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19/11/2020 | CJUE | N°C-511/19

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. J. Richard de la Tour, présentées le 19 novembre 2020., AB contre Olympiako Athlitiko Kentro Athinon – Spyros Louis., 19/11/2020, C-511/19


 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN RICHARD DE LA TOUR

présentées le 19 novembre 2020 ( 1 )

Affaire C‑511/19

AB

contre

Olympiako Athlitiko Kentro Athinon – Spyros Louis

[demande de décision préjudicielle formée par l’Areios Pagos (Cour de cassation, Grèce)]

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 2000/78/CE – Principe de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail – Interdiction des discriminations fondées sur l’âge – Employés du sect

eur public placés dans une réserve de main-d’œuvre jusqu’à la résiliation de leur contrat de travail – Relation de travail prenant fin lorsque le...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. JEAN RICHARD DE LA TOUR

présentées le 19 novembre 2020 ( 1 )

Affaire C‑511/19

AB

contre

Olympiako Athlitiko Kentro Athinon – Spyros Louis

[demande de décision préjudicielle formée par l’Areios Pagos (Cour de cassation, Grèce)]

« Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 2000/78/CE – Principe de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail – Interdiction des discriminations fondées sur l’âge – Employés du secteur public placés dans une réserve de main-d’œuvre jusqu’à la résiliation de leur contrat de travail – Relation de travail prenant fin lorsque les travailleurs remplissent les conditions pour percevoir une retraite à taux plein – Article 6, paragraphe 1 – Réduction des dépenses salariales du
secteur public – Objectif légitime de politique de l’emploi – Situation de crise économique et financière »

I. Introduction

1. La présente demande de décision préjudicielle porte sur l’interprétation de l’article 2 et de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail ( 2 ).

2. Cette demande a été présentée dans le cadre d’un litige opposant AB à Olympiako Athlitiko Kentro Athinon – Spyros Louis (ci-après « OAKA ») au sujet de son placement, conformément au droit national en la matière, sous le régime de la réserve de main-d’œuvre préalablement à sa retraite.

3. La mesure en cause au principal consiste dans la mise en place d’une réserve de main-d’œuvre pour les employés du secteur public ayant un contrat de travail de droit privé à durée indéterminée. Le placement sous le régime de la réserve de main-d’œuvre est réputé constituer une notification préalable de licenciement et la rémunération réduite versée au personnel soumis à ce régime est calculée par compensation avec l’indemnité de licenciement due, le cas échéant, à la fin de la période de réserve
de main-d’œuvre. La législation nationale en cause au principal prévoit que les employés qui remplissent durant une période déterminée les conditions pour percevoir une retraite à taux plein sont placés de plein droit sous le régime de la réserve de main‑d’œuvre à compter du 1er janvier 2012 et jusqu’à la résiliation de leur relation de travail. À cet égard, selon cette même législation, le contrat de travail de droit privé à durée indéterminée des employés prend fin en vertu de la loi et de
plein droit lorsque ces employés remplissent les conditions ouvrant droit à la retraite à taux plein, à condition que ce droit soit acquis jusqu’au 31 décembre 2013.

4. Le régime de la réserve de main-d’œuvre fait partie d’un ensemble de mesures adoptées par la République hellénique afin de réorganiser le secteur public et de réduire les dépenses publiques dans le contexte de la crise économique et financière que cet État membre a dû affronter. La présente affaire offre notamment à la Cour l’occasion de préciser la portée de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 dans un tel contexte.

5. Dans les présentes conclusions, je suggérerai à la Cour de dire pour droit que l’article 2, paragraphe 1 et paragraphe 2, sous a), ainsi que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle les employés du secteur public qui remplissent durant une période déterminée les conditions pour percevoir une retraite à taux plein sont placés jusqu’à la
résiliation de leur contrat de travail sous un régime de réserve de main‑d’œuvre, dans la mesure où, d’une part, cette réglementation poursuit un objectif légitime de politique de l’emploi et, d’autre part, les moyens mis en œuvre pour réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.

II. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

6. L’article 1er de la directive 2000/78 énonce que celle-ci a pour objet d’établir un cadre général pour lutter contre la discrimination fondée, notamment, sur l’âge, en ce qui concerne l’emploi et le travail, en vue de mettre en œuvre, dans les États membres, le principe de l’égalité de traitement.

7. L’article 2, paragraphes 1 et 2, de cette directive prévoit :

« 1.   Aux fins de la présente directive, on entend par “principe de l’égalité de traitement” l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er.

2.   Aux fins du paragraphe 1 :

a) une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre ne l’est, ne l’a été ou ne le serait dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er ;

b) une discrimination indirecte se produit lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’une religion ou de convictions, d’un handicap, d’un âge ou d’une orientation sexuelle donnés, par rapport à d’autres personnes, à moins que :

i) cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires [...]

[...] »

8. L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2000/78 se lit comme suit :

« Dans les limites des compétences conférées à [l’Union], la présente directive s’applique à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics, en ce qui concerne :

[...]

c) les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération ;

[...] »

9. L’article 6 de la directive 2000/78 dispose :

« 1.   Nonobstant l’article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que des différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.

Ces différences de traitement peuvent notamment comprendre :

a) la mise en place de conditions spéciales d’accès à l’emploi et à la formation professionnelle, d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération, pour les jeunes, les travailleurs âgés et ceux ayant des personnes à charge, en vue de favoriser leur insertion professionnelle ou d’assurer leur protection ;

b) la fixation de conditions minimales d’âge, d’expérience professionnelle ou d’ancienneté dans l’emploi, pour l’accès à l’emploi ou à certains avantages liés à l’emploi ;

[...]

2.   Nonobstant l’article 2, paragraphe 2, les États membres peuvent prévoir que ne constitue pas une discrimination fondée sur l’âge la fixation, pour les régimes professionnels de sécurité sociale, d’âges d’adhésion ou d’admissibilité aux prestations de retraite ou d’invalidité, y compris la fixation, pour ces régimes, d’âges différents pour des travailleurs ou des groupes ou catégories de travailleurs et l’utilisation, dans le cadre de ces régimes, de critères d’âge dans les calculs
actuariels, à condition que cela ne se traduise pas par des discriminations fondées sur le sexe. »

B.   Le droit grec

10. L’article 34, intitulé « Suppression de postes vacants de droit privé et réserve de main-d’œuvre », du Nómos 4024/2011 : Syntaxiodotikés rythmíseis, eniaío misthológio – vathmológio, ergasiakí efedreía kai álles diatáxeis efarmogís tou mesopróthesmou plaisíou dimosionomikís stratigikís 2012-2015 (loi 4024/2011 portant dispositions sur les régimes de retraite, le barème unitaire des salaires et des grades, la réserve de main-d’œuvre et autres dispositions mettant en œuvre le cadre de stratégie
budgétaire à moyen terme 2012-2015) ( 3 ), du 27 octobre 2011, tel que modifié par le décret-loi du 16 décembre 2011 converti en loi par l’article 1er du Nómos 4047/2012 (loi 4047/2012) ( 4 ), du 23 février 2012, prévoit à ses paragraphes 1 à 4 et 8 :

« 1.   L’article 37, paragraphe 7, de la loi 3986/2011 (FEK A’ 152) est remplacé comme suit :

[...]

c) Le personnel soumis au régime de la réserve de main-d’œuvre continue à percevoir, à compter de son placement sous ledit régime et pendant 12 mois ou, si cela est prévu par des dispositions plus spéciales, 24 mois, 60 % du salaire de base qu’il percevait au moment de son placement sous le régime en question.

[...]

e) Le placement sous le régime de la réserve de main-d’œuvre est réputé constituer une notification préalable de licenciement à toutes fins juridiques et la rémunération versée au personnel soumis audit régime conformément aux dispositions énoncées sous c) est calculée par compensation avec l’indemnité de licenciement due, le cas échéant, à la fin de la période de réserve de main-d’œuvre.

[...]

2.   Les postes de travailleurs liés par une relation de travail de droit privé à durée indéterminée dans l’administration, les personnes morales de droit public, les collectivités territoriales de premier et de second degré et leurs établissements, les personnes morales de droit privé appartenant à l’État ou à des personnes morales de droit public ou à des collectivités territoriales, en ce sens qu’elles sont chargées d’une mission confiée par l’État, l’administration ou les collectivités
territoriales ou qu’elles font l’objet d’une surveillance par l’État, l’administration ou les collectivités territoriales ou que leur conseil d’administration est désigné et contrôlé majoritairement par l’État, l’administration ou les collectivités territoriales ou qu’au moins 50 % de leur budget annuel est subventionné de manière permanente conformément aux dispositions pertinentes au moyen de fonds des organismes susmentionnés, ainsi que les entreprises, organismes et sociétés anonymes publics
relevant du champ d’application des dispositions du chapitre I de la loi 3429/2005 (A’ 314), telles que modifiées par [l’article 1er,] paragraphe 1, sous a), de la loi 3899/2010 (A’ 212), qui sont vacants à l’entrée en vigueur de la présente loi, sont supprimés [...]

3.   Le contrat de travail de droit privé à durée indéterminée des employés en poste au sein des organismes susmentionnés [...] prend fin en vertu de la loi et de plein droit lorsque lesdits employés remplissent les conditions ouvrant droit au départ à la retraite à taux plein, qui correspondent à une affiliation au régime de sécurité sociale depuis 35 ans, à condition que ce droit soit acquis, conformément aux dispositions pertinentes, jusqu’au 31 décembre 2013 inclus [...]

4.   Les travailleurs visés au paragraphe précédent sont placés de plein droit sous le régime de réserve de main-d’œuvre à compter du 1er janvier 2012 et jusqu’à la résiliation de leur relation de travail selon les modalités du paragraphe précédent [...]

[...]

8.   La durée de la réserve de main-d’œuvre n’excède pas les 24 mois pour ce qui concerne les travailleurs visés au paragraphe 4 [...] »

11. Par ailleurs, l’article 8, deuxième alinéa, du Nómos 3198/1955 : Perí tropopoiíseos kai sympliróseos ton perí katangelías tis schéseos ergasías diatáxeon (loi 3198/1955 modifiant et complétant les dispositions en matière de résiliation de la relation de travail) ( 5 ), du 23 avril 1955, prévoit, dans sa version en vigueur au moment des faits au principal, le droit pour les salariés, lorsqu’ils réunissent les conditions pour prétendre au versement de la pension de vieillesse à taux plein par
l’organisme de sécurité sociale concerné, de percevoir 40 % de l’indemnité de licenciement à laquelle ils ont droit en vertu des dispositions pertinentes lorsqu’ils sont couverts par une assurance complémentaire, ou 50 % de ladite indemnité, lorsqu’ils ne sont pas couverts par une assurance complémentaire, que ceux‑ci quittent leur emploi ou qu’ils soient licenciés par l’employeur.

III. Le litige au principal et les questions préjudicielles

12. Il ressort de la décision de renvoi qu’AB a été recruté en 1982 par OAKA, une personne morale de droit privé appartenant au secteur public ( 6 ), en vertu d’un contrat à durée indéterminée et s’est vu confier, en 1998, les fonctions de conseiller technique au sein de celle-ci. En exécution de ces fonctions, il percevait un salaire de chef de section ainsi que, jusqu’à sa suppression en 2010, une indemnité de fonction.

13. À compter du 1er janvier 2012, OAKA a soumis AB de plein droit au régime de la réserve de main-d’œuvre en application de l’article 34, paragraphe 1, sous c), paragraphe 3, premier alinéa, ainsi que paragraphes 4 et 8 de la loi 4024/2011, ce qui aurait entraîné une réduction de sa rémunération à 60 % de son salaire de base.

14. Le 30 avril 2013, OAKA a résilié le contrat de travail d’AB sans lui verser d’indemnité de licenciement, au motif qu’il réunissait les conditions ouvrant droit au versement de sa retraite à taux plein, en application de l’article 34, paragraphe 1, sous e), de la loi 4024/2011 qui prévoit une compensation entre l’indemnité de licenciement due et la rémunération versée à l’employé au cours de son affectation à la réserve de main-d’œuvre.

15. Par son recours introduit devant le Monomeles Protodikeio Athinon (tribunal de grande instance à juge unique d’Athènes, Grèce), AB a notamment contesté la validité de son transfert vers le régime de la réserve de main-d’œuvre en application des dispositions précitées de l’article 34 de la loi 4024/2011, en faisant valoir que celles-ci introduisent une différence de traitement fondée sur l’âge contraire à la directive 2000/78, sans que cette différence de traitement soit objectivement justifiée
par un quelconque objectif légitime ou que les moyens de réaliser un tel objectif soient appropriés et nécessaires. Pour cette raison, il a demandé que OAKA soit condamnée à lui verser la somme de 50889,91 euros, au titre de la différence entre le salaire qu’il percevait avant son placement sous le régime de la réserve de main-d’œuvre et celui qu’il percevait après celui-ci. AB a également invoqué l’article 8, deuxième alinéa, de la loi 3198/1955 pour réclamer à OAKA le paiement d’une somme de
32108,04 euros à titre d’indemnité de licenciement.

16. Cette juridiction ayant partiellement accueilli ce recours, OAKA a interjeté appel devant le Monomeles Efeteio Athinon (cour d’appel d’Athènes, statuant en formation à juge unique, Grèce) qui a annulé le jugement rendu en première instance et a rejeté la partie du recours d’AB qui avait été accueillie dans ce jugement.

17. AB s’est pourvu en cassation devant la juridiction de renvoi, l’Areios Pagos (Cour de cassation, Grèce).

18. Cette juridiction relève que les dispositions mettant en place le régime de la réserve de main-d’œuvre ne prévoient pas de limite d’âge pour le personnel qui y est soumis, contrairement aux fonctionnaires du secteur public au sens strict qui sont admis au régime de préretraite, aux fins duquel une limite d’âge déterminée est fixée.

19. La juridiction de renvoi en déduit que le placement sous le régime de la réserve de main-d’œuvre ne constitue pas une discrimination directe fondée sur l’âge au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78.

20. Cette juridiction relève que la législation nationale mettant en place ce régime est fondée sur le critère de la proximité du départ à la retraite à taux plein, c’est-à-dire lorsque le travailleur réunit les conditions qui ouvrent droit à son versement par l’organisme assureur concerné, ce qui suppose que le travailleur dispose de 35 ans de cotisations, pour autant que ces conditions soient remplies au cours de la période comprise entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2013.

21. Selon la juridiction de renvoi, il ressort également de la législation nationale en matière de sécurité sociale que, outre la période minimale de cotisation de 35 ans, la condition indispensable pour qu’un travailleur salarié qui est affilié à l’Idryma Koinonikon Asfaliseon – Eniaio Tameio Asfalissis Misthoton (IKA-ETAM) (Organisme de sécurité sociale – Caisse générale d’assurance des travailleurs salariés, Grèce) ( 7 ) ait le droit de prétendre à une pension de vieillesse à taux plein après 35
ans de travail salarié est qu’il doit avoir atteint l’âge de 58 ans à la date du dépôt de la demande à l’organisme assureur, conformément à l’article 10, paragraphe 1, du Nómos 825/1978 : Perí antikatastáseos, tropopoiíseos kai sympliróseos diatáxeon tis diepoúsis to IKA Nomothesías kai rythmíseos synafón themáton (loi 825/1978 remplaçant, modifiant et complétant les dispositions de la législation régissant l’IKA et portant dispositions connexes) ( 8 ), du 13 novembre 1978, dans sa version en
vigueur au moment des faits au principal.

22. Dans l’hypothèse où l’article 34, paragraphe 1, sous c), paragraphe 3, premier alinéa, et paragraphe 4, de la loi 4024/2011 comporterait une discrimination indirecte fondée sur l’âge au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/78, la juridiction de renvoi se pose la question de savoir si les raisons figurant dans l’exposé des motifs de cette loi constituent un but objectivement et raisonnablement légitime justifiant la différence de traitement et si le placement d’une
partie du personnel sous le régime de la réserve de main-d’œuvre constitue une mesure appropriée et nécessaire aux fins d’atteindre cet objectif.

23. Cette juridiction indique, à cet égard, que l’objectif des dispositions de l’article 34 de la loi 4024/2011 était de répondre à la nécessité immédiate de réduire les dépenses salariales conformément à l’accord conclu entre la République hellénique et ses créanciers ainsi que d’assainir les finances de l’État et du secteur public au sens large, afin de faire face à la crise économique ayant frappé cet État membre.

24. Dans ces conditions, l’Areios Pagos (Cour de cassation) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’adoption par un État membre d’une réglementation applicable à l’administration, aux collectivités locales, aux personnes morales de droit public et, plus généralement, à tous les organismes (personnes morales de droit privé) du secteur public au sens large en leur qualité d’employeur, telle que celle énonçant les dispositions de l’article 34, paragraphe 1, sous c), paragraphe 3, premier alinéa, et paragraphe 4, de la loi 4024/2011, selon laquelle le personnel employé en vertu d’une
relation de travail de droit privé par les organismes susmentionnés est soumis au régime de la réserve de main-d’œuvre pour une période maximale de 24 mois selon un critère matériel unique fondé sur la proximité du départ à la retraite à taux plein, c’est‑à‑dire lorsque le travailleur satisfait aux conditions pour y prétendre, à savoir disposer de 35 ans de cotisations au cours de la période entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2013, eu par ailleurs égard au fait que, en vertu de la
législation en matière de sécurité sociale alors en vigueur, il était exigé, à l’exception de certains cas qui ne sont pas pertinents en l’espèce, que l’assuré ait cumulé (un minimum de) 10500 jours de travail (35 ans) d’affiliation à l’IKA ou à un autre organisme d’assurance principale de salariés et qu’il ait atteint (au minimum) l’âge de 58 ans, sans exclure, naturellement, que, selon les cas, la période d’assurance susmentionnée (35 ans) puisse avoir été accomplie à un âge différent,
constitue-t-elle une discrimination indirecte fondée sur l’âge au sens de l’article 2, paragraphe 1 et paragraphe 2, sous b), ainsi que de l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/78 ?

2) S’il est répondu à la première question par l’affirmative, l’instauration du système de la réserve de main-d’œuvre peut-elle être objectivement et raisonnablement justifiée, au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), i), et de l’article 6, paragraphe 1, [second alinéa,] sous a), de la directive 2000/78, par la nécessité de produire des résultats organisationnels, fonctionnels et budgétaires immédiats et, plus particulièrement, par l’urgence de réduire les dépenses de l’État en vue de la
réalisation, avant la fin 2011, des objectifs quantitatifs précis prévus dans le cadre de stratégie budgétaire à moyen terme puis énoncés dans l’exposé des motifs de la loi, afin d’assurer le respect des engagements pris par la République hellénique à l’égard de ses créanciers pour, d’une part, faire face à la crise économique et financière aiguë et prolongée qui a frappé le pays et, d’autre part, mener à bien l’assainissement [des] finances publiques et limiter l’inflation du secteur
public ?

3) S’il est répondu à la deuxième question par l’affirmative,

a) l’instauration d’une mesure, telle que celle prévue à l’article 34, paragraphe 1, sous c), de la loi 4024/2011, qui prévoit une compression drastique de la rémunération du personnel soumis au régime de la réserve de main-d’œuvre à 60 % du salaire de base qu’il percevait au moment où il a été soumis audit régime, sans obligation pour le personnel en question de travailler au sein de l’organisme concerné, et qui a pour conséquence (de fait) la perte de l’avancement éventuel en traitement ou
en grade pendant la période de son placement sous le régime de la réserve de main-d’œuvre et jusqu’à sa mise à la retraite à taux plein, constitue-t-elle un moyen approprié et nécessaire aux fins de la réalisation de l’objectif susmentionné, au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b), i), et de l’article 6, paragraphe 1, [second alinéa,] sous a), de la directive 2000/78, eu égard aux considérations cumulatives suivantes :

i) le personnel en question conserve la possibilité de trouver un autre emploi (dans le secteur privé) ou a toute latitude d’exercer une profession libérale ou une activité indépendante au cours de la période de la réserve de main-d’œuvre, sans perdre le droit de percevoir le pourcentage susmentionné du salaire de base, à moins que la rémunération ou les revenus tirés de son nouvel emploi ou de sa nouvelle activité excèdent la rémunération qu’il percevait avant d’être soumis au régime de
la réserve de main-d’œuvre, cas dans lequel la part du salaire de base susmentionnée est alors réduite à concurrence de l’excédent perçu – article 34, paragraphe 1, sous f), de la loi 4024/2011,

ii) l’organisme public employeur ou, en cas de suppression de celui‑ci, l’Organismos Apascholisis Ergatikou Dynamikou (Agence nationale pour l’emploi, Grèce) prend l’engagement de verser à l’organisme de sécurité sociale concerné les cotisations sociales de l’employeur et du salarié correspondant à celles d’une retraite principale, d’une assurance santé et maladie complémentaire et de prestations sociales complémentaires, calculées en fonction de la rémunération que le travailleur
percevait avant son placement sous le régime de la réserve de main‑d’œuvre – article 34, paragraphe 1, sous d), de la loi 4024/2011,

iii) des dérogations sont prévues au placement sous le régime de la réserve de main-d’œuvre pour les groupes sociaux vulnérables nécessitant une protection (lorsque l’autre époux a été soumis au régime de la réserve de main-d’œuvre, lorsqu’un époux ou un enfant vivant sous le même toit et à la charge de l’employé sont affectés par un taux de handicap d’au moins 67 %, lorsque l’employé est affecté par un taux de handicap de 67 %, lorsque l’employé est chef de famille nombreuse, en cas de
famille monoparentale vivant sous le même toit et à charge de l’employé) – article 34, paragraphe 1, sous b), de la loi 4024/2011,

iv) le personnel en question bénéficie de la possibilité, et ce de manière prioritaire, d’être transféré vers d’autres emplois vacants d’organismes du secteur public sur la base de critères objectifs et fondés sur le mérite en s’inscrivant sur les listes de classement de l’Anótato Symvoúlio Epilogís Prosopikoú (Conseil supérieur de sélection du personnel, Grèce) – article 34, paragraphe 1, sous a), de la loi 4024/2011 –, possibilité qui est néanmoins de fait limitée en raison de la baisse
drastique du recrutement de personnel par les divers organismes publics, en raison de la nécessité de contenir les dépenses,

v) il est veillé à ce que des mesures soient prises en matière de remboursement de prêts immobiliers que les travailleurs soumis au régime de la réserve de main‑d’œuvre avaient obtenus auprès du Tameío Parakatathikón kai Daneíon (Caisse des dépôts et consignations, Grèce) et qu’un accord soit conclu entre l’État et l’Énosi Ellinikón Trapezón (Union des banques helléniques) en vue de faciliter le remboursement de prêts contractés par le personnel en question auprès d’autres banques, en
fonction du revenu familial total et de la situation patrimoniale de chacun – article 34, paragraphes 10 et 11, de la loi 4024/2011,

vi) une loi plus récente (article 1er, paragraphe 15, du Nómos 4038/2012 [ ( 9 )]) prévoit l’adoption de l’acte d’admission à la retraite ainsi que l’émission de l’ordre de paiement en accordant la priorité absolue au personnel [concerné] et, en tout état de cause, dans les quatre mois au plus tard à compter du licenciement et du dépôt des justificatifs pertinents aux fins de la reconnaissance de la retraite, et

vii) la perte d’avancement en traitement et en grade, évoquée ci‑dessus, au cours de la période pendant laquelle le personnel employé en vertu d’une relation de travail de droit privé est soumis au régime de la réserve de main-d’œuvre et jusqu’à sa mise à la retraite à taux plein, ne se vérifiera pas le plus souvent, y compris dans le cas d’espèce, dans la mesure où le travailleur, en raison de son ancienneté au sein de l’organisme public, a épuisé les possibilités d’avancement en
traitement et/ou en grade prévues par la législation applicable en la matière ?

b) l’instauration d’une mesure telle que celle prévue à l’article 34, paragraphe 1, sous e), de la loi 4024/2011, qui entraîne la suppression de la totalité (ou d’une partie) de l’indemnité visée à l’article 8, deuxième alinéa, de la loi 3198/1955, prévue en cas de licenciement ou de départ du salarié au motif que les conditions sont réunies pour bénéficier de la retraite à taux plein, indemnité qui correspond à 40 % de l’indemnité de licenciement prévue pour les salariés bénéficiant d’une
assurance complémentaire (et qui, au sein des organismes d’utilité publique ou subventionnés par l’État, tels que la personne morale de droit privé défenderesse, ne peut excéder le montant de 15000 euros), en raison de la compensation de cette indemnité avec la rémunération réduite perçue au cours de la période de réserve de main-d’œuvre, constitue-t-elle un moyen approprié et nécessaire aux fins de la réalisation de l’objectif susmentionné, au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous b),
i), et de l’article 6, paragraphe 1, [second alinéa,] sous a), de la directive 2000/78, eu égard au fait que, dans tout autre cas, le personnel en question aurait perçu cette indemnité réduite conformément à la législation du travail en vigueur susmentionnée, qu’il se fût agi d’un départ volontaire ou d’un licenciement par l’organisme employeur ? »

25. AB, OAKA, le gouvernement grec ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites et ont répondu dans le délai imparti aux questions pour réponse écrite posées par la Cour.

IV. Analyse

26. Par ses questions préjudicielles, la juridiction de renvoi demande, en substance, à la Cour, de dire pour droit si l’article 2 et l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une réglementation nationale en vertu de laquelle les employés du secteur public qui remplissent durant une période déterminée les conditions pour percevoir une retraite à taux plein sont placés sous un régime de réserve de main-d’œuvre, lequel entraîne une
baisse leur rémunération et a pour effet de réduire, voire de supprimer, l’indemnité de licenciement à laquelle ils auraient pu prétendre au moment de la cessation de leur relation de travail.

27. Je rappelle que l’article 34, paragraphe 1, sous c), paragraphe 3, premier alinéa, et paragraphe 4, de la loi 4024/2011 instaure le régime de la réserve de main-d’œuvre pour les travailleurs employés en vertu d’une relation de travail de droit privé à durée indéterminée par l’administration, les collectivités territoriales, les personnes morales de droit public et les personnes morales de droit privé qui relèvent du secteur public au sens large, pour une période de deux ans tout au plus (du
1er janvier 2012 au 31 décembre 2013), sur la base du critère de la proximité du départ à la retraite à taux plein, c’est‑à‑dire lorsque le travailleur réunit à un moment quelconque de cette période les conditions pour y prétendre, à savoir disposer de 35 ans de cotisations.

28. La juridiction de renvoi précise que, au cours de cette période et jusqu’à ce que les conditions de départ à la retraite soient remplies, les personnes placées sous le régime de la réserve de main-d’œuvre subissent une réduction drastique de leur rémunération, mais ne sont toutefois pas tenues de travailler au sein de l’organisme public concerné. En outre, une compensation est effectuée entre l’indemnité de licenciement à laquelle ces personnes auraient eu droit et la rémunération réduite qu’ils
perçoivent au cours de la période pendant laquelle ils demeurent soumis à ce régime. Leur admission audit régime est réputée constituer une notification préalable de licenciement. Je comprends donc que, dans le cadre du régime de la réserve de main‑d’œuvre, le travailleur est licencié, mais son licenciement ne sera effectif que lorsqu’il pourra bénéficier de la retraite à taux plein. Cela explique le fait que les rémunérations versées durant cette période s’imputent sur le montant de l’indemnité
de licenciement.

29. Afin de répondre aux questions posées par la juridiction de renvoi, il importe de vérifier si la réglementation nationale en cause au principal relève du champ d’application de la directive 2000/78 et, dans l’affirmative, si elle institue une différence de traitement fondée sur l’âge, susceptible, le cas échéant, d’être justifiée au regard de l’article 6 de cette directive.

30. S’agissant, en premier lieu, de la question de savoir si la réglementation nationale en cause au principal relève du champ d’application de la directive 2000/78, il ressort, tant de l’intitulé et du préambule que du contenu et de la finalité de cette directive, que celle-ci tend à établir un cadre général pour assurer à toute personne l’égalité de traitement « en matière d’emploi et de travail », en lui offrant une protection efficace contre les discriminations fondées sur l’un des motifs visés
à son article 1er, au nombre desquels figure l’âge ( 10 ).

31. En outre, il découle de l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/78 que celle-ci s’applique, dans le cadre des compétences dévolues à l’Union, « à toutes les personnes, tant pour le secteur public que pour le secteur privé, y compris les organismes publics », en ce qui concerne « les conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération ».

32. En prévoyant que le contrat de travail de droit privé à durée indéterminée des employés en poste au sein des organismes concernés prend fin en vertu de la loi et de plein droit lorsque ces employés remplissent les conditions ouvrant droit au départ à la retraite à taux plein et en plaçant lesdits employés dans une réserve de main-d’œuvre dans l’attente que ces conditions soient remplies, la réglementation nationale en cause au principal doit être considérée comme établissant des règles relatives
aux « conditions d’emploi et de travail, y compris les conditions de licenciement et de rémunération », au sens de l’article 3, paragraphe 1, sous c), de la directive 2000/78.

33. Dans ces conditions, la réglementation nationale en cause au principal relève du champ d’application de cette directive.

34. S’agissant, en deuxième lieu, de la question de savoir si la réglementation nationale en cause au principal institue une différence de traitement fondée sur l’âge, au sens de l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2000/78, il y a lieu de rappeler que, aux termes de cette disposition, « on entend par “principe de l’égalité de traitement” l’absence de toute discrimination directe ou indirecte, fondée sur un des motifs visés à l’article 1er » de cette directive. L’article 2, paragraphe 2,
sous a), de ladite directive précise que, pour les besoins de l’application du paragraphe 1 de cet article, une discrimination directe se produit lorsqu’une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre se trouvant dans une situation comparable, sur la base de l’un des motifs visés à l’article 1er de la même directive. En vertu de l’article 2, paragraphe 2, sous b), i), de la directive 2000/78, il y a discrimination indirecte lorsqu’une disposition, un critère ou une pratique
apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’un âge donné, par rapport à d’autres personnes, à moins que cette disposition, ce critère ou cette pratique ne soit objectivement justifié par un objectif légitime et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires.

35. En l’occurrence, je rappelle que l’article 34, paragraphe 3, premier alinéa, de la loi 4024/2011 prévoit que le contrat de travail de droit privé à durée indéterminée des employés en poste au sein des organismes concernés prend fin lorsque ces employés remplissent les conditions ouvrant droit au départ à la retraite à taux plein, en faisant référence à cet égard à une affiliation au régime de sécurité sociale depuis 35 ans, à condition que ce droit soit acquis, conformément aux dispositions
pertinentes, avant le 31 décembre 2013 inclus. En faisant référence à cette condition d’affiliation, la loi 4024/2011 se fonde sur un critère apparemment neutre qui est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des travailleurs qui, en raison de l’accomplissement d’un nombre d’années de travail correspondant à 35 ans d’affiliation au régime de sécurité sociale, appartiennent à une catégorie de travailleurs proches de la retraite et sont donc les plus âgés. En imposant à cette
catégorie de travailleurs, sur la base d’un tel critère, le placement dans un régime de réserve de main-d’œuvre, la loi 4024/2011 impose à ces derniers un traitement moins favorable que celui qui est réservé à l’ensemble des travailleurs qui continuent à exercer leur activité professionnelle dans des conditions normales.

36. Par conséquent, dans la mesure où elle se fonde indirectement sur un critère lié à l’âge, la loi 4024/2011 pourrait, à première vue, sembler établir une discrimination indirecte fondée sur l’âge, au sens des dispositions combinées de l’article 1er et de l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la directive 2000/78.

37. Cela étant, l’existence d’une discrimination indirecte suppose, à mon avis, que la différence de traitement alléguée repose uniquement sur un critère apparemment neutre susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour des personnes d’un âge donné, et non pas également sur un critère directement lié à l’âge. Or, il résulte tant de la décision de renvoi que des observations soumises à la Cour qu’un employé tel que le requérant au principal doit remplir la condition d’avoir atteint l’âge de
58 ans, telle qu’elle résulte de l’article 10, paragraphe 1, de la loi 825/1978, pour pouvoir bénéficier d’une retraite à taux plein. Il s’ensuit que le placement d’un employé sous le régime de la réserve de main-d’œuvre exige également qu’il remplisse la condition d’avoir atteint l’âge minimal de 58 ans entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2013. Dans la mesure où la référence aux conditions ouvrant droit au départ à la retraite à taux plein implique nécessairement un renvoi à
l’article 10, paragraphe 1, de la loi 825/1978, lequel prévoit une condition d’âge, le caractère direct de la discrimination fondée sur l’âge me paraît être établi. La circonstance que cette condition d’âge se juxtapose à la condition relative à une durée de cotisations de 35 ans n’y change rien, puisque ce qui importe pour qualifier la différence de traitement est que le régime de la réserve de main-d’œuvre ne paraît pas susceptible de s’appliquer aux employés n’ayant pas atteint l’âge minimal
de 58 ans durant la période pertinente. Autrement dit, le régime de la réserve de main-d’œuvre n’est susceptible de concerner que des travailleurs ayant atteint l’âge minimal de 58 ans entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2013, à condition qu’ils aient effectué 35 ans ou plus de cotisations.

38. Il découle de ce qui précède que c’est en application de deux conditions cumulatives, dont l’une est directement liée à l’âge, que les employés sont placés sous le régime de la réserve de main-d’œuvre.

39. Partant, il y a lieu de constater que la réglementation nationale en cause au principal, en ce qu’elle prévoit que les employés qui ont non seulement cumulé 35 années d’affiliation au régime de sécurité sociale, mais aussi atteint l’âge minimal de 58 ans entre le 1er janvier 2012 et le 31 décembre 2013 sont placés sous le régime de la réserve de main‑d’œuvre, est fondée sur un critère qui est indissociablement lié à l’âge de ces employés. Dans la mesure où le fait pour un employé d’atteindre
l’âge fixé par cette réglementation pour l’admission à la retraite à taux plein emporte, avec la condition relative à 35 ans de cotisations, son placement sous le régime de la réserve de main‑d’œuvre, il y a lieu de considérer que cette réglementation impose, de manière directe, un traitement moins favorable aux travailleurs ayant atteint cet âge par rapport à l’ensemble des autres personnes en activité. Une telle réglementation contient dès lors une discrimination directe fondée sur l’âge, au
sens de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la directive 2000/78 ( 11 ).

40. À mon avis, la circonstance que la condition relative à l’âge de 58 ans ne figure pas expressément dans les dispositions de la législation nationale mettant en place le régime de la réserve de main-d’œuvre, mais figure à l’article 10, paragraphe 1, de la loi 825/1978 ne s’oppose pas au constat selon lequel ce régime instaure une discrimination directe fondée sur l’âge. Ce qui importe est que, en se référant au critère de la proximité de la retraite à taux plein, l’article 34, paragraphe 3,
premier alinéa, de la loi 4024/2011 renvoie nécessairement à la législation nationale prévoyant, comme condition pour percevoir une telle retraite à taux plein, qu’un travailleur doit avoir atteint l’âge de 58 ans. De plus, le fait que le placement sous le régime de la réserve de main-d’œuvre ne concerne pas tous les employés ayant atteint l’âge minimal de 58 ans au cours de la période concernée, mais seulement, à l’intérieur de cette catégorie d’employés, ceux qui ont cumulé 35 années de
cotisations, ne me paraît pas aller à l’encontre du constat selon lequel ce régime entraîne une discrimination directe en raison de l’âge.

41. Ces précisions étant faites, je souligne toutefois qu’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer sur l’interprétation des dispositions du droit national, cette mission incombant aux juridictions nationales compétentes ( 12 ).

42. Par conséquent, il incombe en définitive à la juridiction de renvoi, seule compétente pour apprécier les faits en cause au principal et pour interpréter la législation nationale applicable, de vérifier si le placement sous le régime de la réserve de main-d’œuvre répond bien aux deux conditions cumulatives susmentionnées et d’en tirer les conséquences adéquates quant au caractère direct ou indirect de la différence de traitement fondée sur l’âge.

43. S’agissant, en troisième lieu, de la question de savoir si cette différence de traitement est susceptible d’être justifiée, il convient de rappeler que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 autorise les États membres à prévoir, nonobstant l’article 2, paragraphe 2, de celle-ci, que certaines différences de traitement fondées sur l’âge ne constituent pas une discrimination lorsqu’elles sont « objectivement et raisonnablement justifiées, dans le cadre du droit national, par un
objectif légitime, notamment par des objectifs légitimes de politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle, et que les moyens de réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires ».

44. L’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 permet aux États membres d’instaurer dans leur droit national des dispositions prévoyant des différences de traitement fondées sur l’âge relevant notamment de la catégorie des discriminations directes, telle que définie à l’article 2, paragraphe 2, sous a), de cette directive. Cette faculté, en tant qu’elle constitue une exception au principe de l’interdiction des discriminations, est toutefois strictement encadrée par les conditions prévues à
ce même article 6, paragraphe 1 ( 13 ).

45. Il y a lieu également de rappeler que les États membres disposent d’une large marge d’appréciation non seulement dans le choix de la poursuite d’un objectif déterminé parmi d’autres en matière de politique sociale et d’emploi, mais également dans la définition des mesures susceptibles de le réaliser ( 14 ).

46. La juridiction de renvoi indique qu’il ressort de l’exposé des motifs de la loi 4024/2011 que le régime de la réserve de main-d’œuvre vise à assurer la mise en œuvre des engagements pris par la République hellénique à l’égard de ses créanciers et qu’il doit, pour ce faire, produire des résultats organisationnels, fonctionnels et budgétaires immédiats tendant vers l’objectif stratégique d’assainissement des finances publiques. Selon ce même exposé des motifs, cet objectif doit être poursuivi en
s’assurant que la plupart des travailleurs soumis au régime de la réserve de main-d’œuvre ne soient pas pour autant privés d’emploi, mais qu’ils bénéficient de la sécurité de la mise à la retraite, que le personnel de l’administration publique et du secteur public au sens large ne soit pas exposé à des bouleversements majeurs et que les organismes du secteur public ne soient pas, dans la grande majorité des cas, grevés par le versement d’indemnités de licenciement, ce qui aurait des effets
particulièrement dommageables sur le plan budgétaire.

47. Comme l’indique la juridiction de renvoi, l’objectif du régime de la réserve de main-d’œuvre est donc de répondre à la nécessité de réduire les dépenses salariales conformément à l’accord conclu entre la République hellénique et ses créanciers ainsi que d’assainir les finances de l’État et du secteur public au sens large pour faire face à la crise économique et financière aiguë qui a frappé cet État membre.

48. Selon le gouvernement grec, le régime de la réserve de main‑d’œuvre répond à la nécessité de restreindre les dépenses salariales et de rationaliser la fonction publique ainsi que le secteur public au sens large tout en permettant aux travailleurs qui en relèvent de subvenir à leurs besoins vitaux jusqu’à ce qu’ils perçoivent leur retraite à taux plein. Compte tenu de la crise budgétaire exceptionnelle à laquelle la République hellénique a été confrontée, cet État membre indique que ce régime
vise des objectifs d’intérêt public supérieur, tels que l’assainissement des dépenses publiques ainsi que la rationalisation et la réduction du secteur public, tout en veillant, en même temps, à ne pas porter atteinte au noyau dur des droits individuels et sociaux des personnes placées dans la réserve de main-d’œuvre.

49. Le gouvernement grec ajoute qu’il ressort de l’exposé des motifs de la loi 4024/2011 que l’objectif visé par le régime de la réserve de main‑d’œuvre n’est pas uniquement de nature budgétaire, mais concerne également la rationalisation et la réduction de la fonction publique et du secteur public au sens large ainsi que la restructuration de ses services, cet objectif étant directement lié à la politique de l’emploi.

50. Le gouvernement grec précise également que, dans la mesure où il ressort de la décision de renvoi que le personnel employé en vertu d’une relation de travail salarié de droit privé à durée indéterminée peut être licencié à tout moment par l’organisme employeur, le placement d’une partie du personnel sous le régime de la réserve de main-d’œuvre a permis, en évitant le licenciement immédiat des employés concernés, de maintenir un niveau d’emploi élevé.

51. De plus, l’objectif consistant à établir une structure d’âge équilibrée entre jeunes employés et employés plus âgés aurait également été atteint puisque la mesure en cause au principal concernait le personnel qui remplissait la condition de proximité de la date d’ouverture du droit à la retraite.

52. Au vu de ces éléments et afin d’apprécier le caractère légitime de l’objectif poursuivi par la réglementation nationale en cause au principal, je relève que la Cour a déjà jugé que l’invocation simultanée de plusieurs objectifs, qui sont soit liés les uns aux autres, soit classés par ordre d’importance, ne constitue pas un obstacle à l’existence d’un objectif légitime, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 ( 15 ).

53. En outre, il est de jurisprudence constante que le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce que les États membres tiennent compte de considérations budgétaires parallèlement à des considérations d’ordre politique, social ou démographique, pour autant que, ce faisant, ils respectent, en particulier, le principe général de l’interdiction des discriminations fondées sur l’âge. À cet égard, si des considérations d’ordre budgétaire peuvent être à la base des choix de politique sociale d’un État membre
et influencer la nature ou l’étendue des mesures qu’il souhaite adopter, de telles considérations ne peuvent constituer à elles seules un objectif légitime, au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 ( 16 ). Par ailleurs, la circonstance que le contexte national est caractérisé par une crise économique aiguë n’autorise pas un État membre à priver d’effet utile les dispositions de cette directive ( 17 ).

54. La Cour a récemment jugé, à propos d’une réglementation nationale faisant partie, dans un contexte économique général, des mesures nécessaires afin de réduire les déficits excessifs de l’administration publique italienne et visant à éviter un cumul de salaires et de pensions de retraite provenant de fonds publics, que l’objectif de réduction effective de la dépense publique est susceptible d’influer sur la nature ou l’étendue des mesures de protection de l’emploi, mais ne saurait constituer, en
lui-même, un objectif légitime ( 18 ).

55. De manière générale, j’observe que, dans le contexte propre à la présente affaire, l’objectif qui consiste à assurer l’assainissement budgétaire de l’État en réduisant les dépenses publiques de celui-ci est indissociable des objectifs d’intérêt général poursuivis par l’Union, à savoir ceux qui consistent à assurer la discipline budgétaire des États membres dont la monnaie est l’euro et à garantir la stabilité financière de la zone euro ( 19 ).

56. J’ajoute que la République hellénique disposait d’une marge d’appréciation relativement restreinte dans la mesure où elle était tenue de contenir les dépenses salariales du secteur public conformément aux exigences de ses créanciers afin de faire face à la crise économique et financière aiguë qu’elle subissait et en application des recommandations et des décisions adoptées par l’Union en vue de renforcer et d’approfondir la surveillance budgétaire ainsi que de mettre cet État membre en demeure
de prendre des mesures pour procéder à la réduction du déficit jugée nécessaire pour remédier à la situation de déficit excessif ( 20 ).

57. Les autorités grecques devaient donc adopter des mesures afin de mettre leur politique économique et budgétaire en phase avec les objectifs généraux de l’Union économique et monétaire, en supprimant tout risque de compromettre le fonctionnement de cette dernière ( 21 ). Dans cette perspective, la République hellénique était notamment invitée à « réduire l’enveloppe des salaires dans le secteur public » ( 22 ).

58. S’agissant de l’objectif consistant pour l’État employeur à réduire les dépenses salariales du secteur public, je rappelle que la Cour a dit pour droit que les objectifs pouvant être considérés comme « légitimes » au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 et, par conséquent, aptes à justifier qu’il soit dérogé au principe d’interdiction des discriminations fondées sur l’âge, sont des objectifs de politique sociale, tels que ceux liés à la politique de l’emploi, du marché du
travail ou de la formation professionnelle ( 23 ). Par leur caractère d’intérêt général, ces objectifs légitimes se distinguent de motifs purement individuels qui sont propres à la situation de l’employeur, tels que la réduction des coûts ou l’amélioration de la compétitivité, sans qu’il soit pour autant possible d’exclure qu’une règle nationale reconnaisse, dans la poursuite desdits objectifs légitimes, un certain degré de flexibilité aux employeurs ( 24 ).

59. Contrairement à ce que soutient AB, la réduction des dépenses salariales d’une personne morale de droit privé qui fait partie du secteur public, dans le contexte de crise économique et financière aiguë auquel la République hellénique était confrontée, ne saurait être analysée comme constituant un motif purement individuel, c’est-à-dire au seul bénéfice de l’employeur, non seulement parce que la mise en œuvre de mesures d’assainissement budgétaire était, comme je l’ai indiqué précédemment,
indispensable à la stabilité de la zone euro, mais aussi parce qu’il en allait de la viabilité même du secteur public et de la continuité des missions d’intérêt général assurées par les organismes appartenant à ce dernier.

60. L’objectif de réduction des dépenses publiques tel qu’il est poursuivi par l’État employeur, qui peut se traduire par une baisse des dépenses salariales dans le secteur public, constitue par conséquent un objectif d’intérêt général dans la mesure où il permet de concilier le maintien d’un service public de qualité et le respect des contraintes budgétaires pesant sur l’État. Cela dit, un tel objectif d’intérêt général ne suffit pas à lui seul à justifier une différence de traitement fondée sur
l’âge au titre de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 s’il n’est pas accompagné par des préoccupations relevant de la politique de l’emploi, du marché du travail et de la formation professionnelle ( 25 ).

61. Il s’ensuit que l’objectif de réduction des dépenses publiques qui se traduit par la recherche d’une baisse de ses dépenses salariales par l’État employeur doit coïncider, dans le cadre de considérations relatives à la politique de l’emploi et du marché du travail de l’État membre concerné, avec d’autres objectifs, comme celui de favoriser l’emploi et une structure d’âge équilibrée entre jeunes employés et employés plus âgés ( 26 ).

62. Je souligne, à cet égard, que le régime de la réserve de main‑d’œuvre s’inscrit dans un ensemble de mesures visant à réorganiser le secteur public dans une optique d’assainissement des finances publiques et de réduction des dépenses. C’est dans ce cadre budgétaire contraint que la République hellénique a mis en place une politique de l’emploi au sein du secteur public visant à concilier, d’une part, la nécessité de réduire les dépenses salariales du secteur public et, d’autre part, celle de
maintenir un niveau d’emploi élevé ainsi qu’une structure d’âge équilibrée au sein du secteur public. Or, la promotion d’un niveau d’emploi élevé constitue l’une des finalités poursuivies par l’Union ( 27 ). Par conséquent, les mesures qui permettent d’accroître le taux d’emploi ( 28 ) ou, à tout le moins, de ne pas détériorer celui-ci poursuivent un « objectif légitime », au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78. Il en va de même des mesures qui visent à établir une
structure d’âge équilibrée entre jeunes employés et employés plus âgés ( 29 ).

63. Analysé sous l’angle de la politique de l’emploi dans le secteur public, le régime de la réserve de main-d’œuvre me paraît donc poursuivre un « objectif légitime », au sens de l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78.

64. Je relève, en outre, que la Cour a jugé que la cessation automatique des contrats de travail des salariés qui remplissent les conditions d’âge et de cotisation pour bénéficier de la liquidation de leurs droits à pension fait, depuis longtemps, partie du droit du travail de nombreux États membres et est d’un usage répandu dans les relations de travail. Ce mécanisme repose sur un équilibre entre considérations d’ordre politique, économique, social, démographique et/ou budgétaire et dépend du choix
d’allonger la durée de vie active des travailleurs ou, au contraire, de prévoir le départ à la retraite précoce de ces derniers ( 30 ).

65. À l’instar de ce que la Cour a jugé à propos des clauses de cessation automatique des contrats de travail des employés ayant atteint l’âge de départ à la retraite ( 31 ), je considère que des objectifs de la nature de ceux invoqués par la République hellénique doivent, en principe, être considérés comme justifiant « objectivement et raisonnablement », « dans le cadre du droit national », ainsi que le prévoit l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78, une différence de traitement fondée
sur l’âge, telle que celle contenue dans la réglementation nationale en cause au principal.

66. En effet, le régime de la réserve de main-d’œuvre est le résultat d’un choix effectué par la République hellénique, consistant à placer dans un processus de cessation de leur contrat de travail les employés qui s’apprêtent à percevoir un revenu de substitution à la fin de leur carrière professionnelle. Dans le contexte de crise économique et financière aiguë ayant touché la République hellénique, cet État membre a voulu éviter de contraindre les employeurs à licencier des travailleurs
appartenant à d’autres catégories, préservant ainsi le maintien de l’emploi, en particulier des plus jeunes. S’il s’inscrit dans une politique de réduction des dépenses publiques, le régime de la réserve de main-d’œuvre répond ainsi également à des préoccupations relevant de la politique de l’emploi.

67. Il importe, à présent, d’examiner si, dans le cadre de la large marge d’appréciation reconnue aux États membres et rappelée au point 43 des présentes conclusions, les moyens mis en œuvre pour réaliser l’objectif de politique de l’emploi poursuivi par la réglementation nationale en cause au principal sont appropriés et nécessaires.

68. Premièrement, le régime de la réserve de main-d’œuvre me semble constituer un moyen approprié en vue d’atteindre un tel objectif.

69. En effet, compte tenu du fait que les contrats de travail des employés concernés pouvaient être résiliés à tout moment par leur employeur, il apparaît que l’adoption de la mesure relative à la réserve de main-d’œuvre a permis d’éviter la mise au chômage de ces employés. J’ajoute que le choix effectué par le législateur grec d’assujettir une catégorie du personnel proche de la retraite au régime de la réserve de main-d’œuvre a certainement permis d’éviter la mise au chômage d’autres catégories du
personnel.

70. Parallèlement, en se concentrant sur la partie du personnel qui remplissait la condition de proximité de la date d’ouverture du droit à la retraite, le régime de la réserve de main-d’œuvre constitue un moyen approprié de réaliser l’objectif consistant à établir une structure d’âge équilibrée entre jeunes employés et employés plus âgés, en favorisant le maintien de l’emploi des plus jeunes, singulièrement dans un contexte où les nouvelles embauches étaient gelées. Il me semble que, face à
l’impératif de réduire les coûts salariaux, une politique consistant à maintenir l’emploi des jeunes salariés en soumettant les salariés plus âgés au régime de la réserve de main-d’œuvre n’est pas fondamentalement différente d’une politique de mise à la retraite obligatoire à un certain âge afin de promouvoir l’embauche de jeunes.

71. Je souligne également que la Cour a déjà admis le caractère approprié pour atteindre un objectif de politique de l’emploi d’une mesure consistant à restreindre le versement d’une indemnité spéciale de licenciement aux seuls travailleurs qui ne vont pas, à la date de leur licenciement, bénéficier d’une pension de retraite du régime général ( 32 ).

72. Eu égard à ces éléments, la mesure en cause au principal peut, à mon avis, apparaître comme un instrument approprié afin d’optimiser la gestion du personnel dans un contexte où les organismes du secteur public devaient affronter une crise économique et financière importante tout en maintenant un service public de qualité ( 33 ) et en préservant autant que possible le niveau d’emploi dans le secteur public.

73. Deuxièmement, le régime de la réserve de main-d’œuvre ne me paraît pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif légitime de politique de l’emploi qui est poursuivi par la République hellénique.

74. Dans ce cadre, il y a lieu d’examiner si la mesure en question permet d’atteindre un tel objectif sans porter une atteinte excessive aux intérêts légitimes des employés affectés ( 34 ).

75. Il incombe aux autorités compétentes des États membres de trouver un juste équilibre entre les différents intérêts en présence ( 35 ). Ainsi, afin de déterminer si une mesure telle que celle en cause au principal dépasse ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif poursuivi et porte une atteinte excessive aux intérêts des employés concernés par cette mesure, il convient de replacer celle-ci dans le contexte réglementaire dans lequel elle s’insère et de prendre en considération tant le
préjudice qu’elle peut occasionner aux personnes visées que les bénéfices qu’en tirent la société en général et les individus qui la composent ( 36 ).

76. Par ailleurs, l’interdiction de discrimination en fonction de l’âge doit être lue à la lumière du droit de travailler reconnu à l’article 15, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. Il en résulte qu’une attention particulière doit être accordée à la participation des travailleurs âgés à la vie professionnelle et, par là même, à la vie économique, culturelle et sociale. Le maintien de ces personnes dans la vie active favorise notamment la diversité dans l’emploi.
L’intérêt que représente le maintien en activité desdites personnes doit cependant être pris en compte dans le respect d’autres intérêts éventuellement divergents ( 37 ).

77. Il importe, dès lors, de déterminer si le législateur grec, dans l’exercice de la large marge d’appréciation dont il dispose en matière de politique de l’emploi, est parvenu à atteindre un équilibre, dans sa volonté de rationaliser le secteur public, entre les différents intérêts en présence.

78. S’agissant des bénéfices résultant du régime de la réserve de main-d’œuvre, ces derniers peuvent consister à permettre aux organismes du secteur public de continuer à assurer leur mission et à améliorer leur efficacité dans un contexte de rigueur budgétaire et de réduction des dépenses salariales ( 38 ).

79. De plus, comme je l’ai précédemment indiqué, ce régime constitue un outil de gestion du personnel qui est mis à la disposition des organismes du secteur public afin que ces derniers n’aient pas recours, dans le contexte de rigueur budgétaire et de réduction des dépenses salariales, à des licenciements économiques. Dans l’examen du caractère nécessaire de la mesure en cause au principal au regard des objectifs poursuivis, il est clair que le contexte de crise économique et financière aiguë dans
lequel cette mesure est intervenue doit être pris en compte ( 39 ). Par ailleurs, a trait à la nécessité d’une mesure le point de savoir si, dans un tel contexte, cette mesure est préférable aux alternatives ( 40 ). Eu égard à ce contexte spécifique, je considère que, au regard de l’objectif de maintien de l’emploi, une mesure telle que celle en cause au principal constituait une alternative préférable par rapport au recours à des mesures de mise au chômage non seulement des employés proches de
la retraite, mais également d’autres catégories du personnel.

80. En ce qui concerne le préjudice causé aux employés, il ressort de la décision de renvoi que le placement sous le régime de la réserve de main-d’œuvre d’une partie du personnel emporte pour ce dernier des conséquences défavorables en termes de rémunération et d’indemnité de licenciement. Ainsi, en vertu de l’article 34, paragraphe 1, sous c), de la loi 4024/2011, la rémunération du personnel placé sous ce régime est réduite à 60 % du salaire de base qu’il percevait, avec la perte de l’avancement
éventuel en traitement ou en grade pendant la période du placement dans la réserve de main-d’œuvre, étant précisé que ce personnel n’est plus tenu de travailler au sein de l’organisme concerné.

81. Par ailleurs, le placement sous le régime de la réserve de main‑d’œuvre entraîne la suppression, en vertu de l’article 34, paragraphe 1, sous e), de la loi 4024/2011, de la totalité ou d’une partie de l’indemnité visée à l’article 8, deuxième alinéa, de la loi 3198/1955, prévue en cas de licenciement ou de départ du salarié en raison de la réunion des conditions pour bénéficier de la retraite à taux plein.

82. Cela étant, il convient de relever que le régime de la réserve de main-d’œuvre contient des mesures propres à atténuer ses effets défavorables sur les employés concernés tout en permettant à ces derniers de pourvoir à leurs besoins essentiels jusqu’à ce qu’ils perçoivent leur retraite. Ainsi, il ressort de la décision de renvoi que la législation nationale prévoit des mesures de protection pour le personnel qui est soumis à ce régime. Elle cite, à cet égard, la possibilité de trouver un autre
emploi ou d’exercer une activité indépendante sans perdre le droit de percevoir la part du salaire de base susmentionnée, l’obligation pour l’organisme ou, à défaut, pour l’agence nationale pour l’emploi de verser à l’organisme assureur compétent jusqu’au départ à la retraite les cotisations sociales dues par l’employeur et par le salarié sur la base de la rémunération précédente de ce dernier, l’exemption du régime de la réserve de main-d’œuvre pour des groupes sociaux vulnérables nécessitant
une protection, la possibilité de transférer le personnel en question vers d’autres postes vacants au sein d’organismes du secteur public, ainsi que la prise de mesures concernant le remboursement de prêts immobiliers obtenus par le personnel en question.

83. Afin d’étayer son point de vue selon lequel la mesure en cause au principal n’impose pas une charge excessive au personnel placé sous le régime de la réserve de main-d’œuvre, le gouvernement grec évoque, outre les mesures de protection citées par la juridiction de renvoi, le fait que, dans la plupart des cas, en raison de son ancienneté au sein de l’organisme public, l’employé concerné a épuisé les possibilités d’avancement en traitement et en grade et que, par conséquent, son avancement en
traitement et en grade n’est pas affecté.

84. J’estime que les mesures de protection dont font état la juridiction de renvoi et le gouvernement grec permettent d’atténuer les effets défavorables du régime de la réserve de main-d’œuvre pour les employés.

85. En prenant en compte ces mesures de protection, le caractère temporaire de ce régime et la circonstance que celui-ci vise des employés qui sont sur le point d’achever leur vie professionnelle et qui sont assurés de percevoir à court terme une retraite à taux plein, c’est‑à‑dire un revenu de substitution stable et pérenne ( 41 ), à l’issue de la période de leur placement sous ledit régime, je considère que la mesure en cause au principal ne porte pas une atteinte excessive aux prétentions
légitimes des employés concernés ( 42 ) et qu’elle ne va donc pas, dans un contexte marqué par une crise économique et financière aiguë, au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de politique de l’emploi poursuivi par le législateur national.

86. Il s’ensuit que l’article 2, paragraphe 1 et paragraphe 2, sous a), ainsi que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78 doivent, selon moi, être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle les employés du secteur public qui remplissent durant une période déterminée les conditions pour percevoir une retraite à taux plein sont placés jusqu’à la résiliation de leur contrat de travail sous un
régime de réserve de main-d’œuvre, dans la mesure où, d’une part, cette réglementation poursuit un objectif légitime de politique de l’emploi et, d’autre part, les moyens mis en œuvre pour réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.

V. Conclusion

87. Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, je suggère à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par l’Areios Pagos (Cour de cassation, Grèce) de la manière suivante :

L’article 2, paragraphe 1 et paragraphe 2, sous a), ainsi que l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, doivent être interprétés en ce sens qu’ils ne s’opposent pas à une réglementation nationale telle que celle en cause au principal, en vertu de laquelle les employés du secteur public qui remplissent durant une période déterminée les conditions
pour percevoir une retraite à taux plein sont placés jusqu’à la résiliation de leur contrat de travail sous un régime de réserve de main-d’œuvre, dans la mesure où, d’une part, cette réglementation poursuit un objectif légitime de politique de l’emploi et, d’autre part, les moyens mis en œuvre pour réaliser cet objectif sont appropriés et nécessaires.

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( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) JO 2000, L 303, p. 16.

( 3 ) FEK A’ 226.

( 4 ) FEK A’ 31, ci-après la « loi 4024/2011 ».

( 5 ) FEK A’ 98, ci-après la « loi 3198/1955 ».

( 6 ) Il ressort du dossier que, si OAKA est une personne morale de droit privé, elle appartient à 100 % à l’État grec.

( 7 ) Ci-après l’« IKA ». L’IKA-ETAM a succédé à l’Idryma Koinonikon Asfaliseon (IKA) (Organisme de sécurité sociale, Grèce) en 2002 et a été remplacé en 2017 par l’Eniaíos Foréas Koinonikís Asfálisis (EFKA) (Organisme général de sécurité sociale, Grèce).

( 8 ) FEK A’ 189, ci-après la « loi 825/1978 ».

( 9 ) Nómos 4038/2012 : Epeígouses rythmíseis pou aforoún tin efarmogí tou mesopróthesmou plaisíou dimosionomikís stratigikís 2012-2015 (loi 4038/2012 portant mesures d’urgence relatives à la mise en œuvre du cadre de stratégie budgétaire à moyen terme 2012-2015), du 2 février 2012 (FEK A’ 14).

( 10 ) Voir, notamment, arrêt du 2 avril 2020, Comune di Gesturi (C‑670/18, EU:C:2020:272, point 20 et jurisprudence citée).

( 11 ) Voir, par analogie, arrêt du 16 octobre 2007, Palacios de la Villa (C‑411/05, EU:C:2007:604, points 48 et 51), dans lequel la Cour a constaté l’existence d’une différence de traitement directement fondée sur l’âge à propos d’une réglementation nationale en vertu de laquelle sont considérées comme valables les clauses de mise à la retraite d’office figurant dans des conventions collectives et qui exigent, comme seules conditions, que le travailleur ait atteint la limite d’âge, fixée à 65 ans
par la réglementation nationale, pour l’admission à la retraite et remplisse les autres critères en matière de sécurité sociale pour avoir droit à une pension de retraite de type contributif.

( 12 ) Voir, notamment, arrêt du 28 février 2018, John (C‑46/17, EU:C:2018:131, point 50).

( 13 ) Voir arrêt du 5 mars 2009, Age Concern England (C‑388/07, EU:C:2009:128, point 62).

( 14 ) Voir, notamment, arrêts du 19 juillet 2017, Abercrombie & Fitch Italia (C‑143/16, EU:C:2017:566, point 31 et jurisprudence citée), ainsi que du 27 février 2020, Land Sachsen-Anhalt (Rémunération des fonctionnaires et juges) (C‑773/18 à C‑775/18, EU:C:2020:125, point 42 et jurisprudence citée).

( 15 ) Voir, notamment, arrêt du 2 avril 2020, Comune di Gesturi (C‑670/18, EU:C:2020:272, point 33 et jurisprudence citée).

( 16 ) Voir, notamment, arrêts du 21 juillet 2011, Fuchs et Köhler (C‑159/10 et C‑160/10, EU:C:2011:508, points 73 et 74) ; du 8 mai 2019, Leitner, (C‑396/17, EU:C:2019:375, point 43), ainsi que du 2 avril 2020, Comune di Gesturi (C‑670/18, EU:C:2020:272, point 34).

( 17 ) Voir arrêt du 21 décembre 2016, AGET Iraklis (C‑201/15, EU:C:2016:972, point 106).

( 18 ) Voir arrêt du 2 avril 2020, Comune di Gesturi (C‑670/18, EU:C:2020:272, point 35).

( 19 ) Voir arrêt du 3 mai 2017, Sotiropoulou e.a./Conseil (T‑531/14, non publié, EU:T:2017:297, point 89).

( 20 ) Voir arrêt du 3 mai 2017, Sotiropoulou e.a./Conseil (T‑531/14, non publié, EU:T:2017:297, point 73).

( 21 ) Voir, notamment, recommandation du Conseil à la Grèce, du 16 février 2010, visant à mettre fin à la non-conformité aux grandes orientations des politiques économiques en Grèce et à supprimer le risque de compromettre le bon fonctionnement de l’Union économique et monétaire (JO 2010, L 83, p. 65).

( 22 ) Voir recommandation citée à la note en bas de page précédente [point 1, sous a)]. Voir également, dans le même sens, décision du Conseil, du 16 février 2010, mettant la Grèce en demeure de prendre des mesures pour procéder à la réduction du déficit jugée nécessaire pour remédier à la situation de déficit excessif (JO 2010, L 83, p. 13).

( 23 ) Voir, en ce sens, arrêt du 5 mars 2009, Age Concern England (C‑388/07, EU:C:2009:128, point 49).

( 24 ) Voir, notamment, arrêt du 21 juillet 2011, Fuchs et Köhler (C‑159/10 et C‑160/10, EU:C:2011:508, point 52 ainsi que jurisprudence citée).

( 25 ) Voir, à cet égard, conclusions de l’avocat général Mengozzi dans l’affaire Vital Pérez (C‑416/13, EU:C:2014:2109), selon qui « il est clair que, lorsque l’employeur est une administration publique, l’objectif de réduction des coûts répond en principe à un objectif d’intérêt général, au même titre que ceux visés à l’article 6, paragraphe 1, de la directive 2000/78. Cette seule considération n’est toutefois pas suffisante, selon nous, pour affirmer qu’un tel objectif fasse partie des objectifs
légitimes admis par cette disposition. En effet, si l’on suit cette logique, toute différence de traitement en fonction de l’âge permettant une réduction des dépenses publiques serait, pour cette seule raison, justifiable sur la base de l’article 6, paragraphe 1, de la directive » (point 48).

( 26 ) Voir, notamment, arrêt du 21 juillet 2011, Fuchs et Köhler (C‑159/10 et C‑160/10, EU:C:2011:508, points 50 et 53).

( 27 ) Voir, notamment, arrêt du 16 octobre 2007, Palacios de la Villa (C‑411/05, EU:C:2007:604, point 64).

( 28 ) Voir arrêt du 19 juillet 2017, Abercrombie & Fitch Italia (C‑143/16, EU:C:2017:566, points 32 et 33).

( 29 ) Voir, notamment, arrêt du 2 avril 2020, Comune di Gesturi (C‑670/18, EU:C:2020:272, point 38 et jurisprudence citée).

( 30 ) Voir, notamment, arrêt du 28 février 2018, John (C‑46/17, EU:C:2018:131, point 24 et jurisprudence citée).

( 31 ) Voir, notamment, arrêt du 16 octobre 2007, Palacios de la Villa (C‑411/05, EU:C:2007:604, point 66).

( 32 ) Voir arrêt du 26 février 2015, Ingeniørforeningen i Danmark (C‑515/13, EU:C:2015:115, point 27).

( 33 ) Voir arrêt du 21 juillet 2011, Fuchs et Köhler (C‑159/10 et C‑160/10, EU:C:2011:508, point 50). De ce point de vue, le régime de la réserve de main‑d’œuvre constitue un outil de gestion du personnel employé dans le secteur public afin d’assurer, dans un contexte budgétaire contraint, la viabilité de ce secteur et la continuité des missions d’intérêt général effectuées par les organismes qui le composent.

( 34 ) Voir, en ce sens, arrêt du 12 octobre 2010, Ingeniørforeningen i Danmark (C‑499/08, EU:C:2010:600, point 32).

( 35 ) Voir, notamment, arrêts du 16 octobre 2007, Palacios de la Villa (C‑411/05, EU:C:2007:604, point 71), et du 2 avril 2020, Comune di Gesturi (C‑670/18, EU:C:2020:272, point 43).

( 36 ) Voir, notamment, arrêt du 5 juillet 2017, Fries (C‑190/16, EU:C:2017:513, point 53 et jurisprudence citée).

( 37 ) Voir, notamment, arrêt du 2 avril 2020, Comune di Gesturi (C‑670/18, EU:C:2020:272, point 44 et jurisprudence citée).

( 38 ) Voir, par analogie, en ce qui concerne l’administration publique européenne, arrêt du 14 décembre 2018, FV/Conseil (T‑750/16, EU:T:2018:972, point 120).

( 39 ) Voir, notamment, pour une prise en compte du contexte de crise économique persistante et de faible croissance, arrêt du 19 juillet 2017, Abercrombie & Fitch Italia (C‑143/16, EU:C:2017:566, point 42).

( 40 ) Idem.

( 41 ) Voir arrêt du 26 septembre 2013, Dansk Jurist- og Økonomforbund (C‑546/11, EU:C:2013:603, points 55 et 62).

( 42 ) Voir, par analogie, à propos des clauses de cessation automatique des contrats de travail en raison du fait que le salarié a atteint l’âge de départ à la retraite, arrêt du 12 octobre 2010, Rosenbladt (C‑45/09, EU:C:2010:601, points 47 et 48).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-511/19
Date de la décision : 19/11/2020
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par l'Areios Pagos.

Renvoi préjudiciel – Politique sociale – Directive 2000/78/CE – Principe d’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail – Interdiction de discrimination fondée sur l’âge – Travailleurs placés dans une réserve de main-d’œuvre jusqu’à la résiliation de leur contrat de travail – Réduction salariale et réduction ou perte d’indemnité de licenciement – Régime applicable aux travailleurs du secteur public proches du départ à la retraite à taux plein – Réduction des dépenses salariales du secteur public – Article 6, paragraphe 1 – Objectif légitime de politique sociale – Situation de crise économique.

Politique sociale


Parties
Demandeurs : AB
Défendeurs : Olympiako Athlitiko Kentro Athinon – Spyros Louis.

Composition du Tribunal
Avocat général : Richard de la Tour

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2020:944

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