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22/09/2020 | CJUE | N°C-615/19

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. M. Szpunar, présentées le 22 septembre 2020., John Dalli contre Commission européenne., 22/09/2020, C-615/19


 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 22 septembre 2020 ( 1 )

Affaire C‑615/19 P

John Dalli

contre

Commission européenne

« Pourvoi – Recours en indemnisation – Responsabilité non contractuelle – Réparation du préjudice que la partie requérante aurait prétendument subi en raison de comportements prétendument illégaux de la Commission et de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) liés à la cessation de ses fonctions en tant que membre de la Commission le 16 

octobre 2012 »

I. Introduction

1. Par son pourvoi, M. John Dalli demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. MACIEJ SZPUNAR

présentées le 22 septembre 2020 ( 1 )

Affaire C‑615/19 P

John Dalli

contre

Commission européenne

« Pourvoi – Recours en indemnisation – Responsabilité non contractuelle – Réparation du préjudice que la partie requérante aurait prétendument subi en raison de comportements prétendument illégaux de la Commission et de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) liés à la cessation de ses fonctions en tant que membre de la Commission le 16 octobre 2012 »

I. Introduction

1. Par son pourvoi, M. John Dalli demande l’annulation de l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne du 6 juin 2019, Dalli/Commission (T‑399/17, non publié, ci-après l’« arrêt attaqué », EU:T:2019:384), par lequel celui-ci a rejeté son recours tendant à obtenir réparation du préjudice qu’il aurait prétendument subi en raison de comportements prétendument illégaux de la Commission européenne et de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF), liés à la cessation de ses fonctions en tant que membre de
la Commission.

2. Le présent pourvoi offre à la Cour l’opportunité de se prononcer sur plusieurs questions inédites concernant les fonctions d’enquête de l’OLAF et le déroulement de ces enquêtes. La Cour sera par ailleurs amenée à préciser certains aspects de la jurisprudence relative à l’autorité de la chose jugée ainsi qu’à la démonstration de l’existence d’un préjudice moral.

3. Conformément à la demande de la Cour, les présentes conclusions se limiteront à l’analyse de l’argument de la Commission relatif à l’irrecevabilité du recours devant le Tribunal, ainsi qu’à celle du premier moyen, de la première branche du troisième moyen, du cinquième et du septième moyens du pourvoi.

II. Le cadre juridique

A.   Le règlement (CE) no 1073/1999

4. L’article 1er, paragraphe 3, du règlement (CE) no 1073/1999 ( 2 ), applicable aux faits en cause ( 3 ), dispose :

« À l’intérieur des institutions, organes et organismes institués par les traités ou sur la base de ceux-ci (ci-après dénommés “institutions, organes et organismes”), l’Office effectue les enquêtes administratives destinées à :

– lutter contre la fraude, la corruption et contre toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de la Communauté européenne,

– y rechercher à cet effet les faits graves, liés à l’exercice d’activités professionnelles, pouvant constituer un manquement aux obligations des fonctionnaires et agents des Communautés, susceptible de poursuites disciplinaires et le cas échéant, pénales, ou un manquement aux obligations analogues des membres des institutions et organes, des dirigeants des organismes ou des membres du personnel des institutions, organes et organismes non soumis au statut. »

5. Les articles 3 et 4 de ce règlement énoncent les règles applicables respectivement aux enquêtes externes et internes de l’OLAF.

6. L’article 5 dudit règlement prévoit :

« Les enquêtes externes sont ouvertes par une décision du directeur de l’Office qui agit de sa propre initiative ou suite à une demande d’un État membre intéressé.

Les enquêtes internes sont ouvertes par une décision du directeur de l’Office qui agit de sa propre initiative ou suite à une demande de l’institution, organe ou organisme au sein duquel l’enquête devra être effectuée. »

7. L’article 6, paragraphe 1, du même règlement précise que le directeur de l’Office dirige l’exécution des enquêtes.

8. L’article 8, paragraphe 3, du règlement no 1073/1999 est libellé comme suit :

« Le directeur veille à ce que les agents de l’Office et les autres personnes agissant sous son autorité respectent les dispositions communautaires et nationales relatives à la protection des données à caractère personnel, et notamment celles prévues par la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24 octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données [ ( 4 )]. »

9. L’article 11, paragraphes 1 et 7, de ce règlement est ainsi rédigé :

« 1.   Le comité de surveillance, par le contrôle régulier qu’il exerce sur l’exécution de la fonction d’enquête, conforte l’indépendance de l’Office.

À la demande du directeur ou de sa propre initiative, le comité de surveillance donne des avis au directeur concernant les activités de l’Office, sans interférer toutefois dans le déroulement des enquêtes en cours.

[...]

7.   Le directeur transmet au comité de surveillance, chaque année, le programme des activités de l’Office [...]. Le directeur tient le comité régulièrement informé des activités de l’Office, de ses enquêtes, de leurs résultats et des suites qui leur ont été données. Lorsqu’une enquête est engagée depuis plus de neuf mois, le directeur informe le comité de surveillance des raisons qui ne permettent pas encore de conclure l’enquête et du délai prévisible nécessaire à son achèvement. Le directeur
informe le comité des cas où l’institution, l’organe ou l’organisme concerné n’a pas donné suite aux recommandations qu’il a faites. Le directeur informe le comité des cas nécessitant la transmission d’informations aux autorités judiciaires d’un État membre. »

10. L’article 14 dudit règlement dispose :

« Dans l’attente de la modification du statut, tout fonctionnaire et tout autre agent des Communautés européennes peut saisir le directeur de l’Office d’une réclamation dirigée contre un acte lui faisant grief, effectué par l’Office dans le cadre d’une enquête interne [...]

Ces dispositions sont applicables par analogie au personnel des institutions, organes et organismes non soumis au statut. »

B.   Le règlement intérieur du comité de surveillance de l’OLAF

11. L’article 13, paragraphe 5, du règlement intérieur du comité de surveillance de l’OLAF ( 5 ) (ci-après le « règlement intérieur ») énonce :

« Les cas dans lesquels il y a lieu de transmettre des informations aux autorités judiciaires d’un État membre sont examinés sur la base des informations fournies par le directeur général de l’OLAF et conformément au [règlement no 1073/1999]. Le suivi sera également effectué sur cette base.

En particulier, avant l’envoi des informations, le comité de surveillance demande l’accès aux enquêtes concernées afin de s’assurer que les garanties procédurales et les droits fondamentaux ont bien été respectés. Une fois que le secrétariat a obtenu l’accès aux documents dans un délai qui lui permette de remplir cette fonction, les rapporteurs désignés pour examiner les dossiers préparent leur présentation destinée à la séance plénière du comité. Le personnel responsable de l’OLAF peut être
invité à cette séance afin que les membres disposent de toutes les informations nécessaires.

Le comité désigne des rapporteurs pour examiner ces enquêtes et, le cas échéant, émettre un avis. »

III. Les antécédents du litige

12. Les antécédents du litige, tels que présentés aux points 1 à 16 de l’arrêt attaqué, peuvent être résumés comme suit.

13. Par la décision 2010/80/UE ( 6 ), M. Dalli a été nommé membre de la Commission pour la période allant du 10 février 2010 au 31 octobre 2014. Il s’est vu attribuer le portefeuille de la santé et de la protection des consommateurs par le président de la Commission.

14. Le 25 mai 2012, à la suite de la réception par la Commission, le 21 mai 2012, d’une plainte de la société Swedish Match contenant des allégations concernant le comportement de M. Dalli, l’OLAF a entamé une enquête.

15. M. Dalli a été entendu par l’OLAF les 16 juillet et 15 octobre 2012.

16. Le 15 octobre 2012, le rapport de l’OLAF a été transmis au secrétaire général de la Commission, à l’attention du président de cette institution. Ce rapport était accompagné d’une lettre signée par le directeur de l’OLAF résumant les principales conclusions de l’enquête et informant le président de la Commission que celles-ci étaient portées à sa connaissance en vue de l’adoption de mesures éventuelles au titre du code de conduite des commissaires [C(2011) 2904].

17. Le 16 octobre 2012, M. Dalli a rencontré le président de la Commission. Plus tard dans la même journée, ce dernier a informé le Premier ministre de la République de Malte ainsi que les présidents du Parlement européen et du Conseil de l’Union européenne de la démission de M. Dalli. La Commission a également publié un communiqué de presse annonçant cette démission.

18. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 24 décembre 2012, M. Dalli a introduit un recours tendant à l’annulation de la « décision verbale du 16 octobre 2012 de cessation [de ses] fonctions [...] avec effet immédiat, prise par le président de la Commission » et à la réparation du préjudice subi à hauteur de 1 euro symbolique au titre du préjudice moral et, à titre provisoire, à hauteur de 1913396 euros au titre du préjudice matériel.

19. Ce recours a été rejeté par l’arrêt du Tribunal du 12 mai 2015, Dalli/Commission (T‑562/12, ci-après l’« arrêt Dalli/Commission », EU:T:2015:270).

20. S’agissant, d’une part, de la demande en annulation, le Tribunal a constaté que le requérant avait présenté sa démission de façon volontaire, sans que celle-ci ait fait l’objet d’une demande du président de la Commission, au sens de l’article 17, paragraphe 6, TUE. L’existence de cette demande, qui constituait l’acte attaqué par le requérant, n’ayant pas été établie, le Tribunal a estimé que la demande en annulation devait être rejetée comme irrecevable. Le Tribunal a également jugé que, en tout
état de cause, à supposer même que le requérant soit recevable à remettre en cause, dans le cadre du recours, la légalité de sa démission au motif que celle-ci aurait été entachée d’un vice du consentement, l’existence d’un tel vice n’était pas démontrée.

21. S’agissant, d’autre part, de la demande en indemnité, le Tribunal a estimé que, dès lors qu’il avait relevé que l’existence des actes de la Commission mis en cause dans le cadre de la demande en annulation n’était pas avérée, aucune illégalité de ce chef et, à plus forte raison, aucune violation caractérisée d’une règle de droit ne sauraient être constatées à ce titre à l’encontre de cette institution. Quant au vice du consentement allégué, à titre subsidiaire, dans le cadre de la demande en
annulation, le Tribunal a relevé que son existence n’avait pas été démontrée. Il a conclu que les allégations d’un comportement fautif de la Commission ou de son président n’avaient pas été établies à suffisance de droit. Il a donc rejeté la demande en indemnité comme non fondée.

22. Le 21 juin 2015, M. Dalli a introduit un pourvoi contre cet arrêt du Tribunal, qui a été rejeté par l’ordonnance du 14 avril 2016, Dalli/Commission ( 7 ).

IV. La procédure devant le Tribunal et l’arrêt attaqué

23. Par requête déposée au greffe du Tribunal le 28 juin 2017, M. Dalli a introduit un recours tendant à faire condamner la Commission à lui verser une indemnité d’un montant estimé, à titre provisoire, à 1000000 euros en réparation du préjudice, notamment moral, qu’il aurait subi en raison de comportements prétendument illégaux de la Commission et de l’OLAF, liés à la cessation de ses fonctions en tant que membre de la Commission le 16 octobre 2012.

24. À l’appui de cette requête, M. Dalli a fait valoir sept griefs relatifs à l’illégalité du comportement de l’OLAF tirés, premièrement, de l’illégalité de la décision d’ouvrir l’enquête, deuxièmement, de vices dans la caractérisation de l’enquête et dans l’extension de celle-ci, troisièmement, d’une violation des principes en matière d’administration de la preuve et de la dénaturation ainsi que de la falsification d’éléments de preuve, quatrièmement, d’une violation des droits de la défense, de
l’article 4 de la décision 1999/396/CE ( 8 ) et de l’article 18 des instructions de l’OLAF à son personnel sur les procédures d’enquête (ci-après les « instructions de l’OLAF »), cinquièmement, d’une violation de l’article 11, paragraphe 7, du règlement no 1073/1999 et de l’article 13, paragraphe 5, du règlement intérieur, sixièmement, d’une violation du principe de la présomption d’innocence, de l’article 8 du règlement n o  1073/1999, de l’article 339 TFUE et du droit à la protection des
données à caractère personnel et, septièmement, d’une violation de l’article 4 du règlement no 1073/1999, de l’article 4 de la décision 1999/396 et du protocole d’accord concernant un code de conduite pour assurer en temps utile un échange d’informations entre l’OLAF et la Commission au sujet des enquêtes internes de l’OLAF au sein de la Commission. En outre, M. Dalli a présenté deux griefs relatifs à l’illégalité du comportement de la Commission.

25. Par acte séparé déposé au greffe du Tribunal le 13 septembre 2017, la Commission a soulevé une exception d’irrecevabilité.

26. Par l’arrêt attaqué, le Tribunal a rejeté cette exception d’irrecevabilité puis a rejeté le recours introduit par M. Dalli comme étant non fondé.

27. Le Tribunal a, tout d’abord, estimé que les points de droit et de fait relatifs aux comportements prétendument fautifs de l’OLAF et de la Commission n’avaient pas été examinés dans l’arrêt Dalli/Commission et que cet arrêt n’était donc pas revêtu de l’autorité de la chose jugée à cet égard.

28. Il a, ensuite, rejeté l’ensemble des griefs soulevés par M. Dalli à l’encontre de l’OLAF et de la Commission.

29. Il a, enfin, constaté, à titre surabondant, que M. Dalli n’avait établi ni l’existence d’un lien de causalité suffisamment direct entre les comportements reprochés et le dommage allégué, ni l’existence de ce dernier.

V. Conclusions formulées par les parties et procédure devant la Cour

30. Par son pourvoi, M. Dalli demande à la Cour :

– d’annuler l’arrêt attaqué ;

– d’ordonner la réparation du préjudice, notamment moral, qu’il aurait subi et qui pourrait être estimé, à titre provisoire, à 1000000 euros, et

– de condamner la Commission aux dépens des deux instances.

31. La Commission demande à la Cour de rejeter le pourvoi et de condamner M. Dalli aux dépens exposés devant la Cour et le Tribunal.

32. Il n’a pas été tenu d’audience.

VI. Analyse

A.   Sur l’irrecevabilité du recours devant le Tribunal

33. La Commission fait valoir, dans son mémoire en réponse, qu’elle éprouve des doutes quant à l’exactitude du raisonnement du Tribunal l’ayant conduit à rejeter l’exception d’irrecevabilité formulée devant lui par la Commission, tenant à l’autorité de la chose jugée qui s’attachait à l’arrêt Dalli/Commission.

34. D’emblée, il me faut préciser que si la Commission n’a pas formé de pourvoi incident afin de contester la recevabilité du recours devant le Tribunal, les fins de non-recevoir tirées de l’autorité de la chose jugée constituent un moyen d’ordre public que les juridictions de l’Union doivent soulever d’office ( 9 ). Dans ces conditions, il convient de vérifier si c’est à bon droit que le Tribunal a jugé que le recours devant lui était recevable en se fondant sur l’absence d’autorité de la chose
jugée qui s’attachait à l’arrêt Dalli/Commission.

35. Après avoir relevé l’importance que revêt, tant dans l’ordre juridique de l’Union que dans les ordres juridiques nationaux, le principe de l’autorité de la chose jugée ( 10 ), le Tribunal a souligné que l’autorité de la chose jugée est susceptible de faire obstacle à la recevabilité d’un recours si celui ayant donné lieu à l’arrêt en cause a opposé les mêmes parties, a porté sur le même objet, et a été fondé sur la même cause ( 11 ). Il a rappelé que l’objet d’un recours correspond aux
prétentions de l’intéressé, tandis que la cause des recours correspond au fondement juridique et factuel des prétentions invoquées ( 12 ). Le Tribunal a jugé que les conditions relatives à l’identité des parties et de l’objet entre le recours ayant donné lieu à l’arrêt Dalli/Commission, et le recours formé devant lui sont remplies ( 13 ).

36. S’agissant toutefois de la condition relative à l’identité de cause des deux recours, le Tribunal a rappelé que, par son premier recours, le requérant avait fait valoir que les illégalités alléguées dans le cadre de la demande en annulation étaient constitutives d’une violation caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers. Cependant, le Tribunal a également rappelé qu’il avait été jugé, dans l’arrêt Dalli/Commission, que l’existence des actes mis en
cause dans le cadre de la demande en annulation n’était pas avérée, de sorte qu’aucune illégalité n’était susceptible d’entraîner l’engagement de la responsabilité de l’Union ( 14 ). Dans ces conditions, le Tribunal a relevé que, dans l’arrêt Dalli/Commission, il ne s’était pas prononcé sur les comportements fautifs de la Commission et de l’OLAF invoqués et avait seulement constaté l’inexistence de la décision contestée ( 15 ).

37. Or, le Tribunal a précisé que l’autorité de la chose jugée ne s’attache qu’aux points de fait et de droit qui ont été effectivement et nécessairement tranchés par une décision juridictionnelle ( 16 ). Dès lors qu’il n’avait pas examiné les allégations relatives aux comportements fautifs de la Commission et de l’OLAF dans le premier recours, le Tribunal a considéré que ces points de fait et de droit n’avaient pas été effectivement ou nécessairement tranchés par l’arrêt Dalli/Commission, de sorte
que cet arrêt n’était pas, à cet égard, revêtu de l’autorité de la chose jugée.

38. Le Tribunal a conclu qu’il n’y avait dès lors pas lieu d’examiner si la cause des deux recours était identique.

39. Dans son mémoire en réponse, la Commission a fait valoir que le fait que le Tribunal n’avait pas examiné les demandes d’indemnité relatives au comportement de la Commission et de l’OLAF n’était pas pertinent. Elle a estimé que ces demandes avaient déjà été effectivement ou nécessairement tranchées par l’arrêt Dalli/Commission, étant donné qu’elles avaient été rejetées dans cet arrêt comme « non fondées » au motif qu’elles n’ « [étaient] pas établies à suffisance de droit » ( 17 ). Le second
recours formé devant le Tribunal aurait seulement visé à relancer une controverse qui avait été tranchée par les juridictions de l’Union, ce qui n’est pas permis par le principe de l’autorité de la chose jugée.

40. Cependant, je suis d’avis que le raisonnement mené par le Tribunal dans l’arrêt attaqué ne souffre aucune contestation. Le Tribunal a relevé à juste titre que le rejet de la demande en indemnité introduite dans le cadre du premier recours était exclusivement fondé sur l’inexistence des actes mis en cause. Cela implique nécessairement qu’aucun examen des allégations du requérant relatives au comportement fautif de la Commission n’était nécessaire et n’a donc été mené. Les points de fait et de
droit qui sous-tendent ces allégations ne peuvent dès lors être considérés comme ayant été effectivement ou nécessairement tranchés par ledit arrêt et ne sauraient, dans ces circonstances, être revêtus de l’autorité de la chose jugée.

41. Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argument de la Commission selon lequel le fait que le Tribunal a conclu, dans son arrêt Dalli/Commission, que les allégations du requérant « n[’ont] pas [été] établies à suffisance de droit », impliquerait que ces allégations aient été nécessairement tranchées par cet arrêt. Autrement dit, le Tribunal aurait implicitement jugé des points de fait et de droit relatifs auxdites allégations.

42. Cette solution ouvrirait la voie, en droit de l’Union, à une extension déraisonnable de l’autorité de la chose jugée à l’implicitement jugé, qui ne m’apparaît pas souhaitable ( 18 ). En outre, une telle extension ne m’apparaît pas applicable en l’espèce, dès lors qu’il ne saurait être soutenu qu’un point de fait ou de droit a été implicitement tranché par un arrêt, alors même qu’il ressort clairement de celui-ci que cette question n’a pas même été examinée.

43. Dans ces conditions, l’arrêt Dalli/Commission, ne saurait être revêtu de l’autorité de la chose jugée pour ce qui concerne des allégations qui n’ont pas été examinées par le Tribunal dans cet arrêt.

44. Partant, je suis d’avis que le Tribunal n’a commis aucune erreur en jugeant le recours recevable.

B.   Sur le premier moyen

1. Sur la première branche du premier moyen

45. Par la première branche du premier moyen, le requérant conteste l’affirmation du Tribunal selon laquelle ni l’article 1er, paragraphe 3, du règlement no 1073/1999, ni l’article 5 des instructions de l’OLAF ne constituent des règles conférant des droits à un particulier ( 19 ).

46. À cet égard, je rappelle que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union pour comportement illicite de ses organes est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, parmi lesquelles la condition relative à l’illégalité du comportement reproché à l’institution ( 20 ). Cette condition requiert la violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits à un particulier ( 21 ). Il convient donc de vérifier si le Tribunal a
correctement jugé que les règles invoquées ne confèrent pas de droits aux particuliers, de sorte que le recours en indemnité fondé sur ces dispositions n’était pas fondé.

47. S’agissant de l’article 1er, paragraphe 3, du règlement no 1073/1999, le Tribunal a jugé que cette disposition se limitait à énoncer les objectifs et les fonctions de l’OLAF dans le cadre d’enquêtes administratives et ne conférait donc pas de droits aux particuliers. Le requérant soutient que ladite disposition limite les compétences de l’OLAF et ne lui permet d’ouvrir une enquête que si deux conditions sont remplies, à savoir qu’il existe des « faits graves » et des « soupçons suffisamment
sérieux ». Ces deux conditions garantissant à la personne concernée qu’une première appréciation de l’affaire a été effectuée, la disposition concernée conférerait des droits à un particulier.

48. Une telle argumentation ne me paraît pas pouvoir prospérer. D’une part, il ressort tant du contenu que de l’intitulé de l’article 1er du règlement no 1073/1999 que cette disposition vise seulement à énoncer, de façon générale, les objectifs poursuivis par l’OLAF dans la conduite de ses enquêtes et les fonctions lui sont attribuées à cet effet. La structure du règlement no 1073/1999 indique également que l’article 1er, paragraphe 3, de celui-ci ne vise pas à régler les modalités des enquêtes de
l’OLAF, ni la situation juridique des personnes visées par ces enquêtes, ce type de prescriptions étant essentiellement contenu dans les dispositions suivantes de ce règlement, lesquelles définissent, de façon pratique, la manière dont les enquêtes de l’OLAF doivent être menées. L’objectif essentiel de l’article 1er, paragraphe 3, dudit règlement est non pas de mettre en place, en lui-même, une forme de protection des intérêts des particuliers, mais de définir le rôle de l’OLAF dans la conduite
de ses enquêtes.

49. D’autre part, contrairement à ce que soutient le requérant, rien dans le texte de l’article 1er, paragraphe 3, du règlement no 1073/1999 n’impose, pour l’ouverture d’une enquête par l’OLAF, la réunion des deux conditions cumulatives que sont l’existence de « faits graves » et celle de « soupçons suffisamment sérieux », ces derniers n’étant pas même mentionnés par cette disposition.

50. En outre, si cette exigence de l’existence de soupçons suffisamment sérieux comme condition préalable à l’ouverture d’une enquête administrative par l’OLAF ressort certes de la jurisprudence de la Cour, aux termes de laquelle « la décision du directeur de l’OLAF d’ouvrir une enquête [...] ne saurait intervenir en l’absence de soupçons suffisamment sérieux » ( 22 ), il n’en reste pas moins qu’une telle condition ne se rattache pas à la disposition d’ordre général énoncée à l’article 1er,
paragraphe 3, du règlement no 1073/1999 relative aux objectifs et aux fonctions de l’OLAF. L’exigence de l’existence de soupçons suffisamment sérieux doit être rattachée à la disposition d’ordre particulier relative à l’ouverture par l’OLAF des enquêtes, soit l’article 5 du règlement no 1073/1999 ( 23 ).

51. Ainsi, je suis d’avis que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que l’article 1er, paragraphe 3, du règlement no 1073/1999 n’est pas une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers.

52. S’agissant de l’article 5 des instructions de l’OLAF, le Tribunal a jugé qu’il s’agit de règles internes à l’OLAF qui visent à assurer que les enquêtes de l’OLAF soient menées de manière logique et cohérente. Selon le Tribunal, cette disposition décrit la procédure de sélection des affaires et ne confère, à elle seule, aucun droit au profit des particuliers. Le requérant soutient que le caractère interne d’une règle ne signifie pas qu’il ne peut s’agir d’une règle conférant des droits à un
particulier. Selon lui, l’article 5 des instructions de l’OLAF impose à celui-ci un certain nombre de conditions lorsqu’il apprécie les informations en vue de l’éventuelle ouverture d’une enquête. Ces conditions, qui créent des obligations à la charge de l’OLAF, conféreraient des droits à la personne concernée par l’enquête.

53. L’argumentation du requérant relative à l’article 5 des instructions de l’OLAF ne me convainc pas. Contrairement à ce que soutient le requérant, le Tribunal ne s’est pas fondé exclusivement sur le caractère interne à une institution des instructions de l’OLAF pour exclure que celles-ci puissent conférer des droits aux particuliers, mais a également étudié le contenu de la règle invoquée par le requérant. Or, un tel raisonnement me paraît fondé en droit.

54. Le caractère interne à une institution d’une règle constitue, selon moi, un indice du fait que cette règle ne confère pas de droits aux particuliers. En effet, une règle interne à une institution est avant tout adressée au personnel de cette institution, de sorte à assurer un fonctionnement optimal de cette dernière, et ne produit donc, en principe, aucun effet à l’extérieur de celle-ci.

55. Je suis néanmoins d’avis qu’un tel indice doit être corroboré par une étude plus précise du contenu de la disposition en cause, à laquelle a justement procédé le Tribunal dans l’arrêt attaqué ( 24 ). Ainsi, le Tribunal a relevé que l’article 5 des instructions de l’OLAF concernait la procédure de sélection des enquêtes et, plus précisément, l’élaboration de l’avis sur l’ouverture ou non d’une enquête. Cette disposition énonce donc les critères pris en compte par l’organisme à cet effet, ainsi
que le délai dans lequel l’avis doit être rendu. En d’autres termes, ladite disposition vise avant tout à orienter le personnel de l’OLAF de sorte à prioriser certaines affaires et à permettre, ainsi que le relève la Commission, une utilisation efficace des ressources de l’OLAF. La même disposition ne vise donc pas à apporter aux personnes concernées des garanties procédurales et, par conséquent, ne leur confère pas, à mon sens, des droits subjectifs susceptibles de fonder un recours en
indemnité.

56. Dans ces conditions, je suis d’avis que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit en jugeant que ni l’article 1er, paragraphe 1, du règlement no 1073/1999, ni l’article 5 des instructions de l’OLAF ne sont des règles ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers.

57. Partant, la première branche du premier moyen du pourvoi doit être rejetée.

2. Sur la seconde branche du premier moyen

58. Par la seconde branche du premier moyen, le requérant soutient, par différents arguments, que le Tribunal a dénaturé les faits, a violé l’obligation de motivation et a commis une erreur de droit en rejetant l’allégation relative à la violation du devoir de diligence par l’OLAF.

a) Sur la dénaturation des faits

59. Le requérant fait valoir qu’en qualifiant de « très court » le délai entre la transmission de la plainte au directeur de l’OLAF et la décision d’ouverture de l’enquête, alors qu’il ne s’était écoulé que quelques heures, le Tribunal a dénaturé les faits.

60. Une telle argumentation ne me paraît pas fondée, dès lors qu’un délai de quelques heures peut à juste titre être qualifié de « très court ». Aucune dénaturation des faits ne saurait donc être reprochée au Tribunal à cet égard.

b) Sur la violation de l’obligation de motivation

61. Le requérant soutient que, contrairement à ce qu’a constaté le Tribunal, l’unité « Enquête – sélection et révision » n’a pas mené d’examen de la plainte et n’a pas recueilli d’informations supplémentaires à cet égard.

62. Force est de constater toutefois que cette allégation est relative à des appréciations factuelles effectuées par le Tribunal. Or, l’appréciation des faits et des éléments de preuve ne constitue pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi ( 25 ). Le requérant n’alléguant pas, à cet égard, une dénaturation des faits par le Tribunal, je suis d’avis que cet argument doit être rejeté comme étant
irrecevable.

63. À l’appui de ce deuxième argument, le requérant souligne également qu’en rejetant l’argument selon lequel l’OLAF n’a pas effectué l’évaluation nécessaire des informations reçues, sans expliquer pourquoi l’appréciation du comité de surveillance n’a pas été prise en compte, le Tribunal a violé son obligation de motivation.

64. Cependant, conformément à une jurisprudence constante, le Tribunal n’est pas tenu de répondre de manière exhaustive à chacun des arguments avancés par les parties devant lui ( 26 ). Plus précisément, le Tribunal n’est pas tenu de fournir un exposé qui suivrait, de manière exhaustive et un par un, tous les raisonnements articulés par les parties au litige dès lors que la motivation permet aux intéressés de connaître les raisons pour lesquelles il n’a pas fait droit à leurs arguments et à la Cour
de disposer des éléments suffisants pour exercer son contrôle ( 27 ).

65. Or, tel est le cas en l’espèce. En effet, le Tribunal a rejeté l’argument formulé devant lui selon lequel l’OLAF n’a pas effectué l’évaluation nécessaire des informations reçues en relevant, d’une part, qu’une telle évaluation ne doit pas se confondre avec l’examen à effectuer dans le cadre de l’enquête, une fois ouverte, et que, d’autre part, sur la base des éléments factuels présentés devant lui, cette évaluation avait bien été menée par l’OLAF.

66. Dans ces conditions, il ne saurait être reproché au Tribunal de ne pas avoir motivé sa décision, de sorte que cet argument doit être rejeté.

c) Sur l’erreur de droit

67. Le requérant fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que l’OLAF n’avait pas méconnu son devoir de diligence en ce qu’il avait mené un examen correct et suffisant des éléments contenus dans la plainte avant d’ouvrir l’enquête visant le requérant. Il invoque à cet égard différents arguments.

68. En premier lieu, le Tribunal aurait jugé que, dans le cadre de la procédure de sélection des enquêtes, l’OLAF doit vérifier si les informations dont il dispose sont suffisantes, sans toutefois que cela implique une évaluation approfondie de ces informations, ces éléments devant être analysés ou établis à l’issue de l’enquête ( 28 ). Selon le requérant, le Tribunal a commis une erreur de droit en n’identifiant pas précisément les éléments en cause et en n’expliquant pas la raison pour laquelle
ils ne pouvaient être appréciés au stade de la procédure de sélection.

69. Cet argument ne saurait, à mon sens, prospérer. Le requérant pouvait tout à fait identifier les éléments de fait en cause, dès lors qu’il fonde en partie cet argument du pourvoi sur l’appréciation erronée par le Tribunal desdits éléments. En outre, ainsi que le souligne la Commission, je suis d’avis que l’argument selon lequel le Tribunal n’expliquerait pas en quoi ces éléments devaient faire l’objet d’une analyse approfondie non pas au stade de la procédure de sélection mais dans le cadre de
l’enquête vise en réalité à remettre en cause des appréciations factuelles effectuées par le Tribunal. Une telle allégation ne constituant pas, sous réserve du cas de leur dénaturation, une question de droit soumise, comme telle, au contrôle de la Cour dans le cadre d’un pourvoi, cet argument devrait être rejeté comme étant irrecevable.

70. En deuxième lieu, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en jugeant que l’OLAF pouvait ouvrir une enquête sur la base d’informations contenues dans une plainte sans procéder à des vérifications pour établir la crédibilité de ces informations, lorsque celles-ci sont précises et circonstanciées. Le requérant estime que l’OLAF doit, en vertu du principe de diligence, examiner avec soin et impartialité la fiabilité et la crédibilité des allégations et que le fait que ces informations étaient
précises et circonstanciées ne saurait suffire à démontrer qu’elles sont fiables et crédibles.

71. À cet égard, s’il est vrai que le règlement no 1073/1999 ne prévoit pas de conditions spécifiques pour l’ouverture d’une enquête, je rappelle que, selon la jurisprudence de la Cour, l’ouverture d’une enquête par l’OLAF ne saurait intervenir en l’absence de soupçons suffisamment sérieux ( 29 ). L’OLAF ne dispose donc pas d’un pouvoir discrétionnaire pour décider de l’ouverture d’une enquête, mais bien d’une marge d’appréciation limitée par la condition relative à l’existence de soupçons
suffisamment sérieux. Autrement dit, une plainte transmise à l’OLAF ne saurait automatiquement donner lieu à l’ouverture d’une enquête, l’OLAF devant encore s’assurer du caractère suffisamment sérieux des allégations présentées devant lui.

72. Il reste alors à déterminer si une telle exigence implique que l’OLAF doit systématiquement procéder à des vérifications s’agissant des informations contenues dans une plainte ou si, ainsi que l’a relevé le Tribunal, dans certaines circonstances, les informations contenues dans la plainte peuvent suffire à établir le caractère suffisamment sérieux des soupçons et justifier, par là même, l’ouverture d’une enquête.

73. Cette seconde hypothèse devrait, à mon sens, être retenue. Je suis d’avis qu’une plainte fondée sur des informations précises et circonstanciées, telles qu’identifiées par le Tribunal, suffit à révéler des soupçons suffisamment sérieux et, ainsi, à permettre l’ouverture d’une enquête. En d’autres termes, en présence de telles informations, et à moins que leur crédibilité ne soit manifestement en doute, l’OLAF devrait pouvoir procéder à l’ouverture d’une enquête.

74. En effet, la procédure de sélection, qui précède l’enquête, ne devrait pas être confondue avec la procédure d’enquête elle-même. Tandis que l’enquête vise à établir la véracité des allégations contenues dans une plainte, la procédure de sélection ne doit consister qu’en un examen plus succinct de ces informations. Les vérifications effectuées à ce stade ne sauraient donc conduire l’OLAF à devoir fournir un examen complet des informations contenues dans la plainte. Dans ces conditions, sauf dans
les cas où les informations apparaissent manifestement non crédibles ou insuffisantes, je suis d’avis que le caractère suffisamment sérieux des soupçons qu’elles révèlent peut être établi sur la base d’informations précises et circonstanciées ( 30 ). Ainsi, cet argument devrait être rejeté.

75. Enfin, en troisième lieu, le Tribunal aurait commis une erreur de droit en jugeant que l’OLAF ne devait examiner la possibilité d’un conflit d’intérêts entre le plaignant et le requérant que si celui-ci est établi de manière manifeste sur la base du seul examen des informations communiquées à l’OLAF. Or, si la vérification de l’existence de soupçons suffisamment sérieux préalable à l’ouverture d’une enquête de l’OLAF implique également de s’assurer que la personne à l’origine de la plainte n’est
pas dans une situation de conflit d’intérêts, cela n’oblige cependant pas l’OLAF à procéder à un examen approfondi de cette hypothèse lorsqu’elle n’est pas manifeste. Un tel examen doit être conduit au stade de l’enquête tandis que, au stade de la procédure de sélection, l’OLAF doit seulement opérer des vérifications succinctes, sauf à confondre les phases d’enquête et de sélection. Il ne saurait donc être reproché à l’OLAF de n’avoir pas envisagé la possibilité d’un conflit d’intérêts si
l’existence d’un tel conflit n’apparaissait pas de manière manifeste, de sorte que le Tribunal n’a pas commis d’erreur de droit à cet égard.

76. Il résulte de tout ce qui précède que le premier moyen devrait être rejeté.

C.   Sur la première branche du troisième moyen

77. Par la première branche du troisième moyen, le requérant invoque différents arguments visant à démontrer l’existence d’erreurs de droit dans le raisonnement du Tribunal s’agissant de l’administration de la preuve par l’OLAF.

78. Par ses deux premiers arguments, le requérant soutient que le Tribunal a commis des erreurs de droit en jugeant que l’impartialité objective de l’OLAF n’avait pas été compromise par la participation à l’enquête de son directeur et d’une membre d’une autorité nationale et du comité de surveillance de l’OLAF.

79. S’agissant du premier argument relatif à la participation à l’enquête du directeur de l’OLAF, la Commission souligne qu’il est inopérant dès lors qu’il ne remet pas en cause toutes les raisons avancées par le Tribunal pour exclure une violation de l’obligation d’impartialité en raison de la participation du directeur de l’OLAF.

80. Cet argument ne me paraît pas pouvoir prospérer. En effet, les autres éléments du raisonnement du Tribunal non visés par le pourvoi, figurant au point 103 de l’arrêt attaqué, ne sont pas des éléments qui permettaient, à eux seuls, de rejeter l’argument du requérant, mais sont davantage des constatations factuelles opérées par le Tribunal. Le rejet de l’argument par le Tribunal est seulement fondé sur le fait que le rôle de direction d’une enquête n’exclut pas la participation du directeur de
l’OLAF à cette enquête.

81. En outre, il convient de constater que le raisonnement du Tribunal à cet égard doit être approuvé. Contrairement à ce que soutient le requérant, le fait que l’article 6, paragraphe 1, du règlement no 1073/1999 prévoit que le directeur de l’OLAF dirige l’exécution des enquêtes ne saurait être interprété, en l’absence de disposition expresse en ce sens, comme empêchant toute participation directe de sa part à l’enquête. Je relève à cet égard que les autres fonctions attribuées au directeur de
l’OLAF par les dispositions du règlement no 1073/1999 ne sont pas davantage susceptibles de l’empêcher de participer à une enquête. Au contraire, le fait que le rapport d’enquête soit établi sous son autorité indique déjà une certaine forme de participation à l’enquête. Il en va de même de son devoir de contrôler que les personnes agissant sous son autorité respectent les dispositions relatives à la protection des données à caractère personnel, qui suggère une implication dans la conduite des
enquêtes de l’OLAF. En outre, je vois mal comment le directeur de l’OLAF pourrait utilement diriger une enquête s’il était dans le même temps empêché de participer à toutes les étapes de cette enquête.

82. Dans ces conditions, je suis d’avis que l’impartialité objective de l’OLAF ne pouvait être mise en cause par la participation de son directeur à une enquête, de sorte que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit à cet égard.

83. S’agissant du deuxième argument relatif à la participation à l’enquête d’une membre de l’Anti-Fraud Coordinating Structures (AFCOS) (service de coordination antifraude) maltais, une telle participation ne m’apparaît pas davantage remettre en cause l’impartialité de l’OLAF. En effet, rien dans le règlement no 1073/1999 n’impose une stricte séparation entre l’OLAF et les autorités nationales dans la conduite des enquêtes. Au contraire, ces dernières et l’OLAF sont appelés à mener les enquêtes de
conserve ( 31 ), de sorte que la participation à l’enquête d’une membre d’une autorité nationale ne saurait remettre en cause l’impartialité de l’OLAF, et ce d’autant plus lorsque, ainsi que le relève le Tribunal, cette membre n’est pas intervenue dans le déroulement de l’audition à laquelle elle a participé. Le Tribunal ne saurait avoir commis d’erreur de droit à cet égard.

84. Le fait que cette membre de l’AFCOS soit dans le même temps membre du comité de surveillance de l’OLAF apparaît à première vue plus problématique. Le Tribunal a relevé, à cet égard, que la présence d’une membre du comité de surveillance de l’OLAF à l’audition d’un témoin est « regrettable au regard du rôle conféré à ce comité par l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1073/1999 » ( 32 ), qui prévoit que le comité de surveillance n’interfère pas dans le déroulement des enquêtes en cours.
Selon le requérant, une telle participation atteste du manque d’impartialité objective de l’OLAF.

85. Je suis cependant d’avis que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en jugeant que l’obligation d’impartialité n’avait pas été violée par l’OLAF malgré la présence d’un membre du conseil de surveillance à l’audition d’un témoin. En effet, l’article 11, paragraphe 1, du règlement no 1073/1999 dispose certes que le comité de surveillance n’interfère pas dans les enquêtes en cours. Une telle exigence permet d’assurer que l’OLAF exerce ses fonctions de façon indépendante. Il n’en reste pas
moins que la seule présence d’un membre du comité de surveillance à l’audition d’un témoin ne saurait être considérée comme une interférence de ce membre dans le déroulement de l’enquête lorsque celui-ci n’a pas effectivement participé à l’enquête. Or, le Tribunal a constaté que la membre du comité de surveillance en question était présente à l’audition à des fins d’interprétation et de traduction. Dans ces conditions, il ne pouvait être considéré que cette membre avait effectivement pris part à
des actes d’enquête, de sorte que le raisonnement du Tribunal doit être approuvé.

86. Par son troisième argument, le requérant fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en rejetant l’argument selon lequel l’utilisation, la collecte et le stockage des informations obtenues à la suite des demandes de relevés téléphoniques par l’OLAF aux autorités maltaises constituaient une ingérence illégale d’une autorité publique dans l’exercice du droit à la vie privée. En particulier, il relève que le fondement juridique invoqué par l’OLAF pour demander ces relevés aux autorités
maltaises était erroné et ne pouvait donc justifier une telle ingérence.

87. Cependant, d’une part, si les demandes de relevés téléphoniques comportent une indication erronée concernant la disposition du règlement no 1073/1999 sur laquelle elles se fondent, il n’en reste pas moins qu’il ressort clairement de l’article 6, paragraphe 6, du règlement no 1073/1999 que les autorités nationales sont tenues à une obligation plus générale de coopération loyale envers les agents de l’OLAF pour l’accomplissement de leur mission. Ainsi, le Tribunal en a correctement déduit que
l’OLAF disposait bien d’un fondement juridique pour demander ces relevés aux autorités maltaises.

88. D’autre part, quand bien même ces relevés ne pouvaient être effectués en conformité avec le droit maltais, il ne saurait pour autant en être déduit que l’OLAF doit être tenu responsable de la collecte de ces informations et de l’incompatibilité de cette collecte avec le droit de l’État membre concerné, dans la mesure où ladite collecte a été effectuée par les autorités maltaises.

89. Dans ces conditions, le Tribunal a correctement jugé que cette demande de l’OLAF ne constituait pas une ingérence illégale dans la vie privée, dès lors que l’OLAF pouvait valablement demander aux autorités maltaises des relevés téléphoniques et que l’incompatibilité de ces demandes avec le droit maltais ne saurait être imputée à l’OLAF.

90. Enfin, par son quatrième argument, le requérant soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que dès lors que le requérant n’était pas une des personnes dont la conversation a été écoutée et enregistrée, son droit au respect de la vie privée et à la confidentialité des communications n’a pas été violé.

91. À cet égard, je rappelle que l’engagement de la responsabilité non contractuelle de l’Union pour comportement illicite de ses organes est subordonné à la réunion d’un ensemble de conditions, parmi lesquelles celle relative à l’illégalité du comportement reproché à l’institution. Cette condition requiert la violation suffisamment caractérisée d’une règle de droit ayant pour objet de conférer des droits à un particulier ( 33 ).

92. Une telle condition implique que la protection offerte par la règle invoquée doit être effective à l’égard de la personne qui l’invoque et que cette personne soit parmi celles auxquelles la règle en question confère des droits. Il ne saurait être admis comme source d’indemnité une règle ne protégeant pas le particulier contre l’illégalité qu’il invoque, mais un autre particulier ( 34 ). Il en résulte que le requérant ne saurait valablement se prévaloir d’une illégalité tirée de la prétendue
violation du droit à la vie privée d’un tiers, de sorte que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit à cet égard.

93. Partant, je suis d’avis que la première branche du troisième moyen doit être rejetée.

D.   Sur le cinquième moyen

94. Par son cinquième moyen, le requérant soutient que le Tribunal a commis des erreurs de droit et une dénaturation des faits en jugeant que, en informant le comité de surveillance la veille de la transmission de son rapport aux autorités maltaises, l’OLAF n’avait pas violé les obligations découlant de l’article 11, paragraphe 7, du règlement no 1073/1999, imposant au directeur de l’OLAF d’informer le comité de surveillance de la transmission d’informations aux autorités judiciaires d’un État
membre, et de l’article 13, paragraphe 5, du règlement intérieur, en vertu duquel le comité de surveillance demande l’accès aux enquêtes concernées afin de s’assurer du respect des garanties procédurales et des droits fondamentaux.

95. Tout d’abord, le requérant fait valoir que, après avoir informé le comité de surveillance de la transmission d’informations aux autorités judiciaires d’un État membre, l’OLAF devait respecter un délai de cinq jours ouvrables avant la transmission de ces informations. Si un délai plus court peut exceptionnellement être admis, un accord du comité de surveillance en ce sens serait toutefois nécessaire. Le Tribunal aurait donc commis une erreur de droit en jugeant que l’OLAF bénéficiait d’une marge
d’appréciation concernant le délai de transmission aux autorités judiciaires nationales après l’information du comité de surveillance.

96. Je relève que si l’article 11, paragraphe 7, du règlement no 1073/1999 prévoit que le directeur de l’OLAF informe le comité de surveillance des cas nécessitant la transmission d’informations aux autorités judiciaires, cette disposition ne prévoit cependant aucun délai minimal à respecter avant la transmission effective des informations visées. Le délai de cinq jours auquel se réfère le requérant est prévu par l’arrangement provisoire de travail conclu entre l’OLAF et le comité de surveillance
conclu au mois de septembre 2012. Cet arrangement de travail prévoit que les documents qui feront l’objet d’une transmission à des autorités judiciaires nationales doivent lui être communiqués « en règle générale » cinq jours avant cette transmission.

97. Il ressort donc clairement tant du libellé de l’article 11, paragraphe 7, du règlement no 1073/1999 que de celui de l’arrangement provisoire de travail conclu entre l’OLAF et le comité de surveillance au mois de septembre 2012 qu’aucun délai impératif n’est imposé à l’OLAF pour la transmission d’informations aux autorités judiciaires d’un État membre. Aucune erreur de droit ne saurait donc être reprochée au Tribunal eu égard à sa conclusion selon laquelle l’OLAF disposait d’une marge
d’appréciation concernant le délai.

98. Il en résulte également que, contrairement à ce que soutient le requérant, l’accord du comité de surveillance pour une réduction de ce délai n’était pas nécessaire, un tel délai étant, ainsi que l’a jugé le Tribunal, indicatif.

99. Ensuite, le requérant soutient que le Tribunal a procédé à une dénaturation des faits en prenant en compte la circonstance, invoquée par la Commission, selon laquelle le président du comité de surveillance avait été informé de la nécessité d’une transmission rapide des informations aux autorités judiciaires nationales et avait donné son accord pour une telle transmission, alors même qu’il n’existe aucune preuve permettant d’étayer l’affirmation de la Commission.

100. Je suis d’avis qu’un tel argument doit être rejeté comme étant inopérant. En effet, dès lors que l’OLAF dispose d’une marge d’appréciation concernant le délai pour la transmission des informations aux autorités judiciaires, le fait que le président du comité de surveillance ait donné ou non son accord pour une transmission rapide de ces informations n’est pas pertinent.

101. Enfin, le requérant fait valoir que le Tribunal a commis une erreur de droit en jugeant que la transmission des informations aux autorités judiciaires pouvait être effectuée avant que le comité de surveillance n’ait rempli ses fonctions, telles que définies dans son règlement intérieur.

102. L’article 13, paragraphe 5, du règlement intérieur prévoit certes que, « avant l’envoi des informations, le comité de surveillance demande l’accès aux enquêtes concernées afin de s’assurer que les garanties procédurales et les droits fondamentaux ont bien été respectés ». Il n’en reste pas moins que, ainsi que le relève à juste titre le Tribunal, le règlement intérieur ne saurait imposer à l’OLAF des obligations non prévues par le législateur, notamment dans le règlement no 1073/1999.

103. Or, il ressort de l’article 11 du règlement no 1073/1999 que le comité de surveillance opère un contrôle régulier des activités de l’OLAF, visant à conforter l’indépendance de l’OLAF ( 35 ), sans toutefois interférer dans les enquêtes en cours. Le contrôle du comité de surveillance doit donc être compris comme un contrôle systémique des activités de l’OLAF.

104. Dans ces conditions, si l’article 11, paragraphe 7, du règlement no 1073/1999 prévoit l’information du comité de surveillance des cas nécessitant la transmission d’informations aux autorités judiciaires, rien n’indique cependant que la transmission soit conditionnée à l’examen par le comité de surveillance desdites informations, un tel caractère suspensif étant d’ailleurs contraire au rôle du comité de surveillance, qui exerce un contrôle systémique des activités de l’OLAF.

105. En outre, je souligne qu’aucune disposition du règlement no 1073/1999 ne permet au comité de surveillance de s’opposer à la transmission d’informations aux autorités judiciaires d’un État membre. Dans ces conditions, l’obligation énoncée à l’article 11, paragraphe 7, du règlement no 1073/1999 doit être comprise comme mettant à la charge du directeur une simple obligation d’information, qui a été remplie en l’espèce.

106. Une telle interprétation est confirmée par l’analyse des dispositions du règlement no 883/2013, qui règle désormais les questions relatives aux enquêtes effectuées par l’OLAF. L’article 17, paragraphe 5, troisième alinéa, sous b), de ce règlement prévoit ainsi que le directeur informe périodiquement le comité de surveillance, notamment des cas où les informations ont été transmises aux autorités judiciaires des États membres. Il ressort donc clairement de cette disposition que le contrôle
effectué par le comité de surveillance est non pas systématique mais systémique et que, en outre, ce comité doit seulement être informé a posteriori des informations qui ont été transmises.

107. Je conçois alors difficilement comment il pourrait être envisagé que, sous l’empire du règlement no 1073/1999 et en raison des dispositions du règlement intérieur, l’obligation d’information du comité de surveillance puisse être étendue au point que la transmission des informations serait conditionnée à l’examen complet de ces informations par le comité de surveillance.

108. Dans ces conditions, je suis d’avis que le Tribunal n’a commis aucune erreur de droit en jugeant que l’article 11, paragraphe 7, du règlement no 1073/1999 et les dispositions du règlement intérieur n’ont pas été violés.

109. Partant, il y a lieu de rejeter le cinquième moyen.

E.   Sur le septième moyen

110. D’emblée, je relève que ce moyen, relatif à l’existence d’un préjudice dans le chef du requérant, devrait être rejeté comme étant inopérant si la Cour venait à considérer que toutes les prétentions du requérant s’agissant d’erreurs dans le raisonnement du Tribunal relatif à des illégalités dans le comportement de l’OLAF devaient être rejetées.

111. Le septième moyen est tiré d’une erreur de droit et d’une dénaturation des arguments des parties en ce que le Tribunal aurait jugé que le requérant était resté en défaut d’établir que le comportement incriminé était, de par sa gravité, de nature à lui causer un dommage.

112. En premier lieu, l’argument relatif à la dénaturation de la requête ne me paraît pas pouvoir prospérer. Contrairement à ce que soutient le requérant, le Tribunal n’a pas ignoré les éléments de preuve présentés par le requérant devant lui, mais a considéré que ces éléments ne suffisaient pas à établir que le comportement incriminé était de nature à lui causer un préjudice.

113. En second lieu, le requérant invoque une erreur de droit découlant, selon lui, d’une définition erronée du préjudice moral.

114. Le Tribunal a jugé, dans l’arrêt attaqué, que pour satisfaire la condition relative à l’existence d’un dommage moral, le requérant devait « tout au moins [...] établir que le comportement incriminé était, de par sa gravité, de nature à lui causer un tel dommage » ( 36 ), ce que le requérant restait en défaut de démontrer.

115. Je suis d’avis qu’un tel raisonnement résulte d’une erreur de droit, procédant d’une lecture erronée de la jurisprudence invoquée par le Tribunal.

116. À cet égard, je rappelle que la Cour a jugé que « si la présentation d’une offre de preuve n’est pas nécessairement considérée comme une condition de la reconnaissance d’un tel préjudice, il incombe tout au moins à la partie requérante d’établir que le comportement reproché à l’institution concernée était de nature à lui causer un tel préjudice » ( 37 ).

117. La condition relative à l’existence d’un dommage, s’agissant d’un dommage moral, peut donc être satisfaite de deux façons. D’une part, le requérant peut avancer des éléments de preuve de nature à démontrer l’existence et l’étendue d’un préjudice moral.

118. D’autre part, même en l’absence de tels éléments de preuve, la condition relative à l’existence d’un préjudice peut être satisfaite si le requérant établit qu’un dommage moral découlait nécessairement du comportement reproché. Autrement dit, la jurisprudence permet une reconnaissance facilitée du préjudice moral en raison de certains comportements.

119. Tel est le cas, notamment, s’agissant d’appréciations négatives dénuées de fondement relatives à la conduite et aux compétences professionnelles d’un fonctionnaire contenues dans un rapport d’évaluation ( 38 ). De même, la jurisprudence admet que lorsqu’une personne est associée publiquement à un comportement considéré comme répréhensible en raison d’une inscription illégale sur une liste d’entités visées par des mesures restrictives, avec la conséquence de susciter l’opprobre et la méfiance,
une telle association est de nature à lui causer un préjudice moral ( 39 ).

120. Tout en se fondant, en apparence, sur cette jurisprudence, le Tribunal s’en est cependant écarté. En effet, au lieu de juger que certains comportements résultent, par nature, en un préjudice moral pour la personne concernée, le Tribunal a considéré que le comportement incriminé devait être, de par sa gravité, de nature à causer un tel dommage.

121. Or, il ne ressort aucunement de la jurisprudence sur laquelle se fonde le Tribunal que sa mise en œuvre est subordonnée à la démonstration par le requérant de la gravité du comportement en cause. En ajoutant une telle condition, le Tribunal a réduit la possibilité pour une personne dont le préjudice moral résulte nécessairement du comportement incriminé d’en obtenir réparation. Le raisonnement du Tribunal, s’il devait être suivi, priverait d’effet utile cette jurisprudence, qui vise justement à
faciliter la reconnaissance du préjudice moral en raison de certains comportements.

122. En outre, un tel raisonnement ne se concilie pas aisément avec la jurisprudence plus générale sur les conditions relatives à l’engagement de la responsabilité extracontractuelle de l’Union, en particulier s’agissant de la condition tenant à l’existence d’une violation d’une règle de droit conférant des droits à un particulier, laquelle doit, selon la jurisprudence, être « suffisamment caractérisée ». Or, le critère décisif pour considérer qu’une violation du droit de l’Union est suffisamment
caractérisée est la méconnaissance manifeste et grave par l’institution concernée des limites qui s’imposent à son pouvoir d’appréciation ( 40 ).

123. Dans ces conditions, il est clair que la gravité du comportement de l’institution est déjà évaluée au stade de l’examen d’une violation suffisamment caractérisée d’une règle conférant des droits à un particulier. La réintroduction du critère de la gravité du comportement au stade de l’examen du préjudice moral ne m’apparaît pas pertinente, sauf à considérer que certaines violations caractérisées d’une règle de droit sont, en réalité, d’une gravité relative.

124. Ainsi, je suis d’avis que le raisonnement du Tribunal relatif à la définition du préjudice moral est entaché d’une erreur de droit, de sorte que le septième moyen devrait, sous réserve qu’il soit opérant, être accueilli.

125. Il résulte de l’article 61, premier alinéa, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne que, lorsque le pourvoi est fondé, la Cour peut soit statuer elle-même définitivement sur le litige, lorsque celui-ci est en état d’être jugé, soit renvoyer l’affaire devant le Tribunal pour qu’il statue.

126. En l’espèce, le Tribunal a constaté l’absence de préjudice moral dans le chef du requérant, en ce que celui-ci restait en défaut d’établir que le comportement incriminé était, de par sa gravité, de nature à lui causer un dommage.

127. Or, ainsi que je l’ai constaté au point 124 des présentes conclusions, une telle conclusion repose sur un critère erroné dans la définition du préjudice moral.

128. Afin d’apprécier le moyen tiré de l’existence d’un préjudice moral, il est donc nécessaire de procéder à une nouvelle appréciation des faits à la lumière de la jurisprudence identifiée dans les présentes conclusions, afin de déterminer si les comportements incriminés en l’espèce sont de nature à causer un dommage moral au requérant, sans qu’il puisse être exigé du requérant de démontrer leur gravité.

129. Il en résulte que le litige n’est pas en état d’être jugé par la Cour, de sorte qu’il y a lieu de renvoyer au Tribunal l’examen du recours du requérant pour y être statué sur le moyen relatif à l’existence d’un préjudice moral.

VII. Conclusion

130. Au vu des considérations qui précèdent, j’estime que le premier moyen, la première branche du troisième moyen, ainsi que le cinquième moyen devraient être rejetés.

Sous réserve du rejet par la Cour des moyens relatifs à l’illégalité du comportement de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF), je suis d’avis que le septième moyen devrait être rejeté comme étant inopérant.

Dans l’hypothèse où la Cour venait à accueillir l’un des moyens relatifs à l’illégalité du comportement de l’OLAF, je suis d’avis que le septième moyen devrait également être accueilli et que, partant, le recours devrait être renvoyé devant le Tribunal de l’Union européenne.

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( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 25 mai 1999 relatif aux enquêtes effectuées par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) (JO 1999, L 136, p. 1).

( 3 ) Ce règlement a été remplacé par le règlement (UE, Euratom) no 883/2013 du Parlement européen et du Conseil, du 11 septembre 2013, relatif aux enquêtes effectuées par l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) et abrogeant le règlement (CE) no 1073/1999 du Parlement européen et du Conseil et le règlement (Euratom) no 1074/1999 du Conseil (JO 2013, L 248, p. 1), qui est entré en vigueur le 1er octobre 2013.

( 4 ) JO 1995, L 281, p. 31.

( 5 ) JO 2011, L 308, p. 114.

( 6 ) Décision du Conseil européen du 9 février 2010 portant nomination de la Commission européenne (JO 2010, L 38, p. 7).

( 7 ) C‑394/15 P, non publiée, EU:C:2016:262.

( 8 ) Décision CECA, Euratom, de la Commission du 2 juin 1999 relative aux conditions et modalités des enquêtes internes en matière de lutte contre la fraude, la corruption et toute activité illégale préjudiciable aux intérêts des Communautés (JO 1999, L 149, p. 57).

( 9 ) Voir ordonnance du 1er avril 1987, Ainsworth e.a./Commission (159/84, 12/85 et 264/85, non publiée, EU:C:1987:172) ; arrêt du 1er juin 2006, P & O European Ferries (Vizcaya) et Diputación Foral de Vizcaya/Commission (C‑442/03 P et C‑471/03 P, EU:C:2006:356, point 45), ainsi que conclusions de l’avocat général Bot dans l’affaire Commission/Irlande e.a. (C‑89/08 P, EU:C:2009:298, point 63). Sur ce point, voir Wathelet, M., et Wildemeersch, J., Contentieux européen, Larcier, Bruxelles, 2014
(2e éd.), p. 484.

( 10 ) Point 27 de l’arrêt attaqué. Voir, également, arrêt du 6 octobre 2009, Asturcom Telecomunicaciones (C‑40/08, EU:C:2009:615, points 35 et 36).

( 11 ) Point 28 de l’arrêt attaqué. Voir, également, arrêt du 25 juin 2010, Imperial Chemical Industries/Commission (T‑66/01, EU:T:2010:255, point 197).

( 12 ) Points 33 et 34 de l’arrêt attaqué.

( 13 ) Points 32 et 33 de l’arrêt attaqué. Je souligne, à cet égard, que je nourris quelques doutes quant à l’identité de l’objet des recours. En effet, tandis que le premier recours visait, notamment, la réparation du préjudice prétendument subi en raison de la démission imposée au requérant par la Commission, le second recours vise la réparation du préjudice subi en raison d’actes d’enquête illégaux menés par l’OLAF. Dans ces conditions, les raisons pour lesquelles le Tribunal a jugé que les deux
recours avaient un objet identique ne m’apparaissent pas clairement, dès lors que les fins des deux recours sont différentes.

( 14 ) Point 36 de l’arrêt attaqué.

( 15 ) Point 37 de l’arrêt attaqué.

( 16 ) Point 30 de l’arrêt attaqué.

( 17 ) Arrêt Dalli/Commission, points 163 et 164).

( 18 ) Voir, sur les risques de l’autorité de la chose implicitement jugée quant au respect du principe du contradictoire, Turmo, A., L’autorité de la chose jugée en droit de l’Union européenne, Bruylant, Bruxelles, 2017, p. 177, ou, sur l’instrumentalisation de l’autorité de la chose jugée comme outil de concentration du contentieux, Deshayes, O., « L’autorité de la chose jugée », Procédures, 2012, no 3, p. 33 à 36.

( 19 ) L’article 5 des instructions de l’OLAF, intitulé « Procédure de sélection », prévoit notamment, à ses paragraphes 3 à 5 :

« 3. [...] L’avis relatif à l’ouverture d’une enquête ou d’un dossier de coordination est basé sur le fait que les informations relèvent ou non de la compétence de l’OLAF, qu’elles suffisent ou non à justifier l’ouverture d’une enquête ou d’un dossier de coordination et qu’elles relèvent ou non des priorités de la politique en matière d’enquête fixées par le directeur général.

4. Les règlements, décisions et accords interinstitutionnels pertinents de l’Union ainsi que les autres instruments juridiques relatifs à la protection des intérêts financiers de l’Union et des autres intérêts de l’Union sont pris en considération pour déterminer si l’OLAF est compétent. La fiabilité de la source et la crédibilité des allégations entrent en ligne de compte pour déterminer si les informations suffisent à justifier l’ouverture d’une enquête ou d’un dossier de coordination. Toutes les
informations recueillies lors de la procédure de sélection sont prises en compte pour justifier l’ouverture d’une enquête ou d’un dossier de coordination. Les priorités de la politique en matière d’enquête fixent les critères à appliquer pour déterminer si des informations relèvent d’une priorité d’enquête fixée.

5. L’unité “Enquête, sélection et révision” émet un avis sur l’ouverture ou le classement sans suite d’une affaire destiné au directeur-général dans les deux mois suivant l’enregistrement des informations reçues. »

( 20 ) Arrêts du 29 septembre 1982, Oleifici Mediterranei/CEE (26/81, EU:C:1982:318), et du 10 juillet 2014, Nikolaou/Cour des comptes (C‑220/13 P, EU:C:2014:2057, point 53).

( 21 ) La jurisprudence est, à cet égard, constante depuis l’arrêt du 4 juillet 2000, Bergaderm et Goupil/Commission (C‑352/98 P, EU:C:2000:361, points 42 et suiv.), qui a aligné les conditions de mise en œuvre de la responsabilité de l’Union à celles régissant la responsabilité de l’État pour les dommages causés aux particuliers en raison de la violation du droit de l’Union. Voir, plus récemment, arrêt du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil (C‑45/15 P, EU:C:2017:402, point 30). Sur cette
problématique, voir, également, Kawczyńska, M., Pozaumowna odpowiedzialność odszkodowawcza Unii Europejskiej, Wolters Kluwer, Varsovie, 2015, p. 313 à 316.

( 22 ) Arrêts du 10 juillet 2003, Commission/BCE (C‑11/00, EU:C:2003:395, point 141), et du 10 juillet 2003, Commission/BEI (C‑15/00, EU:C:2003:396, point 164).

( 23 ) Le règlement no 883/2013, qui abroge et remplace le règlement no 1073/1999, confirme d’ailleurs cette interprétation, dès lors que son article 5 relatif à l’ouverture des enquêtes précise, cette fois-ci, que celles-ci sont ouvertes lorsqu’il existe des soupçons suffisants.

( 24 ) En effet, le seul caractère interne d’une règle ne permet pas d’assurer que celle-ci n’a pas pour objet de conférer des droits à un particulier. Je songe notamment à l’hypothèse dans laquelle une règle interne vise en réalité à concrétiser, au sein de l’institution concernée, une disposition plus générale qui confère des droits à un particulier.

( 25 ) Arrêts du 28 novembre 2019, LS Cable & System/Commission (C‑596/18 P, non publié, EU:C:2019:1025, point 24), et du 13 février 2020, Grèce/Commission (Pâturages permanents) (C‑252/18 P, EU:C:2020:95, point 59).

( 26 ) Ordonnance du 19 juin 2014, Donaldson Filtration Deutschland/ultra air (C‑450/13 P, EU:C:2014:2016, point 49), et arrêt du 14 avril 2016, Netherlands Maritime Technology Association/Commission (C‑100/15 P, non publié, EU:C:2016:254, point 50).

( 27 ) Arrêts du 2 avril 2009, Bouygues et Bouygues Télécom/Commission (C‑431/07 P, EU:C:2009:223, point 42) ; du 22 mai 2014, Armando Álvarez/Commission (C‑36/12 P, EU:C:2014:349, point 31), ainsi que du 26 janvier 2017, Villeroy & Boch/Commission (C‑625/13 P, EU:C:2017:52, point 72).

( 28 ) Arrêt attaqué, point 70.

( 29 ) Arrêts du 10 juillet 2003, Commission/BCE (C‑11/00, EU:C:2003:395, point 141), et du 10 juillet 2003, Commission/BEI (C‑15/00, EU:C:2003:396, point 164).

( 30 ) Une telle interprétation me semble confirmée par l’article 5 du règlement no 883/2013 qui vient aujourd’hui préciser les conditions d’ouverture d’une enquête par l’OLAF. Ainsi, cette disposition codifie la jurisprudence relative à l’existence de soupçons suffisants, et souligne que ces derniers peuvent être fondés sur des informations fournies par un tiers, qui laissent supposer l’existence d’actes de fraude, de corruption, ou d’autres activités illégales portant atteinte aux intérêts
financiers de l’Union. Autrement dit, l’OLAF n’est pas tenu, afin d’ouvrir une procédure d’enquête, d’établir que les informations reçues démontrent l’existence avérée d’actes de fraude, de corruption ou d’autres activités illégales, l’existence de ces derniers devant seulement être supposée.

( 31 ) Article 6, paragraphe 6, article 7, paragraphe 2, et article 9, paragraphes 2 et 3, du règlement no 1073/1999.

( 32 ) Arrêt attaqué, point 105.

( 33 ) Voir point 46 des présentes conclusions.

( 34 ) Arrêt du 3 décembre 2015, CN/Parlement (T‑343/13, EU:T:2015:926, point 86).

( 35 ) Considérant 17 du règlement no 1073/1999.

( 36 ) Arrêt attaqué, point 225.

( 37 ) Arrêts du 16 juillet 2009, SELEX Sistemi Integrati/Commission (C‑481/07 P, non publié, EU:C:2009:461, point 38) ; du 16 octobre 2014, Evropaïki Dynamiki/Commission (T‑297/12, non publié, EU:T:2014:888, point 31), ainsi que du 29 avril 2020, Tilly-Sabco/Conseil et Commission (T‑707/18, non publié, EU:T:2020:160, point 125).

( 38 ) Arrêt du 13 décembre 2005, Cwik/Commission (T‑155/03, T‑157/03 et T‑331/03, EU:T:2005:447, point 206).

( 39 ) Arrêt du 25 novembre 2014, Safa Nicu Sepahan/Conseil (T‑384/11, EU:T:2014:986, points 82 à 85).

( 40 ) Arrêts du 30 mai 2017, Safa Nicu Sepahan/Conseil (C‑45/15 P, EU:C:2017:402, point 30), et du 10 septembre 2019, HTTS/Conseil (C‑123/18 P, EU:C:2019:694, point 33).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-615/19
Date de la décision : 22/09/2020
Type d'affaire : Pourvoi - irrecevable, Pourvoi - non fondé
Type de recours : Recours en responsabilité

Analyses

Pourvoi – Recours en indemnisation – Responsabilité non contractuelle de l’Union européenne – Comportements prétendument illégaux de la Commission européenne et de l’Office européen de lutte antifraude (OLAF) – Cessation des fonctions d’un membre de la Commission – Règles procédurales régissant l’enquête de l’OLAF – Ouverture d’une enquête – Droit d’être entendu – Comité de surveillance de l’OLAF – Présomption d’innocence – Appréciation du préjudice allégué.

Dispositions institutionnelles


Parties
Demandeurs : John Dalli
Défendeurs : Commission européenne.

Composition du Tribunal
Avocat général : Szpunar

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2020:744

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