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16/01/2020 | CJUE | N°C-15/19

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général Mme J. Kokott, présentées le 16 janvier 2020., A.m.a. – Azienda Municipale Ambiente SpA contre Consorzio Laziale Rifiuti – Co.La.Ri., 16/01/2020, C-15/19


 CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 16 janvier 2020 ( 1 )

Affaire C‑15/19

A.m.a. - Azienda Municipale Ambiente SpA

contre

Consorzio Laziale Rifiuti

[demande de décision préjudicielle formée par la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie)]

« Renvoi préjudiciel – Environnement – Déchets – Directive 1999/31/CE – Décharges – Coût de la mise en décharge des déchets – Décharges existantes – Application ratione temporis de la direc

tive – Modification des redevances d’élimination initialement prévues dans le contrat – Non-rétroactivité – Sécurité juridique – Protection ...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCATE GÉNÉRALE

MME JULIANE KOKOTT

présentées le 16 janvier 2020 ( 1 )

Affaire C‑15/19

A.m.a. - Azienda Municipale Ambiente SpA

contre

Consorzio Laziale Rifiuti

[demande de décision préjudicielle formée par la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie)]

« Renvoi préjudiciel – Environnement – Déchets – Directive 1999/31/CE – Décharges – Coût de la mise en décharge des déchets – Décharges existantes – Application ratione temporis de la directive – Modification des redevances d’élimination initialement prévues dans le contrat – Non-rétroactivité – Sécurité juridique – Protection de la confiance légitime – Proportionnalité »

I. Introduction

1. Selon la législation applicable en matière de déchets, les détenteurs initiaux de déchets doivent en principe supporter les coûts de la gestion des déchets. En résulte-t-il pour autant que l’exploitant d’une décharge peut réclamer a posteriori des suppléments de redevance à une entreprise qui a, par le passé, déposé des déchets en vue de leur élimination, lorsque les coûts d’exploitation de la décharge augmentent en raison de l’adoption de la directive 1999/31/CE ( 2 ) ?

2. Cette question se pose dans la présente affaire, car la directive sur les décharges, adoptée en 1999, prévoit une phase d’entretien d’au moins 30 ans après la désaffectation d’une décharge, alors qu’auparavant, cette phase avait été limitée, au niveau national, à 10 ans pour la décharge concernée.

3. Pour répondre à cette question, il convient d’examiner les dispositions pertinentes de la directive sur les décharges au regard de la non‑rétroactivité, ainsi que des principes de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et de proportionnalité.

II. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

1. La directive sur les décharges

4. Les considérants 25 et 26 de la directive sur les décharges expliquent l’application ratione temporis de cette directive :

« (25) considérant que les décharges qui ont été désaffectées avant la date de transposition de la présente directive ne doivent pas être soumises aux dispositions que celle‑ci contient en matière de procédure de désaffectation ;

(26) considérant qu’il convient de réglementer les conditions d’exploitation future des décharges existantes en vue de prendre, dans un délai déterminé, les mesures nécessaires pour leur adaptation à la présente directive sur la base d’un plan d’aménagement du site ».

5. Le considérant 29 de la directive sur les décharges évoque les coûts de gestion nécessaire après la désaffectation :

« considérant que des mesures doivent être prises pour assurer que le prix demandé pour l’élimination des déchets par mise en décharge soit fixé de façon à couvrir l’ensemble des coûts liés à la création et à l’exploitation de la décharge, y compris, dans la mesure du possible, la garantie financière ou son équivalent que l’exploitant doit fournir et les coûts estimés de désaffectation de la décharge, y compris la gestion nécessaire après désaffectation. »

6. L’autorisation d’une décharge est régie par l’article 8, point a), de la directive sur les décharges :

« une autorisation de décharge [n’est] délivrée par l’autorité compétente que si les conditions suivantes sont réunies :

[...]

iv) avant le début des opérations de dépôt, le demandeur a pris ou prendra les dispositions appropriées, sous forme d’une garantie financière ou par tout moyen équivalent, selon des modalités à arrêter par les États membres, pour faire en sorte que les obligations (y compris les dispositions relatives à la gestion après désaffectation) contractées au titre de l’autorisation délivrée conformément aux dispositions de la présente directive soient exécutées et que les procédures de désaffectation
requises par l’article 13 soient suivies. Cette garantie, ou son équivalent, sera maintenue aussi longtemps que l’exigeront les opérations d’entretien et de gestion du site désaffecté, conformément à l’article 13, point d). [...] »

7. L’article 10 de la directive sur les décharges concerne les coûts de l’élimination des déchets :

« Les États membres prennent des mesures pour que la totalité des coûts d’installation et d’exploitation d’un site de décharge, y compris, dans la mesure du possible, les coûts de la garantie financière ou de son équivalent visés à l’article 8, point a) iv), et les coûts estimés de la désaffectation du site et de son entretien après désaffectation pendant une période d’au moins [30] ans, soient couverts par le prix exigé par l’exploitant pour l’élimination de tout type de déchets. [...] »

8. La procédure de désaffectation et de gestion après désaffectation est l’objet de l’article 13 de la directive sur les décharges :

« Les États membres prennent des mesures pour que, conformément, le cas échéant, à l’autorisation :

[...]

b) une décharge ou une partie de celle‑ci ne puisse être considérée comme définitivement désaffectée que lorsque l’autorité compétente a effectué une inspection finale sur place, a procédé à l’évaluation de tous les rapports présentés par l’exploitant et a donné à l’exploitant son autorisation pour la désaffectation. Cette procédure ne diminue en rien la responsabilité qui incombe à l’exploitant en vertu de l’autorisation ;

c) après la désaffectation définitive d’une décharge, son exploitant soit responsable de l’entretien, de la surveillance et du contrôle de la décharge pour toute la durée que l’autorité compétente aura jugée nécessaire compte tenu de la période pendant laquelle la décharge peut présenter des risques.

L’exploitant notifie à l’autorité compétente les effets néfastes sur l’environnement révélés par les procédures de contrôle et se conforme à la décision de l’autorité compétente concernant la nature et le calendrier des mesures correctives à prendre ;

d) aussi longtemps que l’autorité compétente estime qu’une décharge est susceptible d’entraîner un danger pour l’environnement et sans préjudice de toute législation communautaire ou nationale en matière de responsabilité du détenteur de déchets, l’exploitant du site soit responsable de la surveillance et de l’analyse des gaz de décharge et des lixiviats du site ainsi que des nappes d’eau souterraines situées à proximité, conformément à l’annexe III. »

9. L’application de la directive sur les décharges aux décharges existantes est l’objet de l’article 14 de ladite directive :

« Les États membres prennent des mesures pour que les décharges autorisées ou déjà en exploitation au moment de la transposition de la présente directive ne puissent continuer à fonctionner que si les mesures indiquées ci‑après sont mises en œuvre dès que possible, et au plus tard dans les huit ans à compter de la date fixée à l’article 18, paragraphe 1.

a) Dans un délai d’un an à compter [du 16 juillet 2001], l’exploitant d’une décharge prépare et présente, pour approbation, à l’autorité compétente un plan d’aménagement du site comprenant les éléments énumérés à l’article 8 ainsi que toute mesure corrective qu’il estime nécessaire pour se conformer aux exigences de la présente directive à l’exception de celles exposées à l’annexe I, point 1.

b) À la suite de la présentation du plan d’aménagement, l’autorité compétente prend une décision définitive quant à la poursuite de l’exploitation sur la base dudit plan d’aménagement et de la présente directive. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour qu’il soit procédé, dans les meilleurs délais, conformément à l’article 7, point g), et à l’article 13, à la désaffectation des sites qui n’ont pas obtenu, conformément à l’article 8, l’autorisation de poursuivre leurs opérations.

c) Sur la base du plan d’aménagement du site approuvé, l’autorité compétente autorise les travaux nécessaires et fixe une période transitoire pour l’exécution du plan. Toute décharge existante doit être conforme aux exigences de la présente directive à l’exception de celles énoncées à l’annexe I, point 1, dans un délai de huit ans à compter [du 16 juillet 2001]. »

2. La directive sur les déchets

10. Lorsque la décision arbitrale litigieuse a été rendue, les dispositions fondamentales de la réglementation de l’Union en matière de déchets figuraient dans la directive 2008/98/CE ( 3 ), mais les versions antérieures de cette directive contenaient déjà des dispositions équivalentes ( 4 ).

11. L’article 13 de la directive sur les déchets actuelle contient l’obligation de protection essentielle de la gestion de déchets qui figurait auparavant à l’article 4 :

« Les États membres prennent les mesures nécessaires pour assurer que la gestion des déchets se fait sans mettre en danger la santé humaine et sans nuire à l’environnement [...] »

12. L’article 14, paragraphe 1, de la directive sur les déchets énonce le principe du pollueur-payeur qui figurait auparavant à l’article 11 puis à l’article 15 :

« Conformément au principe du pollueur-payeur, les coûts de la gestion des déchets sont supportés par le producteur de déchets initial ou par le détenteur actuel ou antérieur des déchets. »

B.   Le droit italien : le décret législatif no 36/2003

13. L’article 15, paragraphe 1, du decreto legislativo n. 36 – Attuazione della direttiva 1999/31/CE relativa alle discariche di rifiuti ( 5 ) (décret législatif no 36 – Mise en œuvre de la directive 1999/31/CE concernant la mise en décharge des déchets, ci-après le « décret législatif no 36/2003 »), du 13 janvier 2003, régit les tarifs de la décharge :

« Le prix de la mise en décharge des déchets doit couvrir les coûts d’installation et d’exploitation d’un site de décharge, les coûts de la garantie financière et les coûts estimés de la désaffectation du site ainsi que de son entretien après désaffectation pendant une période identique à celle visée à l’article 10, premier alinéa, sous i) ».

14. L’article 17, paragraphe 3, du décret législatif no 36/2003 fixe un délai pour l’adaptation des décharges existantes aux nouvelles exigences :

« Dans un délai de six mois à compter de la date d’entrée en vigueur du présent décret, le titulaire de l’autorisation au sens du paragraphe 1 ou l’exploitant de la décharge, mandaté par lui, présente à l’autorité compétente un plan d’aménagement du site en fonction des critères visés dans le présent décret, y compris les garanties financières visées à l’article 14. »

III. Les faits et la demande de décision préjudicielle

15. L’Azienda Municipale Ambiente SpA (ci‑après l’« AMA »), une entreprise de la ville de Rome, et le Consorzio Laziale Rifiuti (ci‑après le « Consorzio ») sont liés par un accord contractuel portant sur un « marché de service public » du 26 janvier 1996 ayant pour objet l’élimination de déchets. Ce contrat prévoyait une période d’entretien de 10 ans après la désaffectation de la décharge.

16. Après que la directive sur les décharges et le décret législatif no 36/2003 ont allongé la période d’entretien de la décharge de Malagrotta (Italie) faisant suite à sa désaffectation à 30 ans minimum, la redevance sur les déchets devant être versée à l’avenir a été adaptée à cette prolongation.

17. En outre, par une sentence arbitrale du 8 février 2012, l’AMA a été condamnée à rembourser au Consorzio les frais supplémentaires liés au rallongement de la phase d’entretien faisant suite à la désaffectation, s’élevant à plus de 76 millions d’euros, au titre de la période antérieure à l’adaptation des redevances.

18. La Corte d’Appello di Roma (Cour d’appel de Rome, Italie) a confirmé la sentence arbitrale. L’AMA a formé un pourvoi contre cet arrêt devant la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie).

19. L’AMA reproche à la juridiction d’appel d’avoir interprété la législation transposant la directive sur les décharges en ce sens que la prolongation du délai prévu pour l’entretien du site après sa désaffectation et les frais y afférents seraient aussi étendus aux déchets déjà mis en décharge. L’application des articles 15 et 17 du décret législatif no 36/2003 aux décharges existantes serait contraire aux principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique, à la
non‑rétroactivité ainsi qu’au principe du caractère approprié. L’AMA aurait déjà versé au Consorzio, au fil des ans, des sommes qui dépasseraient largement les suppléments de frais que ce dernier lui réclame. En outre, la confirmation de l’arrêt risquerait de compromettre sa stabilité financière.

20. Dans ces circonstances, la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) L’interprétation retenue par le juge d’appel, selon laquelle les articles 15 et 17 du décret législatif no 36/2003 qui transposent en droit interne les articles 10 et 14 de la [directive sur les décharges], s’appliquent de manière rétroactive, ce qui a pour effet de soumettre inconditionnellement les décharges existantes qui disposent déjà d’une autorisation d’exploitation aux obligations que prévoient ces dispositions, et notamment à la prolongation de [10 à 30 ans] de la période
d’entretien du site après sa désaffectation, est‑elle conforme aux articles 10 et 14 de la [directive sur les décharges] ?

2) En particulier – à la lumière de la teneur des articles 10 et 14 de la [directive sur les décharges], qui invitent les États membres à prendre, respectivement, “des mesures pour que la totalité des coûts d’installation et d’exploitation d’un site de décharge, y compris, dans la mesure du possible, les coûts de la garantie financière ou de son équivalent visés à l’article 8, point a), iv), et les coûts estimés de la désaffectation du site et de son entretien après désaffectation pendant une
période d’au moins [30] ans, soient couverts par le prix exigé par l’exploitant pour l’élimination de tout type de déchets dans cette décharge” et “des mesures pour que les décharges autorisées ou déjà en exploitation au moment de la transposition de la présente directive [...] puissent continuer à fonctionner” –, l’interprétation retenue par le juge d’appel, selon laquelle les articles 15 et 17 du décret législatif no 36/2003 s’appliquent aux décharges existantes qui disposent déjà d’une
autorisation d’exploitation, est-elle conforme à ces dispositions de la directive, alors que, dans sa transposition des obligations qui sont également imposées aux décharges existantes, l’article 17 se contente de prévoir une période transitoire et ne comporte aucune mesure visant à limiter les incidences financières de la prolongation sur le “détenteur” ?

3) L’interprétation retenue par le juge d’appel, selon laquelle les articles 15 et 17 du décret législatif no 36/2003 s’appliquent aux décharges existantes qui disposent déjà d’une autorisation d’exploitation, également en ce qui concerne les charges financières découlant des obligations qui leur sont ainsi imposées et, notamment, de la prolongation de 10 à 30 ans de la période d’entretien du site après sa désaffectation, en faisant peser ces dernières charges sur le “détenteur” et en validant
de la sorte l’augmentation pour ce dernier des tarifs prévus dans les contrats régissant l’activité d’élimination des déchets, est-elle conforme aux articles 10 et 14 de la [directive sur les décharges] ?

4) Enfin, l’interprétation selon laquelle les articles 15 et 17 du décret législatif no 36/2003 s’appliquent aux décharges existantes qui disposent déjà de l’autorisation d’exploitation, également en ce qui concerne les charges financières découlant des obligations qui leur sont ainsi imposées et, notamment, de la prolongation de 10 à 30 ans de la période d’entretien du site après sa désaffectation, interprétation que le juge d’appel a retenue lorsqu’il a considéré que ces charges doivent être
déterminées en tenant compte non seulement des déchets à recevoir à compter de l’entrée en vigueur des mesures de transposition, mais également des déchets déjà reçus, est-elle conforme aux articles 10 et 14 de la [directive sur les décharges] ? »

21. L’AMA, le Consorzio et la Commission européenne ont présenté des observations écrites. Toutefois seules l’AMA et la Commission ont participé à l’audience du 27 novembre 2019.

IV. Appréciation juridique

22. Avant d’aborder les questions de la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation), je vais examiner brièvement leur recevabilité.

A.   Sur la recevabilité de la demande de décision préjudicielle

23. Le Consorzio considère que la demande de décision préjudicielle est irrecevable, car les questions ne seraient pas pertinentes pour la résolution du litige au principal. En particulier, ces questions n’auraient pas été l’objet de la procédure d’appel et ne pourraient dès lors pas faire l’objet de la procédure devant la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation).

24. Il est vrai qu’une demande de décision préjudicielle n’est recevable que dans la mesure où les questions posées à la Cour sont pertinentes pour l’issue du litige au principal.

25. Néanmoins, selon une jurisprudence constante, les questions relatives à l’interprétation du droit communautaire posées par le juge national dans le cadre réglementaire et factuel qu’il définit sous sa responsabilité, et dont il n’appartient pas à la Cour de vérifier l’exactitude, bénéficient d’une présomption de pertinence. Le refus de la Cour de statuer sur une demande de décision préjudicielle formée par une juridiction nationale n’est possible que s’il apparaît de manière manifeste que
l’interprétation sollicitée du droit de l’Union n’a aucun rapport avec la réalité ou l’objet du litige au principal, lorsque le problème est de nature hypothétique ou encore lorsque la Cour ne dispose pas des éléments de fait et de droit nécessaires pour répondre de façon utile aux questions qui lui sont posées ( 6 ).

26. C’est pourquoi il n’appartient pas à la Cour d’examiner si, en vertu du droit procédural italien, les questions préjudicielles sont pertinentes pour l’issue du litige au principal.

27. En revanche, du point de vue du droit de l’Union, leur pertinence est évidente : le droit reconnu au Consorzio tient au fait qu’au moins le tribunal d’arbitrage a considéré que, en vertu de l’application de la directive sur les décharges, la responsabilité de l’AMA relative à l’entretien de la décharge de Malagrotta après sa désaffectation avait été prolongée de 10 à 30 ans.

28. Par conséquent, la demande de décision préjudicielle est recevable.

B.   Sur les questions préjudicielles

29. La Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) souhaite savoir si les articles 10 et 14 de la directive sur les décharges s’opposent à une interprétation des dispositions italiennes de transposition correspondantes, selon laquelle les exploitants de décharge peuvent réclamer aux détenteurs de déchets ayant mis des déchets en décharge par le passé des redevances supplémentaires au titre de la prolongation de 10 à 30 ans de la période d’entretien de la décharge après sa désaffectation.

30. La Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) doute en particulier que l’application de la prolongation de l’obligation d’entretien du site après sa désaffectation soit compatible avec les principes de non‑rétroactivité, de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et de proportionnalité, et soumet par conséquent quatre questions à la Cour.

31. La première question vise à déterminer si les décharges existantes qui disposent déjà d’une autorisation d’exploitation sont soumises inconditionnellement aux obligations que prévoient les articles 10 et 14 de la directive sur les décharges, et notamment à la prolongation de 10 à 30 ans de la période d’entretien du site après sa désaffectation. La quatrième question, qui tend à déterminer si la prolongation de l’entretien du site après sa désaffectation est également applicable aux déchets qui
ont été reçus avant l’entrée en vigueur des mesures de transposition, va dans le même sens. Je vais d’abord examiner ces deux questions dans la mesure où elles concernent l’exploitant de décharge.

32. En revanche, dans la mesure où la quatrième question concerne le détenteur des déchets, je l’aborderai conjointement avec les deuxième et troisième questions dans le cadre de l’examen du point de savoir si la directive sur les déchets exige la perception a posteriori de redevances supplémentaires pour la mise en décharge de déchets. En effet, la deuxième question tend à déterminer si la République italienne était obligée de prévoir des règles visant à limiter les demandes de redevances
supplémentaires a posteriori aux détenteurs antérieurs de déchets. La troisième question porte sur l’incidence de la transposition des articles 10 et 14 de la directive sur les décharges sur les contrats existants entre l’exploitant de décharge et les détenteurs antérieurs de déchets.

1. Concernant l’application de l’obligation d’entretien après désaffectation aux décharges existantes et aux déchets déjà reçus

33. Les première et quatrième questions concernent l’application de l’obligation d’entretien après désaffectation des décharges qui étaient déjà utilisées à la date d’application de la directive sur les décharges.

a) Concernant l’obligation d’entretien après désaffectation relative aux décharges existantes

34. L’application de la directive sur les décharges aux décharges existantes est l’objet de l’article 14. Conformément à cette disposition, les États membres prennent des mesures pour que les décharges autorisées ou déjà en exploitation au moment de la transposition de la présente directive (16 juillet 2001) ne puissent continuer à fonctionner que si certaines mesures sont mises en œuvre au plus tard dans les huit ans (jusqu’au 16 juillet 2009).

35. L’article 14, point b), de la directive sur les décharges offre aux États membres deux moyens de respecter leurs obligations en ce qui concerne ces décharges existantes. Soit ils autorisent la poursuite de l’exploitation dans le respect de la directive sur les décharges, soit ils prennent les mesures nécessaires pour qu’il soit procédé, dans les meilleurs délais, conformément à l’article 7, point g), et à l’article 13 de cette même directive, à la désaffectation des sites qui n’ont pas obtenu
l’autorisation de poursuivre leurs opérations ( 7 ).

36. Si – comme c’est manifestement le cas en l’espèce ( 8 ) – l’exploitation a été autorisée au-delà du 16 juillet 2009, une décharge existante doit, en vertu de l’article 14, point c), de la directive sur les décharges, être conforme aux exigences de la directive à l’exception de celles énoncées à l’annexe I, point 1, au plus tard à l’expiration de la période transitoire. Ces dernières concernent l’emplacement de la décharge et ne présentent donc pas d’intérêt en l’espèce.

37. En revanche, conformément à l’article 13, point c), de la directive sur les décharges, les obligations d’entretien du site après sa désaffectation sont pleinement applicables au plus tard à l’expiration de la période transitoire. L’exploitant doit procéder à l’entretien, après la désaffectation, pour toute la durée que l’autorité compétente aura jugée nécessaire compte tenu de la période pendant laquelle la décharge peut présenter des risques. S’agissant des coûts, l’article 8, point a), iv),
lui impose de fournir une garantie jusqu’à la fin de l’entretien faisant suite à la désaffectation.

38. Toutefois, les obligations d’entretien du site incombant à l’exploitant après sa désaffectation seraient également applicables si la décharge n’avait pas continué à être exploitée mais que sa désaffectation était survenue avant l’expiration de la période transitoire. En effet, l’article 14, point b), de la directive sur les décharges renvoie à l’article 13 dans cette hypothèse également.

39. Ainsi résulte-t-il du libellé clair de la directive sur les décharges que les exploitants des décharges qui étaient en exploitation à l’expiration du délai de transposition, le 16 juillet 2001, sont tenus de procéder à l’entretien après la désaffectation de la décharge jusqu’à ce que celle‑ci ne présente plus de risques. Comme le précise le considérant 25, seules les décharges qui étaient déjà désaffectées avant cette date ne sont pas concernées.

b) Concernant l’extension aux anciens déchets de l’obligation d’entretien après désaffectation

40. L’obligation d’entretien après désaffectation ne fait pas de distinction expresse entre les déchets qui ont été reçus et stockés avant ou après l’expiration du délai de transposition. Comme il ressort de la quatrième question, on pourrait dès lors se demander, au regard de la non‑rétroactivité et de la sécurité juridique, si cette obligation ne couvre que les déchets qui ont été reçus et stockés ultérieurement.

41. Toutefois, comme le Consorzio l’explique clairement avec l’exemple de la décharge de Malagrotta, une telle distinction est pratiquement impossible à faire dès lors que les anciens et les nouveaux déchets sont mélangés dans la décharge et créent ensemble les risques auxquels l’entretien du site après sa désaffectation est censé faire face. Cet entretien doit donc normalement s’étendre à la décharge dans son ensemble.

42. On pourrait seulement concevoir d’exclure de l’obligation d’entretien de la directive sur les décharges les sections clairement délimitées de la décharge qui n’étaient plus en exploitation à l’expiration du délai de transposition et qui ne peuvent pas interagir avec les sections qui continuent à fonctionner.

43. Cependant, ces sections seraient à tout le moins soumises, d’une manière générale, aux exigences de différentes versions de la directive sur les déchets, qui ont été appliquées depuis 1977. Par conséquent, les États membres seraient tenus de s’assurer que la gestion des déchets ne représente pas un danger pour la santé humaine ni pour l’environnement ( 9 ), et que le principe du pollueur-payeur est également respecté ( 10 ). Toutefois, les États membres disposent d’une large marge d’appréciation
concernant la manière d’organiser l’entretien nécessaire du site après sa désaffectation et la répartition des coûts ( 11 ).

44. La demande de décision préjudicielle ne contient aucun élément indiquant que ces anciennes sections sont concernées dans la procédure au principal. Le Consorzio soutient au contraire que les différentes sections seraient interdépendantes. C’est pourquoi la Cour n’a pas à décider à quelles conditions certaines sections plus anciennes d’une décharge existante ne sont plus soumises à la directive sur les décharges, et peut partir du principe, dans la suite de la discussion, qu’il s’agit de
l’entretien faisant suite à la désaffectation d’une décharge qui était en exploitation à l’expiration du délai de transposition de la directive sur les décharges.

c) Concernant la non‑rétroactivité ainsi que les principes de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et de proportionnalité

45. Cependant, l’AMA et la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) doutent que l’application de l’obligation d’entretien après désaffectation soit compatible avec la non‑rétroactivité ainsi qu’avec les principes de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et de proportionnalité.

46. Les principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique font partie de l’ordre juridique de l’Union. À ce titre, ils doivent être respectés par les institutions de l’Union, mais également par les États membres dans l’exercice des pouvoirs que leur confèrent les directives de l’Union ( 12 ).

47. Les règles de l’Union de droit matériel doivent être interprétées, en vue de garantir le respect de ces principes, comme ne visant des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur que dans la mesure où il ressort clairement de leurs termes, de leurs finalités ou de leur économie qu’un tel effet doit leur être attribué ( 13 ). En effet, en règle générale, le principe de sécurité juridique s’oppose à ce que la portée dans le temps d’un acte de l’Union voie son point de départ fixé à
une date antérieure à sa publication. Il peut en être autrement, à titre exceptionnel, lorsqu’un but d’intérêt général l’exige et lorsque la confiance légitime des intéressés est dûment respectée ( 14 ).

48. Toutefois, une règle nouvelle s’applique immédiatement aux effets futurs d’une situation née sous l’empire de la règle ancienne ( 15 ). En effet, le champ d’application du principe de protection de la confiance légitime ne saurait être étendu jusqu’à empêcher, de façon générale, une réglementation nouvelle de s’appliquer aux effets futurs de situations nées sous l’empire de la règle ancienne ( 16 ).

49. L’obligation de procéder à l’entretien des décharges qui étaient encore en exploitation lorsque le délai de transposition de la directive sur les décharges a expiré est un bon exemple d’application d’une règle nouvelle aux effets futurs d’une situation née sous l’empire de la règle ancienne.

50. Cette obligation ne viole pas non plus le principe de proportionnalité. Le contrôle des risques d’une décharge désaffectée correspond à l’objectif de garantir un niveau de protection élevé, inscrit à l’article 3, paragraphe 3, TUE, à l’article 37 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et à l’article 191, paragraphe 2, TFUE. L’obligation d’entretien faisant suite à la désaffectation d’un site est propice à la réalisation de cet objectif et une mesure moins contraignante ne
s’impose pas.

51. Enfin, il est également approprié d’imposer cette obligation à l’exploitant de la décharge. Il perçoit des revenus grâce à l’exploitation de la décharge et il est en général celui qui la connaît le mieux. Au reste, l’obligation d’effectuer l’entretien du site après sa désaffectation n’a pas été introduite par surprise par la directive sur les décharges, mais résultait déjà des différentes versions de la directive sur les déchets qui étaient appliquées depuis 1977.

d) Conclusion intermédiaire

52. Il convient donc de répondre aux première et quatrième questions, dans la mesure où celles‑ci concernent l’exploitant de la décharge, que, conformément aux articles 10, 13 et 14 de la directive sur les décharges, l’exploitant d’une décharge qui était en fonctionnement lorsque le délai de transposition de la directive a expiré doit être tenu de garantir, pendant au moins 30 ans, l’entretien de la décharge après sa désaffectation. À cet égard, on ne peut généralement pas faire la distinction entre
les déchets qui ont été mis en décharge après l’expiration du délai de transposition de la directive et ceux qui ont été mis en décharge antérieurement.

2. Les coûts de l’entretien du site après sa désaffectation

53. L’obligation pour l’exploitant de décharge d’assurer l’entretien après sa désaffectation doit être distinguée de la prise en charge des coûts de cet entretien que la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation) évoque dans les deuxième et troisième questions ainsi que dans la quatrième, dans la mesure où celle‑ci concerne la situation du détenteur de déchets. Ces coûts doivent, en principe, être répercutés, conformément au principe du pollueur-payeur, sur le détenteur de déchets qui met en
décharge des déchets en vue de leur élimination. Si cette répartition des coûts trouve son fondement dans l’article 10 de la directive sur les décharges [voir point a) ci‑dessous], on peut toutefois se demander si elle s’applique aussi aux déchets qui ont été mis en décharge avant l’expiration du délai de transposition de la directive sur les décharges [voir point b) ci‑dessous].

a) Teneur réglementaire de l’article 10 de la directive sur les décharges

54. Aux termes du considérant 29 de la directive sur les déchets, des mesures doivent être prises par les États membres pour assurer que le prix demandé pour l’élimination des déchets par mise en décharge soit fixé de façon à couvrir l’ensemble des coûts liés à la création et à l’exploitation de la décharge ( 17 ).

55. Cette exigence est une expression du principe du pollueur-payeur, lequel implique, ainsi que la Cour l’a déjà jugé dans le cadre de différentes versions de la directive sur les déchets ( 18 ), que le coût de l’élimination des déchets soit supporté par leurs détenteurs ( 19 ). L’application du principe du pollueur-payeur s’inscrit dans l’objet de la directive sur les décharges qui, selon l’article 1er, paragraphe 1, de celle‑ci, vise à répondre aux exigences de la directive sur les déchets, et
notamment de son article 4 qui impose, entre autres, aux États membres de prendre des mesures appropriées pour promouvoir la prévention ou la réduction de la production des déchets ( 20 ).

56. Les coûts cités à l’article 10 de la directive sur les décharges incluent expressément les coûts estimés de désaffectation de la décharge et de la gestion nécessaire après désaffectation pour une période d’au moins 30 ans.

57. Conformément à l’article 14, point c), de la directive sur les décharges, cette réglementation devait être appliquée aux décharges existantes qui étaient toujours en fonctionnement au plus tard à l’expiration de la période transitoire, car, à compter de cette date, les exigences de la directive s’appliquaient à ces décharges. Depuis lors, le prix exigé pour l’élimination des déchets par les décharges existantes devait donc inclure l’entretien après désaffectation.

b) Concernant l’augmentation a posteriori des redevances d’élimination

58. Toutefois, les constatations relatives à l’obligation d’entretien après désaffectation et au montant des redevances à compter de la date d’application de l’article 10 de la directive sur les décharges aux décharges existantes ne répondent pas à la question de savoir si les redevances versées au titre de périodes antérieures peuvent être augmentées, a posteriori, des coûts liés à la prolongation de la phase d’entretien après désaffectation.

59. Les articles 10 et 14 de la directive sur les décharges ne comportent aucune réglementation expresse sur ce point. Au contraire, l’article 14, point c), exige seulement que les décharges qui sont toujours en exploitation soient conformes aux exigences de la directive jusqu’à l’expiration de la période transitoire.

60. Dans le cas où une décharge existante n’est plus exploitée mais est désaffectée, l’article 14, point b), de la directive sur les décharges renvoie à l’article 7, point g), et à l’article 13, et non à l’article 10. On ne saurait toutefois présumer que l’entretien nécessaire du site après sa désaffectation, prévu à l’article 13, point c), peut, en principe, s’arrêter plus tôt pour ces décharges que pour les décharges restant en exploitation. Les autorités compétentes peuvent même parvenir à la
conclusion que la décharge présentera des risques pendant plus de 30 ans, de sorte que l’entretien visé à l’article 13, point c), dure plus longtemps.

61. Ainsi les dispositions de la directive sur les décharges ne prévoient-elles pas expressément – contrairement à ce que soutient la Commission – que les détenteurs de déchets ayant mis des déchets en décharge par le passé, sans toutefois payer pour cela un prix qui suffise à couvrir les coûts estimés de l’entretien après désaffectation pendant au moins 30 ans, versent, a posteriori, un supplément de prix afin de combler l’insuffisance de financement.

62. Il n’en reste pas moins que le principe du pollueur-payeur milite en faveur de la prise en charge de ces coûts supplémentaires par ces détenteurs de déchets. Si la directive sur les décharges ne cite pas expressément ce principe dans le contexte de l’article 10, il s’agit toutefois, en vertu de l’article 191, paragraphe 2, TFUE, d’un principe fondamental du droit de l’environnement de l’Union qui doit donc nécessairement être pris en compte dans le cadre de son interprétation.

63. En outre, les différentes versions de la directive sur les déchets prévoyaient déjà, avant l’adoption de la directive sur les décharges, que les détenteurs de déchets qui remettent leurs déchets à une entreprise d’élimination de déchets supportent, conformément au principe du pollueur-payeur, les coûts liés à l’élimination des déchets ( 21 ).

64. Si la République italienne avait correctement transposé ces dispositions tout en prenant les mesures nécessaires pour assurer que ces déchets soient éliminés sans mettre en danger la santé de l’homme et sans porter préjudice à l’environnement (article 4 des versions antérieures de la directive sur les déchets), les redevances pour l’élimination des déchets auraient déjà suffi, dans le passé, à couvrir les coûts de l’entretien après désaffectation.

65. En revanche, l’augmentation des redevances a posteriori ne ferait que réaliser le principe du pollueur-payeur d’une manière sensiblement réduite. Certes, elle correspondrait à la responsabilité des détenteurs de déchets dans la pollution, les déchets découlant en définitive de leur comportement. Toutefois, le principe du pollueur-payeur ne jouerait plus son rôle de régulateur, car les détenteurs de déchets ne peuvent plus, a posteriori, adapter leur comportement en fonction des coûts réels de
l’élimination des déchets.

66. Or, les principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique sont déterminants. Comme cela a déjà été expliqué, les règles de droit matériel de l’Union doivent être interprétées comme ne visant des situations acquises antérieurement à leur entrée en vigueur que dans la mesure où il ressort clairement de leurs termes, de leurs finalités ou de leur économie qu’un tel effet doit leur être attribué ( 22 ).

67. Il serait incompatible avec ces exigences d’obliger les détenteurs de déchets à payer des frais supplémentaires d’élimination des déchets a posteriori.

68. En effet, premièrement, il ne ressort pas suffisamment clairement des termes, des finalités et de l’économie de la directive sur les décharges, en particulier des articles 10 et 14, que le régime tarifaire pourrait avoir un effet rétroactif.

69. Deuxièmement, il s’agit aussi, pour un détenteur de déchets qui met en décharge des déchets et paie à ce titre les redevances demandées, d’une situation acquise. Sa situation au regard de ces redevances correspond à celle du redevable d’une dette douanière ayant pris naissance avant l’entrée en vigueur d’une nouvelle règle de fond ( 23 ) et à celle d’un bénéficiaire d’aide qui a obtenu l’aide avant l’entrée en vigueur d’un nouveau code des aides ( 24 ).

70. Cela n’exclut évidemment pas que l’accord liant Consorzio et l’AMA régisse la répartition des coûts différemment. On peut ainsi imaginer que cet accord prévoit la possibilité pour l’exploitant de faire valoir des droits a posteriori en cas de surcoûts. Il ne serait pas non plus surprenant que le Consorzio exploite la décharge uniquement pour l’AMA et que cette dernière reste donc indirectement propriétaire des déchets. Toutefois, il ne s’agirait pas, dans ces cas-là, d’une application de
l’article 10 de la directive sur les décharges, mais de l’interprétation du contrat conclu entre ces deux parties, qui ne relève pas de la compétence de la Cour. La demande de décision préjudicielle ne contient d’ailleurs aucune indication laissant supposer que ce soit le cas.

71. Il convient au contraire d’admettre dans la situation que l’on doit présumer en l’espèce que, en vertu de cette interprétation des articles 10 et 14 de la directive sur les décharges, l’exploitant d’une décharge existante qui reste en exploitation pourrait ne pas couvrir les coûts de l’entretien après sa désaffectation grâce aux redevances d’élimination des déchets perçues. Cette situation est à craindre notamment lorsque l’État membre concerné n’a pas correctement transposé la directive sur les
déchets, de sorte que l’entretien après désaffectation n’a pas été suffisamment pris en compte initialement dans le cadre de l’évaluation des coûts d’élimination des déchets.

72. L’AMA soutient certes que l’augmentation des redevances opérée après la transposition de la directive sur les décharges pour de futures mises en décharge suffirait à financer la prolongation de l’entretien après désaffectation. Toutefois, les juridictions nationales au moins semblent partir du principe que ces recettes supplémentaires ne sont pas suffisantes. On ne doit pas non plus exclure que le marché des décharges ou la durée résiduelle d’exploitation ne permettent pas de générer des
recettes suffisantes en augmentant les redevances.

73. Toutefois, en dehors de l’État membre, l’exploitant de la décharge serait au moins en partie responsable d’une telle insuffisance de financement, car, compte tenu de sa connaissance de la décharge, il devrait pouvoir apprécier au mieux l’étendue de l’entretien nécessaire. S’il a pu valablement considérer que l’état de la décharge ne nécessite en principe qu’un entretien de 10 ans, l’entretien complémentaire ne devrait générer que peu de frais. Si, en revanche, l’état de la décharge implique
encore, 10 ans après, des dépenses d’entretien élevées, cela signifie que l’exploitant de la décharge n’a pas respecté son obligation de diligence en déterminant la durée de la phase d’entretien.

c) Conclusion intermédiaire

74. Dès lors, il convient de répondre aux deuxième et troisième questions, ainsi qu’à la quatrième, dans la mesure où celle‑ci concerne la situation du détenteur de déchets, que les articles 10 et 14 de la directive sur les décharges ne justifient pas, au regard de la non‑rétroactivité, ainsi que des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, de percevoir, auprès de détenteurs antérieurs de déchets ayant mis en décharge des déchets et payé à ce titre les redevances
demandées, des redevances plus élevées, lorsque la phase d’entretien de la décharge après sa désaffectation est prolongée par la suite et que ce facteur de coût supplémentaire n’a pas encore été pris en compte dans la redevance initiale.

V. Conclusion

75. Par conséquent, je propose à la Cour de répondre à la demande de décision préjudicielle de la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation, Italie) dans les termes suivants :

1) Conformément aux articles 10, 13 et 14 de la directive 1999/31/CE du Conseil, du 26 avril 1999, concernant la mise en décharge des déchets, l’exploitant d’une décharge qui était en exploitation lors de l’expiration du délai de transposition de la directive doit être tenu, pendant au moins 30 ans après la désaffectation de la décharge, d’en garantir l’entretien. À cet égard, on ne peut généralement pas distinguer les déchets qui ont été mis en décharge après l’expiration du délai de
transposition de la directive de ceux qui ont été mis en décharge antérieurement.

2) Les articles 10 et 14 de la directive 1999/31 ne justifient pas, au regard de la non‑rétroactivité, ainsi que des principes de sécurité juridique et de protection de la confiance légitime, de percevoir, auprès de détenteurs antérieurs de déchets ayant mis en décharge des déchets et payé à ce titre les redevances demandées, des redevances plus élevées, lorsque la phase d’entretien de la décharge après sa désaffectation est prolongée par la suite et que ce facteur de coût supplémentaire n’a pas
encore été pris en compte dans la redevance initiale.

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( 1 ) Langue originale : l’allemand.

( 2 ) Directive du Conseil du 26 avril 1999 concernant la mise en décharge des déchets (JO 1999, L 182, p. 1), telle que modifiée par la directive 2011/97/UE du Conseil, du 5 décembre 2011 (JO 2011, L 328, p. 49) (ci-après la « directive sur les décharges »).

( 3 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative aux déchets et abrogeant certaines directives (JO 2008, L 312, p. 3, ci-après la « directive sur les déchets »).

( 4 ) Directive 75/442/CEE du Conseil, du 15 juillet 1975, relative aux déchets (JO 1975, L 194, p. 39), dans les différentes versions, ainsi que directive 2006/12/CE du Parlement européen et du Conseil, du 5 avril 2006, relative aux déchets (JO 2006, L 114, p. 9).

( 5 ) GURI no 59, du 12 mars 2003.

( 6 ) Arrêt du 16 décembre 2008, Cartesio (C‑210/06, EU:C:2008:723, point 67).

( 7 ) Arrêts du 16 juillet 2015, Commission/Bulgarie (C‑145/14, non publié, EU:C:2015:502, point 30) ; du 25 février 2016, Commission/Espagne (C‑454/14, non publié, EU:C:2016:117, point 59) ; du 28 novembre 2018, Commission/Slovénie (C‑506/17, non publié, EU:C:2018:959, point 45), et du 21 mars 2019, Commission/Italie (C‑498/17, EU:C:2019:243, point 27).

( 8 ) Conformément au constat établi dans l’arrêt du 15 octobre 2014, Commission/Italie (C‑323/13, non publié, EU:C:2014:2290, point 13).

( 9 ) Voir point 11 des présentes conclusions.

( 10 ) Voir point 12 des présentes conclusions.

( 11 ) À cet égard, arrêt du 16 juillet 2009, Futura Immobiliare e. a. (C‑254/08, EU:C:2009:479, points 47 et suiv.).

( 12 ) Arrêts du 3 décembre 1998, Belgocodex (C‑381/97, EU:C:1998:589, point 26) ; du 26 avril 2005,  Goed Wonen  (C‑376/02, EU:C:2005:251, point 32) ; du 10 septembre 2009, Plantanol (C‑201/08, EU:C:2009:539, point 43), et du 10 décembre 2015, Veloserviss (C‑427/14, EU:C:2015:803, point 30).

( 13 ) Arrêts du 12 novembre 1981, Meridionale Industria Salumi e.a. (212/80 à 217/80, EU:C:1981:270, point 9) ; du 10 février 1982, Bout (21/81, EU:C:1982:47, point 13) ; du 29 janvier 2002, Pokrzeptowicz-Meyer (C‑162/00, EU:C:2002:57, point 49) ; du 6 octobre 2015, Commission/Andersen (C‑303/13 P, EU:C:2015:647, point 50), et du 14 mars 2019, Textilis (C‑21/18, EU:C:2019:199, point 30).

( 14 ) Arrêts du 25 janvier 1979, Racke (98/78, EU:C:1979:14, point 20) ; du 13 novembre 1990, Fédesa e.a. (C‑331/88, EU:C:1990:391, point 45) ; du 28 novembre 2006, Parlement/Conseil (C‑413/04, EU:C:2006:741, point 75), et du 30 avril 2019, Italie/Conseil (quota de captures d’espadon méditerranéen) (C‑611/17, EU:C:2019:332, point 106).

( 15 ) Arrêts du 5 décembre 1973, SOPAD (143/73, EU:C:1973:145, point) ; du 29 janvier 2002, Pokrzeptowicz-Meyer (C‑162/00, EU:C:2002:57, point 49), et du 6 octobre 2015, Commission/Andersen (C‑303/13 P, EU:C:2015:647, point 49).

( 16 ) Arrêts du 16 mai 1979, Tomadini (84/78, EU:C:1979:129, point 21) ; du 29 janvier 2002, Pokrzeptowicz-Meyer (C‑162/00, EU:C:2002:57, point 55), et du 6 octobre 2015, Commission/Andersen (C‑303/13 P, EU:C:2015:647, point 49).

( 17 ) Arrêt du 25 février 2010, Pontina Ambiente (C‑172/08, EU:C:2010:87, point 35).

( 18 ) Arrêts du 7 septembre 2004, Van de Walle e.a. (C‑1/03, EU:C:2004:490, point 57), portant sur la directive 75/442, telle que modifiée par la directive 91/156/CEE du Conseil, du 18 mars 1991 (JO 1991, L 78, p. 32) ; du 24 juin 2008, Commune de Mesquer (C‑188/07, EU:C:2008:359, point 71), portant sur la directive 75/442, telle que modifiée par la décision 96/350/CE de la Commission, du 24 mai 1996 (JO 1996, L 135, p. 32) ; du 16 juillet 2009, Futura Immobiliare e.a. (C‑254/08, EU:C:2009:479,
points 44 et 45), concernant la directive 2006/12, et du 30 mars 2017, VG Čistoća (C‑335/16, EU:C:2017:242, point 24), concernant la directive sur les déchets.

( 19 ) Arrêt du 25 février 2010, Pontina Ambiente (C‑172/08, EU:C:2010:87, point 36).

( 20 ) Arrêt du 25 février 2010, Pontina Ambiente (C‑172/08, EU:C:2010:87, point 36), concernant toujours la directive 75/442, telle que modifiée par la décision 96/350.

( 21 ) Voir point 12 des présentes conclusions.

( 22 ) Voir points 46 et 47 des présentes conclusions.

( 23 ) Voir arrêts du 7 septembre 1999, De Haan (C‑61/98, EU:C:1999:393, points 12 à 14) ; du 14 novembre 2002, Ilumitrónica (C‑251/00, EU:C:2002:655, points 28 à 30), et du 23 février 2006, Molenbergnatie (C‑201/04, EU:C:2006:136, point 42).

( 24 ) Voir arrêt du 24 septembre 2002, Falck et Acciaierie di Bolzano/Commission (C‑74/00 P et C‑75/00 P, EU:C:2002:524, point 117).


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-15/19
Date de la décision : 16/01/2020
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par la Corte suprema di cassazione.

Renvoi préjudiciel – Environnement – Déchets – Directive 1999/31/CE – Décharges existantes – Période d’entretien de la décharge après désaffectation – Prolongation – Coûts de la mise en décharge des déchets – Principe du pollueur-payeur – Application dans le temps de la directive.

Environnement

Déchets


Parties
Demandeurs : A.m.a. – Azienda Municipale Ambiente SpA
Défendeurs : Consorzio Laziale Rifiuti – Co.La.Ri.

Composition du Tribunal
Avocat général : Kokott

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2023
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2020:10

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