ARRÊT DU TRIBUNAL (neuvième chambre élargie)
5 octobre 2020 ( *1 )
« Concurrence – Ententes – Procédure administrative – Décision ordonnant une inspection – Exception d’illégalité de l’article 20 du règlement (CE) no 1/2003 – Droit à un recours effectif – Égalité des armes – Obligation de motivation – Droit à l’inviolabilité du domicile – Indices suffisamment sérieux – Proportionnalité »
Dans l’affaire T‑249/17,
Casino, Guichard-Perrachon, établie à Saint-Étienne (France),
Achats Marchandises Casino SAS (AMC), anciennement EMC Distribution, établie à Vitry-sur-Seine (France),
représentées par Mes D. Théophile, I. Simic, O. de Juvigny, T. Reymond, A. Sunderland et G. Aubron, avocats,
parties requérantes,
contre
Commission européenne, représentée par MM. B. Mongin, A. Dawes et I. Rogalski, en qualité d’agents, assistés de Me F. Ninane, avocate,
partie défenderesse,
soutenue par
Conseil de l’Union européenne, représenté par Mmes S. Boelaert, S. Petrova et M. O. Segnana, en qualité d’agents,
partie intervenante,
ayant pour objet une demande fondée sur l’article 263 TFUE et tendant à l’annulation de la décision C(2017) 1054 final de la Commission, du 9 février 2017, ordonnant à Casino, Guichard-Perrachon ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle de se soumettre à une inspection conformément à l’article 20, paragraphes 1 et 4, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil (affaire AT.40466 – Tute 1),
LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie),
composé de MM. S. Gervasoni (rapporteur), président, L. Madise, R. da Silva Passos, Mme K. Kowalik‑Bańczyk et M. C. Mac Eochaidh, juges,
greffier : Mme M. Marescaux, administratrice,
vu la phase écrite de la procédure et à la suite de l’audience du 29 janvier 2020,
rend le présent
Arrêt
I. Cadre juridique
1 L’article 20 du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil, du 16 décembre 2002, relatif à la mise en œuvre des règles de concurrence prévues aux articles [101] et [102 TFUE] (JO 2003, L 1, p. 1), intitulé « Pouvoirs de la Commission en matière d’inspection », dispose :
« 1. Pour l’accomplissement des tâches qui lui sont assignées par le présent règlement, la Commission peut procéder à toutes les inspections nécessaires auprès des entreprises et associations d’entreprises.
2. Les agents et les autres personnes les accompagnant mandatés par la Commission pour procéder à une inspection sont investis des pouvoirs suivants :
a) accéder à tous les locaux, terrains et moyens de transport des entreprises et associations d’entreprises ;
b) contrôler les livres ainsi que tout autre document professionnel, quel qu’en soit le support ;
c) prendre ou obtenir sous quelque forme que ce soit copie ou extrait de ces livres ou documents ;
d) apposer des scellés sur tous les locaux commerciaux et livres ou documents pendant la durée de l’inspection et dans la mesure où cela est nécessaire aux fins de celle-ci ;
e) demander à tout représentant ou membre du personnel de l’entreprise ou de l’association d’entreprises des explications sur des faits ou documents en rapport avec l’objet et le but de l’inspection et enregistrer ses réponses.
3. Les agents et les autres personnes les accompagnant mandatés par la Commission pour procéder à une inspection exercent leurs pouvoirs sur production d’un mandat écrit qui indique l’objet et le but de l’inspection, ainsi que la sanction prévue à l’article 23 au cas où les livres ou autres documents professionnels qui sont requis seraient présentés de manière incomplète et où les réponses aux demandes faites en application du paragraphe 2 du présent article seraient inexactes ou dénaturées. La
Commission avise, en temps utile avant l’inspection, l’autorité de concurrence de l’État membre sur le territoire duquel l’inspection doit être effectuée.
4. Les entreprises et associations d’entreprises sont tenues de se soumettre aux inspections que la Commission a ordonnées par voie de décision. La décision indique l’objet et le but de l’inspection, fixe la date à laquelle elle commence et indique les sanctions prévues aux articles 23 et 24, ainsi que le recours ouvert devant la Cour de justice contre la décision. La Commission prend ces décisions après avoir entendu l’autorité de concurrence de l’État membre sur le territoire duquel
l’inspection doit être effectuée.
5. Les agents de l’autorité de concurrence de l’État membre sur le territoire duquel l’inspection doit être effectuée ainsi que les agents mandatés ou désignés par celle-ci doivent, à la demande de cette autorité ou de la Commission, prêter activement assistance aux agents et aux autres personnes les accompagnant mandatés par la Commission. Ils disposent à cette fin des pouvoirs définis au paragraphe 2.
6. Lorsque les agents ou les autres personnes les accompagnant mandatés par la Commission constatent qu’une entreprise s’oppose à une inspection ordonnée en vertu du présent article, l’État membre intéressé leur prête l’assistance nécessaire, en requérant au besoin la force publique ou une autorité disposant d’un pouvoir de contrainte équivalent, pour leur permettre d’exécuter leur mission d’inspection.
7. Si, en vertu du droit national, l’assistance prévue au paragraphe 6 requiert l’autorisation d’une autorité judiciaire, cette autorisation doit être sollicitée. L’autorisation peut également être demandée à titre préventif.
8. Lorsqu’une autorisation visée au paragraphe 7 est demandée, l’autorité judiciaire nationale contrôle que la décision de la Commission est authentique et que les mesures coercitives envisagées ne sont ni arbitraires ni excessives par rapport à l’objet de l’inspection. Lorsqu’elle contrôle la proportionnalité des mesures coercitives, l’autorité judiciaire nationale peut demander à la Commission, directement ou par l’intermédiaire de l’autorité de concurrence de l’État membre, des explications
détaillées, notamment sur les motifs qui incitent la Commission à suspecter une violation des articles [101] et [102 TFUE], ainsi que sur la gravité de la violation suspectée et sur la nature de l’implication de l’entreprise concernée. Cependant, l’autorité judiciaire nationale ne peut ni mettre en cause la nécessité de l’inspection ni exiger la communication des informations figurant dans le dossier de la Commission. Le contrôle de la légalité de la décision de la Commission est réservé à la Cour
de justice. »
II. Antécédents du litige
2 Casino, Guichard-Perrachon, la première requérante (ci-après « Casino »), est la société mère du groupe Casino, qui exerce ses activités notamment en France, principalement dans le secteur de la distribution alimentaire et non alimentaire. Sa filiale, Achats Marchandises Casino SAS (AMC), anciennement EMC Distribution, la seconde requérante, est une centrale de référencement qui négocie les conditions d’achat auprès des fournisseurs pour les enseignes du groupe Casino en France.
3 Ayant reçu des informations relatives à des échanges d’informations entre la première requérante et d’autres entreprises ou associations d’entreprises, notamment Intermarché, société qui exerce également ses activités dans le secteur de la distribution alimentaire et non alimentaire, la Commission européenne a adopté, le 9 février 2017, la décision C(2017) 1054 final ordonnant à Casino, Guichard-Perrachon ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle de se
soumettre à une inspection conformément à l’article 20, paragraphes 1 et 4, du règlement no 1/2003 (affaire AT.40466 – Tute 1) (ci-après la « décision attaquée »).
4 Le dispositif de la décision attaquée se lit comme suit :
« Article premier
Casino […], ainsi que toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle, sont tenues de se soumettre à une inspection concernant leur éventuelle participation à des pratiques concertées contraires à l’article 101 [TFUE] dans les marchés de l’approvisionnement en biens de consommation courante, dans le marché de vente de services aux fabricants de produits de marque et dans les marchés de vente aux consommateurs de biens de consommation courante. Ces pratiques concertées
consistent en :
a) des échanges d’informations, depuis 2015, entre des entreprises et/ou des associations d’entreprises, notamment ICDC […], et/ou ses membres, notamment Casino et AgeCore et/ou ses membres, notamment Intermarché, concernant les rabais obtenus par eux sur les marchés de l’approvisionnement en biens de consommation courante dans les secteurs des produits alimentaires, produits d’hygiène et produits d’entretien et les prix sur le marché de vente de services aux fabricants de produits de marque dans
les secteurs des produits alimentaires, produits d’hygiène et produits d’entretien, dans plusieurs États membres de l’Union européenne, notamment la France, et
b) des échanges d’informations, depuis au moins 2016, entre Casino et Intermarché concernant leurs stratégies commerciales futures, notamment en termes d’assortiment, de développement de magasins, d’e-commerce et de politique promotionnelle sur les marchés de l’approvisionnement en biens de consommation courante et sur les marchés de vente aux consommateurs de biens de consommation courante, en France.
Cette inspection peut avoir lieu dans n’importe quel local de l’entreprise […]
Casino autorise les fonctionnaires et autres personnes mandatées par la Commission pour procéder à une inspection et les fonctionnaires et autres personnes mandatées par l’autorité de concurrence de l’État membre concerné pour les aider ou nommées par ce dernier à cet effet, à accéder à tous ses locaux et moyens de transport pendant les heures normales de bureau. Elle soumet à inspection les livres ainsi que tout autre document professionnel, quel qu’en soit le support, si les fonctionnaires et
autres personnes mandatées en font la demande et leur permet de les examiner sur place et de prendre ou obtenir sous quelque forme que ce soit copie ou extrait de ces livres ou documents. Elle autorise l’apposition de scellés sur tous les locaux commerciaux et livres ou documents pendant la durée de l’inspection et dans la mesure où cela est nécessaire aux fins de celle-ci. Elle donne immédiatement sur place des explications orales sur l’objet et le but de l’inspection si ces fonctionnaires ou
personnes en font la demande et autorise tout représentant ou membre du personnel à donner de telles explications. Elle autorise l’enregistrement de ces explications sous quelque forme que ce soit.
Article 2
L’inspection peut débuter le 20 février 2017 ou peu de temps après.
Article 3
Casino ainsi que toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle sont destinataires de la présente décision.
Cette décision est notifiée, juste avant l’inspection, à l’entreprise qui en est destinataire, en vertu de l’article 297, paragraphe 2, [TFUE]. »
5 Ayant été informée de cette inspection par la Commission, l’Autorité de la concurrence française a saisi les juges des libertés et de la détention des tribunaux de grande instance de Créteil (France) et de Paris (France), afin de leur demander l’autorisation de réaliser des opérations de visite et de saisie dans les locaux des requérantes. Par ordonnances du 17 février 2017, ces juges des libertés et de la détention ont autorisé les visites et les saisies sollicitées à titre préventif. Aucune des
mesures prises lors de l’inspection n’ayant nécessité l’usage des « pouvoirs de contrainte » au sens de l’article 20, paragraphes 6 à 8, du règlement no 1/2003, ces ordonnances n’ont pas été notifiées aux requérantes.
6 L’inspection a débuté le 20 février 2017, date à laquelle les inspecteurs de la Commission, accompagnés de représentants de l’Autorité de la concurrence française, se sont présentés au siège parisien du groupe Casino ainsi que dans les locaux de la seconde requérante et ont notifié la décision attaquée aux requérantes.
7 Dans le cadre de l’inspection, la Commission a procédé notamment à une visite des bureaux, à une collecte de matériel, en particulier informatique (ordinateurs portables, téléphones mobiles, tablettes, périphériques de stockage), à l’audition de plusieurs personnes et à la copie du contenu du matériel collecté.
8 Les requérantes ont chacune adressé à la Commission un courrier daté du 24 février 2017, dans lesquels elles ont formulé des réserves quant à la décision attaquée et au déroulement de l’inspection menée sur son fondement.
III. Procédure et conclusions des parties
9 Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 avril 2017, les requérantes ont introduit le présent recours.
10 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 28 juillet 2017, le Conseil de l’Union européenne a demandé à intervenir dans la présente procédure au soutien des conclusions de la Commission. Par décision du 22 septembre 2017, le président de la neuvième chambre du Tribunal a admis cette intervention. Le Conseil a déposé son mémoire et les parties principales ont déposé leurs observations sur celui-ci dans les délais impartis.
11 Les requérantes concluent à ce qu’il plaise au Tribunal :
– adopter une mesure d’organisation de la procédure ordonnant à la Commission de produire tous les documents, pièces et autres informations sur la base desquels elle considérait disposer, à la date de la décision attaquée, d’indices suffisamment sérieux pour justifier qu’une inspection soit menée dans leurs locaux ;
– annuler la décision attaquée ;
– condamner la Commission et le Conseil aux dépens.
12 La Commission, soutenue par le Conseil, conclut à ce qu’il plaise au Tribunal :
– rejeter le recours ;
– condamner les requérantes aux dépens.
13 Sur proposition de la neuvième chambre du Tribunal, le Tribunal a décidé, en application de l’article 28 du règlement de procédure du Tribunal, de renvoyer l’affaire devant la neuvième chambre élargie.
14 Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (neuvième chambre élargie) a, dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure prévues à l’article 89 du règlement de procédure, invité la Commission à produire une version non confidentielle des indices d’infractions présumées dont elle disposait à la date de la décision attaquée et demandé aux requérantes de prendre position sur les indices produits. La Commission et les requérantes ont déféré à ces demandes dans les délais impartis.
15 En réaction aux observations des requérantes, la Commission a demandé au Tribunal d’adopter une mesure d’instruction, telle que prévue à l’article 91 du règlement de procédure, par laquelle lui serait ordonné de produire la version confidentielle des indices susvisés, sous réserve que seuls les représentants des requérantes y aient accès, dans des conditions limitées et moyennant la conclusion d’un engagement de confidentialité stipulant qu’ils ne pourraient pas révéler le contenu de la version
confidentielle des indices à leurs clients.
16 Les représentants des requérantes se sont opposés aux conditions d’accès aux indices proposées par la Commission, en estimant que de tels engagements de confidentialité ne leur permettraient pas d’assurer pleinement la défense de leurs clientes. Ils ont demandé au Tribunal d’ordonner, dans le cadre de la mesure d’instruction en cause, l’accès d’au moins un employé de chaque requérante aux documents concernés ou la production d’une version non confidentielle dont les données occultées seraient
limitées à celles dont la révélation permettrait d’identifier les entreprises avec lesquelles la Commission s’est entretenue et à celles pour lesquelles la Commission justifierait précisément la confidentialité et fournirait un résumé suffisamment précis. Ils ont en outre sollicité l’adoption d’une mesure d’organisation de la procédure, invitant la Commission à produire les éléments permettant de vérifier la date de la création et de l’éventuelle modification de certains des indices communiqués.
Ils ont enfin demandé au Tribunal d’organiser une réunion informelle préalable à l’adoption de la mesure d’instruction sollicitée, en vue de déterminer son ampleur et sa teneur.
17 Par de nouvelles mesures d’organisation de la procédure, le Tribunal a, dans le prolongement des critiques formulées par les requérantes à l’encontre des indices produits, posé plusieurs questions à la Commission et a demandé aux requérantes de prendre position sur certaines des réponses de la Commission. La Commission et les requérantes ont déféré à ces demandes dans les délais impartis.
18 Sur proposition du juge rapporteur, le Tribunal (neuvième chambre élargie) a décidé d’ouvrir la phase orale de la procédure.
19 Par acte déposé au greffe du Tribunal le 19 décembre 2019, la Commission a présenté une « réponse complémentaire » à l’une de ses précédentes réponses aux questions du Tribunal. Le Tribunal a versé cet acte au dossier, sans préjudice de sa recevabilité, et a demandé aux requérantes de présenter leurs observations sur ledit acte, ce qu’elles ont fait dans le délai imparti en contestant notamment la recevabilité de la réponse complémentaire de la Commission.
20 Les parties ont été entendues en leurs plaidoiries et en leurs réponses aux questions posées par le Tribunal lors de l’audience du 29 janvier 2020.
IV. En droit
21 Les requérantes invoquent, en substance, trois moyens au soutien de leur recours. Le premier est fondé sur une exception d’illégalité de l’article 20 du règlement no 1/2003, le deuxième est tiré de la méconnaissance de l’obligation de motivation et le troisième de la violation du droit à l’inviolabilité du domicile.
A. Sur le premier moyen, tiré d’une exception d’illégalité de l’article 20 du règlement no 1/2003
22 Les requérantes excipent de l’illégalité de l’article 20 du règlement no 1/2003, au motif qu’il méconnaîtrait les articles 47 et 48 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte ») ainsi que l’article 6, paragraphe 1, de la convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »). Elles soulèvent, au soutien de cette exception, un premier grief, tiré de la méconnaissance du droit à un
recours effectif, et un second, tiré de la violation du principe d’égalité des armes et des droits de la défense.
1. Sur la recevabilité de l’exception d’illégalité
23 La Commission fait valoir que l’exception d’illégalité opposée par les requérantes est irrecevable à trois titres.
24 Premièrement, la Commission, soutenue par le Conseil, prétend que le moyen soulevé est insuffisamment précis, dès lors, d’une part, que les requérantes n’auraient pas clairement identifié quelle disposition de l’article 20 du règlement no 1/2003 serait illégale et, d’autre part, qu’elles n’auraient pas exposé avec précision quels étaient les griefs dirigés contre cet article, qui fixerait le régime juridique applicable aux décisions d’inspection, et non celui applicable au déroulement des
inspections.
25 Deuxièmement, selon la Commission, également soutenue par le Conseil, le lien de connexité entre la décision attaquée et l’acte de portée générale en cause ferait défaut. En effet, les requérantes n’auraient pas établi en quoi le fait que l’article 20 du règlement no 1/2003, en tout ou en partie, ne prévoie pas l’existence d’un recours contre le déroulement d’une inspection entraînerait l’illégalité d’une décision d’inspection, qui constituerait un acte distinct des actes pris pendant le
déroulement de l’inspection. La Commission ajoute, dans la duplique et à la suite du Conseil, que l’allégation par les requérantes dans la réplique selon laquelle l’exception d’illégalité vise l’article 20 du règlement no 1/2003 en son entier ne fait que confirmer l’irrecevabilité de cette exception, dès lors que la décision attaquée serait fondée sur les seuls paragraphes 1 et 4 de l’article 20. Elle souligne également qu’aucun acte de droit dérivé n’établit de voies de recours juridictionnel
spécifiques, les voies de recours étant prévues uniquement par le traité.
26 Troisièmement, sous couvert de contester l’article 20 du règlement no 1/2003, en tout ou en partie, les requérantes critiqueraient en réalité la jurisprudence bien établie du Tribunal et de la Cour relative aux voies de recours prévues par le traité, laquelle ne permettrait pas de contester le déroulement d’une inspection en dehors de certains cas de figure limités.
27 Quant à la première fin de non-recevoir soulevée, il convient de rappeler que, en vertu de l’article 21, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, applicable à la procédure devant le Tribunal en vertu de l’article 53, premier alinéa, du même statut et de l’article 76, sous d), du règlement de procédure, toute requête doit indiquer l’objet du litige, les moyens et arguments invoqués ainsi qu’un exposé sommaire desdits moyens. Selon une jurisprudence constante, qui
s’applique également aux moyens fondés sur une exception d’illégalité (voir, en ce sens, arrêt du 14 juillet 2016, Alesa/Commission, T‑99/14, non publié, EU:T:2016:413, points 87 à 91 et jurisprudence citée), cette indication doit être suffisamment claire et précise pour permettre à la partie défenderesse de préparer sa défense et au Tribunal de statuer sur le recours, le cas échéant, sans autres informations à l’appui. Afin de garantir la sécurité juridique et une bonne administration de la
justice, il faut, pour qu’un recours soit recevable, que les éléments essentiels de fait et de droit sur lesquels celui-ci se fonde ressortent, à tout le moins sommairement, mais d’une façon cohérente et compréhensible, du texte de la requête elle-même (voir arrêt du 25 janvier 2018, BSCA/Commission, T‑818/14, EU:T:2018:33, points 94 et 95 et jurisprudence citée).
28 En l’espèce, les requérantes ont clairement et précisément explicité en quoi consistaient les deux griefs qu’elles faisaient valoir à l’encontre de la disposition contestée du règlement no 1/2003, en indiquant leur fondement juridique, textuel et jurisprudentiel, ainsi que les arguments circonstanciés venant à leur soutien, sans qu’il y ait lieu de solliciter d’autres informations. Il peut d’ailleurs être relevé que, au vu de l’argumentation présentée par la Commission dans le mémoire en défense
et dans la duplique, celle-ci a manifestement été en mesure de comprendre les contestations formulées par les requérantes.
29 Il convient d’ajouter que ne remet pas en cause le respect en l’espèce des exigences de précision et de clarté de l’exception d’illégalité la circonstance alléguée par la Commission que la disposition dont l’illégalité est excipée (fixant le régime juridique des décisions d’inspection) ne fixerait pas les règles critiquées par l’exception (relatives au déroulement des inspections) (voir, à cet égard, points 35 à 43 ci-après).
30 Il y a lieu de relever par ailleurs que les requérantes ont clairement indiqué dans leurs écritures qu’elles excipaient à titre principal de l’illégalité de l’article 20 du règlement no 1/2003 en son entier et il ne saurait leur être reproché de ne pas avoir précisé le ou les paragraphes concernés de cet article. En effet, dans la mesure où il ressort des termes mêmes de l’article 277 TFUE que tout « acte de portée générale » est susceptible de voir sa légalité contestée par le biais d’une
exception d’illégalité (voir, pour une exception soulevée à l’encontre de deux règlements, arrêt du 13 juillet 1966, Italie/Conseil et Commission, 32/65, EU:C:1966:42, et, pour une exception soulevée à l’encontre d’un article du régime applicable aux autres agents des Communautés européennes, arrêt du 30 avril 2009, Aayhan e.a./Parlement, F‑65/07, EU:F:2009:43), il ne peut être imposé aux auteurs d’une telle exception qu’ils précisent le paragraphe de l’article de l’acte général dont ils excipent
l’illégalité au titre des exigences formelles de présentation de leur exception, une telle précision pouvant néanmoins être exigée au titre d’autres conditions de recevabilité d’une exception d’illégalité (voir points 33 et 34 ci-après).
31 La première fin de non-recevoir opposée à l’exception d’illégalité (voir point 24 ci-dessus) doit, dès lors, être écartée.
32 Quant aux deux autres fins de non-recevoir opposées à l’exception d’illégalité (voir points 25 et 26 ci-dessus), il y a lieu de relever, à titre liminaire, qu’elles sont dirigées uniquement contre le premier grief invoqué au soutien de l’exception d’illégalité, tiré du non-respect du droit à un recours effectif.
33 Quant au premier grief invoqué au soutien de l’exception d’illégalité, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, une exception d’illégalité soulevée de manière incidente en vertu de l’article 277 TFUE, à l’occasion de la contestation au principal de la légalité d’un acte tiers, n’est recevable que dès lors qu’il existe un lien de connexité entre cet acte et la norme dont l’illégalité prétendue est excipée. Dans la mesure où l’article 277 TFUE n’a pas pour but de permettre à
une partie de contester l’applicabilité de quelque acte de caractère général que ce soit à la faveur d’un recours quelconque, la portée d’une exception d’illégalité doit être limitée à ce qui est indispensable à la solution du litige. Il en résulte que l’acte général dont l’illégalité est soulevée doit être applicable, directement ou indirectement, à l’espèce qui fait l’objet du recours (voir arrêt du 12 juin 2015, Health Food Manufacturers’ Association e.a./Commission, T‑296/12, EU:T:2015:375,
point 170 et jurisprudence citée). Il en résulte également qu’il doit exister un lien juridique direct entre la décision individuelle attaquée et l’acte général en question. L’existence d’un tel lien peut toutefois se déduire du constat que la décision attaquée repose essentiellement sur une disposition de l’acte dont la légalité est contestée, même si cette dernière n’en constituait pas formellement la base juridique (voir arrêt du 20 novembre 2007, Ianniello/Commission, T‑308/04, EU:T:2007:347,
point 33 et jurisprudence citée).
34 Il en résulte que l’exception d’illégalité soulevée en l’espèce n’est recevable que pour autant qu’elle concerne les dispositions de l’article 20 du règlement no 1/2003 qui servent expressément de fondement à la décision attaquée, à savoir le paragraphe 4 de cet article (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, points 57 et 58), mais également le paragraphe 1 qui établit le pouvoir général de la Commission de
procéder à des inspections (ci-après les « dispositions pertinentes de l’article 20 du règlement no 1/2003 »). En effet, la présente inspection a été ordonnée par la voie d’une décision prise sur le fondement de ces dispositions et n’est donc pas une inspection effectuée avec un simple mandat sans décision préalable (régie par le paragraphe 3 de l’article 20), ni une inspection menée alors que l’entreprise concernée s’y oppose (régie par les paragraphes 6 à 8 de l’article 20).
35 Ainsi, en l’espèce, si les dispositions pertinentes de l’article 20 du règlement no 1/2003 devaient être déclarées illégales, la décision attaquée, adoptée sur le fondement de ces dispositions, perdrait toute base juridique et devrait être annulée, et ce indépendamment du motif d’illégalité retenu desdites dispositions.
36 Il s’ensuit qu’il ne peut être déduit de l’argumentation avancée au soutien tant de la deuxième que de la troisième fin de non-recevoir que le premier grief soulevé au soutien de l’exception d’illégalité est irrecevable.
37 En effet, par cette argumentation, la Commission, soutenue par le Conseil, critique en substance l’absence de lien entre le motif d’illégalité invoqué, à savoir l’absence de contrôle juridictionnel effectif du déroulement des inspections, et la décision attaquée, ordonnant une inspection, en faisant valoir, d’une part, que les règles régissant le contrôle juridictionnel du déroulement des inspections ne fondent pas la décision attaquée (deuxième fin de non-recevoir) et, d’autre part, que de
telles règles résulteraient de l’interprétation jurisprudentielle de l’article 263 TFUE et ne devraient pas figurer dans l’article 20 du règlement no 1/2003 sur lequel la décision attaquée est fondée (troisième fin de non-recevoir).
38 En tout état de cause, même à supposer que la recevabilité d’une exception d’illégalité soit subordonnée à l’établissement d’un lien entre le motif d’illégalité allégué et la décision attaquée, il ne saurait être considéré qu’un tel lien fait défaut en l’espèce.
39 Comme le soulignent pertinemment les requérantes, ce ne sont pas en tant que tels les actes postérieurs à la décision d’inspection régie par l’article 20 du règlement no 1/2003, relevant de l’exécution de cette décision et du déroulement de l’inspection, qui sont visés par l’illégalité excipée. Sont critiquées les lacunes dans les voies de droit permettant le contrôle de ces actes et existant dès l’adoption de la décision d’inspection, lesquelles sont, selon les requérantes, imputables aux
dispositions pertinentes de l’article 20 du règlement no 1/2003.
40 À l’instar de ce qu’a jugé le Tribunal dans l’arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission (T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, points 50 et 108), à propos de la nécessité alléguée d’obtenir un mandat judiciaire préalable à l’adoption d’une décision d’inspection, les requérantes sollicitent en l’espèce l’identification par le Tribunal d’une nouvelle exigence formelle qui conditionnerait la légalité d’une telle décision, consistant en la garantie de voies de recours
spécifiques dès son adoption permettant le contrôle juridictionnel des mesures prises en application de ladite décision, et qui devrait ce faisant figurer dans les dispositions pertinentes de l’article 20 du règlement no 1/2003.
41 N’est pas en cause, à ce stade, la question différente de la détermination des voies de droit permettant d’assurer le contrôle juridictionnel effectif du déroulement des inspections et de leur formalisation au sein de l’article 20 du règlement no 1/2003, qui relève de l’examen du bien-fondé de l’exception d’illégalité. En effet, l’examen de la recevabilité de l’exception d’illégalité n’implique pas de déterminer selon quelles modalités et par quel type de dispositions devrait être établi le
contrôle juridictionnel du déroulement des inspections. C’est dans le cadre de la vérification de la conformité de l’article 20 du règlement no 1/2003 avec le droit à un recours effectif et, ainsi, de l’examen du bien-fondé de l’exception d’illégalité que cette question devra être tranchée. Il est remarquable, à cet égard, que la Commission se réfère, au soutien de sa troisième fin de non-recevoir, à son argumentation relative au bien-fondé de l’exception d’illégalité ainsi qu’à l’arrêt du
28 avril 2010, Amann & Söhne et Cousin Filterie/Commission (T‑446/05, EU:T:2010:165, points 123 à 152), qui a rejeté l’exception d’illégalité soulevée dans cette affaire comme non fondée.
42 Il s’ensuit par ailleurs qu’est également indifférente la circonstance alléguée par la Commission, au demeurant partiellement inexacte, selon laquelle aucun acte de droit dérivé ne prévoit de voie de recours spécifique. En effet et à titre d’illustration, le règlement no 1/2003 lui-même prévoit, en son article 31, la compétence de pleine juridiction du juge de l’Union européenne sur les recours formés contre les décisions par lesquelles la Commission a fixé une amende ou une astreinte, pour
supprimer, réduire ou majorer lesdites amende ou astreinte. De même, le règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne (JO 2017, L 154, p 1), au même titre que d’autres actes ayant créé des organes ou des organismes de l’Union, prévoit les recours pouvant être formés devant le juge de l’Union contre les décisions des chambres de recours instituées au sein de l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO).
Certes, ces voies de droit s’inscrivent dans le prolongement de celles établies dans le traité et ne sont pas, en ce sens, des voies de recours autonomes non prévues par le traité, ce qu’elles ne pourraient d’ailleurs pas être. Toutefois, en l’espèce, les requérantes ne réclament pas la création de telles voies de recours autonomes. Il y a lieu de considérer, en effet, qu’elles contestent l’absence dans l’article 20 du règlement no 1/2003 de dispositions conférant aux mesures relevant du
déroulement d’une inspection la nature d’actes susceptibles de recours en vertu du traité, à l’instar de ce que prévoit l’article 90 bis du statut des fonctionnaires de l’Union européenne pour les actes d’enquête de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF), et imposant la mention de ce recours possible dans la décision d’inspection, comme doit être mentionné, en vertu de l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003, le recours ouvert devant le juge de l’Union contre la décision
d’inspection elle-même.
43 Il s’ensuit que l’exception d’illégalité est recevable en ce qui concerne le premier grief invoqué à son soutien. Il en est de même du second grief invoqué au soutien de l’exception d’illégalité, tiré de la méconnaissance du principe d’égalité des armes et des droits de la défense, dont la recevabilité n’est au demeurant pas contestée (voir point 32 ci-dessus). En effet, à l’instar des lacunes reprochées aux dispositions pertinentes de l’article 20 du règlement no 1/2003 en termes de protection
juridictionnelle effective dans le cadre du premier grief, les requérantes critiquent, par leur second grief, l’absence de prévision par ces dispositions de la communication des indices ayant justifié l’inspection à l’entreprise inspectée, qui serait seule, selon elles, à même de garantir le respect du principe d’égalité des armes et des droits de la défense de ladite entreprise.
44 Il résulte de tout ce qui précède que l’exception d’illégalité opposée par les requérantes doit être déclarée recevable en ce qui concerne les deux griefs invoqués à son soutien, mais seulement en ce qu’elle porte sur les dispositions pertinentes de l’article 20 du règlement no 1/2003.
2. Sur le bien-fondé de l’exception d’illégalité
a) Sur le premier grief, tiré de la méconnaissance du droit à un recours effectif
45 Les requérantes font valoir que l’article 20 du règlement no 1/2003 viole le droit à un recours effectif. Se fondant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH ») et sur celle des juridictions de l’Union, elles relèvent que, dans la mesure où le contrôle juridictionnel du déroulement des inspections ne pourrait être effectué que dans le cadre du recours en annulation dirigé contre la décision finale de sanction adoptée par la Commission en application
de l’article 101 TFUE, la possibilité de contester ce déroulement ne serait pas certaine et ne serait pas ouverte dans un délai raisonnable. Les requérantes en déduisent que le régime des recours ouverts contre les conditions du déroulement des inspections ordonnées sur le fondement de l’article 20 du règlement no 1/2003 n’offre pas un « redressement approprié » aux entreprises qui en font l’objet. Elles n’auraient en effet pas eu la possibilité de se placer en temps utile sous la protection d’un
juge impartial et indépendant et auraient ainsi été contraintes de répondre favorablement à l’ensemble des demandes des inspecteurs.
46 Il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 47 de la Charte, intitulé « Droit à un recours effectif et à accéder à un tribunal impartial » :
« Toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues au présent article.
Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable par un tribunal indépendant et impartial, établi préalablement par la loi […] »
47 Il ressort par ailleurs des explications relatives à la Charte (JO 2007, C 303, p. 17), qui, selon l’article 52, paragraphe 7, de la Charte, doivent être dûment prises en considération par les juridictions de l’Union (voir arrêt du 26 février 2013, Åkerberg Fransson, C‑617/10, EU:C:2013:105, point 20 et jurisprudence citée), que l’article 47 de la Charte correspond à l’article 6, paragraphe 1, et à l’article 13 de la CEDH.
48 Comme le souligne pertinemment le Conseil, cette correspondance entre les dispositions de la Charte et celles de la CEDH n’implique pas que le contrôle de légalité à effectuer en l’espèce doive l’être au regard des dispositions de la CEDH. Il ressort effectivement de la jurisprudence, en particulier de l’arrêt du 14 septembre 2017, K. (C‑18/16, EU:C:2017:680, point 32 et jurisprudence citée), cité par le Conseil, que, si, comme le confirme l’article 6, paragraphe 3, TUE, les droits fondamentaux
reconnus par la CEDH font partie du droit de l’Union en tant que principes généraux et si l’article 52, paragraphe 3, de la Charte dispose que les droits contenus dans celle-ci correspondant à des droits garantis par la CEDH ont le même sens et la même portée que ceux que leur confère ladite CEDH, cette dernière ne constitue pas, tant que l’Union n’y a pas adhéré, un instrument juridique formellement intégré à l’ordre juridique de l’Union, de sorte que le contrôle de légalité doit être opéré au
regard uniquement des droits fondamentaux garantis par la Charte.
49 Néanmoins, il résulte tant de l’article 52 de la Charte que des explications relatives à cet article que les dispositions de la CEDH et la jurisprudence de la Cour EDH relatives à ces dispositions doivent être prises en compte lors de l’interprétation et de l’application des dispositions de la Charte dans une espèce donnée (voir, en ce sens, arrêts du 22 décembre 2010, DEB, C‑279/09, EU:C:2010:811, points 35 et 37 et jurisprudence citée, et du 26 février 2013, Melloni, C‑399/11, EU:C:2013:107,
point 50). En effet, l’article 52, paragraphe 3, de la Charte énonce que, dans la mesure où la Charte contient des droits correspondant à des droits garantis par la CEDH, leur sens et leur portée sont les mêmes que ceux que leur confère la CEDH et les explications relatives à cet article précisent que le sens et la portée des droits garantis par la CEDH sont déterminés non seulement par le texte de la CEDH et de ses protocoles, mais aussi par la jurisprudence de la Cour EDH.
50 Or, il ressort de la jurisprudence de la Cour EDH s’étant prononcée sur le respect de la CEDH, notamment de ses articles 6 et 13, à propos de visites domiciliaires et, en particulier, des arrêts de la Cour EDH du 21 février 2008, Ravon et autres c. France (CE:ECHR:2008:0221JUD001849703, ci-après l’« arrêt Ravon »), du 21 décembre 2010, Société Canal Plus et autres c. France (CE:ECHR:2010:1221JUD002940808, ci-après l’« arrêt Canal Plus »), du 21 décembre 2010, Compagnie des gaz de pétrole Primagaz
c. France (CE:ECHR:2010:1221JUD002961308, ci-après l’« arrêt Primagaz »), et du 2 octobre 2014, Delta Pekárny a.s. c. République tchèque (CE:ECHR:2014:1002JUD000009711, ci-après l’« arrêt Delta Pekárny »), invoqués et analysés par les parties, les principes suivants :
– il doit exister un contrôle juridictionnel effectif, en fait comme en droit, de la régularité de la décision ou des mesures concernées (arrêts Ravon, point 28, et Delta Pekárny, point 87) (ci-après la « condition d’effectivité ») ;
– le ou les recours disponibles doivent permettre, en cas de constat d’irrégularité, soit de prévenir la survenance de l’opération, soit, dans l’hypothèse où une opération irrégulière aurait déjà eu lieu, de fournir à l’intéressé un redressement approprié (arrêts Ravon, point 28, et Delta Pekárny, point 87) (ci-après la « condition d’efficacité ») ;
– l’accessibilité du recours concerné doit être certaine (arrêts Canal Plus, point 40, et Primagaz, point 28) (ci-après la « condition de certitude ») ;
– le contrôle juridictionnel doit intervenir dans un délai raisonnable (arrêts Canal Plus, point 40, et Primagaz, point 28) (ci-après la « condition du délai raisonnable »).
51 Il en ressort également que le déroulement d’une opération d’inspection doit pouvoir faire l’objet d’un tel contrôle juridictionnel effectif et que le contrôle doit être effectif dans les circonstances particulières de l’affaire en cause (arrêt Delta Pekárny, point 87), ce qui implique la prise en compte de l’ensemble des voies de droit disponibles et ainsi une analyse globale de ces voies de droit (voir, en ce sens, arrêts Ravon, points 29 à 34 ; Canal Plus, points 40 à 44, et Delta Pekárny,
points 89 à 93). L’examen du bien-fondé de l’exception d’illégalité ne saurait donc être limité à l’analyse des carences, dénoncées par les requérantes, de l’article 20 du règlement no 1/2003, mais doit reposer sur la prise en considération de l’ensemble des voies de recours à la disposition d’une entreprise faisant l’objet d’une inspection.
52 Il importe de relever, à titre liminaire, que, contrairement à ce que prétendent la Commission et le Conseil, la jurisprudence de la Cour EDH rappelée aux points 50 et 51 ci-dessus ne saurait être considérée comme étant dépourvue de pertinence en l’espèce.
53 Certes, la Commission n’a pas eu recours en l’espèce à la « force publique » ou aux « pouvoirs de contrainte » des autorités nationales sur le fondement de l’article 20, paragraphes 6 à 8, du règlement no 1/2003. En atteste notamment le fait que les ordonnances des juges français ayant autorisé ces visites et saisies, demandées à titre préventif par la Commission, n’ont pas été notifiées aux requérantes (voir points 5 et 34 ci-dessus). Néanmoins, comme le soutiennent à juste titre les
requérantes, elles ont été contraintes de se soumettre à la décision d’inspection, qui est obligatoire pour ses destinataires, qui peut donner lieu à l’infliction d’une amende en cas de non-respect [article 23, paragraphe 1, sous c) à e), du règlement no 1/2003] et qui implique notamment l’accès à tous leurs locaux ainsi que le contrôle et la copie de leurs documents professionnels [article 20, paragraphe 2, sous a) à d), du règlement no 1/2003], ce qui suffit à caractériser une intrusion dans le
domicile des entreprises inspectées justifiant que soient garantis les droits reconnus par la jurisprudence de la Cour EDH visée aux points 50 et 51 ci-dessus aux entreprises faisant l’objet de visites domiciliaires (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, point 65 ; Cour EDH, 14 mars 2013, Bernh Larsen Holding AS et autres c. Norvège, CE:ECHR:2013:0314JUD002411708, point 106). Il n’est, dès lors, pas déterminant
que l’inspection ait été menée en l’espèce sans l’intervention préalable d’un juge autorisant le recours à la force publique et il peut même être considéré que cette absence d’intervention juridictionnelle préalable justifie a fortiori le nécessaire respect des garanties posées par la jurisprudence de la Cour EDH au stade du contrôle juridictionnel a posteriori de la décision ordonnant l’inspection (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et
T‑521/11, EU:T:2013:404, point 66 et jurisprudence de la Cour EDH citée). Il importe de souligner, au surplus, que, lorsque le juge de l’Union a été amené à se prononcer sur le respect des droits fondamentaux d’entreprises inspectées, il s’est toujours appuyé sur la jurisprudence de la Cour EDH (arrêts du 18 juin 2015, Deutsche Bahn e.a./Commission, C‑583/13 P, EU:C:2015:404, points 41 à 48 ; du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404,
points 109 à 114, et du 10 avril 2018, Alcogroup et Alcodis/Commission, T‑274/15, non publié, EU:T:2018:179, point 91).
54 Il convient, dès lors, de vérifier le respect du droit à un recours effectif par le système des voies de droit permettant la contestation du déroulement d’une inspection en matière de droit de la concurrence à la lumière de la jurisprudence susvisée de la Cour EDH.
55 Ainsi qu’il résulte de la jurisprudence de la Cour EDH et qu’il a été dit au point 51 ci-dessus, cette vérification doit reposer sur une analyse globale des voies de droit susceptibles de donner lieu au contrôle des mesures prises dans le cadre d’une inspection. Il est, dès lors, indifférent que, prise individuellement, chacune de ces voies de droit ne remplisse pas les quatre conditions requises pour que soit admise l’existence d’un droit à un recours effectif.
56 Six voies de droit ont été évoquées par les parties. Il s’agit :
– du recours contre la décision d’inspection ;
– du recours contre tout acte remplissant les conditions jurisprudentielles de l’acte susceptible de recours qu’adopterait la Commission à la suite de la décision d’inspection et dans le cadre du déroulement des opérations d’inspection, tel qu’une décision rejetant une demande de protection de documents au titre de la confidentialité des communications entre avocats et clients (voir arrêt du 17 septembre 2007, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission, T‑125/03 et T‑253/03,
EU:T:2007:287, points 46, 48 et 49 et jurisprudence citée) ;
– du recours contre la décision finale clôturant la procédure ouverte au titre de l’article 101 TFUE ;
– de l’action en référé ;
– du recours en responsabilité extracontractuelle ;
– des demandes pouvant être adressées au conseiller-auditeur.
57 Il y a lieu de relever que, à l’exception des demandes adressées au conseiller-auditeur qui ne saurait être qualifié de « tribunal » au sens de la CEDH, au motif notamment qu’il ne possède qu’un pouvoir de recommandation [article 4, paragraphe 2, sous a), de la décision 2011/695/UE du président de la Commission, du 13 octobre 2011, relative à la fonction et au mandat du conseiller-auditeur dans certaines procédures de concurrence (JO 2011, L 275, p. 29)], ainsi que le soulignent les requérantes,
chacune de ces voies de droit permet de porter devant un juge des contestations relatives à une opération d’inspection.
58 En effet, premièrement, il ressort de la jurisprudence, et il n’est d’ailleurs pas contesté par les requérantes, que les conditions dans lesquelles une inspection s’est déroulée peuvent être critiquées dans le cadre d’un recours en annulation formé contre la décision finale clôturant la procédure ouverte au titre de l’article 101 TFUE (arrêt du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T‑135/09, EU:T:2012:596, point 132 ; voir, également, arrêt du 10 avril 2018, Alcogroup et
Alcodis/Commission, T‑274/15, non publié, EU:T:2018:179, point 91 et jurisprudence citée). Ce contrôle de légalité des décisions finales ne souffre, à l’exception de l’irrecevabilité des moyens qui auraient dû être formés contre la décision d’inspection (voir, en ce sens, arrêt du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, T‑305/94 à T‑307/94, T‑313/94 à T‑316/94, T‑318/94, T‑325/94, T‑328/94, T‑329/94 et T‑335/94, EU:T:1999:80, points 408 à 415), d’aucune restriction en termes
de moyens invocables et ainsi d’objet du contrôle. Il permet en particulier la vérification du respect par la Commission de l’ensemble des limites s’imposant à elle lors du déroulement d’une inspection (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, points 79 à 82) et il a été considéré comme garantissant l’existence d’un contrôle juridictionnel effectif sur les mesures d’inspection, tel que requis par la Cour EDH (arrêt
du 10 avril 2018, Alcogroup et Alcodis/Commission, T‑274/15, non publié, EU:T:2018:179, point 91).
59 Deuxièmement, il ressort également de la jurisprudence, et le présent recours atteste, qu’une décision d’inspection est susceptible de faire l’objet d’un recours en annulation (arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, points 97 et 111). Ce contrôle est d’ailleurs prévu par l’article 20 du règlement no 1/2003 lui-même (paragraphes 4 et 8), qui en impose la mention dans la décision d’inspection. Or, d’une part, le contrôle de légalité
de la décision d’inspection, portant notamment sur la détention par la Commission d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence, peut conduire, en cas de constat d’illégalité, à ce que l’ensemble des mesures prises en application de la décision soient elles-mêmes considérées comme étant entachées d’illégalité, notamment comme n’étant pas nécessaires (voir, en ce sens, arrêt du 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T‑621/16, non publié,
EU:T:2018:367, point 40 et jurisprudence citée). D’autre part, dans l’hypothèse où une décision d’inspection est adoptée à la suite d’autres inspections et où les informations obtenues dans le cadre des inspections précédentes ont fondé cette décision d’inspection, le contrôle de légalité de ladite décision peut notamment porter sur la conformité des mesures prises en application des décisions d’inspection antérieures avec le champ de l’inspection défini dans ces décisions (voir, en ce sens,
arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, points 138 à 160) et conduire à son annulation en cas de non-conformité constatée (arrêt du 18 juin 2015, Deutsche Bahn e.a./Commission, C‑583/13 P, EU:C:2015:404, points 56 à 67 et 71 ; voir également, en ce sens, arrêt du 10 avril 2018, Alcogroup et Alcodis/Commission, T‑274/15, non publié, EU:T:2018:179, point 63).
60 Troisièmement, même si les parties n’en ont pas fait mention, il y a également lieu de relever que, à l’instar de toute décision de sanction infligée en vertu du règlement no 1/2003, une décision de la Commission sanctionnant une obstruction à l’inspection sur le fondement de l’article 23, paragraphe 1, sous c) à e), du règlement no 1/2003 peut faire l’objet d’un recours en annulation. Peut alors notamment être invoqué, au soutien de ce recours, le caractère illégal de la sanction au motif que la
mesure prise au cours de l’inspection à laquelle l’entreprise sanctionnée ne se serait pas soumise, telles une demande de production d’un document confidentiel ou une demande d’explication adressée à un membre de son personnel, serait elle-même illégale (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T‑135/09, EU:T:2012:596, point 126).
61 Quatrièmement, il résulte clairement de l’arrêt du 17 septembre 2007, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission (T‑125/03 et T‑253/03, EU:T:2007:287, points 46, 48 et 49 et jurisprudence citée), qu’une décision rejetant explicitement ou implicitement une demande de protection de documents au titre de la confidentialité des communications entre avocats et clients présentée au cours d’une inspection constitue un acte attaquable. Cette voie de recours a été ouverte précisément parce que le
juge de l’Union a considéré que la possibilité dont disposait l’entreprise d’intenter un recours contre une éventuelle décision constatant une infraction aux règles de concurrence ne suffisait pas à protéger adéquatement ses droits, dès lors que, d’une part, la procédure administrative pouvait ne pas aboutir à une décision de constatation d’infraction et, d’autre part, le recours ouvert contre cette décision ne fournissait de toute façon pas à l’entreprise le moyen de prévenir les effets
irréversibles qu’entraînerait la prise de connaissance irrégulière de documents protégés par la confidentialité (voir arrêt du 17 septembre 2007, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission, T‑125/03 et T‑253/03, EU:T:2007:287, point 47 et jurisprudence citée).
62 De même, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, et quoique le juge de l’Union n’ait pas, à ce jour, déclaré un tel recours recevable, il peut être considéré que le Tribunal a admis la possibilité qu’un recours soit formé dans les mêmes conditions par l’entreprise inspectée contre une décision rejetant la demande de protection des membres de son personnel au titre de leur vie privée. En effet, après avoir rappelé l’arrêt du 17 septembre 2007, Akzo Nobel Chemicals et Akcros
Chemicals/Commission (T‑125/03 et T‑253/03, EU:T:2007:287), et la jurisprudence qui y est citée, le Tribunal a, tout en mentionnant la possibilité d’une « décision refusant […] le bénéfice de [la] protection [au titre de la vie privée] », constaté qu’une telle décision n’avait pas été adoptée en l’espèce. Il s’est fondé pour ce faire sur la circonstance que les parties requérantes n’avaient ni fait valoir, lors de l’adoption de la décision de copie des données, que des documents leur appartenant
bénéficiaient d’une protection semblable à celle conférée à la confidentialité des communications entre avocats et clients, ni identifié les documents précis ou les parties de documents en cause (arrêt du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T‑135/09, EU:T:2012:596, points 129 et 130). Il peut d’ailleurs être relevé que les requérantes ne remettent pas en cause en tant que telle l’existence de la voie de recours en cause, mais davantage son caractère restrictif et contraignant
pour les entreprises visées, en ce que celles-ci doivent réagir immédiatement alors que l’inspection est en cours et avant toute copie effectuée par la Commission (voir point 72 ci-après).
63 Il y a lieu de considérer, en effet, que ni les dispositions des traités ni le libellé de l’article 20 du règlement no 1/2003 n’excluent la possibilité pour une entreprise d’introduire un recours en annulation contre de tels actes accomplis dans le cadre du déroulement d’une inspection, à condition de remplir les exigences découlant de l’article 263, quatrième alinéa, TFUE.
64 Cinquièmement, alors même que, conformément à l’article 278 TFUE, l’ensemble des recours mentionnés ci-dessus ne sont, en principe, pas suspensifs, il est possible d’obtenir, en vertu de cette même disposition, le sursis à l’exécution des actes contestés dans le cadre de ces recours. En particulier, une telle demande de sursis peut conduire à la suspension des opérations d’inspection, étant précisé toutefois que, dans la mesure où la décision d’inspection est en principe notifiée et portée à la
connaissance de l’entreprise inspectée le jour auquel l’inspection débute, seul le recours à la procédure prévue par l’article 157, paragraphe 2, du règlement de procédure permet, si les conditions d’octroi d’un sursis provisoire sont réunies, d’obtenir un tel résultat (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, point 98). En effet, le président du Tribunal peut, sur le fondement de cette disposition, faire droit à la
demande de sursis avant d’entendre la Commission et ainsi ordonner le sursis quelques jours seulement après le dépôt de la demande et avant la fin de l’inspection.
65 Il y a lieu d’ajouter qu’une demande en référé peut également être présentée parallèlement au recours dirigé contre une décision rejetant une demande de protection au titre de la confidentialité des communications entre les avocats et leurs clients. En attestent les ordonnances du 27 septembre 2004, Commission/Akzo et Akcros [C‑7/04 P(R), EU:C:2004:566], et du 30 octobre 2003, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission (T‑125/03 R et T‑253/03 R, EU:T:2003:287). Il peut, en effet, être
considéré que, dans cette ordonnance du président de la Cour, ce dernier, tout en annulant l’ordonnance du président du Tribunal ayant ordonné le sursis demandé, n’a pas exclu que, en l’absence d’engagement pris par la Commission de ne pas permettre à des tiers d’avoir accès aux documents en cause, puissent être ordonnés le sursis à l’exécution de la décision rejetant la demande de protection de la confidentialité des communications entre les sociétés concernées et leurs avocats ainsi que la
conservation des données confidentielles concernées au greffe de la juridiction jusqu’à ce qu’il soit statué sur le recours principal [voir, en ce sens, ordonnance du 27 septembre 2004, Commission/Akzo et Akcros, C‑7/04 P(R), EU:C:2004:566, point 42 et points 1 et 2 du dispositif ; voir également, en ce sens, ordonnance du 17 septembre 2015, Alcogroup et Alcodis/Commission, C‑386/15 P(R), EU:C:2015:623, point 24]. Contrairement à ce que prétendent les requérantes, il ne saurait, dès lors, être
considéré que le référé n’offre aucun redressement possible contre les éventuelles irrégularités commises par la Commission au cours du déroulement d’une inspection indépendamment de la décision l’ayant ordonnée.
66 Sixièmement, même en l’absence d’adoption d’un acte susceptible de recours lors des opérations d’inspection, si l’entreprise inspectée estime que la Commission a commis des illégalités lors de l’inspection et que ces illégalités lui ont causé un préjudice de nature à engager la responsabilité de l’Union, il lui est possible d’introduire à l’encontre de la Commission un recours en responsabilité non contractuelle. Cette possibilité existe dès avant l’adoption d’une décision clôturant la procédure
d’infraction et même dans l’hypothèse où l’inspection n’aboutirait pas à une décision finale pouvant faire l’objet d’un recours en annulation. Un tel recours en responsabilité ne relève pas, en effet, du système de contrôle de la validité des actes de l’Union ayant des effets juridiques obligatoires de nature à affecter les intérêts de la partie requérante, mais est ouvert lorsqu’une partie a subi un préjudice du fait d’un comportement illégal d’une institution, et ce même si ce comportement ne
s’est pas matérialisé par un acte attaquable (voir, en ce sens, arrêts du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T‑135/09, EU:T:2012:596, point 133 ; du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, point 99, et du 10 avril 2018, Alcogroup et Alcodis/Commission, T‑274/15, non publié, EU:T:2018:179, point 92).
67 En outre, il peut être considéré que le système de contrôle du déroulement des opérations d’inspection constitué de l’ensemble des voies de droit précédemment décrites satisfait aux quatre conditions rappelées au point 50 ci-dessus.
68 S’agissant, premièrement, de la condition d’effectivité, il y a lieu de relever, et il n’est d’ailleurs pas contesté par les requérantes, que les voies de droit susvisées donnent lieu à un contrôle approfondi, intervenant tant sur les questions de droit que sur les questions de fait (voir, s’agissant en particulier des décisions d’inspection, arrêt du 18 juin 2015, Deutsche Bahn e.a./Commission, C‑583/13 P, EU:C:2015:404, points 33 et 34, et, s’agissant plus généralement des décisions de la
Commission relatives aux procédures d’application des articles 101 et 102 TFUE, arrêt du 8 décembre 2011, Chalkor/Commission, C‑386/10 P, EU:C:2011:815, point 62).
69 Il importe de souligner, en outre, que si chacune de ces voies de droit ne permet pas, prise individuellement, de réaliser un contrôle du bien-fondé de l’ensemble des mesures prises lors de l’inspection, leur exercice combiné, qui ne pose pas de problème de recevabilité, permet un tel contrôle, ainsi qu’il ressort de l’énumération, aux points 57 à 66 ci-dessus, des diverses mesures prises au cours du déroulement des inspections et des divers droits des entreprises inspectées susceptibles d’être
contrôlés lors de l’examen des différents recours concernés. En particulier, les requérantes ne peuvent valablement soutenir qu’aucune voie de droit ne couvrirait l’hypothèse dans laquelle les inspecteurs prendraient copie de documents sortant du champ de l’inspection. En effet, dans le cas, allégué par les requérantes, où l’inspection en cause ne déboucherait pas sur une décision de constat d’infraction et de sanction, mais sur l’ouverture d’une nouvelle enquête et l’adoption d’une nouvelle
décision d’inspection, les entreprises inspectées pourraient former un recours en annulation contre ladite décision en contestant la légalité des indices l’ayant fondée comme ayant été irrégulièrement obtenus lors de l’inspection précédente (voir point 59 ci-dessus).
70 Il s’ensuit que sont dépourvues de pertinence les allégations des requérantes fondées sur des arrêts de la Cour EDH ayant constaté une violation du droit à un recours effectif au motif que l’une des voies de recours susvisées faisait défaut. En particulier, ne sont pas transposables au cas d’espèce les constatations de la Cour EDH dans son arrêt Delta Pekárny (points 82 à 94), dès lors que la législation tchèque en cause n’avait pas institué de voie de recours spécifique permettant de contester
les décisions d’inspection. En effet, la seule possibilité dont disposaient les entreprises inspectées pour soulever des questions concernant la légalité de l’inspection était une action ayant pour objet les conclusions au fond de l’autorité de la concurrence et, dans ce cadre, des questions comme la nécessité, la durée ou l’étendue de l’inspection, ainsi que sa proportionnalité, ne pouvaient pas être examinées (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Deutsche Bahn
e.a./Commission, C‑583/13 P, EU:C:2015:92, point 37), alors qu’elles auraient pu l’être dans le cadre d’un recours dirigé contre la décision d’inspection.
71 De même, contrairement aux circonstances ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour EDH du 2 avril 2015, Vinci Construction et GTM Génie Civil et Services c. France (CE:ECHR:2015:0402JUD006362910), il ressort de la jurisprudence du juge de l’Union la possibilité de demander un contrôle effectif du respect de la confidentialité des communications entre avocats et clients lors des opérations d’inspection (voir point 61 ci-dessus). Est notamment contrôlé dans ce cadre si les documents en cause sont
matériellement couverts par cette confidentialité (voir, en ce sens, arrêt du 17 septembre 2007, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission, T‑125/03 et T‑253/03, EU:T:2007:287, points 117 à 135, 138 à 140 et 165 à 179).
72 En outre, il y a lieu de considérer que n’est pas attentatoire au principe du droit à un recours effectif le fait d’exiger de l’entreprise visée par une décision d’inspection qu’elle accomplisse certaines démarches pour préserver ses droits et son accès aux voies de recours permettant d’en assurer le respect, notamment la démarche consistant à formuler des demandes de protection auprès de la Commission (voir points 61 et 62 ci-dessus). Il en est d’autant plus ainsi que cette dernière est tenue
d’accorder un bref délai à l’entreprise pour consulter ses avocats avant d’effectuer des copies aux fins, le cas échéant, de formuler de telles demandes (voir, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, point 89).
73 S’agissant, deuxièmement, de la condition d’efficacité, il peut être constaté que les voies de droit susvisées permettent un contrôle tant préventif grâce à l’action en référé, empêchant que les opérations d’inspection ne soient finalisées (voir point 64 ci-dessus), que curatif et postérieur à la réalisation des opérations d’inspection, grâce aux autres voies de droit. Il y a lieu de souligner, à cet égard, que la jurisprudence de la Cour EDH n’exige pas la réunion d’un contrôle a priori et a
posteriori, dès lors qu’elle les envisage à titre alternatif (voir point 50 ci-dessus). Ainsi, même si, comme le font valoir les requérantes en l’espèce, l’action en référé n’aurait pas l’efficacité requise, il reste que les recours pouvant être introduits a posteriori fournissent, en tout état de cause, au justiciable un redressement approprié.
74 Ainsi, en cas d’annulation de la décision d’inspection, la Commission se voit empêchée d’utiliser à l’effet de la procédure d’infraction aux règles de concurrence tous les documents ou pièces probantes qu’elle a réunis dans le cadre de cette inspection (arrêts du 22 octobre 2002, Roquette Frères, C‑94/00, EU:C:2002:603, point 49, et du 12 décembre 2012, Almamet/Commission, T‑410/09, non publié, EU:T:2012:676, point 31). En particulier, une telle annulation entraîne inévitablement celle de la
nouvelle décision d’inspection qui aurait été adoptée exclusivement sur le fondement des documents saisis à l’occasion de la première inspection irrégulière (voir, en ce sens, arrêt du 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T‑621/16, non publié, EU:T:2018:367, points 39 et 40).
75 De même, dans le cadre du recours dirigé contre la décision finale de la Commission, la conséquence du constat d’une irrégularité dans le déroulement de l’inspection réside dans l’impossibilité pour la Commission d’utiliser les éléments de preuve ainsi recueillis aux fins de la procédure d’infraction (voir arrêt du 18 juin 2015, Deutsche Bahn e.a./Commission, C‑583/13 P, EU:C:2015:404, point 45 et jurisprudence citée), ce qui peut conduire à l’annulation de la décision constatant et sanctionnant
l’infraction, lorsque les éléments de preuve concernés sont déterminants aux fins de ces constatation et sanction.
76 En outre, même dans l’hypothèse où une décision de constatation et de sanction d’infraction n’aurait pas été adoptée, il convient de rappeler que sont encore ouvertes, d’une part, la voie de la demande d’annulation de certaines mesures adoptées au cours de l’inspection (voir points 61 et 62 ci-dessus) et, d’autre part, la voie de la demande indemnitaire (voir point 66 ci-dessus). Or, ces deux voies de droit permettent d’obtenir, respectivement, la disparition de l’ordre juridique des mesures
d’inspection annulées et l’indemnisation du préjudice subi du fait desdites mesures, dès avant et indépendamment de la clôture de l’éventuelle procédure d’infraction subséquente. Il convient de préciser, à cet égard, que, dans la mesure où l’appréciation des voies de recours et du caractère approprié du redressement qu’elles permettent doit être effectuée de manière globale (voir point 51 ci-dessus) et où d’autres voies de droit empêchent la Commission d’utiliser les documents irrégulièrement
copiés, il est indifférent que la voie indemnitaire ne l’empêche pas. Contrairement à ce que prétendent les requérantes, il ne saurait en particulier être déduit de l’arrêt Ravon que la Cour EDH exigerait, pour constater l’efficacité du contrôle juridictionnel des opérations d’inspection, que les recours en cause se soldent par une décision d’interdiction de l’utilisation des pièces et des témoignages obtenus. En effet, la Cour EDH s’est bornée, dans cet arrêt, à appliquer la méthode
d’appréciation globale des voies de recours disponibles en jugeant que le recours indemnitaire ne suffisait pas à compenser les insuffisances des autres voies de recours, notamment des recours en annulation prévus par la législation française en cause (arrêt Ravon, point 33), lesquels ne présentaient pas l’efficacité des recours en annulation possibles devant le juge de l’Union.
77 S’agissant, troisièmement, de la condition de certitude, elle est principalement contestée par les requérantes au motif qu’il ne serait pas certain que les actes susceptibles d’être contestés par les diverses voies de droit susvisées soient adoptés. En particulier, la Commission n’adopterait pas nécessairement une décision constatant une infraction et sanctionnant son auteur à la suite d’une inspection. Toutefois, la condition de certitude doit être interprétée non comme nécessitant l’ouverture
de l’ensemble des voies de droit théoriquement possibles dans toutes les hypothèses et quelles que soient les mesures prises à la suite de l’inspection, mais comme exigeant l’ouverture de celles à même de contester les mesures produisant des effets négatifs à l’égard de l’entreprise inspectée au moment où lesdits effets se produisent. Partant, dans l’hypothèse où de tels effets négatifs ne consistent pas en une décision de constat ou de sanction d’infraction, l’absence de possibilité de recours
contre cette décision ne saurait être considérée comme portant atteinte à l’exigence d’un recours certain contre les mesures prises lors d’une inspection.
78 Une autre interprétation ne peut être déduite de l’arrêt Canal Plus (voir point 50 ci-dessus). En effet, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la Cour EDH n’a pas jugé, dans cet arrêt, que l’accessibilité du recours contre la décision autorisant l’inspection était rendue incertaine du fait des incertitudes entourant l’adoption d’une décision au fond par l’autorité de concurrence. Elle s’est notamment bornée à constater, dans les circonstances particulières du régime transitoire
institué par le législateur français, que l’action permise par ce régime contre l’ordonnance autorisant la visite domiciliaire était conditionnée par l’existence d’un recours pendant contre la décision au fond, ce qui créait une conditionnalité rendant effectivement l’accessibilité de ladite action incertaine (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Deutsche Bahn e.a./Commission, C‑583/13 P, EU:C:2015:92, point 48). Il peut être relevé au surplus qu’une telle
conditionnalité n’existe pas dans le système des voies de recours en matière d’inspections de la Commission. En effet, l’introduction du recours contre une décision d’inspection n’est pas conditionnée par celle d’un recours contre la décision clôturant la procédure au titre de l’article 101 TFUE et ne pourrait d’ailleurs pas l’être, eu égard au délai de recours fixé par l’article 263 TFUE.
79 S’agissant, quatrièmement, de la condition du délai raisonnable, il y a lieu de relever que les requérantes ne fondent pas leur allégation du non-respect de cette condition sur la durée des instances devant le juge de l’Union et admettent par ailleurs l’existence de délais de recours. Elles critiquent uniquement la durée importante pouvant séparer l’inspection de la décision finale clôturant la procédure ouverte au titre de l’article 101 TFUE.
80 Or, il ne saurait être déduit d’un tel délai, qui peut certes atteindre plusieurs années, que les recours permettant de contester le déroulement des inspections devant le juge de l’Union ne garantissent pas une protection juridictionnelle effective. En effet, d’une part, est uniquement critiqué le délai séparant l’adoption des mesures d’inspection de la date de leur contestation possible dans le cadre du recours dirigé contre la décision finale adoptée au titre de l’article 101 TFUE, qui ne
constitue que l’une des voies de recours permettant leur contestation. D’autre part et surtout, le temps pendant lequel les mesures d’inspection en cause sont maintenues doit être mis en perspective avec le fait que, jusqu’à cette décision finale, la Commission ne prend pas position de manière définitive sur l’existence d’une infraction et la sanction subséquente de l’entreprise inspectée. Si en revanche d’autres conséquences dommageables devaient se produire pour l’entreprise inspectée pendant
ce délai, telles qu’un comportement préjudiciable de la Commission ou l’adoption d’une nouvelle décision d’inspection sur la base des informations recueillies, il serait loisible à ladite entreprise de saisir le juge, immédiatement et sans attendre l’issue de la procédure d’infraction, d’un recours en indemnité ou en annulation de la nouvelle décision d’inspection.
81 Il résulte de tout ce qui précède que le premier grief invoqué au soutien de l’exception d’illégalité de l’article 20 du règlement no 1/2003 doit être écarté comme non fondé.
b) Sur le second grief, tiré de la violation du principe d’égalité des armes et des droits de la défense
82 Les requérantes soutiennent que l’article 20 du règlement no 1/2003 méconnaît le principe d’égalité des armes et les droits de la défense. Il découlerait de ces principes fondamentaux qu’une personne mise en cause doit avoir un droit d’accès au dossier de la procédure. Or, le cadre juridique de l’inspection fixé par l’article 20 du règlement no 1/2003, en ne permettant pas aux parties d’accéder aux pièces à la disposition de la Commission justifiant sa décision de recourir à une inspection,
placerait les requérantes dans une situation de déséquilibre manifeste par rapport à la Commission et les mettrait dans l’impossibilité de préparer leur défense.
83 Selon une jurisprudence constante, le principe d’égalité des armes, qui est un corollaire de la notion même de procès équitable et a pour but d’assurer l’équilibre entre les parties à la procédure, implique l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause, y compris ses preuves, dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire. Ce principe a pour but d’assurer l’équilibre procédural entre les
parties à une procédure judiciaire, en garantissant l’égalité des droits et des obligations de ces parties en ce qui concerne, notamment, les règles régissant l’administration des preuves et le débat contradictoire devant le juge (voir arrêt du 28 juillet 2016, Ordre des barreaux francophones et germanophone e.a., C‑543/14, EU:C:2016:605, points 40 et 41 et jurisprudence citée).
84 Si les requérantes citent cette jurisprudence et se fondent sur les seuls articles 47 et 48 de la Charte ainsi que sur l’article 6 de la CEDH, qui régissent les droits des justiciables devant un juge, au soutien de leur allégation de violation du principe d’égalité des armes et des droits de la défense, la jurisprudence qu’elles invoquent par ailleurs (voir point 94 ci-après) atteste qu’elles visent de manière générale les droits de l’entreprise inspectée de se défendre devant le juge comme
devant la Commission.
85 Or, il ressort d’une jurisprudence constante se prononçant sur les éléments devant être communiqués à l’entreprise inspectée en vue d’assurer la protection de ses droits de la défense à l’égard de la Commission que cette dernière n’est pas tenue de lui indiquer, dans la décision d’inspection ou au cours de l’inspection, les indices ayant justifié ladite inspection (voir, en ce sens, arrêts du 17 octobre 1989, Dow Chemical Ibérica e.a./Commission, 97/87 à 99/87, EU:C:1989:380, points 45, 50
et 51 ; du 8 juillet 2008, AC-Treuhand/Commission, T‑99/04, EU:T:2008:256, point 48 ; du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T‑135/09, EU:T:2012:596, point 69 ; du 14 mars 2014, Cementos Portland Valderrivas/Commission, T‑296/11, EU:T:2014:121, point 37 ; du 25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, point 81, et du 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T‑325/16, EU:T:2018:368, points 45 et 46).
86 Cette solution jurisprudentielle est fondée non sur un principe de confidentialité des indices en cause, mais sur le souci, qu’a également pris en considération le législateur dans la rédaction de l’article 20 du règlement no 1/2003, de préserver l’efficacité des enquêtes de la Commission à un stade où elles ne font que débuter.
87 En effet, la procédure administrative au titre du règlement no 1/2003, qui se déroule devant la Commission, se subdivise en deux phases distinctes et successives dont chacune répond à une logique interne propre, à savoir une phase d’instruction préliminaire, d’une part, et une phase contradictoire, d’autre part. La phase d’instruction préliminaire, durant laquelle la Commission fait usage des pouvoirs d’instruction prévus par le règlement no 1/2003 et qui s’étend jusqu’à la communication des
griefs, est destinée à permettre à la Commission de rassembler tous les éléments pertinents confirmant ou non l’existence d’une infraction aux règles de concurrence et de prendre une première position sur l’orientation ainsi que sur la suite ultérieure à réserver à la procédure. En revanche, la phase contradictoire, qui s’étend de la communication des griefs à l’adoption de la décision finale, doit permettre à la Commission de se prononcer définitivement sur l’infraction reprochée (voir arrêt du
25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, point 77 et jurisprudence citée).
88 D’une part, s’agissant de la phase d’instruction préliminaire, elle a pour point de départ la date à laquelle la Commission, faisant usage des pouvoirs que lui a conférés le législateur de l’Union, prend des mesures impliquant le reproche d’avoir commis une infraction et doit permettre à celle-ci de prendre position sur l’orientation de la procédure (arrêts du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C‑521/09 P, EU:C:2011:620, point 114, et du 15 juillet 2015, SLM et Ori Martin/Commission,
T‑389/10 et T‑419/10, EU:T:2015:513, point 337). D’autre part, ce n’est qu’au début de la phase contradictoire administrative que l’entreprise concernée est informée, moyennant la communication des griefs, de tous les éléments essentiels sur lesquels la Commission se fonde à ce stade de la procédure et que cette entreprise dispose d’un droit d’accès au dossier afin de garantir l’exercice effectif de ses droits de la défense. Par conséquent, c’est seulement après l’envoi de la communication des
griefs que l’entreprise concernée peut pleinement se prévaloir de ses droits de la défense. En effet, si ces droits étaient étendus à la phase précédant l’envoi de la communication des griefs, l’efficacité de l’enquête de la Commission serait compromise, puisque l’entreprise concernée serait, déjà lors de la phase d’instruction préliminaire, en mesure d’identifier les informations qui sont connues de la Commission et, partant, celles qui peuvent encore lui être cachées (voir arrêt du 25 novembre
2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, point 78 et jurisprudence citée).
89 Toutefois, les mesures d’instruction prises par la Commission au cours de la phase d’instruction préliminaire, notamment les mesures d’inspection et les demandes de renseignements, impliquent par nature le reproche d’une infraction et sont susceptibles d’avoir des répercussions importantes sur la situation des entreprises suspectées. Partant, il importe d’éviter que les droits de la défense puissent être irrémédiablement compromis au cours de cette phase de la procédure administrative dès lors
que les mesures d’instruction prises peuvent avoir un caractère déterminant pour l’établissement de preuves du caractère illégal de comportements d’entreprises de nature à engager leur responsabilité (voir arrêt du 25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, point 79 et jurisprudence citée).
90 Dans ce contexte, il convient de rappeler que l’obligation imposée par l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 d’indiquer l’objet et le but d’une inspection constitue une garantie fondamentale des droits de la défense des entreprises concernées et, par conséquent, la portée de l’obligation de motivation des décisions d’inspection ne peut pas être restreinte en fonction de considérations tenant à l’efficacité de l’enquête. À cet égard, s’il est vrai que la Commission n’est tenue, en
vertu de l’article 20 du règlement no 1/2003 et de la jurisprudence, ni de communiquer au destinataire d’une telle décision toutes les informations dont elle dispose à propos d’infractions présumées, ni de délimiter précisément le marché en cause, ni de procéder à une qualification juridique exacte de ces infractions, ni d’indiquer la période au cours de laquelle ces infractions auraient été commises, elle doit, en revanche, indiquer, avec autant de précision que possible, les présomptions
qu’elle entend vérifier, à savoir ce qui est recherché et les éléments sur lesquels doit porter l’inspection (voir arrêt du 25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, point 80 et jurisprudence citée).
91 Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, il a été jugé de manière constante qu’il ne saurait être imposé à la Commission d’indiquer, au stade de la phase d’instruction préliminaire, outre les présomptions d’infraction qu’elle entend vérifier, les indices, c’est-à-dire les éléments la conduisant à envisager l’hypothèse d’une violation de l’article 101 TFUE. En effet, une telle obligation remettrait en cause l’équilibre que la jurisprudence établit entre la préservation de l’efficacité de
l’enquête et la préservation des droits de la défense de l’entreprise concernée (voir arrêt du 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T‑325/16, EU:T:2018:368, point 45 et jurisprudence citée ; voir également point 85 ci-dessus).
92 Il s’ensuit que l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 ne saurait être déclaré illégal au motif que, en ne prévoyant pas la communication des indices ayant justifié l’inspection à l’entreprise inspectée, il porterait atteinte au principe d’égalité des armes et aux droits de la défense de ladite entreprise.
93 Aucun des arguments avancés par les requérantes ne permet de remettre en cause cette conclusion.
94 S’agissant, premièrement, de la jurisprudence des juridictions de l’Union, il y a lieu de relever que les requérantes n’évoquent pas la jurisprudence susvisée, ni a fortiori ne la contestent explicitement, et ne citent qu’un seul arrêt du Tribunal au soutien de leur allégation selon laquelle ce dernier considère que le principe d’égalité des armes implique que les entreprises visées aient un droit d’accès au dossier. Il ressort certes de cet arrêt que le principe général de l’égalité des armes
présuppose, dans une affaire de concurrence, que l’entreprise concernée ait une connaissance du dossier utilisé dans la procédure égale à celle dont dispose la Commission (arrêt du 29 juin 1995, ICI/Commission, T‑36/91, EU:T:1995:118, points 93 et 111). Cependant, comme le souligne pertinemment la Commission, cette mention concerne la phase contradictoire de la procédure et, en particulier, les documents qui auraient dû être communiqués à l’entreprise requérante avec la communication des griefs
(voir, à propos de la distinction entre phase d’instruction préliminaire et phase contradictoire administrative, points 87 et 88 ci-dessus).
95 S’agissant, deuxièmement, de la jurisprudence de la Cour EDH, dont l’invocation pourrait être comprise, compte tenu de ce qui précède, comme exprimant le souhait d’une évolution conforme de la jurisprudence des juridictions de l’Union ou un constat d’illégalité des dispositions pertinentes de l’article 20 du règlement no 1/2003, il convient de considérer qu’elle n’est pas susceptible de justifier une telle évolution, ni un tel constat, et ce indépendamment même de la circonstance que les arrêts
de la Cour EDH se sont prononcés sur les droits de personnes physiques en matière pénale, ainsi que l’ont souligné la Commission et le Conseil. En effet, l’ensemble des violations du principe d’égalité des armes constatées dans ces arrêts de la Cour EDH l’ont été au motif que les personnes accusées ont été condamnées sans avoir jamais eu accès à l’ensemble des éléments relatifs aux charges retenues (Cour EDH, 18 mars 1997, Foucher c. France, CE:ECHR:1997:0318JUD002220993 ; 25 mars 1999, Pélissier
et Sassi c. France, CE:ECHR:1999:0325JUD002544494 ; 26 juillet 2011, Huseyn et autres c. Azerbaidjan, CE:ECHR:2011:0726JUD003548505, et 20 septembre 2011, OAO Neftyanaya Kompaniya Yukos c. Russie, CE:ECHR:2011:0920JUD001490204), ce dont il ne saurait être déduit un droit d’accès à de tels éléments lors de la phase d’instruction en plus de celui déjà reconnu au cours de la phase contradictoire ultérieure. Quant à l’arrêt de la Cour EDH dont il ressort que le principe d’égalité des armes s’applique
à toutes les phases de la procédure et notamment lors de l’instruction (Cour EDH, 30 mars 1989, Lamy c. Belgique, CE:ECHR:1989:0330JUD001044483), invoqué par les requérantes uniquement lors de l’audience, il s’est prononcé en ce sens en raison de l’adoption d’une décision sur la détention de la partie requérante au cours de cette phase d’instruction. La Cour EDH a d’ailleurs constaté, dans cette affaire, une violation de l’article 5, paragraphe 4, de la CEDH, relatif à la protection
juridictionnelle des personnes détenues, sans prendre position sur le respect de l’article 6 de la CEDH.
96 S’agissant, troisièmement, de la législation française, invoquée par les requérantes lors de l’audience, elle ne saurait, en tant que telle, s’imposer dans l’application des règles du droit de l’Union (voir, en ce sens, arrêt du 17 janvier 1984, VBVB et VBBB/Commission, 43/82 et 63/82, EU:C:1984:9, point 40). Il peut être ajouté, en tout état de cause, que, selon l’article L. 450-4 du code de commerce français, l’ordonnance du juge des libertés et de la détention français, qui autorise les
visites et les saisies effectuées par l’Autorité de la concurrence sur la base d’informations et d’indices de nature à les justifier présentés par ladite autorité, n’est notifiée à l’entreprise visée qu’au moment de la visite. Elle n’est ainsi susceptible de donner lieu à un débat contradictoire, pouvant porter notamment sur le caractère suffisamment sérieux des indices produits, qu’au stade du recours formé contre elle devant le premier président de la cour d’appel.
97 S’agissant, quatrièmement, des craintes exprimées par les requérantes de difficultés de se prémunir contre les risques d’interventions arbitraires et disproportionnées de la Commission, il importe de relever précisément qu’il est possible pour le Tribunal de demander à la Commission, par le biais de mesures d’organisation de la procédure, de produire les indices ayant justifié qu’elle décide d’une inspection (pour l’adoption d’une telle mesure d’organisation de la procédure en l’espèce, voir
point 14 ci-dessus). Cet accès aux indices ayant justifié la décision d’inspection est permis au stade juridictionnel dès lors que, à ce stade et dans la mesure où l’inspection est par définition achevée, l’impératif de préserver l’efficacité des enquêtes de la Commission est moindre. En effet, il n’y a plus lieu, une fois l’ensemble des opérations d’inspection réalisées, de prévenir un risque de dissimulation des informations pertinentes pour l’enquête, lesquelles ont en principe déjà été
recueillies lors de l’inspection (voir point 88 ci-dessus). Il peut être ajouté qu’une communication des indices au stade juridictionnel est, en outre, conforme au principe d’égalité des armes devant le juge, l’entreprise inspectée disposant à ce stade des informations lui permettant de contester la détention par la Commission d’indices suffisamment sérieux pour justifier l’inspection (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Nexans et Nexans France/Commission,
C‑37/13 P, EU:C:2014:223, points 85 et 86), et ne justifie pas au surplus qu’un accès soit accordé dès l’adoption de la décision d’inspection.
98 Pour l’ensemble de ces motifs, le second grief avancé au soutien de l’exception d’illégalité doit, par conséquent, être écarté, de même que doit, partant, être rejetée dans son ensemble l’exception d’illégalité des dispositions pertinentes de l’article 20 du règlement no 1/2003.
B. Sur les deuxième et troisième moyens, tirés de la méconnaissance de l’obligation de motivation et de la violation du droit à l’inviolabilité du domicile
99 La Commission fait valoir, à titre liminaire, que les requérantes invoquent plusieurs griefs relatifs au déroulement de l’inspection litigieuse, lesquels seraient irrecevables dans le cadre d’un recours dirigé contre une décision d’inspection, et en déduit l’irrecevabilité de la requête.
100 Il ressort effectivement d’une jurisprudence constante qu’une entreprise ne saurait se prévaloir de l’illégalité dont serait entaché le déroulement de procédures d’inspection au soutien de conclusions en annulation dirigées contre l’acte sur le fondement duquel la Commission a procédé à cette inspection (arrêts du 20 avril 1999, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, T‑305/94 à T‑307/94, T‑313/94 à T‑316/94, T‑318/94, T‑325/94, T‑328/94, T‑329/94 et T‑335/94, EU:T:1999:80, point 413 ; du
17 septembre 2007, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission, T‑125/03 et T‑253/03, EU:T:2007:287, point 55, et du 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T‑325/16, EU:T:2018:368, point 22).
101 Cette impossibilité de se prévaloir de l’illégalité dont serait entaché le déroulement des opérations d’inspection au soutien de conclusions dirigées contre une décision d’inspection ne fait que refléter le principe général selon lequel la légalité d’un acte doit être appréciée au regard des circonstances de droit et de fait existant au moment où cette décision a été adoptée, de telle sorte que des actes postérieurs à une décision ne peuvent pas en affecter la validité (ordonnance du 30 octobre
2003, Akzo Nobel Chemicals et Akcros Chemicals/Commission, T‑125/03 R et T‑253/03 R, EU:T:2003:287, points 68 et 69 ; voir également, en ce sens, arrêt du 17 octobre 2019, Alcogroup et Alcodis/Commission, C‑403/18 P, EU:C:2019:870, points 45 et 46 et jurisprudence citée).
102 Il s’ensuit que, si, comme le prétend la Commission, les griefs concernés devaient être écartés, ils devraient l’être au motif de leur caractère inopérant, et non de leur caractère irrecevable.
103 En réponse à une question posée par le Tribunal lors de l’audience, la Commission a précisé, ainsi qu’il a été acté au procès-verbal de l’audience, d’une part, qu’elle s’en remettait à la sagesse du Tribunal quant au caractère irrecevable ou inopérant des griefs en cause et, d’autre part, que son allégation d’irrecevabilité ne concernait pas en tant que tels le deuxième et le troisième moyen, tirés respectivement de la méconnaissance de l’obligation de motivation et de la violation du droit à
l’inviolabilité du domicile.
104 Il en résulte que la requête ne saurait être déclarée irrecevable pour le motif allégué par la Commission, ni a fortiori qu’elle devrait l’être en son entier.
105 Il convient, dès lors, d’examiner les deuxième et troisième moyens soulevés par les requérantes, sans prendre en compte, aux fins de l’examen de leur bien-fondé, les griefs invoqués à leur soutien qui seraient fondés sur le déroulement de l’inspection litigieuse et qui doivent être écartés comme inopérants.
1. Sur la méconnaissance de l’obligation de motivation
106 Les requérantes font valoir que la décision attaquée serait insuffisamment motivée dans la mesure où elle ne contiendrait aucune précision, ni même aucun début d’exposé des informations détenues par la Commission qui auraient justifié de procéder à l’inspection. En particulier, la décision attaquée ne permettrait d’identifier ni le type, ni la nature, ni la provenance et encore moins le contenu des informations dont disposait la Commission et ainsi priverait les requérantes d’une garantie
fondamentale de leurs droits de la défense. Les requérantes ajoutent qu’une telle absence totale d’information relative aux pièces à la disposition de la Commission ne saurait être palliée par la seule description des présomptions d’infraction que cette dernière a cru pouvoir tirer du contenu desdites pièces.
107 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, la motivation des actes des institutions de l’Union exigée à l’article 296 TFUE doit être adaptée à la nature de l’acte en cause et doit faire apparaître de façon claire et non équivoque le raisonnement de l’institution, auteur de l’acte, de manière à permettre aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise et à la juridiction compétente d’exercer son contrôle. L’exigence de motivation doit, en outre, être
appréciée en fonction des circonstances de l’espèce, notamment du contenu de l’acte, de la nature des motifs invoqués et de l’intérêt que les destinataires de l’acte ou d’autres personnes concernées directement et individuellement par celui-ci peuvent avoir à recevoir des explications. Il n’est pas exigé que la motivation spécifie tous les éléments de fait et de droit pertinents, dans la mesure où la question de savoir si la motivation d’un acte satisfait aux exigences de l’article 296 TFUE doit
être appréciée au regard non seulement de son libellé, mais aussi de son contexte ainsi que de l’ensemble des règles juridiques régissant la matière concernée (voir arrêt du 25 juin 2014, Nexans et Nexans France/Commission, C‑37/13 P, EU:C:2014:2030, points 31 et 32 et jurisprudence citée).
108 Il convient, dès lors, de tenir compte en l’espèce du cadre juridique dans lequel se déroulent les inspections de la Commission. Les articles 4 et 20 du règlement no 1/2003 confèrent, en effet, des pouvoirs d’inspection à la Commission dans le but de lui permettre d’accomplir sa mission de protéger le marché intérieur des distorsions de concurrence et de sanctionner d’éventuelles infractions aux règles de concurrence dans ce marché (arrêt du 25 juin 2014, Nexans et Nexans France/Commission,
C‑37/13 P, EU:C:2014:2030, point 33 ; voir également, en ce sens, arrêt du 22 octobre 2002, Roquette Frères, C‑94/00, EU:C:2002:603, point 42 et jurisprudence citée).
109 Ainsi, en ce qui concerne plus particulièrement les décisions d’inspection de la Commission, l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003 dispose que celles-ci doivent indiquer la date à laquelle l’inspection commence, les sanctions prévues aux articles 23 et 24 dudit règlement et le recours ouvert devant la Cour contre la décision d’inspection, mais aussi l’objet et le but de l’inspection.
110 Il ressort de la jurisprudence que la Commission doit, pour ce faire, indiquer, avec autant de précision que possible, les présomptions qu’elle entend vérifier, à savoir ce qui est recherché et les éléments sur lesquels doit porter l’inspection. Plus précisément, la décision d’inspection doit contenir une description des caractéristiques de l’infraction suspectée, en indiquant le marché présumé en cause et la nature des restrictions de concurrence suspectées ainsi que les secteurs couverts par
la prétendue infraction concernée par l’enquête, et des explications quant à la manière dont l’entreprise est présumée être impliquée dans l’infraction (voir arrêts du 8 mars 2007, France Télécom/Commission, T‑339/04, EU:T:2007:80, points 58 et 59 et jurisprudence citée, et du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, points 75 et 77 et jurisprudence citée).
111 Cette obligation de motivation spécifique constitue, ainsi que la Cour l’a précisé, une exigence fondamentale en vue non seulement de faire apparaître le caractère justifié de l’intervention envisagée à l’intérieur des entreprises concernées, mais aussi de mettre celles-ci en mesure de saisir la portée de leur devoir de collaboration tout en préservant en même temps les droits de la défense. Il est, en effet, important de mettre en mesure les entreprises visées par les décisions d’inspection
leur imposant des obligations, qui comportent des ingérences dans leur sphère privée et dont le non-respect peut les exposer à de lourdes amendes, de percevoir les motifs de ces décisions sans efforts d’interprétation démesurés, de façon qu’elles puissent exercer leurs droits efficacement et en temps opportun (voir, à propos des décisions demandant des renseignements, conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire HeidelbergCement/Commission, C‑247/14 P, EU:C:2015:694, point 42). Il
s’ensuit par ailleurs que la portée de l’obligation de motivation des décisions d’inspection, telle que précisée au point précédent, ne peut en principe être restreinte en fonction de considérations tenant à l’efficacité de l’investigation (arrêts du 17 octobre 1989, Dow Benelux/Commission, 85/87, EU:C:1989:379, point 8, et du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T‑135/09, EU:T:2012:596, point 42).
112 Néanmoins, les inspections interviennent par définition à un stade préliminaire, auquel la Commission ne dispose pas d’informations précises lui permettant de qualifier les comportements en cause d’infraction et impliquant la faculté de rechercher des éléments d’information divers qui ne sont pas encore connus ou pleinement identifiés (voir, en ce sens, arrêts du 25 juin 2014, Nexans et Nexans France/Commission, C‑37/13 P, EU:C:2014:2030, point 37, et du 26 octobre 2010, CNOP et CCG/Commission,
T‑23/09, EU:T:2010:452, points 40 et 41 et jurisprudence citée). Ainsi, pour sauvegarder l’effet utile des inspections et pour des raisons tenant à leur nature même, il a été admis que la Commission n’était tenue ni de communiquer au destinataire d’une telle décision toutes les informations dont elle disposait à propos d’infractions présumées, ni de délimiter précisément le marché en cause, ni de procéder à une qualification juridique exacte de ces infractions, ni d’indiquer la période au cours
de laquelle ces infractions auraient été commises (voir arrêt du 25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, point 80 et jurisprudence citée ; conclusions de l’avocat général Kokott dans l’affaire Nexans et Nexans France/Commission, C‑37/13 P, EU:C:2014:223, points 48 et 49).
113 Il convient de rappeler en outre que la Commission n’est pas tenue d’indiquer, dans la décision d’inspection, les indices ayant justifié ladite inspection (voir points 85 et 91 ci-dessus).
114 Il s’ensuit, d’une part, que l’obligation de motivation de la Commission ne s’étend pas à l’ensemble des informations dont elle dispose à propos des infractions présumées et, d’autre part, que, parmi les informations qui auraient justifié de procéder à l’inspection, seules doivent être fournies dans la décision d’inspection celles permettant de mettre en évidence la détention par la Commission d’indices sérieux d’infraction, sans pour autant dévoiler les indices en cause. Il est, en effet, de
jurisprudence constante que la Commission est tenue de faire apparaître de manière circonstanciée dans la décision ordonnant une inspection qu’elle disposait dans son dossier d’éléments et d’indices matériels sérieux l’amenant à suspecter l’infraction dont l’entreprise visée par l’inspection est soupçonnée (voir arrêt du 8 mars 2007, France Télécom/Commission, T‑339/04, EU:T:2007:80, point 60 et jurisprudence citée ; arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et
T‑521/11, EU:T:2013:404, point 172).
115 Il convient, dès lors, de vérifier en l’espèce si cette obligation a été respectée par la Commission dans la décision attaquée.
116 Or, il ressort clairement du considérant 8 de la décision attaquée et des informations relatives aux infractions présumées qui y sont données, telles que décrites aux considérants 4 et 5 comme consistant en des pratiques d’échanges d’informations portant notamment sur les rabais et les stratégies commerciales futures, que la Commission a fait apparaître de manière circonstanciée qu’elle estimait disposer d’indices sérieux l’ayant amenée à suspecter les pratiques concertées en cause.
117 En attestent, en effet, outre les précisions relatives à l’objet des échanges d’informations suspectés, aux considérants 4 et 5 de la décision attaquée, celles données au considérant 8 de la décision attaquée, introduites par les termes « D’après les renseignements dont dispose la Commission » et relatives aux modalités des échanges, aux personnes impliquées (qualité et nombre approximatif) ainsi qu’aux documents litigieux (nombre approximatif, lieu et forme de leur conservation).
118 Il importe de préciser que les considérations qui précèdent sont limitées à l’examen du caractère suffisant de la motivation de la décision attaquée et répondent uniquement à la question de savoir si la Commission a mentionné dans sa décision les informations requises par la jurisprudence, à savoir celles attestant qu’elle estimait disposer d’indices sérieux de l’existence des pratiques concertées présumées. En revanche, n’est pas traitée dans ce cadre la question de savoir si la Commission a, à
juste titre, estimé qu’elle disposait de tels indices suffisamment sérieux, laquelle sera abordée lors de l’examen du moyen tiré la violation du droit à l’inviolabilité du domicile.
119 Il y a lieu d’ajouter que l’allégation par les requérantes d’un risque qu’elles pourraient être victimes de concurrents ou de partenaires commerciaux mal intentionnés ne saurait remettre en cause la conclusion susmentionnée relative au respect par la Commission de son obligation de motivation. Un tel risque peut, en effet, être contrecarré grâce à la vérification du caractère suffisamment sérieux des indices détenus par la Commission effectuée lors de l’examen du moyen tiré la violation du droit
à l’inviolabilité du domicile.
120 Par conséquent, le moyen tiré de la méconnaissance de l’obligation de motivation doit être écarté.
2. Sur la violation du droit à l’inviolabilité du domicile
121 Les requérantes soutiennent que le droit fondamental à l’inviolabilité du domicile, tel que consacré à l’article 7 de la Charte et à l’article 8 de la CEDH, a été méconnu en l’espèce par la Commission. Il ressortirait, en effet, de la jurisprudence que ce droit s’applique aux décisions d’inspection de la Commission, dont les requérantes réitèrent qu’elles ne reposent pas sur la collaboration des entreprises visées. Il en ressortirait également que le droit à l’inviolabilité du domicile exige que
le contenu et la portée d’un mandat autorisant des visites domiciliaires soient assortis de certaines limites pour que l’ingérence qu’il autorise dans ce droit ne soit pas potentiellement illimitée et, partant, disproportionnée. Or, dans la mesure où la décision attaquée a été adoptée indépendamment de tout contrôle juridictionnel ex ante, le droit fondamental à l’inviolabilité du domicile implique des limites d’autant plus strictes aux pouvoirs d’inspection de la Commission, limites qui
n’auraient pas été posées ou respectées en l’espèce.
122 Il y a lieu de rappeler que le droit fondamental à l’inviolabilité du domicile constitue un principe général du droit de l’Union qui est désormais exprimé à l’article 7 de la Charte, lequel correspond à l’article 8 de la CEDH (voir arrêt du 18 juin 2015, Deutsche Bahn e.a./Commission, C‑583/13 P, EU:C:2015:404, point 19 et jurisprudence citée).
123 Selon l’article 7 de la Charte, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications. Cette exigence de protection contre des interventions de la puissance publique dans la sphère d’activité privée d’une personne concerne tant les personnes physiques que les personnes morales (voir arrêt du 25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, point 83 et jurisprudence citée).
124 L’article 52, paragraphe 1, de la Charte dispose par ailleurs que toute limitation de l’exercice des droits et des libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. En outre, dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et
des libertés d’autrui.
125 Il importe également de préciser que, s’il ressort de la jurisprudence de la Cour EDH que la protection prévue à l’article 8 de la CEDH peut s’étendre à certains locaux commerciaux, il n’en demeure pas moins que cette Cour a jugé que l’ingérence publique pourrait aller plus loin pour des locaux ou des activités professionnels ou commerciaux que dans d’autres cas (voir arrêt du 18 juin 2015, Deutsche Bahn e.a./Commission, C‑583/13 P, EU:C:2015:404, point 20 et jurisprudence de la Cour EDH citée).
La Cour EDH a néanmoins constamment rappelé qu’un degré acceptable de protection contre les ingérences attentatoires à l’article 8 de la CEDH impliquait un cadre légal et des limites stricts (voir arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, point 73 et jurisprudence de la Cour EDH citée).
126 S’agissant plus particulièrement des pouvoirs d’inspection conférés à la Commission par l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003, en cause en l’espèce, il a été jugé que l’exercice de tels pouvoirs constituait une ingérence évidente dans le droit de l’entreprise inspectée au respect de sa sphère d’activité privée, de son domicile et de sa correspondance (arrêts du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, point 65, et du 20 juin
2018, České dráhy/Commission, T‑325/16, EU:T:2018:368, point 169).
127 Il convient, dès lors, de vérifier si la décision attaquée remplit les conditions requises par l’article 7 de la Charte.
128 Les requérantes font valoir, à cet égard, que la décision attaquée serait, d’une part, disproportionnée et, d’autre part, arbitraire, en ce que la Commission ne disposait pas d’indices suffisamment sérieux pour justifier l’inspection décidée.
a) Sur le respect du principe de proportionnalité
129 Il convient de rappeler que, selon le considérant 24 du règlement no 1/2003, la Commission doit être habilitée à procéder aux inspections « qui sont nécessaires » pour déceler les accords, les décisions et les pratiques concertées interdits par l’article 101 TFUE. Il s’ensuit, selon la jurisprudence, qu’il appartient à la Commission d’apprécier si une mesure d’inspection est nécessaire en vue de pouvoir déceler une infraction aux règles de concurrence (arrêt du 18 mai 1982, AM & S
Europe/Commission, 155/79, EU:C:1982:157, point 17 ; voir également, s’agissant d’une décision demandant des renseignements, arrêt du 14 mars 2014, Cementos Portland Valderrivas/Commission, T‑296/11, EU:T:2014:121, point 66 et jurisprudence citée).
130 Il reste que cette appréciation est soumise au contrôle du juge et, en particulier, au respect des règles régissant le principe de proportionnalité. Selon une jurisprudence constante, le principe de proportionnalité exige que les actes des institutions de l’Union ne dépassent pas les limites de ce qui est approprié et nécessaire pour atteindre le but recherché, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante, et que
les inconvénients causés ne doivent pas être démesurés par rapport aux buts visés (arrêts du 8 mars 2007, France Télécom/Commission, T‑339/04, EU:T:2007:80, point 117, et du 25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, point 22).
131 Les requérantes font valoir, en substance, une ingérence disproportionnée dans leur sphère d’activité privée compte tenu des sociétés et des locaux inspectés, de la durée de l’inspection litigieuse et de la date retenue pour l’inspection.
1) Quant aux sociétés et aux locaux inspectés
132 Les requérantes reprochent à la Commission de n’avoir identifié individuellement, dans la décision attaquée, ni les personnes qu’elle visait ni les locaux que ses agents étaient habilités à visiter. Ainsi, contrairement à sa propre pratique, la Commission se serait autorisée en l’espèce à procéder à une inspection auprès de plusieurs centaines de personnes morales distinctes composant le groupe Casino et à visiter plusieurs milliers de locaux, dont la plupart n’ont aucun lien avec l’objet de la
décision attaquée. Or, en vertu de la jurisprudence, l’identification précise des locaux pouvant être visités et des personnes visées par les autorités est nécessaire pour limiter les pouvoirs d’ingérence et protéger les justiciables contre des atteintes arbitraires de la puissance publique au droit fondamental à l’inviolabilité du domicile. Les requérantes ajoutent, à cet égard, que la définition de l’objet de l’inspection et, plus généralement, la motivation de la décision attaquée, aussi
précises soient-elles, ne peuvent pallier l’absence de limitation des pouvoirs de la Commission quant à l’identification des personnes et des locaux susceptibles d’être inspectés. Elles soulignent par ailleurs que la notion d’entreprise ne pourrait faire obstacle au respect des droits fondamentaux attachés à la notion de personne juridique, physique ou morale.
133 Il ressort effectivement de la décision attaquée que ni les sociétés ni les locaux inspectés ne sont nommément désignés. Il est ainsi indiqué à l’article 1er, deuxième alinéa, de la décision attaquée, que l’« inspection peut avoir lieu dans n’importe quel local de l’entreprise », cette indication étant suivie des termes « et en particulier », eux-mêmes suivis de deux adresses. Il est par ailleurs mentionné à l’article 1er, premier alinéa, et à l’article 3, premier alinéa, de la décision attaquée
que « Casino […] ainsi que toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle » sont visées par la décision d’inspection.
134 Il y a lieu de relever, à cet égard, que, contrairement à ce que prétendent les requérantes, les décisions attaquées dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission (T‑135/09, EU:T:2012:596), et du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission (T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404), contiennent des mentions similaires.
135 Or, la portée très large de l’inspection à laquelle conduisent de telles mentions n’a pas été considérée par la jurisprudence comme constituant, en tant que telle, une ingérence excessive dans la sphère d’activité privée des entreprises.
136 Il ressort, en effet, d’une jurisprudence constante depuis l’arrêt du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission (46/87 et 227/88, EU:C:1989:337, point 26), que tant la finalité du règlement no 17 du Conseil, du 6 février 1962, premier règlement d’application des articles [101] et [102 TFUE] (JO 1962, 13, p. 204), et du règlement no 1/2003 qui lui a succédé que l’énumération par l’article 14 du règlement no 17 et par l’article 20 du règlement no 1/2003 des pouvoirs dont sont investis les agents de la
Commission font apparaître que les inspections peuvent avoir une portée très large. À cet égard, le droit d’accéder à tous locaux, terrains et moyens de transport des entreprises présente une importance particulière dans la mesure où il doit permettre à la Commission de recueillir les preuves des infractions aux règles de concurrence dans les lieux où elles se trouvent normalement, c’est-à-dire dans les locaux commerciaux des entreprises (arrêt du 12 juillet 2007, CB/Commission, T‑266/03, non
publié, EU:T:2007:223, point 71, et ordonnance du 16 juin 2010, Biocaps/Commission, T‑24/09, non publiée, EU:T:2010:238, point 32).
137 Il ressort également de cette jurisprudence que, si les règlements nos 17 et 1/2003 confèrent ainsi à la Commission de larges pouvoirs d’investigation, l’exercice de ces pouvoirs est soumis à des conditions de nature à garantir le respect des droits des entreprises concernées (arrêt du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission, 46/87 et 227/88, EU:C:1989:337, point 28 ; voir également, en ce sens, arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission, T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11,
EU:T:2013:404, points 74 à 99).
138 En particulier, il convient de relever l’obligation imposée à la Commission d’indiquer l’objet et le but de l’inspection, laquelle constitue une exigence fondamentale en vue non seulement de faire apparaître le caractère justifié de l’intervention envisagée dans les locaux des entreprises concernées, mais aussi de mettre celles-ci en mesure de saisir la portée de leur devoir de collaboration tout en préservant en même temps les droits de la défense (voir, s’agissant du règlement no 17, arrêt du
21 septembre 1989, Hoechst/Commission, 46/87 et 227/88, EU:C:1989:337, point 29).
139 Il y a lieu de relever, en outre, que les conditions requises pour l’exercice des pouvoirs d’inspection de la Commission varient en fonction de la procédure choisie par celle-ci, de l’attitude des entreprises concernées ainsi que de l’intervention des autorités nationales (voir, s’agissant du règlement no 17, arrêt du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission, 46/87 et 227/88, EU:C:1989:337, point 30).
140 L’article 20 du règlement no 1/2003 vise en premier lieu des inspections effectuées avec la collaboration des entreprises concernées, soit de façon volontaire, dans l’hypothèse du mandat écrit d’inspection, soit en vertu d’une obligation découlant d’une décision d’inspection. Dans cette dernière hypothèse, qui est celle de l’espèce, les agents de la Commission ont, notamment, la faculté de se faire présenter les documents qu’ils demandent, d’entrer dans les locaux qu’ils désignent et de se faire
montrer le contenu des meubles qu’ils indiquent. En revanche, ils ne peuvent pas forcer l’accès à des locaux ou à des meubles ou contraindre le personnel de l’entreprise à leur fournir un tel accès, ni entreprendre des fouilles sans l’autorisation des responsables de l’entreprise (voir, s’agissant du règlement no 17, arrêt du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission, 46/87 et 227/88, EU:C:1989:337, point 31).
141 La situation est tout autre lorsque la Commission se heurte à l’opposition des entreprises concernées. Dans ce cas, les agents de la Commission peuvent, sur le fondement de l’article 20, paragraphe 6, du règlement no 1/2003, rechercher, sans la collaboration des entreprises, tous les éléments d’information nécessaires à l’inspection avec le concours des autorités nationales, qui sont tenues de leur fournir l’assistance nécessaire à l’accomplissement de leur mission. Si cette assistance n’est
exigée que dans le cas où l’entreprise manifeste son opposition, il convient d’ajouter que l’assistance peut également être demandée à titre préventif, en vertu de l’article 20, paragraphe 7, du règlement no 1/2003, en vue de surmonter l’opposition éventuelle de l’entreprise (voir, s’agissant du règlement no 17, arrêt du 21 septembre 1989, Hoechst/Commission, 46/87 et 227/88, EU:C:1989:337, point 32).
142 Le grief soulevé par les requérantes implique, dès lors, de répondre à la question de savoir si la Commission devait en l’espèce, au titre des garanties visant à les protéger contre des ingérences disproportionnées, spécifier plus précisément les sociétés et les locaux visés par l’inspection.
143 Il y a lieu de répondre à cette question par la négative pour les raisons suivantes.
144 D’abord, les indications figurant dans la décision attaquée permettent, prises ensemble, de déterminer les sociétés et les locaux concernés par l’inspection. En effet, grâce à la spécification de l’objet et du but de l’inspection, et, en particulier, des marchés des produits et des services concernés, et de la précision selon laquelle sont concernés Casino et ses filiales ainsi que leurs locaux, il peut être aisément déduit de la décision attaquée que sont visées par l’inspection Casino et ses
filiales actives dans les secteurs concernés par l’infraction suspectée – à savoir les marchés de l’approvisionnement en biens de consommation courante (produits alimentaires, produits d’hygiène et produits d’entretien), ceux de la vente aux consommateurs de ces biens et celui de la vente de services aux fabricants de produits de marque dans le secteur des biens de consommation courante – et que l’inspection pourra être effectuée dans l’ensemble de leurs locaux. Lorsque les agents de la
Commission se sont rendus dans les locaux des sociétés visées après leur avoir notifié la décision attaquée, celles-ci ont été mises en mesure de vérifier l’objet et l’étendue de l’intervention menée dans leurs locaux, de saisir la portée de leur devoir de collaboration et de faire valoir leurs observations. Des spécifications plus précises sur le champ de l’inspection n’étaient, dès lors, pas indispensables à la protection des droits des requérantes.
145 Doivent, par ailleurs, être écartées en conséquence les critiques des requérantes selon lesquelles le champ couvert par l’inspection était, du fait de l’absence de spécification des sociétés et des locaux visés, trop large. Il peut également être relevé, à cet égard, que la Commission a visé, dans la décision attaquée, le sujet de base du droit de la concurrence qu’est l’entreprise, comprenant le plus souvent une société mère ainsi que sa ou ses filiales, à laquelle peuvent être imputées les
infractions et, en particulier, les infractions suspectées en l’espèce, justifiant partant que soient mentionnées dans la décision attaquée tant la société mère Casino que ses filiales.
146 Ensuite, l’absence de précision dans la désignation des sociétés et des locaux visés contribue au bon déroulement des inspections de la Commission, dans la mesure où elle lui donne la marge de manœuvre nécessaire au recueil du maximum de preuves possibles et où elle permet de préserver un effet de surprise indispensable pour prévenir un risque de destruction ou de dissimulation de ces preuves. Ainsi, dans l’hypothèse où la Commission n’aurait pas été en mesure de déterminer au stade de
l’adoption de la décision d’inspection, qui se situe très en amont de l’identification d’une infraction et de ses protagonistes, les sociétés du groupe susceptibles d’y avoir pris part et où elle découvrirait à l’occasion de son inspection dans les locaux de l’une des sociétés visées que l’une des sociétés à laquelle celle-ci est liée pourrait également avoir joué un rôle dans ladite infraction, elle pourrait mener une inspection dans les locaux de cette autre société sur la base de la même
décision d’inspection, c’est-à-dire à la fois rapidement et en ménageant un effet de surprise, grâce à ce décalage dans le temps, dont la société inspectée dans un second temps pouvait déduire qu’elle ne serait pas visée par l’inspection (voir, pour le rappel de l’importance de l’exécution rapide des décisions d’inspection minimisant les risques de fuites, conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Deutsche Bahn e.a./Commission, C‑583/13 P, EU:C:2015:92, point 62).
147 Enfin, il importe de relever que les ordonnances du 17 février 2017 des juges des libertés et de la détention des tribunaux de grande instance de Créteil et de Paris (voir point 5 ci-dessus) ayant autorisé les visites et saisies en cause à titre préventif, en cas d’opposition à l’inspection, spécifient expressément et limitativement les locaux dans lesquels ces visites et ces saisies pourront être effectuées. Il s’ensuit que, conformément à la jurisprudence du juge de l’Union visée au point 141
ci-dessus, mais également à celle de la Cour EDH, des juridictions allemande et française ainsi qu’à la législation française invoquées par les requérantes, lorsque l’ingérence impliquée par l’inspection est plus importante, en l’occurrence parce qu’elle est menée en dépit de l’opposition des sociétés inspectées en ayant recours à la force publique sur le fondement de l’article 20, paragraphes 6 à 8, du règlement no 1/2003, une garantie supplémentaire consistant en la désignation des locaux
visités est reconnue. Or, en l’espèce, les requérantes ne s’étant pas opposées à l’inspection au point d’obliger la Commission à faire usage des ordonnances susvisées et des moyens de contrainte qu’elles lui octroient, cette garantie supplémentaire n’a pas lieu d’être. Contrairement à ce que prétendent les requérantes, une telle solution ne contrevient pas au « principe » selon lequel la protection du droit à l’inviolabilité du domicile implique un encadrement d’autant plus strict des pouvoirs
d’inspection que ceux-ci sont mis en œuvre sans autorisation judiciaire préalable. En effet, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour EDH invoquée en ce sens par les requérantes (Cour EDH, 10 novembre 2015, Slavov et autres c. Bulgarie, CE:ECHR:2015:1110JUD005850010, points 144 à 146, et 16 février 2016, Govedarski c. Bulgarie, CE:ECHR:2016:0216JUD003495712, points 81 à 83), un tel encadrement vise l’effectivité du contrôle exercé a posteriori par le juge et n’implique pas en tant que
tel que ce contrôle donne lieu à l’octroi de garanties supplémentaires (voir également, en ce sens, point 53 ci-dessus).
148 Le présent grief relatif aux personnes et aux locaux inspectés doit, partant, être écarté comme non fondé, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur sa recevabilité, contestée par la Commission.
2) Quant à la durée de l’inspection
149 Les requérantes reprochent à la Commission de n’avoir, contrairement à la jurisprudence et à sa propre pratique, fixé aucune limite temporelle à son ingérence dans le droit fondamental à l’inviolabilité du domicile qu’elle a autorisée. En effet, la décision attaquée prévoirait uniquement la date à partir de laquelle l’inspection pouvait commencer et ne fixerait aucune date de fin, ni aucune durée maximale, de sorte que l’inspection n’était pas terminée à la date d’introduction du présent
recours, ce que d’ailleurs la Commission n’aurait pas manqué de rappeler aux requérantes. Ces dernières excluent par ailleurs que le caractère illimité dans le temps des pouvoirs de la Commission puisse être valablement justifié par l’effectivité des inspections, en se fondant notamment sur plusieurs droits nationaux prévoyant une limitation dans le temps des pouvoirs d’inspection de l’administration.
150 Il y a lieu de relever que, de même que la décision d’inspection en cause dans l’arrêt du 6 septembre 2013, Deutsche Bahn e.a./Commission (T‑289/11, T‑290/11 et T‑521/11, EU:T:2013:404, points 4, 14 et 21), qui, contrairement à ce que prétendent les requérantes, contient une mention similaire, la décision attaquée prévoit, en son article 2, que « [l]’inspection peut débuter le 20 février 2017 ou peu de temps après », sans fixer de date à laquelle l’inspection doit avoir pris fin.
151 Il convient de rappeler qu’une telle mention est conforme à l’article 20, paragraphe 4, du règlement no 1/2003, lequel exige seulement que la décision d’inspection « fixe la date à laquelle elle commence » (voir point 109 ci-dessus).
152 Il y a lieu de relever, en outre, que le Tribunal a jugé que l’absence de précision quant à la date de fin de l’inspection ne signifiait pas que celle-ci pouvait s’étendre dans le temps de façon illimitée, la Commission étant, à cet égard, tenue au respect d’un délai raisonnable, conformément à l’article 41, paragraphe 1, de la Charte (arrêt du 12 juillet 2018, Nexans France et Nexans/Commission, T‑449/14, sous pourvoi, EU:T:2018:456, point 69).
153 Il s’ensuit un encadrement temporel, délimité par la date de début d’inspection fixée dans la décision d’inspection et par la limite du délai raisonnable, qui garantit suffisamment l’absence d’ingérence disproportionnée dans la sphère d’activité privée des entreprises.
154 Une telle délimitation temporelle permet au surplus de garantir pleinement l’effectivité des pouvoirs d’enquête de la Commission. En effet, la limite du délai raisonnable étant appréciée a posteriori et en fonction des circonstances de l’espèce, elle permet de prendre en compte la circonstance que la durée de l’inspection ne peut être connue à l’avance, puisqu’elle dépend du volume d’informations collectées sur le site et d’éventuels comportements d’obstruction commis par l’entreprise concernée.
155 Il peut certes être admis, à la suite des requérantes, que la fixation d’une durée d’inspection a priori ne remet pas en cause, en tant que telle, l’effectivité des inspections. Néanmoins, aux fins de garantir cette effectivité eu égard à la circonstance mentionnée au point précédent, cette durée fixée a priori serait probablement plus longue que la durée effective de l’inspection en l’espèce, en l’occurrence moins de cinq jours, ce qui n’irait pas dans le sens d’une garantie contre des
ingérences disproportionnées.
156 Il peut être ajouté que les jurisprudences de la Cour EDH et de plusieurs juridictions nationales ainsi que les législations nationales citées par les requérantes ne sont pas susceptibles de remettre en cause ces considérations. En effet, elles portent toutes sur des opérations de visite ou de saisies effectuées sous la contrainte, impliquant une ingérence plus importante que l’inspection qui a été décidée en l’espèce sans que les agents de la Commission aient fait usage de l’article 20,
paragraphes 6 à 8, du règlement no 1/2003 et des moyens de contrainte nationaux auxquels il permet d’avoir recours (voir point 53 ci-dessus). Il est ainsi remarquable que les ordonnances des juges des libertés et de la détention visées au point 147 ci-dessus, adoptées en l’espèce à titre préventif pour être utilisées en cas d’opposition à l’inspection, mais qui ne l’ont pas été en l’espèce en l’absence d’une telle opposition (article 20, paragraphe 7, du règlement no 1/2003), fixent toutes une
date limite de réalisation des opérations de visite et de saisie.
157 Le grief relatif à la durée de l’inspection doit, partant, être écarté.
3) Quant à la date de l’inspection
158 Les requérantes soutiennent que la date de début de l’inspection prévue dans la décision attaquée viole le principe de proportionnalité, dès lors qu’elle précéderait immédiatement la date à laquelle la première requérante devait conclure la négociation de ses accords annuels avec les fournisseurs, c’est-à-dire le 1er mars, et qu’elle aurait privé plusieurs de ses responsables chargés de ces négociations de leurs outils de travail au moment de la tenue des négociations finales.
159 Il y a lieu de considérer que les requérantes n’établissent pas les inconvénients démesurés et intolérables qu’elles allèguent. Or, elles ne sauraient, à cet égard, se contenter de simples affirmations auxquelles n’est associé aucun véritable élément probatoire (voir, en ce sens, arrêt du 14 mars 2014, Cementos Portland Valderrivas/Commission, T‑296/11, EU:T:2014:121, point 103).
160 En effet, les requérantes établissent uniquement que plusieurs responsables des achats ont été privés de leurs téléphones et ordinateurs professionnels pendant un jour et demi au maximum. Or, quand bien même ces personnes jouaient un rôle important dans les négociations en cause, cette durée de privation de certains de leurs outils de travail est très courte au regard de la durée habituelle de ce type de négociations, en moyenne de cinq mois (du 1er octobre au 1er mars de l’année suivante). Il
n’est par ailleurs pas allégué, ni a fortiori établi, que ces personnes aient été dans l’incapacité de mener lesdites négociations pendant cette période et pendant toute la durée de l’inspection, notamment au moyen de contacts directs sur place, dont la possibilité est attestée par le fait que les requérantes ont reconnu lors de l’audience que leurs partenaires de négociation se trouvaient dans leurs locaux au moment de l’inspection. Il en résulte ainsi tout au plus une gêne dans le déroulement
des négociations concernées. Il en est d’autant plus ainsi que, dans le type de négociations en cause, les dernières heures avant l’échéance sont les plus importantes et que l’inspection litigieuse a pris fin en l’espèce deux jours ouvrables avant l’échéance du 1er mars auxquels s’ajoutait un week-end lui aussi généralement mobilisé pour tenter d’aboutir à un accord.
161 En outre, la seule prétendue alternative moins contraignante proposée par les requérantes, consistant à faire débuter l’inspection après la date limite de conclusion des accords avec les fournisseurs, ne peut être considérée comme telle.
162 En effet, quoique sans doute moins contraignante pour les requérantes, ce report de l’inspection ne constitue pas une véritable alternative à la date d’inspection retenue par la décision attaquée. Comme l’a expliqué la Commission dans ses écritures, la date retenue en l’espèce l’a été à dessein, aux fins d’avoir accès au maximum d’employés et de dirigeants concernés par les infractions suspectées, dont la présence serait garantie tant par la fin des congés scolaires que surtout par l’imminence
de la date butoir du 1er mars pour la conclusion des accords commerciaux susvisés.
163 Il en résulte que le grief relatif à la date de l’inspection retenue doit être écarté ainsi que, par voie de conséquence, l’ensemble des griefs critiquant le caractère disproportionné de la décision attaquée.
b) Sur la détention d’indices suffisamment sérieux par la Commission
164 Il convient de rappeler que la Commission n’a pas l’obligation d’indiquer, au stade de la phase d’instruction préliminaire, outre les présomptions d’infraction qu’elle entend vérifier, les indices, c’est-à-dire les éléments la conduisant à envisager l’hypothèse d’une violation de l’article 101 TFUE, dès lors qu’une telle obligation remettrait en cause l’équilibre que le législateur et le juge de l’Union ont entendu établir entre la préservation de l’efficacité de l’enquête et la préservation des
droits de la défense de l’entreprise concernée (voir points 85 et 86 ci-dessus).
165 Il ne saurait cependant en être déduit que la Commission ne doit pas être en possession d’éléments la conduisant à envisager l’hypothèse d’une violation de l’article 101 TFUE antérieurement à l’adoption d’une décision d’inspection. En effet, aux fins de respecter le droit des entreprises inspectées à l’inviolabilité de leur domicile, une décision d’inspection doit viser à recueillir la documentation nécessaire pour vérifier la réalité et la portée de situations de fait et de droit déterminées à
propos desquelles la Commission dispose déjà d’informations, constituant des indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence (voir, en ce sens, arrêt du 25 novembre 2014, Orange/Commission, T‑402/13, EU:T:2014:991, points 82 à 84 et jurisprudence citée).
166 Il appartient alors au juge de l’Union, aux fins de s’assurer que la décision d’inspection ne présente pas un caractère arbitraire, c’est-à-dire qu’elle n’a pas été adoptée en l’absence de toute circonstance de fait et de droit susceptible de justifier une inspection, de vérifier si la Commission disposait d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence par l’entreprise concernée (voir, en ce sens, arrêts du 14 novembre 2012, Nexans France et
Nexans/Commission, T‑135/09, EU:T:2012:596, point 43, et du 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T‑325/16, EU:T:2018:368, point 48).
167 En l’espèce, les requérantes estiment que certaines différences entre la teneur de la décision attaquée et l’objet de l’inspection effectivement réalisée permettent de déduire que la Commission ne disposait pas, au moment de ladite décision, d’indices suffisamment sérieux pour suspecter l’existence d’au moins certaines des infractions qui y sont énoncées. Or, l’exigence de protection contre des interventions arbitraires de la puissance publique dans la sphère d’activité privée interdirait à la
Commission d’ordonner une inspection si elle ne disposait pas d’indices sérieux permettant de suspecter une infraction aux règles de concurrence et il appartiendrait au Tribunal de s’assurer de manière concrète que la Commission disposait de tels indices.
168 Il convient, dès lors, de déterminer quels étaient les indices détenus par la Commission et sur la base desquels elle a ordonné l’inspection litigieuse, avant de procéder à l’appréciation de leur caractère suffisamment sérieux pour suspecter les infractions en cause et justifier légalement l’adoption de la décision attaquée.
1) Sur la détermination des indices en possession de la Commission
169 Il convient de préciser que, en réponse aux mesures d’organisation de la procédure adoptées par le Tribunal le 3 décembre 2018 ainsi que les 13 mai et 25 septembre 2019, en vue de vérifier si la Commission disposait d’indices suffisamment sérieux justifiant l’adoption de la décision attaquée, celle-ci a produit, les 10 janvier, 5 juin et 18 octobre 2019, les documents suivants :
– des comptes rendus d’entretiens qu’elle a tenus en 2016 et en 2017 avec treize fournisseurs des produits de consommation courante concernés qui concluent régulièrement des accords avec Casino et Intermarché (annexes Q.1 à Q.13 de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019 ; ci-après les « comptes rendus ») ;
– des échanges de courriers électroniques visant à établir les dates des entretiens concernés et comprenant le questionnaire de la Commission ayant servi de base à ces entretiens (annexes R.1 à R.14 de la réponse de la Commission du 5 juin 2019) ;
– un courrier électronique du 22 novembre 2016 émanant du directeur général d’une association de fournisseurs, retraçant les mouvements et les rapports entre les enseignes de la grande distribution au sein notamment d’associations de grands distributeurs, circonstances qui seraient « de nature à réduire le niveau d’incertitude qui prévaut […] entre certains acteurs de la distribution » (annexe Q.14 de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019, telle que complétée par les réponses de la
Commission du 5 juin et du 18 octobre 2019 ; ci-après le « courrier du directeur de l’association N »), accompagné de plusieurs annexes, à savoir une présentation schématique des participants et du déroulement de la « convention Intermarché » du 21 septembre 2016 (ci-après la « convention Intermarché » ou la « convention ») (annexe Q.15 de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019), un tableau récapitulant les transferts d’enseignes entre alliances internationales accompagné de plusieurs
tableaux indiquant pour chaque alliance internationale les sources potentielles d’informations pouvant résulter de transferts de collaborateurs, de transferts d’enseignes ou d’accords locaux entre enseignes membres d’alliances différentes (annexe Q.16 de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019), un article de presse datant d’octobre 2016 reprenant les propos d’un directeur d’enseigne (annexe Q.17 de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019) et un tableau retraçant les mouvements
de personnel entre les enseignes (annexe Q.18 de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019) ;
– plusieurs tableaux reprenant les passages pertinents des documents produits en annexe à la réponse de la Commission du 10 janvier 2019 en vue de présenter de manière synthétique les indices relatifs à chacune des infractions suspectées, à savoir :
– les échanges entre ICDC (Casino) et AgeCore (Intermarché) portant sur les rabais sur les marchés de l’approvisionnement et les prix de vente de services aux fabricants de produits de marque au niveau européen, notamment en France (ci-après la « première infraction ») [article 1er, sous a), de la décision attaquée ; tableau 1 annexé à la réponse de la Commission du 5 juin 2019],
– les échanges entre Casino et Intermarché portant sur les stratégies commerciales futures en France (ci-après la « deuxième infraction ») [article 1er, sous b), de la décision attaquée ; tableau 2 annexé à la réponse de la Commission du 5 juin 2019].
170 La Commission a par ailleurs déposé, le 19 décembre 2019, une « réponse complémentaire » à la question du Tribunal du 13 mai 2019 (voir point 19 ci-dessus). Cette réponse comprenait, d’une part, une note interne de la direction générale de la concurrence de la Commission du 16 décembre 2016 faisant état des entretiens susvisés menés avec les fournisseurs et des suspicions d’infractions déduites, qui attesterait selon la Commission qu’elle détenait des indices suffisamment sérieux permettant de
suspecter lesdites infractions à la date de la décision attaquée, et, d’autre part, divers documents visant à établir la date de finalisation des comptes rendus. Les requérantes considèrent que cette réponse complémentaire, produite sans justification par la Commission après la clôture de la phase écrite de la procédure, est tardive et, par suite, irrecevable.
171 Il convient de rappeler que, selon l’article 85, paragraphes 1 et 3, du règlement de procédure, les preuves sont présentées dans le cadre du premier échange de mémoires, les parties principales pouvant encore, à titre exceptionnel, produire des preuves avant la clôture de la phase orale de la procédure, à condition que le retard dans la présentation de celles-ci soit justifié.
172 Certes, une telle justification de la présentation tardive d’éléments de preuve après le premier échange de mémoires ne saurait être exigée lorsque ceux-ci sont produits en réponse à une mesure d’organisation de la procédure dans le délai requis pour cette réponse (voir, en ce sens, arrêts du 16 octobre 2018, OY/Commission, T‑605/16, non publié, EU:T:2018:687, points 31, 34 et 35, et du 24 octobre 2018, Epsilon International/Commission, T‑477/16, non publié, EU:T:2018:714, point 57).
173 Cependant, dans les hypothèses où l’élément de preuve produit ne répond pas à la demande du Tribunal (voir, en ce sens, arrêts du 10 avril 2018, Alcogroup et Alcodis/Commission, T‑274/15, non publié, EU:T:2018:179, points 49, 50, 54 et 55, et du 7 février 2019, RK/Conseil, T‑11/17, EU:T:2019:65, point 54) ou l’est après l’expiration du délai de réponse fixé par la mesure d’organisation de la procédure (arrêt du 9 avril 2019, Close et Cegelec/Parlement, T‑259/15, non publié, sous pourvoi,
EU:T:2019:229, point 34), l’obligation de justification de la tardiveté retrouve à s’appliquer.
174 Or, en l’espèce, quand bien même il devrait être considéré, comme l’affirme la Commission, que sa réponse complémentaire du 19 décembre 2019 visait à compléter celle du 5 juin 2019 et non celle du 10 janvier 2019, qui répondait déjà à une demande du Tribunal la priant de produire les indices ayant justifié l’adoption de la décision attaquée, il y a lieu de relever que cette réponse complémentaire a été déposée plus de six mois après l’expiration du délai imparti par le Tribunal dans sa mesure
d’organisation de la procédure du 13 mai 2019, expirant le 5 juin 2019.
175 Il s’ensuit qu’il appartenait à la Commission de justifier la production tardive des pièces annexées à sa réponse complémentaire du 19 décembre 2019 et que la nécessité d’une telle justification en l’espèce ne saurait être remise en cause par la jurisprudence citée par la Commission lors de l’audience.
176 En effet, dans les arrêts cités, étaient concernées soit des pièces produites dans le délai imparti par la mesure d’organisation de la procédure qui ne l’ont, dès lors, pas été tardivement (arrêts du 24 octobre 2018, Epsilon International/Commission, T‑477/16, non publié, EU:T:2018:714, points 35 et 57 ; du 5 mars 2019, Pethke/EUIPO, T‑169/17, non publié, sous pourvoi, EU:T:2019:135, points 26, 36 et 40, et du 28 mars 2019, Pometon/Commission, T‑433/16, sous pourvoi, EU:T:2019:201, points 27, 28
et 328), soit des pièces déposées spontanément en justifiant dûment leur dépôt tardif (arrêt du 24 octobre 2018, Epsilon International/Commission, T‑477/16, non publié, EU:T:2018:714, points 32 et 58).
177 Or, en l’espèce, la Commission n’a fourni aucune justification de la tardiveté du dépôt de sa réponse complémentaire du 19 décembre 2019, se contentant de présenter dans ce document ses excuses au Tribunal pour les désagréments que ce dépôt pourrait causer. Par ailleurs, même à supposer que doive être prise en compte la justification avancée lors de l’audience en réponse à une question du Tribunal, selon laquelle la tardiveté du dépôt serait due à un dysfonctionnement interne de la Commission,
une telle justification ne saurait valablement fonder la recevabilité de la réponse complémentaire en cause. En effet, une telle allégation, qui se réfère à des difficultés purement internes, ne correspond pas à des circonstances exceptionnelles de nature à permettre la production d’éléments de preuve à l’issue du second échange de mémoires [voir, en ce sens, arrêt du 22 juin 2017, Biogena Naturprodukte/EUIPO (ZUM wohl), T‑236/16, EU:T:2017:416, point 19] et n’est au surplus aucunement démontrée
par des éléments de preuve qu’aurait rapportés la Commission (voir, en ce sens, arrêt du 11 septembre 2019, HX/Conseil, C‑540/18 P, non publié, EU:C:2019:707, points 66 et 67). En outre, la date du principal document produit le 19 décembre 2019, à savoir la note interne de la Commission du 16 décembre 2016 (voir point 170 ci-dessus), indique que celle-ci le détenait avant même l’introduction de l’instance et qu’elle était en mesure de le produire avant la clôture de la phase écrite de la
procédure, dans les délais fixés pour le dépôt de ses mémoires, et a fortiori en réponse aux mesures d’organisation de la procédure ultérieures. Par ailleurs, si les requérantes ont été mises en mesure par le Tribunal de présenter leurs observations sur la réponse complémentaire de la Commission du 19 décembre 2019, en particulier sur sa recevabilité, par écrit et lors de l’audience, conformément au principe du caractère contradictoire de la procédure, cette circonstance ne saurait exonérer la
Commission de son obligation de présenter les éléments au soutien de la légalité de la décision attaquée dans les conditions fixées par le règlement de procédure.
178 Il peut encore être ajouté, même si la Commission ne s’en est pas prévalue, que les pièces annexées à la réponse complémentaire du 19 décembre 2019 ne sauraient être qualifiées de preuves contraires non visées par la règle de forclusion de l’article 85, paragraphe 3, du règlement de procédure (ordonnances du 21 mars 2019, Troszczynski/Parlement, C‑462/18 P, non publiée, EU:C:2019:239, point 39, et du 21 mai 2019, Le Pen/Parlement, C‑525/18 P, non publiée, EU:C:2019:435, point 48). En effet, le
Tribunal a donné l’occasion à la Commission, par ses mesures d’organisation de la procédure des 13 mai et 25 septembre 2019, de répondre aux objections émises par les requérantes quant à la détention d’indices justifiant l’inspection litigieuse, ce que la Commission aurait, dès lors, pu faire par ses réponses des 5 juin et 18 octobre 2019, et ce d’autant que le principal document produit le 19 décembre 2019 datait du 16 décembre 2016 (voir point 177 ci-dessus).
179 La réponse complémentaire de la Commission du 19 décembre 2019 doit, par conséquent, être écartée comme irrecevable.
180 Il en résulte que, aux fins de l’appréciation du caractère suffisamment sérieux des indices ayant justifié l’adoption de la décision attaquée, seuls seront pris en compte ceux exposés au point 169 ci-dessus.
2) Sur l’appréciation du caractère suffisamment sérieux des indices en possession de la Commission
181 Invitées à présenter leurs observations sur les indices produits par la Commission à la demande du Tribunal, les requérantes ont fait valoir que les documents en cause étaient entachés de graves irrégularités formelles, liées en particulier à l’absence d’enregistrement des entretiens ayant donné lieu aux comptes rendus produits et à l’absence d’établissement de la date desdits comptes rendus. Elles contestent, à cet égard, la jurisprudence invoquée par la Commission au soutien de son allégation
selon laquelle la date pertinente pour l’évaluation de la possession d’indices pour les infractions suspectées est celle des entretiens avec les différents fournisseurs, et non celle à laquelle elle a établi le compte rendu de ces entretiens. Les requérantes estiment par ailleurs que les indices produits, relatifs à la convention Intermarché organisée par Intermarché à destination de ses fournisseurs, ne justifiaient pas une inspection quant à de prétendus échanges nationaux d’informations
concernant les stratégies commerciales futures, de sorte que la décision attaquée devrait être annulée à tout le moins en ce qu’elle concerne la deuxième infraction présumée. Elles ajoutent que l’adoption par la Commission, le 13 mai 2019, d’une nouvelle décision d’inspection de leurs locaux, portant précisément sur ces échanges nationaux d’informations, révélerait que la Commission ne disposait pas d’indices suffisamment sérieux pour suspecter l’existence desdits échanges.
182 Il importe de souligner, à titre liminaire, que l’appréciation du caractère suffisamment sérieux des indices à la disposition de la Commission doit être effectuée en prenant en compte la circonstance que la décision d’inspection s’inscrit dans le cadre de la phase d’instruction préliminaire, destinée à permettre à la Commission de rassembler tous les éléments pertinents confirmant ou non l’existence d’une infraction aux règles de concurrence et à prendre une première position sur l’orientation
ainsi que sur la suite ultérieure à réserver à la procédure.
183 Partant, il ne saurait à ce stade être exigé de la Commission, préalablement à l’adoption d’une décision d’inspection, qu’elle soit en possession d’éléments démontrant l’existence d’une infraction. Un tel niveau de preuve est requis au stade de la communication des griefs à une entreprise suspectée d’avoir commis une infraction aux règles de la concurrence et pour les décisions de la Commission dans lesquelles elle constate l’existence d’une infraction et inflige des amendes. En revanche, pour
adopter une décision d’inspection en vertu de l’article 20 du règlement no 1/2003, il suffit que la Commission dispose d’éléments et d’indices matériels sérieux l’amenant à suspecter l’existence d’une infraction (arrêts du 29 février 2016, EGL e.a./Commission, T‑251/12, non publié, EU:T:2016:114, point 149, et du 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T‑325/16, EU:T:2018:368, point 66). Doivent ainsi être distingués, d’une part, les preuves d’une infraction et, d’autre part, les indices de nature
à faire naître une suspicion raisonnable quant à la survenance de présomptions d’infraction (voir, par analogie, arrêt du 14 mars 2014, Cementos Portland Valderrivas/Commission, T‑296/11, EU:T:2014:121, point 43) ou, selon une autre terminologie également retenue par la jurisprudence, susceptibles de créer un commencement de soupçon portant sur un comportement anticoncurrentiel (voir, en ce sens, arrêt du 29 février 2016, EGL e.a./Commission, T‑251/12, non publié, EU:T:2016:114, points 153
et 155).
184 Par conséquent, il y a lieu de vérifier en l’espèce si, au moment de l’adoption de la décision attaquée, la Commission détenait de tels indices sérieux susceptibles de créer une suspicion d’infraction. N’est pas exigé dans ce cadre l’examen de la détention de preuves de nature à établir l’existence des infractions concernées.
185 Cette distinction a des conséquences sur les exigences relatives à la forme, à l’auteur et à la teneur des indices justifiant les décisions d’inspection, lesquelles sont toutes considérées par les requérantes comme n’ayant pas été respectées en l’espèce.
i) Sur la forme des indices ayant justifié la décision attaquée
186 Il résulte de la distinction entre preuves d’une infraction et indices qui fondent une décision d’inspection que ces derniers ne sauraient être soumis au même degré de formalisme que celui tenant notamment au respect des règles imposées par le règlement no 1/2003 et par la jurisprudence rendue sur son fondement quant aux pouvoirs d’enquête de la Commission. Si le même formalisme était requis pour la collecte des indices précédant une inspection et le recueil des preuves d’une infraction, cela
impliquerait en effet que la Commission doive respecter des règles qui régissent ses pouvoirs d’enquête alors qu’aucune enquête au sens du chapitre V du règlement no 1/2003 n’a encore été formellement ouverte et que la Commission n’a pas encore fait usage des pouvoirs d’enquête qui lui sont conférés en particulier par les articles 18 à 20 du règlement no 1/2003, c’est-à-dire n’a pas adopté de mesure impliquant le reproche d’avoir commis une infraction, notamment une décision d’inspection.
187 Cette définition du point de départ d’une enquête et de la phase d’instruction préliminaire est issue d’une jurisprudence constante rappelée au point 88 ci-dessus, encore confirmée récemment (arrêt du 12 juillet 2018, The Goldman Sachs Group/Commission, T‑419/14, sous pourvoi, EU:T:2018:445, point 241), mais déjà consacrée antérieurement par des arrêts de la Cour (arrêts du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C‑238/99 P, C‑244/99 P, C‑245/99 P, C‑247/99 P, C‑250/99 P
à C‑252/99 P et C‑254/99 P, EU:C:2002:582, point 182, et du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, C‑105/04 P, EU:C:2006:592, point 38), comme du Tribunal (arrêt du 16 juin 2011, Heineken Nederland et Heineken/Commission, T‑240/07, EU:T:2011:284, point 288), dont certains prenaient appui sur la jurisprudence de la Cour EDH.
188 Ont ainsi été considérées comme pouvant, en principe, constituer des indices justifiant valablement une inspection une dénonciation faite dans le cadre d’une plainte écrite (voir, en ce sens, arrêt du 20 juin 2018, České dráhy/Commission, T‑325/16, EU:T:2018:368, point 95), laquelle peut conduire à l’ouverture d’une enquête par la Commission même si elle ne remplit pas les conditions prévues pour les plaintes à l’article 7, paragraphe 2, du règlement no 1/2003 [paragraphe 4 de la communication
de la Commission relative au traitement par la Commission des plaintes déposées au titre des articles [101] et [102 TFUE] (JO 2004, C 101, p. 65)], de même qu’une dénonciation orale dans le cadre d’une demande de clémence (voir, en ce sens, arrêt du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T‑135/09, EU:T:2012:596, point 74).
189 De même, en l’espèce, contrairement à ce que soutiennent les requérantes, la Commission n’était pas tenue de respecter les prescriptions imposées par l’article 19 du règlement no 1/2003 et l’article 3 du règlement (CE) no 773/2004 de la Commission, du 7 avril 2004, relatif aux procédures mises en œuvre par la Commission en application des articles [101] et [102 TFUE] (JO 2004, L 123, p. 18), telles qu’interprétées par l’arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C‑413/14 P, EU:C:2017:632), et
n’avait donc pas l’obligation d’enregistrer les entretiens avec les fournisseurs ayant donné lieu aux comptes rendus selon les modalités fixées par ces dispositions (voir point 169, premier tiret, ci-dessus).
190 Il y a lieu de rappeler que, en vertu de l’article 19, paragraphe 1, du règlement no 1/2003, relevant du chapitre V dudit règlement, intitulé « Pouvoirs d’enquête », « [p]our l’accomplissement des tâches qui lui sont assignées par le présent règlement, la Commission peut interroger toute personne physique ou morale qui accepte d’être interrogée aux fins de la collecte d’informations relatives à l’objet d’une enquête ».
191 L’article 3 du règlement no 773/2004 précise :
« 1. Lorsque la Commission interroge une personne avec son consentement, conformément à l’article 19 du règlement (CE) no 1/2003, elle indique, au début de l’entretien, sur quelle base juridique celui-ci est fondé ainsi que son objectif, et elle en rappelle le caractère volontaire. Elle informe aussi la personne interrogée de son intention d’enregistrer l’entretien.
2. L’entretien peut être réalisé par tout moyen de communication, y compris par téléphone ou par voie électronique.
3. La Commission peut enregistrer sous toute forme les déclarations faites par les personnes interrogées. Une copie de tout enregistrement est mise à la disposition de la personne interrogée pour approbation. La Commission fixe, au besoin, un délai dans lequel la personne interrogée peut communiquer toute correction à apporter à la déclaration. »
192 Il ressort certes de ces dispositions et de l’arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C‑413/14 P, EU:C:2017:632, points 84 à 91), qu’il pèse sur la Commission une obligation d’enregistrer, sous la forme de son choix, tout entretien mené par elle, au titre de l’article 19 du règlement no 1/2003, aux fins de collecter des informations relatives à l’objet d’une enquête de sa part, sans qu’il y ait lieu de distinguer entre des entretiens formels et des entretiens informels qui échapperaient à
cette obligation.
193 Toutefois, il doit être relevé que cette obligation ne s’impose pas s’agissant d’entretiens menés avant l’ouverture d’une enquête par la Commission, laquelle peut notamment être marquée par l’adoption d’une décision d’inspection.
194 En effet, ainsi qu’il ressort des termes mêmes de l’article 19 du règlement no 1/2003, les entretiens concernés sont ceux visant la « collecte d’informations relatives à l’objet d’une enquête », qui par définition doit avoir été ouverte et dont l’objet doit avoir été fixé avant que ne soient menés lesdits entretiens (voir également, en ce sens, le manuel de la procédure en matière de politique de la concurrence de la direction générale « Concurrence » de la Commission, chapitre 8, paragraphes 4,
5 et 22).
195 De même, dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 6 septembre 2017, Intel/Commission (C‑413/14 P, EU:C:2017:632), l’entretien à propos duquel la Cour a estimé que s’appliquait l’obligation d’enregistrement, au titre de l’article 19 du règlement no 1/2003 et de l’article 3 du règlement no 773/2004, avait eu lieu après l’ouverture d’une enquête marquée par l’adoption de décisions d’inspection (arrêt du 12 juin 2014, Intel/Commission, T‑286/09, EU:T:2014:547, points 4 à 6). Il ne saurait,
partant, en être déduit que cette obligation d’enregistrement s’impose également à des entretiens préalables à l’ouverture d’une enquête.
196 Cette limitation de l’obligation d’enregistrement aux entretiens intervenant dans le cadre d’une enquête ressort également des conclusions de l’avocat général Wahl dans l’affaire Intel Corporation/Commission (C‑413/14 P, EU:C:2016:788, points 232 et 233). L’avocat général Wahl a estimé qu’il ne résultait pas de la prescription par les dispositions combinées de l’article 19 du règlement no 1/2003 et de l’article 3 du règlement no 773/2004 de l’enregistrement des renseignements collectés lors
d’entretiens portant sur l’objet d’une enquête que la Commission n’était jamais en mesure de nouer des contacts informels avec des tiers. Il s’est fondé, à cet égard, sur le libellé clair de l’article 19 du règlement no 1/2003 lui-même pour considérer que seuls les propos se rapportant à l’objet d’une enquête relevaient du champ d’application de cette disposition et que la Commission n’était tenue d’aucune obligation d’enregistrer les propos qu’elle échangeait avec les tiers lorsqu’ils ne
concernaient pas l’objet d’une enquête donnée.
197 S’il en était autrement, il serait gravement porté atteinte à la détection des pratiques infractionnelles par la Commission et à la mise en œuvre de ses pouvoirs d’enquête à cet effet. La Commission a ainsi souligné, lors de l’audience, les potentiels effets dissuasifs que peut avoir un interrogatoire formel, tel que prévu par l’article 3 du règlement no 773/2004, sur la propension de témoins à fournir des informations et à dénoncer des infractions, étant précisé que de telles informations
représentent une part importante des indices à l’origine de l’adoption de mesures d’enquête, telles que des inspections.
198 Or, en l’espèce, les entretiens avec les fournisseurs se sont tenus avant l’ouverture d’une enquête au titre du règlement no 1/2003. Eu égard au questionnaire sur la base duquel ils ont été menés, interrogeant les fournisseurs sur leurs rapports avec les alliances de distributeurs et, de manière totalement ouverte, sur leur connaissance de possibles impacts de ces alliances sur la concurrence, il ne saurait, en effet, être considéré que ces entretiens impliquaient, à l’égard des requérantes et a
fortiori à l’égard des fournisseurs, un quelconque reproche d’avoir commis une infraction. L’annexe Q.12 de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019, citée par les requérantes lors de l’audience, le confirme au demeurant, dès lors qu’elle mentionne l’ouverture éventuelle d’une « enquête formelle » à la suite des entretiens et l’usage des moyens d’enquête prévus à cet effet par la législation de l’Union, c’est-à-dire, en l’occurrence, l’adoption d’une décision d’inspection marquant
l’ouverture en l’espèce de cette enquête. Il s’ensuit que les indices issus de ces entretiens ne sauraient être écartés comme entachés d’une irrégularité formelle au motif du non-respect de l’obligation d’enregistrement prévue par l’article 19 du règlement no 1/2003 et l’article 3 du règlement no 773/2004. Il n’y a, dès lors, pas lieu de se prononcer sur l’allégation de la Commission selon laquelle les comptes rendus constitueraient des enregistrements conformes à ces dispositions.
199 Il en résulte par ailleurs que ne peut prospérer l’argument avancé par les requérantes selon lequel la Commission ne détenait pas, à la date d’adoption de la décision attaquée, les indices issus de ses entretiens avec les treize fournisseurs, faute d’avoir établi la date des comptes rendus desdits entretiens.
200 En effet, ainsi qu’il ressort de ce qui précède et que le souligne pertinemment la Commission, la date pertinente à prendre en compte pour la détermination de la détention d’indices à la date de la décision attaquée est celle des entretiens avec les fournisseurs qui ont fait l’objet des comptes rendus. C’est à cette date que les informations retranscrites par la suite dans les comptes rendus ont été communiquées à la Commission et que cette dernière pouvait être considérée comme les détenant.
Les comptes rendus rédigés par la suite, même s’ils permettent de déterminer la teneur des entretiens avec les fournisseurs et doivent être pris en compte à ce titre, ne sont pas les documents permettant d’établir la date à laquelle la Commission détenait les indices résultant des entretiens. En d’autres termes, les entretiens avec les fournisseurs ne sont pas devenus des « indices » à la disposition de la Commission à partir du moment où ils ont fait l’objet de comptes rendus par la Commission,
mais étaient des « indices » à la disposition de la Commission dès la date où ils ont eu lieu.
201 À cet égard, il est pertinent de rappeler ici, à l’instar de la Commission, la jurisprudence certes rendue dans le contexte spécifique des procédures de clémence, mais dont la portée dépasse ce contexte, compte tenu du caractère général du concept interprété, celui de la « possession » d’éléments de preuve, et de l’interprétation logique, raisonnable et d’effet utile qui en a été retenue. Selon cette jurisprudence, en effet, la possession par la Commission d’un élément de preuve équivaut à la
connaissance de son contenu [arrêts du 9 juin 2016, Repsol Lubricantes y Especialidades e.a./Commission, C‑617/13 P, EU:C:2016:416, point 72, et du 23 mai 2019, Recylex e.a./Commission, T‑222/17, sous pourvoi, EU:T:2019:356, point 87 (non publié) ; voir également, en ce sens, arrêt du 27 novembre 2014, Alstom Grid/Commission, T‑521/09, EU:T:2014:1000, points 77 à 83]. Ainsi, en l’espèce et par analogie, les entretiens de la Commission avec les treize fournisseurs peuvent être considérés comme
impliquant la connaissance des informations communiquées lors de ces entretiens et la détention des informations en cause à la date desdits entretiens.
202 S’il en était autrement, cela reviendrait à considérer que les indices pouvant justifier des inspections ne pourraient revêtir uniquement une forme orale, alors qu’une obligation de transcription formelle non seulement n’est pas requise à ce stade par les dispositions pertinentes (voir points 193 à 198 ci-dessus), mais au surplus pourrait compromettre l’efficacité des enquêtes de la Commission en obligeant cette dernière à avoir recours à la procédure d’enregistrement prévue par l’article 3 du
règlement no 773/2004 (information préalable, mise en place d’un procédé d’enregistrement, mise à disposition d’une copie de l’enregistrement pour approbation, fixation d’un délai d’approbation) et ainsi à retarder la date de l’inspection, alors qu’il est primordial d’adopter rapidement les décisions d’inspection après la communication d’informations sur de potentielles infractions pour minimiser les risques de fuite et de dissimulation de preuves (voir, en ce sens, conclusions de l’avocat
général Wahl dans l’affaire Deutsche Bahn e.a./Commission, C‑583/13 P, EU:C:2015:92, points 61 et 62).
203 Il peut, dès lors, être conclu que la Commission s’est valablement fondée sur les dates de ses entretiens avec les treize fournisseurs pour établir qu’elle détenait les indices issus de ces entretiens à la date de la décision attaquée.
204 En outre, contrairement à ce que prétendent les requérantes, les éléments de preuve produits par la Commission en annexe à sa réponse du 5 juin 2019 (annexes R.1 à R.13) établissent effectivement que ses entretiens avec treize fournisseurs ont eu lieu avant le 9 février 2017, date de l’adoption de la décision attaquée.
205 Tout d’abord, ces annexes attestent de prises de rendez-vous par courriers électroniques pour des entretiens à des dates antérieures au 9 février 2017, comprises entre le 4 octobre 2016 et le 8 février 2017.
206 Est indifférente la circonstance que, pour deux des fournisseurs interrogés, le dernier échange avec la Commission ait eu lieu la veille de l’adoption de la décision attaquée. En effet, la date pertinente est celle des échanges qui, dans la mesure où ils sont intervenus le 8 février 2017, restent antérieurs à la date d’adoption de la décision attaquée, intervenue le 9 février 2017.
207 En tout état de cause, même si devait être prise en compte la date d’établissement des comptes rendus, il ne peut être déduit de la date de ce dernier échange, comme le font les requérantes, que la Commission a nécessairement rédigé l’ensemble des comptes rendus après le 9 février 2017. D’une part, seuls deux fournisseurs, et ainsi deux comptes rendus sur treize, sont concernés. D’autre part, la Commission a indiqué avoir rédigé les comptes rendus en vue de satisfaire à ce qu’elle estimait être
une obligation d’enregistrement des déclarations des fournisseurs en vertu de l’article 3 du règlement no 773/2004 (voir point 198 ci-dessus), ce qui conforte son allégation selon laquelle lesdits comptes rendus ont été rédigés au fur et à mesure des échanges, soit dès le début de ces échanges, datant majoritairement de la fin de l’année 2016. Les deux comptes rendus en cause étaient ainsi rédigés, à tout le moins en partie, à la date de la décision attaquée et pouvaient raisonnablement être
considérés comme comportant à cette date l’essentiel des données figurant dans leur version finalisée, dès lors qu’il ressort de ces comptes rendus que le dernier échange, du 8 février 2017, faisait suite à d’autres et visait à obtenir quelques dernières précisions. Il importe de rappeler, à cet égard, l’impératif de célérité qui guide l’adoption des décisions d’inspection pour minimiser les risques de fuite à la suite de dénonciations (voir point 202 ci-dessus).
208 Il peut également être ajouté que, même si devaient être prises en compte l’allégation et les pièces justificatives fournies par la Commission, dans sa réponse complémentaire du 19 décembre 2019, en vue d’établir que les comptes rendus auraient été finalisés – et non établis – entre la date du dernier entretien et le 21 février 2017, cette finalisation postérieure à la date de la décision attaquée ne permettrait pas de remettre en cause les considérations qui précèdent. En effet, il peut être
déduit de la note interne de la Commission du 16 décembre 2016, jointe en annexe à cette réponse complémentaire, comprenant une synthèse très détaillée des informations recueillies au cours des entretiens, que celle-ci avait, dès cette date, établi des comptes rendus déjà très aboutis, quoique non finalisés.
209 Ensuite, les éléments de preuve produits en l’espèce pour établir la date à laquelle les entretiens ont été fixés suffisent à démontrer que les entretiens en cause ont effectivement eu lieu avec les treize fournisseurs aux dates fixées. À cet égard, il ne peut être souscrit à l’allégation des requérantes, au demeurant aucunement étayée, selon laquelle ces éléments de preuve ne permettraient pas même de démontrer que les agents de la Commission avaient communiqué avec des personnes extérieures à
la Commission. En effet, cette allégation est clairement contredite par les dates indiquées dans les agendas électroniques des agents concernés de la Commission (reproduits dans les parties finales des annexes R.1 à R.13 de la réponse de la Commission du 5 juin 2019) qui correspondent aux dates indiquées dans les courriers électroniques visant à fixer ces dates échangés entre la Commission et des interlocuteurs extérieurs (reproduits dans les parties initiales des annexes R.1 à R.13),
interlocuteurs dont la qualité de fournisseur découle clairement du questionnaire joint en annexe à ces courriers, intitulé « Questions sur les alliances d’achats entre détaillants aux fournisseurs de produits approvisionnant les détaillants ».
210 Enfin et pour les mêmes motifs, en particulier les liens évidents entre le questionnaire susvisé et les éléments repris dans les comptes rendus, il peut être considéré, contrairement à ce que prétendent les requérantes, que les échanges fixés dans les courriers électroniques sont bien ceux ayant donné lieu aux comptes rendus. En effet, les comptes rendus suivent tous un plan contenant en substance les mêmes subdivisions (notamment alliances avec lesquelles le fournisseur a conclu des accords et
contreparties, échanges d’informations, transferts de personnel), qui atteste que sont reprises à tout le moins une partie des réponses au questionnaire (essentiellement partie I, comprenant les questions 1 à 10, et partie III du questionnaire, regroupant les questions 15 à 18).
211 Il résulte ainsi de tout ce qui précède que la Commission disposait à la date de la décision attaquée des indices synthétisés au sein des comptes rendus et que ces derniers peuvent être pris en compte dans l’analyse de la détention par la Commission d’indices suffisamment sérieux, sans qu’il y ait lieu de déterminer précisément les dates de création et de finalisation des comptes rendus.
212 Il s’ensuit que doivent être écartées l’ensemble des critiques formelles mettant en cause les indices présentés par la Commission.
ii) Sur les auteurs des indices ayant justifié la décision attaquée
213 Il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante relative à l’appréciation des preuves d’une infraction, le seul critère pertinent pour apprécier ces preuves réside dans leur crédibilité, étant précisé que la crédibilité et, partant, la valeur probante d’un document dépendent de son origine, des circonstances de son élaboration, de son destinataire et du caractère sensé et fiable de son contenu et qu’il convient, notamment, d’accorder une grande importance à la circonstance qu’un
document a été établi en liaison immédiate avec les faits ou par un témoin direct de ces faits (voir arrêts du 27 juin 2012, Coats Holdings/Commission, T‑439/07, EU:T:2012:320, point 45 et jurisprudence citée, et du 8 septembre 2016, Goldfish e.a./Commission, T‑54/14, EU:T:2016:455, point 95 et jurisprudence citée).
214 L’application de ces critères d’appréciation des preuves d’une infraction aux indices justifiant une inspection ne saurait conduire à exclure le caractère d’indice suffisamment sérieux de l’ensemble des indices n’émanant pas directement des entreprises inspectées. Cela ferait obstacle à ce que des déclarations ou des documents émanant de tiers soient qualifiés d’indices suffisamment sérieux et, ce faisant, priverait la Commission de l’essentiel de ses possibilités de mener des inspections.
215 En effet, si les preuves des infractions sont le plus souvent des preuves directes émanant des entreprises auteures de ces infractions, les indices permettant de suspecter des infractions émanent en général de tiers aux infractions, qu’il s’agisse d’entreprises concurrentes ou victimes des agissements infractionnels ou d’entités publiques ou privées sans aucun lien avec ces agissements, tels que des experts ou des autorités de concurrence.
216 Ainsi, en l’espèce, contrairement à ce prétendent les requérantes, la circonstance que les comptes rendus ont été établis par la Commission qui décidera de leurs éventuelles poursuite et sanction ne suffit pas en tant que telle à ce que leur soit déniée toute valeur probante dans l’appréciation de la détention par la Commission d’indices suffisamment sérieux.
217 En effet, il importe de rappeler que les comptes rendus visent à matérialiser et ainsi à établir les informations communiquées par les fournisseurs à la Commission (voir point 200 ci-dessus). Or, ces informations, qui seules constituent les indices proprement dits ayant fondé la décision attaquée, n’émanent pas de la Commission, mais des fournisseurs ayant des relations commerciales directes avec les requérantes. Il importe de souligner, à cet égard, que les fournisseurs ont des relations
commerciales avec les requérantes et peuvent ainsi pâtir directement du comportement infractionnel suspecté de ces dernières. Ils peuvent donc avoir un intérêt à voir sanctionner les requérantes. Toutefois, en raison précisément des relations commerciales qu’ils entretiennent avec les requérantes, ils ont, à la différence de simples concurrents des auteurs d’infraction, une connaissance directe des effets le cas échéant attribuables à cet éventuel comportement infractionnel. Dans cette mesure,
la prudence requise par la jurisprudence quant à l’interprétation des dénonciations d’entreprises à l’égard d’autres entreprises lorsque les premières ont un intérêt à voir sanctionner les secondes (voir, en ce sens, arrêt du 12 juillet 2011, Mitsubishi Electric/Commission, T‑133/07, EU:T:2011:345, point 88) ne saurait pleinement trouver à s’appliquer aux déclarations des fournisseurs, en particulier lorsque, comme en l’espèce, ces derniers font état de données factuelles précises issues des
relations commerciales qu’ils entretiennent avec les auteurs présumés de l’infraction.
218 S’agissant, en outre, de la valeur probante des comptes rendus établis par la Commission, il doit être relevé qu’elle n’est pas remise en cause par le seul argument avancé par les requérantes pour la contester, tiré de la présentation standardisée de certains passages des comptes rendus, laquelle attesterait que la Commission n’aurait pas repris fidèlement les déclarations des différents fournisseurs. Ainsi que le font valoir les requérantes, le passage concernant la date et les participants à
la convention Intermarché ainsi que la conséquence de cette participation, à savoir la connaissance par les participants de certains objectifs commerciaux d’Intermarché, sont certes identiques dans quatre comptes rendus (annexes Q.4, Q.5, Q.7 et Q.8 de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019). Toutefois, une telle identité, en ce qu’elle caractérise uniquement quatre comptes rendus sur les treize communiqués et qu’elle porte sur des données susceptibles d’avoir été communiquées en réponse
au questionnaire et d’être décrites de la même manière, ne permet pas de déduire une déformation des déclarations recueillies. Il en est d’autant plus ainsi que le passage identique en cause est complété dans chacun des quatre comptes rendus par des données différentes relatives à la convention Intermarché.
219 Il importe également de rappeler, à cet égard, que la Commission est, en vertu des traités, l’institution chargée d’assurer le respect, en toute impartialité, du droit de la concurrence de l’Union et que le cumul par la Commission des fonctions d’instruction et de sanction des infractions aux règles de concurrence ne constitue pas en soi une violation de l’exigence d’impartialité (voir, en ce sens, arrêt du 27 juin 2012, Bolloré/Commission, T‑372/10, EU:T:2012:325, point 66 et jurisprudence
citée). Il ne saurait, partant, être présupposé, sans preuve ni même commencement de preuve à l’appui, que la Commission instruit le présent dossier à charge en déformant les propos des fournisseurs pour obtenir des indices du caractère infractionnel des pratiques des distributeurs.
220 Il résulte de ce qui précède que l’ensemble des arguments déduisant de la qualité des auteurs des indices communiqués que la Commission ne disposait pas d’indices suffisamment sérieux pour mener l’inspection litigieuse doivent être écartés.
iii) Sur la teneur des indices ayant justifié la décision attaquée
221 Il résulte de la distinction entre preuves d’une infraction et indices qui fondent une décision d’inspection que ces derniers ne doivent pas démontrer l’existence et le contenu d’une infraction ainsi que ses parties prenantes, sauf à priver de toute utilité les pouvoirs conférés à la Commission par l’article 20 du règlement no 1/2003 (voir, en ce sens et par analogie, arrêt du 14 mars 2014, Cementos Portland Valderrivas/Commission, T‑296/11, EU:T:2014:121, point 59).
222 Partant, la circonstance que les éléments retenus puissent faire l’objet d’interprétations divergentes ne saurait empêcher qu’ils constituent des indices suffisamment sérieux, dès lors que l’interprétation privilégiée par la Commission apparaît plausible (voir, par analogie, pour une décision de demande de renseignements, arrêt du 14 mars 2014, Cementos Portland Valderrivas/Commission, T‑296/11, EU:T:2014:121, point 59). Dans l’appréciation de ce caractère plausible, il convient de garder à
l’esprit que le pouvoir d’inspection de la Commission implique la faculté de rechercher des éléments d’informations divers qui ne sont pas encore connus ou pleinement identifiés (voir arrêt du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission, T‑135/09, EU:T:2012:596, point 62 et jurisprudence citée).
223 Il importe également de rappeler que les différents indices permettant de suspecter une infraction doivent être appréciés non isolément, mais dans leur ensemble, et qu’ils peuvent se renforcer mutuellement (voir arrêts du 27 novembre 2014, Alstom Grid/Commission, T‑521/09, EU:T:2014:1000, point 54 et jurisprudence citée, et du 29 février 2016, EGL e.a./Commission, T‑251/12, non publié, EU:T:2016:114, point 150 et jurisprudence citée).
224 En particulier, s’agissant des infractions suspectées en l’espèce, à savoir des pratiques concertées (voir notamment considérant 6 de la décision attaquée), il est de jurisprudence constante que, comme cela ressort des termes mêmes de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, la notion de pratique concertée implique, outre la concertation entre les entreprises, un comportement sur le marché faisant suite à cette concertation et un lien de cause à effet entre ces deux éléments (arrêts du 8 juillet
1999,Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, EU:C:1999:356, point 118, et du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, EU:T:2000:77, point 1865). La réunion de trois éléments constitutifs est donc requise.
225 Quant à la preuve de ces trois éléments constitutifs, il y a lieu de rappeler que le concept de « pratique concertée » a été introduit dans les traités aux fins de permettre l’application du droit de la concurrence à des collusions ne prenant pas la forme d’un accord formel de volontés et, par là même, plus difficiles à identifier et à établir. Ainsi que le juge de l’Union l’a souligné à maintes reprises, si l’article 101 TFUE distingue la notion de « pratique concertée » de celle d’« accord
entre entreprises », c’est dans le dessein d’appréhender sous les interdictions de cet article une forme de coordination entre entreprises qui, sans avoir été poussée jusqu’à la réalisation d’une convention proprement dite et ainsi sans réunir tous les éléments d’un accord, substitue sciemment une coopération pratique entre elles aux risques de la concurrence (arrêts du 14 juillet 1972, Imperial Chemical Industries/Commission, 48/69, EU:C:1972:70, point 64, et du 5 avril 2006,
Degussa/Commission, T‑279/02, EU:T:2006:103, point 132).
226 De même et plus généralement, il doit être rappelé que l’interdiction de participer à des pratiques et à des accords anticoncurrentiels ainsi que les sanctions que les contrevenants peuvent encourir sont notoires. Il est donc usuel que les activités que ces pratiques et ces accords comportent se déroulent de manière clandestine, que les réunions se tiennent secrètement et que la documentation y afférente soit réduite au minimum. Même si la Commission découvre des pièces attestant de manière
explicite une prise de contact illégitime entre des opérateurs, celles-ci ne seront normalement que fragmentaires et éparses, de sorte qu’il se révèle souvent nécessaire de reconstituer certains détails par des déductions. Dans la plupart des cas, l’existence d’une pratique ou d’un accord anticoncurrentiel doit être inférée d’un certain nombre de coïncidences qui, considérées ensemble, peuvent constituer, en l’absence d’une autre explication cohérente, la preuve d’une violation des règles de la
concurrence (arrêts du 7 janvier 2004, Aalborg Portland e.a./Commission, C‑204/00 P, C‑205/00 P, C‑211/00 P, C‑213/00 P, C‑217/00 P et C‑219/00 P, EU:C:2004:6, points 55 à 57, et du 25 janvier 2007, Sumitomo Metal Industries et Nippon Steel/Commission, C‑403/04 P et C‑405/04 P, EU:C:2007:52, point 51 ; voir également, en ce sens, arrêt du 27 juin 2012, Coats Holdings/Commission, T‑439/07, EU:T:2012:320, point 42).
227 Il s’ensuit que le juge de l’Union a admis, dans certaines hypothèses, que la charge de la preuve des trois éléments constitutifs d’une pratique concertée soit allégée pour la Commission.
228 Ainsi, un parallélisme de comportements sur le marché peut, à certaines conditions, être considéré comme apportant la preuve de l’existence d’une concertation, en l’occurrence si la concertation en constitue la seule explication plausible (arrêts du 31 mars 1993, Ahlström Osakeyhtiö e.a./Commission, C‑89/85, C‑104/85, C‑114/85, C‑116/85, C‑117/85 et C‑125/85 à C‑129/85, EU:C:1993:120, point 71, et du 8 juillet 2008, BPB/Commission, T‑53/03, EU:T:2008:254, point 143).
229 De même, il y a lieu de présumer, sauf preuve contraire qu’il incombe aux parties intéressées de rapporter, que les entreprises participant à la concertation et qui demeurent actives sur le marché tiennent compte des informations échangées avec leurs concurrents pour déterminer leur comportement sur ce marché (arrêts du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C‑49/92 P, EU:C:1999:356, point 121, et du 8 octobre 2008, Schunk et Schunk Kohlenstoff-Technik/Commission, T‑69/04,
EU:T:2008:415, point 118). En d’autres termes, la preuve de la réunion des deux premiers éléments constitutifs d’une pratique concertée permet, dans certains cas, de présumer son troisième élément constitutif.
230 Ce régime probatoire spécifique des pratiques concertées n’est pas sans conséquences sur les conditions requises pour considérer que sont réunis des indices suffisamment sérieux permettant de suspecter l’existence de telles pratiques. En particulier, compte tenu de la nécessaire distinction entre preuves d’une pratique concertée et indices justifiant des inspections aux fins du recueil de telles preuves, le seuil de reconnaissance de la détention par la Commission d’indices suffisamment sérieux
doit nécessairement se situer en deçà de celui permettant de constater l’existence d’une pratique concertée.
231 C’est ainsi à la lumière de ces considérations qu’il convient de répondre aux arguments que les requérantes fondent sur la teneur des informations à la disposition de la Commission pour en déduire que celle-ci ne détenait pas d’indices suffisamment sérieux pour adopter la décision attaquée.
– Sur l’absence d’indices suffisamment sérieux relatifs à la suspicion de la première infraction
232 Il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, que la première infraction est caractérisée comme suit à l’article 1er, sous a), de la décision attaquée :
« […] des échanges d’informations, depuis 2015, entre des entreprises et/ou des associations d’entreprises, notamment ICDC […], et/ou ses membres, notamment Casino et AgeCore et/ou ses membres, notamment Intermarché, concernant les rabais obtenus par eux sur les marchés de l’approvisionnement en biens de consommation courante dans les secteurs des produits alimentaires, produits d’hygiène et produits d’entretien et les prix sur le marché de vente de services aux fabricants de produits de marque
dans les secteurs des produits alimentaires, produits d’hygiène et produits d’entretien, dans plusieurs États membres de l’Union européenne, notamment la France […] »
233 Les requérantes n’ont contesté, sur le fond, la détention d’indices suffisamment sérieux relatifs à la première infraction ni dans leurs mémoires ni dans leurs réponses aux questions du Tribunal leur demandant de prendre position sur les indices produits par la Commission. Elles ont fait valoir, pour la première fois lors de l’audience, deux griefs non invoqués précédemment. Premièrement, la fusion du marché de la vente de services et du marché de l’approvisionnement dans le tableau 1 annexé à
la réponse de la Commission du 5 juin 2019, alors que ces deux marchés étaient visés distinctement dans l’article 1er, sous a), de la décision attaquée, attesterait, en vertu de la jurisprudence issue de l’arrêt du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission (T‑135/09, EU:T:2012:596), que la Commission ne détenait pas d’indices suffisamment sérieux relatifs à la première infraction. Deuxièmement, l’ouverture de la procédure formelle à l’égard uniquement de certains aspects de la
deuxième infraction attesterait que la Commission ne disposait pas d’indices suffisamment sérieux relatifs à la première infraction.
234 Quant au premier grief avancé par les requérantes lors de l’audience, il doit être écarté comme irrecevable, car soulevé tardivement. En effet, contrairement à ce que prévoit l’article 84, paragraphe 2, du règlement de procédure, les requérantes n’ont pas formulé le premier grief dès qu’elles ont eu connaissance du tableau 1 annexé à la réponse de la Commission du 5 juin 2019, dès lors que, en dépit de la demande du Tribunal de prendre position avant le 4 juillet 2019 sur ladite réponse, elles
n’ont soulevé le premier grief que lors de l’audience du 29 janvier 2020.
235 Il peut être ajouté, en tout état de cause, que ce premier grief ne saurait prospérer au fond. Il ressort certes du tableau 1 annexé à la réponse de la Commission du 5 juin 2019 que celle-ci n’a pas distingué entre le marché de l’approvisionnement en biens de consommation courante et le marché de la vente de services aux fabricants pourtant mentionnés distinctement dans la décision attaquée, en expliquant dans ce tableau que les « rabais [sur le marché de l’approvisionnement] peuvent aussi être
considérés comme des prix de vente de services aux fabricants de produits de marque dans les secteurs des produits alimentaires, produits d’hygiène et produits d’entretien ». Toutefois, cette mention signifie simplement que, conformément à la jurisprudence et en particulier à l’arrêt du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission (T‑135/09, EU:T:2012:596, point 62), la Commission n’a, à ce stade, pas encore déterminé quelle forme prenait le montant bénéficiant aux distributeurs au
détriment des fournisseurs et sur lequel elle soupçonnait les distributeurs de s’accorder, ce qu’elle admet d’ailleurs en précisant, dans sa réponse du 5 juin 2019, qu’elle utilise, dans les annexes jointes, uniquement le terme « rabais », « sans préjuger si une enquête approfondie conclurait qu’il s’agit de rabais sur les marchés de l’approvisionnement ou de prix de vente de services aux fabricants ». Il convient, en effet, de rappeler que, selon ledit arrêt, le pouvoir d’inspection de la
Commission implique la faculté de rechercher des éléments d’informations divers qui ne sont pas encore connus ou pleinement identifiés (voir également point 222 ci-dessus).
236 En revanche, contrairement à ce que prétendent les requérantes, il ne peut être déduit de l’arrêt du 14 novembre 2012, Nexans France et Nexans/Commission (T‑135/09, EU:T:2012:596, points 60 à 94), que la Commission serait tenue, dans le cas d’indices d’un avantage en termes de prix en faveur des entreprises inspectées, de spécifier ces indices en distinguant selon les deux marchés concernés par cet avantage, et ce d’autant qu’il ressort d’une jurisprudence constante relative à l’obligation de
motivation que la Commission n’a pas à délimiter précisément le marché en cause (voir point 112 ci-dessus). En effet, dans cet arrêt, le Tribunal ne faisait pas le reproche à la Commission d’une distinction insuffisante des deux marchés potentiellement concernés par les indices détenus, mais lui reprochait un champ d’inspection dépassant le cadre du seul marché pour lequel elle détenait des indices. Or, en l’espèce, les requérantes ne fournissent aucun élément dans le sens d’un tel dépassement,
dans la mesure où, contrairement à ce qu’elles ont affirmé lors de l’audience, les déclarations des fournisseurs ne visent pas uniquement ICDC, qui interviendrait sur le seul marché de la vente de services aux fabricants (voir point 248 ci-après).
237 Quant au second grief avancé par les requérantes lors de l’audience, il peut être considéré comme recevable en vertu de l’article 84, paragraphe 2, du règlement de procédure, dans la mesure où il est fondé sur la décision d’ouverture de la procédure formelle, adoptée le 4 novembre 2019 par la Commission, soit postérieurement au délai de réponse susvisé du 4 juillet 2019 et à l’ouverture de la phase orale de la procédure dans la présente affaire, et où il a été présenté au cours de cette phase
orale. Ce grief doit néanmoins être écarté comme non fondé.
238 En effet, indépendamment même du fait que la décision d’ouverture de la procédure formelle est postérieure à la décision attaquée et qu’elle est ce faisant inapte à remettre en cause sa légalité, il ne saurait être déduit de la portée de cette décision que la Commission ne détenait pas d’indices suffisamment sérieux relatifs à la première infraction.
239 Il résulte certes de la décision C(2019) 7997, du 4 novembre 2019, portant ouverture de la procédure dans l’affaire AT.40466 s’agissant de soupçons d’infraction autres que ceux relatifs à la première infraction, que la Commission n’a pas estimé disposer d’éléments suffisants pour ouvrir la procédure à propos de cette infraction. Cependant, par leur nature même, les indices justifiant une inspection permettent uniquement de soupçonner une infraction, laquelle pourrait finalement ne pas être
établie, ce qui explique au demeurant que toutes les inspections ne soient pas suivies d’une décision ouvrant la procédure, ni a fortiori d’une décision constatant une infraction. Ainsi, l’existence d’indices d’infraction n’implique pas nécessairement l’existence de preuves de l’infraction soupçonnée, ni davantage celle d’éléments suffisants pour ouvrir la procédure. Il ne peut, dès lors, être déduit de la circonstance que l’inspection litigieuse n’ait pas permis de recueillir de tels éléments
que la Commission ne disposait pas d’indices suffisamment sérieux avant l’inspection.
240 Il y a lieu d’ajouter que la Commission a communiqué au Tribunal un certain nombre d’indices, qu’elle détenait lors de l’adoption de la décision attaquée, relatifs à un parallélisme de comportements entre ICDC (Casino) et AgeCore (Intermarché), caractérisé en l’occurrence par la concomitance et la convergence de leurs demandes de rabais aux fournisseurs.
241 Or, les informations en cause constituent des indices suffisamment sérieux de l’existence d’une telle concomitance et convergence.
242 En effet, parmi les treize fournisseurs interrogés, dont dix affirment entretenir des relations commerciales avec à la fois ICDC et AgeCore, huit ont fait état de manière circonstanciée de demandes de rabais identiques de la part d’ICDC (Casino) et d’AgeCore (Intermarché) (à savoir les entreprises A, B, C, D, E, G, H et J ; annexes Q.1 à Q.5, Q.7, Q.8 et Q.10 de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019), l’un mentionne l’alignement d’AgeCore sur ses concurrents sans les désigner nommément
(entreprise I ; annexe Q.9) et deux fournisseurs évoquent de manière générale avoir fait face à des demandes de rabais similaires émanant d’alliances de distributeurs différentes (entreprises L et M ; annexes Q.12 et Q.13).
243 Au surplus, la Commission ne s’est pas contentée de communiquer des indices relatifs à ce premier élément constitutif d’une pratique concertée qu’est le parallélisme de comportements sur le marché, lequel peut d’ailleurs, sous certaines conditions, permettre de présumer la présence du deuxième élément constitutif d’une pratique concertée qu’est la concertation (voir point 228 ci-dessus). Elle a indiqué avoir aussi eu à sa disposition des indices relatifs à l’existence d’une telle concertation,
consistant en l’occurrence en des échanges d’informations, lesquels peuvent également être considérés, pris ensemble, comme étant suffisamment sérieux.
244 Il est vrai que les fournisseurs évoquant explicitement des échanges entre les distributeurs sur les rabais sont certes moins nombreux et leurs déclarations à ce propos sont le plus souvent vagues et spéculatives. Trois fournisseurs mentionnent explicitement un partage ou des échanges d’informations (à savoir les entreprises C, E et H ; annexes Q.3, Q.5 et Q.8 de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019) et plusieurs autres font état de la connaissance par une alliance des rabais obtenus
par les autres (notamment les entreprises B, D, G et I ; annexes Q.2, Q.4, Q.7 et Q.9). Est par ailleurs évoquée par l’un des fournisseurs une explication possible des demandes de rabais concomitantes, que serait le bluff dont feraient preuve les distributeurs lors de leurs négociations pour obtenir des conditions commerciales plus favorables (entreprise L ; annexe Q.12).
245 Néanmoins, tout d’abord, il doit être relevé qu’aucun fournisseur n’indique considérer comme peu probable la circonstance que la concomitance et la convergence des demandes de rabais résultent d’échanges d’informations. Les seuls fournisseurs s’étant exprimés dans un sens autre que celui de l’existence d’échanges d’informations soit sont restés silencieux, soit ont indiqué ne pas disposer d’information relative à des échanges d’informations entre distributeurs (à savoir les entreprises A, F, J,
K et M ; annexes Q.1, Q.6, Q.10, Q.11 et Q.13 de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019), sans explicitement exclure l’existence de tels échanges.
246 Ensuite, il importe de souligner que le fournisseur ayant mentionné l’hypothèse d’un bluff des distributeurs a non seulement nuancé la probabilité de cette hypothèse, en indiquant « croire que l’information invoquée [relative à la connaissance des conditions obtenues par les autres alliances] était pourtant exacte », mais a également précisé ne pas participer aux négociations dépassant le cadre national, principalement en cause dans la première infraction suspectée, ce qui limite la fiabilité de
ses déclarations. Il s’ensuit que les indices dont disposait la Commission ne lui permettaient pas de considérer que les demandes de rabais concomitantes et convergentes s’expliquaient, de manière plausible, par une autre explication qu’une concertation sous-jacente (voir point 228 ci-dessus).
247 Enfin, les déclarations des fournisseurs relatives aux échanges entre distributeurs sur les rabais sont corroborées par des informations mentionnant les canaux par lesquels ces échanges sont susceptibles de passer.
248 Ainsi, plusieurs fournisseurs et le courrier du directeur de l’association N évoquent les mouvements entre alliances de distributeurs, les transferts d’enseignes ainsi que les mouvements de personnel entre distributeurs et entre alliances, en les présentant comme des sources potentielles de connaissance notamment des rabais obtenus par les différents distributeurs (notamment annexe Q.2, page 4, annexe Q.7, page 4 et annexe Q.8, page 5, ainsi qu’annexes Q.14, Q.16 et Q.18 de la réponse de la
Commission du 10 janvier 2019). Ils mentionnent en particulier l’alliance créée en France par Casino et Intermarché, sous la forme de la filiale commune Intermarché Casino Achats (INCA), et font part d’un lien entre cette appartenance à une même alliance à l’échelle nationale et la connaissance par Casino et Intermarché des rabais obtenus par chacune auprès de leurs fournisseurs respectifs (notamment annexe Q.4, page 4, et annexe Q.7, pages 4 et 6).
249 Par la multiplicité des canaux de communication ainsi mis en évidence, les précisions données relatives à ces canaux et la concordance des informations communiquées, alors que leurs auteurs ne disposent pas a priori des mêmes moyens et sources d’information, il peut être considéré que la Commission avait à sa disposition des indices suffisamment sérieux lui permettant de suspecter les échanges litigieux. Il importe, en effet, de rappeler que, si les fournisseurs peuvent être des témoins directs
d’un comportement anticoncurrentiel sur le marché (voir point 217 ci-dessus), ils ne peuvent l’être s’agissant de la concertation sous-jacente et clandestine. Dans ces conditions, la multiplicité, la précision et la concordance des informations communiquées relatives aux échanges d’informations en cause viennent compenser, dans l’appréciation d’ensemble visant à vérifier l’existence d’indices suffisamment sérieux, le caractère souvent spéculatif desdites informations.
250 Par conséquent, compte tenu également de la circonstance que ces indices relatifs aux échanges d’informations suspectés viennent compléter ceux concernant les comportements sur le marché, il y a lieu de considérer que la Commission détenait des indices suffisamment sérieux pour suspecter la première infraction.
– Sur l’absence d’indices suffisamment sérieux relatifs à la suspicion de la deuxième infraction
251 Il y a lieu de rappeler que cette deuxième infraction est décrite comme suit dans l’article 1er, sous b), de la décision attaquée :
« […] des échanges d’informations, depuis au moins 2016, entre Casino et Intermarché concernant leurs stratégies commerciales futures, notamment en termes d’assortiment, de développement de magasins, d’e-commerce et de politique promotionnelle sur les marchés de l’approvisionnement en biens de consommation courante et sur les marchés de vente aux consommateurs de biens de consommation courante, en France. »
252 Il doit être relevé d’emblée, à la suite des requérantes et ainsi que l’admet la Commission, que cette dernière a fondé ses suspicions relatives à la deuxième infraction sur un indice principal, tiré du déroulement de la convention Intermarché.
253 Il ressort du dossier que la convention Intermarché s’est tenue le 21 septembre 2016 au siège d’Intermarché et que la direction d’Intermarché, accompagnée des responsables de ses enseignes, y recevait ses principaux fournisseurs pour présenter ses ambitions et ses priorités commerciales.
254 Il est constant qu’ont participé à cette convention des représentants d’un grand nombre de fournisseurs d’Intermarché, mais aussi des représentants d’INCA, filiale commune d’Intermarché et de Casino, en particulier A, par ailleurs directeur au sein du groupe Casino, ainsi qu’un représentant d’AgeCore, B, dirigeant de cette association d’entreprises. Il est également constant que les thèmes abordés lors de cette convention, présentés par l’équipe de direction d’Intermarché, portaient sur les
objectifs et les axes de développement de l’entreprise en termes de parts de marché, d’accroissement de son parc de magasins, de transformation digitale et d’essor du commerce en ligne, d’innovations destinées à accélérer la mise en rayon des produits nouveaux, d’augmentation de ses points de vente « drive » et de mise en œuvre de nouveaux efforts promotionnels.
255 Les requérantes soutiennent que les informations ainsi présentées ne révèlent aucun échange de données commerciales sensibles et confidentielles permettant de suspecter une concertation entre concurrents, prohibée par l’article 101 TFUE, et en déduisent que la Commission ne disposait pas d’indices suffisamment sérieux pour présumer l’existence de la deuxième infraction.
256 S’agissant, premièrement, de la possibilité de présumer l’existence d’échanges et ainsi d’une concertation à partir d’annonces faites par un seul distributeur, en l’occurrence Intermarché, il y a lieu de rappeler que, en vertu d’une jurisprudence constante, les critères de coordination et de coopération permettant de définir la notion de pratique concertée doivent être compris à la lumière de la conception inhérente aux dispositions du traité relatives à la concurrence et selon laquelle tout
opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique qu’il entend suivre sur le marché intérieur. Si cette exigence d’autonomie n’exclut pas le droit des opérateurs économiques de s’adapter intelligemment au comportement constaté ou annoncé de leurs concurrents, elle s’oppose rigoureusement à toute prise de contact directe ou indirecte entre de tels opérateurs, ayant pour objet ou pour effet soit d’influencer le comportement sur le marché d’un concurrent actuel ou potentiel,
soit de dévoiler à un tel concurrent le comportement qu’il a été décidé de suivre ou qu’il est envisagé d’adopter soi-même sur le marché (arrêts du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a., C‑8/08, EU:C:2009:343, points 32 et 33, et du 24 octobre 1991, Rhône-Poulenc/Commission, T‑1/89, EU:T:1991:56, point 121).
257 Il s’ensuit que le fait que seul un des participants à des réunions entre entreprises concurrentes dévoile ses intentions ne suffit pas à exclure l’existence d’une entente. En effet, selon une jurisprudence également constante, s’il est vrai que la notion de pratique concertée suppose effectivement l’existence de contacts entre concurrents caractérisés par la réciprocité, cette condition est toutefois satisfaite lorsque la divulgation, par un concurrent à un autre, de ses intentions ou de son
comportement futur sur le marché a été sollicitée ou, à tout le moins, reçue par le second. Celui-ci, grâce à la réception d’une telle information, qu’il doit nécessairement prendre en compte, directement ou indirectement, élimine par avance l’incertitude relative au comportement futur du premier, alors que tout opérateur économique doit déterminer de manière autonome la politique commerciale qu’il entend suivre sur le marché. La réception par une entreprise d’informations émanant d’un
concurrent relatives au comportement futur de celui-ci sur le marché constitue, dès lors, une pratique concertée prohibée par l’article 101, paragraphe 1, TFUE (voir, en ce sens, arrêts du 15 mars 2000, Cimenteries CBR e.a./Commission, T‑25/95, T‑26/95, T‑30/95 à T‑32/95, T‑34/95 à T‑39/95, T‑42/95 à T‑46/95, T‑48/95, T‑50/95 à T‑65/95, T‑68/95 à T‑71/95, T‑87/95, T‑88/95, T‑103/95 et T‑104/95, EU:T:2000:77, point 1849 ; du 12 juillet 2001, Tate & Lyle e.a./Commission, T‑202/98, T‑204/98 et
T‑207/98, EU:T:2001:185, point 54, et du 8 juillet 2008, BPB/Commission, T‑53/03, EU:T:2008:254, points 231 à 234).
258 Or, il ne saurait être considéré que la seule présence d’un directeur au sein du groupe concurrent Casino au cours de la présentation par Intermarché de ses priorités commerciales suffise, en l’espèce, à soupçonner une réception des informations communiquées, telle que requise par la jurisprudence pour constater une réciprocité et en déduire l’existence d’une pratique concertée entre Casino et Intermarché.
259 En effet, d’une part, ainsi que l’ont pertinemment souligné les requérantes sans d’ailleurs que la Commission le conteste, A a assisté à la convention Intermarché non en tant que représentant de Casino, mais en qualité de cogérant d’INCA, dont la présence était justifiée par le fait que celle-ci négociait pour le compte d’Intermarché les conditions d’approvisionnement auprès de ses principaux fournisseurs. D’autre part, A était soumis à de strictes obligations de confidentialité à l’égard de
Casino, pas davantage contestées en elles-mêmes, et il ne peut être présumé que de telles obligations ne seraient pas respectées.
260 Or, ce motif de la présence d’A à la convention Intermarché et les obligations qui s’imposent à lui ne permettent pas en tant que tels et sans autre élément à l’appui, non fourni en l’espèce par la Commission, de faire naître une suspicion raisonnable de réception par Casino des informations communiquées par Intermarché, justifiant que soient poursuivies les investigations pour déterminer si Casino avait sollicité ou, à tout le moins, reçu les divulgations d’Intermarché. La Commission se borne,
en effet, à évoquer un seul compte rendu faisant état de discussions entre A et le représentant d’Intermarché au sein d’INCA au cours de la convention (annexe Q.5, pages 7 et 8, de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019), discussions en aparté ne correspondant pas à une réception de déclarations faites en public et dont le contenu n’a pas nécessairement de lien avec la teneur de ces déclarations compte tenu des fonctions exercées par ces deux personnes au sein d’INCA, lesquelles
justifient des échanges entre elles portant sur d’autres sujets. Il importe de relever, à cet égard, que, contrairement à ce que prétend la Commission, en indiquant, en introduction du tableau 2 joint à sa réponse du 5 juin 2019, avoir reçu des informations selon lesquelles INCA pourrait servir de véhicule d’échange des informations relevant de la deuxième infraction, les extraits des comptes rendus repris dans ledit tableau se bornent à mentionner la présence d’A à la convention Intermarché,
sans qu’il puisse en être déduit qu’INCA jouerait un rôle spécifique dans ce cadre.
261 S’agissant, deuxièmement, des données communiquées lors de la convention Intermarché, il convient de rappeler que la qualification infractionnelle d’un échange d’informations dépend notamment de la nature des informations échangées (voir, en ce sens, arrêts du 28 mai 1998, Deere/Commission, C‑7/95 P, EU:C:1998:256, points 88 à 90, et du 23 novembre 2006, Asnef-Equifax et Administración del Estado, C‑238/05, EU:C:2006:734, point 54).
262 En l’espèce, il y a lieu de relever, à la suite des requérantes, que les comptes rendus faisant état de la convention Intermarché (annexes Q.4, Q.5, Q.7, Q.9 et, avec davantage de précisions, annexe Q.8 de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019) indiquent de manière générale les éléments de politique commerciale portant sur l’assortiment, l’e-commerce ou les pratiques promotionnelles, qui ont été évoqués lors de ladite convention. De telles mentions générales figurent également en annexe
au courrier du directeur de l’association N (annexe Q.15). Elles ont, en outre, été reprises dans un article publié dans la presse spécialisée, communiqué par les requérantes.
263 Il ressort effectivement du dossier, et il n’est d’ailleurs pas contesté par la Commission, que la convention Intermarché s’est tenue publiquement, en présence de plus de 400 fournisseurs, mais également de journalistes, et qu’elle a fait l’objet d’un compte rendu détaillé dans la presse spécialisée. La Commission était au surplus informée de ce caractère public, ainsi qu’en attestent les comptes rendus des entretiens avec les fournisseurs, l’un d’eux ayant indiqué que la presse était présente
lors de la convention Intermarché (annexe Q.2, page 7). Elle a par ailleurs indiqué, en réponse à une question posée par le Tribunal, qu’elle n’était pas informée d’éventuelles présentations faites lors de la convention Intermarché hors la présence de journalistes.
264 Or, il est de jurisprudence constante qu’un système d’échange d’informations publiques n’est pas, en tant que tel, susceptible d’enfreindre les règles de concurrence du traité (voir arrêt du 30 septembre 2003, Atlantic Container Line e.a./Commission, T‑191/98 et T‑212/98 à T‑214/98, EU:T:2003:245, point 1154 et jurisprudence citée).
265 De même, selon le paragraphe 92 des lignes directrices sur l’applicabilité de l’article 101 [TFUE] aux accords de coopération horizontale (JO 2011, C 11, p. 1, ci-après les « lignes directrices sur les accords de coopération horizontale »), par lesquelles la Commission s’est autolimitée dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et dont elle ne saurait se départir sous peine de se voir sanctionner (voir, en ce sens, arrêt du 28 juin 2005, Dansk Rørindustri e.a./Commission, C‑189/02 P,
C‑202/02 P, C‑205/02 P à C‑208/02 P et C‑213/02 P, EU:C:2005:408, point 211), les « informations réellement publiques » sont des informations généralement accessibles dans des conditions identiques à tous les concurrents et clients. Or, ce même paragraphe des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale précise que, « [p]our qu’une information soit réellement publique, son obtention ne devrait pas être plus onéreuse pour les clients et les entreprises qui ne prennent pas part au
système d’échange que pour les entreprises qui échangent des informations » et que « [c]’est la raison pour laquelle les concurrents ne choisiraient pas, en principe, d’échanger des données qu’ils peuvent obtenir auprès du marché avec la même facilité, ce qui rend improbables, dans la pratique, les échanges de données réellement publiques ». En outre, il ressort du paragraphe 63 des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale, consacré spécifiquement aux déclarations publiques
unilatérales, cité par les requérantes lors de l’audience, qu’« une annonce unilatérale revêtant un caractère réellement public, par exemple dans un quotidien […] ne constitue généralement pas une pratique concertée au sens de l’article 101 [TFUE] ».
266 En l’espèce, il ressort clairement des circonstances du déroulement de la convention Intermarché que les informations qui y ont été communiquées par Intermarché sont des données réellement publiques au sens des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale. Grâce à la présence de journalistes et au compte rendu détaillé qu’ils en ont fait dans la presse spécialisée quelques jours seulement après la tenue de la convention Intermarché, les informations données par Intermarché lors
de cette convention ont été rendues accessibles non seulement à A, directeur au sein du groupe concurrent Casino, mais également avec la même facilité à l’ensemble des autres concurrents d’Intermarché.
267 En outre, il ressort de l’article de la presse spécialisée qui a relaté le déroulement de la convention Intermarché, dont la Commission n’a pas contesté le contenu, que les informations présentées lors de cet événement avaient un caractère très général et s’attachaient à valoriser, auprès des fournisseurs de l’entreprise, la politique de développement et d’innovation de l’équipe de direction d’Intermarché. La Commission n’a pas exposé précisément en quoi de telles informations étaient
susceptibles d’échapper à la qualification de données publiques. S’il est vrai qu’a été annoncé lors de cet événement un objectif de création de 200 magasins, cette seule information, par son caractère général, n’est, par elle-même, pas susceptible de fonder une suspicion de pratique concertée entre concurrents, interdite par l’article 101 TFUE. Le caractère public des informations divulguées lors de la convention Intermarché empêche, dès lors, de considérer que celles-ci puissent être l’objet
d’échanges d’informations infractionnels, de même que, partant, de qualifier la convention Intermarché d’indice suffisamment sérieux de l’infraction en cause.
268 Il en est d’autant plus ainsi en l’espèce que la Commission a elle-même présenté les indices des infractions suspectées dans la décision attaquée comme attestant d’échanges secrets entre un nombre limité de personnes et par le biais de documents eux-mêmes secrets (voir point 117 ci-dessus). En effet, ainsi que l’ont pertinemment rappelé les requérantes, selon le considérant 8 de la décision attaquée, « les pratiques concertées présumées ont lieu dans le secret le plus absolu, la connaissance de
leur existence et de leur mise en application étant limitée aux cadres supérieurs et à un nombre restreint de membres du personnel dignes de confiance dans chaque entreprise », et « [l]es documents se rapportant aux pratiques concertées présumées seraient limités au strict minimum et détenus dans des endroits et sous une forme facilitant leur dissimulation, leur rétention ou leur destruction ». Or, des indices constitués de déclarations publiques, telles que celles faites lors de la convention
Intermarché, ne peuvent en tant que tels permettre de suspecter des échanges portant sur les mêmes informations et tenus dans le plus grand secret.
269 Ces considérations ne sont pas remises en cause par la mention, au paragraphe 63 des lignes directrices sur les accords de coopération horizontale, selon laquelle « la possibilité de constater une pratique concertée ne peut être exclue » à partir d’une « annonce unilatérale revêtant un caractère réellement public ». En effet, outre le fait que de telles annonces publiques ne correspondent pas à la présente présomption d’échanges infractionnels secrets, il y a lieu de relever que la Commission
n’a ni affirmé ni a fortiori expliqué dans la décision attaquée, et pas davantage d’ailleurs au cours de la présente instance, que la deuxième infraction correspondrait à cette hypothèse d’une pratique concertée à partir de déclarations unilatérales en public.
270 Il s’ensuit que la Commission ne pouvait valablement déduire de l’appréciation d’ensemble des caractéristiques de la convention Intermarché une suspicion d’échanges de données commerciales entre concurrents prohibés par l’article 101 TFUE. Il s’ensuit également que cette convention ne saurait constituer un indice suffisamment sérieux permettant de suspecter la deuxième infraction.
271 En tout état de cause, la prise en compte de la note interne de la Commission du 16 décembre 2016, jointe en annexe à sa réponse complémentaire du 19 décembre 2019, de même que la production de la version confidentielle des comptes rendus communiqués dans leur version non confidentielle par la Commission, par voie de mesure d’instruction, ne permettrait pas de modifier cette conclusion. En effet, d’une part, il ne ressort de cette note interne aucune donnée autre que celles figurant dans les
comptes rendus. D’autre part, il ressort de la version non confidentielle de ces comptes rendus que les données occultées visent uniquement à empêcher l’identification d’entités ou de personnes, de dates et de données chiffrées, de sorte que la prise en compte desdites données ne permettrait pas davantage d’établir le lien entre les déclarations publiques faites lors de la convention Intermarché et les échanges secrets suspectés. Il s’ensuit par ailleurs qu’il n’y a pas lieu d’ordonner la mesure
d’instruction susvisée, que la Commission avait demandée au Tribunal.
272 Ne sauraient davantage constituer un indice suffisamment sérieux permettant de suspecter la deuxième infraction les demandes concomitantes relatives à un même « bonus d’innovation » que Casino et Intermarché auraient présentées à leurs fournisseurs. En effet, aucun des indices communiqués ne permet de distinguer clairement ce bonus ou ces « remises d’innovation » des rabais et des prix de vente de services aux fournisseurs en cause dans la première infraction. Eu égard aux explications qui en
sont données dans les comptes rendus (annexe Q.6, page 3, et annexe Q.7, page 5 ainsi que note en bas de page no 7, de la réponse de la Commission du 10 janvier 2019), lesdites remises consistent soit en un rabais demandé aux fournisseurs, soit en une rémunération de services de référencement fournis par les distributeurs aux fournisseurs, même si spécifiquement en lien avec les produits innovants et applicable en France, laquelle est également concernée par la première infraction. De même, dans
le tableau 2 établi par la Commission aux fins de présenter de manière synthétique les indices correspondant à la deuxième infraction (voir point 169, dernier tiret, ci-dessus), celle-ci a isolé les indices relatifs aux « rabais d’innovation » de ceux portant sur l’assortiment, le développement de magasins, la politique d’e-commerce et la politique promotionnelle, seuls mentionnés dans la décision attaquée. Il peut, en outre, être relevé que seuls deux des treize fournisseurs interrogés
(annexes Q.6 et Q.7) font état de demandes concomitantes de remises d’innovation.
273 Il convient, par conséquent, même en prenant en considération de façon globale les éléments relatifs à la convention Intermarché et au « bonus d’innovation », de conclure à l’absence de détention par la Commission d’indices suffisamment sérieux permettant de suspecter l’existence de la deuxième infraction et de justifier l’article 1er, sous b), de la décision attaquée, sans qu’il y ait lieu de se prononcer sur les arguments des requérantes relatifs à la nouvelle décision d’inspection portant
notamment sur des aspects de la deuxième infraction qui leur a été adressée au cours de la présente instance [décision C(2019) 3761 de la Commission, du 13 mai 2019, ordonnant à Casino, Guichard-Perrachon SA ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle de se soumettre à une inspection conformément à l’article 20, paragraphes 1 et 4, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil (AT.40466 – Tute 1)].
274 Le moyen tiré de la violation du droit à l’inviolabilité du domicile des requérantes doit, dès lors, être accueilli en ce qu’il concerne la deuxième infraction.
275 Il résulte de tout ce qui précède que la décision attaquée doit être annulée en ce qu’elle ordonne aux requérantes, en son article 1er, sous b), de se soumettre à une inspection concernant leur éventuelle participation à la deuxième infraction et que le recours doit être rejeté pour le surplus.
Sur les dépens
276 Aux termes de l’article 134, paragraphe 3, du règlement de procédure, si les parties succombent respectivement sur un ou plusieurs chefs, chaque partie supporte ses propres dépens. La décision attaquée étant partiellement annulée, il y a lieu de décider que les requérantes et la Commission supporteront respectivement leurs propres dépens. Le Conseil, intervenu au soutien de la Commission, supportera ses propres dépens en application de l’article 138, paragraphe 1, du règlement de procédure.
Par ces motifs,
LE TRIBUNAL (neuvième chambre élargie)
déclare et arrête :
1) L’article 1er, sous b), de la décision C(2017) 1054 final de la Commission, du 9 février 2017, ordonnant à Casino, Guichard-Perrachon ainsi qu’à toutes les sociétés directement ou indirectement contrôlées par elle de se soumettre à une inspection conformément à l’article 20, paragraphes 1 et 4, du règlement (CE) no 1/2003 du Conseil (affaire AT.40466 – Tute 1) est annulé.
2) Le recours est rejeté pour le surplus.
3) Casino, Guichard-Perrachon et Achats Marchandises Casino SAS (AMC), la Commission européenne et le Conseil de l’Union européenne supporteront chacun leurs propres dépens.
Gervasoni
Madise
da Silva Passos
Kowalik-Bańczyk
Mac Eochaidh
Ainsi prononcé en audience publique à Luxembourg, le 5 octobre 2020.
Le greffier
E. Coulon
Le président
S. Papasavvas
Table des matières
I. Cadre juridique
II. Antécédents du litige
III. Procédure et conclusions des parties
IV. En droit
A. Sur le premier moyen, tiré d’une exception d’illégalité de l’article 20 du règlement no 1/2003
1. Sur la recevabilité de l’exception d’illégalité
2. Sur le bien-fondé de l’exception d’illégalité
a) Sur le premier grief, tiré de la méconnaissance du droit à un recours effectif
b) Sur le second grief, tiré de la violation du principe d’égalité des armes et des droits de la défense
B. Sur les deuxième et troisième moyens, tirés de la méconnaissance de l’obligation de motivation et de la violation du droit à l’inviolabilité du domicile
1. Sur la méconnaissance de l’obligation de motivation
2. Sur la violation du droit à l’inviolabilité du domicile
a) Sur le respect du principe de proportionnalité
1) Quant aux sociétés et aux locaux inspectés
2) Quant à la durée de l’inspection
3) Quant à la date de l’inspection
b) Sur la détention d’indices suffisamment sérieux par la Commission
1) Sur la détermination des indices en possession de la Commission
2) Sur l’appréciation du caractère suffisamment sérieux des indices en possession de la Commission
i) Sur la forme des indices ayant justifié la décision attaquée
ii) Sur les auteurs des indices ayant justifié la décision attaquée
iii) Sur la teneur des indices ayant justifié la décision attaquée
– Sur l’absence d’indices suffisamment sérieux relatifs à la suspicion de la première infraction
– Sur l’absence d’indices suffisamment sérieux relatifs à la suspicion de la deuxième infraction
Sur les dépens
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( *1 ) Langue de procédure : le français.