de la loi de blocage de l’UE.

( 33 ) Italique ajouté par mes soins.

( 34 ) À cet égard, je ne suis pas d’accord avec l’argument avancé par Telekom Deutschland selon lequel une instruction doit avoir été adressée par une autorité judiciaire ou administrative américaine pour que l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE s’applique dans la mesure où toute loi adoptée à l’étranger produit ses effets, par principe, uniquement sur le territoire de l’État ayant adopté cette loi. En effet, il est évident que le problème soulevé par cette législation concerne
surtout et avant tout des sociétés qui, comme Telekom Deutschland, ont des intérêts aux États‑Unis. En réalité, la difficulté qui existe de lutter contre l’extraterritorialité de certaines législations est simplement liée au caractère interconnecté des économies.

( 35 ) Le fait qu’une société se conforme à une législation étrangère est étroitement lié à la perception du risque. Certains auteurs définissent le risque légal comme résultant « de la conjonction d’une norme juridique et d’un événement, l’un ou l’autre (ou les deux) étant caractérisé par un degré d’incertitude. Cette conjonction d’une norme juridique et d’un événement dans un contexte d’incertitude aura des conséquences susceptibles d’affecter la valeur de la société ». Collard, C., et Roquilly,
C., Proposals for a Definition and Map of Legal Risk, EDHEC Business School, research paper, 2011, p. 7. Par conséquent, plus les liens entre un opérateur et son marché sont étroits, plus grande sera sa propension à se conformer à la législation en question. À l’inverse, un opérateur qui n’a aucun lien avec le marché américain et dont les dirigeants sont prêts à accepter de ne jamais voyager vers ce pays ou vers un pays qui a conclu des accords d’extradition avec celui‑ci peut se permettre d’ignorer
les lois en question. Sur la question de la gestion du risque juridique, voir Masson, A., Shariff, M., « Through the Legal Looking Glass : Exploring the Concept of Corporate Legal Strategy », EBLR, vol. 22(1), Wolters Kluver, 2011, p. 64 et suiv., ainsi que Masson, A., Bouthinon‑Dumas, H., « L’approche Law & Management », Revue trimestrielle de droit commercial et de droit économique, no 2, Dalloz, janvier-mars 2011, p. 238 et suiv.

( 36 ) Plusieurs sociétés commercialisent des solutions informatiques pour passer au crible et surveiller les opérations afin de détecter tout risque de violation de la législation en question. Le plus souvent, ces solutions sont des modules d’un logiciel anti-blanchiment d’argent.

( 37 ) Voir Paine, L. S., « Law, Ethics, and Managerial Judgment », Journal of Legal Studies, 1994, p. 153‑169 ; Weinstein, S., et Wild, C. (éd.), Legal Risk Management, Governance and Compliance : A Guide to Best Practice from Leading Experts, Globe Law and Business, 2013 ; Verdun, F., Le management stratégique des risques juridiques, LexisNexis, 2013, p. 133 et suiv. Selon Hugues Bouthinon‑Dumas, le terme « compliance » vise la manière dont les sociétés s’organisent pour gérer leurs contraintes
juridiques, dont leur performance économique dépend partiellement. Elle est basée sur une approche proactive visant à garantir l’application effective de standards au sein d’une organisation en internalisant les standards auxquels elle est soumise. Concrètement, la compliance prend la forme d’une série d’actions coordonnées allant de la surveillance réglementaire à la sanction interne de tout écart observé, en passant par l’établissement des risques juridiques, la surveillance des pratiques
administratives et juridiques dans le secteur, la prise de conscience par les équipes de la société des risques juridiques et de leurs conséquences dommageables, la formation des employés, la participation dans la définition d’une politique de risques, la surveillance du respect des normes et l’organisation de la détection des transgressions. Ces pratiques sont mises en œuvre aujourd’hui par des professionnels spécialisés, appartenant aux sociétés elles‑mêmes ou agissant en tant que fournisseurs
externes de services (par exemple, des juristes ou des firmes de consultance). De plus en plus de sociétés s’équipent d’un responsable de la compliance et leurs équipes s’agrandissent. Bouthinon‑Dumas, H., « La compliance : une inflation normative au carré », Management & Avenir, 2019/4, no 110, p. 110. Selon Marie-Anne Frison-Roche, le « droit de la compliance » désigne les législations qui imposent à des opérateurs privés dits « cruciaux » d’internaliser des objectifs d’intérêt général, en raison
de leur position et des moyens à leur disposition, pour satisfaire ces objectifs. Frison-Roche, M.-A., L’apport du droit de la compliance à la gouvernance d’internet, Rapport commandé par Monsieur le Ministre en charge du Numérique, avril 2019, p. 13 à 16.

( 38 ) À cet égard, cela vaut la peine de rappeler que toutes les règles prévues par le droit de l’Union, y compris celles figurant dans les traités, ne sont pas destinées à être invoquées par les particuliers contre d’autres particuliers. Par exemple, la libre circulation des marchandises, bien que garantie par les traités, n’a, en principe, pas d’effet direct horizontal, en ce qu’elle crée des obligations uniquement à charge des États. Voir arrêts du 29 février 1984, Rewe-Zentrale (37/83,
EU:C:1984:89, point 18) ; du 17 mai 1984, Denkavit Nederland (15/83, EU:C:1984:183, point 15) et du 24 novembre 1982, Commission v /Irelande (249/81, EU:C:1982:402, point 21).

( 39 ) Dans le cadre de la loi de blocage de l’UE, l’adjectif « dissuasif » implique que les sanctions prévues doivent être potentiellement équivalentes aux sanctions prévues par la législation citée à l’annexe. Ce n’est en effet qu’à cette condition que la compensation est susceptible de pencher en faveur de cette loi et donc que l’interdiction fixée à l’article 5, premier alinéa, de ladite loi sera respectée.

( 40 ) De plus, la Commission ne publie pas ses décisions d’exemption, alors que la publication est, en principe, une condition d’opposabilité aux tiers. On peut toutefois comprendre pourquoi, à savoir que cela permettrait aux autorités étrangères concernées de connaître quelle société n’a pas sollicité une exemption et est supposée, par conséquent, ne pas se conformer à la législation en cause.

( 41 ) S’agissant du deuxième objectif – qui est de protéger les sociétés européennes contre les effets de cette législation –, au moment de l’adoption de la loi de blocage de l’UE en 1996, l’état de la jurisprudence américaine semblait suggérer qu’en interdisant aux sociétés européennes de se conformer au droit américain, la loi de blocage de l’UE leur fournirait alors un moyen de défense devant les juridictions américaines. Or, aux fins de parvenir à une telle protection, il était suffisant de
prévoir que cette interdiction soit mise en œuvre au moyen uniquement de l’action publique.

( 42 ) Voir article 1er de la loi de blocage de l’UE.

( 43 ) En effet, la loi de blocage de l’UE offre peu d’aide aux entités de l’Union européenne ayant des avoirs aux États‑Unis vis-à-vis desquelles les autorités américaines peuvent tout simplement prendre des mesures d’exécution territoriales. Ruys, T., et Ryngaert, C., « Secondary Sanctions : A Weapon out of Control ? », The International Legality of, and European Responses to, US Secondary Sanctions », British Yearbook of International Law, 2020, p. 85. Selon le rapport commandé par le Parlement
européen, « l’effet cumulatif des mesures adoptées par les firmes pour éviter les sanctions du côté américain sans donner, dans le même temps, l’impression de se conformer aux sanctions, est susceptible de générer des coûts massifs (et des maux de tête) pour les firmes européennes préoccupées par leurs marchés étrangers et domestiques. En ce sens, les sanctions américaines seront parvenues à l’effet désiré, puisqu’elles impliqueront qu’il sera très difficile pour toute firme d’assumer de plein gré
un risque politique dans l’une ou l’autre direction ». Stoll, T., Blockmans, S., Hagemejer, J., Hartwell, C.A., Gött, H., Karunska, K., et Maurer, A., Extraterritorial Sanctions on Trade and Investments and European Responses, étude commandée par le comité sur le commerce international (INTA) du Parlement européen, 2020, p. 33. Voir également, en ce sens, Truyens, L., et Loosveld, S., « The EU Blocking Regulation : navigating a diverging sanctions landscape », ICCLR, 30(9), 2019, p. 490‑501, p. 501,
et, se référant à un « cercle vicieux », de Vries, A., « Council Regulation (EC) No 2271/96 (the EU Blocking Regulation) », International Business Law Journal, Lawyer, 26(8), 1998, p. 345, p. 348.

( 44 ) Selon Anthonius de Vries, « dans sa proposition de loi de blocage, la Commission avait déjà prévu que, dans certaines circonstances, l’interdiction pouvait entraîner un préjudice grave aux intérêts des personnes et des sociétés concernées ou aux intérêts de l’[Union] européenne elle‑même. Elle a donc proposé une possibilité de dérogation que le Conseil, avec certaines modifications, a maintenue dans le règlement ». Voir de Vries, A., « Council Regulation (EC) No 2271/96 (the EU Blocking
Regulation) », International Business Law Journal, Lawyer, 26(8), 1998, p. 345, p. 349. Voir aussi, à l’appui de cette position, Lesguillons, H., « Helms‑Burton and D’Amato Acts : Reactions of the European Union », IBLJ, vol 1, 1997, p. 95‑111, p. 108, ainsi que Ruys, T., et Ryngaert, C., « Secondary Sanctions : A Weapon out of Control ? The International Legality of, and European Responses to, US Secondary Sanctions », British Yearbook of International Law, 2020, p. 86.

( 45 ) Selon un rapport du Parlement français, il n’y aurait eu jusqu’en 2019 qu’un seul cas dans lequel cette réglementation a été invoquée avec succès, à savoir en Autriche, en avril 2007, à l’occasion de la clôture de comptes bancaires cubains par la banque autrichienne BAWAG PSK. Voir Gauvain, R., d’Urso, C., Damais, A., et Jemai, S., « Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale », rapport de l’Assemblée
nationale (France), 2019, p. 26. Postérieurement, le Rechtbank Den Haag (tribunal de La Haye, Pays‑Bas) a octroyé des mesures provisoires dans une affaire relative à la violation, par une entreprise européenne, d’un contrat avec une société cubaine par crainte de sanctions américaines et a ordonné la poursuite du contrat. Bien que cette décision ne soit pas expressément basée sur la loi de blocage de l’UE, cette juridiction a néanmoins relevé qu’elle ne pouvait pas exclure la possibilité que ladite
résiliation violait également celle‑ci. Rechtbank Den Haag (tribunal de La Haye), 25 juin 2019, ECLI:NL:RBDHA:2019:6301. Il semble également qu’en 2020, des clients cubains ont obtenu le déblocage de leur compte auprès de la banque ING, après avoir introduit un recours contre la banque sur la base de la loi de blocage de l’UE. Voir Claimant v. ING Bank NL : RBAMS:2020:893 (tribunal de district d’Amsterdam) 6 février 2020. Néanmoins, les exemples d’application de la loi de blocage restent limités.
Cela a poussé certains auteurs à affirmer que « la loi de blocage a prouvé être la plupart du temps un tigre de papier – un simple symbole du désaccord de l’Union européenne avec la large portée des sanctions américaines ». Ruys, T., et Ryngaert, C., « Secondary Sanctions : A Weapon out of Control ? The International Legality of, and European Responses to, US Secondary Sanctions », British Yearbook of International Law, 2020, p. 98 et 115, et, en ce sens, Bonnecarrère, P., Sur l’extraterritorialité
des sanctions américaines, Rapport d’information, no 17 (2018‑2019), Sénat, France, p. 20 à 22.

( 46 ) Pour reprendre les termes de la Cour suprême irlandaise dans l’arrêt Garvey c. Ireland [1981] IR 75.

( 47 ) Voir, par analogie, arrêt du 14 mars 2017, G4S Secure Solutions (C‑157/15, EU:C:2017:203, point 40).

( 48 ) Certains juristes recommandent à leurs clients « de chercher des motifs commerciaux alternatifs pour mettre un terme à leurs relations commerciales avec l’Iran ou Cuba » afin de contourner l’application de la loi de blocage de l’UE. Voir Doussin, A., Catrain, L., et Dukic, A., How to Mitigate Sanctions Risks, Hogan Lovells, 2020, slides disponibles sur le site Internet du cabinet.

( 49 ) À cet égard, je considère que, contrairement à ce qu’a jugé le tribunal de commerce de Paris dans une affaire concernant également la résiliation d’un contrat conclu avec Bank Melli Iran, le fait que la loi de blocage de l’UE existait déjà à la date de la conclusion du contrat en cause ne saurait exclure l’application de l’article 5, premier alinéa, de cette loi au motif que la clause de force majeure utilisée pour résilier le contrat a été convenue en tenant compte des dispositions de cette
réglementation. En effet, le premier alinéa de l’article 5 représente une politique publique fondamentale de l’Union et de ses États membres, de sorte que les parties ne peuvent pas y déroger. Voir tribunal de commerce de Paris, 23 janvier 2020, SC Bank Melli Iran Banque Nationale c SAS Vivéo France, no 2019023091.

( 50 ) En effet, la Cour distingue l’administration de la preuve de la charge de la preuve. Voir, en matière de pourvois, arrêts du 19 décembre 2013, Siemens e.a./Commission (C‑239/11 P, C‑489/11 P et C‑498/11 P, non publié, EU:C:2013:866, point 38), ainsi que du 28 juin 2018, EUIPO/Puma (C‑564/16 P, EU:C:2018:509, point 57). En dehors des pourvois, voir, à cet effet, arrêt du 21 juin 2017, W e.a. (C‑621/15, EU:C:2017:484, point 24).

( 51 ) Toutefois, l’autonomie procédurale des États membres est limitée par l’obligation, à charge des États membres, de ne pas rendre impossible en pratique ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par le droit de l’Union (principe d’effectivité), d’appliquer, en matière de mise en œuvre du droit de l’Union, les mêmes règles que celles régissant des situations similaires relevant du droit national (principe d’équivalence) et de respecter les principes généraux du droit de l’Union.
Voir, par exemple, arrêt du 27 juin 2018, Turbogás (C‑90/17, EU:C:2018:498, point 43). De plus, si l’administration de la preuve relève clairement du droit procédural, certaines traditions juridiques rattachent la répartition de la charge de la preuve au droit matériel. Par exemple, en droit français, les règles de présomption et de charge de la preuve sont prévues par le Code civil et non pas par le Code de procédure civile. En droit allemand, selon la théorie des normes
(Normenbegünstigungstheorie), le législateur tient compte de la répartition de la charge de la preuve au moment de formuler une norme. Par conséquent, les juges déduisent la répartition de la charge de la preuve en interprétant le droit matériel. Voir Prütting Münchener Kommentar zur ZPO, 3. Aufl. 2008, § 286 no 113 à 115. À ma connaissance, la Cour ne s’est jamais clairement prononcée sur cette question étant donné que le droit de l’Union précise très souvent quelle est effectivement la répartition
de la charge de la preuve.

( 52 ) Voir, par exemple, arrêts du 28 avril 1966, ILFO/Haute Autorité (51/65, EU:C:1966:21) ; du 26 janvier 1989, Koutchoumoff/Commission (224/87, EU:C:1989:38), ou du 21 mai 2015, Schräder/OCVV (C‑546/12 P, EU:C:2015:332, point 78).

( 53 ) Voir arrêt du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission (C‑521/09 P, EU:C:2011:620, point 56).

( 54 ) Voir article 8 de la directive 2000/43/CE du Conseil, du 29 juin 2000, relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique (JO 2000, L 180, p. 22) ; article 10 de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail (JO 2000, L 303, p. 16), et article 19 de la directive 2006/54/CE du Parlement européen
et du Conseil, du 5 juillet 2006, relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité des chances et de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d'emploi et de travail (refonte) (JO 2006, L 204, p. 23).

( 55 ) D’autres éléments, tels que le fait que la société organise une formation interne de son personnel sur la législation en cause, qu’elle a une politique relative à ces réglementations ou qu’elle recourt à des outils de monitoring, semblent constituer des éléments de preuve difficiles à avancer par des tiers.

( 56 ) À cet égard, certains affirment qu’il pourrait être déduit des objectifs poursuivis par la loi de blocage de l’UE que l’application de cette disposition exigerait en outre la démonstration de ce que la situation en cause implique une application extraterritoriale des lois en question. Voir, par exemple, Financial Markets Law Committee, US Sanctions and the EU Blocking Statute Regulation : Issues of Legal Uncertainty, 2019, points 3.5 et 3.12. Toutefois, alors que le libellé de l’article 5 de
la loi de blocage de l’UE est péremptoire, il n’y a rien dans cet article pour appuyer l’existence d’une telle condition. De plus, si, comme je le suspecte, la loi de blocage de l’UE a été conçue comme une contre-mesure au sens du droit international, il y a lieu de considérer qu’elle vise à bloquer en général les effets de cette législation.

( 57 ) Ces justifications peuvent être d’ordre économique ou commercial, ou peuvent concerner les sanctions adoptées par l’Union européenne, les règles de l’Union relatives au blanchiment d’argent et au financement du terrorisme, ou même des sanctions américaines, tant que ces sanctions ne font pas partie d’un texte législatif cité à l’annexe de la loi de blocage de l’UE.

( 58 ) Arrêt du 27 mars 2014, UPC Telekabel Wien (C‑314/12, EU:C:2014:192, point 49).

( 59 ) Voir, par exemple, arrêts du 26 novembre 1998, Bronner (C‑7/97, EU:C:1998:569, point 41) et, en ce sens, du 25 mars 2021, Deutsche Telekom/Commission (C‑152/19 P, EU:C:2021:238, point 49).

( 60 ) Certes, dans des matières ayant un parfum pénal, comme c’est le cas, selon moi, de l’application de la loi de blocage de l’UE, la Cour a jugé que le droit de l’Union s’oppose à ce que les États membres sanctionnent en tant que tel le refus de répondre opposé par une personne physique dans le cadre d’une enquête menée à ce sujet dans le but de fournir à l’autorité compétente des réponses susceptibles d’établir sa responsabilité au titre d’une infraction. Voir, en ce sens, arrêt du 2 février
2021, Consob (C‑481/19, EU:C:2021:84, point 58). Toutefois, la Cour a néanmoins admis qu’une juridiction ou une autorité administrative nationale puisse se fonder sur un faisceau d’indices concordants pour établir la violation de certaines règles du droit de l’Union [voir, en ce sens, arrêt du 26 janvier 2017, Maxcom/Chin Haur Indonesia (C‑247/15 P, C‑253/15 P et C‑259/15 P, EU:C:2017:61, point 64)] ou, simplement, effectuer un renversement de la charge de la preuve, comme dans le cas du principe de
non‑discrimination. Voir, par exemple, arrêt du 10 juillet 2008, Feryn (C‑54/07, EU:C:2008:397, point 32).

( 61 ) Arrêt du 9 mars 1978, Simmenthal (106/77, EU:C:1978:49, point 16).

( 62 ) En ce qui concerne la condition de proportionnalité, il convient de souligner que cette condition n’est pas contraire à celle de dissuasion dans la mesure où elle présuppose simplement que la sanction effectivement imposée soit proportionnelle à la gravité des faits en cause, alors que la dissuasion est garantie par la menace d’une sanction, c’est‑à‑dire, par la portée des sanctions possibles. Dans le cas de la loi de blocage de l’UE, la gravité des faits dépendra, par exemple, de la nature
plus ou moins permanente du comportement de l’entreprise visée à l’article 11 de cette loi, ainsi que de la nature de la législation à laquelle cette personne s’est conformée.

( 63 ) Ces exigences sont tout simplement celles requises par la jurisprudence de la Cour en cas de violation du droit de l’Union. Voir arrêts du 10 avril 1984, Von Colson et Kamann (14/83, EU:C:1984:153, point 28) ; du 21 septembre 1989, Commission/Grèce (68/88, EU:C:1989:339, point 24) et, s’agissant du système commun de TVA, du 5 décembre 2017, M.A.S. et M.B. (C‑42/17, EU:C:2017:936, points 34 à 35).

( 64 ) En ce qui concerne la nature dissuasive des sanctions, cette condition implique logiquement que les sanctions pouvant être imposées doivent être au moins équivalentes à celles qui peuvent être imposées sur la base de la législation visée dans l’annexe. Dans le cas contraire, l’équilibre entre le respect de la législation visée dans l’annexe et le respect de la loi de blocage de l’UE pencherait systématiquement en faveur de la première, les sanctions prévues par la deuxième étant alors
uniquement considérées comme un simple coût de compliance additionnel. Voir, par exemple, Wils, W.P.J., « Optimal Antitrust Fines : Theory and Practice », World Competition, vol. 29(2), 2006, p. 15 : « Pour que la dissuasion fonctionne, il est requis que, du point de vue de la société (ou de l’individu adoptant la décision pour la société) qui envisage une éventuelle violation des lois antitrust, l’amende attendue excède le gain attendu. Ce qui compte donc est l’estimation subjective, par le
contrevenant potentiel, du gain, de la probabilité d’être détecté et sanctionné ainsi que du montant de l’amende en cas détection et de sanction ». Dans le cas de la loi de blocage de l’UE, ainsi que le relève le rapport commandé par le Parlement européen, « ce n’est que si les entreprises s’attendent à ce que la [loi de blocage de l’UE] soit exécutée avec autant de vigueur que les législations américaines qu’elles seront enclines à aligner leur comportement sur la [loi de blocage de l’UE] et à
désobéir au droit américain ». Stoll, T., Blockmans, S., Hagemejer, J., Hartwell, C.A., Gött, H., Karunska, K., et Maurer, A., Extraterritorial Sanctions on Trade and Investments and European Responses, Study requested by the INA committee of the European Parliament, 2020, p. 65. Cela ne signifie toutefois pas qu’il faut toujours infliger les sanctions maximales, étant donné que la menace de telles sanctions, dans la mesure où elle reste crédible, est suffisante pour créer un effet dissuasif. De
plus, dans la mesure où l’article 9 de la loi de blocage de l’UE se réfère au « régime » de sanctions applicables, il doit en être déduit que ce sont les différentes sanctions prévues, qu’elles soient d’ordre pénal, administratif ou civil, qui, prises dans leur ensemble, doivent être efficaces, proportionnelles et dissuasives.

( 65 ) Voir, par exemple, en matière de TVA, en ce qui concerne l’obligation de prévoir des sanctions en cas de fraude, arrêt du 20 mars 2018, Menci (C‑524/15, EU:C:2018:197, point 19), et, en ce qui concerne l’obligation de rétablir la situation, arrêt du 21 novembre 2018, Fontana (C‑648/16, EU:C:2018:932, points 33 et 34). Alors qu’une même mesure peut poursuivre ces deux objectifs, à l’inverse, il n’est pas requis que ces deux objectifs soient atteints par la même mesure. Par conséquent, pour
considérer que l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE confère des droits à des personnes visées par des sanctions primaires, les mesures que les juridictions nationales sont tenues d’adopter d’un point de vue du droit civil devraient certainement être effectives et proportionnées, mais pas nécessairement dissuasives, puisqu’un tel effet dissuasif peut être atteint séparément au moyen de sanctions administratives.

( 66 ) Ainsi, dans le cas de la loi de blocage de l’UE, plusieurs États membres ont adopté une législation prévoyant des sanctions pénales (l’Irlande, le Royaume des Pays‑Bas et le Royaume de Suède), alors que d’autres ont préféré des sanctions administratives (la République fédérale d’Allemagne, le Royaume d’Espagne et la République italienne). Voir Bonnecarrère, P., Sur l’extraterritorialité des sanctions américaines, Rapport d’information du Sénat (France), no 17, 2018, p. 20.

( 67 ) Voir, entre autres, arrêts du 9 mars 1978, Simmenthal (106/77, EU:C:1978:49, point 16) ; du 19 juin 1990, Factortame e.a. (C‑213/89, EU:C:1990:257, point 19) ; du 20 septembre 2001, Courage et Crehan (C‑453/99, EU:C:2001:465, point 25), et du 17 septembre 2002, Muñoz et Superior Fruiticola (C‑253/00, EU:C:2002:497, point 28).

( 68 ) La situation est différente dans le cas d’une directive. Étant donné qu’une directive doit être transposée dans l’ordre national pour pouvoir être invoquée soit par un État à l’encontre d’une personne, soit, horizontalement, entre deux personnes privées, les États membres ont davantage de marge de manœuvre. Ces derniers doivent uniquement veiller à ce que, conformément au principe de coopération sincère consacré à l’article 4, paragraphe 3, TUE, toute violation d’une directive soit
sanctionnée dans des conditions de fond et de procédure qui soient analogues à celles applicables aux violations du droit national d’une nature et d’une importance similaires. Voir arrêt du 27 mars 2014, LCL Le Crédit Lyonnais (C‑565/12, EU:C:2014:190, point 44).

( 69 ) Selon moi, le principe d’autonomie procédurale n’est pas directement applicable en l’espèce, dans la mesure où ce principe vise à « régler les modalités procédurales des recours en justice destinés à assurer la sauvegarde des droits que les justiciables tirent du droit [de l’Union] ». Voir arrêts du 11 juillet 2002, Marks & Spencer (C‑62/00, EU:C:2002:435, point 34) ; du 3 septembre 2009, Fallimento Olimpiclub (C‑2/08, EU:C:2009:506, point 24), et du 21 janvier 2010, Alstom Power Hydro
(C‑472/08, EU:C:2010:32, point 17). Toutefois, les mesures que les juridictions nationales doivent adopter pour remédier aux conséquences de la violation du droit de l’Union ne relèvent pas du droit procédural, mais du droit matériel. Ainsi, par exemple, en ce qui concerne les mesures visant à remédier aux conséquences de la violation de l’interdiction d’exécuter des projets d’aide, prévue dans la dernière phrase de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, les autorités administratives et judiciaires
nationales sont tenues de garantir le plein effet de ces dispositions, ce qui les oblige ainsi à recouvrer de leur propre initiative les aides illégalement octroyées. Seules les modalités pratiques d’un tel recouvrement relèvent de l’autonomie procédurale. Voir, par exemple, arrêt du 5 mars 2019, Eesti Pagar (C‑349/17, EU:C:2019:172, point 92).

( 70 ) Il convient de rappeler que, selon la jurisprudence de la Cour, des considérations relatives au droit national des États membres, y compris celles d’ordre constitutionnel, ne sauraient être invoquées pour limiter l’effet utile du droit de l’Union. Voir arrêts du 17 décembre 1970, Internationale Handelsgesellschaft (11/70, EU:C:1970:114, point 3), ainsi que du 26 février 2013, Melloni (C‑399/11, EU:C:2013:107, point 59).

( 71 ) Dans la présente affaire, la question est plutôt de savoir si des amendes allant jusqu’à 500000 euros sont effectivement dissuasives, étant donné que les sanctions prévues par la législation américaine peuvent correspondre jusqu’au double du montant de la transaction qui est à la base de la violation au titre de laquelle une sanction est imposée et, par conséquent, peuvent s’élever à des centaines de millions.

( 72 ) Arrêt du 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund (C‑682/15, EU:C:2017:373, points 32 à 42).

( 73 ) Arrêts du 12 juillet 2018, Spika e.a. (C‑540/16, EU:C:2018:565, point 34), ainsi que du 17 octobre 2013, Schaible (C‑101/12, EU:C:2013:661, point 25).

( 74 ) Voir, par exemple, en ce sens, arrêt du 13 décembre 2001, DaimlerChrysler (C‑324/99, EU:C:2001:682, point 30).

( 75 ) Arrêts du 16 octobre 2014, Welmory (C‑605/12, EU:C:2014:2298, point 33), et du 5 novembre 2014, Herbaria Kräuterparadies (C‑137/13, EU:C:2014:2335, point 50). Ainsi, en particulier, la Cour n’est pas tenue d’examiner la validité d’un acte de l’Union sur la base d’un motif soulevé devant elle par l’une des parties. Voir arrêts du 4 septembre 2014, Simon, Evers & Co. (C‑21/13, EU:C:2014:2154, points 27 et 28), ainsi que du 28 janvier 2016, CM Eurologistik et GLS (C‑283/14 et C‑284/14,
EU:C:2016:57, points 45 et 46).

( 76 ) Arrêt du 10 décembre 2013, Commission/Irlande e.a. (C‑272/12 P, EU:C:2013:812, points 27 à 29, 36).

( 77 ) Voir, par exemple, arrêt du 10 décembre 2018, Wightman e.a. (C‑621/18, EU:C:2018:999, point 28).

( 78 ) Arrêts du 14 décembre 1995, van Schijndel et van Veen (C‑430/93 et C‑431/93, EU:C:1995:441, point 14) ; du 12 février 2008, Kempter (C‑2/06, EU:C:2008:78, point 45), et du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones (C‑40/08, EU:C:2009:615, point 54).

( 79 ) Voir, en particulier, arrêt du 17 septembre 2020, Compagnie des pêches de Saint‑Malo (C‑212/19, EU:C:2020:726, points 28 et 38).

( 80 ) Arrêt du 17 décembre 2020, BAKATI PLUS (C‑656/19, EU:C:2020:1045, point 33). Avant cela, voir arrêts du 16 octobre 2014, Welmory (C‑605/12, EU:C:2014:2298, point 34) ; du 6 octobre 2015, T-Mobile Czech Republic et Vodafone Czech Republic (C‑508/14, EU:C:2015:657, points 28 et 29), ainsi qu’ordonnance du 21 avril 2016, Beca Engineering (C‑285/15, non publiée, EU:C:2016:295, point 24).

( 81 ) Selon moi, il n’est toutefois pas nécessaire d’examiner la validité de la décision, contenue dans le règlement délégué 2018/1100, d’inclure la législation américaine en cause dans l’annexe à la loi de blocage de l’UE, étant donné que cette décision n’a jamais été mentionnée par la juridiction de renvoi.

( 82 ) Lenaerts, K., « Exploring the Limits of the EU Charter of Fundamental Rights », European Constitutional Law Review, vol. 8(3), 2012, p. 388.

( 83 ) Arrêt du 6 septembre 2012, Deutsches Weintor (C‑544/10, EU:C:2012:526, point 54).

( 84 ) Arrêts du 22 janvier 2013, Sky Österreich (C‑283/11, EU:C:2013:28, point 46) ; du 30 juin 2016, Lidl (C‑134/15, EU:C:2016:498, point 34), et du 16 juillet 2020, Adusbef et Federconsumatori (C‑686/18, EU:C:2020:567, points 82 et 83).

( 85 ) Voir arrêts du 6 avril 1995, RTE et ITP/Commission (C‑241/91 P et C‑242/91 P, EU:C:1995:98, points 49 à 57) ; du 26 novembre 1998, Bronner (C‑7/97, EU:C:1998:569, points 38 à 47) ; du 29 avril 2004, IMS Health (C‑418/01, EU:C:2004:257, point 38), et conclusions de l’avocate générale Kokott dans l’affaire Pressetext Nachrichtenagentur (C‑454/06, EU:C:2008:167, point 133).

( 86 ) Voir, par exemple, en ce sens, arrêts du 19 décembre 2019, Deutsche Umwelthilfe (C‑752/18, EU:C:2019:1114, point 52) ou du 22 janvier 2013, Sky Österreich (C‑283/11, EU:C:2013:28, point 50). La jurisprudence fait aussi parfois référence à un autre critère, à savoir que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante et que les inconvénients causés par celle‑ci ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés. Voir, par
exemple, arrêt du 17 décembre 2020, Centraal Israëlitisch Consistorie van België e.a. (C‑336/19, EU:C:2020:1031, point 64). Toutefois ces critères peuvent être considérés comme déjà contenus dans les deux critères précités.

( 87 ) À cet égard, il convient de souligner que l’adoption de contre-mesures est autorisée en droit international. En ce qui concerne les conditions auxquelles de telles mesures sont autorisées, voir articles 49 et suiv. du Projet d’articles sur la responsabilité de l’État pour fait internationalement illicite et commentaires y relatifs, adopté par la Commission du droit international à sa 53e session et approuvé le 28 janvier 2002 par une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies ; voir
aussi Leben, C., « Les contre-mesures inter-étatiques et les réactions à l’illicite dans la société internationale », Annuaire français de droit international, vol. 28, 1982, p. 9‑77, et Sicilianos, L.A., « La codification des contre-mesures par la Commission du droit international », Revue belge de droit international, vol. 38, 2005, p. 447 à 500. En tout état de cause, certains auteurs considèrent que, techniquement, la loi de blocage de l’UE relève du concept de mesures de rétorsion, c’est‑à‑dire
des mesures inamicales qui ne sont pas internationalement illicites en tant que telles, dès lors qu’elles ne violent pas les règles de compétence reconnues par le droit international. Voir Ruys, T., et Ryngaert, C., « Secondary Sanctions : A Weapon out of Control ? The International Legality of, and European Responses to US Secondary Sanctions », British Yearbook of International Law, 2020, p. 82.

( 88 ) Cette absence de critères explicites pour l’inclusion d’une législation dans l’annexe pourrait soulever certaines préoccupations. Toutefois, étant donné que les questions déférées dans la présente affaire ne portent pas sur ces aspects, je n’examinerai pas plus avant ce problème.

( 89 ) Certes, l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE peut sembler quelque peu obsolète puisque le jugement de la US Federal District Court for the Eastern District of Pennsylvania (tribunal fédéral des États Unis d’Amérique du district est de l’État de Pennsylvanie) dans l’affaire United States v. Brodie a rejeté l’application de la doctrine de la contrainte de la souveraineté étrangère. Toutefois, la Cour suprême américaine ne s’est jamais prononcée sur la force exécutoire de
cette doctrine en rapport avec la loi de blocage de l’UE. De plus, il ne saurait être exclu que cet article puisse servir, sur la base de cette doctrine ou de doctrines équivalentes, de moyen de défense dans le contexte d’une législation autre que celles en cause dans la présente affaire. En toute hypothèse, cette disposition reste pertinente du point de vue de l’objectif de contrecarrer les effets de ces législations.

( 90 ) À cet égard, je soulignerai que l’article 5, premier alinéa, de la loi de blocage de l’UE se contente d’envisager la possibilité d’interdire aux personnes visées à l’article 11 de ladite loi de se conformer à une législation lorsque celle‑ci remplit les conditions prévues dans cette loi ou dérivant des objectifs de cette loi aux fins de son ajout à l’annexe. Le point de savoir si, dans un cas déterminé, la décision d’inclure un texte législatif déterminé dans l’annexe à la loi de blocage de
l’UE constitue une mesure proportionnée relève du contrôle de la validité non pas de l’article 5, premier alinéa, de cette loi, mais d’une telle décision.

( 91 ) Arrêts du 25 juin 2020, VTB Bank/Conseil (C‑729/18 P, non publié, EU:C:2020:499, points 80 et 81), ainsi que du 24 septembre 2020, NK (Pensions d’entreprise de personnel cadre) (C‑223/19, EU:C:2020:753, point 89).

( 92 ) Voir, par analogie, arrêt du 6 octobre 2020, État luxembourgeois (Droit de recours contre une demande d’information en matière fiscale) (C‑245/19 et C‑246/19, EU:C:2020:795, point 92).

( 93 ) Selon Tom Ruys et Cedric Ryngaert, à la mi-2019, il n’y a eu que quinze demandes de dérogation. La Commission n’a toutefois pas communiqué le taux de réussite de ces demandes. Ruys, T., et Ryngaert, C., « Secondary Sanctions : A Weapon out of Control ? The International Legality of, and European Responses to US Secondary Sanctions », British Yearbook of International Law, 2020, p. 87.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-124/20
Date de la décision : 12/05/2021
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Hanseatisches Oberlandesgericht Hamburg.

Renvoi préjudiciel – Politique commerciale – Règlement (CE) no 2271/96 – Protection contre les effets de l’application extraterritoriale d’une législation adoptée par un pays tiers – Mesures restrictives prises par les États-Unis d’Amérique à l’encontre de l’Iran – Sanctions secondaires adoptées par ce pays tiers, empêchant des personnes d’entretenir, en dehors du territoire de celui-ci, des relations commerciales avec certaines entreprises iraniennes – Interdiction de se conformer à une telle législation – Exercice d’un droit de résiliation ordinaire.

Charte des droits fondamentaux

Droits fondamentaux

Politique commerciale

Relations extérieures

Libre circulation des capitaux


Parties
Demandeurs : Bank Melli Iran
Défendeurs : Telekom Deutschland GmbH.

Composition du Tribunal
Avocat général : Hogan

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2021:386

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