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12/11/2019 | CJUE | N°C-183/18

CJUE | CJUE, Conclusions de l'avocat général M. P. Pikamäe, présentées le 12 novembre 2019., Centraal Justitieel Incassobureau, Ministerie van Veiligheid en Justitie (CJIB) contre Bank BGŻ BNP Paribas S.A., 12/11/2019, C-183/18


 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 12 novembre 2019 ( 1 )

Affaire C‑183/18

Centraal Justitieel Incassobureau, Ministerie van Veiligheid en Justitie (CJIB)

contre

Bank BGŻ BNP Paribas S.A. w Gdańsku,

en présence de

Prokuratura Rejonowa Gdańsk-Śródmieście w Gdańsku

[demande de décision préjudicielle formée par le Sąd Rejonowy Gdańsk‑Południe w Gdańsku (tribunal d’arrondissement de Gdańsk sud, Pologne)]

« Renvoi préjudiciel – Espac

e de liberté, de sécurité et de justice – Coopération judiciaire en matière pénale – Décision‑cadre 2005/214/JAI – Reconnaissance et exécution des...

 CONCLUSIONS DE L’AVOCAT GÉNÉRAL

M. PRIIT PIKAMÄE

présentées le 12 novembre 2019 ( 1 )

Affaire C‑183/18

Centraal Justitieel Incassobureau, Ministerie van Veiligheid en Justitie (CJIB)

contre

Bank BGŻ BNP Paribas S.A. w Gdańsku,

en présence de

Prokuratura Rejonowa Gdańsk-Śródmieście w Gdańsku

[demande de décision préjudicielle formée par le Sąd Rejonowy Gdańsk‑Południe w Gdańsku (tribunal d’arrondissement de Gdańsk sud, Pologne)]

« Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Coopération judiciaire en matière pénale – Décision‑cadre 2005/214/JAI – Reconnaissance et exécution des sanctions pécuniaires infligées aux personnes morales – Obligation d’interprétation conforme du droit national – Portée – Notion de “personne morale” – Sanction pécuniaire infligée à une entité dépourvue de personnalité juridique »

I. Introduction

1. La décision-cadre 2005/214/JAI du Conseil, du 24 février 2005, concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux sanctions pécuniaires ( 2 ), permet aux autorités d’un État membre (ci-après l’« État d’émission ») de demander l’exécution d’une sanction pécuniaire dans un autre État membre (ci-après l’« État d’exécution ») dans lequel la personne physique ou morale à l’encontre de laquelle la décision a été prononcée possède des biens ou des revenus, a sa résidence habituelle ou
son siège statutaire, s’il s’agit d’une personne morale.

2. Né d’une demande du Centraal Justitieel Incassobureau (CJIB) (bureau central de recouvrement judiciaire, Pays-Bas) ( 3 ) du Ministerie van Veiligheid en Justitie (ministère de la Sécurité et de la Justice, Pays-Bas) de reconnaissance et d’exécution de la décision de l’Adm. Verwerking Flitsgegevens CJIB HA Leeuwarden (service chargé du traitement des données flashées du CJIB à Leuvarde, Pays-Bas), du 25 novembre 2016, infligeant une amende de 36 euros à Bank BGŻ BNP Paribas S.A. w Gdańsku (Bank
BGŻ BNP Paribas S.A. de Gdańsk, Pologne) ( 4 ), le présent renvoi préjudiciel invite la Cour à mettre en œuvre les enseignements tirés de l’arrêt du 29 juin 2017, Popławski ( 5 ), quant aux effets des décisions-cadres, notamment quant aux modalités de mise en œuvre de l’obligation d’interprétation conforme.

3. De manière plus inédite, ce renvoi préjudiciel conduit la Cour à déterminer si, et le cas échéant comment, une sanction pécuniaire peut être exécutée dans un État membre, alors que cette sanction vise une entité ne disposant pas, dans cet État, de la personnalité juridique.

II. Le cadre juridique

A.   Le droit de l’Union

1. La décision-cadre 2005/214

4. Aux termes de l’article 1er de la décision‑cadre 2005/214, intitulé « Définitions » :

« Aux fins de la présente décision-cadre, on entend par :

a) “décision”, toute décision infligeant à titre définitif une sanction pécuniaire à une personne physique ou morale, lorsque la décision a été rendue par :

[...]

iii) une autorité de l’État d’émission autre qu’une juridiction en raison d’actes punissables au regard du droit national de l’État d’émission en ce qu’ils constituent des infractions aux règles de droit, pour autant que l’intéressé ait eu la possibilité de faire porter l’affaire devant une juridiction ayant compétence notamment en matière pénale ;

[...] »

5. L’article 4 de cette décision‑cadre, intitulé « Transmission des décisions et recours à l’autorité centrale », dispose, à ses paragraphes 1 et 6 :

« 1.   Une décision, accompagnée d’un certificat tel que le prévoit le présent article, peut être transmise aux autorités compétentes d’un État membre dans lequel la personne physique ou morale à l’encontre de laquelle la décision a été prononcée possède des biens ou des revenus, a sa résidence habituelle ou son siège statutaire, s’il s’agit d’une personne morale.

[...]

6.   Lorsque l’autorité de l’État d’exécution qui reçoit une décision n’est pas compétente pour la reconnaître et prendre les mesures nécessaires en vue de son exécution, elle transmet, d’office, la décision à l’autorité compétente pour l’exécuter et en informe l’autorité compétente de l’État d’émission. »

6. L’article 5 de ladite décision‑cadre, intitulé « Champ d’application », prévoit, à son paragraphe 1 :

« Donnent lieu à la reconnaissance et à l’exécution des décisions, aux conditions de la présente décision-cadre et sans contrôle de la double incrimination du fait, les infractions suivantes, si elles sont punies dans l’État d’émission et telles qu’elles sont définies par le droit de l’État d’émission :

[...]

– conduite contraire aux normes qui règlent la circulation routière, y compris les infractions aux dispositions en matière de temps de conduite et de repos et aux dispositions relatives au transport des marchandises dangereuses,

[...] »

7. L’article 6 de la décision‑cadre 2005/214, intitulé « Reconnaissance et exécution des décisions », est ainsi libellé :

« Les autorités compétentes de l’État d’exécution reconnaissent une décision qui a été transmise conformément à l’article 4, sans qu’aucune autre formalité ne soit requise, et prennent sans délai toutes les mesures nécessaires pour son exécution, sauf si l’autorité compétente décide de se prévaloir d’un des motifs de non‑reconnaissance ou de non-exécution prévus à l’article 7. »

8. Aux termes de l’article 9, paragraphes 1 et 3, de cette décision‑cadre :

« 1.   Sans préjudice du paragraphe 3 du présent article et de l’article 10, l’exécution de la décision est régie par la loi de l’État d’exécution de la même manière qu’une sanction pécuniaire de l’État d’exécution. Les autorités de l’État d’exécution sont seules compétentes pour décider des modalités d’exécution et déterminer toutes les mesures y afférentes, y compris les motifs de cessation de l’exécution.

[...]

3.   Une sanction pécuniaire infligée à une personne morale est exécutée même si l’État d’exécution ne reconnaît pas le principe de la responsabilité pénale des personnes morales. »

9. En vertu de l’article 20 de ladite décision‑cadre :

« 1.   Les États membres prennent les mesures nécessaires pour se conformer aux dispositions de la présente décision-cadre avant le 22 mars 2007.

2.   Pendant une période de cinq ans au maximum après la date d’entrée en vigueur de cette décision-cadre, les États membres peuvent limiter son application

[...]

b) en ce qui concerne les personnes morales, aux décisions concernant un acte auquel un instrument européen prévoit l’application du principe de la responsabilité des personnes morales.

[...]

3.   Chaque État membre peut, lorsque le certificat visé à l’article 4 donne à penser que des droits fondamentaux ou des principes juridiques fondamentaux définis par l’article 6 du traité ont pu être violés, s’opposer à la reconnaissance et à l’exécution de la décision. La procédure prévue à l’article 7, paragraphe 3, est applicable.

[...] »

2. La directive (UE) 2015/413

10. Les considérants 1 et 2 de la directive (UE) 2015/413 ( 6 ) énoncent :

« (1) L’amélioration de la sécurité routière est un objectif central de la politique des transports de l’Union [européenne]. L’Union met en œuvre une politique visant à améliorer la sécurité routière afin de réduire le nombre de tués et de blessés ainsi que les dégâts matériels. Un des éléments importants de cette politique est l’application cohérente de sanctions pour les infractions routières commises dans l’Union qui menacent gravement la sécurité routière.

(2) [...] La présente directive vise à garantir [...] l’efficacité de l’enquête relative aux infractions en matière de sécurité routière. »

11. L’article 2 de cette directive, intitulé « Champ d’application », prévoit que celle‑ci s’applique notamment en cas d’excès de vitesse.

12. L’article 3, sous n), de ladite directive dispose :

« Aux fins de la présente directive, on entend par :

[...]

n) “détenteur du véhicule”, la personne au nom de laquelle le véhicule est immatriculé, au sens du droit de l’État membre d’immatriculation. »

13. Aux termes de l’article 4, paragraphe 3, troisième alinéa, de la directive 2015/413 :

« L’État membre de l’infraction utilise, en vertu de la présente directive, les données obtenues aux fins d’établir qui est personnellement responsable des infractions en matière de sécurité routière énumérées à l’article 2 de la présente directive. »

B.   Le droit polonais

14. Le chapitre 66b de l’ustawa – Kodeks postępowania karnego (loi instituant un code de procédure pénale) ( 7 ), du 6 juin 1997, transpose dans l’ordre juridique polonais les dispositions de la décision‑cadre 2005/214.

15. Le chapitre 66b du CPP, intitulé « Demande d’un État membre de l’Union européenne relative à l’exécution d’une décision infligeant une sanction pécuniaire », prévoit, à son article 611ff :

« § 1.   Lorsqu[e] [l’État d’émission] demande l’exécution d’une décision définitive infligeant des sanctions pécuniaires, le Sąd Rejonowy [tribunal d’arrondissement, Pologne] dans le ressort duquel l’auteur possède des biens ou des revenus, ou a sa résidence permanente ou temporaire exécute cette décision. Au sens des dispositions du présent chapitre, les termes “sanction pécuniaire” désignent l’obligation faite à l’auteur de payer les sommes suivantes mentionnées dans la décision :

1) une somme d’argent au titre de sanction pour une infraction pénale autre qu’une contravention commise ;

[...]

§ 6.   Si les dispositions du présent chapitre n’en disposent pas autrement, l’exécution de la décision visée au paragraphe 1 est soumise aux dispositions du droit polonais [...] »

16. L’article 611fg du CPP dispose :

« L’exécution de la décision visée à l’article 611ff, paragraphe 1, peut être refusée dans les cas suivants :

1) l’acte, en raison duquel la décision a été rendue, ne constitue pas une infraction pénale autre qu’une contravention au regard du droit polonais, sauf si, au regard du droit de l’État d’émission, il s’agit d’une infraction pénale visée à l’article 607w ou d’une infraction pénale :

[...]

c) contre la sécurité des transports,

[...]

2) le certificat visé à l’article 611ff, paragraphe 2, n’est pas joint à la décision, s’il est établi de manière incomplète ou s’il ne correspond manifestement pas au contenu de la décision ;

[...]

7) l’auteur ne peut pas être attrait devant les juridictions pénales polonaises ou l’autorisation requise pour le poursuivre fait défaut ;

[...]

9) il ressort du certificat visé à l’article 611ff, paragraphe 2, que l’intéressé n’a pas été dûment informé de la possibilité et du droit de contester cette décision ;

10) il ressort du certificat visé à l’article 611ff, paragraphe 2, que la décision a été rendue en l’absence de l’auteur, sauf si :

a) l’auteur a été convoqué à la procédure ou a été informé par d’autres moyens des délais et du lieu fixés pour l’audience, qu’elle soit publique ou pas, et qu’il a été informé qu’une décision pouvait être rendue en cas de non-comparution ou si l’auteur a été représenté par un défenseur présent à l’audience,

b) après avoir reçu signification d’une copie de la décision et après avoir été informé du droit, des délais et des modalités de dépôt, dans l’État d’émission, d’une demande d’ouvrir, avec sa participation, une nouvelle procédure juridictionnelle dans la même affaire, l’auteur n’a pas présenté une telle demande dans le délai légal ou a déclaré qu’il ne conteste pas la décision ;

11) l’infraction pénale autre que la contravention sur laquelle porte la décision relève de la compétence des juridictions pénales polonaises et fait l’objet d’une amnistie définitive ;

12) la décision concerne une sanction pécuniaire inférieure à 70 euros ou à un montant équivalent dans une autre devise. »

17. L’article 611fh du CPP dispose :

« § 1.   La juridiction examine la question de l’exécution des sanctions pécuniaires après une audience à laquelle peuvent participer le prokurator [ministère public, Pologne], l’auteur, s’il se trouve sur le territoire de la République de Pologne, et son défenseur s’il comparaît. Si l’auteur, qui ne se trouve pas sur le territoire de la République de Pologne, n’a pas de défenseur, le président de la juridiction compétente peut lui en désigner un d’office.

§ 2.   L’ordonnance de la juridiction statuant sur l’exécution de la sanction pécuniaire est susceptible de recours.

§ 3.   La décision définitive relative aux sanctions pécuniaires, accompagnée du certificat visé à l’article 611ff, paragraphe 2, constitue un titre exécutoire et est exécutoire en Pologne après le prononcé de l’ordonnance relative à son exécution.

§ 4.   Si les informations transmises par l’État d’émission ne sont pas suffisantes pour permettre de prendre une décision sur l’exécution de la décision infligeant les sanctions pécuniaires, la juridiction demande à la juridiction ou à d’autres autorités de l’État d’émission de lui fournir les informations nécessaires dans un délai déterminé.

§ 5.   En cas de non-respect du délai visé au paragraphe 4, une ordonnance relative à l’exécution de la décision est rendue sur la base des informations transmises antérieurement. »

18. L’ustawa – Kodeks postępowania w sprawach o wykroczenia (loi instituant un code de procédure en matière de contraventions) ( 8 ), du 24 août 2001, dispose, à son article 116b, paragraphe 1 :

« Les dispositions des chapitres 66a et 66b du [CPP] s’appliquent par analogie aux demandes émanant d’États membres de l’[Union] et portant sur l’exécution d’amendes, de sanctions pécuniaires supplémentaires, d’une obligation d’indemnisation ou d’exécuter une sanction pécuniaire décidée par une juridiction ou une autre autorité d’un État membre de l’[Union]. »

19. Au sein du chapitre XI, intitulé « Contraventions en matière de sécurité et d’ordre dans les transports », de l’ustawa – Kodeks wykroczeń (loi instituant un code des contraventions) ( 9 ), du 20 mai 1971, l’article 92a prévoit :

« Quiconque ne respecte pas la limitation de vitesse fixée par la loi ou par la signalisation routière lorsqu’il est au volant d’un véhicule est passible d’une sanction pécuniaire. »

20. Aux termes de l’article 25, paragraphe 1, de l’ustawa – Kodeks karny wykonawczy (loi instituant un code d’exécution des peines) ( 10 ), du 6 juin 1997 :

« La sanction pécuniaire, la prestation en espèces et les droits à verser à la juridiction sont exécutés [...] conformément aux dispositions du Kodeks postępowania cywilnego [code de procédure civile], si la présente loi n’en dispose pas autrement. »

21. L’article 33 de l’ustawa – Kodeks cywilny (loi instituant un code civil) ( 11 ), du 23 avril 1964, énonce :

« Constituent des personnes morales le Skar Państwa [Trésor public, Pologne] et les organismes auxquels des dispositions particulières reconnaissent la personnalité juridique. »

22. L’article 64 de l’ustawa – Kodeks postępowania cywilnego (loi instituant un code de procédure civile) ( 12 ), du 17 novembre 1964, dispose :

« § 1.   Toute personne physique ou morale a le droit d’intervenir dans un procès en qualité de partie (capacité d’ester en justice).

§ 11.   Ont également la capacité d’ester en justice les organismes dépourvus de la personnalité juridique auxquels la loi reconnaît cette capacité.

[...] »

23. L’article 5, point 4), de l’ustawa o swobodzie działalności gospodarczej (loi sur le libre exercice de l’activité économique) ( 13 ), du 2 juillet 2004, définit la « succursale » comme étant « une partie distincte et indépendante sur le plan organisationnel de l’activité économique de l’entrepreneur, exploitée par celui-ci en dehors de son siège ou de son principal établissement ».

III. Les faits à l’origine du litige, la procédure au principal et les questions préjudicielles

24. Le 9 juillet 2017, le CJIB a saisi le Sąd Rejonowy Gdańsk‑Południe w Gdańsku (tribunal d’arrondissement de Gdańsk sud, Pologne), juge de renvoi en l’espèce, d’une demande de reconnaissance et d’exécution de la décision du 25 novembre 2016.

25. L’amende infligée dans cette décision vise à sanctionner un dépassement de 6 km/h de la vitesse autorisée commis le 13 novembre 2016 à Utrecht (Pays-Bas) par le conducteur d’un véhicule appartenant à Bank BGŻ BNP Paribas Gdańsk.

26. Il ressort du certificat annexé à la décision du 25 novembre 2016 par le CJIB que Bank BGŻ BNP Paribas Gdańsk, entité à laquelle la sanction a été infligée, « n’a, comme elle le souhaitait, pas été entendue » durant la procédure. Conformément au droit néerlandais, elle a été informée de son droit de contester le bien-fondé des griefs retenus à son encontre, mais elle n’a pas introduit de recours dans le délai indiqué. Par conséquent, la décision est devenue définitive le 6 janvier 2017 et
l’exécution de la sanction qu’elle inflige sera prescrite, selon le droit néerlandais, le 6 janvier 2022.

27. En vue de statuer sur la reconnaissance et l’exécution de la sanction pécuniaire, le juge de renvoi a organisé une audience. Les parties n’ont pas comparu et n’ont pas présenté de déclaration.

28. Le juge de renvoi souligne que le chapitre 66b du CPP transposant, en droit polonais, les dispositions de la décision‑cadre 2005/214 s’applique tant à l’exécution des décisions rendues en matière d’infractions pénales qu’à l’exécution des décisions rendues en matière contraventionnelle ( 14 ).

29. Il estime toutefois que la transposition de la décision-cadre 2005/214 n’est pas complète. Le législateur polonais aurait utilisé le terme « auteur » pour définir le champ d’application personnel de la législation de transposition, mais, dans le CPP, ce terme inclurait uniquement les personnes physiques, alors que, en vertu des articles 1er et 9 de cette décision-cadre, celle-ci s’applique également aux décisions infligeant des sanctions pécuniaires aux personnes morales.

30. Par conséquent, la possibilité d’exécuter une décision infligeant une sanction pécuniaire à une personne morale ne relèverait pas du champ d’application des articles 611ff et suivants du CPP, ni de l’ustawa o odpowiedzialności podmiotów zbiorowych za czyny zabronione pod groźbą kary (loi sur la responsabilité des entités collectives en matière d’actes illicites sous peine de sanctions) ( 15 ), du 28 octobre 2002, dans la mesure où cette loi ne trouve pas à s’appliquer aux contraventions commises
par des entités collectives.

31. Selon le juge de renvoi, cette circonstance entraîne un refus systématique des juridictions polonaises de reconnaître et d’exécuter des décisions infligeant des sanctions pécuniaires à des personnes morales, alors même que, en vertu de l’article 9, paragraphe 3, de la décision-cadre 2005/214, de telles décisions doivent être exécutées même si l’État d’exécution ne connaît pas le principe de la responsabilité pénale des personnes morales.

32. Quant à la possibilité, pour les juridictions polonaises, d’appliquer directement les dispositions de cette décision-cadre, le juge de renvoi indique que, selon la jurisprudence de la Cour, notamment l’arrêt du 29 juin 2017, Popławski ( 16 ), en l’absence d’effet direct des décisions‑cadres, il incombe aux juridictions nationales l’obligation d’interpréter le droit national conformément à ces textes.

33. Toutefois, le juge de renvoi estime que la notion d’« auteur », figurant dans le CPP, ne semble pas pouvoir être interprétée de sorte à inclure les personnes morales, afin d’assurer la conformité des dispositions nationales avec la décision‑cadre 2005/214.

34. Partant, d’une part, le juge de renvoi s’interroge sur l’obligation d’écarter l’application de la règle nationale lorsque cette dernière ne peut pas faire l’objet d’une interprétation conforme ou de lui substituer la règle figurant dans cette décision‑cadre.

35. D’autre part, le juge de renvoi s’interroge sur la notion de « personne morale ». Il souligne que, selon le droit polonais, une entité telle que Bank BGŻ BNP Paribas Gdańsk est mentionnée dans le registre du commerce et dispose d’un siège propre. Malgré son indépendance organisationnelle, cette entité n’aurait pas de personnalité (capacité) juridique distincte de celle de la Bank BGŻ BNP Paribas S.A. dont le siège se trouve à Varsovie (Pologne) ( 17 ) et ne pourrait pas ester en justice (à
l’exception des affaires en matière de droit du travail). Il semblerait, en revanche, que, selon le droit néerlandais, les unités organisationnelles d’une personne morale relèveraient également de la notion de « personne morale »

36. Dans ce contexte, le juge de renvoi cherche à déterminer si la notion de « personne morale » utilisée dans la décision-cadre 2005/214 est une notion autonome du droit de l’Union ou s’il convient de l’interpréter conformément au droit de l’État d’émission ou conformément au droit de l’État d’exécution.

37. Dans ces conditions, le Sąd Rejonowy Gdańsk‑Południe w Gdańsku (tribunal d’arrondissement de Gdańsk sud) a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1) Faut-il interpréter les dispositions de l’article 1er, sous a), de l’article 9, paragraphe 3, ainsi que de l’article 20, paragraphe 1 et paragraphe 2, sous b), de la décision-cadre [2005/214] en ce sens qu’une décision transmise à des fins d’exécution et infligeant une sanction pécuniaire à une personne morale doit être exécutée dans l’État d’exécution, même si les dispositions nationales qui transposent cette décision-cadre ne prévoient pas la possibilité d’exécuter la décision infligeant
une telle sanction à l’encontre d’une personne morale ?

2) En cas de réponse affirmative à la première question, la notion de “personne morale” figurant à l’article 1er, sous a), et à l’article 9, paragraphe 3, de la décision-cadre [2005/214] doit-elle être interprétée :

a) conformément aux règles de l’État d’émission [article 1er, sous c)],

b) conformément aux règles de l’État d’exécution [article 1er, sous d)], ou

c) comme une notion autonome du droit de l’Union,

et faut-il en tirer la conséquence qu’elle couvre également la succursale d’une personne morale, bien que cette succursale n’ait pas de personnalité juridique dans l’État d’exécution ? »

IV. La procédure devant la Cour

38. Des observations écrites ont été déposées par Bank BGŻ BNP Paribas Varsovie, les gouvernements polonais, hongrois et néerlandais ainsi que par la Commission européenne.

V. Analyse

A.   Sur la première question préjudicielle

39. Par la première question préjudicielle, le juge de renvoi demande à la Cour si l’article 1er, sous a), l’article 9, paragraphe 3, ainsi que l’article 20, paragraphe 1 et paragraphe 2, sous b), de la décision-cadre 2005/214 doivent être interprétés en ce sens qu’une décision transmise à des fins d’exécution et infligeant une sanction pécuniaire à une personne morale doit être exécutée par l’État d’exécution, même si les dispositions nationales transposant cette décision-cadre ne prévoient pas la
possibilité d’exécuter une décision infligeant une telle sanction à une personne morale.

40. En premier lieu, je considère qu’il découle sans ambiguïté de la décision-cadre 2005/214 que, même dans l’hypothèse où le droit de l’État d’exécution ne reconnaît pas le principe de la responsabilité pénale des personnes morales, les sanctions pécuniaires infligées à ces personnes pour des infractions routières doivent être reconnues et exécutées.

41. À cet égard, je constate que, selon de nombreuses dispositions de la décision-cadre 2005/214, comme l’article 1er, sous a), l’article 4, paragraphe 1, ou la section f) du certificat figurant en annexe à celle‑ci ( 18 ), dans le cadre du système instauré par cette décision-cadre, une sanction pécuniaire peut être infligée à une personne tant physique que morale.

42. Par ailleurs, il découle de la lecture combinée des articles 6 et 7 de la décision-cadre 2005/214 qu’une décision au sens de cette décision-cadre doit, en principe, être reconnue et exécutée, sans que les États membres puissent fonder un refus sur la circonstance que le droit national ne prévoit pas la possibilité d’exécuter une décision infligeant une sanction pécuniaire à une personne morale ( 19 ).

43. Enfin, le législateur de l’Union a anticipé les disparités des législations nationales quant à la responsabilité pénale des personnes morales ( 20 ). Ainsi, sans imposer aux États membres une quelconque obligation d’instaurer la responsabilité pénale de ces personnes, il a prévu, à l’article 9, paragraphe 3, de la décision-cadre 2005/214, qu’une sanction pécuniaire infligée à une personne morale doit être exécutée « même si l’État d’exécution ne reconnaît pas le principe de la responsabilité
pénale des personnes morales ».

44. Par conséquent, la décision-cadre 2005/214, dont le caractère contraignant est indiscutable ( 21 ), impose clairement aux États membres l’obligation d’exécuter une décision infligeant une sanction pécuniaire à une personne morale.

45. Cette conclusion n’est pas infirmée par l’article 20, paragraphe 2, sous b), de cette décision-cadre dans la mesure où la possibilité offerte aux États membres d’en limiter, de manière transitoire et sous conditions, l’application aux personnes morales a pris fin le 22 mars 2010.

46. En second lieu, partant de la prémisse que les dispositions de la décision-cadre 2005/214 n’auraient pas été correctement transposées en droit polonais, la notion d’« auteur » figurant à l’article 611ff, paragraphe 1, du CPP n’inclurait pas les personnes morales et aucune autre disposition ne permettrait de suppléer cette lacune, le juge de renvoi cherche à savoir si le droit national doit être laissé inappliqué et si les dispositions de cette décision-cadre doivent lui être substituées.

47. À cet égard, je rappelle que les effets des décisions-cadres ont été précisés et circonscrits dans la jurisprudence la plus récente de la Cour ( 22 ). En se fondant sur l’absence d’effet direct de celles-ci, la Cour a estimé que, outre l’impossibilité d’appliquer directement les dispositions d’une décision-cadre, une juridiction d’un État membre n’est pas tenue d’écarter l’application d’une disposition de son droit national contraire à une décision-cadre ( 23 ). Toutefois, le caractère
contraignant d’une décision-cadre entraîne pour les autorités nationales l’obligation d’interpréter leur droit interne conformément à celle-ci ( 24 ).

48. Concrètement, cela suppose que les autorités nationales doivent interpréter le droit national, dans toute la mesure du possible, à la lumière du texte et de la finalité des décisions-cadres afin d’atteindre le résultat visé par celles-ci. Une telle interprétation ne peut néanmoins conduire, d’une part, à une interprétation contra legem du droit national et, d’autre part, à déterminer ou à aggraver, sur le fondement des décisions-cadres et indépendamment d’une loi prise pour la mise en œuvre de
celles-ci, la responsabilité pénale de ceux qui ont commis une infraction ( 25 ).

49. En l’occurrence, en l’absence d’effet direct de la décision-cadre 2005/214, il est donc exclu que le juge de renvoi écarte l’application du CPP ou applique directement cette décision-cadre à la place de ce dernier.

50. Quant à l’interprétation conforme des dispositions du CPP transposant la décision-cadre 2005/214, il est évident que, en vertu de la répartition des compétences entre la Cour et les juridictions nationales, il appartient, en l’occurrence, au seul juge de renvoi de déterminer, compte tenu de l’ensemble du droit interne et des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci, si une interprétation conforme du droit national garantissant la pleine effectivité de cette décision-cadre et aboutissant
à une solution conforme à sa finalité est possible ( 26 ).

51. Néanmoins, dès lors que le juge de renvoi semble douter d’une telle possibilité en l’espèce, je souhaite mettre en exergue les éléments suivants ( 27 ).

52. Premièrement, à l’instar du gouvernement polonais et de la Commission, j’estime que la notion d’« auteur » peut inclure tant les personnes physiques que les personnes morales.

53. En outre, dans la mesure où la décision-cadre 2005/214 n’a pas pour objet d’harmoniser le droit pénal de fond, le législateur polonais a, me semble-t-il en conformité avec cette décision-cadre, eu recours, dans le cadre de la transposition de ladite décision-cadre dans le chapitre 66b du CPP, à la notion d’« auteur », qui est prima facie une notion neutre, de sorte que, dans le contexte du chapitre 66b du CPP et de l’exécution des sanctions pécuniaires, cette notion peut être interprétée
indépendamment de l’acception de cette notion dans le droit pénal de fond ( 28 ). Cette approche du législateur polonais correspond, à mon sens, à la logique de la décision-cadre 2005/214, dès lors que cette dernière n’impose aucunement aux États membres de prévoir un mécanisme de responsabilité pénale des personnes morales tout en les obligeant à exécuter des sanctions pécuniaires infligées à de telles personnes.

54. Par conséquent, contrairement à ce que suggère le juge de renvoi, pour interpréter la notion d’« auteur » au sens des dispositions du CPP en matière d’exécution des sanctions, il n’y a pas lieu de se référer à cette notion au sens du droit pénal de fond, de sorte que cette notion est, à mes yeux, susceptible d’être interprétée comme renvoyant à l’entité visée par une sanction pécuniaire définitive, qu’il s’agisse d’une personne morale ou d’une personne physique.

55. D’ailleurs, selon le dossier dont dispose la Cour, différentes juridictions polonaises ont déjà donné des suites favorables à des demandes d’exécution de sanctions pécuniaires infligées aux Pays-Bas à des personnes morales pour des infractions routières. Eu égard aux informations figurant dans la décision de renvoi et dans le dossier soumis à la Cour, j’estime qu’il est possible de conclure que le droit polonais ne fait pas obstacle à l’exécution, dans cet État membre, de l’amende infligée à une
personne morale ou, en tout état de cause, que ce droit peut être interprété conformément aux dispositions de la décision-cadre 2005/214.

56. Deuxièmement, toute objection fondée sur une éventuelle aggravation de la responsabilité pénale des personnes morales doit être écartée. En effet, le principe et l’étendue de la responsabilité de l’auteur de l’acte illicite ne sont pas déterminés par la décision-cadre 2005/214, mais selon le droit de l’État d’émission et, dans l’État d’exécution, en l’occurrence la République de Pologne, seule la question de l’exécution de la sanction se pose.

57. Compte tenu de l’ensemble de ces considérations, il est proposé de répondre à la première question préjudicielle que les dispositions de la décision-cadre 2005/214 doivent être interprétées en ce sens qu’une décision transmise à des fins d’exécution et infligeant une sanction pécuniaire à une personne morale doit être exécutée par l’État d’exécution, même si les dispositions nationales transposant cette décision-cadre ne prévoient pas la possibilité d’exécuter une décision infligeant une
sanction à une personne morale. À cette fin, dans la mesure où les dispositions de ladite décision-cadre ne sont pas dotées d’un effet direct, l’autorité de l’État d’exécution compétente doit prendre en considération l’ensemble du droit interne et faire application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci pour interpréter les dispositions nationales, dans toute la mesure possible, à la lumière du texte et de la finalité de la décision-cadre 2005/214.

B.   Sur la seconde question préjudicielle

58. Par la seconde question préjudicielle, le juge de renvoi demande à la Cour, d’une part, si la notion de « personne morale », figurant dans la décision‑cadre 2005/214, doit être interprétée conformément au droit de l’État d’émission ou de l’État d’exécution ou en tant que notion autonome du droit de l’Union et, d’autre part, s’il y a lieu d’en déduire que cette notion couvre également une entité telle que Bank BGŻ BNP Paribas Gdańsk, bien qu’elle n’ait pas de personnalité juridique propre dans
l’État d’exécution.

59. En substance, outre la définition de la notion de « personne morale », le juge de renvoi cherche à déterminer, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, comment et à l’encontre de quelle entité la sanction doit être exécutée.

60. À cet égard, je rappelle que, en l’espèce, la sanction a été infligée à Bank BGŻ BNP Paribas Gdańsk, mais que seule Bank BGŻ BNP Paribas Varsovie dispose en Pologne de la personnalité (capacité) juridique. Ainsi, sous réserve des vérifications à opérer par le juge de renvoi, il ressort du dossier soumis à la Cour que, en droit polonais, Bank BGŻ BNP Paribas Gdańsk et Bank BGŻ BNP Paribas Varsovie forment une entité unique, la première étant une structure locale de la seconde. Du point de vue
juridique, cette unité organisationnelle se matérialise par la circonstance que, contrairement à Bank BGŻ BNP Paribas Varsovie, Bank BGŻ BNP Paribas Gdańsk n’a pas de personnalité (capacité) juridique, de sorte qu’elle ne peut prendre part à une procédure juridictionnelle pénale ou civile ( 29 ).

61. Cette circonstance peut aboutir, selon la juridiction de renvoi, à un refus des autorités polonaises d’exécuter la sanction au motif que, une entité telle que Bank BGŻ BNP Paribas Gdańsk n’étant pas en mesure d’agir dans le cadre de la procédure d’exécution, ses droits peuvent être violés. Or, une telle issue est évidemment problématique, car la demande du CJIB doit, en principe, être exécutée ( 30 ).

62. En ce qui concerne le premier volet de la présente question préjudicielle, premièrement, à mes yeux, la notion de « personne morale » ne doit pas être interprétée, dans le système de la décision‑cadre 2005/214, comme une notion autonome du droit de l’Union.

63. En effet, même si l’interprétation autonome est, en principe, un gage d’effectivité du droit de l’Union ( 31 ), une telle démarche irait, en l’occurrence, à l’encontre de la volonté du législateur de l’Union.

64. La combinaison de l’article 9, paragraphe 3, de la décision-cadre 2005/214 et du principe de reconnaissance mutuelle permet d’assurer l’exécution des sanctions pécuniaires infligées à des personnes morales en dépassant l’opposition binaire entre le renvoi au droit des États membres et la notion autonome ( 32 ). Partant, en s’assurant de l’exécution des sanctions pécuniaires en dépit des différences entre les législations nationales en matière de responsabilité pénale des personnes morales, je
pense que le législateur de l’Union voulait précisément éviter que cette notion fasse l’objet d’une interprétation propre au droit de l’Union.

65. J’ajoute, au demeurant, que, même si l’interprétation autonome d’une notion est, en principe, cantonnée à l’instrument juridique dont elle fait partie ( 33 ), une interprétation autonome de la notion de « personne morale », même circonscrite à la seule décision-cadre 2005/214, pourrait avoir de sérieuses conséquences dans d’autres domaines du droit de l’Union, alors même que tant la Cour que le législateur de l’Union sont toujours restés, à mes yeux, très prudents à l’égard de cette notion ( 34
).

66. Deuxièmement, dans le système de la décision-cadre 2005/214, le droit de l’État d’émission régit la responsabilité, la sanction et détermine l’entité visée par cette sanction, de sorte que la notion de « personne morale » doit être interprétée à la lumière du droit de l’État d’émission.

67. À cet égard, il n’est pas inutile de souligner que l’article 5, paragraphe 1, de la décision-cadre 2005/214, dont il découle que le droit pénal de l’État d’émission s’applique notamment quant à la définition de l’infraction, traduit le principe de territorialité de la loi pénale. Cette disposition trouve son prolongement à l’article 9, paragraphes 1 et 3, de la décision-cadre 2005/214, en vertu duquel, d’une part, le droit de l’État d’exécution s’applique à l’exécution de la sanction et, d’autre
part, une sanction pécuniaire infligée à une personne morale doit être exécutée, même si l’État d’exécution ne reconnaît pas la responsabilité pénale des personnes morales.

68. Ainsi, sans procéder à l’harmonisation des législations pénales de fond et des législations en matière d’exécution des sanctions, le législateur de l’Union garantit néanmoins l’exécution des sanctions pécuniaires au sein des États membres grâce au principe de reconnaissance mutuelle ( 35 ).

69. Pour l’ensemble de ces raisons, j’estime que, dans le système de la décision-cadre 2005/214, la notion de « personne morale » ne saurait être interprétée comme une notion autonome, mais doit être interprétée à la lumière du droit de l’État d’émission.

70. En ce qui concerne le second volet de la présente question préjudicielle, je pense qu’il importe de garder à l’esprit tant la nécessité de la mise en œuvre effective des sanctions pécuniaires que la protection des droits des entités visées par ces sanctions.

71. Or, en l’espèce, l’entité sanctionnée aux Pays-Bas n’ayant pas de personnalité (capacité) juridique pour agir dans une procédure d’exécution en Pologne, la difficulté réside dans la mise en œuvre pratique de la décision-cadre 2005/214. Il est ainsi évident que, pour qu’une sanction pécuniaire visant une personne morale puisse être exécutée dans un État membre, cette dernière doit être titulaire de droits et d’obligations, faute de quoi l’exécution de la sanction s’avère problématique.

72. À cet égard, il est indéniable qu’une situation dans laquelle les autorités polonaises fournissent, dans le cadre de la coopération instituée par la directive 2015/413, des informations non pas incorrectes, mais, à tout le moins, incomplètes à leurs homologues ( 36 ), est préjudiciable tant à l’objectif de cette directive qu’à celui de la décision-cadre 2005/214. En l’absence de mention du fait que le propriétaire du véhicule responsable de l’infraction est une entité à l’égard de laquelle
l’exécution d’une sanction pécuniaire n’est pas garantie, une telle exécution est nécessairement mise en péril ( 37 ).

73. Par conséquent, pour l’avenir et afin de garantir la pérennité du système de la décision-cadre 2005/214, il est crucial que, conformément au principe de coopération loyale et à l’esprit de coopération présidant tant à la directive 2015/413 qu’à cette décision-cadre, les États membres fournissent, au titre de cette directive, des données permettant non seulement d’identifier le propriétaire du véhicule responsable de l’infraction, mais également de garantir l’exécution dans toute l’Union d’une
éventuelle sanction pécuniaire ( 38 ).

74. Toutefois, de telles recommandations ne valent que pour l’avenir et ne fournissent pas au juge de renvoi une réponse utile lui permettant de respecter en l’espèce les obligations issues de la décision-cadre 2005/214.

75. À cet égard, comme je l’ai souligné au point 66 des présentes conclusions, dans le système de la décision-cadre 2005/214, le droit de l’État d’émission régit la responsabilité, la sanction et détermine l’entité visée par cette sanction, alors que le droit de l’État d’exécution s’applique à l’exécution de la sanction sans qu’il lui soit possible de faire échec à l’exécution au motif que les personnes morales ne disposent pas des droits procéduraux leur permettant d’agir dans le cadre de la
procédure d’exécution.

76. Ainsi, dans une situation telle que celle en cause au principal et sous réserve des vérifications à opérer par le juge de renvoi, il me semble que, pour assurer l’exécution de la sanction pécuniaire, Bank BGŻ BNP Paribas Varsovie pourrait être considérée comme l’entité juridiquement responsable pour Bank BGŻ BNP Paribas Gdańsk en tant que personne morale disposant de la personnalité (capacité) juridique et, dès lors, comme l’entité sanctionnée. La demande du CJIB pourrait alors, conformément à
l’article 4, paragraphe 6, de la décision-cadre 2005/214, être transférée au tribunal compétent de Varsovie où se trouve son siège.

77. Il est vrai que le législateur de l’Union a itérativement souligné l’importance du respect des droits fondamentaux dans la décision-cadre 2005/214 ( 39 ) et que son objectif était de faciliter l’exécution des sanctions pécuniaires tout en assurant le respect des garanties appropriées pour les personnes et les entités contre lesquelles ces sanctions sont exécutées.

78. À cet égard, premièrement, les éventuelles atteintes aux droits de Bank BGŻ BNP Paribas Varsovie peuvent être, sinon relativisées, à tout le moins, envisagées à l’aune des particularités de ses liens avec Bank BGŻ BNP Paribas Gdańsk. En effet, je rappelle que, selon le droit polonais, Bank BGŻ BNP Paribas Varsovie et Bank BGŻ BNP Paribas Gdańsk forment une entité unique et que seule la première dispose de la personnalité (capacité) juridique. Dès lors, d’une part, Bank BGŻ BNP Paribas Varsovie
est responsable des agissements de la seconde. D’autre part, la volonté de BGŻ BNP Paribas Gdańsk de ne pas être entendue et de ne pas exercer de recours peut être considérée comme celle de l’entité unique.

79. Deuxièmement, il pourrait être considéré qu’une situation telle que celle en cause au principal est avant tout un dysfonctionnement interne dû à un manque de communication entre Bank BGŻ BNP Paribas Varsovie et Bank BGŻ BNP Paribas Gdańsk. Or, dans la mesure où ces dernières constituent une entité unique, un tel manque de communication est dénué d’effet, car les actes de Bank BGŻ BNP Paribas Gdańsk, comme sa décision de ne pas introduire de recours aux Pays-Bas, sont imputés à Bank BGŻ BNP
Paribas Varsovie.

80. En tout état de cause, il est évident que, dans une situation telle que celle en cause au principal, Bank BGŻ BNP Paribas Varsovie doit être en mesure de faire valoir ses droits dans l’État d’exécution.

81. Ainsi, dans le cadre de l’éventuel recours contre l’ordonnance d’exécution prévu à l’article 611fh, paragraphe 2, du CPP, elle pourrait arguer d’une atteinte disproportionnée à ses droits par le fait qu’elle n’a pas pu agir aux Pays-Bas. L’appréciation d’une telle atteinte et de son caractère proportionné devrait être menée au cas par cas et relèverait, par conséquent, des juridictions de l’État d’exécution.

82. Partant, il est proposé de répondre à la seconde question préjudicielle que la notion de « personne morale » n’est pas une notion autonome du droit de l’Union, mais doit être interprétée à la lumière du droit de l’État d’émission et que la notion de « personne morale » au sens de cette décision-cadre couvre une entité dépourvue de personnalité juridique telle que Bank BGŻ BNP Paribas Gdańsk, à condition qu’elle forme une unité organisationnelle avec une entité disposant de la personnalité
juridique.

VI. Conclusion

83. Eu égard aux considérations qui précèdent, je propose à la Cour de répondre comme suit aux questions préjudicielles posées par le Sąd Rejonowy Gdańsk‑Południe w Gdańsku (tribunal d’arrondissement de Gdańsk sud, Pologne) :

1) Les dispositions de la décision-cadre 2005/214/JAI du Conseil, du 24 février 2005, concernant l’application du principe de reconnaissance mutuelle aux sanctions pécuniaires, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009, doivent être interprétées en ce sens qu’une décision transmise à des fins d’exécution et infligeant une sanction pécuniaire à une personne morale doit être exécutée par l’État membre d’exécution, même si les dispositions nationales
transposant cette décision-cadre ne prévoient pas la possibilité d’exécuter une décision infligeant une sanction à une personne morale. À cette fin, dans la mesure où les dispositions de ladite décision-cadre ne sont pas dotées d’un effet direct, l’autorité de l’État membre d’exécution compétente doit prendre en considération l’ensemble du droit interne et faire application des méthodes d’interprétation reconnues par celui-ci pour interpréter les dispositions nationales, dans toute la mesure
possible, à la lumière du texte et de la finalité de la même décision-cadre.

2) Les dispositions de la décision-cadre 2005/214, telle que modifiée par la décision-cadre 2009/299, doivent être interprétées en ce sens que la notion de « personne morale » n’est pas une notion autonome du droit de l’Union, mais doit être interprétée à la lumière du droit de l’État membre d’émission. La notion de « personne morale » au sens de cette décision-cadre couvre une entité dépourvue de personnalité juridique telle que celle en cause au principal, à condition qu’elle forme une unité
organisationnelle avec une entité disposant de la personnalité juridique.

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( 1 ) Langue originale : le français.

( 2 ) JO 2005, L 76, p. 16, telle que modifiée par la décision‑cadre 2009/299/JAI du Conseil, du 26 février 2009 (JO 2009, L 81, p. 24), ci-après la « décision-cadre 2005/214 ».

( 3 ) Ci-après le « CJIB ».

( 4 ) Ci-après « Bank BGŻ BNP Paribas Gdańsk ». Cette décision sera dénommée ci-après la « décision du 25 novembre 2016 ».

( 5 ) C‑579/15, EU:C:2017:503.

( 6 ) Directive du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2015 facilitant l’échange transfrontalier d’informations concernant les infractions en matière de sécurité routière (JO 2015, L 68, p. 9).

( 7 ) Dz. U. no 89, position 555, ci-après le « CPP ».

( 8 ) Dz. U. no 106, position 1148.

( 9 ) Dz. U. no 12, position 114.

( 10 ) Dz. U. no 90, position 557.

( 11 ) Dz. U. no 16, position 93.

( 12 ) Dz. U. no 43, position 296.

( 13 ) Dz. U. no 173, position 1807.

( 14 ) Pour ces dernières, par effet du renvoi opéré par l’article 116b, paragraphe 1, de la loi instituant un code de procédure en matière de contraventions.

( 15 ) Dz. U. no 197, position 1661.

( 16 ) C‑579/15, EU:C:2017:503.

( 17 ) Ci-après « Bank BGŻ BNP Paribas Varsovie ».

( 18 ) Aux fins de l’exécution d’une décision infligeant une sanction pécuniaire à une personne physique ou morale, l’autorité compétente de l’État d’émission de cette décision doit, en vertu de l’article 4 de la décision-cadre 2005/214, transmettre une telle décision accompagnée du certificat, figurant en annexe à cette décision-cadre. Si la sanction vise une personne morale, la section f) de ce certificat requiert la fourniture de son nom, de sa forme, de son siège statutaire, ainsi que la
description et la localisation de ses biens et de ses revenus.

( 19 ) L’article 7 de la décision-cadre 2005/214 énumère les motifs de non‑reconnaissance et de non-exécution des décisions infligeant des sanctions pécuniaires. La circonstance que le droit national ne prévoit pas la possibilité d’exécuter une décision infligeant une sanction pécuniaire à une personne morale ne figure pas parmi ces motifs.

( 20 ) Pour un état des lieux des différences entre les législations nationales peu de temps après l’adoption de la décision-cadre 2005/214, voir Adam, S., Colette-Basecqz, N., et Nihoul, M., La responsabilité pénale des personnes morales en Europe, Corporate Criminal Liability in Europe, La Charte, Bruxelles, 2008.

( 21 ) Voir arrêt du 16 juin 2005, Pupino (C‑105/03, EU:C:2005:386, points 33 et 34). Je souligne, à cet égard, que la position de Bank BGŻ BNP Paribas Varsovie, selon laquelle, en l’absence de transposition dans le droit polonais des dispositions de la décision‑cadre 2005/214 prévoyant la possibilité d’exécuter dans cet État membre une décision infligeant une sanction pécuniaire à une personne morale, les dispositions de cette décision-cadre ne sauraient servir de fondement à l’exécution d’une
telle décision dans ledit État membre, ne peut être suivie, car elle aboutit de facto à remettre en cause l’effet obligatoire de ladite décision-cadre.

( 22 ) Voir arrêt du 24 juin 2019, Popławski (C‑573/17, EU:C:2019:530).

( 23 ) Voir arrêt du 24 juin 2019, Popławski (C‑573/17, EU:C:2019:530, points 60 à 71).

( 24 ) Voir arrêt du 24 juin 2019, Popławski (C‑573/17, EU:C:2019:530, point 72 et jurisprudence citée).

( 25 ) Voir arrêt du 24 juin 2019, Popławski (C‑573/17, EU:C:2019:530, points 73 à 76).

( 26 ) Selon les précisions déjà fournies par la Cour quant aux contours de l’obligation d’interprétation conforme du droit national telles que rappelées dans l’arrêt du 24 juin 2019, Popławski (C‑573/17, EU:C:2019:530, point 77 et jurisprudence citée).

( 27 ) Même si une telle circonstance ne doit pas influencer le juge de renvoi quant à la possibilité de procéder à une interprétation conforme du droit national, je relève que, en l’absence de possibilité d’appliquer directement les dispositions de la décision-cadre 2005/214 et de donner suite à la demande du CJIB sur un autre fondement que le chapitre 66b du CPP, l’interprétation conforme des dispositions du CPP constitue le seul moyen de respecter l’effet obligatoire de cette décision‑cadre.

( 28 ) Une telle position s’impose quand bien même, dans d’autres chapitres du même code, cette notion n’inclurait que les personnes physiques, car le chapitre 66b du CPP concerne uniquement les demandes faites dans le cadre de la décision-cadre 2005/214 et ne vise que l’organisation de l’exécution de la sanction pécuniaire et non la poursuite pénale en tant que telle.

( 29 ) Je remarque, à cet égard, que seule Bank BGŻ BNP Paribas Varsovie est intervenue durant la procédure devant la Cour et que seule cette entité a donné le mandat de représentation aux avocats.

( 30 ) Ainsi qu’en atteste très clairement l’article 6 de la décision-cadre 2005/214. Dans le système de cette décision-cadre, les États membres sont tenus d’exécuter les décisions infligeant des sanctions pécuniaires sur le fondement du principe de reconnaissance mutuelle et conformément aux dispositions de cette même décision‑cadre. Les autorités judiciaires d’exécution ne peuvent donc, en principe, refuser d’exécuter une telle décision que pour les motifs, exhaustivement énumérés, de
non-exécution prévus par la décision-cadre 2005/214. Par conséquent, alors que l’exécution d’une décision infligeant une sanction pécuniaire constitue le principe, le refus d’exécution est conçu comme une exception qui doit faire l’objet d’une interprétation stricte [voir, par analogie, arrêts du 14 novembre 2013, Baláž (C‑60/12, EU:C:2013:733, point 29), et du 25 juillet 2018, Minister for Justice and Equality (Défaillances du système judiciaire) (C‑216/18 PPU, EU:C:2018:586, point 41)].

( 31 ) Voir arrêt du 14 novembre 2013, Baláž (C‑60/12, EU:C:2013:733, point 26).

( 32 ) Ainsi, l’article 9, paragraphe 3, de la décision-cadre 2005/214 permet de distinguer la présente question préjudicielle des arrêts du 16 novembre 2010, Mantello (C‑261/09, EU:C:2010:683), et du 14 novembre 2013, Baláž (C‑60/12, EU:C:2013:733).

( 33 ) Je rappelle, à toutes fins utiles, que, selon une jurisprudence constante, l’interprétation autonome et uniforme doit être recherchée en tenant compte du contexte de la disposition dans laquelle elle s’insère et de l’objectif poursuivi par la réglementation dont la notion autonome fait partie [voir, notamment, arrêt du 14 novembre 2013, Baláž (C‑60/12, EU:C:2013:733, point 26)].

( 34 ) Pour un refus implicite d’interpréter cette notion de façon autonome, voir ordonnance du 24 novembre 2009, Landtag Schleswig-Holstein/Commission (C‑281/08 P, non publiée, EU:C:2009:728, points 20 et 22). Je note également que, dans un certain nombre de textes de droit dérivé fondés sur l’article 83, paragraphe 1, TFUE visant à établir des règles minimales concernant la définition des infractions pénales, le législateur de l’Union a renvoyé la définition de la « personne morale » aux
législations nationales et non à une notion dont il appartiendrait à la Cour de fournir une interprétation autonome [voir, par exemple, directive (UE) 2017/541 du Parlement européen et du Conseil, du 15 mars 2017, relative à la lutte contre le terrorisme et remplaçant la décision-cadre 2002/475/JAI du Conseil et modifiant la décision 2005/671/JAI du Conseil (JO 2017, L 88, p. 6)].

( 35 ) Ce principe sous-tend l’économie de la décision-cadre 2005/214 dans son intégralité et celle de l’article 6 de ce texte en particulier.

( 36 ) Les autorités néerlandaises ont, en l’espèce, identifié le propriétaire du véhicule responsable de l’infraction, à savoir Bank BGŻ BNP Paribas Gdańsk, sur la base des données d’immatriculation issues des registres d’immatriculation polonais. À cet égard, il est surprenant que le titulaire du certificat d’immatriculation qui serait le propriétaire ou le détenteur du véhicule soit une entité dénuée de personnalité (capacité) juridique.

( 37 ) À l’instar du gouvernement néerlandais, je pense qu’il est primordial que l’État d’émission puisse utiliser les informations fournies par l’État d’exécution pour déterminer la personne responsable des infractions routières et la sanctionner.

( 38 ) Dans l’hypothèse où des informations incorrectes fournies mèneraient à ce que la personne visée par une sanction pécuniaire ne serait pas la personne responsable de l’infraction, il serait nécessaire de prévoir des garanties supplémentaires, comme une réouverture de la procédure ou une action en réparation, au profit de cette personne.

( 39 ) Voir considérant 5 et article 3 de cette décision-cadre.


Synthèse
Numéro d'arrêt : C-183/18
Date de la décision : 12/11/2019
Type de recours : Recours préjudiciel

Analyses

Demande de décision préjudicielle, introduite par le Sąd Rejonowy Gdańsk–Południe w Gdańsku.

Renvoi préjudiciel – Espace de liberté, de sécurité et de justice – Coopération judiciaire en matière pénale – Décision-cadre 2005/214/JAI – Reconnaissance et exécution des sanctions pécuniaires infligées aux personnes morales – Transposition incomplète d’une décision-cadre – Obligation d’interprétation conforme du droit national – Portée.

Espace de liberté, de sécurité et de justice

Coopération judiciaire en matière pénale


Parties
Demandeurs : Centraal Justitieel Incassobureau, Ministerie van Veiligheid en Justitie (CJIB)
Défendeurs : Bank BGŻ BNP Paribas S.A.

Composition du Tribunal
Avocat général : Pikamäe

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2022
Fonds documentaire ?: http: publications.europa.eu
Identifiant ECLI : ECLI:EU:C:2019:959

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