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12/11/2020 | CJUE | N°C-515/19

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. H. Saugmandsgaard Øe, présentées le 12 novembre 2020., Eutelsat SA contre Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) et Inmarsat Ventures SE., 12/11/2020, C-515/19


 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE

présentées le 12 novembre 2020 ( 1 )

Affaire C‑515/19

Eutelsat SA

contre

Autorité de régulation des communications électroniques et des postes,

Inmarsat Ventures SE, anciennement Inmarsat Ventures Ltd,

en présence de

Viasat Inc.,

Viasat UK Ltd

[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France)]

« Renvoi préjudiciel – Réseaux et services de communications électroni

ques – Décision 2007/98/CE – Utilisation harmonisée du spectre radioélectrique dans les bandes de fréquences de 2 GHz – Systèmes fournissant des servi...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE

présentées le 12 novembre 2020 ( 1 )

Affaire C‑515/19

Eutelsat SA

contre

Autorité de régulation des communications électroniques et des postes,

Inmarsat Ventures SE, anciennement Inmarsat Ventures Ltd,

en présence de

Viasat Inc.,

Viasat UK Ltd

[demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France)]

« Renvoi préjudiciel – Réseaux et services de communications électroniques – Décision 2007/98/CE – Utilisation harmonisée du spectre radioélectrique dans les bandes de fréquences de 2 GHz – Systèmes fournissant des services mobiles par satellite – Décision no 626/2008/CE – Sélection et autorisation – Article 2, paragraphe 2 – Système mobile par satellite – Notion de “station terrienne mobile” – Notion d’“éléments terrestres ‘complémentaires’” – Article 4, paragraphe 1, sous c), ii) – Engagement de
couvrir au moins 60 % du territoire de l’Union – Article 7, paragraphe 1 – Non-respect – Conséquences »

I. Introduction

1. La demande de décision préjudicielle formée par le Conseil d’État (France) concerne le système « European Aviation Network » (ci‑après le « système EAN ») mis en place par Inmarsat Ventures SE, anciennement Inmarsat Ventures Ldt, (ci‑après « Inmarsat »), lequel est destiné à fournir une connexion Internet à destination des avions qui survolent le territoire de l’Union.

2. Cette demande s’inscrit dans le cadre d’un recours en annulation formé par Eutelsat SA contre une décision de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ci‑après l’« ARCEP ») autorisant Inmarsat à exploiter des éléments terrestres complémentaires dans le cadre du système EAN.

3. Cette décision de l’ARCEP fait suite à la décision 2009/449/CE ( 2 ) par laquelle la Commission a sélectionné Inmarsat et Solaris Mobile Limited comme opérateurs de systèmes mobiles par satellite autorisés à utiliser la bande de fréquence de 2 GHz, conformément à la décision 2007/98/CE ( 3 ) et à la décision no 626/2008/CE ( 4 ).

4. En substance, les questions posées par la juridiction de renvoi visent à déterminer si le système EAN mis en place par Inmarsat, et en particulier la composante terrestre de ce système, est conforme aux critères établis par la décision no 626/2008.

5. Je proposerai à la Cour de répondre à ces questions par l’affirmative.

II. Le cadre juridique

A.   La décision 2007/98

6. L’article 1er de la décision 2007/98/CE énonce :

« La présente décision a pour objet d’harmoniser les conditions garantissant la disponibilité et l’utilisation rationnelle des bandes de fréquences 1 980‑2 010 MHz (Terre vers espace) et 2 170‑2 200 MHz (espace vers Terre) pour les systèmes fournissant des services mobiles par satellite dans [l’Union]. »

7. Aux termes de l’article 2 de cette décision, on entend par « systèmes fournissant des services mobiles par satellite » les systèmes permettant de fournir des services de radiocommunications entre une station terrienne mobile et une ou plusieurs stations spatiales, ou entre des stations terriennes mobiles à l’aide d’une ou de plusieurs stations spatiales, ou entre une station terrienne mobile et une ou plusieurs stations terrestres complémentaires utilisées en des points déterminés.

8. L’article 3 de ladite décision dispose :

« 1.   À partir du 1er juillet 2007, les États membres désignent et mettent à disposition les bandes de fréquences 1 980‑2 010 MHz et 2 170‑2 200 MHz pour les systèmes fournissant des services mobiles par satellite.

[...]

2.   Les stations terrestres complémentaires font partie intégrante du système mobile par satellite et sont contrôlées par le système de gestion des ressources et des réseaux satellitaires. Elles utilisent le même sens de transmission et les mêmes portions de bande de fréquences que les éléments satellitaires associés, et ne doivent pas nécessiter d’autres fréquences que celles du système mobile par satellite associé. »

B.   La décision no 626/2008

9. L’article 1er, paragraphe 1, de la décision no 626/2008 est libellé comme suit :

« La présente décision a pour objet de favoriser le développement d’un marché intérieur concurrentiel des services mobiles par satellite (MSS) dans [l’Union] et d’assurer une couverture progressive dans tous les États membres.

Elle crée une procédure communautaire de sélection commune des opérateurs de systèmes mobiles par satellite qui utilisent, conformément à la décision 2007/98/CE, la bande de fréquences de 2 GHz, comprenant les radiofréquences entre 1980 MHz et 2010 MHz pour les communications Terre-satellite et entre 2170 MHz et 2200 MHz pour les communications satellite-Terre. Elle établit également les dispositions relatives à l’autorisation coordonnée, par les États membres, des opérateurs sélectionnés pour
l’utilisation des radiofréquences assignées à l’intérieur de cette bande en vue de l’exploitation des systèmes mobiles par satellite. »

10. L’article 2, paragraphe 2, de cette décision dispose :

« Les définitions suivantes s’appliquent également. On entend par :

a) “systèmes mobiles par satellite”, les réseaux de communications électroniques et installations associées permettant de fournir des services de radiocommunications entre une station terrienne mobile et une ou plusieurs stations spatiales, ou entre des stations terriennes mobiles à l’aide d’une ou de plusieurs stations spatiales, ou entre une station terrienne mobile et un ou plusieurs éléments terrestres complémentaires utilisés en des points déterminés. Les systèmes de ce type comprennent au
moins une station spatiale ;

b) “éléments terrestres complémentaires” de systèmes mobiles par satellite, les stations au sol utilisées en des points déterminés afin d’augmenter la disponibilité du service mobile par satellite dans les zones géographiques, situées à l’intérieur de l’empreinte du ou des satellites du système, où les communications avec une ou plusieurs stations spatiales ne peuvent être assurées avec la qualité requise. »

C.   La décision 2009/449

11. En exécution de la décision no 626/2008, la Commission a sélectionné, par la décision 2009/449, Inmarsat et Solaris Mobile Limited comme opérateurs de systèmes mobiles par satellite autorisés à utiliser la bande de fréquence de 2 GHz, conformément à la décision 2007/98.

III. Le litige au principal, les questions préjudicielles et la procédure devant la Cour

12. Par la décision no 2014‑1257 du 21 octobre 2014, l’ARCEP a autorisé Inmarsat à utiliser les fréquences désignées par la décision 2009/449 en France métropolitaine.

13. Par la décision no 2018‑0001 du 22 février 2018, l’ARCEP a attribué à Inmarsat l’autorisation d’exploiter des éléments terrestres complémentaires d’un système mobile par satellite.

14. C’est contre cette seconde décision qu’Eutelsat a introduit un recours en annulation devant le Conseil d’État. Viasat Inc et Viasat UK Ltd (ci‑après, ensemble, « Viasat ») sont intervenues à la procédure au principal au soutien de ce recours.

15. Il ressort des éléments fournis par cette juridiction qu’Inmarsat entend exploiter l’autorisation octroyée par la décision 2009/449 pour développer le système EAN.

16. Le système EAN permet d’assurer un service mobile à destination des avions au moyen de transmissions par satellite, reçues par un terminal situé au-dessus du fuselage des avions, et de transmissions effectuées à partir d’éléments terrestres complémentaires déployés sur le territoire de l’Union, reçues par un terminal situé en dessous du fuselage des avions. L’ensemble de ces transmissions est effectué sur la bande de fréquences attribuée à Inmarsat par la décision 2009/449. Ce système exploite
un satellite mis en service le 29 août 2017.

17. À l’appui de son recours en annulation devant la juridiction de renvoi, Eutelsat a avancé plusieurs arguments visant à démontrer que le système EAN mis en place par Inmarsat n’est pas conforme aux dispositions de la décision no 626/2008, ce qui entraînerait la nullité de la décision de l’ARCEP du 22 février 2018.

18. Ayant constaté que ces arguments présentent plusieurs difficultés d’interprétation du droit de l’Union, le Conseil d’État a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Quels critères juridiques permettent d’identifier une station terrienne mobile au sens de la décision no 626/2008 ? Cette décision doit-elle être lue comme exigeant qu’une station terrienne mobile qui communique avec un élément terrestre complémentaire puisse également, sans matériel distinct, communiquer avec un satellite ? Comment, dans l’affirmative, doit être appréciée l’unicité du matériel ?

2) Les dispositions de l’article 2, paragraphe 2, de la décision no 626/2008 doivent-elles être interprétées en ce sens qu’un système mobile par satellite doit reposer, à titre principal, sur des éléments satellitaires ou permettent-elles de considérer que le rôle respectif des éléments satellitaires et terrestres est indifférent, y compris dans une configuration où l’élément satellitaire n’est utile que lorsque les communications avec les éléments terrestres ne peuvent être assurées ? Des
éléments terrestres complémentaires peuvent-ils être installés de façon à couvrir l’ensemble du territoire de l’Union européenne au motif que les stations spatiales ne permettent d’assurer la qualité requise de communication en aucun point au sens l’article 2, paragraphe 2, sous b), de cette décision ?

3) Dans l’hypothèse où il est avéré que l’opérateur sélectionné conformément au titre II de la décision no 626/2008 n’a pas respecté les engagements en termes de couverture du territoire définis à l’article 7, paragraphe 2, de cette décision à la date butoir prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous c), ii), de ladite décision, les autorités compétentes des États membres doivent-elles refuser d’accorder des autorisations d’exploiter des éléments terrestres complémentaires ? En cas de réponse
négative, peuvent-elles refuser d’accorder ces autorisations ? »

19. La demande de décision préjudicielle datée du 28 juin 2019 a été enregistrée au greffe de la Cour le 8 juillet 2019.

20. Eutelsat, Inmarsat, Viasat, les gouvernements français, belge et du Royaume‑Uni ainsi que la Commission européenne ont déposé des observations écrites et ont répondu par écrit à plusieurs questions posées par la Cour.

IV. Analyse

21. Il ressort du dossier soumis à la Cour que l’action introduite par Eutelsat, et soutenue par Viasat, devant la juridiction de renvoi fait partie d’un ensemble d’actions, introduites devant les juridictions de l’Union ( 5 ) ainsi que devant des juridictions nationales notamment au Royaume‑Uni, en Allemagne, en Italie, en Espagne et en Belgique, par lesquelles ces parties visent à empêcher l’utilisation par Inmarsat de la bande de fréquence de 2 GHz au moyen d’éléments terrestres complémentaires.

22. Dans le cadre de la présente affaire, la Cour est appelée, en substance, à examiner trois arguments avancés par Eutelsat en vue de contester la validité de l’autorisation octroyée par l’ARCEP à Inmarsat d’exploiter des éléments terrestres complémentaires en France, et dont l’examen exige l’interprétation de dispositions du droit de l’Union. Ces trois arguments correspondent aux trois questions posées par la juridiction de renvoi.

23. En premier lieu, Eutelsat soutient que, dans un système tel que le système EAN mis en place par Inmarsat, le terminal installé en dessous du fuselage de l’avion en vue de communiquer avec les éléments terrestres complémentaires ne constitue pas une « station terrienne mobile », de sorte que ces éléments ne font pas partie intégrante d’un « système mobile par satellite » au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision no 626/2008.

24. En deuxième lieu, Eutelsat affirme que les éléments terrestres ne peuvent pas, eu égard à leur importance prépondérante, être considérés comme « complémentaires » dans un système tel que le système EAN, de sorte que ce dernier ne constitue pas un « système mobile par satellite » au sens de la disposition précitée.

25. En troisième lieu, Eutelsat affirme que les autorités nationales ne peuvent pas octroyer à Inmarsat l’autorisation d’exploiter des éléments terrestres complémentaires sur leur territoire au motif que cette dernière n’a pas respecté les engagements de couverture du territoire à la date prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous c), ii), de la décision no 626/2008.

26. Dans la suite de mes conclusions, j’exposerai les motifs pour lesquels je considère qu’il y a lieu de rejeter chacun des arguments invoqués par Eutelsat. En d’autres termes, je proposerai à la Cour de répondre aux questions posées en ce sens que les dispositions pertinentes du droit de l’Union ne mettent pas en cause la validité de l’autorisation obtenue par Inmarsat d’exploiter des éléments terrestres complémentaires en France.

A.   Sur les notions de « système mobile par satellite » et de « station terrienne mobile » au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision no 626/2008 (première question)

27. Par sa première question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision no 626/2008 doit être interprété en ce sens que, dans un système tel que le système EAN en cause dans le litige au principal, les éléments terrestres complémentaires communiquent avec une « station terrienne mobile » et, partant, font partie intégrante d’un « système mobile par satellite », étant entendu que ce système comporte deux terminaux de réception distincts
reliés par un gestionnaire de communication, le premier placé au-dessus du fuselage d’un avion et communiquant avec un satellite, le second placé en dessous du fuselage et communiquant avec les éléments terrestres complémentaires.

28. Eutelsat et Viasat ont proposé de répondre à cette question par la négative, au contraire d’Inmarsat, des gouvernements français, belge et du Royaume‑Uni ainsi que de la Commission.

29. Pour répondre à cette question, il y a lieu de partir du texte de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision no 626/2008. Cette disposition définit les « systèmes mobiles par satellite » comme étant des « réseaux de communications électroniques et installations associées » permettant de fournir trois types de services de radiocommunications :

– entre une station terrienne mobile et une ou plusieurs stations spatiales, ou

– entre des stations terriennes mobiles à l’aide d’une ou de plusieurs stations spatiales, ou

– entre une station terrienne mobile et un ou plusieurs éléments terrestres complémentaires utilisés en des points déterminés.

30. Les deuxième et troisième questions posées visent le troisième type de radiocommunications, celles entre une station terrienne mobile et des éléments terrestres complémentaires.

31. À titre liminaire, je crois utile de clarifier la signification des termes « mobile », « terrienne », « spatiale » et « satellite » utilisés pour décrire ces services de radiocommunications.

32. À l’instar de l’ensemble des parties ayant soumis des observations, je ne vois pas d’objection à s’inspirer, à cet égard, des définitions établies par le règlement des radiocommunications adopté par la Conférence mondiale des radiocommunications de 1995 (ci‑après le « règlement des radiocommunications ») ( 6 ). En effet, il n’y a pas, en ce qui concerne ces termes pris de manière isolée, de contradiction entre ce règlement et la décision no 626/2008.

33. Je relève, tout d’abord, que plusieurs dispositions de la décision 2007/98 et de la décision no 626/2008 utilisent l’expression « station spatiale » et le terme « satellite » de manière presque interchangeable, ou à tout le moins sans clarifier l’articulation entre ces deux notions ( 7 ). Si cette nuance n’est pas déterminante pour la solution du litige au principal, je précise que, dans ce contexte réglementaire, la notion de « station spatiale » me semble exiger la présence non seulement d’un
satellite mais également de certains éléments techniques supplémentaires ; en d’autres termes, cette notion est plus restrictive que celle de « satellite » ( 8 ). Dans le cadre du litige au principal, il n’est pas contesté que le système EAN comporte une station spatiale, comme l’exige l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision no 626/2008 ( 9 ).

34. Ensuite, une station « terrienne » est « située soit sur la surface de la Terre, soit dans la partie principale de l’atmosphère terrestre » ( 10 ). Une station située sur un avion, comme dans le système EAN, doit être qualifiée de station terrienne.

35. Enfin, une station terrienne « mobile » est notamment « destinée à être utilisée lorsqu’elle est en mouvement ou pendant des haltes en des points non déterminés » ( 11 ). C’est sur cette notion de « station terrienne mobile » que porte la première question posée.

36. Cela étant précisé, je peux à présent examiner l’argumentation avancée par Eutelsat et soutenue par Viasat, tant devant la Cour que devant la juridiction de renvoi, et qui vise la troisième catégorie de radiocommunications décrite à l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision no 626/2008, à savoir celle entre une station terrienne mobile et des éléments terrestres complémentaires.

37. En substance, Eutelsat et Viasat cherchent à démontrer que les éléments terrestres complémentaires ne communiquent pas avec une station terrienne mobile dans un système tel que le système EAN en cause dans le litige au principal, de sorte qu’ils ne feraient pas partie intégrante d’un « système mobile par satellite » au sens de cette disposition.

38. Je suis en désaccord avec ce raisonnement.

39. Le syllogisme proposé par Eutelsat et Viasat peut être résumé comme suit. La notion de « station terrienne mobile » exigerait qu’une telle station soit capable de communiquer avec un satellite ( 12 ) (majeure). Le système EAN communiquerait avec les éléments terrestres complémentaires grâce au terminal placé en dessous du fuselage de l’avion, lequel constituerait une station autonome incapable de communiquer avec un satellite (mineure). Par conséquent, les éléments terrestres complémentaires
exploités dans le cadre du système EAN ne communiqueraient pas avec une station terrienne mobile et, partant, ne feraient pas partie intégrante d’un système mobile par satellite.

40. À mes yeux, cette argumentation est affectée de deux vices irrémédiables affectant respectivement la majeure et la mineure de ce syllogisme.

41. En premier lieu, et contrairement à ce qu’affirment Eutelsat et Viasat, la notion de « station terrienne mobile », au sens de la décision no 626/2008, n’exige pas qu’une telle station soit capable de communiquer avec un satellite. Je rappelle, à cet égard, que cette notion n’a pas été expressément définie par le législateur de l’Union.

42. Ces parties déduisent cette exigence du règlement des radiocommunications. Dans le contexte de ce règlement, en effet, il pourrait être déduit de ses articles 1.63 et 1.68 que toute station terrienne mobile communique soit avec une station spatiale, soit avec une autre station terrienne mobile à l’aide d’un objet spatial ( 13 ).

43. Cependant, aucun élément de la décision no 626/2008 ( 14 ), ni même de la décision 2007/98, ne suggère que les définitions du règlement des radiocommunications devraient intégralement être transposées dans le contexte de ces décisions, comme l’a relevé à juste titre Inmarsat.

44. En ce qui concerne plus précisément la notion de « station terrienne mobile », il existe à mes yeux un motif s’opposant catégoriquement à une telle transposition. Comme l’a souligné la Commission, la notion de « système mobile par satellite » définie à l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision no 626/2008 ne correspond pas à la notion de « service mobile par satellite » figurant à l’article 1.25 du règlement des radiocommunications ( 15 ).

45. Pour bien comprendre les différences entre ces deux notions, quatre catégories de communications doivent être distinguées.

Article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision no 626/2008 Article 1.25 du règlement des radiocommunications
  Entre stations spatiales
Entre stations terriennes mobiles et stations spatiales Entre stations terriennes mobiles et stations spatiales
Entre stations terriennes mobiles, à l’aide de stations spatiales Entre stations terriennes mobiles,à l’aide de stations spatiales
Entre stations terriennes mobiles et éléments terrestres complémentaires  

46. Comme le montre le tableau ci-dessus, l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision no 626/2008 est à la fois plus restrictif (en ce qu’il n’inclut pas les communications entre stations spatiales) et plus étendu (en ce qu’il inclut les communications entre une station terrienne mobile et des éléments terrestres complémentaires) que l’article 1.25 du règlement des radiocommunications.

47. Ainsi, étant donné que le règlement des radiocommunications n’envisage pas les communications entre une station terrienne mobile et des éléments terrestres complémentaires, lesquelles sont précisément en cause dans la présente affaire, les définitions que ce règlement établit à cet égard ne sauraient être transposées dans le contexte de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision no 626/2008.

48. Si l’on s’en tient aux dispositions de la décision no 626/2008, il est clair qu’un « système mobile par satellite », tel que visé à l’article 2, paragraphe 2, sous a), de cette décision, doit nécessairement comporter au moins une station terrienne mobile capable de communiquer avec une station spatiale. Cela ressort de la dernière phrase de cette disposition, selon laquelle un tel système comprend « au moins une station spatiale », ainsi que de la dénomination même de ce système qui implique la
présence d’un « satellite ».

49. Toutefois, cette exigence n’exclut pas qu’un tel système comprenne également d’autres stations terriennes mobiles, destinées à communiquer avec des éléments terrestres complémentaires, sans pour autant être capables de communiquer avec un satellite.

50. En d’autres termes, s’il est incontestable qu’un système mobile par satellite doit comporter une station terrienne mobile capable de communiquer avec un satellite, il n’existe aucune raison de considérer, sur le fondement des définitions établies par la décision no 626/2008, que toutes les stations terriennes mobiles intégrées dans ce système doivent être capables de communiquer avec un satellite.

51. Ainsi, l’argumentation d’Eutelsat et de Viasat, résumée au point 39 des présentes conclusions, doit déjà être rejetée sur ce premier fondement. Contrairement à ce que ces parties ont affirmé, une station communiquant avec des éléments terrestres complémentaires peut être qualifiée de « station terrienne mobile », au sens de l’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision no 626/2008, même en l’absence de capacité de communiquer avec un satellite.

52. En second lieu, à supposer même que la Cour juge que toute« station terrienne mobile » doit nécessairement être capable de communiquer avec un satellite, l’argumentation d’Eutelsat et de Viasat est également viciée en ce qu’elle repose sur une séparation artificielle entre les composantes techniques du système EAN.

53. Selon cette argumentation, il y aurait, d’une part, le terminal de réception situé au-dessus du fuselage de l’avion, lequel communique avec les satellites, et, d’autre part, le terminal de réception situé en dessous du fuselage, lequel communique avec les éléments terrestres complémentaires. Ce dernier n’étant pas capable de communiquer avec un satellite, il ne pourrait constituer une station terrienne mobile et ne satisferait donc pas à la définition établie à l’article 2, paragraphe 2,
sous a), de la décision no 626/2008, interprétée – erronément selon moi – comme exigeant une telle capacité.

54. Cette séparation ne me semble pas correspondre à la réalité technique du système EAN. À l’instar de la position défendue, en substance, par Inmarsat, les gouvernements français, belge et du Royaume‑Uni ainsi que la Commission, il me semble artificiel, d’un point de vue fonctionnel, de diviser un système, tel que le système EAN en cause dans le litige au principal, en deux stations distinctes et indépendantes. Il est constant entre les parties, en effet, que les deux terminaux de réception du
système EAN sont reliés entre eux par un gestionnaire de communication qui détermine, en fonction des circonstances, le terminal – satellitaire ou terrestre – utilisé pour acheminer le signal entrant ou sortant.

55. Dans ce contexte, la seule circonstance que ces deux terminaux soient physiquement séparés, ayant été placés respectivement au-dessus et en dessous du fuselage, ne saurait impliquer, à elle seule, qu’ils constituent deux « stations » distinctes. Il me semble, au contraire, que la gestion centralisée de leurs signaux respectifs implique que ces terminaux font partie d’une seule et même « station », comme l’ont notamment souligné à juste titre le gouvernement français et la Commission.

56. Cette interprétation trouve un appui à l’article 1.61 du règlement des radiocommunications, selon lequel une « station » est « un ou plusieurs émetteurs ou récepteurs, ou un ensemble d’émetteurs et de récepteurs, y compris les appareils accessoires, nécessaires pour assurer un service de radiocommunication ou pour le service de radioastronomie, en un emplacement donné ».

57. La circonstance que de tels « émetteurs » n’aient pas été placés physiquement dans un même boîtier ne saurait être déterminante à cet égard, sous peine de sombrer dans un formalisme juridique en décalage avec la réalité technique exigeant que les antennes de ces terminaux soient placées respectivement vers le haut (pour la communication avec les satellites) et vers le bas (pour la communication avec les éléments terrestres complémentaires), comme l’a expliqué Inmarsat.

58. Le gouvernement français a ajouté, à cet égard, que l’existence de deux terminaux de réception est également requise, sur le plan technique, par l’existence de langages informatiques différents pour la communication avec les satellites (langage « DVB-S ») et avec les éléments terrestres complémentaires (langage « LTE ») ( 16 ).

59. Le gouvernement du Royaume‑Uni a illustré ce propos avec un exemple empli de « common sense » (bon sens). Ce gouvernement a expliqué qu’un téléphone mobile inclut divers éléments capables de se connecter à un réseau 3G, à un réseau 4G et à un réseau Wifi, ou encore d’établir une connexion Bluetooth. Il n’en reste pas moins que tous ces éléments font partie d’une seule et même station, à savoir ledit téléphone mobile. Ce simple exemple suffit, selon moi, à rejeter l’argumentation d’Eutelsat et de
Viasat.

60. Ainsi, et contrairement à ce que ces parties ont affirmé, un ensemble composé de deux terminaux de réception distincts reliés par un gestionnaire de communication, le premier placé au-dessus du fuselage d’un avion et communiquant avec un satellite, le second placé en dessous du fuselage et communiquant avec des éléments terrestres complémentaires, doit être qualifié de « station terrienne mobile ».

61. Eu égard à ce qui précède, je propose à la Cour de répondre comme suit à la première question. L’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision no 626/2008 doit être interprété en ce sens que, dans un système tel que le système EAN en cause dans le litige au principal, les éléments terrestres complémentaires communiquent avec une « station terrienne mobile » et, partant, font partie intégrante d’un « système mobile par satellite », étant entendu que ce système comporte deux terminaux de
réception distincts reliés par un gestionnaire de communication, le premier placé au-dessus du fuselage d’un avion et communiquant avec un satellite, le second placé en dessous du fuselage et communiquant avec les éléments terrestres complémentaires.

B.   Sur la notion d’« éléments terrestres “complémentaires” » au sens de l’article 2, paragraphe 2, de la décision no 626/2008 (deuxième question)

62. Par sa deuxième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 2, paragraphe 2, de la décision no 626/2008 doit être interprété en ce sens que les éléments terrestres utilisés dans un système tel que le système EAN en cause dans le litige au principal peuvent être qualifiés de « complémentaires » nonobstant la circonstance que ces éléments jouent un rôle prépondérant dans le fonctionnement de ce système, qu’ils couvrent l’ensemble du territoire de l’Union et qu’ils
permettent d’accroître la qualité des services de communication offerts.

63. Je précise que, en cas de réponse négative à cette question, le système EAN mis en place par Inmarsat ne pourrait pas être qualifié de « système mobile par satellite » au sens de la disposition précitée, cette qualification étant subordonnée à la présence d’éléments terrestres « complémentaires ».

64. Avant d’apporter des éléments de réponse à la question posée, je crois utile de fournir quelques éléments factuels sur la nature et le rôle des éléments terrestres complémentaires dans le fonctionnement du système EAN mis en place par Inmarsat.

65. Tout d’abord, il ressort des observations d’Inmarsat, sans que cela ait été contesté par les autres parties, que les éléments terrestres complémentaires sont comparables aux stations utilisées dans le cadre du réseau 4G de téléphonie mobile, « à la différence qu’elles pointent verticalement vers le ciel plutôt qu’horizontalement au-dessus du sol » ( 17 ). Il est entendu que cette orientation verticale s’explique par la nécessité d’envoyer les signaux pertinents vers des avions en vol, où se
trouvent les terminaux de réception du système EAN.

66. Ensuite, Inmarsat a elle-même reconnu que la connexion avec les éléments terrestres complémentaires présente plusieurs avantages techniques par rapport à la connexion avec un satellite. D’une part, la connexion avec les éléments terrestres est de meilleure qualité en raison de la distance sensiblement inférieure parcourue par le signal (36000 km pour le satellite, moins de 100 km pour l’élément terrestre). D’autre part, et contrairement à la connexion satellitaire, la connexion terrestre peut
être facilement améliorée, en cas de congestion, par l’ajout d’éléments au sol ( 18 ).

67. Enfin, il est constant entre les parties que les éléments terrestres complémentaires jouent, en raison de leur supériorité technique ( 19 ), un rôle prépondérant dans le fonctionnement du système EAN. Ainsi, selon les excellentes conclusions du rapporteur public dans l’affaire au principal, « il n’est pas contesté que ce système mobile par satellite repose essentiellement, en réalité, non sur les communications satellitaires, mais sur les communications avec les éléments terrestres
complémentaires, qui permettent des débits bien plus rapides, et dont les juges britanniques et le régulateur allemand ont relevé qu’ils assureraient 99 % du service, le satellite n’ayant vocation à être utilisé que dans les zones non couvertes par ces éléments terrestres complémentaires (i.e. au-dessus des mers) » ( 20 ).

68. C’est précisément en raison de ce rôle prépondérant joué par les éléments terrestres dans le fonctionnement du système EAN qu’Eutelsat et Viasat font valoir que ces éléments ne peuvent pas être qualifiés de « complémentaires » et, partant, qu’un tel système ne peut pas être qualifié de « système mobile par satellite » au sens de l’article 2, paragraphe 2, de la décision no 626/2008. En substance, ces parties reprochent au système EAN d’être non pas un système de communications satellitaires
complétées par des éléments terrestres, mais bien un système de communications terrestres complétées par un élément satellitaire.

69. Je ne suis pas d’accord avec ce raisonnement. En d’autres termes, et à l’instar de la position défendue par Inmarsat, les gouvernements français, belge et du Royaume‑Uni ainsi que la Commission, j’estime que de tels éléments terrestres peuvent être qualifiés de « complémentaires » nonobstant leur rôle prépondérant dans le fonctionnement du système EAN.

70. À mes yeux, deux exigences peuvent être déduites de la décision no 626/2008 en ce qui concerne la composante satellitaire d’un « système mobile par satellite ».

71. D’une part, un tel système doit comporter un satellite. Outre sa dénomination même (« système mobile par satellite »), cette exigence découle de l’article 2, paragraphe 2, sous a), dernière phrase de la décision no 626/2008 (« Les systèmes de ce type comprennent au moins une station spatiale » ( 21 )), ou encore de l’annexe à cette décision dont il ressort que la fabrication et le lancement d’un satellite sont des étapes indispensables dans le processus de sélection des opérateurs.

72. D’autre part, le satellite doit non seulement être présent, mais également être utilisé, comme l’a relevé le gouvernement du Royaume‑Uni. Cette exigence découle, implicitement, de l’article 8, paragraphe 3, sous c), de la décision no 626/2008, aux termes duquel « le fonctionnement autonome des éléments terrestres complémentaires, en cas de panne de l’élément satellitaire du système mobile par satellite associé, ne doit pas dépasser dix-huit mois » ( 22 ). En d’autres termes, le principe est le
fonctionnement conjoint des éléments terrestres et de l’élément satellitaire.

73. Dans le cadre du litige au principal, il ressort du dossier soumis à la Cour que l’élément satellitaire est effectivement utilisé lorsque les avions équipés du système EAN survolent la mer ou le territoire de la Serbie, ou encore lorsqu’un problème empêche le bon fonctionnement des éléments terrestres. Inmarsat a précisé que, en raison de la fiabilité et de la stabilité du signal satellite, l’élément satellitaire assure la continuité des services de communication. Bien entendu, la vérification
de l’utilisation effective de l’élément satellitaire relève des compétences du juge national, seul habilité à vérifier les faits dans le cadre de la procédure préjudicielle.

74. Cela étant précisé, je ne crois pas possible de déduire de cette décision une exigence supplémentaire relative à l’importance des rôles joués, respectivement, par les composantes satellitaire et terrestre d’un tel système.

75. Pour commencer, l’adjectif « complémentaires » ne me semble pas exclure un rôle prépondérant des éléments terrestres par rapport à celui de l’élément satellitaire, contrairement aux affirmations d’Eutelsat et de Viasat.

76. Selon le dictionnaire de l’Académie française, « complémentaire » signifie « qui sert à compléter », c’est‑à‑dire à « rendre complet », comme l’a relevé le gouvernement français. Dans la langue anglaise, le dictionnaire d’Oxford définit le terme « complementary » comme suit : « combining in such a way as to form a complete whole or enhance each other » ( 23 ). La version en langue allemande utilise le mot « ergänzende », lequel a une signification similaire ( 24 ).

77. Il ressort de ces définitions que le terme « complémentaires » est silencieux quant à l’importance relative des éléments considérés. Ainsi, ce terme n’exclut pas que les éléments terrestres aient un rôle prépondérant, par rapport à l’élément satellitaire, dans un système mobile par satellite. Ces éléments peuvent « compléter » un tel système en y jouant un rôle prépondérant.

78. Dans ses observations, la Commission a précisé que le terme « complémentaires » souligne la nature facultative des éléments terrestres, par opposition à la présence obligatoire de l’élément satellitaire.

79. Le silence de la décision no 626/2008, au sujet de l’importance relative des éléments terrestre et satellitaire, me semble également révélateur. Il était, en effet, loisible au législateur de l’Union de préciser que le rôle des éléments terrestres devait rester « secondaire », « accessoire », ou encore « subsidiaire » par rapport à celui de l’élément satellitaire, comme l’ont remarqué les gouvernements belge et français, voire encore de définir un pourcentage maximal de communications pouvant
être assurées par les éléments terrestres.

80. Or, cette décision ne comporte pas de telles précisions. Selon la définition qui en est donnée à son article 2, paragraphe 2, sous b), les éléments terrestres complémentaires sont utilisés en des points déterminés afin d’augmenter la disponibilité du service mobile par satellite dans les zones géographiques où les communications satellitaires ne peuvent être assurées avec la qualité requise.

81. À mes yeux, cette définition n’interdit pas, avec toute la clarté requise, que les éléments terrestres jouent un rôle prépondérant dans le système en question.

82. J’admets volontiers que certains éléments de langage (notamment « en des points déterminés ») pourraient être interprétés, s’ils étaient accompagnés de dispositions claires en ce sens, comme exigeant un rôle prépondérant de l’élément satellitaire. Ce faisant, le législateur de l’Union a laissé planer un doute quant à la portée exacte de la notion d’« éléments terrestres complémentaires ».

83. Cependant, les exigences de la sécurité juridique interdisent de trancher le débat sur la portée de cette notion dans un sens qui serait défavorable aux intérêts des opérateurs sélectionnés en exécution de la décision no 626/2008, ainsi que l’a fait valoir Inmarsat. En d’autres termes, je suis d’avis que, en pareilles circonstances, le doute doit profiter aux opérateurs sélectionnés il y a plus de dix ans par la Commission, et qui ont réalisé des choix économiques et consenti des investissements
importants en se fondant sur une lecture compatible avec les termes de cette décision.

84. La seule limite, à cet égard, consiste, précisément, à vérifier que le système de communication mis en place par ces opérateurs est bien compatible avec les termes utilisés dans la décision no 626/2008.

85. J’ai déjà expliqué, aux points 75 à 78 des présentes conclusions, les raisons pour lesquelles je considère que le terme « complémentaires » n’exclut pas un rôle prépondérant des éléments terrestres.

86. Je relève à présent que la définition établie à l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la décision no 626/2008 ne fixe pas de limite maximale au nombre de « points déterminés » en lesquels des éléments terrestres peuvent être utilisés, comme l’a remarqué la Commission. Partant, il est possible, pour un opérateur sélectionné, d’installer de tels éléments sur l’ensemble du territoire de l’Union.

87. Par ailleurs, il me paraît difficilement contestable, au regard des éléments factuels résumés aux points 64 à 67 des présentes conclusions, que les éléments terrestres augmentent à la fois la « disponibilité » et la « qualité » des services de communication fournis, au sens de la disposition précitée.

88. En particulier, je ne vois aucune raison valable de « plafonner », de manière arbitraire, la qualité des services de communication à la qualité maximale pouvant être offerte par l’élément satellitaire, comme l’ont suggéré Eutelsat, Viasat et la Commission, ce qui irait à l’encontre des intérêts des consommateurs.

89. Je ne suis pas d’accord avec l’argument avancé par la Commission, selon lequel il convient de « veiller à ce que les exigences juridiques ne soient pas détournées, à savoir que le satellite ne joue pas un rôle marginal ». D’une part, il ressort des points 77 à 87 des présentes conclusions qu’aucune « exigence juridique » visant le rôle respectif des composantes satellitaire et terrestre ne peut être déduite de la décision no 626/2008. D’autre part, le principe de la sécurité juridique s’oppose à
ce que cette décision soit « complétée », en ajoutant une limite maximale à la qualité des services fournis, alors qu’une telle limite n’a pas été prévue par le législateur de l’Union.

90. Comme l’ont fait valoir Inmarsat ainsi que les gouvernements français, belge et du Royaume‑Uni, le critère de la qualité est défini de manière large à l’article 2, paragraphe 2, sous b), de la décision no 626/2008, de sorte que chaque opérateur est libre de déterminer la qualité des services qu’il souhaite offrir. Toute autre interprétation conduirait à un encadrement artificiel, par la réglementation de l’Union, des services de communication proposés, en décalage avec la réalité technologique
et commerciale de ces services.

91. À l’inverse, la liberté offerte aux opérateurs sélectionnés d’exploiter des éléments terrestres, dans la mesure où ceux‑ci sont plus performants que l’élément satellitaire, permet l’utilisation la plus efficace possible de la bande fréquence de 2 GHz, élément d’autant plus important dans un contexte où les bandes fréquences disponibles constituent des ressources rares ( 25 ). Cette interprétation est conforme à la promotion de la concurrence et de l’innovation ainsi qu’aux intérêts des
consommateurs, objectifs poursuivis par la décision no 626/2008 ( 26 ), comme l’ont souligné à juste titre Inmarsat ainsi que les gouvernements français et du Royaume‑Uni.

92. Par souci d’exhaustivité, je souligne encore que le considérant 18 de la décision no 626/2008, lequel est dénué de portée contraignante de par sa nature, ne comporte, en outre, aucun élément de langage susceptible de remettre en cause l’interprétation que j’ai proposée ( 27 ).

93. Eu égard à ce qui précède, je propose à la Cour de répondre comme suit à la deuxième question. L’article 2, paragraphe 2, de la décision no 626/2008 doit être interprété en ce sens que les éléments terrestres utilisés dans un système tel que le système EAN en cause dans le litige au principal peuvent être qualifiés de « complémentaires » nonobstant la circonstance que ces éléments jouent un rôle prépondérant dans le fonctionnement de ce système, qu’ils couvrent l’ensemble du territoire de
l’Union et qu’ils permettent d’accroître la qualité des services de communication offerts.

C.   Sur les conséquences du non‑respect des engagements de couverture du territoire à la date prévue à l’article 4, paragraphe 1, sous c), ii), de la décision no 626/2008 (troisième question)

94. En ce qui concerne la troisième question posée par la juridiction de renvoi, je relève que la Cour, dans l’arrêt Viasat UK et Viasat ( 28 ), a eu l’opportunité de répondre par la négative à une question similaire et formulée en des termes presque identiques.

95. Il me suffit donc, à cet égard, de renvoyer à la réponse apportée par la Cour dans cette affaire.

V. Conclusion

96. Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre aux questions préjudicielles posées par le Conseil d’État (France) de la manière suivante :

1) L’article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision no 626/2008/CE du Parlement européen et du Conseil, du 30 juin 2008, concernant la sélection et l’autorisation de systèmes fournissant des services mobiles par satellite (MSS) doit être interprété en ce sens que, dans un système tel que le système « European Aviation Network » en cause dans le litige au principal, les éléments terrestres complémentaires communiquent avec une « station terrienne mobile » et, partant, font partie intégrante
d’un « système mobile par satellite », étant entendu que ce système comporte deux terminaux de réception distincts reliés par un gestionnaire de communication, le premier placé au-dessus du fuselage d’un avion et communiquant avec un satellite, le second placé en dessous du fuselage et communiquant avec les éléments terrestres complémentaires.

2) L’article 2, paragraphe 2, de la décision no 626/2008 doit être interprété en ce sens que les éléments terrestres utilisés dans un système tel que le système « European Aviation Network » en cause dans le litige au principal peuvent être qualifiés de « complémentaires » nonobstant la circonstance que ces éléments jouent un rôle prépondérant dans le fonctionnement de ce système, qu’ils couvrent l’ensemble du territoire de l’Union européenne et qu’ils permettent d’accroître la qualité des
services de communication offerts.

3) L’article 8, paragraphe 1, de la décision no 626/2008, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 1, de cette décision, doit être interprété en ce sens que, dans le cas où il est avéré qu’un opérateur sélectionné conformément au titre II de ladite décision et autorisé à utiliser le spectre radioélectrique en vertu de l’article 7 de cette même décision n’a pas fourni de services mobiles par satellite au moyen d’un système mobile par satellite pour la date butoir prévue à l’article 4,
paragraphe 1, sous c), ii), de la décision no 626/2008, les autorités compétentes des États membres ne sont pas habilitées à refuser d’accorder des autorisations nécessaires à la fourniture des éléments terrestres complémentaires de systèmes mobiles par satellite à cet opérateur au motif que celui‑ci n’a pas respecté l’engagement pris dans sa candidature.

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( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Décision de la Commission du 13 mai 2009 concernant la sélection des opérateurs de systèmes paneuropéens fournissant des services mobiles par satellite (MSS) (JO 2009, L 149, p. 65).

( 3 ) Décision de la Commission du 14 février 2007 sur l’utilisation harmonisée du spectre radioélectrique dans les bandes de fréquences de 2 GHz pour la mise en œuvre de systèmes fournissant des services mobiles par satellite (JO 2007, L 43, p. 32).

( 4 ) Décision du Parlement Européen et du Conseil du 30 juin 2008 concernant la sélection et l’autorisation de systèmes fournissant des services mobiles par satellite (MSS) (JO 2008, L 172, p. 15).

( 5 ) Viasat a introduit un recours en carence contre la Commission le 24 avril 2017. Voir affaire T‑245/17, Viasat/Commission, actuellement pendante devant le Tribunal.

( 6 ) Le règlement des radiocommunications a été adopté par la Conférence mondiale des radiocommunications de 1995 (CMR-95), et révisé par les Conférences mondiales des radiocommunications ultérieures : CMR-97 (Genève, 1997), CMR-2000 (Istanbul, 2000), CMR-03 (Genève, 2003), CMR-07 (Genève, 2007), CMR-12 (Genève, 2012), CMR-15 (Genève, 2015) et CMR-19 (Charm el-Cheikh, 2019), disponible à l’adresse https://www.itu.int/pub/R-REG-RR-2020/fr.

( 7 ) Voir, par exemple, article 2 de la décision 2007/98 et article 2, paragraphe 2, sous a), de la décision no 626/2008, qui définissent la notion de « systèmes fournissant des services mobiles par satellite » en exigeant la présence d’une station spatiale.

( 8 ) Je déduis, notamment, cette interprétation des étapes successives décrites à l’annexe de la décision no 626/2008, dont il ressort qu’une station spatiale requiert non seulement la fabrication et le lancement de satellites, mais également l’assemblage d’un module de communication et d’un module de service. Cette interprétation est, selon moi, corroborée par la définition de « station spatiale » établie à l’article 1.64 du règlement des radiocommunications, selon laquelle une telle station est
« située sur un objet qui se trouve, est destiné à aller, ou est allé, au-delà de la partie principale de l’atmosphère terrestre ». Un satellite artificiel, c’est‑à‑dire fabriqué par l’homme, peut effectivement constituer un tel « objet » destiné à accueillir une « station spatiale ».

( 9 ) Voir point 16 des présentes conclusions.

( 10 ) Voir article 1.63 du règlement des radiocommunications. Cette notion est définie par opposition à celle de « station spatiale ».

( 11 ) Voir article 1.68 du règlement des radiocommunications.

( 12 ) Pour reprendre les termes utilisés par Eutelsat, « une station terrienne mobile doit nécessairement communiquer avec un satellite pour pouvoir être qualifiée comme telle ».

( 13 ) Selon l’article 1.68 du règlement des radiocommunications, une « station terrienne mobile » est une « station terrienne du service mobile par satellite destinée à être utilisée lorsqu’elle est en mouvement ou pendant des haltes en des points non déterminés ». Or, l’article 1.63 de ce règlement définit la notion de « station terrienne » comme étant une « station située soit sur la surface de la Terre, soit dans la partie principale de l’atmosphère terrestre, et destinée à communiquer soit avec
une ou plusieurs stations spatiales, soit avec une ou plusieurs stations de même nature, à l’aide d’un ou plusieurs satellites réflecteurs ou autres objets spatiaux » (italique ajouté par mes soins).

( 14 ) Aux termes du considérant 10 de cette décision, « les règlements de l’Union internationale des télécommunications (UIT) prévoient des procédures de coordination des radiofréquences satellitaires comme moyen de gérer les interférences nuisibles, mais ne s’appliquent pas à la sélection ni à l’autorisation ».

( 15 ) Selon l’article 1.25 du règlement des radiocommunications, un « service mobile par satellite » est un « service de radiocommunication soit entre des stations terriennes mobiles et une ou plusieurs stations spatiales, ou entre des stations spatiales utilisées par ce service, soit entre des stations terriennes mobiles, par l’intermédiaire d’une ou plusieurs stations spatiales ».

( 16 ) L’utilisation de ces deux langages informatiques a également été relevée par Eutelsat et Viasat.

( 17 ) Rapport de M. Sharkey produit par Inmarsat, no 17.4 : « The CGC [Complementary Ground Components] network consists of approximately 300 ground-based stations at fixed locations on the ground, similar to 4G base stations, with the difference that they point vertically to the sky rather than horizontally over the ground. »

( 18 ) Rapport de M. Sharkey produit par Inmarsat, no 23 : « In general, while the satellite provides efficient and continuous coverage performance and resilience, terrestrial systems inherently provide very efficient throughput performance, since : a) there is only one satellite, in space located 36,000 km from the earth with a given power, forming a limited number of beams that may have a diameter of several hundreds of kilometers ; and b) CGC [Complementary Ground Components] terrestrial systems
consisting of a large number of towers, with higher power, can be installed within relatively short distances of each other and within a limited distance of the users i.e. 100 km, and can be supplemented by additional towers when congestion occurs. »

( 19 ) Inmarsat a précisé, à cet égard, que les éléments terrestres complémentaires offrent une capacité qu’aucun satellite, aussi puissant soit-il, ne pourrait fournir en exploitant la quantité limitée de ressources de fréquences qui lui a été attribuée par la décision 2009/449 (deux fois 15 MHz).

( 20 ) Conseil d’État, Affaire no 420128 Eutelsat, Conclusions de M. Guillaume Odinet, rapporteur public, 28 juin 2019, point 2, disponible à l’adresse http://www.conseil-etat.fr/fr/arianeweb/CRP/conclusion/2019‑06‑28/420128.

( 21 ) Sur l’articulation entre les notions de « satellite » et de « station spatiale », voir le point 33 des présentes conclusions.

( 22 ) Italique ajouté par mes soins.

( 23 ) « Se combinant de manière à former un ensemble complet ou à se renforcer mutuellement ».

( 24 ) Le dictionnaire Duden définit « ergänzen » comme suit : « durch Schließen entstandener Lücken wieder vollständig machen ; durch Hinzufügen von etwas vervollständigen, bereichern » (« rendre complet en comblant des lacunes qui sont apparues ; compléter, enrichir en ajoutant quelque chose »).

( 25 ) Je rappelle que les fréquences du spectre radioélectrique sont disponibles en nombre limité, ce qui explique la nécessité de réglementer leur utilisation. Voir considérant 8 de la décision no 676/2002/CE du Parlement européen et du Conseil, du 7 mars 2002, relative à un cadre réglementaire pour la politique en matière de spectre radioélectrique dans la Communauté européenne (décision « spectre radioélectrique ») : « La politique en matière de spectre radioélectrique ne peut être fondée
uniquement sur des paramètres techniques, mais doit également tenir compte de considérations économiques, politiques, culturelles, sanitaires et sociales. En outre, la demande sans cesse croissante de fréquences du spectre radioélectrique, disponibles en nombre limité, provoquera des pressions conflictuelles pour répondre aux besoins des différents groupes d’utilisateurs du spectre radioélectrique appartenant à des secteurs tels que les télécommunications, la radiodiffusion, les transports, les
autorités répressives, les forces armées et la communauté scientifique. La politique en matière de spectre radioélectrique devrait donc tenir compte de tous les secteurs et satisfaire leurs besoins respectifs selon un équilibre adéquat. »

( 26 ) Voir, notamment, considérants 1 et 5 ainsi qu’article 6, paragraphe 1, sous a), de la décision no 626/2008.

( 27 ) Plus précisément, le langage utilisé à ce considérant n’exclut aucune interprétation. Il en est ainsi, notamment, de l’extrait de phrase « [ces éléments] sont généralement utilisés pour améliorer les services offerts par le satellite » en raison de la présence du terme « généralement » (italique ajouté par mes soins).

( 28 ) Arrêt du 5 mars 2020 (C‑100/19, EU:C:2020:174).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-515/19
Date de la décision : 12/11/2020
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Conseil d'État (France).

Renvoi préjudiciel – Rapprochement des législations – Secteur des télécommunications – Utilisation harmonisée du spectre radioélectrique dans les bandes de fréquences de 2 GHz pour la mise en œuvre de systèmes fournissant des services mobiles par satellite – Décision no 626/2008/CE – Article 2, paragraphe 2, sous a) et b) – Article 4, paragraphe 1, sous c), ii) – Article 7, paragraphes 1 et 2 – Article 8, paragraphes 1 et 3 – Systèmes mobiles par satellite – Notion de “station terrienne mobile” – Notion d’“éléments terrestres complémentaires” – Notion de “qualité requise” – Rôle respectif des éléments satellitaires et terrestres – Obligation pour l’opérateur de systèmes mobiles par satellite sélectionné de desservir un certain pourcentage de la population et du territoire – Non-respect – Incidence.

Télécommunications

Rapprochement des législations


Parties
Demandeurs : Eutelsat SA
Défendeurs : Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) et Inmarsat Ventures SE.

Composition du Tribunal
Avocat général : Saugmandsgaard Øe

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2020:922

Source

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