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04/03/2020 | CJUE | N°C-402/19

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. P. Pikamäe, présentées le 4 mars 2020., LM contre Centre public d'action sociale de Seraing., 04/03/2020, C-402/19


 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 4 mars 2020 ( 1 )

Affaire C‑402/19

LM

contre

Centre public d’action sociale de Seraing

[demande de décision préjudicielle formée par la cour du travail de Liège (Belgique)]

« Renvoi préjudiciel – Politique d’immigration – Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Parent d’un enfant mineur atteint d’une grave maladie devenu majeur au cours de la procédure d’appel relative au rejet de la dema

nde d’autorisation de séjour – Ordre de quitter le territoire – Directive 2008/115 – Article 13 – Recours juridictionnel avec effet suspe...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 4 mars 2020 ( 1 )

Affaire C‑402/19

LM

contre

Centre public d’action sociale de Seraing

[demande de décision préjudicielle formée par la cour du travail de Liège (Belgique)]

« Renvoi préjudiciel – Politique d’immigration – Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Parent d’un enfant mineur atteint d’une grave maladie devenu majeur au cours de la procédure d’appel relative au rejet de la demande d’autorisation de séjour – Ordre de quitter le territoire – Directive 2008/115 – Article 13 – Recours juridictionnel avec effet suspensif – Article 14 – Garanties dans l’attente du retour – Besoins de base – Octroi d’une aide sociale au parent – Charte des
droits fondamentaux de l’Union européenne – Articles 7, 24 et 47 – Relation de dépendance entre le parent et l’enfant gravement malade »

1.  La prise en charge des besoins de base d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier gravement malade, durant la période de suspension de l’éloignement faisant suite à l’exercice d’un recours contre la décision de retour, doit-elle être étendue au profit de son père, ressortissant d’un pays tiers dont la présence aux côtés de son enfant a été jugée indispensable pour des raisons médicales ?

2.  Telle est, en substance, la question adressée à la Cour qui sera amenée à interpréter les dispositions de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ( 2 ), concernant l’effectivité du recours dirigé contre une décision de retour et les garanties dans l’attente du retour, lues à la lumière, notamment, de l’article 7
de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci‑après la « Charte »).

I. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

3. Le considérant 12 de la directive 2008/115 est ainsi rédigé :

« Il convient de régler la situation des ressortissants de pays tiers qui sont en séjour irrégulier, mais qui ne peuvent pas encore faire l’objet d’un éloignement. Leurs besoins de base devraient être définis conformément à la législation nationale. [...] »

4. L’article 3, points 3 à 5, de cette directive dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

3) “retour” : le fait, pour le ressortissant d’un pays tiers, de rentrer – que ce soit par obtempération volontaire à une obligation de retour ou en y étant forcé – dans :

– son pays d’origine, ou

– un pays de transit conformément à des accords ou autres arrangements de réadmission communautaires ou bilatéraux, ou

– un autre pays tiers dans lequel le ressortissant concerné d’un pays tiers décide de retourner volontairement et sur le territoire duquel il sera admis ;

4) “décision de retour” : une décision ou un acte de nature administrative ou judiciaire déclarant illégal le séjour d’un ressortissant d’un pays tiers et imposant ou énonçant une obligation de retour ;

5) “éloignement” : l’exécution de l’obligation de retour, à savoir le transfert physique hors de l’État membre »

5. L’article 5 de ladite directive précise :

« Lorsqu’ils mettent en œuvre la présente directive, les États membres tiennent dûment compte :

a) de l’intérêt supérieur de l’enfant,

b) de la vie familiale,

[...] »

6. L’article 9 de la même directive prévoit à son paragraphe 1 que les États membres reportent l’éloignement :

« [...]

b) tant que dure l’effet suspensif accordé conformément à l’article 13, paragraphe 2. »

7. L’article 13 de la directive 2008/115 énonce à ses paragraphes 1 et 2 :

« 1.   Le ressortissant concerné d’un pays tiers dispose d’une voie de recours effective pour attaquer les décisions liées au retour visées à l’article 12, paragraphe 1, devant une autorité judiciaire ou administrative compétente ou une instance compétente composée de membres impartiaux et jouissant de garanties d’indépendance.

2.   L’autorité ou l’instance visée au paragraphe 1 est compétente pour réexaminer les décisions liées au retour visées à l’article 12, paragraphe 1, et peut notamment en suspendre temporairement l’exécution, à moins qu’une suspension temporaire ne soit déjà applicable en vertu de la législation nationale. »

8. L’article 14, paragraphe 1, de cette directive dispose :

« Sauf dans la situation visée aux articles 16 et 17, les États membres veillent à ce que les principes ci‑après soient pris en compte dans la mesure du possible en ce qui concerne les ressortissants de pays tiers au cours du délai de départ volontaire accordé conformément à l’article 7 et au cours des périodes pendant lesquelles l’éloignement a été reporté conformément à l’article 9 :

a) l’unité familiale avec les membres de la famille présents sur le territoire est maintenue ;

b) les soins médicaux d’urgence et le traitement indispensable des maladies sont assurés ;

c) les mineurs ont accès au système éducatif de base en fonction de la durée de leur séjour ;

d) les besoins particuliers des personnes vulnérables sont pris en compte. »

B.   Le droit belge

9. L’article 57, paragraphe 2, de la loi organique du 8 juillet 1976 des centres publics d’action sociale (Moniteur belge du 5 août 1976, p. 9876) prévoit :

« Par dérogation aux autres dispositions de la présente loi, la mission du centre public d’action sociale se limite à :

1° l’octroi de l’aide médicale urgente, à l’égard d’un étranger qui séjourne illégalement dans le Royaume ;

[...] »

II. Le litige au principal et la question préjudicielle

10. Le 20 août 2012, LM a présenté, pour son compte et pour celui de R, sa fille alors mineure, des demandes d’autorisation de séjour pour raisons médicales, motivées par le fait que celle‑ci souffre de plusieurs maladies graves.

11. Cette demande a été déclarée recevable le 6 mars 2013 et LM a, de ce fait, bénéficié de l’aide sociale à la charge du centre public d’action sociale de Seraing (ci‑après le « CPAS »).

12. Trois décisions rejetant les demandes d’autorisation de séjour introduites par LM ont ensuite été adoptées puis retirées par l’autorité compétente. Le 8 février 2016, une quatrième décision de rejet de ces demandes a été adoptée. En outre, cette décision était assortie d’un ordre de quitter le territoire belge.

13. LM a introduit, le 25 mars 2016, un recours en annulation et en suspension contre la dernière décision de rejet et l’ordre de quitter le territoire devant le conseil du contentieux des étrangers (Belgique).

14. Le CPAS a retiré à LM le bénéfice de l’aide sociale à compter du 26 mars 2016, date d’expiration du délai de départ volontaire qui lui avait été octroyé, l’intéressé n’étant éligible, compte tenu du caractère irrégulier du séjour sur le territoire belge, qu’à l’aide médicale urgente, laquelle lui a été accordée à partir du 22 mars 2016.

15. À la suite de l’introduction d’un recours en référé devant le tribunal du travail de Liège (Belgique) contre la décision retirant à LM le bénéfice de l’aide sociale, le versement de celle‑ci a été rétablie.

16. Par deux décisions du 16 mai 2017, le CPAS a, de nouveau, retiré le bénéfice de l’aide sociale à LM à compter du 11 avril 2017, au motif que sa fille était devenue majeure à cette date. Depuis le 11 avril 2017, la fille du requérant au principal perçoit une aide sociale équivalente au taux isolé du revenu d’intégration majorée des prestations familiales du fait de son handicap.

17. LM a introduit un recours contre les décisions du CPAS du 16 mai 2017 devant le tribunal du travail de Liège. Par un jugement du 16 avril 2018, cette juridiction a considéré que le retrait de l’aide sociale était légalement fondé à compter de la date à laquelle R était devenue majeure, le demandeur n’étant pas lui‑même dans un état de santé justifiant d’écarter la loi belge.

18. Le 22 mai 2018, LM a interjeté appel de ce jugement devant la juridiction de renvoi.

19. Cette juridiction souligne qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (ci‑après la « Cour EDH ») que les relations entre parents et enfants adultes peuvent être protégées par le droit à la vie familiale lorsqu’est démontrée l’existence d’éléments supplémentaires de dépendance entre eux. Elle constate que la dégradation prévisible de l’état de santé de R en cas de retour vers son pays d’origine paraît correspondre en tous points au seuil de gravité exigé pour
considérer que son éloignement l’exposerait à des traitements inhumains ou dégradants. En outre, elle relève que, au regard de cet état de santé, la présence de son père à ses côtés reste tout aussi indispensable que lorsqu’elle était mineure.

20. Dans ce contexte, elle estime que, si le refus d’octroyer une aide sociale à LM ne saurait constituer, en tant que tel, une atteinte à ce droit, il n’en demeure pas moins que ce refus est de nature à priver LM des moyens nécessaires pour maintenir son soutien et sa présence physique aux côtés de R.

21. Dans ces conditions, la cour du travail de Liège (Belgique) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 57, [paragraphe] 2, premier alinéa, 1°, de la loi organique belge du 8 juillet 1976 des centres publics d’action sociale, est-il contraire aux articles 5 et 13 de la directive [2008/115], lus à la lumière de l’articles 19, [paragraphe] 2, et de l’article 47 de la [Charte], ainsi que de l’article 14, [paragraphe] 1, [sous] b), de cette directive et des articles 7 et 12 de la [Charte] tels qu’interprétés par l’arrêt [du 18 décembre 2014, Abdida (C‑562/13, EU:C:2014:2453)] :

– primo, en ce qu’il conduit à priver un étranger ressortissant d’un État tiers en séjour illégal sur le territoire d’un État membre de la prise en charge, dans la mesure du possible, de ses besoins de base pendant l’exercice du recours en annulation et suspension qu’il a introduit, en son nom personnel et de représentant de son enfant alors encore mineur, contre une décision leur ayant ordonné de quitter le territoire d’un État membre,

– alors que, secundo, d’une part, ledit enfant aujourd’hui majeur est atteint d’une maladie grave, que l’exécution de cette décision est susceptible d’exposer à un risque sérieux de détérioration grave et irréversible de son état de santé et que, d’autre part, la présence de ce parent auprès de son enfant majeur est jugée indispensable par le corps médical en raison de sa vulnérabilité découlant de son état de santé (crises drépanocytaires récidivantes et nécessité d’une intervention
chirurgicale en vue d’éviter la paralysie) ? »

III. La procédure devant la Cour

22. Des observations ont été présentées par les gouvernements belge et néerlandais ainsi que par la Commission européenne.

IV. Analyse

A.   Sur la recevabilité de la question préjudicielle

23. En premier lieu, le gouvernement belge soutient que la demande de décision préjudicielle est irrecevable, en tant qu’elle porte sur la compatibilité d’une norme de droit national avec diverses dispositions de la directive 2008/115 et de la Charte alors qu’il n’existe aucun lien de rattachement entre la situation du requérant et le droit de l’Union, cette dernière ne relevant ni de l’article 14 de cette directive ni de l’article 19 de la Charte.

24. Si la formulation de la question posée par la juridiction de renvoi appelle, il est vrai, la Cour à se prononcer sur la compatibilité entre une disposition de droit national et le droit de l’Union, ce qui ne relève pas de sa compétence dans le cadre de la procédure préjudicielle, il ressort d’une jurisprudence constante qu’il appartient à la Cour, dans une telle situation, de fournir à la juridiction de renvoi les éléments d’interprétation du droit de l’Union qui lui permettront de juger de la
compatibilité d’une norme de droit interne avec le droit de l’Union ( 3 ).

25. Par ailleurs, il y a lieu de relever que, par sa question, la juridiction de renvoi vise, principalement, à déterminer si la situation du requérant au principal relève ou non du champ d’application de l’article 14 de la directive 2008/115. Ainsi, l’argumentation du gouvernement belge sur l’inapplicabilité de cette disposition, et plus généralement l’absence de tout lien avec le droit de l’Union, est indissociablement liée à la réponse qu’il convient de donner à ladite question au fond et, ne
peut, partant, conduire à l’irrecevabilité de la demande de décision préjudicielle ( 4 ).

26. En deuxième lieu, il convient de relever que le gouvernement belge a précisé, dans ses observations, qu’un titre de séjour, d’une durée d’un an renouvelable, a finalement été accordé à LM et à sa fille le 17 mai 2019, ledit gouvernement ne tirant aucune conséquence de cette situation quant à la recevabilité de la question préjudicielle.

27. Selon une jurisprudence constante, il découle à la fois des termes et de l’économie de l’article 267 TFUE que la procédure préjudicielle présuppose qu’un litige soit effectivement pendant devant les juridictions nationales, dans le cadre duquel elles sont appelées à rendre une décision susceptible de prendre en considération l’arrêt de la Cour rendu à titre préjudiciel. Partant, la Cour doit vérifier, même d’office, la persistance du litige au principal ( 5 ).

28. Dans le cas présent, il importe de souligner que la demande de décision préjudicielle émane d’une juridiction sociale saisie d’un recours contre les décisions du CPAS retirant au requérant au principal le bénéfice de l’aide sociale à compter du 11 avril 2017, date de la majorité de sa fille. Aucun élément du dossier soumis à la Cour ne permet de considérer que la régularisation du séjour de LM et de sa fille a pris effet antérieurement au 17 mai 2019, date de délivrance d’un titre de séjour aux
intéressés, et s’est accompagnée d’une reconnaissance rétroactive des droits sociaux de LM à compter du 11 avril 2017, matérialisée par le versement d’un rappel d’allocations pour la période séparant les deux dates précitées.

29. Il est possible, dès lors, de considérer que subsiste ainsi un objet au litige au principal, en l’occurrence la reconnaissance de la qualité de LM comme bénéficiaire de l’aide sociale à compter du 11 avril 2017, pour lequel la juridiction de renvoi est appelée à se prononcer et qu’une réponse de la Cour à la question posée demeure utile pour la solution de ce litige ( 6 ). Partant, il y a lieu de statuer sur la demande de décision préjudicielle.

30. En troisième lieu, il est constant que la juridiction de renvoi a, dans la même décision, formulé des questions préjudicielles à l’attention de la Cour, mais aussi à destination de la Cour constitutionnelle belge, visant à apprécier la compatibilité de la législation belge en cause au principal avec la Constitution belge, l’interrogation adressée à la juridiction nationale présentant un caractère prioritaire selon les termes de la décision de renvoi. Il apparaît ainsi que la reconnaissance du
caractère inconstitutionnel de ladite législation serait de nature à priver la présente affaire de tout objet. Force est de constater que, à ce stade de la procédure, aucune décision de la Cour constitutionnelle belge n’est intervenue.

B.   Sur la question préjudicielle

31. Une première lecture de la question préjudicielle soumise à la Cour révèle que la juridiction de renvoi s’interroge sur la compatibilité d’une disposition nationale au regard des conditions dans lesquelles un ressortissant d’un pays tiers peut bénéficier des garanties qui lui sont reconnues par le droit de l’Union dans l’attente du retour, en l’occurrence à l’article 14 de la directive 2008/115, et, plus particulièrement, de la prise en charge de ses besoins de base durant la période d’examen du
recours introduit, en son nom personnel et celui de son enfant alors encore mineur, contre une décision leur ayant ordonné de quitter le territoire d’un État membre.

32. La détermination de la portée exacte de la demande de décision préjudicielle, relativement complexe dans sa formulation, impose cependant de prendre en compte l’ensemble des dispositions du droit de l’Union visées dans celle‑ci, à savoir les articles 5, 13 et 14 de la directive 2008/115 et les articles 7, 12, 19 et 47 de la Charte, ainsi que l’arrêt du 18 décembre 2014, Abdida (C‑562/13, EU:C:2014:2453), de la Cour également cité.

33. Dans cet arrêt, la Cour a jugé, d’une part, que doit se voir reconnaître un effet suspensif de plein droit le recours exercé par un ressortissant de pays tiers contre une décision de retour dont l’exécution est susceptible d’exposer ce dernier à un risque sérieux de détérioration grave et irréversible de son état de santé et, d’autre part, que ledit ressortissant doit bénéficier d’une prise en charge de ses besoins de base durant le report d’éloignement consécutif à l’exercice dudit recours.

34. Il apparaît ainsi que la problématique relative aux garanties dans l’attente du retour définies à l’article 14 de la directive 2008/115 est indissolublement liée à celle afférente au droit à un recours effectif contre la décision de retour prévu à l’article 13 de cette directive, le lien reposant sur les termes de l’article 9, paragraphe 1, sous b), de ladite directive, selon lequel les États membres reportent l’éloignement tant que dure l’effet suspensif accordé conformément à l’article 13,
paragraphe 2, de la même directive.

35. La réponse à la question posée à la Cour implique, en conséquence, de déterminer, préalablement, si le recours introduit par le parent d’un enfant gravement malade contre une décision de retour, dont l’exécution est susceptible d’exposer cet enfant à un risque sérieux de détérioration grave et irréversible de son état de santé, doit se voir reconnaître un effet de plein droit suspensif lorsqu’il est établi que sa présence auprès de son enfant est indispensable ( 7 ).

1. Sur la reconnaissance d’un effet suspensif de plein droit au recours introduit contre la décision de retour par le parent d’un enfant gravement malade

36. Avant d’examiner les fondements juridiques possibles de la reconnaissance d’un tel effet, il convient d’analyser les observations sur le fond du gouvernement belge concernant cette question.

a) Sur les observations du gouvernement belge

37. En premier lieu, une lecture des observations du gouvernement belge, de type littéral, fait apparaître la volonté de ce dernier d’établir la pleine conformité de la législation nationale avec le droit de l’Union.

38. D’une part, il est allégué que l’article 57, paragraphe 2, de la loi organique du 8 juillet 1976, tel qu’interprété par la Cour constitutionnelle, n’entre pas en contrariété avec les objectifs de la directive 2008/115, ladite Cour prévoyant la prise en compte de la situation familiale spécifique d’un enfant, mineur ou majeur, lors de la détermination de l’octroi d’une aide sociale à l’intéressé.

39. D’autre part, il est indiqué que les procédures internes assurent un recours effectif au sens du droit de l’Union, ce qu’a reconnu la Cour constitutionnelle dans un arrêt du 18 juillet 2019, un recours en extrême urgence, suspensif de plein droit, contre les mesures d’éloignement de refoulement étant, notamment, ouvert devant le conseil du contentieux des étrangers.

40. Cette argumentation du gouvernement belge appelle de ma part les remarques suivantes.

41. Je relève, tout d’abord, qu’il résulte clairement des observations dudit gouvernement que, en droit national, le parent en séjour illégal d’un enfant mineur ou majeur ne peut revendiquer, à titre personnel, une quelconque aide sociale si ce n’est l’aide médicale urgente. Or, c’est précisément sur la conformité d’une telle législation avec le droit de l’Union que la Cour est interrogée par la juridiction de renvoi au regard de la situation d’un parent d’un enfant gravement malade ayant introduit
un recours, en son nom personnel et celui de son enfant, contre les décisions de retour les concernant.

42. S’agissant, ensuite, des références aux décisions de la Cour constitutionnelle belge, il est de jurisprudence constante que l’article 267 TFUE confère aux juridictions nationales la faculté la plus étendue de saisir la Cour si elles considèrent qu’une affaire pendante devant elles soulève des questions exigeant une interprétation ou une appréciation en validité des dispositions du droit de l’Union nécessaires au règlement du litige qui leur est soumis. La Cour en a conclu qu’une règle de droit
national, en vertu de laquelle les juridictions ne statuant pas en dernière instance sont liées par des appréciations portées par la juridiction supérieure, ne saurait enlever à ces juridictions la faculté de la saisir de questions d’interprétation du droit de l’Union concerné par de telles appréciations en droit. La Cour a en effet considéré que la juridiction qui ne statue pas en dernière instance, telle que la juridiction de renvoi, doit être libre, si elle considère que l’appréciation en
droit faite au degré supérieur pourrait l’amener à rendre un jugement contraire au droit de l’Union, de la saisir des questions qui la préoccupent ( 8 ).

43. Enfin, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, il ne nous appartient pas, dans le cadre de la procédure préjudicielle, d’interpréter le droit national pour déterminer en l’occurrence l’état précis du droit procédural belge dans le domaine des recours introduits par des migrants en attente d’éloignement.

44. Il convient de rappeler que la procédure de renvoi préjudiciel, prévue à l’article 267 TFUE, est fondée, selon une jurisprudence constante, sur une nette séparation des fonctions entre les juridictions nationales et la Cour, cette dernière étant uniquement habilitée à se prononcer sur l’interprétation ou la validité des actes de l’Union visés à cet article. Dans ce cadre, il n’appartient pas à la Cour d’apprécier l’interprétation des dispositions du droit national ou de juger si l’interprétation
que la juridiction nationale en donne est correcte ( 9 ).

45. Il appartient au seul juge national, qui est saisi du litige et qui doit assumer la responsabilité de la décision juridictionnelle à intervenir, d’apprécier, au regard des particularités de l’affaire, tant la nécessité d’une décision préjudicielle pour être en mesure de rendre son jugement que la pertinence des questions qu’il pose à la Cour. En conséquence, dès lors que les questions posées portent sur l’interprétation d’une règle de droit de l’Union, elles bénéficient d’une présomption de
pertinence et la Cour est, en principe, tenue de statuer ( 10 ).

46. En second lieu, il peut être déduit des observations du gouvernement belge l’existence d’une argumentation relative à la portée rationae temporis de l’article 13 de la directive 2008/115.

47. Ainsi, le gouvernement belge allègue ( 11 ) qu’il résulte de l’arrêt du 18 décembre 2014, Abdida (C‑562/13, EU:C:2014:2453), que la garantie d’effectivité du recours doit être assurée au moment de l’éloignement, c’est‑à‑dire lors de l’exécution de la décision de retour, et observe que LM n’a précisément fait l’objet d’aucune mesure d’exécution forcée de la décision de retour le concernant. Cette approche conduirait à reporter la mise en œuvre du principe de protection juridictionnelle effective
de l’adoption de la décision de retour au moment où l’éloignement est imminent et, par voie de conséquence, l’application des garanties dans l’attente du retour prévues à l’article 14 de la directive 2008/115 au-delà de l’introduction du recours contre la décision de retour.

48. Une telle argumentation ne peut être retenue, dans la mesure où elle procède d’une interprétation erronée de l’arrêt du 18 décembre 2014, Abdida (C‑562/13, EU:C:2014:2453), et du dispositif mis en place par la directive 2008/115 pour assurer une politique efficace d’éloignement et de rapatriement dans le respect intégral des droits fondamentaux ainsi que de la dignité des personnes concernées. Force est de constater que le gouvernement belge s’est borné à mettre en exergue l’emploi du terme
« exécution » dans le dispositif dudit arrêt, omettant, ce faisant, d’appréhender le raisonnement de la Cour ayant conduit à la solution contenue dans le dispositif et les précisions apportées par la suite.

49. La question soumise à la Cour était, notamment, celle de l’interprétation de l’article 13 de la directive 2008/115, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, aux fins de détermination des « caractéristiques du recours devant pouvoir être exercé contre une décision de retour », au sens de l’article 3, point 4, de cette directive, soit un acte administratif déclarant illégal le séjour du migrant concerné et énonçant une obligation de retour identique à celui dont LM a fait l’objet le 8 février
2016. La Cour a indiqué que « l’effectivité du recours exercé contre une décision de retour » dont l’exécution est susceptible d’exposer le ressortissant de pays tiers en cause à un risque sérieux de détérioration grave et irréversible de son état de santé exige que ledit ressortissant dispose d’un recours avec effet suspensif, afin de garantir que « la décision de retour » ne soit pas exécutée avant qu’un grief relatif à une violation de l’article 5 de la directive 2008/115, lu à la lumière de
l’article 19, paragraphe 2, de la Charte, n’ait pu être examiné par une autorité compétente ( 12 ).

50. La Cour a précisé sa jurisprudence dans l’arrêt Gnandi ( 13 ), en réitérant l’obligation de prévoir, dans certaines hypothèses, un recours de plein droit suspensif contre la décision de retour, mais aussi en ajoutant qu’il en allait « a fortiori de même s’agissant d’une éventuelle décision d’éloignement au sens de l’article 8, paragraphe 3, de [la directive 2008/115] ». Il ressort de la motivation dudit arrêt que l’adoption d’une décision d’éloignement est envisagée comme une situation
incertaine et additionnelle, au regard de laquelle un effet suspensif de plein droit est susceptible d’être reconnu au profit du recours introduit par le ressortissant du pays tiers concerné.

51. Cette approche s’explique par le fait, d’une part, que, conformément aux termes de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2008/115, l’adoption d’une décision d’éloignement présente un caractère hypothétique, à la différence de la décision de retour prévue à l’article 6, paragraphe 1, de cette directive et, d’autre part, que cette dernière décision peut, au regard de sa nature juridique telle que définie à l’article 3, paragraphe 4, de ladite directive, conduire, en tant que telle, à
l’éloignement du ressortissant du pays tiers concerné. L’article 13, paragraphe 1, de la directive 2008/115 accorde audit ressortissant un droit de recours effectif pour attaquer les décisions liées au retour, elles‑mêmes définies à l’article 12, paragraphe 1, de cette directive comme étant les décisions de retour et, « le cas échéant », les décisions d’interdiction d’entrée ainsi que les décisions d’éloignement.

52. Il importe de souligner que la garantie d’effectivité du recours, prévue à l’article 13 précité, lu à la lumière de l’article 47 de la Charte, implique, par définition, l’adoption d’un acte pouvant être porté devant une juridiction pour en contester la légalité. Or, il résulte d’une lecture combinée des articles 6, 8, de l’article 12, paragraphe 1, et de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2008/115 que cet acte peut n’être constitué que par la seule décision de retour.

53. Il apparaît ainsi que l’argumentation du gouvernement belge, selon laquelle, en vertu du droit de l’Union, un recours de plein droit suspensif ne doit être offert qu’à partir du moment où l’éloignement est imminent et non dès que la décision de retour est adoptée, méconnaît l’économie générale de la directive 2008/115 et doit, dès lors, être rejetée.

b) Sur le cadre juridique d’analyse

54. Si la juridiction de renvoi invite la Cour à prendre en considération le droit au respect de la vie familiale, tel qu’il résulte de l’article 7 de la Charte et de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci‑après la « CEDH »), il convient de relever que la Commission se réfère à un tout autre fondement juridique pour conclure à la nécessaire reconnaissance d’un effet suspensif de plein droit au
recours introduit par le requérant au principal.

55. Elle propose, en substance, de mettre en œuvre un raisonnement par analogie avec la jurisprudence de la Cour relative à l’octroi à un ressortissant d’un pays tiers, sur le fondement des articles 20 et 21 TFUE, d’un droit de séjour dérivé sur le territoire de l’Union, et ce afin de ne pas priver de tout effet utile le droit de séjour d’un enfant mineur, jouissant du statut de citoyen de l’Union européenne, en cas d’éloignement de ce ressortissant, parent de l’enfant. Il y aurait lieu, en
conséquence, de reconnaître au recours introduit par le requérant au principal un effet suspensif, afin de ne pas priver d’effet utile la suspension de l’exécution de la décision de retour dont bénéficie sa fille, conformément à l’arrêt du 18 décembre 2014, Abdida (C‑562/13, EU:C:2014:2453).

56. La Cour a effectivement considéré qu’un droit de séjour doit être accordé à un ressortissant d’un pays tiers, membre de la famille dudit citoyen, sous peine de méconnaître l’effet utile de la citoyenneté de l’Union, si, comme conséquence du refus d’un tel droit, ce citoyen se voyait obligé, en fait, de quitter le territoire de l’Union pris dans son ensemble, en le privant ainsi de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par ce statut. Elle a clairement précisé que la finalité
et la justification desdits droits dérivés, qui ne sont pas des droits propres desdits ressortissants, se fondent sur la constatation que le refus de leur reconnaissance est de nature à porter atteinte, notamment, à la liberté de circulation du citoyen de l’Union ( 14 ).

57. Il apparaît ainsi que la jurisprudence excipée par la Commission s’inscrit dans un contexte juridique et factuel nettement différent, comme le reconnaît la Commission elle‑même, de la présente affaire qui est caractérisée par le fait que le requérant au principal et sa fille sont tous deux des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier et faisant l’objet d’une décision de retour, ce qui me semble faire obstacle à une pure application par analogie de cette jurisprudence.

58. Je relève, cependant, que les notions de « protection de la vie familiale » mais aussi d’« intérêt supérieur » de l’enfant sont explicitement utilisées par la Cour en tant que paramètres d’interprétation de différentes normes du droit de l’Union, relevant du droit primaire ou secondaire, pouvant fonder l’octroi à un ressortissant d’un pays tiers d’un droit de séjour dérivé sur le territoire de l’Union ou garantir l’effectivité du droit au regroupement familial des ressortissants de pays tiers
résidant légalement sur le territoire des États membres ( 15 ).

59. Ces considérations spécifiques de la Cour relatives à l’article 7 de la Charte, lu en combinaison avec l’article 24 de ladite Charte, peuvent, en revanche, être transposées dans le cadre de la présente affaire aux fins de la détermination d’un fondement juridique à la reconnaissance d’un effet suspensif de plein droit au recours introduit par le requérant au principal, père d’un enfant gravement malade, contre la décision de retour le concernant.

c) Sur la reconnaissance d’un effet suspensif au titre du respect de la vie familiale

60. S’agissant des caractéristiques du recours devant pouvoir être exercé contre une décision de retour telle que celle en cause au principal, il ressort de l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2008/115, lu en combinaison avec l’article 12, paragraphe 1, de celle‑ci ( 16 ), qu’un ressortissant de pays tiers doit disposer d’une voie de recours effective pour attaquer une décision de retour prise à son égard ( 17 ).

61. L’article 13, paragraphe 2, de cette directive prévoit, quant à lui, que l’autorité ou l’instance compétentes pour statuer sur ce recours peut suspendre temporairement l’exécution de la décision de retour attaquée, à moins qu’une suspension temporaire ne soit déjà applicable en vertu de la législation nationale. Il s’ensuit que ladite directive n’impose pas que le recours prévu à l’article 13, paragraphe 1, de celle‑ci ait nécessairement un effet suspensif ( 18 ).

62. Il importe, cependant, de souligner que l’interprétation des dispositions de la directive 2008/115 doit être effectuée, comme le rappelle le considérant 2 de celle‑ci, dans le respect intégral des droits fondamentaux et de la dignité des personnes concernées ( 19 ).

63. Les caractéristiques du recours prévu à l’article 13, paragraphe 1, de la directive 2008/115 doivent donc être déterminées en conformité avec, d’une part, l’article 47 de la Charte qui constitue une réaffirmation du principe de protection juridictionnelle effective et aux termes duquel toute personne dont les droits et les libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues audit article et, d’autre
part, l’article 7 de la Charte qui reconnaît le droit au respect de la vie familiale ( 20 ).

64. L’article 7 de la Charte doit, pour sa part, être lu en corrélation avec l’obligation de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant, reconnu à l’article 24, paragraphe 2, de ladite Charte, et en tenant compte du droit fondamental d’un enfant à la protection et aux soins nécessaires à son bien-être ainsi qu’au droit d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses parents, dont le respect se confond incontestablement avec l’intérêt supérieur de
l’enfant ( 21 ). L’exigence d’une interprétation de la directive 2008/115 à la lumière de l’article 7 et de l’article 24 de la Charte s’induit d’ailleurs des termes mêmes de l’article 5, sous a) et b), de cette directive, lequel impose aux États membres de tenir dûment compte, lorsqu’ils mettent en œuvre ladite directive, de l’intérêt supérieur de l’enfant et de la vie familiale ( 22 ).

65. Ainsi qu’il résulte des explications relatives à la Charte ( 23 ), conformément à l’article 52, paragraphe 3, de cet acte, les droits garantis à l’article 7 de celle‑ci ont le même sens et la même portée que ceux garantis à l’article 8 de la CEDH, tel qu’interprété par la jurisprudence de la Cour EDH ( 24 ).

66. À cet égard, le gouvernement belge fait valoir, dans ses observations, que, appelée à se prononcer sur la compatibilité avec l’article 13 combiné avec l’article 8 de la CEDH du régime d’exception prévu pour les recours contre les arrêtés de reconduite à la frontière de la Guyane (région et département d’outre-mer français), la Cour EDH a indiqué, dans l’arrêt De Souza Ribeiro c. France ( 25 ), que, « s’agissant d’éloignements d’étrangers contestés sur la base d’une atteinte alléguée à la vie
privée et familiale, l’effectivité ne requiert pas que les intéressés disposent d’un recours de plein droit suspensif ». Dans l’hypothèse d’une atteinte alléguée à la vie privée et familiale, le critère d’effectivité ne requerrait donc pas que les intéressés disposent d’un recours de plein droit suspensif, contrairement aux cas d’éloignements contestés sur la base d’un risque de traitements inhumains ou dégradants contraires à l’article 3 de la CEDH ( 26 ).

67. Cette seule référence à l’arrêt en cause de la Cour EDH ne traduit pas la diversité de la jurisprudence de cette dernière dans le domaine combinant immigration et protection de la vie familiale ( 27 ). Force est de constater, en outre, que les circonstances caractérisant l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt précité diffèrent sensiblement de celles de la présente demande de décision préjudicielle, ce qui rend ladite référence jurisprudentielle dépourvue de pertinence dans le cas présent. En
effet, l’affaire en question concernait un individu majeur au moment de l’introduction de la demande de référé/suspension de la mesure d’éloignement et du recours au fond, résidant avec sa famille en Guyane et entretenant avec les membres de cette dernière des relations ne révélant aucune situation particulière si ce n’est des liens affectifs normaux. En outre, l’intéressé avait pu revenir en Guyane quelque temps après son expulsion et obtenir un titre de séjour.

68. Il importe de souligner que la problématique juridique soulevée par la présente demande de décision préjudicielle concerne la possibilité de reconnaître un effet suspensif de plein droit à un recours dirigé contre une décision de retour, au sens de l’article 3 de la directive 2008/115, ce qui implique, à mon sens, d’apprécier la situation familiale du requérant au principal et une éventuelle atteinte au droit au respect de la vie familiale à la date à laquelle ce dernier a introduit ledit
recours.

69. Il résulte de la décision de renvoi que, le 25 mars 2016, le requérant au principal a introduit, en son nom personnel et en sa qualité de représentant légal de sa fille mineure, alors âgée de près de 17 ans, un recours contre la décision portant rejet de la demande d’autorisation de séjour, accompagnée d’un ordre de quitter le territoire ( 28 ), les deux intéressés résidant en Belgique depuis le 8 avril 2012 et vivant, depuis cette date, sous le même toit. Cette situation caractérise
incontestablement l’existence d’une « vie familiale », telle que requise par la Cour EDH dans sa jurisprudence relative à l’article 8 de la CEDH, étant observé que cette notion de « vie familiale » peut englober la relation entre un enfant légitime ou naturel et son père, indépendamment de la présence ou non dans le foyer de la mère, et que la protection que garantit cette disposition s’étend à tous les membres de la famille ( 29 ).

70. Dans les affaires combinant vie familiale et immigration, portant notamment sur la question de l’expulsion des étrangers, y compris en séjour irrégulier, la Cour EDH procède à une mise en balance des intérêts en présence, à savoir l’intérêt personnel des individus concernés à mener une vie familiale sur un territoire donné et l’intérêt général poursuivi par l’État, en l’occurrence le contrôle de l’immigration. Les facteurs pris en considération sont la mesure dans laquelle il y a effectivement
entrave à la vie familiale, l’étendue des attaches que les personnes concernées ont dans l’État contractant en cause, la question de savoir s’il existe ou non des obstacles insurmontables à ce que la famille vive dans le pays d’origine de l’étranger concerné et celle de savoir s’il existe des éléments touchant au contrôle de l’immigration ou des considérations d’ordre public pesant en faveur d’une exclusion ( 30 ).

71. Lorsque des enfants sont concernés, la Cour EDH considère qu’il faut prendre en compte leur intérêt supérieur. Sur ce point particulier, elle rappelle que l’idée selon laquelle l’intérêt supérieur des enfants doit primer dans toutes les décisions qui les concernent fait l’objet d’un large consensus, notamment en droit international. Cet intérêt n’est certes pas déterminant à lui seul, mais il faut assurément lui accorder un poids important. C’est ainsi que, dans les affaires de regroupement
familial, la Cour EDH attache une attention particulière à la situation des mineurs en cause, en particulier à leur âge, à leur situation dans le ou les pays en cause et à leur degré de dépendance à l’égard de leurs parents ( 31 ).

72. À cet égard, je relève que c’est la même notion de relation de dépendance qui est utilisée par la Cour pour fonder un droit de séjour dérivé sur le territoire de l’Union d’un ressortissant d’un pays tiers lorsque ce droit lui est ouvert par un membre de sa famille jouissant du statut de citoyen de l’Union en vertu de l’article 20 TFUE. La Cour considère, en effet, que le refus d’accorder un droit de séjour à un ressortissant d’un pays tiers n’est susceptible de mettre en cause l’effet utile de
la citoyenneté de l’Union que s’il existe, entre ce ressortissant d’un pays tiers et le citoyen de l’Union, membre de sa famille, une relation de dépendance telle qu’elle aboutirait à ce que ce dernier soit contraint d’accompagner le ressortissant d’un pays tiers en cause et de quitter le territoire de l’Union, pris dans son ensemble ( 32 ).

73. Dans le cadre de cette appréciation, les autorités compétentes doivent tenir compte du droit au respect de la vie familiale, tel qu’il est énoncé à l’article 7 de la Charte, cet article devant être lu en combinaison avec l’obligation de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant, reconnu à l’article 24, paragraphe 2, de la Charte. La constatation d’une relation de dépendance doit être fondée sur la prise en compte, dans l’intérêt supérieur de l’enfant concerné, de l’ensemble des
circonstances de l’espèce, notamment de son âge, de son développement physique et émotionnel, du degré de sa relation affective tant avec le parent citoyen de l’Union qu’avec le parent ressortissant d’un pays tiers, ainsi que du risque que la séparation d’avec ce dernier engendrerait pour l’équilibre de cet enfant. Ainsi, le fait que le parent, ressortissant d’un pays tiers, cohabite avec l’enfant mineur, citoyen de l’Union, est un des éléments pertinents à prendre en considération pour
déterminer l’existence d’une relation de dépendance entre eux, sans pour autant en constituer une condition nécessaire ( 33 ).

74. Ainsi qu’il a été précédemment mentionné, ces considérations peuvent être transposées dans le cadre de la problématique d’une éventuelle atteinte au droit au respect de la vie familiale, apprécié de manière combinée avec l’intérêt supérieur de l’enfant, du ressortissant d’un pays tiers, parent d’un enfant gravement malade, dans l’hypothèse d’un éloignement dudit ressortissant.

75. En l’occurrence, le dossier soumis à la Cour me semble faire apparaître une véritable relation de dépendance entre le requérant au principal et sa fille, ce qu’il appartiendra à la juridiction de renvoi de vérifier.

76. Il ressort, en effet, de la décision de renvoi que la fille de LM est atteinte, d’une part, d’une drépanocytose majeure, pathologie lourde pouvant conduire à tout moment à une crise douloureuse qui peut se compliquer et être fatale, ayant déjà nécessité plusieurs hospitalisations de l’intéressée lors d’épisodes critiques et, d’autre part, d’une importante cyphose nécessitant une intervention chirurgicale, sous peine de paralysie. Cette situation a conduit le requérant au principal à quitter le
Congo accompagné de sa fille et à présenter auprès des autorités belges compétentes, le 20 août 2012, une demande d’autorisation de séjour motivée par l’état de santé de celle‑ci.

77. La cellule familiale étant uniquement composée du requérant et de sa fille, le premier nommé représentait, au moment de l’introduction du recours, et continue de représenter une présence physique indispensable pour accompagner celle‑ci lors de ses différentes hospitalisations et pour l’observance du traitement médical, ainsi qu’un soutien affectif pour aider psychiquement sa fille à traverser les différentes épreuves subies par cette dernière du fait des affections dont elle souffre. Il importe
de souligner que le corps médical a clairement indiqué que la fille du requérant au principal « a besoin d’être accompagnée par un parent vivant avec elle et de façon définitive, en raison de son état de santé (crises drépanocytaires récidivantes) ».

78. Dans un tel contexte, l’éloignement du ressortissant d’un pays tiers en cause, père d’un enfant gravement malade et bénéficiant d’un effet suspensif de plein droit du recours introduit contre la décision de retour dont l’exécution serait susceptible de l’exposer à un risque sérieux de détérioration grave et irréversible de son état de santé, est de nature à porter atteinte, de manière grave et irréparable, à la protection de la vie familiale consacrée à l’article 7 de la Charte, lu en
combinaison avec l’obligation de prendre en considération l’intérêt supérieur de l’enfant, reconnu à l’article 24, paragraphe 2, de la Charte. Le retour contraint de LM au Congo conduirait à priver sa fille atteinte de maladies graves de sa présence à ses côtés, pourtant considérée comme indispensable par le corps médical, en méconnaissance du droit fondamental d’un enfant à la protection et aux soins nécessaires à son bien-être ainsi qu’au droit d’entretenir régulièrement des relations
personnelles et des contacts directs avec ses parents, énoncés aux paragraphes 1 et 3 du même article 24.

79. L’effectivité du recours exercé contre une décision de retour dont l’exécution est susceptible de conduire à la situation décrite ci-dessus exige, dans ces conditions, que ce ressortissant de pays tiers dispose d’un recours avec effet suspensif, afin de garantir que la décision de retour ne soit pas exécutée avant qu’un grief relatif à une violation de l’article 5 de la directive 2008/115, lu à la lumière des articles 7 et 24 de la Charte, n’ait pu être examiné par une autorité compétente ( 34
). Il en va a fortiori de même s’agissant d’une éventuelle décision d’éloignement au sens de l’article 8, paragraphe 3, de cette directive ( 35 ).

80. Une interprétation contraire aboutirait, selon moi, à méconnaître les droits fondamentaux énoncés auxdites dispositions de la Charte, à laquelle l’article 6, paragraphe 1, TUE reconnaît la même valeur juridique que les traités, et dont la Cour assure le respect. Il convient de rappeler qu’il incombe aux États membres non seulement d’interpréter leur droit national d’une manière conforme au droit de l’Union, mais également de veiller à ne pas se fonder sur une interprétation d’un texte du droit
dérivé qui entrerait en conflit avec les droits fondamentaux protégés par l’ordre juridique de l’Union ( 36 ).

81. J’observe, au surplus, qu’une même conclusion s’imposerait, à mon sens, dans l’hypothèse d’une prise en compte de la survenance de la majorité de la fille du requérant, le 11 avril 2017, et d’une analyse devant s’effectuer en considération de l’existence d’une relation familiale entre un parent et un enfant adulte.

82. Il convient de relever que, s’agissant de la jurisprudence de la Cour EDH en matière d’immigration, cette dernière a admis dans un certain nombre d’affaires concernant de jeunes adultes qui n’avaient pas encore fondé leur propre famille que leurs liens avec leurs parents et d’autres membres de leur famille proche s’analysaient également en une « vie familiale » ( 37 ). Cette juridiction a indiqué qu’il n’y a pas de « vie familiale » entre parents et enfants adultes à moins que soit démontrée
l’existence d’éléments supplémentaires de dépendance, autres que des liens affectifs normaux ( 38 ).

83. Dans le cadre de son appréciation, précédemment rappelée, de l’existence d’une relation stable en tant que condition de la reconnaissance d’un droit de séjour dérivé au titre de l’article 20 TFUE en faveur de ressortissants de pays tiers, la Cour opère également une distinction entre les mineurs et les individus adultes, lesquels sont, en principe, en mesure de mener une existence indépendante des membres de leur famille. En conséquence, la Cour considère que la reconnaissance, entre deux
adultes, membres d’une même famille, d’une relation de dépendance de nature à créer un tel droit, n’est envisageable que dans des cas exceptionnels, dans lesquels, eu égard à l’ensemble des circonstances pertinentes, la personne concernée ne pourrait, d’aucune manière, être séparée du membre de sa famille dont elle dépend ( 39 ).

84. Il me semble que, là encore, ces considérations peuvent être transposées dans le cadre de la présente affaire et que le dossier soumis à la Cour permet de considérer que l’on est en présence d’un cas exceptionnel. Les constatations factuelles sur la situation médicale de la fille du requérant au principal et ses conséquences sur la nature de la relation entretenue par ces deux personnes me conduisent à conclure à la réalité tant d’une vie familiale digne de protection, les relations concernées
dépassant les liens affectifs normaux, que d’une relation de dépendance telle que l’enfant adulte ne pourrait, d’aucune manière, être séparée de son père dont elle dépend, selon les propres conclusions du corps médical.

2. Sur la prise en charge des besoins de base du parent d’un enfant gravement malade en attente d’éloignement

85. Il est constant que, afin d’éviter un vide juridique pour ces personnes, la Commission avait initialement proposé de fournir un niveau minimal de conditions de séjour pour les ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier en attente d’éloignement en faisant référence à une série de conditions, allant au-delà des simples soins médicaux d’urgence et des besoins de base, déjà énoncées dans la directive 2003/9/CE du Conseil, du 27 janvier 2003, relative à des normes minimales pour l’accueil des
demandeurs d’asile dans les États membres ( 40 ).

86. Force est de constater que le texte final de la directive 2008/115 ne fait plus référence à la directive 2003/9, et ce à la suite des inquiétudes soulevées au cours du processus législatif à propos du fait que ladite référence puisse être perçue comme « surclassant » la situation des migrants en situation irrégulière et donc envoyer un message politique inapproprié. L’article 14, paragraphe 1, de la directive 2008/115 se limite à mentionner que « les États membres veillent à ce que [certains]
principes soient pris en compte dans la mesure du possible », alors que le considérant 12 de cette directive souligne que les besoins de base des migrants en attente d’un éloignement « devraient être définis conformément à la législation nationale ».

87. Procédant à une interprétation combinée dynamique des articles 9 et 14 de la directive 2008/115, prenant en compte l’économie générale de cette dernière, la Cour a, dans l’arrêt Abdida ( 41 ), reconnu tout d’abord une large portée à l’article 9, paragraphe 1, sous b), de cette directive, prévoyant le report de l’éloignement tant que dure l’effet suspensif accordé conformément à l’article 13, paragraphe 2, de ladite directive, en considérant que la première disposition citée devait couvrir
« toutes les situations » dans lesquelles un État membre est tenu de suspendre l’exécution d’une décision de retour à la suite de l’exercice d’un recours contre cette décision. Elle en a, ensuite, déduit que les États membres étaient « tenus » d’offrir à un ressortissant de pays tiers atteint d’une grave maladie ayant exercé un recours contre une décision de retour dont l’exécution est susceptible de l’exposer à un risque sérieux de détérioration grave et irréversible de son état de santé les
garanties dans l’attente du retour instituées à l’article 14 de la directive 2008/115.

88. La Cour a précisé que, dans les circonstances particulières susmentionnées, l’État membre concerné était tenu, en application de l’article 14, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/115, de prendre en charge, dans la mesure du possible, les besoins de base d’un ressortissant d’un pays tiers atteint d’une grave maladie dans l’attente de l’examen du recours qu’il a introduit contre une décision de retour, lorsque ce ressortissant est dépourvu des moyens de pourvoir à ses besoins, la
motivation de cette obligation étant de garantir un effet réel à la fourniture de soins médicaux d’urgence et au traitement indispensable des maladies prévus à l’article précité ( 42 ).

89. Il apparaît ainsi que, au terme d’un raisonnement déductif fondé sur les termes des articles 9 et 14 de la directive 2008/115, la Cour a considéré que la reconnaissance de l’effet suspensif de plein droit au recours dirigé contre la décision de retour avait pour conséquence obligatoire le bénéfice pour son auteur des garanties de retour, la prise en charge des besoins de base étant nécessaire afin de ne pas priver d’effet réel la garantie spécifique liée à l’état de santé dégradé du migrant
concerné.

90. Dans ce contexte, la reconnaissance préalable d’un effet suspensif de plein droit au recours introduit par le requérant au principal contre la décision de retour le concernant me paraît nécessairement conduire à la conclusion que l’État membre concerné est tenu d’offrir à l’intéressé les garanties dans l’attente du retour instituées à l’article 14 de la directive 2008/115 ( 43 ). S’agissant de la prise en charge par l’État membre concerné, dans la mesure du possible, des besoins de base de LM,
il convient de se demander si la logique sur laquelle la Cour s’est fondée pour imposer ladite prise en charge au profit d’une personne gravement malade peut être appliquée à l’égard du parent dont dépend cette dernière.

91. À cet égard, parmi la liste des principes visés à l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2008/115 figurent le maintien de l’unité familiale avec les membres de la famille présents sur le territoire ainsi que la prise en compte des besoins particuliers des personnes vulnérables dont la mise en œuvre effective génère également, selon moi, une exigence concomitante de prise en charge des besoins de base du requérant au principal.

92. Indépendamment de la survenance de la majorité de la fille du requérant au principal le 11 avril 2017, il me semble, en effet, que la situation médicale particulièrement grave de celle‑ci et l’existence corrélative d’une relation de dépendance entretenue avec son père sont de nature à justifier la conclusion selon laquelle tant le maintien de l’unité familiale avec les membres de la famille présents sur le territoire que la prise en compte des besoins particuliers des personnes vulnérables,
catégorie dont relève l’enfant gravement malade, pourraient être privés d’effet réel s’ils n’étaient pas accompagnés d’une prise en charge des besoins de base dudit requérant, de manière à lui permettre de se nourrir, de se vêtir et de se loger ( 44 ).

93. Comment peut-on, en effet, concevoir, en pratique, le maintien d’une unité familiale et la prise en compte des besoins particuliers d’un enfant en situation de dépendance résultant d’une maladie grave si la situation matérielle de l’un des deux seuls membres de cette unité, censé apporter au quotidien un soutien indispensable à cette personne, n’est aucunement prise en compte ? En d’autres termes, la satisfaction des besoins élémentaires du requérant au principal constitue une forme de prérequis
à la mise en œuvre effective des garanties dans l’attente du retour visées à l’article 14, paragraphe 1, sous a) et d), de la directive 2008/115, lequel doit être interprété à la lumière de l’article 7 de la Charte.

94. En outre, reprenant directement le même raisonnement que celui suivi dans l’arrêt du 18 décembre 2014, Abdida (C‑562/13, EU:C:2014:2453), il y a lieu de considérer, selon moi, que l’assurance des soins médicaux d’urgence et du traitement indispensable des maladies, prévue à l’article 14, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/115 et dont bénéficie la fille gravement malade du requérant au principal durant la période de suspension de l’éloignement faisant suite à l’exercice d’un recours
revêtu d’un effet suspensif contre la décision de retour, pourrait être privée d’effet réel si elle n’était pas accompagnée d’une prise en charge des besoins de base de son père, ressortissant d’un pays tiers bénéficiant de la même suspension et dont la présence aux côtés de sa fille a été jugée indispensable pour des raisons médicales ( 45 ).

95. Il importe, cependant, de souligner que, s’agissant de l’obligation de prise en charge par les États membres des besoins de base du ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier et en attente d’éloignement, la Cour a apporté deux tempéraments dans l’arrêt précité.

96. Le premier est que cette prise en charge est conditionnée par le constat de l’incapacité pour le migrant concerné de subvenir lui‑même à ses besoins ( 46 ), ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier dans le cas présent, la Cour pouvant néanmoins fournir des indications sur les éléments à prendre en considération dans le cadre d’un tel examen.

97. La question essentielle est bien évidemment celle de savoir si l’intéressé dispose encore d’une source de revenus, une réponse négative paraissant devoir être déduite de la décision de renvoi. Il est ainsi constant que, depuis le 11 avril 2017, le requérant au principal ne bénéficie plus d’une aide sociale financière équivalente au revenu d’intégration calculée à hauteur du montant octroyé aux personnes vivant avec un enfant mineur à charge et que l’aide sociale accordée à l’intéressé se limite
depuis cette date à une aide médicale urgente.

98. Il convient de vérifier également le possible accès du requérant au principal au marché régulier du travail sur le territoire belge. À cet égard, si l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2009/52/CE du Parlement européen et du Conseil, du 18 juin 2009, prévoyant des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l’encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ( 47 ), prévoit que les États membres interdisent l’emploi de ressortissants de pays tiers
en séjour irrégulier, le paragraphe 3 dudit article énonce qu’un « État membre peut décider de ne pas appliquer l’interdiction visée au paragraphe 1 aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier dont l’éloignement a été reporté et qui sont autorisés à travailler conformément au droit national » ( 48 ). De surcroît, la question de l’accès du requérant au principal à l’emploi ne se limite pas à sa dimension juridique, mais doit être appréciée in concreto, eu égard à la qualité d’aidant de
l’intéressé et à la disponibilité que cette situation requiert.

99. Le second tempérament correspond à l’indication explicite de la Cour qu’il revient aux États membres de déterminer la forme dans laquelle les besoins de base du ressortissant d’un pays tiers concerné seront pris en charge ( 49 ).

100. Cette précision rappelle la marge d’appréciation laissée aux États membres par la directive 2008/115 concernant les besoins de base des migrants en attente d’un éloignement, à tout le moins quant à la manière avec laquelle lesdits besoins peuvent être satisfaits. Il y a lieu d’en déduire, selon moi, que la conclusion selon laquelle l’État membre concerné est tenu de prendre en charge, dans la mesure du possible, les besoins de base du requérant au principal, à supposer qu’il soit dans
l’incapacité de subvenir lui‑même à ses propres besoins, ne signifie pas nécessairement que l’intéressé doit bénéficier d’une allocation sous la forme d’une prestation en espèces, telle que celle revendiquée devant la juridiction de renvoi.

101. Je relève, à cet égard, que le gouvernement belge fait valoir, dans ses observations, que la fille du requérant au principal perçoit une aide sociale adaptée dont le taux prend en compte la présence de son parent à ses côtés. La décision de renvoi nous apprend que la jeune fille perçoit, depuis sa majorité, une aide sociale équivalente au taux « isolé » du revenu d’intégration majorée des prestations familiales auxquelles elle peut prétendre en raison de son handicap.

102. Il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier si, dans ces circonstances, la prise en charge des besoins de base du requérant au principal, qui cohabite avec sa fille, est effective, permettant ainsi, dans l’affirmative, de conclure à la conformité de la législation belge au droit de l’Union ( 50 ).

V. Conclusion

103. À la lumière des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit à la cour du travail de Liège (Belgique) :

Les articles 5 et 13 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, lus à la lumière des articles 7, 24 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ainsi que l’article 9 et l’article 14, paragraphe 1, sous b), de cette directive, lus en corrélation avec les articles 7 et 24 de ladite charte,
doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale :

– qui ne confère pas un effet suspensif à un recours exercé contre une décision de retour et/ou d’éloignement par un ressortissant de pays tiers, parent d’un enfant atteint d’une grave maladie et bénéficiant d’un effet suspensif de plein droit du recours introduit contre la décision précitée le concernant dont l’exécution serait susceptible de l’exposer à un risque sérieux de détérioration grave et irréversible de son état de santé, lorsqu’il existe une relation de dépendance entre le parent et
son enfant mineur ou majeur, et

– qui ne prévoit pas la prise en charge, dans la mesure du possible, des besoins de base dudit ressortissant de pays tiers, afin de garantir que soient effectivement assurés, d’une part, le maintien de l’unité familiale avec les membres de la famille présents sur le territoire ainsi que la prise en compte des besoins particuliers des personnes vulnérables et, d’autre part, les soins médicaux d’urgence et le traitement indispensable des maladies affectant l’enfant mineur ou majeur dudit
ressortissant, durant la période pendant laquelle l’État membre est tenu de reporter l’éloignement du même ressortissant de pays tiers à la suite de l’exercice de ce recours, sous réserve de la possibilité pour ledit ressortissant de subvenir lui‑même à ses besoins.

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( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) JO 2008, L 348, p. 98.

( 3 ) Voir, en ce sens, arrêt du 15 mai 2014, Almos Agrárkülkereskedelmi (C‑337/13, EU:C:2014:328, point 18).

( 4 ) Arrêt du 17 janvier 2019, KPMG Baltics (C‑639/17, EU:C:2019:31, point 11 et jurisprudence citée).

( 5 ) Arrêt du 19 juin 2018, Gnandi (C‑181/16, EU:C:2018:465, point 31).

( 6 ) Voir, en ce sens, arrêt du 10 mai 2017, Chavez-Vilchez e.a. (C‑133/15, EU:C:2017:354, point 51).

( 7 ) Je ne peux, à cet égard, partager l’interprétation de la portée de la question préjudicielle développée par le gouvernement néerlandais dans ses observations, ce dernier considérant que la question de la reconnaissance d’un effet suspensif ne se pose pas, les termes de la décision de renvoi démontrant que cette reconnaissance était acquise. Les références expresses à l’article 13 de la directive 2008/115, concernant l’effectivité du recours offert aux migrants, à l’article 47 de la Charte, qui
constitue une réaffirmation du principe de protection juridictionnelle effective, ainsi qu’à l’arrêt du 18 décembre 2014, Abdida (C‑562/13, EU:C:2014:2453), contredisent cette interprétation, la teneur dudit arrêt démontrant la nécessité de l’examen préalable de la question de la reconnaissance de l’effet suspensif du recours pour la résolution de celle du bénéfice des garanties de retour et de la couverture des besoins de base du ressortissant concerné.

( 8 ) Voir arrêt du 22 juin 2010, Melki et Abdeli (C‑188/10 et C‑189/10, EU:C:2010:363, points 41 et 42, ainsi que jurisprudence citée).

( 9 ) Voir arrêt du 22 mai 2014, Érsekcsanádi Mezőgazdasági (C‑56/13, EU:C:2014:352, point 53 et jurisprudence citée).

( 10 ) Voir arrêt du 10 décembre 2018, Wightman e.a. (C‑621/18, EU:C:2018:999, point 26 et jurisprudence citée).

( 11 ) Voir point 65 des observations.

( 12 ) Voir arrêt du 18 décembre, Abdida (C-562/13, EU:C:2014:2453, point 50).

( 13 ) Arrêt du 19 juin 2018, Gnandi (C‑181/16, EU:C:2018:465, point 56).

( 14 ) Arrêt du 8 mai 2018, K.A. e.a. (Regroupement familial en Belgique) (C‑82/16, EU:C:2018:308, points 50 et 51, ainsi que la jurisprudence citée).

( 15 ) Voir arrêts du 13 septembre 2016, Rendón Marín (C‑165/14, EU:C:2016:675, point 66) ; du 8 mai 2018, K.A. e.a. (Regroupement familial en Belgique) (C‑82/16, EU:C:2018:308, point 71) ; du 4 mars 2010, Chakroun (C‑578/08, EU:C:2010:117, point 44), ainsi que du 6 décembre 2012, O. et S. (C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:776, points 75 à 80), les deux dernières références concernant la directive 2003/86/CE du Conseil, du 22 septembre 2003, relative au droit au regroupement familial (JO 2003, L 251,
p. 12).

( 16 ) L’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/115 énonce ce qui suit : « Les décisions de retour et, le cas échéant, les décisions d’interdiction d’entrée ainsi que les décisions d’éloignement sont rendues par écrit, indiquent leurs motifs de fait et de droit et comportent des informations relatives aux voies de recours disponibles. Les informations relatives aux motifs de fait peuvent être limitées lorsque le droit national permet de restreindre le droit à l’information, en particulier
pour sauvegarder la sécurité nationale, la défense et la sécurité publique, ou à des fins de prévention et de détection des infractions pénales et d’enquêtes et de poursuites en la matière. »

( 17 ) Voir arrêt du 18 décembre 2014, Abdida (C‑562/13, EU:C:2014:2453, point 43).

( 18 ) Voir arrêt du 18 décembre 2014, Abdida (C‑562/13, EU:C:2014:2453, point 44).

( 19 ) Voir arrêt du 18 décembre 2014, Abdida (C‑562/13, EU:C:2014:2453, point 42).

( 20 ) Voir, en ce sens, arrêt du 18 décembre 2014, Abdida (C‑562/13, EU:C:2014:2453, point 45).

( 21 ) Voir, en ce sens, arrêts du 6 décembre 2012, O. et S. (C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:776, point 76) et du 5 octobre 2010, McB. (C‑400/10 PPU, EU:C:2010:582, point 60). Je relève que le texte de l’article 24, paragraphe 3, de la Charte mentionne les « deux » parents, dans la mesure où cette disposition vise notamment l’hypothèse du conflit parental pouvant conduire à un déplacement illicite de l’enfant et à la séparation contrainte d’avec l’un des parents. Reste que ledit texte me paraît
fondé sur la considération générale selon laquelle l’équilibre et l’épanouissement de l’enfant impliquent que ce dernier grandisse dans le milieu familial, aux côtés de ses parents et ne soit pas séparé de ces derniers contre son gré. La composante essentielle de la vie familiale est le droit de vivre ensemble de sorte que des relations familiales puissent se développer normalement et que les membres d’une famille puissent être ensemble [Cour EDH, 13 juin 1979, Marckx c. Belgique,
CE:ECHR:1979:0613JUD000683374, § 31, et Cour EDH, 24 mars 1988, Olsson c. Suède (no 1), CE:ECHR:1988:0324JUD001046583, § 59].

( 22 ) Voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, O. et S. (C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:776, point 80).

( 23 ) JO 2007, C 303, p. 17.

( 24 ) Voir, en ce sens, arrêts du 26 mars 2019, SM (Enfant placé sous kafala algérienne) (C‑129/18, EU:C:2019:248, point 65), et du 15 novembre 2011, Dereci e.a. (C‑256/11, EU:C:2011:734, point 70).

( 25 ) Cour EDH, 13 décembre 2012, De Souza Ribeiro c. France, CE:ECHR:2012:1213JUD002268907, § 83.

( 26 ) Il est, à mon sens, incontestable que la situation de LM, dont aucun élément du dossier soumis à la Cour ne permet de considérer qu’il est gravement malade, ne relève pas de l’article 19, paragraphe 2, de la Charte selon lequel nul ne peut être éloigné vers un État où il existe un risque sérieux qu’il soit soumis à des traitements inhumains ou dégradants. Cette disposition, à la lumière de laquelle la Cour a interprété l’article 5 de la directive 2008/115 pour fonder la solution retenue dans
l’arrêt du 18 décembre 2014, Abdida (C‑562/13, EU:C:2014:2453), et qui est également mentionnée par la juridiction de renvoi dans la question préjudicielle, est en l’occurrence dépourvue de pertinence.

( 27 ) Je relève que la Cour EDH a, notamment, dit que la séparation des membres d’une famille peut causer à ceux‑ci des dommages irréversibles, comportant un risque de violation de l’article 8 de la CEDH, qui doit être évité par l’indication d’une mesure provisoire au titre de l’article 39 du règlement de ladite Cour (voir Cour EDH, 6 juillet 2010, Neulinger et Shuruk c. Suisse, et 28 juin 2011, Nunez c. Norvège, CE:ECHR:2011:0628JUD005559709).

( 28 ) Il convient de relever que, compte tenu de l’absence d’effet suspensif en droit belge attaché au recours dirigé contre la décision de retour, le requérant au principal était susceptible de faire l’objet d’une mesure d’éloignement dès le 25 mars 2016, date d’expiration du délai de 30 jours pour un départ volontaire assortissant l’ordre de quitter le territoire belge, ce dernier accompagnant la décision portant refus de délivrance d’un titre de séjour datée du 9 février 2016, notifiée le
25 février de la même année. Le fait que la fille du requérant au principal soit devenue majeure, le 11 avril 2017, soit au cours de la procédure d’examen du recours contre la décision de retour (qui n’avait d’ailleurs abouti à aucune décision à la date de la décision de renvoi) et de celle relative au contentieux du bénéfice de l’aide sociale audit requérant, est, à mon sens, indifférent.

( 29 ) Cour EDH, 3 octobre 2014, Jeunesse c. Pays‑Bas, CE:ECHR:2014:1003JUD001273810, § 117.

( 30 ) Voir, notamment, Cour EDH, 3 octobre 2014, Jeunesse c. Pays‑Bas, CE:ECHR:2014:1003JUD001273810, § 107.

( 31 ) Cour EDH, 3 octobre 2014, Jeunesse c. Pays‑Bas, CE:ECHR:2014:1003JUD001273810, § 109 et 118.

( 32 ) Arrêt du 8 mai 2018, K.A. e.a. (Regroupement familial en Belgique) (C‑82/16, EU:C:2018:308, point 52).

( 33 ) Arrêt du 8 mai 2018, K.A. e.a. (Regroupement familial en Belgique) (C‑82/16, EU:C:2018:308, points 71 à 73).

( 34 ) Voir, en ce sens, arrêt du 18 décembre 2014, Abdida (C‑562/13, EU:C:2014:2453, point 50).

( 35 ) Arrêt du 19 juin 2018, Gnandi (C‑181/16, EU:C:2018:465, point 56).

( 36 ) Voir, en ce sens, arrêt du 6 décembre 2012, O. et S. (C‑356/11 et C‑357/11, EU:C:2012:776, points 77 et 78).

( 37 ) Cour EDH, 23 juin 2008, Maslov c. Autriche, CE:ECHR:2008:0623JUD000163803, § 62 et jurisprudence citée.

( 38 ) Cour EDH, 30 juin 2015, A.S c. Suisse CE:ECHR:2015:0630JUD003935013, § 49, et Cour EDH, 23 octobre 2018, Levakovic c. Denmark, CE:ECHR:2018:1023JUD000784114, § 35 et 44.

( 39 ) Arrêt du 8 mai 2018, K.A. e.a. (Regroupement familial en Belgique) (C‑82/16, EU:C:2018:308, point 65)

( 40 ) JO 2003, L 31, p. 18.

( 41 ) Voir arrêt du 18 décembre 2014, Abdida (C‑562/13, EU:C:2014:2453, points 54 à 58).

( 42 ) Voir arrêt du 18 décembre 2014, Abdida (C‑562/13, EU:C:2014:2453, points 59 et 60).

( 43 ) Voir, en ce sens, arrêt du 18 décembre 2014, Abdida (C‑562/13, EU:C:2014:2453, point 58).

( 44 ) Les besoins de base médicaux sont pris en compte à l’article 14, paragraphe 1, sous b), de la directive 2008/115.

( 45 ) Dans un souci de complétude, j’indique qu’une interprétation de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2008/115, lu à la lumière des articles 1er, 2, et 3 de la Charte, consacrant le respect de la dignité humaine ainsi que des droits à la vie et à l’intégrité de la personne, ainsi que de l’article 4 de la Charte relatif à l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants, pourrait aussi être de nature à fonder l’obligation de prise en charge des besoins de base du requérant
principal par l’État membre concerné. Cette hypothèse a été exposée avec justesse par l’avocat général Bot dans ses conclusions dans l’affaire Abdida (C-562/13, EU:C:2014:2167, points 147, 148, 154 et 155), auxquelles il est renvoyé en raison de la pleine concordance d’opinion sur ce point.

( 46 ) Voir arrêt du 18 décembre 2014, Abdida (C‑562/13, EU:C:2014:2453, point 59).

( 47 ) JO 2009, L 168, p. 24.

( 48 ) Il est indiqué, dans la décision de renvoi (page 22) que, bien que diplômé et bénéficiant d’une expérience professionnelle non négligeable, LM, qui est encore en âge de travailler, se voit exclu du marché de l’emploi en raison de sa situation actuelle d’irrégularité de séjour, sans autres précisions. Cette indication ne prend pas en compte, par définition, le fait que l’éloignement de LM doit être reporté à la suite de l’effet suspensif de son recours.

( 49 ) Voir arrêt du 18 décembre 2014, Abdida (C‑562/13, EU:C:2014:2453, point 61).

( 50 ) J’observe, enfin, que la juridiction de renvoi a visé, dans sa question préjudicielle, l’article 12 de la Charte, citation procédant manifestement d’une erreur matérielle comme le démontre la lecture de la page 25 de la décision de renvoi qui fait clairement référence à la prohibition de toute discrimination fondée sur l’âge, prévue à l’article 21 de la Charte. Force est de constater, en tout état de cause, que la juridiction de renvoi n’a fourni aucune indication de nature à pouvoir
envisager, en l’espèce, un traitement différencié de situations objectivement comparables.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-402/19
Date de la décision : 04/03/2020
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par la cour du travail de Liège.

Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Directive 2008/115/CE – Retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Parent d’un enfant majeur atteint d’une grave maladie – Décision de retour – Recours juridictionnel – Effet suspensif de plein droit – Garanties dans l’attente du retour – Besoins de base – Articles 7, 19 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne.

Politique d'asile

Justice et affaires intérieures

Espace de liberté, de sécurité et de justice


Parties
Demandeurs : LM
Défendeurs : Centre public d'action sociale de Seraing.

Composition du Tribunal
Avocat général : Pikamäe

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2020:155

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