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27/02/2020 | CJUE | N°C-18/19

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. P. Pikamäe, présentées le 27 février 2020., WM contre Stadt Frankfurt am Main., 27/02/2020, C-18/19


 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 27 février 2020 ( 1 )

Affaire C‑18/19

WM

contre

Stadt Frankfurt am Main

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Directive 2008/115/CE – Normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Article 16

, paragraphe 1 – Rétention à des fins d’éloignement – Rétention dans un établissement pénitentiaire – Ressortissant de pays tiers représen...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 27 février 2020 ( 1 )

Affaire C‑18/19

WM

contre

Stadt Frankfurt am Main

[demande de décision préjudicielle formée par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne)]

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Directive 2008/115/CE – Normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Article 16, paragraphe 1 – Rétention à des fins d’éloignement – Rétention dans un établissement pénitentiaire – Ressortissant de pays tiers représentant une menace grave pour l’ordre public ou la sécurité publique – Principes d’efficacité et de proportionnalité – Garanties
minimales – Possibilité de placement en rétention dans un établissement pénitentiaire avec des personnes en détention provisoire – Article 15 – Contrôle juridictionnel – Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne – Articles 1er à 4, 6 et 47 »

1.  Dans quelles conditions est-il possible d’admettre qu’un ressortissant d’un pays tiers en attente d’éloignement peut être, tout à la fois, juridiquement retenu et physiquement détenu ? Plus particulièrement, un tel ressortissant peut-il être retenu dans un établissement pénitentiaire, et non dans un centre spécialisé visé à l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans
les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ( 2 ), au motif qu’il représente une menace grave pour l’intégrité corporelle et la vie de tiers ou pour des intérêts juridiques majeurs de sécurité intérieure ?

2.  Telles sont, en substance, les questions soulevées par l’affaire C‑18/19.

3.  La Cour est, ainsi, invitée à préciser, une nouvelle fois, les conditions dans lesquelles les États membres sont tenus d’assurer la rétention des ressortissants de pays tiers en attente d’éloignement conformément à la directive 2008/115.

4.  La présente affaire revêt un caractère sensible, car elle mêle la question du traitement de l’immigration irrégulière à celle de l’appréhension de la situation d’individus considérés comme dangereux.

I. Le cadre juridique

A. Le droit de l’Union

5. L’article 1er de la directive 2008/115, intitulé « Objet », prévoit :

« La présente directive fixe les normes et procédures communes à appliquer dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, conformément aux droits fondamentaux en tant que principes généraux du droit communautaire ainsi qu’au droit international, y compris aux obligations en matière de protection des réfugiés et de droits de l’homme. »

6. L’article 15 de la directive 2008/115, intitulé « Rétention », dispose :

« 1.   À moins que d’autres mesures suffisantes, mais moins coercitives, puissent être appliquées efficacement dans un cas particulier, les États membres peuvent uniquement placer en rétention le ressortissant d’un pays tiers qui fait l’objet de procédures de retour afin de préparer le retour et/ou de procéder à l’éloignement, en particulier lorsque :

a) il existe un risque de fuite, ou

b) le ressortissant concerné d’un pays tiers évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement.

Toute rétention est aussi brève que possible et n’est maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise.

2.   La rétention est ordonnée par les autorités administratives ou judiciaires.

La rétention est ordonnée par écrit, en indiquant les motifs de fait et de droit.

Si la rétention a été ordonnée par des autorités administratives, les États membres :

a) soit prévoient qu’un contrôle juridictionnel accéléré de la légalité de la rétention doit avoir lieu le plus rapidement possible à compter du début de la rétention,

b) soit accordent au ressortissant concerné d’un pays tiers le droit d’engager une procédure par laquelle la légalité de la rétention fait l’objet d’un contrôle juridictionnel accéléré qui doit avoir lieu le plus rapidement possible à compter du lancement de la procédure en question. Dans ce cas, les États membres informent immédiatement le ressortissant concerné d’un pays tiers de la possibilité d’engager cette procédure.

Le ressortissant concerné d’un pays tiers est immédiatement remis en liberté si la rétention n’est pas légale.

3.   Dans chaque cas, la rétention fait l’objet d’un réexamen à intervalles raisonnables soit à la demande du ressortissant concerné d’un pays tiers, soit d’office. En cas de périodes de rétention prolongées, les réexamens font l’objet d’un contrôle par une autorité judiciaire.

4.   Lorsqu’il apparaît qu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement pour des considérations d’ordre juridique ou autres ou que les conditions énoncées au paragraphe 1 ne sont plus réunies, la rétention ne se justifie plus et la personne concernée est immédiatement remise en liberté.

5.   La rétention est maintenue aussi longtemps que les conditions énoncées au paragraphe 1 sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Chaque État membre fixe une durée déterminée de rétention, qui ne peut pas dépasser six mois.

6.   Les États membres ne peuvent pas prolonger la période visée au paragraphe 5, sauf pour une période déterminée n’excédant pas douze mois supplémentaires, conformément au droit national, lorsque, malgré tous leurs efforts raisonnables, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison :

a) du manque de coopération du ressortissant concerné d’un pays tiers, ou

b) des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires. »

7. L’article 16 de la directive 2008/115, intitulé « Conditions de rétention », énonce :

« 1.   La rétention s’effectue en règle générale dans des centres de rétention spécialisés. Lorsqu’un État membre ne peut les placer dans un centre de rétention spécialisé et doit les placer dans un établissement pénitentiaire, les ressortissants de pays tiers placés en rétention sont séparés des prisonniers de droit commun.

2.   Les ressortissants de pays tiers placés en rétention sont autorisés – à leur demande – à entrer en contact en temps utile avec leurs représentants légaux, les membres de leur famille et les autorités consulaires compétentes.

3.   Une attention particulière est accordée à la situation des personnes vulnérables. Les soins médicaux d’urgence et le traitement indispensable des maladies sont assurés.

4.   Les organisations et instances nationales, internationales et non gouvernementales compétentes ont la possibilité de visiter les centres de rétention visés au paragraphe 1, dans la mesure où ils sont utilisés pour la rétention de ressortissants de pays tiers conformément au présent chapitre. Ces visites peuvent être soumises à une autorisation.

5.   Les ressortissants de pays tiers placés en rétention se voient communiquer systématiquement des informations expliquant le règlement des lieux et énonçant leurs droits et leurs devoirs. Ces informations portent notamment sur leur droit, conformément au droit national, de contacter les organisations et instances visées au paragraphe 4. »

8. L’article 18 de la directive, intitulé « Situations d’urgence », est libellé de la manière suivante :

« 1.   Lorsqu’un nombre exceptionnellement élevé de ressortissants de pays tiers soumis à une obligation de retour fait peser une charge lourde et imprévue sur la capacité des centres de rétention d’un État membre ou sur son personnel administratif et judiciaire, l’État membre en question peut, aussi longtemps que cette situation exceptionnelle persiste, [...] prendre des mesures d’urgence concernant les conditions de rétention dérogeant à celles énoncées à l’article 16, paragraphe 1, et à
l’article 17, paragraphe 2.

2.   Lorsqu’il recourt à ce type de mesures exceptionnelles, l’État membre concerné en informe la Commission. Il informe également la Commission dès que les motifs justifiant l’application de ces mesures ont cessé d’exister.

3.   Aucune disposition du présent article ne saurait être interprétée comme autorisant les États membres à déroger à l’obligation générale qui leur incombe de prendre toutes les mesures appropriées, qu’elles soient générales ou particulières, pour veiller au respect de leurs obligations découlant de la présente directive. »

B. Le droit allemand

9. L’article 62a du Gesetz über den Aufenthalt, die Erwerbstätigkeit und die Integration von Ausländern im Bundesgebiet (loi relative au séjour, au travail et à l’intégration des étrangers sur le territoire fédéral), dans sa version du 25 février 2008 (BGBl. I, p. 162), tel que modifié par le Gesetz zur besseren Durchsetzung der Ausreisepflicht (loi relative à l’amélioration de la mise en œuvre de l’obligation de quitter le territoire), du 20 juillet 2017 (BGBI. I, p. 2780) (ci-après l’« AufenthG »)
dispose :

« (1)   La rétention à des fins d’éloignement s’effectue en principe dans des centres de rétention spécialisés. Si aucun centre de rétention spécialisé n’existe sur le territoire fédéral ou si l’étranger présente une menace grave pour l’intégrité corporelle et la vie de tiers ou pour des intérêts juridiques majeurs de sécurité intérieure, la rétention peut être effectuée dans d’autres établissements pénitentiaires ; dans ce cas, les détenus à des fins d’éloignement sont hébergés séparément des
prisonniers de droit commun [...]

(2)   Les détenus à des fins d’éloignement sont autorisés à contacter leurs représentants en justice, les membres de leur famille, les autorités consulaires compétentes et les organisations de secours et d’assistance concernées.

[...]

(4)   Les employés des organisations de secours et d’assistance concernées sont autorisés à rendre visite aux détenus à des fins d’éloignement sur demande.

(5)   Les détenus à des fins d’éloignement sont informés de leurs droits et obligations et des règles en vigueur au sein de l’établissement. »

II. Le litige au principal et la question préjudicielle

10. WM, né en 1980, est un ressortissant tunisien qui séjournait en Allemagne. Par décision du 1er août 2017, le ministère compétent du Land de Hesse (Allemagne) a ordonné son éloignement vers la Tunisie sur le fondement de l’article 58a, paragraphe 1, de l’AufenthG ( 3 ), au motif qu’il représentait un danger particulier pour la sécurité nationale.

11. Selon la juridiction de renvoi, ledit ministère a, par cette décision, estimé que WM représentait un tel danger au vu, notamment, de sa personnalité, de son comportement, de ses convictions islamistes radicales, de sa qualification comme passeur et recruteur de l’organisation terroriste État islamique par les services de renseignement ainsi que de son activité pour cette même organisation en Syrie.

12. WM a formé un recours contre la décision du 1er août 2017 devant le Bundesverwaltungsgericht (Cour administrative fédérale, Allemagne) et a également présenté une demande en référé tendant à suspendre son exécution devant cette même juridiction. Par décision du 19 septembre 2017, ladite juridiction a rejeté la demande en référé au motif qu’il existait une probabilité suffisante que WM commette un attentat terroriste en Allemagne.

13. Par décision du 18 août 2017, l’Amtsgericht (tribunal de district, Allemagne) a, à la demande du service des étrangers compétents, ordonné le placement de WM en rétention à des fins d’éloignement dans un établissement pénitentiaire jusqu’au 23 octobre 2017, conformément à l’article 62a, paragraphe 1, de l’AufenthG ( 4 ).

14. WM a formé un recours contre cette décision devant le Landgericht (tribunal régional, Allemagne), qui, par décision du 24 août 2017, l’a rejeté. WM s’est pourvu en cassation contre cette dernière décision devant la juridiction de renvoi afin de faire constater l’illégalité de son placement en rétention concernant la période allant du 18 août au 23 octobre 2017.

15. La rétention aux fins d’éloignement a été prolongée plusieurs fois par la suite. Des recours formés contre ces prolongations sont pendants devant le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice).

16. Le 9 mai 2018, WM a été éloigné vers la Tunisie.

17. Dans ce contexte, la juridiction de renvoi s’interroge sur la question de savoir si l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115 autorise un État membre à placer des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier qui représentent un grave danger pour l’intégrité corporelle et la vie de tiers ou pour la sécurité nationale en rétention à des fins d’éloignement dans un établissement pénitentiaire, séparés des prisonniers de droit commun.

18. C’est dans ces conditions que le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour la question préjudicielle suivante :

« L’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115 fait-il obstacle à une réglementation nationale selon laquelle la rétention aux fins d’éloignement peut s’effectuer dans un établissement pénitentiaire ordinaire si l’étranger présente un grave danger pour l’intégrité corporelle et la vie de tiers ou pour des intérêts juridiques majeurs de sécurité intérieure, le détenu aux fins de l’éloignement devant, dans ce cas également, être hébergé séparément des prisonniers de droit commun ( 5 ) ? »

III. La procédure devant la Cour

19. La décision de renvoi datée du 22 novembre 2018 est parvenue au greffe de la Cour le 11 janvier 2019.

20. Des observations écrites ont été déposées par WM, les gouvernements allemand et suédois ainsi que par la Commission européenne dans le délai imparti conformément à l’article 23 du statut de la Cour de justice de l’Union européenne.

IV. Analyse

A. Sur la persistance du litige au principal

21. Il découle à la fois des termes et de l’économie de l’article 267 TFUE que la procédure préjudicielle présuppose qu’un litige soit effectivement pendant devant les juridictions nationales, dans le cadre duquel elles sont appelées à rendre une décision susceptible de prendre en considération l’arrêt de la Cour rendu à titre préjudiciel. Partant, la Cour doit vérifier, même d’office, la persistance du litige au principal ( 6 ).

22. En l’occurrence, il ressort du dossier dont dispose la Cour que, à la suite du rejet, par la décision du 24 août 2017 du Landgericht (tribunal régional), de son recours contre la décision le plaçant en rétention au sein d’un établissement pénitentiaire ordinaire, WM s’est pourvu en cassation contre cette dernière décision devant la juridiction de renvoi afin de faire constater l’illégalité de son placement en rétention. Selon le gouvernement allemand ( 7 ), WM soutient que l’ordonnance de
placement en rétention est illégale, car l’article 62a de l’AufenthG est contraire à l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115.

23. Il est constant que WM a été éloigné vers la Tunisie le 9 mai 2018, avant l’introduction de la demande de décision préjudicielle le 22 novembre 2018.

24. Au point 8 de la décision de renvoi, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) précise que, conformément à l’article 70, paragraphe 3, première phrase 1, no 3, du Gesetz über das Verfahren in Familiensachen und in den Angelegenheiten der freiwilligen Gerichtsbarkeit (loi relative à la procédure en matière familiale et dans les affaires de juridiction gracieuse) (ci-après le « FamFG »), le pourvoi est admissible selon l’article 62 du FamFG et il est également recevable (article 71 du
FamFG), son bien-fondé dépendant essentiellement de la réponse donnée par la Cour à la question préjudicielle posée.

25. Il convient de rappeler qu’il n’appartient pas à la Cour de se prononcer, dans le cadre d’un renvoi préjudiciel, sur l’interprétation des dispositions nationales ( 8 ). Par conséquent, il y a lieu, eu égard aux indications fournies par la juridiction de renvoi, de considérer que le litige au principal est toujours pendant devant cette juridiction et qu’une réponse de la Cour à la question posée demeure utile pour la solution de ce litige. Partant, il doit être statué sur la demande de décision
préjudicielle ( 9 ).

B. Sur l’applicabilité de l’article 16 de la directive 2008/115

26. Le gouvernement suédois considère, à titre principal, que l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115 n’est pas applicable à une situation telle que celle au principal. À cet égard, il souligne que, en vertu de l’article 72 TFUE, selon lequel la politique commune de l’immigration de l’Union européenne ne porte pas atteinte à l’exercice des responsabilités qui incombent aux États membres pour le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure, lesdits États
demeurent compétents pour prendre des mesures de sécurité efficaces dans le contexte du placement en rétention aux fins d’éloignement d’un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier.

27. En l’occurrence, le gouvernement suédois est d’avis que la réglementation nationale en cause au principal est nécessaire au maintien de l’ordre public et à la sauvegarde de la sécurité intérieure de la République fédérale d’Allemagne au sens de l’article 72 TFUE.

28. Cette argumentation, qui n’est pas soutenue par le gouvernement allemand et qui est contestée par la Commission, ne peut être retenue, la disposition nationale en cause au principal relevant bien, à mon sens, du champ d’application de la directive 2008/115.

29. L’étendue du champ d’application de la directive 2008/115 doit être appréciée en tenant compte de l’économie générale de cette dernière, laquelle a été adoptée notamment sur le fondement de l’article 63, premier alinéa, point 3, sous b), CE, disposition reprise à l’article 79, paragraphe 2, sous c), TFUE qui figure dans la troisième partie, titre V, TFUE relatif à « l’espace de liberté, de sécurité et de justice » ( 10 ).

30. Ainsi qu’il résulte tant de son intitulé que de son article 1er, la directive 2008/115 établit les « normes et procédures communes » qui doivent être appliquées par chaque État membre au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. Il découle de l’expression susmentionnée, mais aussi de l’économie générale de cette directive, que les États membres ne peuvent déroger auxdites normes et procédures que dans les conditions prévues par celle-ci, notamment celles fixées à son
article 2 ( 11 ).

31. L’article 2, paragraphe 1, de la directive 2008/115, qui définit le champ d’application de celle-ci, dispose qu’elle s’applique aux ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre. La notion de « séjour irrégulier » est définie à l’article 3, point 2, de cette directive comme « la présence sur le territoire d’un État membre d’un ressortissant d’un pays tiers qui ne remplit pas, ou ne remplit plus, les conditions d’entrée énoncées à l’article 5 du code
frontières Schengen, ou d’autres conditions d’entrée, de séjour ou de résidence dans cet État membre ». Il résulte de cette définition que tout ressortissant d’un pays tiers qui est présent sur le territoire d’un État membre sans remplir les conditions d’entrée, de séjour ou de résidence dans celui-ci se trouve, de ce seul fait, en séjour irrégulier sans que cette présence soit soumise à une condition de durée minimale ou d’intention de rester sur ce territoire ( 12 ).

32. En vertu de l’article 2, paragraphe 2, de la directive 2008/115, les États membres ont la faculté de ne pas appliquer cette directive dans des cas clairement et limitativement énumérés, à savoir :

– aux ressortissants de pays tiers faisant l’objet d’une décision de refus d’entrée conformément à l’article 13 du code frontières Schengen, ou arrêtés ou interceptés par les autorités compétentes à l’occasion du franchissement irrégulier de la frontière extérieure d’un État membre et qui n’ont pas obtenu par la suite l’autorisation ou le droit de séjourner dans ledit État membre,

– aux ressortissants de pays tiers faisant l’objet d’une sanction pénale prévoyant ou ayant pour conséquence leur retour, conformément au droit national, ou faisant l’objet de procédures d’extradition.

33. Aucun élément du dossier soumis à la Cour ne suggère que la situation du requérant au principal recouvre l’une ou l’autre des dérogations susmentionnées.

34. Dans les observations du requérant au principal et dans la réponse du gouvernement allemand à la demande de renseignements qui lui a été adressée, il est fait état d’une procédure aux fins d’extradition à destination de la Tunisie avec un placement en détention, procédure à laquelle il a été mis fin par décision du parquet général de Francfort-sur-le-Main (Allemagne) en novembre 2016. En outre, la décision de renvoi mentionne l’annulation par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) d’un
mandat d’arrêt émis en janvier 2017 à l’encontre de l’intéressé soupçonné de soutenir une organisation terroriste étrangère et la cessation subséquente de la détention provisoire dont le requérant principal faisait l’objet, la décision d’annulation en cause remontant au 17 août 2017. Aucune sanction pénale n’a donc été prononcée à l’encontre de l’intéressé.

35. S’il est vrai que la décision de renvoi ne permet pas de déterminer si le requérant principal a d’abord séjourné régulièrement en Allemagne, il est constant que, par décision du 1er août 2017, le ministère compétent du Land de Hesse a ordonné son éloignement vers la Tunisie sur le fondement de l’article 58a, paragraphe 1, de l’AufenthG, cette décision de retour, au sens de la directive 2008/115, constituant a priori une décision administrative adoptée au titre du séjour irrégulier de la personne
concernée et non une sanction pénale ou une conséquence d’une telle sanction.

36. L’éventuel droit de séjour de l’intéressé a donc cessé à compter de cette décision, suivie, le 18 août 2017, de la décision de placement en rétention, dans un établissement pénitentiaire, adoptée sur le fondement de la réglementation nationale en cause au principal, à savoir l’article 62a, paragraphe 1, de l’AufenthG qui a pour objet de transposer dans l’ordre juridique allemand l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115.

37. Il apparaît ainsi que la situation du requérant au principal relève bien du champ d’application de la directive 2008/115 et plus particulièrement de l’article 16, paragraphe 1, de celle-ci prévoyant une exécution prioritaire de la rétention dans un centre spécialisé.

38. La simple invocation par le gouvernement suédois de l’article 72 TFUE ne peut suffire à écarter, dans le cas présent, l’application de la directive 2008/115, même s’il est fait référence, en substance, dans la réglementation nationale en cause au principal, à la notion d’un danger particulier pour la sécurité nationale.

39. Selon une jurisprudence constante de la Cour, bien qu’il appartienne aux États membres d’arrêter les mesures propres à assurer leur sécurité intérieure et extérieure, il n’en résulte pas pour autant que de telles mesures échappent totalement à l’application du droit de l’Union ( 13 ).

40. La question de la protection de l’ordre public, de la sécurité publique et de la sécurité nationale est expressément prise en compte à l’article 6, paragraphe 2, à l’article 7, paragraphe 4, à l’article 11, paragraphes 2 et 3, et à l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/115 ( 14 ), sans pour autant constituer un motif d’exception à l’application de celle-ci. Ces dispositions traduisent aussi la volonté du législateur de l’Union de prendre en compte la réserve de compétence des États
membres dans le domaine de l’immigration clandestine et du séjour irrégulier définie à l’article 72 TFUE, la situation prise dans son ensemble reflétant une « coexistence » ( 15 ) de compétences entre l’Union et les États membres dans ce domaine.

41. L’article 72 TFUE ne saurait être interprété, ainsi que nous y invite le gouvernement suédois, comme donnant la possibilité aux États membres d’écarter purement et simplement l’application de la directive 2008/115, et plus particulièrement son article 16, ce qui serait de nature à porter atteinte au caractère contraignant et à l’application uniforme du droit de l’Union ( 16 ).

42. Cette disposition de droit primaire doit être prise en compte, d’une part, lors de l’adoption d’actes de l’Union en vertu du titre V, TFUE relatif à « l’espace de liberté, de sécurité et de justice », sa méconnaissance par le législateur de l’Union pouvant, le cas échéant, conduire à la constatation, sur le fondement de cette disposition, à l’invalidité d’un tel acte et, d’autre part, lors de l’interprétation desdits actes, ainsi que nous le verrons ci-après à propos de l’article 16 de la
directive 2008/115.

43. Il convient, enfin, de rappeler que, nonobstant la circonstance que ni l’article 63, premier alinéa, point 3, sous b), CE, disposition qui a été reprise à l’article 79, paragraphe 2, sous c), TFUE, ni la directive 2008/115, adoptée notamment sur le fondement de cette disposition du traité CE, n’excluent la compétence pénale des États membres dans le domaine de l’immigration clandestine et du séjour irrégulier, ces derniers doivent aménager leur législation dans ce domaine de manière à assurer le
respect du droit de l’Union. En particulier, lesdits États ne sauraient appliquer une réglementation, fût‑elle en matière pénale, susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs poursuivis par une directive et, partant, de priver celle-ci de son effet utile ( 17 ).

44. Le devoir des États membres, découlant de l’article 4, paragraphe 3, TUE, est de prendre toute mesure propre à assurer l’exécution des obligations résultant de la directive 2008/115 et de s’abstenir de toute mesure susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs de celle-ci. Il importe que les dispositions nationales applicables ne soient pas susceptibles de compromettre la bonne application des normes et des procédures communes introduites par ladite directive ( 18 ).

45. En conséquence, il y a lieu, selon moi, de rejeter l’argumentation du gouvernement suédois tirée de l’inapplicabilité de l’article 16 de la directive 2008/115 et de vérifier si la réglementation nationale en cause, prévoyant une possibilité d’emprisonnement d’un ressortissant d’un pays tiers en attente d’éloignement, est susceptible de compromettre la bonne application des normes et des procédures communes introduites par ladite directive et, par là-même, de mettre en péril les objectifs de
celle-ci.

C. Sur l’interprétation de l’article 16 de la directive 2008/115

46. Conformément à une jurisprudence constante, il y a lieu, pour l’interprétation d’une disposition du droit de l’Union, de tenir compte non seulement des termes de celle-ci, mais également de son contexte et des objectifs poursuivis par la réglementation dont elle fait partie ( 19 ).

47. Il convient donc de procéder à une interprétation littérale, systématique et téléologique de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115, en tenant compte de l’acquis jurisprudentiel de notre Cour afférent à cet acte ( 20 ).

48. À cet égard, il importe de souligner que la première phrase de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115 pose le principe selon lequel la rétention à des fins d’éloignement de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier s’effectue dans des centres de rétention spécialisés. La seconde phrase de cette disposition prévoit une dérogation à ce principe, qui, en tant que telle, doit être interprétée de manière stricte ( 21 ).

1.   Sur l’interprétation littérale

49. Il est constant que la seconde phrase de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115 n’est pas formulée de manière identique dans toutes les versions linguistiques. En effet, cette disposition mentionne, dans sa version en langue allemande, que « lorsqu’un État membre ne dispose pas de centres de rétention spécialisés et lorsque le placement doit être fait dans un établissement pénitentiaire, les ressortissants de pays tiers placés en rétention sont séparés des prisonniers de droit
commun ». Dans les autres versions linguistiques, qui présentent un caractère homogène, ladite disposition se réfère non pas à l’inexistence de centres de rétention spécialisés, mais à la circonstance qu’un État membre « ne peut » pas placer lesdits ressortissants dans de tels centres ( 22 ), cette disposition ne précisant pas davantage les motifs pour lesquels un État membre se verrait dans une telle impossibilité ( 23 ).

50. Or, ainsi que la Cour l’a jugé, une version linguistique divergente ne peut prévaloir seule contre les autres versions linguistiques ( 24 ) et il conviendra, dès lors, de s’attacher à l’économie générale du texte dans lequel s’inscrit la disposition concernée ainsi que la finalité poursuivie par le législateur de l’Union ( 25 ). J’observe seulement que, si les versions linguistiques, autres que celle en langue allemande, sont de nature à laisser une plus large marge d’appréciation aux autorités
nationales, elles n’en expriment pas moins une approche restrictive de la dérogation au principe du placement en rétention dans un centre spécialisé, les États membres devant se trouver placés dans une situation de contrainte, en l’occurrence celle de n’avoir pas d’autre choix que de faire exécuter la rétention dans un établissement pénitentiaire.

51. En tout état de cause, une interprétation littérale de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115 n’est pas susceptible d’offrir une réponse univoque à la question posée par la juridiction de renvoi.

2.   Sur l’interprétation systématique

52. Après avoir envisagé la mesure de rétention au regard de l’économie générale de la directive 2008/115, il y a aura lieu d’examiner plus particulièrement la question de l’articulation des articles 16 et 18 de ladite directive ainsi que celle de l’emploi, dans cet acte mais aussi dans d’autres directives, des notions d’« ordre public » et de « sécurité publique ».

a)   Sur la mesure de rétention

53. Il convient de relever que, dès lors qu’un ressortissant d’un pays tiers, tel WM, est considéré comme séjournant de manière irrégulière dans un État membre et relève donc, selon l’article 2, paragraphe 1, de la directive 2008/115, du champ d’application de cette dernière, il doit être soumis aux normes et aux procédures communes prévues par celle‑ci en vue de son éloignement ( 26 ).

54. La directive 2008/115 établit avec précision la procédure à appliquer par chaque État membre au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier et fixe l’ordre de déroulement des différentes étapes que cette procédure comporte successivement ( 27 ).

55. L’ordre de déroulement des étapes de la procédure de retour établie par la directive 2008/115 correspond à une gradation des mesures à prendre en vue de l’exécution de la décision de retour, gradation allant de la mesure qui laisse le plus de liberté à l’intéressé, à savoir l’octroi d’un délai pour son départ volontaire, à des mesures qui restreignent le plus celle-ci, à savoir la rétention dans un centre spécialisé, le respect du principe de proportionnalité devant être assuré au cours de
toutes ces étapes. Même le recours à cette dernière mesure, qui constitue la mesure restrictive de liberté la plus grave que permet ladite directive dans le cadre d’une procédure d’éloignement forcé, est strictement encadré, en application des articles 15 et 16 de ladite directive, notamment dans le but d’assurer le respect des droits fondamentaux des ressortissants de pays tiers concernés ( 28 ).

56. À cet égard, la mesure de privation de liberté doit, conformément à l’article 15, paragraphe 1, second alinéa, de la directive 2008/115, être aussi brève que possible et n’être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Selon les paragraphes 3 et 4 dudit article 15, une telle privation de liberté est soumise à un réexamen à des intervalles raisonnables et il y est mis fin lorsqu’il apparaît qu’il n’existe plus de
perspective raisonnable d’éloignement. Les paragraphes 5 et 6 du même article fixent la durée maximale de ladite privation à 18 mois, celle-ci constituant une limite qui s’impose à tous les États membres ( 29 ).

57. S’agissant des conditions de rétention, des garanties minimales sont prévues aux articles 16 et 17 de la directive 2008/115 ( 30 ). L’article 16 de cette directive exige que les personnes concernées soient prioritairement placées dans un centre spécialisé et, en tout état de cause, séparées des prisonniers de droit commun, soient destinataires d’informations sur leurs droits et devoirs au cours de la rétention, et puissent entrer en contact avec des organisations ou instances nationales,
internationales et non gouvernementales compétentes. L’article 17 de ladite directive prévoit un régime de rétention spécifique, plus favorable, pour un public vulnérable, à savoir les mineurs non accompagnés et les familles.

58. Il apparaît ainsi que, bien que conçue comme une mesure ultime, la privation de liberté d’un ressortissant de pays tiers en attente d’éloignement fait partie intégrante du dispositif mis en place par le législateur de l’Union aux fins d’assurer le bon déroulement des procédures de retour prévues par la directive 2008/115 dont l’objectif est précisément d’assurer une politique efficace d’éloignement et de rapatriement fondée sur des normes communes, afin que les personnes concernées soient
rapatriées d’une façon humaine et dans le respect intégral de leurs droits fondamentaux ainsi que de leur dignité.

59. Ce même législateur a également prévu, de manière univoque, que la privation de liberté pouvait avoir pour cadre d’exécution un établissement pénitentiaire ordinaire. Cette observation, quand bien même s’analyse-t-elle en un truisme, doit être gardée à l’esprit dans le cadre de l’appréciation de la compatibilité de la réglementation nationale en cause avec le droit de l’Union.

60. Par ailleurs, la Cour a souligné que ce n’est que dans l’hypothèse où l’exécution de la décision de retour sous forme d’éloignement risque, au regard d’une appréciation de chaque situation spécifique, d’être compromise par le comportement de l’intéressé que les États membres peuvent procéder à la privation de liberté de ce dernier au moyen d’une rétention ( 31 ).

61. Cette précision révèle indubitablement la prise en compte du comportement individuel du migrant concerné dans l’appréciation de l’efficacité des procédures de retour et plus particulièrement la possibilité de soumettre celui-ci à une mesure privative de liberté. Or, la réglementation nationale en cause prévoit une mesure de coercition reposant nécessairement sur une appréciation des situations individuelles des ressortissants des pays tiers concernés aux fins de détermination de leur dangerosité
potentielle.

b)   Sur l’articulation des articles 16 et 18 de la directive 2008/115

62. Bien qu’apparaissant de manière séparée et discontinue dans le texte de la directive 2008/115, les dispositions des articles 16 et 18 de celle-ci sont, à l’évidence, liées et doivent faire l’objet d’une lecture combinée, le second article exprimant dans son libellé qu’il constitue une exception au premier. Ainsi, lorsque l’État membre se trouve confronté à des « situations d’urgence », telles que décrites à l’article 18 de la directive 2008/115, il a la possibilité de déroger au principe de
l’exécution de la rétention dans un centre spécialisé comme étant placé dans l’impossibilité matérielle de le mettre en œuvre.

63. La question qui se pose est celle de savoir si l’article 18 de la directive 2008/115 a « épuisé » les motifs possibles de dérogation audit principe.

64. Le fait que les « situations d’urgence », telles que définies à l’article 18 de la directive 2008/115, soit le seul motif de dérogation expressément prévue par le législateur de l’Union à l’exécution prioritaire de la rétention dans un centre spécialisé ne signifie pas nécessairement qu’il présente un caractère exclusif. Ainsi que le soulignait l’avocat général Bot dans ses conclusions dans les affaires Bero et Bouzalmate ( 32 ), le texte de la directive 2008/115 ne semble pas permettre de
répondre affirmativement à la question susmentionnée.

65. Si l’analyse littérale de l’article 18 de la directive 2008/115 révèle bien un lien avec l’article 16, paragraphe 1, de ladite directive, la portée de ce renvoi se limite, à mon sens, au seul énoncé de la règle pouvant être temporairement écartée, à savoir le placement dans un centre de rétention spécialisé, dans l’hypothèse de l’arrivée soudaine d’un grand nombre de migrants caractérisant une situation d’urgence. La référence à l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115 vise seulement
à déterminer l’une des conséquences induites par la survenance d’une situation d’urgence, à laquelle il convient d’ajouter un allongement des délais afférents au contrôle juridictionnel, prévue à l’article 15, paragraphe 2, troisième alinéa, de cette directive, et la possibilité de contrevenir à l’obligation de fournir un logement séparé aux familles, énoncée à l’article 17, paragraphe 2, dudit acte ( 33 ).

66. Je relève, par ailleurs, que l’actuel article 18 de la directive 2008/115 ne figurait pas dans la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux normes et aux procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier du 1er septembre 2005 ( 34 ). Cette dernière comportait déjà, en revanche, un article 15, paragraphe 2, formulé en des termes quasi identiques à ceux de l’article 16, paragraphe 1, c’est-à-dire
prévoyant une possible dérogation au principe du placement dans un centre de rétention spécialisé, sans précision des motifs d’une telle dérogation. Le processus législatif a donc conduit à l’introduction de l’article 18 dans la directive 2008/115, laquelle peut être analysée comme la volonté du législateur de formaliser, d’une part, un motif spécifique de dérogation comme touchant à la question sensible pour les États membres d’un afflux massif de migrants irréguliers sur leur territoire et,
d’autre part, les conséquences dans l’application de la directive 2008/115 des difficultés générées par une telle situation.

67. Force est de constater que, à la suite de l’introduction de l’article 18 dans la directive 2008/115, l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115 est demeuré inchangé, avec sa formulation à caractère général.

68. Il importe encore de souligner que, dans la recommandation (UE) 2017/2338 de la Commission, du 16 novembre 2017, établissant un « manuel sur le retour » commun devant être utilisé par les autorités compétentes des États membres lorsqu’elles exécutent des tâches liées au retour ( 35 ), il est mentionné : « la dérogation prévue à l’article 16, paragraphe 1, de la directive [2008/115] peut être appliquée lorsque des pics imprévus du nombre de personnes placées en rétention, causés par des
fluctuations quantitatives imprévisibles inhérentes au phénomène de l’immigration clandestine (sans encore atteindre le niveau de “situations d’urgence” dont il est question à l’article 18 de la directive [2008/115]) posent un problème ». Se trouve ainsi clairement envisagé un motif de dérogation à l’exécution prioritaire de la rétention dans un centre spécialisé distinct de celui décrit à l’article 18 de la directive 2008/115 qui ne recouvre donc aucun caractère d’exclusivité.

69. Enfin, je considère que, compte tenu de l’autonomie de l’article 18 de la directive 2008/115 et de l’absence de caractère exclusif du motif dérogatoire au placement en centre de rétention spécialisé y contenu, cette disposition ne me paraît pas devoir servir de référence obligatoire quant à la détermination des caractéristiques d’une situation pouvant être invoquée par un État membre pour fonder l’exécution de la rétention dans un établissement pénitentiaire.

c)   Sur les notions d’« ordre public » et de « sécurité publique »

70. Il convient de rappeler que la réglementation nationale en cause prévoit la possibilité de placer en rétention dans un établissement pénitentiaire un migrant en attente d’éloignement représentant « une menace grave pour l’intégrité corporelle et la vie de tiers » ou pour « des intérêts juridiques majeurs de sécurité intérieure ». Cette formulation traduit à l’évidence, selon moi, la prise en compte de raisons liées à l’ordre public ou à la sécurité publique.

71. Ces deux notions sont bien connues en droit de l’Union, des raisons d’ordre public ou de sécurité publique étant avancées dans différentes directives pour justifier la mise en œuvre d’une dérogation à une liberté fondamentale ou un droit fondamental, constituant ainsi une exception d’ordre public ou de sécurité publique. Une approche systématique de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115 implique une analyse de cette disposition non seulement au regard de l’acte dans laquelle elle
s’insère mais aussi des différentes directives faisant référence à ces concepts régulièrement interprétés par la Cour.

72. À cet égard, il ressort d’une jurisprudence constante de la Cour qu’un citoyen de l’Union ayant fait usage de son droit à la libre circulation et certains membres de sa famille ne peuvent être considérés comme représentant une menace pour l’ordre public que si leur comportement individuel représente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société de l’État membre concerné. La notion de « menace pour l’ordre public » a, par la suite, été
interprétée de la même façon dans le contexte de plusieurs directives, y compris la directive 2008/115, régissant la situation de ressortissants de pays tiers ne faisant pas partie de la famille d’un citoyen de l’Union ( 36 ).

73. Quant à la notion de « sécurité publique », il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’elle couvre la sécurité intérieure d’un État membre et sa sécurité extérieure, et que, partant, l’atteinte au fonctionnement des institutions et des services publics essentiels ainsi que la survie de la population, de même que le risque d’une perturbation grave des relations extérieures ou de la coexistence pacifique des peuples, ou encore l’atteinte aux intérêts militaires, peuvent affecter la sécurité
publique ( 37 ). La Cour a également jugé que la lutte contre la criminalité liée au trafic de stupéfiants en bande organisée ( 38 ) ou contre le terrorisme ( 39 ) est comprise dans la notion de « sécurité publique ». Dans ce contexte, la Cour a exigé la démonstration d’un comportement individuel représentant une menace réelle, actuelle et suffisamment grave affectant la sécurité intérieure ou extérieure de l’État membre concerné ( 40 ).

74. Pour autant, la Cour a très récemment indiqué que toute référence, par le législateur de l’Union, à la notion de « menace pour l’ordre public » ne devait pas nécessairement être comprise comme renvoyant de manière exclusive à un comportement individuel représentant une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société de l’État membre concerné. Ainsi, en ce qui concerne la notion voisine de « menace pour la sécurité publique », la Cour a relevé que,
dans le contexte de la directive 2004/114/CE du Conseil, du 13 décembre 2004, relative aux conditions d’admission des ressortissants de pays tiers à des fins d’études, d’échange d’élèves, de formation non rémunérée ou de volontariat ( 41 ), cette notion doit être interprétée plus largement qu’elle ne l’est dans la jurisprudence relative aux personnes jouissant du droit à la libre circulation et que ladite notion peut notamment couvrir des menaces potentielles à la sécurité publique. Pour
préciser la portée de la notion de « menace pour l’ordre public », la Cour a donc considéré qu’il y a lieu de tenir compte des termes de la disposition du droit de l’Union se référant à cette notion, de son contexte et des objectifs poursuivis par la législation dont elle fait partie ( 42 ).

75. Eu égard à ce qui précède, je considère que les motifs d’ordre public et de sécurité publique auxquels fait référence la réglementation nationale peuvent justifier une dérogation au placement dudit migrant dans un centre de rétention spécialisé prévu prioritairement à l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115, à condition que le comportement du migrant concerné soit de nature à révéler l’existence d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de
la société, ou la sécurité intérieure ou extérieure de l’État membre concerné. L’absence de mention expresse des notions d’« ordre public » ou de « sécurité publique » dans cet article, à la différence d’autres dispositions de cette même directive, n’est pas de nature à infirmer cette conclusion.

76. Il importe de souligner que les États membres disposent à plusieurs égards d’une marge d’appréciation pour la mise en œuvre des dispositions de la directive 2008/115 en tenant compte des particularités du droit national ( 43 ). En outre, ainsi que cela a été précisé ci-dessus, l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115 doit être interprété à la lumière de l’article 72 TFUE qui prévoit une réserve de compétence des États membres pour le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la
sécurité intérieure. Partant, l’absence de mention expresse des notions d’« ordre public » ou de « sécurité publique » dans l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115 ne signifie pas que, lors de la détermination des conditions d’une dérogation au placement d’un migrant dans un centre de rétention spécialisé en attente de son éloignement, un État membre ne peut pas recourir à des considérations touchant à un intérêt fondamental de la société, ou à la sécurité intérieure ou extérieure.

77. Sur le plan contextuel, il convient de rappeler que la question de la protection de l’ordre public, de la sécurité publique et de la sécurité nationale est expressément prise en compte à l’article 6, paragraphe 2, à l’article 7, paragraphe 4, à l’article 11, paragraphes 2 et 3, et à l’article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/115, sans pour autant que ces notions ne soient définies dans cet acte. La Cour a jugé que la notion de « danger pour l’ordre public », telle que prévue à l’article 7,
paragraphe 4, de ladite directive, suppose, en tout état de cause, en dehors du trouble pour l’ordre social que constitue toute infraction à la loi, l’existence d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société ( 44 ). L’exigence d’une telle menace, pour fonder la réduction ou la suppression du délai de départ volontaire, s’impose a fortiori pour justifier la mesure coercitive bien plus grave que constitue une rétention exécutée dans un
établissement pénitentiaire, par dérogation au principe du placement dans un centre spécialisé. Une solution contraire introduirait une incohérence dans la directive 2008/115.

78. S’agissant de l’objectif principal de la directive 2008/115, il consiste, ainsi qu’il ressort des considérants 2 et 4 de celle-ci, à mettre en place une politique efficace d’éloignement et de rapatriement dans le respect intégral des droits fondamentaux ainsi que de la dignité des personnes concernées ( 45 ). Dans ces conditions, le placement en rétention dans un centre spécialisé étant la règle, l’article 16, paragraphe 1, seconde phrase, doit être interprété de manière stricte ( 46 ) et la
marge de manœuvre qu’il reconnaît aux États membres ne doit pas être utilisée par ceux-ci d’une manière qui porterait atteinte à l’objectif de cette directive et à l’effet utile de celle-ci.

79. Il apparaît ainsi que, dès lors que la décision de placement en rétention d’un ressortissant d’un pays tiers en attente d’éloignement dans un établissement pénitentiaire est fondée sur l’existence d’un danger pour l’ordre public ou la sécurité publique, lequel suppose, en tout état de cause, en dehors du trouble pour l’ordre social que constitue toute infraction à la loi, l’existence d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société ou la
sécurité intérieure ou extérieure de l’État membre concerné, une telle décision pourrait être conforme au droit de l’Union.

80. À cet égard, procédant à l’interprétation de l’article 7, paragraphe 4, de la directive 2008/115, la Cour a considéré que la simple suspicion qu’un ressortissant d’un pays tiers puisse commettre un acte punissable qualifié de délit ou de crime en droit national peut, ensemble avec d’autres éléments relatifs au cas particulier, fonder un constat de danger pour l’ordre public au sens de cette disposition, une même solution étant retenue en présence d’une condamnation pénale ( 47 ). La Cour a
précisé qu’une appréciation spécifique des intérêts inhérents à la sauvegarde de l’ordre public au sens de ladite disposition ne coïncide pas nécessairement avec les appréciations qui sont à la base d’une condamnation pénale et, plus important encore à mon sens, qu’est pertinent, dans le cadre d’une appréciation de la notion de « danger pour l’ordre public », « tout élément de fait ou de droit relatif à la situation du ressortissant concerné d’un pays tiers qui est susceptible d’éclairer la
question de savoir si le comportement personnel de celui-ci est constitutif d’une telle menace » ( 48 ).

81. Cette formulation à caractère très général traduit, selon moi, l’approche empirique et ouverte de la Cour quant à la démonstration de l’existence d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société. Il me semble, dans ces circonstances, que le seul constat d’une absence de commission d’infraction, de condamnation pénale, voire même de suspicion de commission d’une infraction, n’est pas de nature à exclure automatiquement le fait que l’individu
concerné puisse être considéré comme une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société, ou la sécurité intérieure ou extérieure de l’État membre concerné.

82. Si les éléments factuels dont dépend l’appréciation de l’existence de ladite menace devront être examinés par la juridiction de renvoi, la Cour peut fournir des indications sur les éléments à prendre en considération dans le cadre d’un tel examen.

83. Il ressort du dossier transmis à la Cour que la situation prise en considération pour ordonner le placement en rétention dans un établissement pénitentiaire ( 49 ) semble être celle d’un individu radicalisé, présentant des indices de dangerosité et connu comme tel par les services de sécurité compétents, dangerosité de nature à faire suspecter une intention criminelle, dans le sens d’une probable réalisation d’actions violentes portant atteinte à la personne humaine ou aux intérêts supérieurs de
l’État et s’inscrivant dans une volonté terroriste.

84. Si la réalité des actes de terrorisme international imputables à l’organisation en cause dans l’affaire au principal est incontestable et justifie la possibilité pour un État membre d’invoquer une protection de l’ordre public ou de la sécurité publique, la juridiction de renvoi doit examiner le rôle effectivement joué par le ressortissant du pays tiers concerné dans le cadre de son soutien à ladite organisation et apprécier le degré de gravité de la menace pour la sécurité publique ou l’ordre
public émanant du comportement de l’intéressé et, plus particulièrement, l’existence d’une responsabilité individuelle dans la mise en œuvre des actions de cette organisation ( 50 ).

85. Il ressort de la demande de décision préjudicielle que l’instance nationale compétente, pour prononcer le placement en rétention de WM dans un établissement pénitentiaire, disposait a priori d’éléments documentaires, c’est-à-dire de pièces venant étayer la réalité du comportement incriminé de l’intéressé et sa détermination à commettre une infraction, et plus particulièrement à perpétrer un attentat sur le territoire de la République fédérale d’Allemagne ( 51 ). Cette circonstance est pertinente
pour apprécier si l’intéressé constituait un danger pour l’ordre public ou la sécurité publique, dès lors que ladite circonstance a trait à la fiabilité du soupçon pesant sur WM et qu’elle est, par conséquent, susceptible d’éclairer la question de savoir si son comportement personnel constituait un danger pour l’ordre public ou la sécurité publique de la République fédérale d’Allemagne au moment où il a fait l’objet de la décision de placement en rétention dans un établissement pénitentiaire (
52 ).

86. Il appartient enfin à cette juridiction de rechercher, eu égard au principe de proportionnalité que la mesure à prendre était tenue de respecter, si le comportement du ressortissant concerné constitue un danger réel et actuel pour l’ordre public ou la sécurité publique de l’État membre, et donc de déterminer si la menace que l’intéressé a pu, le cas échéant, dans le passé, constituer pour l’ordre public ou pour la sécurité publique de la République fédérale d’Allemagne existait encore à la date
où la décision en cause au principal a été prise ( 53 ), cette vérification devant également s’opérer à l’occasion de l’appréciation du maintien en rétention ( 54 ).

3.   Sur l’interprétation téléologique

87. Il y a lieu de relever que, conformément à l’article 79, paragraphe 2, TFUE, l’objectif de la directive 2008/115, ainsi qu’il ressort des considérants 2 et 11 de celle-ci, est de mettre en place une politique efficace de l’éloignement et du rapatriement fondée sur des normes et des garanties juridiques communes, afin que les personnes concernées soient rapatriées de façon humaine et dans le respect intégral de leurs droits fondamentaux ainsi que de leur dignité ( 55 ). La finalité de
l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115 se déduit clairement du principe directeur exprimé par le législateur de l’Union à l’article 1er de cette directive ainsi qu’aux considérants susmentionnés.

88. Ainsi qu’il ressort des considérants 13, 16, 17 et 24 de la directive 2008/115, toute rétention ordonnée relevant de cette directive est strictement encadrée par les dispositions du chapitre IV de ladite directive de façon à garantir, d’une part, le respect du principe de proportionnalité en ce qui concerne les moyens utilisés et les objectifs poursuivis ( 56 ), et, d’autre part, le respect des droits fondamentaux des ressortissants concernés de pays tiers ( 57 ). En outre, selon le
considérant 13 de la même directive, le recours à des mesures coercitives doit être subordonné expressément au respect non seulement du principe de proportionnalité, mais aussi du principe d’efficacité ( 58 ).

89. Dans ces conditions, il y a lieu de vérifier si le placement d’un migrant en attente d’éloignement dans un établissement pénitentiaire ordinaire, fondé sur la considération selon laquelle ledit migrant représente une menace grave pour l’intégrité corporelle et la vie de tiers ou pour des intérêts juridiques majeurs de sécurité intérieure, est une mesure conforme aux principes d’efficacité et de proportionnalité, et respectueuse des droits fondamentaux de l’intéressé.

a)   Sur le respect du principe d’efficacité

90. Si la directive 2008/115 favorise le départ volontaire du ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire d’un État membre, elle prévoit l’utilisation de mesures coercitives pour assurer la réalisation de son objectif, à savoir l’exécution de la décision de retour. La mesure coercitive ultime est la privation de liberté individuelle que constitue la rétention de la personne concernée, laquelle peut, exceptionnellement, avoir lieu dans un établissement pénitentiaire ordinaire
selon l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115.

91. La réglementation nationale en cause au principal prévoit donc une mesure faisant clairement partie du dispositif mis en place par cette directive pour assurer l’efficacité des procédures de retour, la nature des motifs pouvant être invoqués par un État membre pour justifier une telle incarcération dérogatoire au principe du placement en rétention dans un centre spécialisé constituant, du point de vue de l’appréciation du principe d’efficacité, un élément indifférent. Il est également constant
que la mesure nationale en cause correspond à une mesure coercitive, au sens de l’article 8, paragraphes 1 et 4, de la directive 2008/115, comme contribuant à l’exécution d’une décision de retour et, en conséquence, à la réalisation de ladite directive.

92. Reste que l’objet même du centre de rétention spécialisé est de faciliter l’ensemble des démarches permettant d’assurer un retour rapide et efficace de l’individu jusqu’à son pays d’origine dans le respect des droits qui lui sont reconnus, s’agissant particulièrement des contacts d’un migrant en attente d’éloignement avec les autorités consulaires compétentes prévus à l’article 16, paragraphe 2, de la directive 2008/115 ou avec des organisations non gouvernementales en charge d’un soutien aux
migrants en rétention. Une exécution de la rétention dans un établissement pénitentiaire ne doit pas, dès lors, compromettre cette communication, sous peine de porter atteinte à l’effet utile de ladite directive, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

b)   Sur le respect du principe de proportionnalité

93. Il convient de rappeler que, conformément à l’article 52, paragraphe 1, de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après la « Charte »), toute limitation de l’exercice des droits et des libertés reconnus par celle-ci doit être prévue par la loi et respecter leur contenu essentiel. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées à l’exercice de ces droits et de ces libertés, en l’occurrence le droit à la liberté consacré à l’article 6
de la Charte, que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et des libertés d’autrui.

94. La limitation en cause, procédant de l’article 62a, paragraphe 1, de l’AufenthG, dispose d’une base légale. Cette disposition n’affecte pas le contenu essentiel du droit à la liberté consacré à l’article 6 de la Charte. En effet, elle ne remet pas en cause la garantie de ce droit et, ainsi qu’il ressort de son libellé, elle ne permet le placement en rétention d’un migrant dans un établissement pénitentiaire qu’en raison de son comportement individuel et dans les circonstances exceptionnelles
visées à cette même disposition ( 59 ).

95. La protection de la sécurité nationale et de l’ordre public constituant l’objectif poursuivi par la réglementation nationale en cause, il doit être constaté qu’une mesure d’exécution de la rétention dans un établissement pénitentiaire trouvant son fondement dans celle-ci répond a priori à un objectif légitime d’intérêt général, reconnu par l’Union.

96. S’agissant de la proportionnalité de l’ingérence constatée, il convient de rappeler que, selon une jurisprudence constante, le principe de proportionnalité exige que des mesures soient aptes à réaliser les objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause et ne dépassent pas les limites de ce qui est nécessaire à la réalisation de ces objectifs, étant entendu que, lorsqu’un choix s’offre entre plusieurs mesures appropriées, il convient de recourir à la moins contraignante, et que les
charges imposées ne doivent pas être démesurées par rapport aux buts visés ( 60 ).

97. À cet égard, le placement en rétention dans un établissement pénitentiaire d’un ressortissant d’un pays tiers en attente d’éloignement est, par sa nature même, une mesure apte à protéger le public du danger que peut constituer le comportement d’une telle personne et est ainsi susceptible de réaliser l’objectif poursuivi par la réglementation nationale en cause au principal ( 61 ).

98. Quant au caractère nécessaire de la mesure, il importe de souligner que le libellé de l’article 62a de l’AufenthG révèle un encadrement strict du recours à la mesure en cause, qu’il s’agisse tant de l’exigence d’une menace « grave » pour l’intégrité corporelle et la vie de tiers ou pour des intérêts juridiques « majeurs » de sécurité intérieure constituée par la personne concernée que du respect absolu de la condition liée à la séparation de cette personne des autres prisonniers de droit commun.

99. La disposition nationale en cause correspond à une mesure spécifique d’exécution de la rétention, laquelle est elle-même strictement encadrée par les articles 15 et 16 de la directive 2008/115, s’agissant d’une option ultime dans le cadre de la procédure de retour. À cet égard, la durée maximale prévue à l’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive 2008/115 a pour objectif de limiter la privation de liberté des ressortissants de pays tiers en situation d’éloignement forcé, la rétention
devant être aussi brève que possible et seulement maintenue aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise selon le paragraphe 1 de cette disposition, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi d’apprécier.

100. L’encadrement strict auquel est soumis le pouvoir reconnu aux autorités nationales compétentes de placer un ressortissant d’un pays tiers en attente d’éloignement en rétention dans un établissement pénitentiaire est également assuré par l’interprétation dont font l’objet, dans la jurisprudence de la Cour, les notions de « sécurité nationale » et d’« ordre public » ( 62 ).

101. Une atteinte à la sécurité nationale ou à l’ordre public ne saurait donc justifier, au regard de l’exigence de nécessité, le placement ou le maintien en rétention dans un établissement pénitentiaire d’un migrant en attente d’éloignement qu’à la condition que son comportement individuel représente une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société, ou la sécurité intérieure ou extérieure de l’État membre concerné ( 63 ), ce qu’il appartient à la
juridiction nationale de vérifier dans les conditions exposées aux points 79 à 86 ci-dessus.

102. Ainsi que cela a été mentionné auparavant, une mesure est nécessaire lorsque l’objectif légitime poursuivi ne peut pas être atteint au moyen d’une mesure aussi appropriée mais moins contraignante ( 64 ).

103. Au regard des caractéristiques des centres de rétention spécialisés ( 65 ) et de l’obligation pesant sur les autorités nationales de protection des personnes détenues ou retenues ( 66 ), l’exécution de la rétention dans de tels centres ne me paraît pas appropriée dans l’hypothèse où cette mesure concerne un individu représentant une menace grave pour l’intégrité corporelle et la vie de tiers ou pour des intérêts juridiques majeurs de la sécurité intérieure. L’exigence de sécurité envisagée sous
l’angle tant de la prévention d’un risque de fuite dudit individu que de la préservation de l’intégrité physique du personnel affecté dans ces centres ainsi que des autres personnes retenues ne saurait, dans ces circonstances, être considérée comme satisfaite.

104. Les centres de rétention spécialisés, dont le mode de fonctionnement correspond à celui de la vie en collectivité, ne sont pas conçus pour tenir compte des besoins de sécurités spécifiques propres à certains individus particulièrement dangereux ( 67 ). L’intégration de ces besoins dans des centres spécialisés à la structure inchangée conduirait nécessairement au renforcement global des dispositifs de sécurité au préjudice de la liberté de mouvement au sein de l’établissement des autres
personnes retenues ne présentant, a priori, aucun danger, et donc à l’instauration d’un environnement carcéral pour tous. L’alternative consistant à créer une unité spéciale au sein de ces centres de rétention spécialisée, ayant pour objectif la gestion spécifique d’un individu particulièrement dangereux, me semble conduire à une charge organisationnelle et un coût disproportionnés au regard du faible nombre de personnes concernées, rapporté à l’ensemble des ressortissants de pays tiers faisant
l’objet d’une procédure de retour impliquant une rétention.

105. La disposition nationale en cause ne s’avère pas non plus démesurée par rapport aux buts visés, en ce sens qu’elle procède d’une pondération équilibrée entre l’objectif d’intérêt général poursuivi, à savoir la protection de la sécurité nationale et de l’ordre public, et l’ingérence dans le droit à la liberté occasionnée par une mesure de rétention exécutée dans un établissement pénitentiaire, le droit à la dignité de l’individu concerné devant, lui, faire l’objet d’un respect absolu. En effet,
une telle disposition ne saurait fonder des mesures de rétention sans que les autorités nationales compétentes aient préalablement vérifié, au cas par cas, si le danger que les personnes concernées font courir à la sécurité nationale ou à l’ordre public correspond au moins à la gravité de l’ingérence que constitueraient de telles mesures dans le droit à la liberté de ces personnes et si le droit à la dignité de ces dernières est pleinement respecté ( 68 ).

c)   Sur le respect des garanties minimales de la directive 2008/115 et des droits fondamentaux

106. Ainsi que cela a été précisé ci-dessus, la finalité de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115 ne peut se comprendre qu’en conformité et en cohérence avec les droits consacrés par la Charte, et plus particulièrement aux articles 1er à 4 de celle-ci qui garantissent le respect de la dignité humaine ainsi que le droit à la vie et à l’intégrité de la personne, et interdisent les traitements inhumains et dégradants. Ces références sont, en effet, forcément comprises dans la référence
aux droits fondamentaux incluse à l’article 1er de la directive 2008/115.

107. Par conséquent, comme le soulignait l’avocat général Bot dans ses conclusions dans les affaires Bero et Bouzalmate ( 69 ), l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115 et, plus généralement, les dispositions traitant spécifiquement des conditions de rétention des étrangers en attente d’éloignement, ne peuvent être appliqués concrètement et en conformité avec ces textes que s’ils assurent le respect de ces valeurs.

108. C’est donc en considération, d’une part, des prescriptions de la directive 2008/115 et, d’autre part, des droits fondamentaux proclamés dans le cadre de la Charte qu’il convient de déterminer si, dans des circonstances telles que celles en cause dans l’affaire au principal, le placement en rétention de WM dans un établissement pénitentiaire respecte les droits qui sont reconnus à ce dernier dans l’Union.

1) Sur les garanties minimales de la directive 2008/115

109. Parmi les garanties minimales concrètes prévues par la directive 2008/115 en faveur des ressortissants de pays tiers en attente d’éloignement figurent les conditions de rétention établies à l’article 16 de cet acte, lesquelles doivent être respectées par les procédures nationales.

110. La confrontation du libellé de cette disposition avec le texte de l’article 62a, paragraphe 1, de l’AufenthG révèle que toutes les garanties prévues par la directive sont expressément reprises dans ladite disposition, à l’exception notable de l’obligation de prêter attention à la situation des personnes vulnérables et de fournir les soins médicaux d'urgence et le traitement indispensable des maladies ( 70 ).

111. Il appartient, en tout état de cause, à la juridiction de renvoi de s’assurer que l’ensemble des garanties relatives aux conditions de rétention établies à l’article 16 de la directive 2008/115 sont, concrètement, respectées dans la situation d’une incarcération de la personne retenue. Cette appréciation s’avère d’autant plus nécessaire et importante au regard de la formulation relativement laconique desdites garanties et il importe de veiller à la portée réelle des exigences contenues dans la
disposition précitée. À cet égard, il me semble nécessaire de formuler certaines observations à la suite de la réponse du gouvernement allemand à la demande de renseignements qui lui a été adressée par la Cour.

112. Premièrement, les informations expliquant le règlement de l’établissement pénitentiaire et précisant les droits et les devoirs des ressortissants des pays tiers y retenus doivent, selon moi, être communiquées dans les langues couramment usitées par les intéressés. J’observe que la réponse du gouvernement allemand ne comporte aucune indication quant au respect de cette information obligatoire des personnes retenues, laquelle doit notamment comprendre la mention du droit, pour la personne
retenue, de contacter les organisations et instances nationales, internationales et non gouvernementales compétentes ( 71 ).

113. Deuxièmement, il résulte de la réponse du gouvernement allemand que l’individu retenu « s’est vu autoriser de temps à autre des entretiens téléphoniques surveillés de 30 minutes avec ses proches », lesdits entretiens passant à une heure avec une périodicité bimensuelle à compter du 4 octobre 2017 puis à un entretien téléphonique hebdomadaire de 30 minutes surveillé à partir du 1er décembre 2017. Cet encadrement strict de la communication avec les proches est de nature à soulever des difficultés
au regard du libellé de l’article 16, paragraphe 2, de la directive 2008/115, évoquant des prises de contact par les personnes retenues avec les membres de leur famille « en temps utile » et surtout « à leur demande ». L’emploi concomitant de ces deux expressions traduit, à mon sens, la volonté du législateur de l’Union de parvenir à un juste équilibre entre les règles de fonctionnement d’une entité, centre de rétention spécialisé ou établissement pénitentiaire, nécessairement axées sur la
gestion d’une collectivité dans un contexte sécuritaire, et les garanties accordées à chacune des personnes retenues de pouvoir garder un contact avec sa famille ( 72 ).

114. Troisièmement, il est fait état, dans la réponse du gouvernement allemand, d’un contact du retenu avec des personnes placées en détention provisoire, pour le portage des repas dans sa cellule et, à compter du 4 octobre 2017, dans le cadre d’un temps libre d’une heure passée en compagnie de quelques autres détenus « appropriés ». Cette situation n’est pas sans poser des difficultés liées à l’interprétation des termes de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115.

115. À cet égard, la Cour considère qu’il ressort du libellé de ladite disposition que celle-ci impose une obligation inconditionnelle de séparation des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier des prisonniers de droit commun lorsqu’un État membre ne peut placer ces ressortissants dans des centres de rétention spécialisés. Elle a ajouté que l’obligation de séparation des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier des prisonniers de droit commun n’est assortie d’aucune exception et
constitue une garantie de respect des droits expressément reconnue par le législateur de l’Union auxdits ressortissants dans le cadre des conditions de rétention à des fins d’éloignement dans des établissements pénitentiaires, d’une part, et va au-delà d’une simple modalité d’exécution spécifique d’un placement en rétention des ressortissants de pays tiers dans des établissements pénitentiaires et constitue une condition de fond de ce placement sans laquelle, en principe, celui-ci ne serait pas
conforme à ladite directive, d’autre part ( 73 ).

116. Même s’il est possible de retenir une volonté de la Cour d’interpréter strictement l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115 ( 74 ), des questions demeurent quant à la portée exacte de cette obligation de séparation d’avec les prisonniers de droit commun, s’agissant particulièrement du sens à donner à cette dernière expression. Dans le cadre de ses observations, la Commission souligne la différence entre la version en langue allemande de la disposition précitée, avec l’emploi du
terme « Strafgefangenen » qui désigne en règle générale des détenus condamnés à une peine d’emprisonnement, figurant dans la question préjudicielle, et d’autres versions linguistiques, notamment, en langues anglaise (« ordinary prisoners »), française (« prisonniers de droit commun »), espagnole (« presos ordinarios »), italienne (« detenuti ordinari ») et estonienne (« tavalistest vangidest »), paraissant englober les personnes placées en détention provisoire.

117. Dans la recommandation 2017/2338 de la Commission, il est mentionné : « L’expression “prisonniers de droit commun” concerne les prisonniers condamnés et les prisonniers en détention provisoire : ce point est confirmé par le Principe 10, paragraphe 4, des “Vingt principes directeurs sur le retour forcé” du Comité des ministres du Conseil de l’Europe, qui précise de manière explicite que “les personnes détenues préalablement à l’éloignement devraient normalement être séparées des prévenus et des
personnes condamnées”. Les personnes détenues doivent par conséquent être séparées des prisonniers en détention provisoire ».

118. Il convient de rappeler que la directive 2008/115 entend tenir compte des « Vingt principes directeurs sur le retour forcé » du Comité des ministres du Conseil de l’Europe, auxquels il est fait référence à son troisième considérant, ce qui devrait a priori conduire à une interprétation de la notion de « prisonniers de droit commun » incluant les personnes condamnées et celles en détention provisoire.

119. Cette solution ne me paraît, néanmoins, pas pleinement convaincante tant sur un plan théorique que pratique.

120. L’exécution prioritaire de la rétention dans un centre spécialisé et l’obligation de séparation d’avec les prisonniers de droit commun lors de l’incarcération exceptionnelle d’un migrant en attente d’éloignement ont pour origine la considération que les personnes concernées par le retour ne sont pas des « criminels » et doivent donc faire l’objet d’un traitement distinct de ceux-ci, la mesure de rétention revêtant un caractère purement administratif. S’il a pu justement être considéré que cette
obligation de séparation participait directement au respect de la dignité humaine et des droits fondamentaux d’un migrant qui n’a commis aucun crime ni même aucun délit ( 75 ), ce dernier constat s’applique également à la personne placée en détention provisoire qui n’a encore fait l’objet d’aucune condamnation et bénéficie de la présomption d’innocence ( 76 ). Il paraît difficile d’en faire, à tout le moins d’un point de vue juridique, un détenu « infréquentable ».

121. Sur un plan pratique, une appréciation stricte de l’obligation de séparation risque de conduire à une situation pour le moins paradoxale, en ce sens que la prévention de tout contact avec les prisonniers, quel que soit leur statut pénal, a pour conséquence de placer le migrant dans une forme d’isolement, susceptible de porter atteinte à sa dignité, alors même que ladite obligation a été conçue dans une optique de protection de l’intéressé ( 77 ). La question se révèle d’autant plus complexe si
l’on prend en considération le profil particulier du migrant concerné, incarcéré dans l’attente de son éloignement en raison de sa dangerosité, qui n’est manifestement pas celui pris en compte lors de l’élaboration de l’article 16 de la directive 2008/115. Ainsi, le risque sécuritaire pour l’intégrité physique des personnes pouvant côtoyer ledit migrant, légitimement retenu pour justifier le placement en rétention dans un établissement pénitentiaire, paraît militer en faveur de la prohibition
absolue de toute communication avec les prisonniers, condamnés ou en attente de jugement, dans un souci de protection, cette fois, de ces derniers.

122. La réflexion impose, à ce stade, de s’interroger sur une éventuelle atteinte à la dignité d’un migrant en attente d’éloignement incarcéré et privé, conformément à la disposition précitée, de tout contact avec les « prisonniers de droit commun ».

2) Sur le respect de la dignité humaine et l’interdiction des traitements inhumains ou dégradants

123. Le sens et la portée de l’article 4 de la Charte, qui correspond à l’article 3 de la CEDH, sont, en vertu de l’article 52, paragraphe 3, de la Charte, les mêmes que ceux que leur confère ladite convention ( 78 ).

124. S’agissant de l’interdiction des peines ou des traitements inhumains ou dégradants, prévue à l’article 4 de la Charte, elle revêt un caractère absolu en tant qu’elle est étroitement liée au respect de la dignité humaine visée à l’article 1er de la Charte. Le caractère absolu du droit garanti par l’article 4 de la Charte est confirmé par l’article 3 de la CEDH. En effet, ainsi qu’il ressort de l’article 15, paragraphe 2, de la CEDH, aucune dérogation n’est possible à l’article 3 de la CEDH ( 79
). Les articles 1er et 4 de la Charte ainsi que l’article 3 de la CEDH consacrent l’une des valeurs fondamentales de l’Union et de ses États membres. C’est la raison pour laquelle, en toutes circonstances, y compris dans le cas de la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, la CEDH interdit en termes absolus la torture et les peines et traitements inhumains ou dégradants, quel que soit le comportement de la personne concernée ( 80 ).

125. Il ressort de la jurisprudence de la Cour EDH que l’article 3 de la CEDH fait peser sur les autorités de l’État sur le territoire duquel a lieu une détention, une obligation positive qui consiste à s’assurer que tout prisonnier est détenu dans des conditions qui garantissent le respect de la dignité humaine, que les modalités d’exécution de la mesure ne soumettent pas l’intéressé à une détresse ou à une épreuve d’une intensité qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la
détention et que, eu égard aux exigences pratiques de l’emprisonnement, la santé et le bien-être du prisonnier sont assurés de manière adéquate ( 81 ).

126. Parmi les modalités d’exécution prises en compte dans le cadre de l’appréciation de l’existence d’un traitement inhumain ou dégradant, figure la mise à l’isolement de la personne incarcérée. À cet égard, la Cour EDH a indiqué : « l’isolement sensoriel complet combiné à un isolement social total peut détruire la personnalité et constitue une forme de traitement inhumain qui ne saurait se justifier par les exigences de la sécurité ou toute autre raison. En revanche, l’interdiction de contacts
avec d’autres détenus pour des raisons de sécurité, de discipline et de protection ne constitue pas en elle-même une forme de peine ou traitement inhumains ». La Cour EDH a aussi précisé que, lors de l’évaluation des conditions de détention, il y a lieu de prendre en compte leurs effets cumulatifs, ce qui l’amène à vérifier, outre les conditions matérielles d’hébergement en cellule, la durée de la mise à l’isolement ( 82 ).

127. L’autorité compétente saisie d’un recours contre une décision de placement en rétention d’un migrant en attente d’éloignement dans un établissement pénitentiaire est donc tenue d’apprécier, sur la base d’éléments objectifs, fiables, précis et dûment actualisés, et au regard du standard de protection des droits fondamentaux garanti par le droit de l’Union, s’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée fait l’objet de traitements inhumains ou dégradants en raison
des conditions de sa détention ( 83 ).

128. Si les éléments factuels dont dépend cette appréciation devront être examinés par la juridiction de renvoi, la Cour peut fournir des indications sur les éléments à prendre en considération dans le cadre d’un tel examen.

129. Il ressort de la réponse du gouvernement allemand ( 84 ) que les conditions de détention du migrant concerné ne paraissent pas, en l’état du dossier soumis à la Cour et sauf éléments probants contraires du requérant principal, révéler un traitement inhumain ou dégradant, tel que défini aux points 125 et 126 ci-dessus, et ce d’autant plus que l’intéressé n’a pas fait l’objet d’une mise à l’isolement, puisqu’il a pu communiquer avec le monde extérieur et à l’intérieur de la prison, notamment,
avec des détenus en attente de jugement.

130. Compte tenu de la jurisprudence de la Cour EDH sur la seule interdiction d’un isolement sensoriel complet combiné à un isolement social total, il pourrait être considéré que la conclusion susvisée d’absence de traitement inhumain ou dégradant demeurerait valable même en l’absence de tout contact du migrant concerné avec les prisonniers de droit commun, quel que soit leur statut pénal, la situation de l’intéressé ne pouvant être qualifiée, dans une telle hypothèse, que d’isolement partiel et
relatif ( 85 ).

131. Une interprétation stricte de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115 et de l’obligation de séparation y contenue, fondée sur une acception de la notion de « prisonniers de droit commun » regroupant condamnés et détenus provisoires, pourrait donc être retenue sans mettre en péril le nécessaire respect des droits fondamentaux du migrant incarcéré dans l’attente de son éloignement, sous réserve d’une appréciation des effets cumulatifs des conditions de détention.

132. Il me semble, toutefois, qu’un tel raisonnement se révèle par trop théorique et pèche par une rigidité excessive, en ce sens qu’il conduit à un système fonctionnant de manière purement mécanique, faisant abstraction d’un examen précis de chaque situation individuelle, pourtant requis par le principe de proportionnalité et régulièrement exigé par la Cour dans le cadre de l’interprétation des dispositions de la directive 2008/115. L’exemple du litige au principal me paraît, à cet égard,
particulièrement éclairant quant à ce schéma pouvant aboutir à des solutions proches de l’aberration, dans la mesure où le simple constat du contact d’un détenu provisoire, chargé du portage des repas dans les cellules, avec le migrant concerné serait suffisant pour caractériser une violation de l’obligation de séparation. Une obligation de séparation entendue trop strictement aboutit à l’impossibilité de tout contact, même occasionnel, ce qui n’est pratiquement pas soutenable.

133. En outre, la mise à l’isolement du migrant, même partielle et relative par la seule interdiction de contact avec l’ensemble des prisonniers de droit commun, prive, par sa nature même, l’intéressé de l’accès à celles des activités sportives, culturelles et de travail rémunéré qui sont proposées de façon collective aux autres détenus, ce qui confère un caractère punitif à une mesure censée en être totalement dépourvue et crée une discrimination injustifiée au détriment du migrant au regard des
conditions de séjour dans l’établissement pénitentiaire ( 86 ).

134. Il y a lieu, en conséquence, de rechercher un juste équilibre entre la nécessité de prévenir tout risque de traitement discriminatoire, inhumain ou dégradant des migrants placés en rétention dans un établissement pénitentiaire et celle d’assurer, conformément à la lettre de l’article 16 de la directive 2008/115, la séparation de ces migrants des prisonniers de droit commun, dans un but de protection de l’intégrité physique et psychique desdits migrants, à laquelle il convient d’ajouter, dans
l’hypothèse de migrants représentant un danger pour l’ordre public ou la sécurité publique, celle de la population carcérale et du personnel de surveillance. Cette conciliation, délicate à mettre en œuvre, pourrait, selon moi, reposer sur deux éléments.

135. Le premier est de considérer que la notion de « prisonniers de droit commun » doit être interprétée comme excluant les détenus provisoires, présumés innocents. Le second est de retenir un encellulement individuel systématique du migrant concerné, des contacts pouvant être autorisés avec les détenus provisoires dans le cadre des activités collectives précitées et modulées par les responsables de l’établissement pleinement informés de la réalité carcérale quotidienne et tenant compte de la raison
du placement, de l’objectif poursuivi ainsi que de la personnalité et du comportement du migrant concerné. Cette solution, théoriquement concevable, me paraît pratiquement souhaitable.

3) Sur le droit à la liberté et le recours effectif

136. Il importe, à titre liminaire, de relever que l’article 16 de la directive 2008/115 ne fait pas état de l’adoption d’une décision spécifique quant au placement en rétention d’un migrant en attente d’éloignement dans un établissement pénitentiaire. S’agissant en réalité d’une modalité particulière d’exécution de la mesure de rétention, il y a lieu, au regard de l’économie générale de la directive 2008/115 dont il convient de tenir compte pour l’interprétation des dispositions de celle‑ci ( 87 ),
de se référer à l’article 15 de cet acte.

137. L’article 15 de la directive 2008/115 établit des conditions de fond strictes pour le placement et le maintien en rétention et définit le contrôle juridictionnel attaché à l’adoption de ces mesures.

138. Il résulte de l’article 15 de la directive 2008/115 que le placement en rétention peut être ordonné par une autorité administrative ou judiciaire, les États membres étant obligés soit de prévoir un contrôle juridictionnel accéléré de la légalité de la rétention le plus rapidement possible à compter du début de la rétention, soit d’accorder au ressortissant concerné du pays tiers le droit d’engager une procédure par laquelle la légalité fait l’objet d’un contrôle juridictionnel accéléré qui doit
avoir lieu le plus rapidement possible à compter du lancement de la procédure en question, le ressortissant concerné étant immédiatement remis en liberté si la rétention est considérée comme étant illégale.

139. Qu’elle soit ordonnée par une autorité administrative ou judiciaire, la rétention fait l’objet, en vertu de l’article 15, paragraphe 3, de la directive 2008/115, d’un réexamen à intervalles raisonnables à la demande du ressortissant ou d’office, un contrôle juridictionnel étant prévu en cas de période de rétention prolongée. À cet égard, la Cour a jugé que le réexamen de toute rétention prolongée d’un ressortissant d’un pays tiers doit faire l’objet d’un contrôle par une autorité judiciaire,
laquelle doit obligatoirement, lorsqu’elle statue sur la possibilité de prolonger la rétention initiale, procéder à un contrôle de ladite rétention, même si ce contrôle n’a pas été expressément demandé par l’autorité l’ayant saisie et même si la rétention du ressortissant concerné a déjà fait l’objet d’un réexamen par l’autorité ayant ordonné la rétention initiale ( 88 ).

140. Il convient de rappeler que l’interprétation de la directive 2008/115 doit être effectuée, ainsi qu’il découle de son considérant 24 et de son article 1er, dans le respect des droits fondamentaux et des principes reconnus notamment par la Charte. En ce qui concerne plus particulièrement les recours contre les décisions liées à la rétention, prévus à l’article 15 de la directive 2008/115, leurs caractéristiques doivent être déterminées en conformité avec l’article 6 de la Charte concernant le
droit à la liberté de toute personne et l’article 47 de la Charte, aux termes duquel toute personne dont les droits et les libertés garantis par le droit de l’Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal dans le respect des conditions prévues audit article ( 89 ).

141. Il y a lieu, dès lors, de considérer qu’une autorité judiciaire statuant sur une demande de placement en rétention ou de prolongation de la mesure, assortie d’une exécution dans un établissement pénitentiaire en raison du danger pour l’ordre public ou la sécurité publique représenté par le migrant concerné, doit être en mesure de statuer sur tout élément de fait et de droit pertinent pour déterminer si la mesure sollicitée est justifiée au regard des exigences énoncées à l’article 15 de la
directive 2008/115 et de celles liées à la preuve de l’existence d’une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société ou la sécurité intérieure ou extérieure de l’État membre concerné ( 90 ).

142. Lorsque la rétention n’est pas justifiée ou ne se justifie plus au regard de ces exigences, l’autorité judiciaire compétente doit être en mesure de substituer sa propre décision à celle de l’autorité administrative ou, le cas échéant, à celle de l’autorité judiciaire ayant ordonné la rétention initiale et de statuer sur la possibilité d’ordonner une mesure de substitution ou la remise en liberté du ressortissant concerné. À cette fin, l’autorité judiciaire doit être en mesure de prendre en
considération tant les éléments de fait et les preuves invoqués par l’autorité administrative ayant ordonné la rétention initiale que toute observation éventuelle du ressortissant concerné d’un pays tiers. En outre, elle doit être en mesure de rechercher tout autre élément pertinent pour sa décision au cas où elle le jugerait nécessaire. Il s’ensuit que les pouvoirs détenus par l’autorité judiciaire dans le cadre d’un contrôle ne peuvent, en aucun cas, être circonscrits aux seuls éléments
présentés par l’autorité administrative concernée ( 91 ).

143. Toute autre interprétation de l’article 15 de la directive 2008/115 aurait pour effet de priver tant les paragraphes 1, 2, 4 et 6 de cet article que le paragraphe 1 de l’article 16, de leur effet utile et viderait le contrôle judiciaire exigé à l’article 15 de cette directive de son contenu, mettant ainsi en péril la réalisation des objectifs poursuivis par ladite directive ( 92 ).

144. En outre, les dispositions de l’article 15 de la directive 2008/1159 doivent être lues non seulement à la lumière des articles 6 et 47 de la Charte mais aussi des dispositions de la CEDH auxquelles la Charte fait référence, les droits correspondants étant en l’occurrence les articles 5, concernant le droit à la liberté et à la sûreté, et 6 et 13, relatifs au droit à un procès équitable et un recours effectif, de la CEDH ( 93 ).

145. Dans ce contexte, il y a lieu de considérer que la demande de réexamen individuel présenté par le migrant concerné, prévue à l’article 15, paragraphe 3, première phrase, de la directive 2008/115, doit, afin d’assurer le respect des exigences découlant des articles 6 et 47 de la Charte, permettre d’examiner, à bref délai et indépendamment de l’absence d’écoulement du délai fixé pour un réexamen d’office de la rétention, les conditions de détention de l’intéressé aux fins de vérification d’une
éventuelle atteinte à la dignité de ce dernier contraire aux articles 1er à 4 de la Charte, lu en combinaison avec l’article 3 de la CEDH.

146. Il appartient à la juridiction de renvoi d’effectuer les vérifications nécessaires quant au respect des garanties minimales prévues par la directive 2008/115 et des droits fondamentaux du ressortissant d’un pays tiers placé en rétention dans un établissement pénitentiaire au regard des indications exposées ci-dessus.

147. À cet égard, il ressort de la décision de renvoi et de la réponse du gouvernement allemand que les décisions de placement en rétention et de prolongation de la mesure sont prises, de manière générale, par une juridiction et que le migrant concerné a la possibilité d’introduire un recours contre ces décisions judiciaires. Il est, en outre, mentionné que la durée maximale de la rétention initiale est fixée à six mois, avec une possible prolongation d’une durée maximale de douze mois. Interrogé
sur les modalités du contrôle juridictionnel, le gouvernement allemand a indiqué que la décision ordonnant ou prolongeant une privation de liberté doit être annulée d’office avant l’expiration du délai fixé lorsque le motif de privation de liberté a disparu et que l’intéressé ou l’autorité peut également demander la levée de la privation de liberté, le tribunal statuant sur cette demande par voie d’ordonnance susceptible de recours.

148. Force est de constater que le dossier soumis à la Cour n’est pas suffisamment étayé pour appréhender de manière précise le régime procédural des recours pouvant être introduit par le ressortissant d’un pays tiers concerné et fournir, à ce titre, de plus amples indications à la juridiction de renvoi.

V. Conclusion

149. Au vu des considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre à la question préjudicielle posée par le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice, Allemagne) de la manière suivante :

L’article 16 de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2008, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, lu conjointement avec l’article 15 de ladite directive et à la lumière des articles 1er à 4, 6 et 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une réglementation nationale permettant
le placement en rétention dans un établissement pénitentiaire d’un ressortissant de pays tiers en attente d’éloignement représentant une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société, ou la sécurité intérieure ou extérieure de l’État membre concerné, ce qu’il appartient à l’autorité nationale compétente de vérifier, sous réserve d’une interdiction de contact avec les détenus condamnés.

Il appartient aussi à l’autorité nationale compétente, saisie d’un recours relatif à la décision de placement en rétention ou de prolongation d’une rétention d’un ressortissant d’un pays tiers en attente d’éloignement dans un établissement pénitentiaire, de vérifier de manière concrète et précise les conditions de détention de ce ressortissant afin de s’assurer du respect tant des principes d’efficacité et de proportionnalité que des garanties minimales prévues à l’article 16 de la
directive 2008/115 ainsi que des droits fondamentaux dudit ressortissant, tels que consacrés aux articles 1er à 4, 6 et 47 de la charte des droits fondamentaux.

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( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) JO 2008, L 348, p. 98.

( 3 ) L’article 58a, paragraphe 1, de l’AufenthG est ainsi libellé : « Sur la base de prévisions fondées sur des faits, l’autorité suprême d’un Land peut prendre une décision d’éloignement, sans mesure d’expulsion préalable, à l’encontre d’un étranger afin d’écarter un danger particulier pour la sécurité de la République fédérale d’Allemagne ou une menace terroriste. La décision d’éloignement est immédiatement exécutoire, aucun avertissement d’éloignement n’est requis. »

( 4 ) La décision de renvoi ne précise pas si une autre décision a été, préalablement ou concomitamment, adoptée concernant, spécifiquement, le placement en rétention de l'intéressé au regard des motifs prévus à l'article 15, paragraphe 1, sous a) et b), de la directive 2008/115 ou si cette seule décision du 18 août 2017 de l’Amtsgericht (tribunal de district) a pour objet tant ledit placement que la détermination d'une modalité particulière d'exécution de la mesure, à savoir l'incarcération du
migrant concerné, fondée sur une motivation distincte. Il est constant que l’article 62a, paragraphe 1, de l’AufenthG, sur lequel se fonde la décision incriminée, ne reprend pas les conditions prévalant au placement en rétention définies à l’article 15 de la directive 2008/115. En tout état de cause, je relève que la demande de décision préjudicielle porte non pas sur les conditions régissant le placement en rétention, telles qu’arrêtées dans cet article, mais sur les conditions d’exécution de la
rétention déterminées à l’article 16 de ladite directive. J’observe enfin que la proposition de directive du Parlement et du Conseil, du 12 septembre 2018, relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier [COM(2018) 634 final], toujours pendante, prévoit un nouveau motif de placement en rétention, à savoir la situation d'un ressortissant de pays tiers constituant un danger pour l'ordre public, la sécurité
publique ou la sécurité nationale.

( 5 ) Le terme employé par la juridiction de renvoi est celui de « Strafgefangenen », figurant à l’article 62a, paragraphe 1, de l’AufenthG, qui désigne en règle générale des détenus condamnés, selon un jugement définitif, à une peine d’emprisonnement, par opposition à celui de « Untersuchungsgefangene » correspondant aux détenus provisoires.

( 6 ) Arrêt du 19 juin 2018, Gnandi (C‑181/16, EU:C:2018:465, point 31).

( 7 ) Point 7 des observations du gouvernement allemand.

( 8 ) Arrêt du 19 juin 2018, Gnandi (C‑181/16, EU:C:2018:465, point 34).

( 9 ) Dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt du 17 juillet 2014, Pham (C‑474/13, EU:C:2014:2096), les données factuelles et juridiques étaient analogues à la présente espèce, s'agissant d'une ressortissante d'un pays tiers ayant été placée en rétention dans un établissement pénitentiaire en Allemagne sur le fondement de l’article 62, paragraphe 1, de l’AufenthG, dans sa version alors applicable, puis expulsée vers le Viêt Nam. Après cet éloignement, le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice)
avait posé une question préjudicielle à la Cour concernant l'interprétation de l'article 16 de la directive 2008/115, l'arrêt précité indiquant que le recours devant le Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) visait à faire constater que la personne retenue avait été lésée dans ses droits par les ordonnances relatives à la prorogation de sa rétention dans l'établissement pénitentiaire. Le point 10 dudit arrêt mentionne : « Selon le Bundesgerichtshof [Cour fédérale de justice], eu égard à
l'atteinte à un droit fondamental particulièrement significatif, les voies de recours contre une mesure privative de liberté demeurent ouvertes y compris après l'exécution d'une telle mesure, car la personne concernée dispose d'un intérêt digne de protection à ce que l’illicéité d'une mesure privative de liberté soit constatée même après l'exécution de celle-ci. » Si cette dernière précision ne figure pas dans la décision de renvoi, elle sous-tend indubitablement les considérations du
Bundesgerichtshof (Cour fédérale de justice) sur l'admissibilité du pourvoi dans notre affaire.

( 10 ) Ce titre inclut l’article 72 TFUE aux termes duquel « [l]e présent titre ne porte pas atteinte à l’exercice des responsabilités qui incombent aux États membres pour le maintien de l’ordre public et la sauvegarde de la sécurité intérieure ».

( 11 ) Voir, par analogie, arrêt du 28 avril 2011, El Dridi (C‑61/11 PPU, EU:C:2011:268, point 32).

( 12 ) Arrêt du 7 juin 2016, Affum (C‑47/15, EU:C:2016:408, point 48).

( 13 ) Arrêt du 15 décembre 2009, Commission/Danemark (C‑461/05, EU:C:2009:783, point 51 et jurisprudence citée).

( 14 ) Ces dispositions permettent l'adoption d'une décision de retour à l'égard de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier mais titulaire d'un titre de séjour valable ou d'une autre autorisation conférant un droit de séjour délivré par un autre État membre (article 6, paragraphe 2, de la directive 2008/115), l'absence d'octroi d'un délai de départ volontaire ou sa réduction à moins de sept jours (article 7, paragraphe 4, de la directive 2008/115), l'absence de prononcé d'une interdiction
d'entrée ou l'augmentation de la durée de celle-ci (article 11, paragraphes 2 et 3, de la directive 2008/115) et la limitation de la motivation en fait des décisions de retour, d'interdiction d'entrée et d'éloignement (article 12, paragraphe 1, de la directive 2008/115).

( 15 ) Voir conclusions de l’avocat général Sharpston dans les affaires Commission/Pologne (Mécanisme temporaire de relocalisation de demandeurs de protection internationale), Commission/Hongrie (Mécanisme temporaire de relocalisation de demandeurs de protection internationale) et Commission/République tchèque (Mécanisme temporaire de relocalisation de demandeurs de protection internationale) (C‑715/17, C‑718/17 et C‑719/17, EU:C:2019:917, point 212). Dans ces conclusions (points 202 à 223), il est
indiqué à juste titre que « l’article 72 TFUE sert avant tout et de toute évidence à rappeler au législateur de l’Union la nécessité de prévoir dans toute mesure de droit dérivé, adoptée sur la base du titre V, des dispositions permettant aux États membres d’assumer ces responsabilités » mais que, dans l’exercice de ces responsabilités dans un domaine donné, lesdits États doivent respecter les règles du droit de l’Union.

( 16 ) Arrêt du 15 décembre 2009, Commission/Danemark (C‑461/05, EU:C:2009:783, point 51 et jurisprudence citée).

( 17 ) Arrêt du 28 avril 2011, El Dridi (C‑61/11 PPU, EU:C:2011:268, points 54 et 55).

( 18 ) Arrêt du 6 décembre 2011, Achughbabian (C‑329/11, EU:C:2011:807, point 43).

( 19 ) Arrêt du 10 septembre 2014, Ben Alaya (C‑491/13, EU:C:2014:2187), point 22 et jurisprudence citée).

( 20 ) La Cour a déjà eu l’occasion de se prononcer à deux reprises sur l’interprétation de l’article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115 au regard des modalités de rétention prévues par le droit allemand, étant observé que la réglementation en cause en l’espèce n’a été introduite que postérieurement à ces décisions. Dans l’arrêt du 17 juillet 2014, Bero et Bouzalmate (C‑473/13 et C‑514/13, EU:C:2014:2095), la Cour a jugé qu’un État membre à structure fédérale est tenu d’effectuer la
rétention, en règle générale, dans des centres de rétention spécialisés, même en l’absence de tels centres dans l’État fédéré compétent. Dans l’arrêt du 17 juillet 2014, Pham (C‑474/13, EU:C:2014:2096), la Cour a estimé qu’une réglementation nationale prévoyant le placement des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier dans un établissement pénitentiaire avec des prisonniers de droit commun est incompatible avec la directive 2008/115, et que le consentement desdits ressortissants à ce
placement n’a pas d’incidence à cet égard.

( 21 ) Arrêt du 17 juillet 2014, Bero et Bouzalmate (C‑473/13 et C‑514/13, EU:C:2014:2095, point 25).

( 22 ) Arrêt du 17 juillet 2014, Bero et Bouzalmate (C‑473/13 et C‑514/13, EU:C:2014:2095, point 26).

( 23 ) La version en langue allemande de l'article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115 explique à l'évidence l'argumentation du gouvernement allemand (points 10 à 13 des observations) selon laquelle la réglementation nationale en cause ne relève pas de l'exception prévue à l'article 16, paragraphe 1, seconde phrase, de ladite directive, dans la mesure où la problématique en cause n'est pas celle de l'inexistence d'un centre de rétention spécialisé, c'est-à-dire un cas d'impossibilité, mais
constitue une exception licite au principe énoncé à l'article 16, paragraphe 1, première phrase, de cette directive. Cette argumentation méconnaît la structure et donc le sens de la disposition précitée qui prévoit, dans une articulation indépassable, un principe et une exception à ce dernier, respectivement, dans la première et la seconde phrase de l'article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115, la compatibilité de la réglementation nationale en cause devant nécessairement s'apprécier au
regard des termes de la seconde phrase dudit paragraphe 1.

( 24 ) Arrêt du 17 juillet 1997, Ferriere Nord/Commission (C‑219/95 P, EU:C:1997:375, point 15).

( 25 ) Arrêt du 3 avril 2008, Endendijk (C‑187/07, EU:C:2008:197).

( 26 ) Voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2016, Affum (C‑47/15, EU:C:2016:408, point 61).

( 27 ) Arrêt du 28 avril 2011, El Dridi (C‑61/11 PPU, EU:C:2011:268, point 34).

( 28 ) Arrêt du 28 avril 2011, El Dridi (C‑61/11 PPU, EU:C:2011:268, points 41 et 42).

( 29 ) Arrêt du 28 avril 2011, El Dridi (C‑61/11 PPU, EU:C:2011:268, point 40).

( 30 ) Voir, en ce sens, arrêt du 7 juin 2016, Affum (C‑47/15, EU:C:2016:408, point 62).

( 31 ) Arrêt du 28 avril 2011, El Dridi (C‑61/11 PPU, EU:C:2011:268, point 39).

( 32 ) Conclusions de l’avocat général Bot dans les affaires Bero et Bouzalmate (C‑473/13, C‑474/13 et C‑514/13, EU:C:2014:295).

( 33 ) L’article 17, paragraphe 2, de la directive 2008/115 prévoit que les familles placées en rétention dans l’attente d’un éloignement disposent d’un lieu d’hébergement séparé qui leur garantit une intimité adéquate.

( 34 ) COM(2005) 391 final.

( 35 ) JO 2017, L 339, p. 83.

( 36 ) Arrêt du 12 décembre 2019, E.P. (Menace pour l’ordre public) (C‑380/18, EU:C:2019:1071, points 29 et 30).

( 37 ) Voir, en ce sens, arrêts du 23 novembre 2010, Tsakouridis (C‑145/09, EU:C:2010:708, points 43 et 44) ; du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84, points 65 et 66), ainsi que arrêt du 2 mai 2018, K. et H. F. (Droit de séjour et allégations de crimes de guerre) (C‑331/16 et C‑366/16, EU:C:2018:296, point 42).

( 38 ) Voir, en ce sens, arrêt du 23 novembre 2010, Tsakouridis (C‑145/09, EU:C:2010:708, points 45 et 46).

( 39 ) Voir, en ce sens, arrêt du 26 novembre 2002, Oteiza Olazabal (C‑100/01, EU:C:2002:712, point 35).

( 40 ) Arrêt du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84, point 67), concernant l’article 8, paragraphe 3, premier alinéa, sous e), de la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil, du 26 juin 2013, établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (JO 2013, L 180, p. 96).

( 41 ) JO 2004, L 375, p. 12.

( 42 ) Arrêt du 12 décembre 2019, E.P. (Menace pour l’ordre public) (C‑380/18, EU:C:2019:1071, points 31 à 33).

( 43 ) Arrêt du 5 juin 2014, Mahdi (C‑146/14 PPU, EU:C:2014:1320, point 39).

( 44 ) Arrêt du 11 juin 2015, Zh. et O. (C‑554/13, EU:C:2015:377, point 60 et jurisprudence citée).

( 45 ) Arrêts du 19 juin 2018, Gnandi (C‑181/16, EU:C:2018:465, point 48), et du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84, point 75 ainsi que jurisprudence citée).

( 46 ) Arrêt du 17 juillet 2014, Bero et Bouzalmate (C‑473/13 et C‑514/13, EU:C:2014:2095, point 25).

( 47 ) Arrêt du 11 juin 2015, Zh. et O. (C‑554/13, EU:C:2015:377, points 51 et 52).

( 48 ) Arrêt du 11 juin 2015, Zh. et O. (C‑554/13, EU:C:2015:377, points 51, 52, 59 et 61).

( 49 ) Si la demande de décision préjudicielle ne comporte pas de précision sur les motifs de la décision du 18 août 2017 de l’Amtsgericht (tribunal de district) ordonnant le placement de WM en rétention dans un établissement pénitentiaire, il ne fait aucun doute que la situation décrite aux points 10 à 12 des présentes conclusions a été prise en compte pour caractériser l’existence d’une menace grave pour l’intégrité corporelle et la vie de tiers ou pour des intérêts juridiques majeurs de sécurité
intérieure au sens de l’article 62a, paragraphe 1, de l’AufenthG. La réponse du gouvernement allemand à la demande de renseignements mentionne le fait que, du 15 août au 26 septembre 2016, WM a purgé le reste d’une peine d’emprisonnement substitutive de 43 jours pour coups et blessures volontaires, condamnation qui n’est pas relatée dans la décision de renvoi et ne paraît pas avoir été prise en compte pour fonder la décision incriminée.

( 50 ) Dans l’arrêt du 24 juin 2015, T. (C‑373/13, EU:C:2015:413), la Cour a jugé que la seule circonstance qu’un réfugié soutenait une organisation terroriste ne saurait avoir comme conséquence automatique la révocation de son titre de séjour. Elle a, une fois de plus, rejeté tout raisonnement causal automatique fondé sur une seule circonstance pertinente, au profit d’une « évaluation individuelle de faits précis » tant au regard de l’activité de l’organisation en question que du comportement de la
personne concernée.

( 51 ) La prévention des actions terroristes représente aujourd’hui un enjeu politique majeur et conduit parfois les autorités nationales à réprimer la phase précédant la commission d’un acte terroriste, brouillant ce faisant la distinction traditionnelle entre la police administrative et judiciaire. Or, l’approche traditionnellement retenue en droit pénal est que la seule intention de commettre une infraction ne saurait être sanctionnée (cogitationis poenam nemo patitur). Même si la réglementation
nationale concernée ne relève pas du domaine du droit pénal, la mesure en cause étant par nature administrative et ne revêtant aucun caractère punitif, l’appréciation, objectivement délicate, de la dangerosité de l’intéressé au regard de son profil psychologique et de son intention criminelle doit s’effectuer dans la plus grande rigueur, au travers de la réunion d’indices concrets, sérieux et concordants qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier dans leur matérialité et leur
pertinence.

( 52 ) Arrêt du 11 juin 2015, Zh. et O. (C‑554/13, EU:C:2015:377, point 64).

( 53 ) Arrêts du 11 juin 2015, Zh. et O. (C‑554/13, EU:C:2015:377, point 57) ; du 24 juin 2015, T., (C‑373/13, EU:C:2015:413, point 92), ainsi que du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84, point 73).

( 54 ) Voir, par analogie, arrêt du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84, point 67).

( 55 ) Arrêts du 5 juin 2014, Mahdi (C‑146/14 PPU, EU:C:2014:1320, point 38), et du 19 juin 2018, Gnandi (C‑181/16, EU:C:2018:465, point 48).

( 56 ) En particulier, ainsi que la Cour l’a déjà jugé, le respect du principe de proportionnalité doit être assuré au cours de toutes les étapes de la procédure de retour établie par ladite directive, ce qui inclut nécessairement celle afférente au placement en rétention, y compris l’étape relative à la décision de retour, dans le cadre de laquelle l’État membre concerné doit se prononcer sur l’octroi d’un délai de départ volontaire au titre de l’article 7 de cette même directive (voir, en ce sens,
arrêt du 11 juin 2015, Zh. et O. (C‑554/13, EU:C:2015:377), point 49).

( 57 ) Arrêt du 5 juin 2014, Mahdi (C‑146/14 PPU, EU:C:2014:1320, point 55).

( 58 ) Arrêt du 10 septembre 2013, G. et R. (C‑383/13 PPU, EU:C:2013:533, point 42).

( 59 ) Voir, par analogie, arrêt du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84, point 52).

( 60 ) Voir arrêts du 11 juillet 1989, Schräder HS Kraftfutter (265/87, EU:C:1989:303, point 21) ; du 12 juillet 2001, Jippes e.a. (C‑189/01, EU:C:2001:420, point 81), ainsi que du 9 mars 2010, ERG e.a. (C‑379/08 et C‑380/08, EU:C:2010:127, point 86). Voir, également, en ce sens, arrêt du 16 juin 2015, Gauweiler e.a. (C‑62/14, EU:C:2015:400, point 91).

( 61 ) Voir, par analogie, arrêt du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84, point 55).

( 62 ) Arrêt du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84, point 64).

( 63 ) Arrêt du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84, point 67).

( 64 ) Voir, en ce sens, arrêt du 26 septembre 2013, Dansk Jurist- og Økonomforbund (C‑546/11, EU:C:2013:603, point 69).

( 65 ) Outre les garanties minimales prévues aux articles 15, 16 et 17 de la directive 2008/115, différents textes constituant une source juridique non contraignante, à savoir les « Vingt principes directeurs sur le retour forcé » adoptés le 4 mai 2005 par le Comité des ministres du Conseil de l’Europe, les règles pénitentiaires européennes et les principes directeurs de l’Union sur le traitement des migrants placés en rétention ainsi que les normes du Comité européen pour la prévention de la
torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), définissent des conditions de rétention des migrants en attente d’éloignement devant s’écarter le plus possible de l’environnement carcéral habituel, qu’il s’agisse de la configuration même des lieux ou des règles de fonctionnement des centres, l’ensemble étant axé sur la vie en collectivité et le concept de « vivre sans liberté ». La Cour européenne des droits de l’homme (ci-après la « Cour EDH ») s’appuie sur ces textes pour
dresser une liste non exhaustive de critères à l’égard desquels elle apprécie le caractère adéquat du lieu, des conditions et du régime de la rétention (voir conclusions de l’avocat général Bot dans les affaires Bero et Bouzalmate, C‑473/13, C‑474/13 et C‑514/13, EU:C:2014:295, points 87 et 88).

( 66 ) Faisant application de l’article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 (ci-après la « CEDH »), qui prohibe en termes absolus la torture et les traitements inhumains ou dégradants, la Cour EDH a précisé que les personnes faisant l’objet d’un enfermement sont en situation de vulnérabilité et que les autorités ont le devoir de les protéger, notamment, contre les comportements violents ou inappropriés des
codétenus (arrêt Cour EDH, 15 janvier 2019, Gjini c. Serbie, CE:ECHR:2019:0115JUD000112816).

( 67 ) Le point 28 du chapitre IV, consacré à la rétention des étrangers, des normes du CPT mentionne que, « [d]ans certains cas exceptionnels, il peut s’avérer indiqué de placer un étranger retenu dans une prison à cause de sa tendance connue pour la violence ».

( 68 ) Voir, par analogie, arrêt du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84, points 68 et 69).

( 69 ) Conclusions de l’avocat général Bot dans les affaires Bero et Bouzalmate (C‑473/13, C‑474/13 et C‑514/13, EU:C:2014:295, point 82).

( 70 ) Il est hautement probable que telles considérations soient intégrées dans la réglementation, l’organisation et le fonctionnement des établissements pénitentiaires. Je relève, à cet égard, qu’une attention particulière a été accordée à WM au sein du centre de détention à la suite de recommandations du « service psychologique », lorsqu’il a été constaté qu’il était physiquement agité ou, au contraire, replié sur lui-même. L’intéressé a aussi fait l’objet d’un examen psychiatrique au début de sa
rétention et a reçu, quotidiennement puis de manière plus espacée, la visite du service psychologique afin d’éviter une décompensation. Ces éléments témoignent d’une prise en charge médicale de la personne retenue permettant de considérer, a priori, que pouvait être assurés, dans l’établissement pénitentiaire, les soins médicaux d'urgence et le traitement indispensable de maladies, à tout le moins ne présentant pas de caractère de gravité.

( 71 ) Par ailleurs, la réponse du gouvernement allemand fait état d'une prise en charge régulière de WM par les « services sociaux » de l’établissement pénitentiaire, dénomination dont on ne sait si elle peut recouvrir une organisation ou une instance nationale « non gouvernementale » au sens de l'article 16, paragraphe 4, de la directive 2008/115.

( 72 ) S’il est parfaitement compréhensible et acceptable qu’un migrant représentant une menace réelle, actuelle et suffisamment grave, affectant un intérêt fondamental de la société ou pour la sécurité intérieure ou extérieure de l’État membre concerné ne puisse pas disposer d’un téléphone portable ou utiliser le moyen de communication mis à sa disposition à toute heure du jour et de la nuit, le contingentement temporel autoritaire d’un droit de communication, ramené à un exercice bimensuel ou
hebdomadaire, ou même aléatoire, selon le bon vouloir de l’administration pénitentiaire, ne paraît pas compatible avec les exigences et la finalité de l’article 16 de la directive 2008/115. En revanche, le fait que ces entretiens téléphoniques soient surveillés me semble approprié au regard du profil particulier du migrant concerné.

( 73 ) Arrêt du 17 juillet 2014, Pham (C‑474/13, EU:C:2014:2096, points 17, 19 et 21).

( 74 ) La motivation de la Cour dans l'arrêt du 17 juillet 2014, Pham (C‑474/13, EU:C:2014:2096) suscite, selon moi, une interrogation au regard d'une interprétation contextuelle de l'article 16 de la directive 2008/115. Ainsi que cela a déjà été mentionné, cette disposition doit être lue en combinaison avec l'article 18 de cette directive, lequel prévoit la possibilité pour un État membre de prendre des mesures d'urgence « concernant les conditions de rétention dérogeant à celle énoncées à
l'article 16, paragraphe 1, de la directive », formulation à caractère général pouvant recouvrir non seulement l’exécution de la rétention dans des centres spécialisés mais aussi, conséquence nécessaire, l'obligation de séparation des prisonniers de droit commun des migrants précisément placés en rétention dans un établissement pénitentiaire dans le cadre des mesures d’urgence. Le bien-fondé de l’emploi du qualificatif « inconditionnelle », appliquée à l’obligation de séparation des ressortissants
de pays tiers en séjour irrégulier des prisonniers de droit commun, me paraît incertain.

( 75 ) Conclusions de l’avocat général Bot dans les affaires Bero et Bouzalmate (C‑473/13, C‑474/13 et C‑514/13, EU:C:2014:295, point 99).

( 76 ) Voir article 48 de la Charte ainsi que directive (UE) 2016/343 du Parlement européen et du Conseil, du 9 mars 2016, portant renforcement de certains aspects de la présomption d'innocence et du droit d'assister à son procès dans le cadre des procédures pénales (JO 2016, L 65, p. 1).

( 77 ) Il est certes possible d'envisager l'hypothèse d'une incarcération concomitante de plusieurs migrants en attente d'éloignement et pouvant, dès lors, partager un temps libre d'activité ou de promenade sans que soit encouru le grief tiré d'une violation de l'article 16, paragraphe 1, de la directive 2008/115. Il est hautement probable que ce cas de figure, sans être théorique, soit statistiquement marginal.

( 78 ) Voir, en ce sens, arrêt du 19 mars 2019, Jawo (C‑163/17, EU:C:2019:218, point 91).

( 79 ) Arrêt du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru (C‑404/15 et C‑659/15 PPU, EU:C:2016:198, points 85 et 86).

( 80 ) Arrêt du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru (C‑404/15 et C‑659/15 PPU, EU:C:2016:198, point 87).

( 81 ) Arrêt du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru (C‑404/15 et C‑659/15 PPU, EU:C:2016:198, point 90 et jurisprudence citée de la Cour EDH).

( 82 ) Cour EDH, 4 juillet 2006, Ramirez Sanchez c. France (CE:ECHR:2006:0704JUD005945000, § 119 et 123, ainsi que jurisprudence citée).

( 83 ) Voir, par analogie, arrêts du 19 mars 2019, Jawo (C‑163/17, EU:C:2019:218, point 90), et du 5 avril 2016, Aranyosi et Căldăraru (C‑404/15 et C‑659/15 PPU, EU:C:2016:198, points 88 et 89).

( 84 ) WM a été incarcéré dans l’établissement pénitentiaire de Francfort-sur-le-Main I, centre de détention provisoire normale de niveau de sécurité 1, ne disposant pas d’un « quartier de haute sécurité ». L’intéressé a été placé dans des cellules individuelles « normales » ou particulièrement surveillées, c’est-à-dire dépourvues d’objets dangereux avec vidéosurveillance, avait droit à une heure quotidienne de temps libre en compagnie d’autres détenus en attente de jugement ainsi qu’à l’extérieur,
à une douche quotidienne, et avait la possibilité de faire du sport une fois par semaine et d’acheter des produits alimentaires. Outre les contacts avec le service de santé, les services sociaux, les proches, les avocats du Bundesamt für Migration und Flüchtlinge (Office fédéral des migrations et des réfugiés, Allemagne), WM a reçu la visite régulière d’un imam. Il n’est fait état, par ailleurs, d’aucune conséquence néfaste pour la santé de l’intéressé liée à sa détention. Ces indications
contredisent la teneur des observations formulées au nom de la partie requérante au principal, évoquant un détenu à qui il était interdit d’être en contact avec d’autres détenus et avec le monde extérieur.

( 85 ) Cour EDH, 4 juillet 2006, Ramirez Sanchez c. France (CE:ECHR:2006:0704JUD005945000, § 135). Il y aurait lieu toutefois de prendre en considération, dans le cadre de l'appréciation des effets cumulatifs des conditions de détention, de la durée de rétention vécue dans un isolement relatif, le cas échéant cumulée à celle d'une détention préalable afférente à une procédure pénale.

( 86 ) Il importe de souligner que la durée maximale de la rétention prévue à l’article 15, paragraphes 5 et 6, de la directive 2008/115 est de 18 mois. La rétention de WM au sein de l’établissement pénitentiaire de Francfort-sur-le-Main a duré 8 mois et 21 jours.

( 87 ) Arrêt du 18 décembre 2014, Abdida (C‑562/13, EU:C:2014:2453, point 57).

( 88 ) Arrêt du 5 juin 2014, Mahdi (C‑146/14 PPU, EU:C:2014:1320, point 56).

( 89 ) Voir, par analogie, arrêt du 19 juin 2018, Gnandi (C‑181/16, EU:C:2018:465, points 51 et 52).

( 90 ) Voir, par analogie, arrêts du 5 juin 2014, Mahdi (C‑146/14 PPU, EU:C:2014:1320, point 62) ; du 11 juin 2015, Zh. et O. (C‑554/13, EU:C:2015:377, point 57) ; du 24 juin 2015, T. (C‑373/13, EU:C:2015:413, point 92), ainsi que du 15 février 2016, N. (C‑601/15 PPU, EU:C:2016:84, points 67 et 73).

( 91 ) Voir, par analogie, arrêt du 5 juin 2014, Mahdi (C‑146/14 PPU, EU:C:2014:1320, point 62).

( 92 ) Voir, par analogie, arrêt du 5 juin 2014, Mahdi (C‑146/14 PPU, EU:C:2014:1320, point 63).

( 93 ) Il résulte de la jurisprudence de la Cour EDH que la voie de recours requise doit exister avec un degré suffisant de certitude, en pratique comme en théorie, sans quoi lui manquent l’accessibilité et l’efficacité requises (Cour EDH, 11 octobre 2007, Nasroulloiev c. Russie, CE:ECHR:2007:1011JUD000065606, § 86, et Cour EDH, 5 avril 2011, Rahimi c. Grèce, CE:ECHR:2011:0405JUD000868708, § 120 et 121, pour un défaut d’accès à un recours juridictionnel, car la brochure n’était pas rédigée dans une
langue comprise par le requérant), être possible à bref délai pendant la période de rétention et être mise en œuvre devant un organe judiciaire indépendant et impartial, avec possibilité de conduire, le cas échéant, à la remise en liberté de l’intéressé (Cour EDH, 20 juin 2002, Al-Nashif c. Bulgarie, CE:ECHR:2002:0620JUD005096399, § 92, et Cour EDH, 11 octobre 2007, Nasroulloiev c. Russie, CE:ECHR:2007:1011JUD000065606, § 86) ou, à tout le moins, à un redressement approprié avec une amélioration des
conditions matérielles de détention (Cour EDH, 21 mai 2015, Yengo c. France, CE:ECHR:2015:0521JUD005049412, § 58 à 62).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-18/19
Date de la décision : 27/02/2020
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Bundesgerichtshof.

Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Directive 2008/115/CE – Normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier – Conditions de rétention – Article 16, paragraphe 1 – Placement en rétention dans un établissement pénitentiaire à des fins d’éloignement – Ressortissant de pays tiers représentant une grave menace pour l’ordre public ou la sécurité publique.

Politique d'asile

Espace de liberté, de sécurité et de justice

Justice et affaires intérieures


Parties
Demandeurs : WM
Défendeurs : Stadt Frankfurt am Main.

Composition du Tribunal
Avocat général : Pikamäe

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2020:130

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