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10/12/2020 | CJUE | N°C-617/19

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. H. Saugmandsgaard Øe, présentées le 10 décembre 2020., Granarolo SpA contre Ministero dell'Ambiente e della Tutela del Territorio e del Mare e.a., 10/12/2020, C-617/19


 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE

présentées le 10 décembre 2020 ( 1 )

Affaire C‑617/19

Granarolo SpA

contre

Ministero dell’Ambiente e della Tutela del Territorio e del Mare,

Ministero dello Sviluppo Economico,

Comitato nazionale per la gestione della Direttiva 2003/87/CE e per il supporto nella gestione delle attività di progetto del protocollo di Kyoto,

en présence de

E.On Business Solutions Srl, anciennement E.On Connecting Energies Italia Srl
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 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE

présentées le 10 décembre 2020 ( 1 )

Affaire C‑617/19

Granarolo SpA

contre

Ministero dell’Ambiente e della Tutela del Territorio e del Mare,

Ministero dello Sviluppo Economico,

Comitato nazionale per la gestione della Direttiva 2003/87/CE e per il supporto nella gestione delle attività di progetto del protocollo di Kyoto,

en présence de

E.On Business Solutions Srl, anciennement E.On Connecting Energies Italia Srl

[demande de décision préjudicielle formée par le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional du Latium, Italie)]

« Renvoi préjudiciel – Environnement – Directive 2003/87/CE – Système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre – Article 3, sous e) – Notion d’“installation” – Notion d’“activités liées techniquement” – Article 3, sous f) – Notion d’“exploitant” – Cession d’une installation de cogénération d’énergie – Contrat de fourniture d’énergie entre la cédante et la cessionnaire – Rejet de la demande d’actualisation de l’autorisation d’émettre des gaz à effet de serre de la cédante »

I. Introduction

1. Granarolo SpA est une société opérant dans le secteur alimentaire du lait frais, ainsi que dans la production et la distribution de produits laitiers. Elle détient, pour son site de Pasturago di Vernate (Italie), sur lequel sont situés un établissement de production et une installation de cogénération d’électricité et de chaleur ( 2 ), une autorisation unique d’émettre des gaz à effet de serre. Néanmoins, dans les faits, Granarolo n’est plus propriétaire de l’installation de cogénération, qu’elle
a cédée à E.On Business Solutions (anciennement E.On Connecting Energies Italia Srl, ci‑après « EBS »), une société spécialisée dans la production d’énergie. Granarolo cherche, dès lors, à obtenir l’actualisation de son autorisation d’émettre des gaz à effet de serre, afin que les émissions liées à l’installation de cogénération ne lui soient plus imputées. Cette demande lui a, jusqu’à ce jour, été refusée par l’autorité compétente ( 3 ).

2. Dans ce contexte, Granarolo a saisi le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional du Latium, Italie) d’un recours ( 4 ). Cette juridiction a adressé à la Cour une demande tendant à obtenir une décision préjudicielle sur l’interprétation de l’article 3, sous e), de la directive 2003/87/CE ( 5 ), portant définition de la notion d’« installation ».

3. La Cour est interrogée sur le point de savoir, en substance, si, lorsque, sur un même site industriel, des unités techniques ont fait l’objet d’une autorisation unique d’émettre des gaz à effet de serre et ont été traitées, dans cette autorisation, comme une seule et même « installation », la cession de l’une d’elles par l’entreprise détentrice de l’autorisation à une personne physique ou morale a pour conséquence que cette unité ne fait plus partie d’une telle installation.

4. Dans la suite de mes conclusions, je proposerai à la Cour de répondre à cette question par l’affirmative, tout en précisant qu’il existe, à mon avis, deux exceptions : la première, lorsque, en dépit du changement de propriétaire, l’activité qui se déroule dans l’unité cédée est « liée techniquement » aux activités de la cédante et se « rapporte directement » ( 6 ) à l’installation de cette dernière et, la seconde, lorsque la cédante continue d’être l’« exploitant » ( 7 ) en mesure de contrôler
les émissions de cette unité. L’affaire au principal ne me semble relever d’aucune de ces deux exceptions.

II. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

5. L’article 3 de la directive 2003/87, intitulé « Définitions », prévoit :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

e) “installation”, une unité technique fixe où se déroulent une ou plusieurs des activités indiquées à l’annexe I ainsi que toute autre activité s’y rapportant directement qui est liée techniquement aux activités exercées sur le site et qui est susceptible d’avoir des incidences sur les émissions et la pollution ;

f) “exploitant”, toute personne qui exploite ou contrôle une installation ou, lorsque la législation nationale le prévoit, toute personne à qui un pouvoir économique déterminant sur le fonctionnement technique de l’installation a été délégué ;

[...] »

6. L’article 4 de cette directive, intitulé « Autorisation d’émettre des gaz à effet de serre », énonce :

« Les États membres veillent à ce que, à partir du 1er janvier 2005, aucune installation n’exerce une activité visée à l’annexe I entraînant des émissions spécifiées en relation avec cette activité, à moins que son exploitant ne détienne une autorisation délivrée par une autorité compétente conformément aux articles 5 et 6, ou que l’installation ne soit exclue du système communautaire conformément à l’article 27 [...] »

7. L’article 6 de ladite directive, intitulé « Conditions de délivrance et contenu de l’autorisation d’émettre des gaz à effet de serre », est libellé comme suit :

« 1.   L’autorité compétente délivre une autorisation d’émettre des gaz à effet de serre concernant les émissions en provenance de tout ou partie d’une installation si elle considère que l’exploitant est en mesure de surveiller et de déclarer les émissions.

Une autorisation d’émettre des gaz à effet de serre peut couvrir une ou plusieurs installations exploitées sur le même site par le même exploitant.

[...] »

8. L’article 7 de la même directive, intitulé « Changements concernant les installations », dispose :

« L’exploitant informe l’autorité compétente de tous changements prévus en ce qui concerne la nature, le fonctionnement de l’installation, ou toute extension ou réduction importante de sa capacité, susceptibles de nécessiter une actualisation de l’autorisation d’émettre des gaz à effet de serre. Le cas échéant, l’autorité compétente actualise l’autorisation. En cas de changement de l’identité de l’exploitant de l’installation, l’autorité compétente met à jour l’autorisation pour y faire figurer
le nom et l’adresse du nouvel exploitant. »

9. L’annexe I de la directive 2003/87, intitulée « Catégories d’activités auxquelles s’applique la présente directive », contient un tableau dans lequel sont listées ces activités. Parmi celles‑ci figure la « [c]ombustion de combustibles dans des installations dont la puissance calorifique totale de combustion est supérieure à 20 MW (à l’exception des installations d’incinération de déchets dangereux ou municipaux) ». Cette même annexe prévoit, à son point 3, que « [p]our calculer la puissance
calorifique totale de combustion d’une installation afin de décider de son inclusion dans le [SEQE], on procède par addition des puissances calorifiques de combustion de toutes les unités techniques qui la composent ».

B.   Le droit italien

10. L’article 3, paragraphe 1, sous t), du décret législatif n. 30/2013 ( 8 ) définit la notion d’« exploitant » comme étant « la personne qui possède ou gère une installation ou à qui un pouvoir économique déterminant a été délégué concernant le fonctionnement technique de l’installation » ( 9 ).

11. L’article 3, paragraphe 1, sous v), de ce décret législatif définit la notion d’« installation » comme étant « une unité technique fixe où se déroulent une ou plusieurs des activités indiquées à l’annexe I ainsi que toute autre activité s’y rapportant directement qui est liée techniquement aux activités exercées sur le site et qui est susceptible d’avoir des incidences sur les émissions et la pollution ».

12. L’article 13, paragraphe 1, dudit décret législatif prévoit qu’aucune installation ne peut exercer les activités prévues à l’annexe I de ce décret qui comportent des émissions de gaz à effet serre sans avoir obtenu l’autorisation délivrée par le comité SEQE.

13. Aux termes de l’article 16 de ce même décret législatif, l’exploitant informe le comité SEQE de tout changement concernant l’identité de l’exploitant ainsi que la nature, le fonctionnement de l’installation, ou toute extension ou réduction importante de sa capacité.

III. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

14. Granarolo est une société opérant dans le secteur alimentaire du lait frais, ainsi que dans la production et la distribution de produits laitiers. Elle possède, à Pasturago di Vernate, un établissement de production doté d’une centrale thermique, composée de trois chaudières produisant la chaleur nécessaire à ses processus de transformation.

15. Cette société était titulaire, pour son établissement de production, d’une autorisation d’émettre des gaz à effet de serre relative à la « combustion de combustibles dans des installations dont la puissance calorifique totale de combustion est supérieure à 20 MW », activité qui relève de l’annexe I du décret législatif n. 30/2013, portant transposition, dans le droit italien, de la directive 2003/87. Elle est soumise, pour cet établissement, au régime des « petits émetteurs » ( 10 ).

16. En 2013, Granarolo a construit, sur le site de son établissement de production, une installation de cogénération d’électricité et de chaleur destinées à la production alimentaire. Elle a obtenu, auprès du comité SEQE, l’actualisation de son autorisation d’émettre des gaz à effet de serre, afin qu’il soit tenu compte des émissions de cette installation.

17. En 2017, Granarolo a cédé son installation de cogénération à EBS, tout en concluant avec cette dernière un contrat de fourniture d’énergie visant à lui permettre de continuer à utiliser l’énergie thermique et l’électricité produites par cette installation pour subvenir aux besoins énergétiques de son établissement de production.

18. À la suite de cette cession, Granarolo a introduit auprès du comité SEQE une demande d’actualisation de son autorisation d’émettre des gaz à effet de serre afin d’éliminer les émissions de l’installation de cogénération du calcul de ses émissions de gaz à effet de serre, estimant que cette installation n’était plus exploitée par elle ni sous son contrôle.

19. Le comité SEQE ayant rejeté sa demande, Granarolo a saisi la juridiction de renvoi en vue d’obtenir l’annulation de cette décision de rejet.

20. Cette juridiction indique que, au soutien de son recours, Granarolo fait valoir que, dans sa décision de rejet, le comité SEQE a méconnu les exigences découlant de la directive 2003/87. En particulier, selon Granarolo, il ressortirait de l’article 3, sous f), et de l’article 6 de cette directive que l’autorisation d’émettre des gaz à effet de serre doit être délivrée à l’exploitant de l’installation. Or, en l’occurrence, le contrat de fourniture d’énergie liant Granarolo à EBS ne saurait être
interprété comme préservant, au profit de Granarolo, un pouvoir de gestion et de contrôle des émissions de l’installation de cogénération tel qu’elle continuerait d’exploiter cette installation.

21. Devant la juridiction de renvoi, le comité SEQE souligne, pour sa part, que la cession de la branche d’activité à EBS n’a pas eu d’incidence sur la configuration de l’installation de Granarolo, laquelle est composée de l’établissement de production et de l’installation de cogénération. Cette dernière installation devrait être considérée comme étant « liée techniquement » à l’établissement de production et susceptible d’avoir une incidence sur les émissions imputées à Granarolo. Une fois
l’autorisation d’émettre des gaz à effet de serre délivrée, le fait que le titulaire de cette autorisation diffère de l’exploitant de l’installation serait dépourvu de pertinence. À cet égard, il ressortirait, en tout état de cause, des clauses du contrat de fourniture d’énergie que Granarolo conserve un pouvoir déterminant sur l’exploitation de l’installation de cogénération.

22. Dans ce contexte, la juridiction de renvoi s’interroge sur l’interprétation des notions d’« installations » et d’« activités liées techniquement », au sens de l’article 3, sous e), de la directive 2003/87. Elle se demande également si, comme le suggère le comité SEQE, toute interprétation dans le sens d’admettre qu’il se serait produit une scission de l’installation initiale en deux installations donnerait lieu à un contournement des règles du système d’échange de quotas d’émission. En effet,
dans un tel cas de figure, l’installation de cogénération ayant une puissance inférieure à 20 MW, elle ne relèverait pas des activités couvertes par l’annexe I de cette directive et serait donc exclue du champ d’application matériel de ladite directive.

23. Sur la base de ces considérations, le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional du Latium) a, par décision du 13 mars 2019, parvenue à la Cour le 14 août 2019, décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’article 3, sous e), de la directive [2003/87] doit-il être interprété dans le sens que la notion d’“installation” vise également une situation comme celle de la présente espèce, dans laquelle une installation de cogénération construite par la requérante sur son site industriel pour fournir de l’énergie à son établissement de production a été cédée ultérieurement, moyennant une cession de branche d’activité, à une autre entreprise spécialisée dans le secteur de l’énergie, avec un contrat
qui prévoit, d’une part, le transfert à la cessionnaire de l’installation de cogénération d’électricité et de chaleur, des certifications, des documents, des déclarations de conformité, des licences, des concessions, des autorisations et des permis exigés pour l’exploitation de l’installation et l’exercice de l’activité, la constitution, en sa faveur, d’un droit de superficie sur l’aire de l’établissement appropriée et permettant l’exploitation et l’[entretien] de l’installation, et des
droits de servitude en faveur de l’installation de cogénération, comprenant une zone exclusive alentour, et, d’autre part, la fourniture, par la cessionnaire à la cédante, pour une durée de douze ans, de l’énergie produite par l’installation en question, aux prix prévus par le contrat ?

2) En particulier, la notion de “liaison technique” au sens du même article 3, sous e), [de la directive 2003/87] vise-t-elle une liaison entre une installation de cogénération et un établissement de production qui permettrait à ce dernier, appartenant à une autre personne, tout en bénéficiant d’une relation privilégiée avec l’installation de cogénération aux fins de la fourniture d’énergie (liaison moyennant un réseau de distribution d’énergie, contrat spécifique de fourniture conclu avec la
société énergétique cessionnaire de l’installation, engagement de cette dernière à fournir une quantité minimale d’énergie à l’établissement de production sauf en cas de remboursement d’un montant équivalant à la différence entre les coûts d’approvisionnement en énergie sur le marché et les prix prévus par le contrat, ristourne sur les prix de vente de l’énergie après dix ans et six mois à compter de l’entrée en vigueur du contrat, concession du droit d’option de rachat de l’installation de
cogénération à tout moment par la [...] cédante, nécessité de l’autorisation de la cédante pour exécuter des travaux sur l’installation de cogénération), de continuer à exercer son activité même en cas d’interruption de la fourniture d’énergie ou en cas de dysfonctionnement ou de cessation de l’activité de l’installation de cogénération ?

3) Enfin, en cas de cession effective d’une installation de [cogénération] par le constructeur, propriétaire sur le même site d’un établissement [de production], à une autre société spécialisée dans le secteur de l’énergie, pour des raisons d’efficacité, la possibilité de séparation des émissions y afférentes de l’autorisation [d’émission] du propriétaire de l’établissement [de production], à la suite de la cession, et l’éventuel effet de “sortie” des émissions du [...] SEQE provoqué par
l’absence de dépassement, par la seule installation de [cogénération], du seuil de qualification des “petits émetteurs”, constituent-ils une violation de la règle d’agrégation des sources visée à l’annexe I de la directive [2003/87] ou bien, au contraire, s’agit-il d’une conséquence simple et licite des choix organisationnels des opérateurs qui n’est pas interdite par le [...] SEQE ? »

24. Granarolo, EBS, les gouvernements italien et tchèque, ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites devant la Cour.

25. Les même parties et intéressés, hormis le gouvernement tchèque, ont été représentés lors de l’audience de plaidoirie qui s’est tenue le 17 septembre 2020.

IV. Analyse

26. Comme je l’ai indiqué en introduction des présentes conclusions, la juridiction de renvoi vise, en substance, à clarifier à quelle entreprise (cédante ou cessionnaire) doivent être imputées les émissions de gaz à effet de serre d’une installation de cogénération dont la propriété a été cédée par l’entreprise détentrice d’une autorisation unique pour le site sur lequel se trouve cette installation. Faut-il considérer que, si cette installation et l’établissement de production de la cédante ont
initialement été traités, dans cette autorisation, comme une seule et même « installation », au sens de l’article 3, sous e), de la directive 2003/87, tel doit toujours être le cas à la suite de la cession ?

27. C’est sur cette problématique que portent, en substance, les deux premières questions de la juridiction de renvoi, que j’analyserai ensemble dans les présentes conclusions.

28. La troisième question posée par cette juridiction vise, quant à elle, à déterminer si, dans l’hypothèse où une installation de cogénération telle que celle en cause au principal serait considérée, à la suite de sa cession, comme ne faisant plus partie de l’« installation » de la cédante, le fait que les émissions de gaz à effet de serre de cette installation n’atteignent pas, à elles seules, le seuil minimal de 20 MW pour être couvertes par la directive 2003/87 pourrait conduire à une violation
de la « règle d’agrégation » visée à l’annexe I, point 3, de cette directive ( 11 ).

29. Concrètement, si l’installation de cogénération et l’établissement de production devaient être regardés, à l’issue de l’opération réalisée par Granarolo et EBS, comme formant une seule et même « installation », leurs puissances calorifiques de combustion s’additionneraient en vertu de la « règle d’agrégation » et leurs émissions seraient couvertes par le SEQE. En revanche, si l’installation de cogénération devait ne plus faire partie de la même « installation » que l’établissement de production,
sa puissance calorifique totale de combustion n’atteindrait pas le seuil minimal de 20 MW. Il s’ensuivrait que les émissions de gaz à effet de serre de cette installation seraient exclues du champ d’application matériel de la directive 2003/87 et échapperaient au SEQE.

A.   Considérations liminaires

30. Je rappelle que la directive 2003/87 a pour objet d’instituer un système d’échange de quotas d’émission tendant à la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère et dont l’objectif final est la protection de l’environnement. Ce système repose sur une logique économique, laquelle incite tout participant à celui‑ci à émettre une quantité de gaz à effet de serre inférieure aux quotas qui lui ont été initialement octroyés, afin d’en céder le surplus à un autre participant ayant
produit une quantité d’émissions supérieure aux quotas alloués ( 12 ).

31. Ce principe de la mise aux enchères des quotas, que le législateur a considéré comme étant généralement « le système le plus simple et le plus efficace du point de vue économique » ( 13 ), au regard de l’objectif de « réduction des émissions de gaz à effet de serre dans des conditions économiquement efficaces et performantes » ( 14 ), dépend donc de la capacité de ses participants à contrôler leurs émissions de gaz à effet de serre.

32. En l’occurrence, au vu des clauses contractuelles mentionnées par la juridiction de renvoi dans ses questions, il me paraît, d’emblée, que seule EBS est en mesure de contrôler les émissions de l’installation de cogénération en cause au principal.

33. En effet, premièrement, comme je l’ai indiqué en introduction des présentes conclusions, Granarolo n’est plus propriétaire de cette installation. La juridiction de renvoi indique que Granarolo et EBS ont convenu de clauses contractuelles prévoyant le transfert de ladite installation et des documents exigés pour son exploitation à cette dernière société, ainsi que l’octroi d’un droit de superficie et de droits de servitude visant à permettre à EBS d’exploiter et d’entretenir cette même
installation.

34. Deuxièmement, je déduis de la manière dont les questions de cette juridiction sont formulées que, si EBS s’est engagée à fournir à Granarolo, pour une durée de douze ans, les quantités minimales d’énergie thermique et électrique pour subvenir aux besoins de l’établissement de production, cette obligation d’ordre contractuel ne confère pas à Granarolo le pouvoir de contrôler les émissions de l’installation de cogénération. En effet, dans le cas où EBS ne fournirait pas l’énergie requise, la seule
conséquence serait, comme l’indique ladite juridiction, qu’elle devrait rembourser à Granarolo un montant équivalent à la différence entre le prix d’approvisionnement en énergie sur le marché et le prix fixé dans le contrat de fourniture d’énergie conclu entre ces parties.

35. Troisièmement, même si la juridiction de renvoi précise que Granarolo dispose d’une option de rachat de l’installation de cogénération qu’elle pourrait exercer à tout moment, le seul fait que cette option existe, sans avoir jamais été accompagnée d’un acte concret visant à obtenir à nouveau la propriété de cette installation, ne permet pas, à mon avis, de conclure que cette société disposerait du pouvoir d’augmenter ou de réduire la quantité d’énergie totale produite par ladite installation.

36. Quatrièmement, il en va de même, selon moi, s’agissant de l’obligation contractuelle, également relevée par cette juridiction, en vertu de laquelle EBS serait contrainte de solliciter l’autorisation de Granarolo avant d’effectuer des travaux sur l’installation de cogénération. Cette obligation ne saurait modifier la conclusion selon laquelle seule EBS contrôle la quantité d’émissions émises par cette installation.

37. Sur la base de ces éléments, les parties et intéressés à la présente affaire défendent, en substance, deux thèses différentes.

38. D’une part, Granarolo, EBS et la Commission considèrent que, dès lors que Granarolo ne peut plus contrôler les émissions de l’installation de cogénération cédée à EBS, il serait indispensable, au titre de la directive 2003/87, de ne plus tenir compte des émissions de cette installation dans son autorisation d’émettre des gaz à effet de serre. En effet, les dispositions de cette directive indiqueraient que l’autorisation d’émettre des gaz à effet de serre est délivrée à l’« exploitant » de
l’installation, au sens de l’article 3, sous f), de ladite directive. Or seule EBS pourrait être considérée comme exerçant cette fonction.

39. D’autre part, les gouvernements italien et tchèque estiment que la notion d’« installation », au sens de l’article 3, sous e), de la directive 2003/87 est autonome par rapport à celle d’« exploitant ». Ainsi, dans les circonstances de l’affaire au principal, l’installation de cogénération pourrait être regardée comme continuant de ne former qu’une seule et même « installation » avec l’établissement de production de Granarolo et comme relevant toujours de l’autorisation afférente à cet
établissement, peu importe que l’identité de son exploitant diffère de celle du titulaire de cette autorisation ( 15 ).

40. En ce qui concerne la configuration de l’installation de cogénération, Granarolo a indiqué, lors de l’audience, que, dans l’autorisation qu’elle détient et qui reflète sa situation avant la cession à EBS, l’installation de cogénération et l’établissement de production ont été conçus comme deux unités techniques soumises à la « règle d’agrégation » prévue au point 3 de l’annexe I de la directive 2003/87 et faisant partie d’une seule et même installation.

41. La juridiction de renvoi souligne, dans ses questions, que, à la suite de la cession, l’installation de cogénération continue d’être physiquement liée à l’établissement de production de Granarolo par le biais d’un réseau de distribution. Toutefois, elle précise que Granarolo pourrait continuer à exercer son activité même en cas d’interruption de la fourniture d’énergie par EBS ou de dysfonctionnement de l’activité de l’installation de cogénération.

42. Pour les raisons que j’exposerai dans la suite des présentes conclusions (section B), je considère que ces éléments n’indiquent pas que, dans une affaire telle que celle au principal, les activités d’une installation de cogénération et d’un établissement de production devraient être regardées comme étant « liées techniquement », au sens de l’article 3, sous e), de la directive 2003/87 et comme relevant, de ce fait, d’une seule et même installation.

43. Une fois ces précisions apportées, il conviendra de déterminer à qui les émissions de gaz à effet de serre d’une installation de cogénération telle que celle en cause au principal peuvent être imputées. En d’autres termes, il me faudra établir si les émissions d’une telle installation peuvent continuer d’être couvertes par une autorisation d’émettre des gaz à effet de serre telle que celle que détient Granarolo.

44. À cet égard, j’indiquerai, tout d’abord, qu’une autorisation d’émettre des gaz à effet de serre ne peut couvrir que les installations ou parties d’installation que l’entreprise détentrice de l’autorisation « exploite », au sens de l’article 3, sous f), de la directive 2003/87 (section C). Ensuite, j’expliquerai que, dans les circonstances de l’affaire au principal, Granarolo n’« exploite » plus l’installation de cogénération et ne peut donc pas se voir imputer lesdites émissions (section D).

45. Je signale, d’ores et déjà, que les clauses contractuelles convenues entre une cédante et une cessionnaire ne me paraissent pas pertinentes aux fins de déterminer si une activité cédée est « techniquement liée » aux activités de la cédante. Toutefois, il ressort de la section D des présentes conclusions que ces mêmes clauses sont, à mon avis, utiles aux fins d’identifier l’exploitant de l’unité technique dans laquelle se déroule une telle activité, c’est‑à‑dire pour déterminer à qui les
émissions qui en sont issues doivent être imputées.

46. Pour finir, je répondrai à la troisième question de la juridiction de renvoi, relative à une éventuelle violation de la « règle d’agrégation » (section F).

B.   Sur la notion d’« activités liées techniquement »

47. Je rappelle que, aux termes de l’article 3, sous e), de la directive 2003/87, il convient d’entendre par « installation »« une unité technique fixe où se déroulent une ou plusieurs activités indiquées à l’annexe I ainsi que toute autre activité s’y rapportant directement qui est liée techniquement aux activités exercées sur le site et qui est susceptible d’avoir des incidences sur les émissions et la pollution » ( 16 ). En outre, la « règle d’agrégation » inscrite au point 3 de l’annexe I de
cette directive présuppose qu’une « installation » peut aussi consister en un ensemble de plusieurs unités techniques, regroupées sur un même site ( 17 ).

48. Sur la base de ces dispositions, il me paraît nécessaire de distinguer trois cas de figure lorsqu’une branche d’activité est cédée par l’entreprise détentrice d’une autorisation unique d’émettre des gaz à effet de serre.

1. Présentation des trois cas de figure possibles

49. Dans un premier cas de figure, l’exploitant cède la propriété de l’ensemble des installations ou parties d’installation couvertes par son autorisation d’émettre des gaz à effet de serre à une autre personne physique ou morale, qui en devient « l’exploitant ». La solution est alors prévue par l’article 7, troisième phrase, de la directive 2003/87 et consiste à ce que l’autorité compétente mette à jour l’autorisation pour y faire figurer le nom et l’adresse du nouvel exploitant.

50. Il ressort de cette disposition que, dans le cadre du SEQE, un exploitant est donc tout à fait libre de céder toutes les installations ou parties d’installations couvertes par son autorisation d’émettre des gaz à effet de serre à une autre entreprise. À la suite du transfert, c’est à cette autre entreprise que sont imputées les émissions.

51. La question est de savoir ce qu’il advient en cas de cession d’une seule des unités techniques qui composent une installation déjà couverte par une autorisation d’émettre des gaz à effet de serre. C’est cette situation de cession partielle qui est visée par les deux cas de figure suivants :

– Dans un deuxième cas de figure, l’exploitant cède une branche d’activité se déroulant dans une installation composée de plusieurs unités techniques, pour lesquelles il détient une autorisation unique d’émettre des gaz à effet de serre, à une autre personne physique et morale, tout en continuant d’effectuer les autres activités afférentes à cette installation. Ces activités et l’activité cédée ne sont toutefois pas « liées techniquement » au sens de l’article 3, sous e), de la directive
2003/87.

– Dans un troisième cas de figure, les faits sont identiques à ceux du deuxième cas de figure, mais l’activité cédée est « liée techniquement » aux activités qui continuent d’être effectuées par la cédante dans son installation et se rapporte directement à cette installation.

52. La définition de la notion d’« installation » donnée par l’article 3, sous e), de la directive 2003/87 requiert que, parce qu’elle sont liées techniquement, les activités visées par le troisième cas de figure soient considérées comme se déroulant au sein d’une seule et même installation.

53. En d’autres termes, la question de savoir si les activités de la cédante et de la cessionnaire sont « liées techniquement » a une incidence sur le nombre d’installations qu’il existe à la suite de la cession. Selon que l’on soit en présence du deuxième ou du troisième cas de figure, il pourrait, à la suite de la cession, exister soit une installation unique, soit deux installations.

2. Rappels sur l’interprétation de la notion d’« activités liées techniquement »

54. La directive 2003/87 ne contient pas de définition de la notion d’« activités liées techniquement ».

55. Toutefois, la Cour a déjà eu l’occasion de préciser, dans son arrêt Elektriciteits Produktiemaatschappij Zuid-Nederland EPZ, qu’il y a, en substance, lieu de conclure à l’existence d’un « lien technique » entre deux activités lorsque l’une d’elles est intégrée au processus technique global de l’autre ( 18 ).

56. Dans cet arrêt, la Cour a considéré, s’agissant d’une installation de stockage de charbon et d’une centrale thermoélectrique liées entre elles par un tapis roulant destiné à effectuer l’approvisionnement en charbon de la centrale, que le charbon stocké était indispensable au fonctionnement de la centrale, ce qui suffisait pour conclure que l’activité de stockage se rapportait directement à l’activité de celle‑ci ( 19 ).

57. Je reconnais que, dans ledit arrêt, la Cour ne me semble pas avoir expressément exclu qu’une activité qui ne serait pas « indispensable » à une autre puisse aussi être considérée comme étant « liée techniquement » à cette dernière. Toutefois, je comprends le critère retenu par la Cour en ce sens que les situations dans lesquelles des activités sont considérées comme étant « liées techniquement » incluent, en tout cas, celles où l’intégrité de l’installation pourrait être remise en cause si elle
ne pouvait plus bénéficier de l’activité cédée ( 20 ).

3. Identification du cas de figure dont relève l’affaire au principal

58. Le premier cas de figure identifié dans la sous-section 1 n’est clairement pas celui qui nous occupe dans les circonstances de l’affaire au principal. En effet, Granarolo n’a transféré à EBS que la propriété de son installation de cogénération, tandis que l’autorisation dont elle dispose couvre à la fois cette installation et l’établissement de production, dont elle conserve la propriété.

59. En l’occurrence, il convient donc d’examiner, au vu du dossier dont dispose la Cour et sous réserve des vérifications qu’il incombera à la juridiction de renvoi d’effectuer, si l’activité cédée par Granarolo à EBS est « liée techniquement » aux autres activités qui se déroulent dans l’installation pour laquelle cette première entreprise détient une autorisation d’émettre des gaz à effet de serre.

60. Sur ce point, le gouvernement italien fait valoir que, dès lors que l’énergie produite par l’installation de cogénération d’EBS est spécifiquement destinée à l’établissement de production de Granarolo et que ces deux installations sont physiquement raccordées entre elles, leurs activités sont « liées techniquement ».

61. Granarolo conteste cette argumentation et soutient, à l’instar d’EBS et de la Commission, que l’activité qui se déroule dans l’installation de cogénération n’est pas « liée techniquement » aux activités qu’elle effectue au sein de son établissement de production et ne saurait être considérée comme se rapportant directement à celui‑ci.

62. Je partage ce dernier avis.

63. En effet, ainsi que je l’ai relevé au point 55 des présentes conclusions, il ne suffit pas, pour conclure à l’existence d’activités « liées techniquement » que celles‑ci soient connectées de quelque manière que ce soit, mais il convient d’établir que l’activité cédée est intégrée au processus technique global des autres activités de la cédante.

64. En l’occurrence, il ressort du dossier dont dispose la Cour que l’installation de cogénération n’est liée à l’établissement de production de Granarolo qu’au moyen d’un réseau de distribution (c’est‑à‑dire de câbles), permettant la fourniture d’énergie.

65. Ce réseau de distribution, bien que garantissant à Granarolo un accès privilégié à l’énergie produite par EBS, ne suffit pas à établir l’existence d’un lien technique entre les activités de ces deux installations puisque, ainsi que l’a constaté la juridiction de renvoi, cet établissement peut continuer à exercer son activité même en cas de dysfonctionnement et d’interruption de l’activité de l’installation de cogénération. Cette dernière constatation me semble déterminante.

66. À cet égard, il ressort des circonstances factuelles exposées par la juridiction de renvoi que l’établissement de production est raccordé au réseau d’électricité national, ce qui permettrait son alimentation en électricité même en l’absence d’un approvisionnement adéquat par EBS ( 21 ).

67. De plus, ledit établissement possède lui‑même une centrale thermique, composée de trois chaudières. Selon Granarolo, dans le cas où l’énergie thermique de l’installation de cogénération ne pouvait lui être délivrée, cette centrale thermique serait suffisante pour produire toute l’énergie thermique nécessaire à ses besoins de production.

68. Ces éléments indiquent, selon moi, que l’activité de production d’énergie thermique et d’électricité d’une installation de cogénération telle que celle en cause au principal n’est pas intégrée au processus technique global d’un établissement de production tel que celui exploité par Granarolo. Du reste, l’établissement de Granarolo pouvait tout à fait fonctionner avant que l’installation ne soit construite. Il s’agit donc d’un cas à l’opposé de celui de la centrale à charbon dans l’affaire ayant
donné lieu à l’arrêt Elektriciteits Produktiemaatschappij Zuid-Nederland EPZ ( 22 ), laquelle ne pouvait exercer son activité sans le charbon acheminé par un tapis roulant depuis l’installation de stockage.

69. Dans ces conditions, je suis convaincu que, dans une affaire telle que celle au principal, l’activité cédée et les activités se déroulant dans l’établissement de production dont la cédante conserve la propriété ne sont pas « liées techniquement ». En particulier, comme le soulignent à juste titre EBS et la Commission, le rapport qui caractérise ces activités, bien loin de constituer un « lien technique », me paraît être de nature purement contractuelle.

70. La conclusion inverse reviendrait à considérer que, du seul fait de leur raccordement par un réseau électrique, tous les fournisseurs de services énergétiques exercent des activités qui sont « liées techniquement » à celles de leurs clients, ce qui aboutirait à un chevauchement des émissions de gaz à effet de serre pouvant leur être imputées et rendrait impossible le fonctionnement du SEQE ( 23 ).

71. Il découle de ces éléments que l’activité se déroulant dans une installation de cogénération telle que celle cédée, dans les circonstances de l’affaire au principal, par Granarolo à EBS ne saurait être regardée comme étant « liée techniquement » aux activités se déroulant dans un établissement de production qui, à l’instar de celui de Granarolo, peut continuer de fonctionner sans cette installation.

72. Une affaire telle que celle au principal relève donc du deuxième cas de figure décrit au point 51 des présentes conclusions.

73. Dans un tel cas de figure, il me semble, par ailleurs, que le seul fait que les unités techniques ont, avant la cession, été traitées comme formant une seule et même « installation » ne saurait remettre en cause la conclusion selon laquelle il existe désormais deux installations. Si les activités de la cédante et de la cessionnaire ne sont pas techniquement liées, l’unité technique permettant le déroulement de l’activité cédée doit, à la suite de la cession, être considérée comme distincte de
celles où se déroulent les activités de la cédante.

74. À cet égard, je rappelle que, aux termes de l’article 3, sous e), de la directive 2003/87, lorsqu’il n’est pas question de savoir si des activités sont « liées techniquement » à celles exercées au sein d’une installation, il s’agit simplement, comme le soutient le gouvernement tchèque, d’identifier une unité technique fixe où se déroulent une ou plusieurs des activités indiquées à l’annexe I de cette directive.

75. Or je rejoins la position de l’avocate générale Kokott dans ses conclusions dans l’affaire Elektriciteits Produktiemaatschappij Zuid-Nederland EPZ ( 24 ), selon laquelle la notion d’« unité technique » n’est pas définie et peut faire l’objet d’une interprétation souple.

76. En effet, contrairement à ce que suggère le gouvernement italien, il ne ressort pas de l’article 3, sous e), de la directive 2003/87 que le périmètre d’une installation ne pourrait jamais être ni élargi, ni restreint, ou que la configuration de l’installation ne pourrait jamais varier, une fois la première autorisation accordée.

77. Toute autre interprétation tendrait à figer dans le temps la description qui serait faite d’une installation dans la première autorisation la concernant et irait, selon moi, à l’encontre du libellé de l’article 7, première phrase, de la directive 2003/87, qui prévoit qu’une installation peut subir des changements en ce qui concerne sa nature, son fonctionnement et sa capacité.

78. Il en découle, à mes yeux, que des unités techniques dont les activités ne sont pas « liées techniquement » doivent, en cas de cession de l’une d’entre elles, être considérées comme des installations distinctes ( 25 ), peu importe qu’elles aient été identifiées dans une première autorisation d’émettre des gaz à effet de serre comme formant une seule et même « installation ».

79. Tel doit être le cas de l’installation de cogénération d’EBS et de l’établissement de production de Granarolo : elles ne sauraient être considérées comme formant une seule et même installation, mais bien comme deux installations distinctes.

80. Dans la section suivante, j’analyserai la question de savoir si les émissions d’une installation de cogénération telle que celle en cause au principal peuvent néanmoins, au motif qu’elles sont déjà couvertes par l’autorisation d’émettre des gaz à effet de serre dont dispose la cédante, toujours être imputées à cette société après la cession. Je répondrai par la négative, en indiquant que seul l’exploitant d’une telle installation peut être responsable de ces émissions. Ensuite, j’examinerai si,
dans les circonstances de l’affaire au principal, une société telle que Granarolo peut être considérée comme étant toujours « l’exploitant » d’une telle installation. Je conclurai que seule EBS me paraît remplir cette fonction.

C.   Sur la nécessité de lier l’autorisation d’émettre des gaz à effet de serre à l’exploitant

81. Je rappelle que l’article 3, sous f), de la directive 2003/87 dispose que, par « exploitant », il convient d’entendre toute personne qui « exploite ou contrôle » une installation ou, lorsque la législation nationale le prévoit, dispose d’un « pouvoir économique déterminant sur le fonctionnement technique » de l’installation.

82. En outre, la finalité du SEQE est, ainsi que je l’ai indiqué au point 31 des présentes conclusions, de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans des conditions économiquement efficaces et performantes. Elle n’est pas de limiter les transactions susceptibles d’être effectuées par les entreprises qui exploitent des installations relevant du SEQE. Preuve en est que, comme je l’ai constaté au point 49 des présentes conclusions, l’article 7, troisième phrase, de la directive 2003/87 envisage
expressément la situation d’un changement d’exploitant.

83. Au regard de cette finalité, j’estime, à l’instar de Granarolo, d’EBS et de la Commission, qu’une autorisation d’émettre des gaz à effet de serre ne peut couvrir que les installations ou parties d’installation que l’entreprise détentrice de l’autorisation « exploite ».

84. Toute autre interprétation irait, à mes yeux, à l’encontre des objectifs de la directive 2003/87 puisqu’elle impliquerait, ainsi que Granarolo l’a souligné à juste titre lors de l’audience, que l’autorisation pourrait être détenue par une personne physique ou morale qui ne serait plus en mesure de contrôler les émissions de l’installation. Compte tenu du risque que les émissions ne soient, le cas échéant, ni contrôlées, ni déclarées correctement, il en résulterait un effet préjudiciable pour le
SEQE.

85. La thèse proposée par les gouvernements italien et tchèque, qui reviendrait à lier l’autorisation à l’installation plutôt qu’à l’exploitant, me paraît, en outre, erronée, dans la mesure où, ainsi que l’a indiqué à juste titre la Commission lors de l’audience, il ressort clairement de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2003/87 que c’est sur la base de l’existence d’un exploitant capable de surveiller et de déclarer les émissions que l’autorisation d’émettre des gaz à effet de serre est
octroyée ( 26 ).

86. Les exigences formelles détaillées, notamment, audit article 6, paragraphe 2, attestent également du fait que seul l’exploitant peut détenir cette autorisation ( 27 ). En particulier, la délivrance de l’autorisation est, au titre de cette disposition, subordonnée au respect, notamment, de l’obligation en vertu de laquelle les exploitants sont tenus de restituer, avant le 30 avril de l’année en cours, pour annulation, un nombre de quotas égal à leurs émissions totales durant l’année civile
précédente ( 28 ). Le lien entre cette obligation et l’autorisation d’émettre des gaz à effet de serre confirme, selon moi, qu’aucune entreprise autre que l’exploitant à qui il incombe de restituer ces quotas ne peut être titulaire de cette autorisation ( 29 ).

87. Le libellé de l’article 4 de la directive 2003/87 me paraît corroborer cette interprétation. Il prévoit que les États membres veillent à ce que, à partir du 1er janvier 2005, aucune installation n’exerce une activité visée à l’annexe I de ladite directive entraînant des émissions spécifiées en relation avec cette activité, à moins que son exploitant ne détienne une autorisation délivrée par une autorité compétente ou que l’installation ne soit exclue du SEQE ( 30 ).

88. Je déduis des dispositions qui précèdent qu’une autorisation d’émettre des gaz à effet de serre ne peut couvrir que les installations ou parties d’installation que l’entreprise détentrice de l’autorisation « exploite » et dont elle est en mesure de surveiller et de déclarer les émissions.

89. L’argument du gouvernement tchèque selon lequel la directive 2003/87 devrait être interprétée à la lumière des dispositions d’autres directives en matière d’émissions industrielles et, plus particulièrement, de l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2010/75/UE ( 31 ), ne me paraît pas susceptible de conduire à un résultat différent.

90. Ce gouvernement considère qu’il conviendrait, dans le cadre de la directive 2003/87, de tenir compte du fait que, aux termes de l’article 4, paragraphe 3, de la directive 2010/75, l’existence de plusieurs exploitants pour différentes parties d’une même installation est possible. Selon ledit gouvernement, l’existence de plusieurs exploitants pour différentes parties d’une même installation ne s’opposerait pas à ce que celles-ci soient regardées comme formant une seule installation. A fortiori,
l’octroi de l’autorisation d’émettre des gaz à effet de serre ne dépendrait pas, non plus, de l’existence d’un exploitant unique.

91. Or cet argument n’enlève rien au fait que, ainsi qu’il ressort des dispositions que j’ai rappelées ci-dessus, une autorisation d’émettre des gaz à effet de serre ne peut être octroyée qu’à condition qu’il existe au moins un exploitant capable de surveiller et de déclarer les émissions d’une telle installation. Par ailleurs, il n’en découle aucunement que cette autorisation pourrait être détenue par une personne qui n’exploiterait pas l’installation qu’elle vise.

92. En tout état de cause, ledit argument concerne le cas de figure où il existe plusieurs exploitants pour une même installation, tandis que, ainsi qu’il ressort de la section B des présentes conclusions, il n’est pas question d’une telle situation dans la présente affaire ( 32 ). La piste de réflexion proposée par le gouvernement tchèque me paraît donc dénuée de pertinence.

93. Au regard des considérations qui précèdent, j’estime que les émissions d’une installation de cogénération ne sauraient être imputées à son ancien propriétaire au seul motif qu’elles sont déjà couvertes par son autorisation d’émettre des gaz à effet de serre. Elles ne peuvent être imputées qu’à l’exploitant de cette installation, c’est‑à‑dire à la personne qui est en mesure de surveiller et de déclarer ces émissions et qui en est responsable.

D.   Sur l’identification de l’exploitant

94. Dans les circonstances de l’affaire au principal, les clauses contractuelles liant Granarolo et EBS ne me paraissent pas indiquer que Granarolo conserverait, sur l’installation de cogénération, un contrôle tel qu’elle en serait toujours l’« exploitant » et que les émissions de cette installation pourraient continuer à lui être imputées, en dépit du changement de propriétaire.

95. Je rappelle que, selon Granarolo et EBS, le transfert de propriété de l’installation de cogénération a supprimé tout contrôle de la part de Granarolo sur cette installation.

96. Le gouvernement italien rejette cette argumentation et considère que Granarolo continue d’exploiter ladite installation. Cette dernière continuerait de dépendre des besoins énergétiques de l’établissement de production de Granarolo, puisque EBS se serait engagée à lui fournir, pendant douze ans, l’énergie nécessaire au fonctionnement de cet établissement, aurait accordé à Granarolo un droit de rachat à titre préférentiel concernant cette installation et aurait accepté qu’aucuns travaux de
maintenance ou de réparation ne soient effectués sans l’aval de Granarolo.

97. À cet égard, j’ai déjà indiqué aux points 32 à 36 des présentes conclusions qu’il ressort des clauses convenues entre Granarolo et EBS que seule EBS dispose du pouvoir d’augmenter ou de réduire la quantité d’énergie totale produite par l’installation de cogénération.

98. Le droit de rachat dont dispose Granarolo, de même que la nécessité d’obtenir l’autorisation préalable de cette dernière société avant d’effectuer des travaux sur cette installation, ne limitent aucunement ce pouvoir.

99. Le dossier dont dispose la Cour ne recèle pas d’autres circonstances factuelles dont il pourrait être déduit que Granarolo continuerait d’exploiter ladite installation.

100. Sous réserve des vérifications qu’il incombera à la juridiction de renvoi d’effectuer, ces considérations suffisent, à mon avis, pour conclure que Granarolo n’est pas en mesure de surveiller les émissions en provenance de l’installation de cogénération en cause au principal et qu’elle ne saurait être considérée comme l’« exploitant » auquel devraient être imputées ces émissions. Seule EBS remplit, à mes yeux, cette fonction.

E.   Conclusion intermédiaire

101. Selon moi, il découle des éléments qui précèdent qu’une installation de cogénération et un établissement de production tels que ceux en cause au principal ne sauraient être regardés comme faisant partie d’une même « installation », au sens de l’article 3, sous e), de la directive 2003/87.

102. À cet égard, j’estime, en particulier, que l’activité se déroulant dans une installation de cogénération telle que celle en cause au principal n’est pas « liée techniquement » aux activités d’un établissement de production qui, à l’instar de celui exploité par Granarolo, est raccordé au réseau d’électricité national et peut continuer de fonctionner même en cas de cessation d’activité de cette installation.

103. En outre, à moins que les clauses contractuelles conclues entre la cédante et la cessionnaire ou d’autres circonstances factuelles n’indiquent que la cédante conserve un contrôle sur ladite installation tel qu’elle continuerait d’en être l’« exploitant », au sens de l’article 3, sous f), de la directive 2003/87 – ce qui ne me paraît pas être le cas dans les circonstances de l’affaire au principal –, seule la cessionnaire devrait être regardée comme remplissant cette fonction et donc comme étant
susceptible de surveiller et de déclarer les émissions y afférentes. Ces émissions ne sauraient, dès lors, être imputées à la cédante et devraient être éliminées de son autorisation d’émettre des gaz à effet de serre, peu importe que l’installation de cogénération dont elles sont issues ait, au préalable de la cession, été traitée comme formant une seule et même installation avec son établissement de production.

F.   Sur la compatibilité avec la « règle d’agrégation » (troisième question préjudicielle)

104. J’expliquerai ci-après les raisons pour lesquelles je considère que la « règle d’agrégation » inscrite au point 3 de l’annexe I de la directive 2003/87 ne s’oppose pas à ce que, dans les circonstances d’une affaire telle que celle au principal, compte tenu du fait que la puissance calorifique de combustion de l’installation de cogénération est inférieure à 20 MW, les émissions liées au déroulement de l’activité cédée par Granarolo à EBS sortent du champ d’application matériel de cette
directive.

105. Selon moi, un tel résultat ne reflète aucunement un contournement abusif des règles du SEQE, mais procède de la volonté expresse du législateur de prévoir une règle de minimis et de n’inclure dans le champ d’application matériel de la directive 2003/87 que les installations dont la puissance calorifique totale de combustion est supérieure à 20 MW.

106. À cet égard, je constate, premièrement, que la « règle d’agrégation » n’a pas pour objectif d’empêcher des opérateurs économiques de céder leurs installations à des tiers, ni de faire en sorte que toutes les installations fonctionnant par « combustion de combustibles » soient autant que possible incluses dans le SEQE ( 33 ). Au contraire, il ressort de son libellé qu’elle a vocation à s’appliquer « aux fins de décider de l’inclusion de l’installation dans le SEQE », ce qui implique qu’il
existe, précisément, des situations dans lesquelles l’installation ne remplira pas les conditions pour relever du SEQE ( 34 ).

107. Deuxièmement, la possibilité que les émissions afférentes à une installation cédée échappent au SEQE ne saurait être comprise en ce sens qu’elle viserait à encourager les exploitants d’installations relevant du SEQE à subdiviser celles‑ci pour en céder la propriété à autant d’entreprises subsidiaires ou associées que nécessaire afin que, à l’issue de l’opération, aucune installation ne dépasse le seuil de 20 MW.

108. À cet égard, il découle de la section D des présentes conclusions que, si, en dépit du changement de propriétaire, il ressort des clauses contractuelles convenues entre les parties ou d’autres circonstances factuelles que la cédante continue d’exploiter la ou les unités techniques dans lesquelles se déroule l’activité cédée, cette entreprise pourra être considérée comme étant toujours responsable des émissions y afférentes. Le cas échéant, la règle d’agrégation continuera donc à s’appliquer
comme cela aurait été le cas avant la cession.

109. Cette considération me paraît suffisante pour éviter un contournement abusif du SEQE, tout en préservant la liberté des opérateurs d’effectuer des choix organisationnels licites concernant leurs activités et d’exercer leur autonomie contractuelle.

110. Troisièmement, j’éprouve des difficultés à comprendre les raisons pour lesquelles un exploitant tel que Granarolo pourrait augmenter les émissions qui lui ont été préalablement autorisées pour tenir compte des émissions d’une nouvelle unité technique construite sur son site qui n’est pas techniquement liée à ses autres activités ( 35 ), mais ne pourrait plus, après avoir cédé celle‑ci à un tiers, retirer les émissions correspondantes de son autorisation d’émettre des gaz à effet de serre, au
seul motif qu’il en a été l’ancien exploitant.

111. En effet, sa situation n’est alors pas différente de celle d’un autre opérateur qui, sans aucun lien préalable avec cette unité technique, déciderait de conclure un contrat de fourniture d’énergie avec un même tiers. J’ajoute que, en l’occurrence, si EBS avait elle‑même construit une installation de cogénération à proximité de l’établissement de production de Granarolo, au lieu de racheter celle de cette dernière société, une telle installation n’aurait, d’emblée, pas été couverte par le SEQE,
car elle n’aurait pas dépassé le seuil de 20 MW ( 36 ).

112. Enfin, je rappelle que l’objectif général du SEQE est de tendre à une réduction globale des émissions de gaz à effet de serre. Or cet objectif pourrait être atteint au mieux si, comme Granarolo et EBS cherchent à le faire dans l’affaire au principal, il était possible de céder une installation visant à produire de l’électricité et de l’énergie thermique à une entreprise spécialisée qui serait en mesure de contrôler les émissions de cette installation de la manière la plus efficace possible.

V. Conclusion

113. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre aux questions posées par le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio (tribunal administratif régional du Latium, Italie) comme suit :

1) L’article 3, sous e) de la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 2003, établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil, telle que modifiée par la directive 2009/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, doit être interprété en ce sens qu’une installation de cogénération et un établissement de production tels que ceux en cause au principal ne
sauraient, à la suite de la cession de l’installation de cogénération par leur exploitant commun à un autre exploitant, être regardés comme faisant partie d’une même « installation », au sens de cette disposition.

2) L’activité se déroulant dans une telle installation de cogénération n’est pas « liée techniquement », au sens de l’article 3, sous e), de la directive 2003/87, telle que modifiée par la directive 2009/29, aux activités d’un établissement de production qui, tel que celui en cause dans l’affaire au principal, est raccordé au réseau d’électricité national et peut continuer de fonctionner même en cas de cessation d’activité de l’installation de cogénération.

3) Le fait que la puissance calorifique totale de combustion d’une installation de cogénération telle que celle en cause au principal ne dépasse pas le seuil de 20 MW indiqué à l’annexe I de la directive 2003/87, telle que modifiée par la directive 2009/29, et que, à la suite de sa cession par son premier exploitant à un second exploitant, cette installation ne relève pas, par conséquent, du système d’échange de quotas d’émissions de gaz à effet de serre ne constitue pas un contournement abusif
de la règle d’agrégation prévue par le point 3, de l’annexe I de cette directive.

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( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Le principe de la cogénération consiste à produire, simultanément, de l’énergie mécanique, convertie en électricité, et de l’énergie thermique au sein d’une même installation et à partir d’une même source d’énergie (à savoir, par combustion de combustibles).

( 3 ) La demande d’actualisation de Granarolo a été adressée, tout comme sa demande d’autorisation d’émettre des gaz à effet de serre initiale, au Comitato nazionale per la gestione della direttiva 2003/87/CE e per il supporto nella gestione delle attività di progetto del Protocollo di Kyoto (Comité national pour la gestion de la directive 2003/87/CE et pour le soutien à la gestion des activités de projet relevant du protocole de Kyoto, Italie, ci‑après le « comité SEQE »). Par « SEQE », il convient
d’entendre « système d’échange de quotas d’émission ». Dans les présentes conclusions, j’utiliserai aussi bien cette abréviation que les termes « système d’échange de quotas d’émission ».

( 4 ) Ce recours est dirigé à l’encontre du Ministero dell’Ambiente e della Tutela del Territorio e del Mare (ministère de l’Environnement, de la Protection du territoire et de la mer, Italie), du Ministero dello Sviluppo economico (ministère du Développement économique, Italie), ainsi que du comité SEQE.

( 5 ) Directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil, du 13 octobre 2003, établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil (JO 2003, L 275, p. 32), telle que modifiée par la directive 2009/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009 (JO 2009, L 140, p. 63) (ci-après la « directive 2003/87).

( 6 ) Les termes « liée techniquement » et « se rapporte directement » sont utilisés dans la définition de la notion d’« installation », à l’article 3, sous e), de la directive 2003/87.

( 7 ) En ce qui concerne la définition de cette notion, je renvoie au point 5 des présentes conclusions.

( 8 ) Decreto legislativo n. 30 – Attuazione della direttiva 2009/29/CE che modifica la direttiva 2003/87/CE al fine di perfezionare ed estendere il sistema comunitario per lo scambio di quote di emissione di gas a effetto serra (décret législatif n. 30, visant la mise en œuvre de la directive 2009/29 modifiant la directive 2003/87 afin d’améliorer et d’étendre le système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre), du 13 mars 2013 (GURI no 79, du 4 avril 2013, ci-après le
« décret législatif n. 30/2013 »).

( 9 ) Traduction libre.

( 10 ) Le régime des « petits émetteurs » est décrit à l’article 38 du décret législatif n. 30/2013 (qui vise à transposer l’article 27 de la directive 2003/87). Le paragraphe 1, sous b), de cet article prévoit que, à la demande de l’intéressé, le comité SEQE peut exclure du système d’échange de quotas d’émission les installations dans lesquelles se déroulent des activités de « combustion de combustibles » et dont la puissance calorifique totale, bien que supérieure à 20 MW (de sorte qu’elles sont
visées à l’annexe I de ce décret), ne dépasse pas 35 MW. En l’occurrence, on peut donc se demander quel est l’intérêt, pour Granarolo, de savoir si les émissions de l’installation de cogénération doivent lui être imputées ou, au contraire, relever de la responsabilité d’EBS. En effet, au regard des chiffres communiqués par les parties, il semblerait que, même en additionnant la puissance de l’installation de cogénération à celle de l’établissement de production, la valeur obtenue serait inférieure
à 35 MW. À cet égard, je constate toutefois que, lors de l’audience, Granarolo a indiqué que la raison pour laquelle elle ne voulait pas se voir imputer les émissions de l’installation de cogénération était que la capacité de cette installation pouvait être augmentée au bon vouloir d’EBS (par exemple, aux fins de fournir de l’énergie à des tiers), ce qui pouvait conduire à ce que le seuil de 35 MW soit atteint, voire dépassé, sans qu’elle ait été en mesure de contenir ce risque.

( 11 ) Le contenu de cette règle est rappelé au point 9 des présentes conclusions.

( 12 ) Voir, en ce sens, arrêt du 20 juin 2019, ExxonMobil Production Deutschland (C‑682/17, EU:C:2019:518, points 62 à 63, et jurisprudence citée).

( 13 ) Voir considérant 15 de la directive 2009/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 23 avril 2009, modifiant la directive [2003/87] afin d’améliorer et d’étendre le système communautaire d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre. Voir également, à cet égard, mes conclusions dans l’affaire ExxonMobil Production Deutschland (C‑682/17, EU:C:2019:167, point 69).

( 14 ) Cet objectif est énoncé à l’article 1er de la directive 2003/87. Voir, également arrêts du 12 avril 2018, PPC Power (C‑302/17, EU:C:2018:245, point 18), ainsi que du 17 mai 2018, Evonik Degussa (C‑229/17, EU:C:2018:323, point 41).

( 15 ) Je précise que le gouvernement italien considère, pour sa part, que Granarolo est toujours « l’exploitant » de l’installation de cogénération. J’examinerai le bien‑fondé de cette argumentation dans la section D des présentes conclusions.

( 16 ) Mise en italique par mes soins.

( 17 ) Je relève, à toutes fins utiles, que la Commission a indiqué, dans son document « Guidance on Interpretation of Annex I of the EU ETS Directive (excl. aviation activities) » [« Orientations relatives à l’interprétation de l’annexe I de la directive [2003/87] (à l’exclusion des activités d’aviation) »], du 18 mars 2010 (p. 16), qu’une installation peut être composée de plusieurs unités. Ce document est disponible à l’adresse internet suivante :
https://ec.europa.eu/clima/sites/clima/files/ets/docs/guidance_interpretation_en.pdf.

( 18 ) Arrêt du 9 juin 2016 (C‑158/15, EU:C:2016:422, point 30).

( 19 ) Arrêt du 9 juin 2016, Elektriciteits Produktiemaatschappij Zuid-Nederland EPZ (C‑158/15, EU:C:2016:422, point 30).

( 20 ) Je précise que cette interprétation reflète, en substance, celle proposée par EBS lors de l’audience, au cours de laquelle elle a expliqué qu’il existe un lien technique entre deux activités lorsque l’arrêt de la partie de l’installation dédiée à l’une de ces activités bloquerait le fonctionnement du reste de l’installation.

( 21 ) J’ajoute que, selon Granarolo et EBS, il est par ailleurs techniquement possible, pour EBS, d’injecter directement l’électricité produite par l’installation de cogénération dans le réseau national d’électricité.

( 22 ) Arrêt du 9 juin 2016 (C‑158/15, EU:C:2016:422).

( 23 ) Poussé à l’extrême, ce raisonnement reviendrait à considérer, par exemple, que toutes les entreprises qui sont raccordées au réseau d’électricité national exercent des activités qui sont « liées techniquement » entre elles, ce qui n’est évidemment pas le cas.

( 24 ) C‑158/15, EU:C:2016:139, point 27.

( 25 ) En revanche, dans le cas où l’installation initiale serait composée d’une seule « unité technique » (ce qui n’est pas le cas en l’espèce), je n’exclus pas que, à la suite de la cession, il existe toujours une seule et même « installation », d’un point de vue technique, tandis que les émissions en provenance de cette installation seraient réparties entre la cédante et la cessionnaire en fonction des parties de ladite installation dont elles auraient, respectivement, le contrôle.

( 26 ) Je précise que, conformément à l’article 6, paragraphe 1, de cette directive, une autorisation d’émettre des gaz à effet de serre peut couvrir une ou plusieurs installations exploitées sur le même site par le même exploitant. Ainsi, ce n’est pas tant la nécessité d’avoir une autorisation par « installation », mais davantage celle de pouvoir rattacher cette autorisation à la personne physique ou morale capable de surveiller et de déclarer les émissions, qui me paraît primer dans les
dispositions de ladite directive relatives aux conditions d’octroi d’une telle autorisation.

( 27 ) Ces exigences incluent, entre autres, la nécessité pour ladite autorisation de contenir le nom et l’adresse de l’exploitant.

( 28 ) Voir, en ce sens, arrêt du 28 juillet 2016, Vattenfall Europe Generation (C‑457/15, EU:C:2016:613, point 30 et jurisprudence citée).

( 29 ) J’ajoute que, s’il est vrai, comme le fait valoir le gouvernement italien, que l’inclusion d’une installation au sein du SEQE dépend essentiellement de ses caractéristiques structurelles telles que le type d’activité exercée, sa puissance calorifique totale de combustion et la quantité d’émissions produites, d’autres conditions, listées à l’article 6 de la directive 2003/87, sont cependant nécessaires pour l’octroi d’une autorisation d’émettre des gaz à effet de serre.

( 30 ) De même, le considérant 11 de la directive 2003/87 prévoit que « [l]es États membres devraient veiller à ce que les exploitants de certaines activités spécifiées détiennent une autorisation d’émettre des gaz à effet de serre et surveillent et déclarent leurs émissions de gaz à effet de serre spécifiés en rapport avec ces activités » (mise en italique par mes soins).

( 31 ) Directive 2010/75/UE du Parlement européen et du Conseil, du 24 novembre 2010, relative aux émissions industrielles (prévention et réduction intégrées de la pollution) (JO 2010, L 334, p. 17). Je précise que la définition de la notion d’« installation », visée à l’article 3, paragraphe 3, de cette directive est quasi identique à celle figurant à l’article 3, sous e), de la directive 2003/87. La Commission a souligné cette quasi-identité dans sa communication au Parlement européen conformément
à l’article 251, paragraphe 2, deuxième alinéa, du traité CE concernant la position commune arrêtée par le Conseil en vue de l’adoption de la directive du Parlement européen et du Conseil établissant un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre dans la communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil [SEC (2003)364 final], disponible à l’adresse internet suivante : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/?uri=CELEX%3A52003SC0364 (plus précisément, au sixième
paragraphe du point 3.2.4 intitulé « Modifications supplémentaires apportées par le Conseil à la proposition modifiée »). J’ajoute que, aux termes de l’article 8 de la directive 2003/87, les États membres sont tenus de prendre « les mesures nécessaires pour que [...] les conditions et la procédure de délivrance d’une autorisation d’émettre des gaz à effet de serre soient coordonnées avec celles relatives à la délivrance d’un permis prévu par [la directive 2010/75] ».

( 32 ) L’existence de plusieurs exploitants pour différentes parties d’une même installation me paraît, en tout état de cause, tout aussi possible dans le cadre de la directive 2003/87 que dans celui de la directive 2010/75. Certes, la notion d’« exploitant », au sens de l’article 3, sous f), de cette première directive diffère de celle définie à l’article 3, paragraphe 15, de cette seconde directive, dans la mesure où, ainsi que l’a rappelé la Commission lors de l’audience, cette dernière
disposition désigne « toute personne physique ou morale qui exploite, en tout ou en partie, l’installation » et ne se limite donc pas à celle qui « exploite ou contrôle une installation » (mise en italique par mes soins). Toutefois, l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2003/87 prévoit que « [l]’autorité compétente délivre une autorisation d’émettre des gaz à effet de serre concernant les émissions en provenance de tout ou partie d’une installation [...] » (mise en italique par mes soins).

( 33 ) Ainsi que le souligne Granarolo, la Commission a indiqué, dans son document « Guidance on Interpretation of Annex I of the EU ETS Directive (excl. aviation activities) » [« Orientations relatives à l’interprétation de l’annexe I de la directive [2003/87] (à l’exclusion des activités d’aviation) », du 18 mars 2010 (p. 16), que la « règle d’agrégation » a pour but de traiter de manière égale les installations de même capacité, même si l’une exerce son activité à travers de nombreuses petites
unités de production et l’autre, au contraire, au moyen d’une seule grande unité. Le lien vers le site Internet sur lequel ce document est disponible est référencé à la note en bas de page 17 des présentes conclusions.

( 34 ) En tout état de cause, je rappelle que, conformément à l’article 27, paragraphe 1, de la directive 2003/87 (relatif à ce qui est communément appelé le « régime des petits émetteurs »), les États membres peuvent, sous certaines conditions, également exclure du SEQE les installations qui, même si elles dépassent le seuil de 20 MW, ont une puissance calorifique de combustion inférieure à 35 MW. Il s’ensuit que, même en appliquant la règle d’agrégation prévue à l’article 3 de l’annexe I de cette
directive, à la suite d’une cession et en considérant qu’il n’existe qu’une seule installation regroupant l’activité cédée et celle de la cessionnaire, une telle installation pourrait, malgré tout, être exclue du SEQE.

( 35 ) Voir point 16 des présentes conclusions.

( 36 ) À titre d’exemple, Granarolo indique que, sur un de ses autres sites industriels (différent de celui de Pasturago di Vernate), son installation de cogénération a été mise hors service et qu’EBS a construit, à proximité de l’établissement de production de ce site, une nouvelle installation de cogénération. Le fait que cette dernière installation fasse l’objet d’un contrat de fourniture d’énergie entre EBS et Granarolo n’a pas eu pour conséquence l’imputation des émissions y afférentes à cette
dernière société.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-617/19
Date de la décision : 10/12/2020
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Tribunale amministrativo regionale per il Lazio.

Renvoi préjudiciel – Environnement – Directive 2003/87/CE – Système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre – Article 3, sous e) – Notion d’“installation” – Article 3, sous f) – Notion d’“exploitant” – Annexe I, points 2 et 3 – Règle de l’agrégation – Addition des capacités des activités d’une installation – Cession d’une unité de cogénération d’électricité et de chaleur par le propriétaire d’un établissement industriel – Contrat de fourniture d’énergie entre les entreprises cédante et cessionnaire – Actualisation de l’autorisation d’émettre des gaz à effet de serre.

Cohésion économique, sociale et territoriale

Fonds de cohésion

Environnement

Pollution


Parties
Demandeurs : Granarolo SpA
Défendeurs : Ministero dell'Ambiente e della Tutela del Territorio e del Mare e.a.

Composition du Tribunal
Avocat général : Saugmandsgaard Øe

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2020:1016

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